Éclosion d’infections à Salmonella Thompson et séquençage génomique


Publié par : L’Agence de la santé publique du Canada
Numéro : Volume 43-9 : Rédaction scientifique
Date de publication : 7 septembre 2017
ISSN : 1719-3109
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Volume 43-9, le 7 septembre 2017 : Rédaction scientifique
Rapport d'éclosion
Éclosion d’infections à Salmonella Thompson associée à la consommation de poulet Shawarma et utilité du séquençage génomique lors de l’enquête
C Gaulin1*, M Fiset1, C Duchesne1, D Ramsay2, N Savard4,5, A Urbanek4, PA Pilon4,6, V Usongo3, S Bekal3
Affiliations
1 Ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec (Québec)
2 Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, Québec (Québec)
3 Laboratoire de santé publique du Québec, Sainte-Anne-de-Bellevue (Québec)
4 Secteur Prévention et contrôle des maladies infectieuses, Direction régionale de santé publique de Montréal, Montréal (Québec)
5 Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail, Université McGill, Montréal (Québec)
6 École de santé publique, Université de Montréal, Montréal (Québec)
Correspondance
Citation proposée
Gaulin C, Fiset M, Duchesne C, Ramsay D, Savard N, Urbanek A, Pilon PA, Usongo V, Bekal S. Éclosion d’infections à Salmonella Thompson associée à la consommation de poulet Shawarma et utilité du séquençage génomique lors de l’enquête. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 2017;43(9):211-7. https://doi.org/10.14745/ccdr.v43i09a05f
Résumé
Contexte : Une augmentation soudaine de cas d’infections à Salmonella Thompson répartis dans trois régions limitrophes de la province de Québec en novembre 2016 a déclenché une enquête provinciale ayant pour but d’identifier une source commune de contamination et de prendre les mesures de contrôle appropriées.
Objectif : Faire état de l’éclosion et décrire le recours au séquençage génomique pour identifier le sérotype de Salmonella en cause.
Méthodologie : Une enquête descriptive de tous les cas déclarés de Salmonella de sérogroupe C1 survenus entre le 1er octobre 2016 et le 15 février 2017. Une définition de cas a été élaborée. La technique d’électrophorèse sur gel en champs pulsé (EGCP) supplémentée par l’analyse des séquences génomiques par la méthode SNVphyl a été utilisée pour délimiter et gérer l’éclosion.
Résultats : Dix-huit cas de S. Thompson ont été identifiés par séquençage complet du génome. Les dates de début des symptômes pour seize cas qui ont présenté des symptômes entériques s’étendaient du 21 novembre au 2 décembre 2016. Deux cas ont présenté des symptômes atypiques et n’ont pas été déclarés avant février 2017. Parmi les dix-huit cas, seize avaient consommé ou probablement consommé du poulet Shawarma dans une même chaîne de restauration, dont neuf dans le même restaurant. Au total, cinq restaurants de cette chaîne ont été identifiés et étaient répartis dans trois régions limitrophes du Québec.
Conclusion : D’autres éclosions associées au poulet Shawarma ont été identifiées par le passé. Un effort de sensibilisation doit être fait pour s’assurer que les propriétaires de ce type de restaurant connaissent le risque de contamination associé à ce mode de cuisson et prennent les mesures nécessaires pour réduire ce risque. L’utilisation de la méthode du séquençage génomique s’est avérée très utile pour circonscrire l’éclosion.
Introduction
Salmonella Thompson est un sérotype de Salmonella appartenant au sérogroupe C1 survenant de façon sporadique pendant l’année. Au Québec et depuis 2012, on observe en moyenne 60 à 70 cas par année, soit entre trois et six cas par mois selon les données du système de maladies à déclaration obligatoire (MADO). Cependant, en novembre 2016 seulement, douze cas de S. Thompson ont été déclarés aux directions de santé publique du Québec (Direction de la santé publique, DSPublique).
