La vaccinovigilance au Canada

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Volume 40 S-3, le 4 décembre 2014 : La sécurité des vaccins

Éditorial d'un contributeur invité

La vaccinovigilance au Canada : Est-elle aussi robuste qu'elle le pourrait?

Duclos P1*

Affiliation

1 Immunization, Vaccines and Biologicals, Organisation mondiale de la Santé, Genève, Suisse

Correspondance

duclosp@who.int

DOI

https://doi.org/10.14745/ccdr.v40is3a01f

Résumé

Le Canada a la réputation de bénéficier des capacités de surveillance de la sécurité des vaccins parmi les meilleures du monde; au début des années 2000, toutefois, il restait, à l'évidence, une marge d'amélioration. Comment les choses ont-elles évolué ces dix dernières années au pays et restent-ils des progrès à faire? Les choses ont bien évolué au pays. Premièrement, de gros progrès ont été réalisés par le Groupe de travail sur la vaccinovigilance en ce qui concerne l'amélioration du système de surveillance passive de la sécurité des vaccins et la résolution des problèmes potentiels mis en lumière par l'examen des données de surveillance et des cas et groupes de cas préoccupants. Deuxièmement, la capacité d'investigation des groupes d'effets secondaires et d'autres problèmes concernant la sécurité des vaccins a été renforcée, notamment par la mise en place d'un système d'évaluation et d'orientation pour les personnes présentant des effets secondaires suivant l'immunisation (ESSI). Troisièmement, l'adoption des définitions de Brighton Collaboration et d'autres normes internationales a favorisé la collaboration à l'échelle internationale et constitue une norme de pratiques exemplaires.

Malgré toutes ces améliorations, toutefois, des progrès restent à faire. La sensibilité du système de surveillance passive du Canada varie encore d'une province et d'un territoire à l'autre. La rapidité des flux d'échanges de données pourrait être améliorée. Le protocole d'intervention en présence de signes d'effets secondaires suivant l'immunisation, destiné à dégager les processus à mettre en place et les mesures requises pour assurer une prise en charge opportune de tout signe de problèmes de sécurité des vaccins, nouveau ou nouvellement détecté, un élément essentiel de tout robuste système de sécurité vaccinale, est toujours à l'état de gestation. On ne peut que louer la décision prise par le Canada d'élargir la portée de ses efforts de recherche évaluative sur les vaccins antigrippaux pour s'intéresser plus généralement aux maladies évitables par la vaccination par l'établissement du Réseau canadien de recherche sur l'immunisation (RCRI). La création tout récemment du Réseau collaboratif provincial (Provincial Collaborative Network) par le RCRI et la décision de recourir au couplage des dossiers sont d'excellentes initiatives. Ces nouveaux investissements sont les bienvenus à la lumière du nombre considérable de vaccins en cours de développement, de la quantité accrue de vaccins disponibles et des technologies toujours plus nombreuses pour assurer la production, l'administration et la surveillance de la sécurité des vaccins. Pour couronner le tout, il faudrait renforcer la capacité de surveillance de la mise en œuvre des programmes de vaccination et de la couverture vaccinale et mieux documenter la part de réduction du fardeau des maladies attribuable aux programmes de vaccination. Les efforts investis par le Canada dans les vaccins pour la santé de tous n'en méritent pas moins.

Introduction

Cette édition spéciale consacrée à la sécurité des vaccins est, à n'en pas douter, importante et bienvenue. Tout d'abord, nous jugeons opportun d'examiner la situation et l'état d'avancement des efforts engagés pour maintenir et continuer de développer l'un des éléments essentiels de la Stratégie nationale d'immunisation Note de bas de page 1 onze ans après son établissement. Deuxièmement, il nous paraît souhaitable d'évaluer les performances du Canada en ce qui concerne l'un des éléments essentiels du Plan d'action mondial pour les vaccins 2011-2020 de la Décennie des vaccins Note de bas de page 2 approuvé lors de l'Assemblée mondiale de la Santé en mai 2012, qui souligne l'importance de la détection et de l'analyse rapide des effets secondaires suivant l'immunisation (ESSI) jugés graves. Troisièmement, nous jugeons essentiel d'informer les professionnels de la santé et le public des processus et des activités mis en place de façon permanente pour assurer la sécurité des vaccins, mais qui passent souvent inaperçus. Enfin, nous jugeons utile de nous demander si le système actuellement en place est optimal ou si des efforts supplémentaires s'imposent pour combler les besoins et les lacunes qui subsistent.

Contexte

Les six articles présentés dans ce supplément sur la sécurité des vaccins Note de bas de page 3,Note de bas de page 4,Note de bas de page 5,Note de bas de page 6,Note de bas de page 7,Note de bas de page 8 ont été sélectionnés tout particulièrement car ils couvrent collectivement plusieurs des aspects complémentaires de la vaccinovigilance : la surveillance, la production de signes, l'investigation des signes et l'intervention, ainsi que le rôle des réseaux de recherche qui favorisent une mise en œuvre rapide de la recherche et des essais cliniques sur les vaccins. Ils mettent en lumière les meilleurs atouts du système canadien de vaccinovigilance et donnent des exemples de ressources, d'activités et de capacités provinciales et territoriales. Parmi les points forts du programme canadien de vaccinovigilance figure sa capacité à communiquer en temps de crise et à informer les professionnels de la santé et la population des risques émergents.

