L’utilisation de la prophylaxie préexposition contre le VIH au Canada
Publié par : L’Agence de la santé publique du Canada
Numéro : Volume 43-12 : Pouvons-nous supprimer le VIH ?
Date de publication : 7 décembre 2017
ISSN : 1719-3109
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Volume 43-12, le 7 décembre 2017 : Pouvons-nous supprimer le VIH ?
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Préparer le terrain pour l’élargissement de l’utilisation de la prophylaxie préexposition contre le VIH au Canada
M Hull1,2, DHS Tan3
Affiliations
1 BC Centre for Excellence in HIV/AIDS, Vancouver (Colombie-Britannique)
2 Université de la Colombie-Britannique, Vancouver (Colombie-Britannique)
3 Faculté de médecine, Université de Toronto, Toronto (Ontario)
Correspondance
Citation proposée
Hull M, Tan DHS. Préparer le terrain pour l’élargissement de l’utilisation de la prophylaxie préexposition contre le VIH au Canada. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 2017;43(12):310-7. https://doi.org/10.14745/ccdr.v43i12a05f
Résumé
Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) continue d’affecter de façon disproportionnée les populations vulnérables au Canada, particulièrement les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HARSAH). Les stratégies de prévention du VIH ont récemment élargi leur champ d’application : elles sont passées de la simple prophylaxie post-exposition non professionnelle (nPEP) à la suite d’expositions à haut risque à la prophylaxie préexposition (PrEP) grâce à laquelle on réduit son risque d’infection au VIH en utilisant une combinaison d’antirétroviraux, pris avant l’exposition au risque. Compte tenu du fait qu’on n’a approuvé l’usage du ténofovir et de l’emtricitabine (TDF/FTC) pour la PrEP qu’au début de 2016 et que le financement public est encore limité, l’adoption au Canada est à un stade préliminaire. Ces stratégies de prévention biomédicale ont prouvé l’efficacité pour les HARSAH et elles peuvent présenter un potentiel pour d’autres populations à risque. Avec les formulations génériques de TDF/FTC maintenant offertes au Canada, il est possible d’effectuer une vaste mise en œuvre. L’élargissement des connaissances des fournisseurs de soins de santé dans tout le Canada sur la meilleure façon d’évaluer, de prescrire, de recommander et de surveiller la PrEP contribuera aux efforts déployés actuellement pour atteindre l’objectif mondial d’éliminer les nouvelles infections au VIH.
Introduction
Il y a plus de 40 ans que l'épidémie de VIH a tout d'abord attiré l'attention des cliniciens qui avaient découvert des cas d'infections et de cancers opportunistes touchant des hommes jeunes et en bonne santé, qui étaient gays ou bisexuels ou qui avaient des rapports sexuels avec d’autres hommes (HARSAH)Note de bas de page 1 Note de bas de page 2. En dépit d'énormes progrès dans le diagnostic du VIH, des soins et de la gestion du virus, et de trois décennies de campagnes éducatives, les HARSAH continuent à porter le fardeau de l'épidémie de VIH au CanadaNote de bas de page 3. Les HARSAH au Canada sont maintenant 171 fois plus susceptibles de contracter l'infection que les hommes de la population générale. La plupart de ces infections sont maintenant concentrées dans les zones urbaines où, dans des villes comme Vancouver et Toronto, les HARSAH représentent toujours environ 70 % de tous les nouveaux diagnostics de VIH chaque année Note de bas de page 4. En outre, le Canada a connu une hausse spectaculaire des nouveaux diagnostics de VIH chez les Autochtones des Prairies, où ils sont associés à l'utilisation de drogues injectables (UDI) et à la transmission hétérosexuelleNote de bas de page 5.