Des détails concernant des éclosions associées à S. Thompson ont été publiés par le passéNote de bas de page 1 Note de bas de page 2 Note de bas de page 3 Note de bas de page 4 . Une éclosion survenue en 2012 a englobé 1 149 cas confirmés aux Pays-Bas; la contamination a été attribuée à la consommation de saumon fuméNote de bas de page 1. D’autres études ont identifié des véhicules divers : du pain possiblement contaminé par un manipulateur d’alimentsNote de bas de page 2 de la coriandre fraîcheNote de bas de page 3 et de la roquette cultivée en ItalieNote de bas de page 4. Au Canada, deux éclosions d’envergure nationale ont fait l’objet d’une enquête. La première est survenue en 2012 avec 105 cas, dont 29 au Québec. La source n’a pas été identifiée. La seconde éclosion est survenue en 2014 avec 59 cas confirmés, dont 16 au Québec. La source la plus probable de la contamination était le poulet (données non publiées).
Le 2 décembre 2016, la Direction de santé publique (DSPublique) de Montréal a signalé au Bureau de surveillance et de vigie (BSV) du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) un agrégat spatio‑temporel de cinq cas de Salmonella de sérogroupe C1 identifié chez des personnes âgées de 13 à 19 ans. La source de la contamination suspectée était alors une chaîne de restauration rapide servant des mets de type shish taouk (poulet Shawarma). Le sérotypage des premiers cas a permis d’identifier le sérotype Thompson. Le 15 décembre 2016, à la suite de l’apparition de cas dans d’autres régions du Québec dans les environs de Montréal, le BSV a lancé et coordonné une enquête provinciale. L’objectif de cette enquête était d’identifier la source de l’éclosion et de prendre les mesures de contrôle appropriées.
Méthodologie
Déclaration des cas
Au Québec, la salmonellose est une maladie à déclaration obligatoire (MADO). Les infections détectées par les laboratoires des centres hospitaliers sont déclarées aux DSPubliques régionales. Les isolats sont ensuite acheminés au Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) pour caractérisation détaillée. Les éclosions et les agrégats font l’objet d’une enquête par les DSPubliques régionales.
Détection des éclosions
La DSPublique de Montréal effectue une surveillance quotidienne des MADO sur son territoire. Le logiciel d’analyse statistique SaTScanTM (version 9.4.2) est utilisé pour détecter les agrégats temporels et spatio‑temporels. Les agrégats de maladies entériques font l’objet d’une enquête en fonction de certains critères, incluant le nombre de cas, la densité de l’agrégat, les facteurs démographiques ayant une répartition inhabituelle et la spécificité de l’agent pathogène.
Un agrégat spatio-temporel (méthode de permutation spatio-temporelle) de huit cas de salmonellose a été détecté le 2 décembre 2017. Parmi ces cas, cinq étaient de sérogroupe C1, un était de sérogroupe D et deux cas pour lesquels le sérogroupe était en attente d’identification. En excluant le cas de Salmonella de sérogroupe D, les sept cas de Salmonella dont cinq de sérogroupe C1 et deux de sérogroupe inconnu ont été considérés comme faisant partie d’un agrégat potentiel, incluant quatre jeunes de 13 à 19 ans qui ont fait l’objet d’une enquête en priorité, soupçonnant un événement commun. À la suite de l’identification d’une chaîne de restauration comme source commune probable de l’éclosion, l’enquête a été élargie aux autres groupes d’âge. Les enquêtes subséquentes ont étayé l’hypothèse d’une source commune et la présence d’une éclosion.
Enquête épidémiologique
Les formulaires d’enquête régionaux ont été utilisés préalablement au lancement de l’enquête provinciale. Le BSV qui coordonne l’investigation d’éclosions provinciales a demandé aux DSPublique d’enquêter sur tous les cas de Salmonella de sérogroupe C1 au moyen d’un formulaire d’enquête alimentaire générateur d’hypothèses avant l’obtention du sérotype afin de réduire les délais d’enquête.
Les données recueillies au moyen des formulaires d’enquête étaient de nature démographique, clinique et alimentaire (consommation d’aliments à la maison ou au restaurant au cours des trois jours précédant l’apparition des symptômes, etc.). Une fois remplis, les questionnaires ont été numérisés puis transmis au BSV ainsi qu’au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). L’analyse des données était de nature descriptive. Le logiciel EXCEL (Microsoft Office 2010) a été utilisé pour la compilation et l’analyse des données. Les enquêtes ont eu lieu entre le 15 décembre 2016 et le 15 février 2017.