Bien que les articles retenus présentent un grand nombre des conditions nécessaires pour garantir la sécurité des vaccins, ils ne couvrent pas tout. D'autres éléments entrent en jeu pour garantir la sécurité des vaccins au Canada. Ils comprennent : les normes et processus internationaux régissant le développement, la production et le contrôle de la qualité des vaccins; le rôle de l'organisme national de réglementation; le rôle des organismes consultatifs en santé publique dans le processus décisionnel, tels que le Comité consultatif national de l'immunisation (CCNI) et le Comité canadien sur l'immunisation (CCI) et celui des organismes consultatifs provinciaux, tels que le Comité sur l'immunisation du Québec; l'infrastructure de la chaîne d'approvisionnement et d'administration des soins de santé; et le rôle de la formation préalable et postérieure aux programmes d'études et des normes établies par les organismes professionnels, qui mènent à l'application des pratiques exemplaires par les professionnels de la santé chargés d'administrer la vaccination.

Le Canada a renforcé les capacités de son programme de surveillance de la sécurité des vaccins dans les années 1990 Note de bas de page 9 en mettant en place un système de surveillance passive, le Programme de surveillance active de l'immunisation (IMPACT), la génération de signes et une capacité d'intervention qui prévoyait des moyens d'investigation et l'examen/le suivi des ESSI par le Comité consultatif sur l'évaluation de la causalité (CCEC), lequel relevait à l'époque de Santé Canada Note de bas de page 10.

À vrai dire, le système de vaccinovigilance du Canada était Note de bas de page 11 et continue d'être hautement considéré à l'échelle internationale. Le Canada contribue grandement à la sécurité des vaccins à l'échelle mondiale grâce, non seulement, à ses systèmes de surveillance et à sa capacité d'investigation, mais aussi à la contribution permanente, par ses experts en vaccinologie et en sécurité des vaccins, aux activités de pharmacovigilance vaccinale en place dans le monde, notamment au renforcement des capacités des pays en développement. La feuille de route mondiale sur la sécurité des vaccins mise en lumière dans le Plan d'action mondial pour les vaccins appelle à l'établissement d'une structure à l'échelle mondiale pour appuyer la sécurité des vaccins Note de bas de page 12. La large contribution apportée par le Canada à cette initiative ne fait aucun doute; en retour, la structure mise en place à l'échelle mondiale vient complémenter le programme de vaccinovigilance du pays.

Malgré tous ses atouts, en 2003, la Stratégie nationale d'immunisation Note de bas de page 1 notait que le système de vigilance comportait certaines limites, soulignant la nécessité de l'optimiser afin de conserver la confiance des professionnels de la santé et de la population et de répondre aux préoccupations croissantes soulevées par le mouvement anti-vaccination. La Stratégie nationale d'immunisation appelait à l'amélioration du système de surveillance et des capacités d'intervention en santé publique. Alors, où en est le Canada?

Progrès à ce jour

À ce jour, le Canada a répondu à certaines des demandes émises en 2003 par la Stratégie nationale d'immunisation. L'un des principaux indicateurs des progrès accomplis a été l'établissement officiel d'un réseau de personnes-ressources fédérales, provinciales et territoriales en matière d'innocuité des vaccins dans tous les territoires de compétence, de même qu'au sein de la Direction des produits biologiques et des thérapies génétiques de Santé Canada (autorité de réglementation) et du réseau du Programme canadien de surveillance active de l'immunisation (IMPACT), par l'entremise du Groupe de travail sur la vaccinovigilance Note de bas de page 3. Le Groupe de travail examine les données de surveillance et les cas ou groupes de cas préoccupants à la recherche de problèmes potentiels, renforçant ainsi le système passif de surveillance permanente de la sécurité des vaccins. Ceci favorise la rédaction en temps opportun de rapports nationaux de surveillance sur les effets secondaires suivant l'immunisation. Notons également l'amélioration de l'intervention en santé publique grâce à l'établissement d'un système d'évaluation clinique et d'orientation destiné à évaluer et assurer le suivi des cas suspects d'ESSI Note de bas de page 7. Retenons aussi l'amélioration remarquable de la capacité d'investigation des grappes de cas d'effets secondaires et des problèmes concernant la sécurité des vaccins éventuellement révélés par les signes émis par les systèmes de surveillance, grâce aux divers réseaux cliniques et de recherche en place Note de bas de page 7,Note de bas de page 8. Enfin, dans le registre des réalisations positives, notons également l'adoption des définitions de Brighton Collaboration et l'adaptation des outils aux normes internationales, ce qui non seulement facilite la collaboration à l'échelle internationale, mais constitue également une norme de pratiques exemplaires dans le domaine de la vaccinovigilance Note de bas de page 6,Note de bas de page 13,Note de bas de page 14.