Dans certains pays, comme l'Angleterre qui a commencé à déployer des stratégies de prévention biomédicale telles que la prophylaxie préexposition (PrEP), une baisse importante du nombre de nouvelles infections a été constatée, surtout chez les HARSAHNote de bas de page 6. La preuve de l'efficacité et les résultats prometteurs de la prise précoce à la fois de la prophylaxie préexposition et prophylaxie post-exposition pour prévenir la transmission du VIH constituent une nouvelle occasion importante pour les stratégies de prévention du VIH au Canada.
Contexte
Les stratégies de prévention du VIH ont traditionnellement misé sur les interventions comportementales individuelles, telles que l'amélioration de l'utilisation de préservatifs ou le counseling en santé sexuelle, ainsi que sur des interventions sur le plan communautaire afin de réduire le risque pour les populations marginalisées, comme l'échange de seringues ou des services de réduction des risques pour les personnes qui s'injectent des droguesNote de bas de page 7. L'émergence de l'amélioration des stratégies de dépistage du VIH, y compris des essais biologiques comportant des fenêtres sérologiques plus courtes ou des points de prestation de soins de santé, a permis de diagnostiquer les infections au VIH plus tôt au début de la maladie, avec le potentiel de limiter la transmission ultérieure du virus. La thérapie antirétrovirale suppressive (TA) s'est avérée être efficace pour empêcher la transmission du VIH d'une personne séropositive à un partenaire sexuel non infectéNote de bas de page 8 Note de bas de page 9. L'expansion des programmes de TA, en combinaison avec des programmes de réduction des risques, a considérablement réduit les infections au VIH chez les consommateurs de drogues injectables dans le centre-ville de Vancouver, où l’on a observé une chute de nouveaux diagnostics, qui sont passés de plus de 350 en 1996 à moins de 30 en 2012Note de bas de page 10.
Malgré l'expansion considérable de la TA au Canada, la transmission sexuelle avant le diagnostic, en particulier chez les HARSAH affectés d'une séroconversion aiguë, contribue à l'épidémie sévissant au CanadaNote de bas de page 11 Note de bas de page 12 Note de bas de page 13 Note de bas de page 14. Il existe un consensus mondial émergent indiquant qu'une approche combinée regroupant les stratégies de prévention actuelles avec les interventions de prévention biomédicales émergentes offre le meilleur espoir de réduire les nouvelles infections au VIHNote de bas de page 15. L'objectif de cet article est de décrire les traitements à la PrEP et à la prophylaxie post-exposition non professionnelle (nPEP), ainsi que les défis et occasions pour ces stratégies biomédicales de prévention du VIH qui ont le potentiel de modifier la trajectoire de l'épidémie du VIH au Canada et dans le monde.
Stratégies de traitement à la prophylaxie préexposition et à la prophylaxie post-exposition
Le recours à des médicaments antirétroviraux pour la prophylaxie post-exposition est, depuis des décennies, la norme en cas d'exposition à risque élevé se produisant dans un contexte professionnel (comme dans les hôpitaux). Leur utilisation pour les expositions à risque élevé, telles que l'exposition sexuelle consensuelle ou le partage de seringues (nPEP), est approuvée par des lignes directrices aux États-Unis depuis 2005Note de bas de page 16 et devenue la norme des soins dans la plupart des pays développés. Les personnes ayant un potentiel d'exposition au risque sont évaluées en fonction de la probabilité que la source de l'exposition soit séropositive et le risque de la nature de l'exposition elle-même. Si la source n'est pas considérée comme séropositive, la prévalence de l'épidémiologie locale du VIH parmi les populations à risque, telles que les HARSAH et les personnes s'injectant des drogues, est importante pour évaluer le risque. Les expositions à risque élevé incluraient le partage de seringues, les rapports sexuels anaux réceptifs sans protection; l'exposition à risque modéré comprend les rapports anaux ou vaginaux pénétrants sans protection ou les rapports vaginaux réceptifs sans protection. Les personnes ayant été exposées au risque modéré ou élevé d'une source ayant une forte probabilité de séropositivité sont admissibles à la nPEP. Dans ce cadre, les particuliers reçoivent une combinaison standard de médicaments antirétroviraux pendant un cycle de 28 jours afin de diminuer la probabilité d'infection. La prise des médicaments doit commencer dès que possible après l'exposition et au plus tard 72 heures après l'expositionNote de bas de page 17. Ils doivent se soumettre à un dépistage du VIH 12 semaines après l'exposition pour s'assurer qu'ils sont séronégatifs et devraient se faire immédiatement recommander un traitement du VIH s'ils sont séropositifs.
