ARCHIVÉ - Au croisement des secteurs - expériences en action intersectorielle, en politique publique et en santé
7. Questions découlant de l’action intersectorielle
Les ministères, les organismes et d’autres intervenants reconnaissent de plus en plus la nécessité de collaborer au-delà des limites sectorielles et organisationnelles afin d’obtenir des résultats. Selon les expériences examinées, deux leçons générales peuvent être tirées du travail horizontal accompli. Ces leçons sont les suivantes :
- Les activités horizontales sont très exigeantes en termes de ressources : elles exigent du temps et de la paperasserie, de même que des ressources humaines, financières et liées à l’information; et
- La gestion de politiques et d’activités exige l’établissement d’un équilibre minutieux entre des intérêts et des objectifs concurrentiels.
Les initiatives intersectorielles ne débouchent pas nécessairement sur des économies de temps et d’argent. Les gouvernements et les autres organisations devraient réfléchir sérieusement avant de s’engager dans ce type d’initiatives, et être prêts à les mener à bien, le moment venu. Bien que divers pays et ordres de gouverne-ment aient adopté diverses approches à l’égard de l’action intersectorielle, la documentation a révélé certaines répercussions générales. Nous examinons six questions ci-dessous : atteindre une cohérence stratégique, mettre l’accent sur les efforts intersectoriels, appuyer l’engagement, renforcer les capacités, équilibrer les objectifs et les intérêts concurrentiels et rendre compte des résultats.
Atteindre une cohérence stratégique
Comme de nombreux secteurs participent à l’action intersectorielle, il faut veiller à ce que les politiques gouvernementales concordent avec les objectifs communs généraux. Il faut faire preuve de sensibilité à l’égard des divers intervenants, options stratégiques et possibilités de collaboration, lesquels ont des répercussions importantes sur la conception d’organisations ou d’initiatives et sur l’affectation des ressources dans le secteur de la santé.
La formulation de politiques cohérentes touchant de nombreux secteurs peut comporter des mesures incitatives axées sur la collaboration intersectorielle, élaborées par les échelons supérieurs. Ces mesures incitatives sont plus susceptibles de porter fruit et de surmonter la concurrence entre les secteurs lorsqu’elles sont accompagnées d’un soutien financier actif et de crédits budgétaires clairement destinés à l’action intersectorielle (Rachlis, 1999). Bien qu’ils soient embarrassants, les examens stratégiques gouvernementaux qui visent à harmoniser les politiques pourraient produire un processus viable ayant une incidence durable. De plus, ce type d’examen pourrait permettre de définir des politiques à contre-courant.
Prenons, par exemple, la déclaration du Millénaire pour le développement, adoptée par 170 chefs d’État en 2000, qui a mené aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Ces objectifs illustrent le premier cadre stratégique mondial axé sur la réduction de la pauvreté, adopté à un niveau auquel « les divisions sectorielles peuvent être surmontées et les possibilités de collaboration, renforcées ». Toutefois, Bos conclut que le succès demeure limité, malgré l’existence du cadre (2006).
Cibler les efforts intersectoriels
Compte tenu des ressources et du temps exigés pour appuyer de nombreuses initiatives intersectorielles, et étant donné les obstacles liés à l’évaluation de leur incidence, les ouvrages traitant de la question semblent prôner l’adoption d’approches sélectives pragmatiques à l’égard de l’action intersectorielle. La Nouvelle-Zélande et les Pays-Bas ont déterminé que les évaluations de faisabilité constituaient un moyen d’évaluer les propositions d’initiatives ou de politiques intersectorielles et de d’établir leur ordre de priorité (ministère de la Santé de la Nouvelle-Zélande, 2001, p. 139), (van Herten et coll. 2001, p. 343-345). Dans Van Herten et coll. on souligne que « la faisabilité de politiques [intersectorielles sur la santé] dépend de l’accessibilité d’éléments probants, du degré de soutien et de la disponibilité d’outils en vue de leur mise en œuvre » (2001, p. 345). Choisir sciemment le moment opportun, le lieu et la méthode de collaboration entre les secteurs offre un moyen de veiller à ce que les ressources soient dirigées vers les aspects sur lesquels elles auront le plus d’impact, et à ce que les conditions soient propices à la réussite.