Optimisation

Le système de vaccinovigilance du Canada est-il optimal ou peut-il mieux faire? Bien que le système canadien actuel soit robuste, une marge d'amélioration existe. Sa sensibilité varie encore d'une région à l'autre. De plus, malgré la diffusion régulière de données trimestrielles sur la sécurité publique, la rapidité des flux d'échanges de données pourraient être améliorées Note de bas de page 6,Note de bas de page 15. Au cours des trois prochaines années, le programme IMPACT prévoit d'adopter un système électronique de production de rapports, ce qui accélérera la transmission et le suivi de l'information Note de bas de page 5. Bien que le programme IMPACT couvre environ 90 % de la totalité des lits de soins tertiaires pédiatriques au Canada, il serait bon d'améliorer sa représentation en Ontario et, idéalement, de couvrir la totalité des admissions hospitalières pédiatriques du pays Note de bas de page 5. Enfin, la création par le Groupe de travail sur la vaccinovigilance d'un protocole d'intervention en présence de signes d'ESSI décrivant les processus essentiels et les mesures requises pour assurer une prise en charge opportune de tout signe de problèmes de sécurité des vaccins, nouveau ou nouvellement détecté, est toujours à l'état de gestation, longtemps après l'établissement du groupe de travail Note de bas de page 3.

À ce jour, la surveillance active ne s'est intéressée à la population adulte que d'une façon limitée. L'une des évolutions positives a été la transition du Réseau de recherche sur l'influenza de l'Agence de la santé publique du Canada et des Instituts de recherche en santé du Canada (PCIRN), axé exclusivement sur la recherche sur l'influenza, vers le Réseau canadien de recherche sur l'immunisation (CIRN), au mandat élargi, qui a la capacité de lancer rapidement des essais cliniques afin d'évaluer les problèmes touchant à la sécurité des vaccins. Le réseau collaboratif provincial créé sous l'égide du CIRN et la décision de recourir au couplage des dossiers sont d'excellentes initiatives Note de bas de page 7. Il est à noter qu'en 2007, Belize, avec une assistance technique canadienne, a déployé un système d'information sur la santé axé sur les patients et totalement intégré à l'échelle du pays (qui a nécessité le codage des vaccins par codes à barres) comprenant la prise en charge des maladies pour 4 $ (CAN) par citoyen, dont les résultats se sont avérés positifs Note de bas de page 16. Le Programme canadien de surveillance pédiatrique, établi il y a près de 20 ans, est l'un des autres outils dont bénéficie le Canada qui faisait partie de son arsenal de vaccinovigilance et pourrait toujours servir pour compléter cet arsenal Note de bas de page 17.

La sécurité des vaccins est l'un des éléments du processus décisionnel sur la vaccination; il importe d'évaluer le rapport avantages-risques et de le maximiser. Au vu de l'objet du présent supplément, consacré à la sécurité des vaccins, le rapport IMPACT ne rend pas justice à la très précieuse contribution apportée par le réseau à l'évaluation de la part de réduction du fardeau des maladies attribuable aux programmes de vaccination et à l'enrichissement du système de surveillance des maladies du Canada. Bien entendu, cela va de pair avec la surveillance de la mise en œuvre des programmes de vaccination. Il serait intéressant d'examiner de la même façon la capacité du Canada à surveiller de façon opportune la couverture vaccinale dans tous les groupes d'âge. Il ressort clairement des articles présentés dans le présent supplément, que la vaccinovigilance au Canada a été renforcée ces dix dernières années, mais qu'elle pourrait être encore plus robuste.

Conclusion

Les capacités de surveillance de la sécurité des vaccins du Canada sont parmi les meilleures au monde. Pour quelles raisons devrions-nous continuer d'optimiser notre système de vigilance vaccinale? Comme le faisait remarquer Ward en 2000, il nous faut un robuste système de sécurité des vaccins qui reste à la hauteur de l'évolution de plus en plus rapide du développement des vaccins Note de bas de page 18. Aujourd'hui, près de 15 ans plus tard, il est encore plus important que la surveillance de la sécurité des vaccins garde le pas sur les progrès réalisés. Le nombre de vaccins utilisés ne cesse de croître, le nombre de vaccins en cours de développement est considérable et une panoplie croissante de technologies est en place pour faciliter la production et l'administration des vaccins. Aujourd'hui, le coût total de l'ensemble des vaccins nécessaires à l'immunisation d'une personne conformément au calendrier de vaccination national dépasse les 1 000 $ CAN. Un investissement optimal dans un système de surveillance de la sécurité des vaccins serait donc bien fondé : l'investissement réalisé par le Canada dans les vaccins pour la santé de tous le mériterait bien.

Déclaration

Les opinions exprimées dans le présent article sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement les décisions ni les politiques et vues officielles de l'Organisation mondiale de la Santé. De 1989 à 1991, Philippe Duclos a été Chef de la Section de la surveillance des effets secondaires associés aux vaccins, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, et de 1991 à 1998, il a été Chef de la Division de l'immunisation, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, à Ottawa.

Conflit d'intérêts

Aucun

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