En revanche, la PrEP fait référence à l'utilisation quotidienne d'une combinaison à dose fixe de fumarate de ténofovir disoproxil (TDF) et d'emtricitabine (FTC) conjointement avec des pratiques sexuelles plus sûres chez les personnes séronégatives. Ici, le traitement est utilisé sur une base continue, avant une éventuelle exposition au VIH, et poursuivie pour prévenir l’infection. Les personnes à risque potentiel d'infection devraient subir une évaluation de base pour s'assurer qu'elles sont séronégatives. L'utilisation d'une quatrième génération d'essai biologique du VIH est recommandée pour le dépistage en raison de sa fenêtre sérologique réduite. Les personnes montrant des signes ou des symptômes d'une infection au VIH, ou exposées à l'intérieur de la fenêtre sérologique (jusqu'à 21 jours après l'exposition) de l'essai biologique, doivent subir un test d'acide ribonucléique, un test d'amplification des acides nucléiques ou d’autres tests, ou encore être soumises à un test de vérification de 14 à 21 jours plus tard pour confirmer les résultats. Les personnes atteintes d'une infection au VIH non diagnostiquée qui commencent à prendre la PrEP risquent d’acquérir une résistance aux médicaments du VIH, puisqu'elles ne reçoivent pas de traitement antirétroviral triple standard. Il faut leur faire comprendre l’importance de s’y conformer rigoureusement pour bénéficier d'une protection complète et que les niveaux de protection sont atteints après sept jours d'utilisation quotidienne. La PrEP est très bien tolérée, avec un faible risque d'effets secondaires gastro-intestinaux dans les premières semaines et un risque potentiel de toxicité rénale et osseuse réversible. Une méta-analyse de 10 essais contrôlés par placebo a montré que la fréquence des événements indésirables est similaire au placebo (RC = 1,01, IC à 95 % : 0,99 à 1,03)Note de bas de page 18. Les personnes ayant recours à la PrEP font l'objet d’un suivi régulier tous les trois mois, et l’on continue de dépister le VIH chez elles et l’on procède à des tests de leur fonction rénale et d’éventuelles infections transmissibles sexuellement. Voir le tableau 1 pour un résumé des traitements contre le VIH à la prophylaxie préexposition et à la prophylaxie post‑exposition.