Le degré de participation retenu varie de la surveillance des possibilités à la mise en œuvre de programmes conjoints ou de modèles partagés d’évaluation. La collaboration peut convenir uniquement aux étapes de l’élaboration et de l’évaluation de politiques; la mise en œuvre des éléments sectoriels d’un cadre stratégique commun peut être axée sur un secteur particulier. Ce degré de précision – c.-à-d. réfléchir au moment opportun, au lieu et à la méthode d’intervention – peut représenter une évolution naturelle prenant appui sur l’expérience d’initiatives intersectorielles antérieures. Néanmoins, une mise en garde s’impose. Quelques-uns des problèmes stratégiques les plus complexes, notamment celui de l’équité en matière de santé, peuvent exiger un effort soutenu de la part de nombreux intervenants, et ce, sur une période prolongée, si l’on veut obtenir des résultats. L’action intersectorielle doit être orientée vers des objectifs; elle ne doit pas être déterminée selon une démarche simple axée sur la collaboration avec des secteurs spécifiques. L’obtention de résultats tangibles, à court et à moyen terme, vers la réalisation d’objectifs primordiaux peut dépendre de la collaboration avec des secteurs qui partagent des intérêts communs avec le milieu de la santé.
Maintenir l’engagement
La mise en œuvre d’un soutien partagé et le maintien de l’engagement à l’égard d’initiatives intersectorielles constituent des facteurs importants de la réussite de ce type de démarche. Étant donné que l’action intersectorielle est plus coûteuse que d’autres approches et qu’elle met plus de temps à produire des résultats que celles-ci, il est essentiel d’obtenir l’enga-gement des secteurs et des intervenants concernés. L’orientation verticale de la plupart des relations hiérarchiques organisationnelles peut créer des tensions en ce qui concerne les initiatives et les rapports horizontaux ou multisectoriels.
Le maintien de l’engagement à l’égard de l’action intersectorielle peut poser un problème en raison de la possibilité d’un roulement politique et administratif élevé pendant le délai nécessaire à l’achèvement d’un projet. Les mandats de représentants élus et non élus ou d’autres dirigeants sectoriels peuvent prendre fin avant que les initiatives intersectorielles ne portent fruit; en outre, les changements apportés au niveau du leadership sont susceptibles de menacer la poursuite de la collaboration. Les politiques peuvent changer avec les dirigeants; les organisations peuvent faire l’objet de remaniements, et des urgences peuvent survenir.
L’examen de la documentation a permis de dégager les méthodes suivantes pour assurer le maintien de l’engagement :
- faire participer les intervenants touchés à la détermination des priorités, vers la réalisation d’une vision commune;
- définir les avantages pour chaque secteur;
- favoriser la décentralisation de la prise de décisions et renforcer l’autonomie locale;
- accroître la sensibilisation à l’action inter-sectorielle grâce au rehaussement de l’image internationale, laquelle peut être établie par le biais de sommets et de déclarations nationales ou internationales; et
- établir un lien entre la rémunération et le rendement dans la réalisation des résultats.
Renforcer les capacités
Bien que les gouvernements et les milieux universitaires aient généralement reconnu, au cours des deux dernières décennies, que l’action intersectorielle convenait aux situations complexes, on observe un retard sur le plan de la mise en œuvre. Les initiatives intersectorielles exigent des compétences différentes, com-parativement à l’action individuelle. Divers auteurs ont proposé que l’on utilise la capacité organisationnelle de mettre en œuvre des initiatives interorganisationnelles, en guise de critère pour l’exécution d’initiatives intersec-torielles. L’exercice des fonctions de leadership, de partenariat, de soutien et de défense du secteur de la santé exige des connaissances et des compétences qui débordent les limites des enjeux sanitaires. Les organismes du domaine de la santé doivent adopter une approche renforcée et plus généralisée en ce qui a trait à la connaissance des milieux social et économique, des facteurs politiques, ainsi que des possibilités et des risques connexes. Ainsi que le soulignent les auteurs de Stahl et coll. les organismes de la santé doivent également posséder le mandat et le soutien nécessaires pour influencer d’autres secteurs (2006).