Description | Prophylaxie préexposition (PrEP) | Prophylaxie post‑exposition non professionnelle (nPEP) |
---|---|---|
Médicaments approuvés | Oui | Non |
Population | Personne à haut risque d’exposition au VIH par des rapports sexuels ou le partage de seringues | Personne qui a été exposée, au cours des 72 heures précédentes, à un risque élevé ou modéré par une personne représentant un risque important d’être victime d’une infection au VIH transmissible |
Médicaments utilisés | Fumarate de ténofovir disoproxil et emtricitabine | Des données variables, mais à jour, viennent appuyer la combinaison 1) du fumarate de ténofovir disoproxil, 2) de l’emtricitabine ou de la lamivudine et 3) d’un inhibiteur de l’intégrase (raltégravir ou dolutégravir) ou d’un inhibiteur de la protéase rehaussé (darunavir ou ritonavir) |
Durée | Indéfinie pendant que le risque d’exposition se poursuit Les médicaments sont pris tous les jours |
Tous les jours pendant 28 jours |
Effets indésirables courants | Nausées, troubles gastro-intestinaux, faible risque de néphrotoxicité réversible et diminution de la densité osseuse | Régime spécifique, mais peut inclure des nausées, des maux de tête, des troubles gastro-intestinaux, un risque rare de toxicité rénale ou hépatique, un risque d’interactions des médicaments si des inhibiteurs de la protéase rehaussés sont utilisés |
Surveillance | Dépistage de base du VIH et des ITS, et bilans hépatique et rénal Tests de suivi un mois après l’utilisation et tous les trimestres par la suite |
Dépistage de base du VIH et des ITS, et bilans hépatique et rénal. Tests de suivi les deuxième et quatrième semaines si des symptômes se manifestent ou si des anomalies de base sont détectées. Dépistage du VIH 12 semaines après l’exposition |
Preuve pour la PrEP
L’utilisation de TDF/FTC pour la PrEP chez les personnes séronégatives à haut risque continu d’infection au VIH a été rigoureusement évaluée dans des essais cliniques randomisés et s’est avérée être très efficace, en particulier chez les HARSAH (tableau 2). L’usage quotidien a été évalué dans deux essais cliniques, tandis que l’essai Ipergay étudiait la PrEP « sur demande », où le TDF/FTC était utilisé de deux à 24 heures avant l’exposition (dose de charge de deux comprimés) suivi d’un usage quotidien jusqu’à 48 heures après la dernière exposition sexuelleNote de bas de page 19.
Étude | Critères d’inclusion | Intervention | Taux d’incidence du VIH (Groupe témoin) |
Réduction des risques | Nombre de sujets à traiter par année |
---|---|---|---|---|---|
iPrEx Note de bas de page 20 Note de bas de page 21 | Risque élevé pour le VIH : Sexe anal avec 4 partenaires ou plus RSANP avec un partenaire séropositif ou inconnu Avant ITS Rapports sexuels transactionnels |
Prise quotidienne de ténofovir ou d’emtricitabine quotidien, ou d’un placebo |
3,9/100 années-personnes (IC à 95 % : 3,17 à 4,87) | IIntention de traiter : 44 % (IC à 95 % : 15 à 63) En traitement par un médicament détectable : 92 % (IC à 95 % : 40 à 99) |
Total : 62 (IC à 95 % : 44 à 147) Ayant eu des RSANP : 36 Atteints d’ITS :41 |
PROUD Note de bas de page 2 | RSANP au cours des 90 derniers jours | Prise immédiate ou quotidienne différée de ténofovir ou d’emtricitabine | 8,9/100 AP (IC à 95 % : 6 à 12,7) | Total : 86 % (IC à 95 % : 58 à 96) |
Total : 13 (IC à 95 % : 9 à 25) |
Ipergay Note de bas de page 19 | RSANP avec 2 ou plus partenaires au cours des 6 derniers mois | Ténofovir ou emtricitabine sur demande ou placebo | 6,6/100 AP | Total : 86 % (IC à 95 % : 40 à 99) |
Total : 18 |
On a testé le TDF seul et le TDF/FTC pour la prévention de la transmission du VIH parmi les couples hétérosexuels sérodifférents et chez d'autres hétérosexuels dans les zones hautement endémiquesNote de bas de page 23 Note de bas de page 24 Note de bas de page 25 Note de bas de page 26. Les conclusions de ces études sont contradictoires. En effet, certaines études montrent des effets protecteurs et d'autres pas. Cette situation semble être principalement attribuable à une prise irrégulière des médicaments au cours de l'étudeNote de bas de page 26.
L'utilisation du TDF seul comme PrEP par les personnes s'injectant des drogues a démontré une diminution de 48,9 % de l'incidence du VIH dans l'ensemble, selon une étude réalisée à BangkokNote de bas de page 27. Une limitation de cette étude est que les aiguilles stériles n'ont pas pu être fournies aux participants à l'étude en vertu de la loi thaïlandaise, ce qui signifie que l'avantage supplémentaire de la PrEP demeure inconnu lorsque tout un ensemble de stratégies de prévention fondées sur des données probantes pour les personnes s'injectant des drogues est également mis en œuvre.
Défis et occasions pour la prévention biomédicale
Détermination des populations pour la PrEP
La modélisation mathématique des études a clairement montré que la PrEP est plus rentable lorsqu'elle est administrée à des personnes à risque élevé au VIHNote de bas de page 28 Note de bas de page 29. À ce jour, l'augmentation de la PrEP au Canada a surtout porté sur les HARSAH en raison de la disponibilité de données précises sur la façon de cerner les sous-populations à forte incidence et sur la faisabilité de mise en œuvre de la PrEP. L'utilisation de marqueurs cliniques, tels que les antécédents d'infections transmises sexuellement ou l'utilisation d'outils de calcul de risque validésNote de bas de page 30 Note de bas de page 31 Note de bas de page 32 Note de bas de page 33 Note de bas de page 34 permet la détermination des HARSAH canadiens dont le taux d'incidence du VIH se situe bien au-delà des seuils recommandés au niveau international, soit de 2 à 3 % par anNote de bas de page 35 Note de bas de page 36. La sensibilisation des HARSAH à la PrEP dans les zones urbaines a considérablement augmenté au cours des dernières années. Des études récentes ont montré que 91,3 % des HARSAH ayant passé des tests anonymement dans une clinique de santé sexuelle à Toronto et que 80 % des HARSAH participant à une étude de cohorte à Vancouver connaissaient l'existence de la PrEPNote de bas de page 37.
Les projets de démonstration ont montré la possibilité d'obtenir une adhésion élevée et des données sur une mise en œuvre « dans le monde réel », ce qui laisse croire que la PrEP pourrait réduire considérablement l'épidémie du VIH. L'utilisation quotidienne du TDF/FTC a éliminé les nouvelles infections au VIH chez les HARSAH qui reçoivent la PrEP dans un organisme de soins de santé à San FranciscoNote de bas de page 38 Note de bas de page 39. De même, l'utilisation de la PrEP comme une composante de services complets contre le VIH a mené à une réduction de 32 % des nouveaux diagnostics dans des cliniques offrant des services aux HARSAH à LondresNote de bas de page 6. En Nouvelle-Galles du Sud (Australie), une réduction de 40 % des infections récentes au VIH chez les HARSAH a été attribuée à l'augmentation de l'utilisation de la PrEP Note de bas de page 40.
L'utilisation chez les personnes s'injectant des drogues ou dans des situations de transmission hétérosexuelle présente également du potentiel, mais qui comporte des défis différents. Par exemple, il faudrait une intégration en temps réel avec des programmes de surveillance pour identifier les communautés où il y a des transmissions actives et de nouvelles stratégies pratiques seront nécessaires pour identifier ceux qui sont le plus à risque. L'intégration de la prévention biomédicale dans les stratégies de réduction des risques chez les personnes s'injectant des drogues, où l'impact évident sur la transmission du VIH a déjà été démontré, n'a pas encore été évaluée. Une possibilité intéressante, qui est évaluée par le Partner Demonstration Project africain, consiste à offrir la PrEP aux partenaires séronégatifs des personnes nouvellement diagnostiquées qui commencent une TA. Elle sert de « raccourci » pendant que la suppression de charge virale est obtenue chez le partenaire séropositifNote de bas de page 41. Cette stratégie peut être utile dans des communautés localisées dont la transmission du VIH est continue. Le Canada a besoin d'initiatives de mise en œuvre scientifiques similaires pour mieux comprendre l'acceptabilité, la faisabilité et les résultats sanitaires réels pendant que la PrEP est déployée dans les populations à risque élevé.