La planification appropriée constitue un facteur crucial. Des approches interdisciplinaires et interorganisationnelles en matière de planification peuvent se révéler nécessaires pour renforcer les compétences des travailleurs du point de vue de l’élaboration de plans qui reconnaissent de nombreux secteurs. L’expérience souligne l’importance des communications et de la négociation à titre de compétences fondamentales dans le contexte de l’action intersectorielle. La collaboration entre les secteurs de l’environnement et de la santé s’est révélée fructueuse du fait qu’elle a permis de s’éloigner des approches théoriques et de réorienter les efforts vers des approches fondées sur les problèmes à l’égard de l’apprentissage. On a élaboré des ateliers, en prenant appui sur diverses disciplines et sur une gamme d’approches afin de régler des problèmes complexes touchant les politiques pratiques. Le déplacement d’approches expressément axées sur une discipline et sur un secteur à un apprentissage fondé sur les problèmes a eu une incidence positive sur le perfectionnement professionnel et sur les programmes de formation liés à l’action intersectorielle.
« Bien que l’évaluation des coûts et des avantages soit nécessaire, l’évaluation posera des problèmes majeurs dans le cadre de la plupart des projets latéraux. »
(Bakvis et Julliet, 2004)
Équilibrer des objectifs et des intérêts concurrentiels
La gestion de politiques et d’activités qui touchent plusieurs secteurs exige l’établissement d’un équilibre minutieux entre des intérêts et des objectifs concurrentiels. Afin d’appuyer les initiatives intersectorielles, les membres du secteur de la santé doivent adopter une vision qui dépasse leurs propres buts, et prendre en compte d’autres objectifs. La détermination des liens entre les objectifs relatifs aux politiques sur la santé et les objectifs d’autres secteurs est essentielle à une collaboration fructueuse.
Le secteur de la santé devrait renforcer sa capacité de reconnaître les objectifs des autres secteurs, et de collaborer plus efficacement avec ceux-ci. Bos observe que « les composantes du secteur de la santé qui devraient collaborer directement avec le secteur agricole sont fréquem-ment sous-financés [sic]; ils n’ont pas de dispositions formelles à l’égard des rôles et des responsabilités intersectoriels, et leurs effectifs ne possèdent pas les compétences nécessaires aux négociations et à la prise de décisions intersectorielles [sic] » (Bos, 2006, p. 2).
Rendre compte des résultats
Dans nombre de pays, et à de nombreux niveaux décisionnels, on met davantage l’accent sur la démonstration des résultats. Les citoyens, les intervenants non gouvernementaux et les donateurs internationaux exigent de plus en plus une responsabilisation de la part des gouvernements à l’égard des résultats de leurs décisions stratégiques.
La présentation de rapports honnêtes sur les initiatives intersectorielles, qu’elles soient réussies ou qu’elles se soldent par un échec, constitue un facteur critique. En ce qui concerne les initiatives horizontales complexes, il est parfois difficile de reconnaître la responsabilité d’une réussite ou d’un échec. Les dossiers complexes exigent des buts clairement définis et doivent comporter une évaluation des processus et des résultats. Dans un gouvernement, les voies hiérarchiques sont généralement structurées à la verticale, et une culture axée sur « les affaires courantes » peut nuire à la collaboration interministérielle et intersectorielle.
Il est essentiel de désigner une organisation responsable à l’égard des initiatives horizontales, afin de préciser les pouvoirs, d’instiller un sentiment de responsabilisation et d’affecter des fonds suffisants (Bakvis et Julliet, 2004).
De nombreuses questions touchant les rapports de responsabilisation dans le cadre d’initiatives intersectorielles restent encore à examiner. Qui est reconnu comme étant responsable d’une réussite ou d’un échec? Les obligations de rendre compte devraient-elles toucher les collaborateurs individuels, ou peut-on établir des systèmes selon lesquels les intervenants partagent collectivement les risques et les récompenses? Manifestement, les initiatives conjointes repoussent les limites des pratiques conventionnelles en matière de responsabilité. Faut-il compromettre la conformité au profit de la collaboration. Probablement pas. Au cours des dernières années, les gouvernements ont raffiné leurs pratiques en ce qui concerne la planification et la mise en œuvre d’approches horizontales; ils se familiarisent encore avec l’intégration de freins et de contrepoids. Néanmoins, il semble qu’[ils] s’améliorent sur le plan du partenariat, et du point de vue de l’élaboration de moyens créatifs de produire des rapports fiables (Fox et Lenihan, 2006, p. 15).