Élargissement de l'accès à la PrEP
Actuellement, la PrEP est prescrite principalement par des médecins spécialistes, mais cette pratique crée un goulot d’étranglement. L'élargissement de l'accès à la PrEP pourrait se faire au moyen de la création de capacités auprès des fournisseurs de soins primaires. Étant donné que les fournisseurs de soins primaires offrent déjà d'autres stratégies de prévention primaire des maladies chroniques basée sur des données probantes, la prescription de la PrEP est une extension logique de ce rôle.
Les sondages auprès de médecins soutiennent la notion que les soins primaires conviennent à la mise en œuvre de la PrEPNote de bas de page 42. Les fournisseurs de soins primaires fournissent des soins longitudinaux à un grand nombre de personnes séronégatives à risque et possèdent des compétences dans d'autres composantes de la prévention du VIH, comme l'orientation, la toxicomanie et la santé mentale.
Des études récentes effectuées aux États-Unis ont permis de constater que la sensibilisation chez les fournisseurs de soins primaires a augmenté dans les années suivant la publication de lignes directrices cliniques par les Centers for Disease Control and Prevention (de 76 à 93 % sont au courant), de 17 à 34 % des personnes interrogées prescrivant maintenant la PrEPNote de bas de page 43 Note de bas de page 44 Note de bas de page 45. Contrairement aux États-Unis, à l'Australie et au Royaume-Uni, qui ont régulièrement mis à jour les lignes directrices nationales pour le traitement du VIH et la nPEP, le Canada n'a rien fait en ce sens. Cette situation résulte en partie du fait que les soins de santé sont de compétence provinciale ou territoriale. Actuellement, seuls la Colombie-Britannique et le Québec ont émis des directives cliniques pour les médecins prescrivant de la PrEPNote de bas de page 46 Note de bas de page 47. En Colombie-Britannique, il n'y a pas de restrictions concernant le type de médecin qui peut prescrire la PrEP, tandis qu'au Québec, l'orientation actuelle suggère que la PrEP doit uniquement être prescrite par des médecins qui ont déjà fait l'expérience de la prescription de thérapie antirétrovirale.
Selon les médecins, le manque de connaissances générales sur la PrEP serait un obstacle potentiel à la prescription du médicament (44). D'autres obstacles pouvant empêcher l'adoption de la PrEP par les médecins pourraient comprendre les perceptions erronées au sujet de ses effets secondaires potentiels, les préoccupations concernant la compensation du risque (l'idée qu’on puisse adopter plus de comportements à risque en se croyant protégé contre le VIH, ce qui éliminerait les avantages de la protection) et une augmentation des infections transmises sexuellement chez les utilisateurs de la PrEP. Ces obstacles peuvent être facilement traitésNote de bas de page 48 ou sont ouverts aux interventions de dépistageNote de bas de page 49.
L'amélioration de l'éducation des médecins et les efforts déployés pour convaincre les médecins de soins primaires de prescrire ou de conseiller la PrEP contribueront à élargir la portée de cette stratégie de prévention primaire.
Qu’en est-il des remboursements par l’État?
Santé Canada a uniquement autorisé l'utilisation du TDF/FTC, conjointement avec des pratiques sexuelles plus sûres, pour la prévention du VIH en 2016. Jusqu'à récemment, seul le Québec offrait le remboursement de la PrEP. Ailleurs, les personnes qui souhaitaient y avoir recours devaient se contenter de contracter une assurance privée de responsabilité civile ou de devenir membre d’un « club d'acheteurs » y donnant accès dans les pharmacies en ligneNote de bas de page 50. En août 2016, dans le cadre du Programme commun d'évaluation des médicaments de l'Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, le Comité consultatif canadien d'expertise sur les médicaments a recommandé officiellement aux régimes publics d'assurance-médicaments fédéral, provinciaux et territoriaux participants du Canada que le recours au TDF/FTC pour la PrEP soit ajouté sur leurs formulaires, à la suite de la recommandation de Santé Canada, si les deux conditions suivantes sont remplies :
- Que le TDF/FTC soit fourni dans le cadre d'un programme de santé sexuelle par un prescripteur ayant acquis de l’expérience en traitement et en prévention de l'infection au VIH‑1
- Que le prix soit réduitNote de bas de page 51
Toutefois, la première condition est elle-même un obstacle à l'expansion de l'adoption de la PrEP, puisqu'elle implique que seuls les prescripteurs expérimentés en prévention ou en gestion du VIH devraient prescrire la PrEP.
Avec la très récente arrivée du TDF/FTC générique sur le marché canadien, des options pour réduire le prix des médicaments et en élargir l'accès sont déjà en place dans certaines régions. En septembre 2017, l'Ontario a annoncé la couverture de la PrEP par le Programme de médicaments de l'Ontario, sans aucune restriction sur le prescripteur. La Colombie-Britannique examine actuellement la couverture de la PrEP à la lumière des nouveaux prix des médicaments génériquesNote de bas de page 52.
Prochaines étapes
Nous entrons dans une nouvelle ère dans les efforts d'élimination du VIH grâce à l’accès à des stratégies de prévention biomédicale. Ces stratégies ont une efficacité prouvée chez les HARSAH, qui continuent d'être surreprésentés dans l'épidémie du VIH au Canada, et peuvent également avoir un rôle dans la diminution de la transmission chez d'autres populations à risque.
Pour tirer pleinement parti des avantages de la prévention biomédicale, un certain nombre de mesures sont nécessaires. La publication de lignes directrices cliniques permettrait de faire en sorte que les fournisseurs de soins de santé se sentent plus à l’aide de prescrire la PrEP. L'éducation médicale continue, ainsi que le résumé des données probantes accumulées sur la PrEP et l'accroissement de la sensibilisation aux lignes directrices, permettront d'améliorer les connaissances des prestataires de soins et d’ajouter peu à peu la PrEP au répertoire des services offerts par les fournisseurs de soins primaires. Dans les provinces où la PrEP est initialement fournie par ceux qui ont de l'expérience dans le traitement et dans la prévention de l'infection au VIH-1, d'autres cliniciens en soins primaires peuvent toujours identifier les personnes à risque, les renseigner sur la PrEP et offrir des possibilités d'orientation. La recommandation de la PrEP pourrait aussi être intégrée aux programmes sur les infections transmissibles sexuellement ou aux programmes de santé publique visant à avertir les partenaires, ou encore être associés aux programmes existants qui voient des personnes à risque se faire évaluer pour se prévaloir de la prophylaxie post-exposition. Des liens plus étroits entre les programmes de santé publique et les services cliniques pour la prévention et le traitement du VIH pourraient également améliorer la connaissance et l'acceptation de la PrEP.
Conclusion
Les stratégies de prévention biomédicale ont le potentiel de modifier la trajectoire de l'épidémie de VIH au Canada et dans le monde. L'intégration réussie de la PrEP dans les pratiques de prévention et de dépistage du VIH contribuera sans aucun doute à l'objectif global de l'élimination des nouvelles infections au VIH.
Déclaration des auteurs
M.H. et D.T. ont conjointement conçu la rédaction de cet article et y ont contribué.
Conflit d’intérêt
M.H. : Il a reçu des honoraires pour la prestation de conférences éducatives qu’il avait lui-même conçues (Gilead, Merck et Janssen) ou pour la participation à des conseils consultatifs de BMS, Gilead, Merck, Janssen et Viiv Healthcare. Tous les montants ont été versés à son établissement.
D.T. : Il a reçu des honoraires de Viiv Healthcare et de Merck pour la prestation de conférences éducatives qu’il avait lui-même conçues; son établissement a reçu de Gilead et Viiv Healthcare un soutien pour ses subventions de recherche; DT est enquêteur principal de site pour les essais cliniques parrainés par GSK.
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