Analyses en laboratoire
Les souches de Salmonella de sérogroupe C1 provenant des laboratoires régionaux ont été sérotypées par le Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ). L’analyse par électrophorèse sur gel en champ pulsé (EGCP) a été réalisée au LSPQ sur plusieurs isolats de S. Thompson reçus en novembre et décembre 2016.
De plus, comme Salmonella Thompson se comporte de façon très clonale, le séquençage du génome entier (SGE) a été utilisé et réalisé au LSPQ sur des isolats de S. Thompson dont la date de prélèvement se situait entre le 22 septembre 2016 et le 3 février 2017. Un arbre phylogénique construit au moyen de la méthode de vraisemblance maximale avec le pipeline SNVPhyl a servi à déterminer le niveau de proximité des isolats en fonction des positions et du nombre de robustes polymorphismes mononucléotidiques (SNP) des génomes et a permis d’identifier les souches ayant causé l’éclosion.
Une définition de cas a été élaborée : un cas a été confirmé pour un résident du Québec ou un visiteur qui avait présenté une infection à S. Thompson dont la date d’apparition des symptômes ou de prélèvement était le 1er octobre 2016 ou après et pour laquelle une séquence complète du génome était identique ou similaire (une variation nucléotidique). Cette séquence a été désignée ST7.
Enquête sur la salubrité des aliments
Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) a procédé à une enquête sur la salubrité des aliments dans les établissements visés en collaboration avec ses représentants de la Division de l’inspection des aliments (DIA) de la Ville de Montréal et de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA).
À la suite des entrevues menées auprès des cas, des interventions (par téléphone ou sur le terrain) ont eu lieu dans les établissements de restauration où les cas avaient été exposés, soit dans la région de Montréal, de Lanaudière et de la Montérégie ainsi qu’à la cuisine centrale qui fournit ces restaurants. Au niveau de la cuisine centrale, l’Agence canadienne d’inspection des aliments a agi à titre d’intermédiaire du MAPAQ pour les besoins de l’enquête.
Lors des interventions dans chacun des établissements de restauration, une évaluation des points critiques a été réalisée afin, entre autres, de déterminer si la méthode de cuisson utilisée pour la préparation du poulet Shawarma permettait d’atteindre une température de cuisson sécuritaire et de vérifier les risques de contamination croisée, la température de conservation et la provenance des aliments. Lors des interventions dans la cuisine centrale, on a notamment vérifié la provenance des aliments ciblés, la méthode de préparation du poulet mariné ainsi que l’identification des restaurants ayant reçu les lots de poulet. Des prélèvements alimentaires ont été effectués dans certains restaurants de la chaîne ainsi qu’à la cuisine centrale. Ces prélèvements provenaient de lots différents de ceux qui ont été consommés par les cas puisque les lots distribués pendant la période de l’éclosion n’étaient plus disponibles.
Résultats
Épidémiologie descriptive
Au total, dix-huit cas ont été associés à l’éclosion, tous correspondant à la définition de cas confirmé. Les cas résidaient dans les régions de Montréal (treize et tous dans le même secteur), de la Montérégie (trois) et de Lanaudière (deux). Seize cas ont présenté des symptômes entériques (figure 1). Les dates d’apparition des symptômes s’étendaient du 21 novembre au 2 décembre 2016. Deux cas, qui n’avaient pas été déclarés avant février 2017 ont été associés à l’éclosion grâce à des résultats de laboratoire ayant confirmé la présence de la souche de l’éclosion au moyen d’une hémoculture effectuée à la suite d’une ostéomyélite et d’un prélèvement provenant d’un abcès anal.
Des données démographiques étaient disponibles pour tous les cas. L’âge médian des cas était de 25 ans, et la moyenne, 27,8 ans (étendue : moins de un an à 69 ans). Le ratio homme-femme était de 2:1. Six cas ont été hospitalisés. Aucun décès n’a été associé à l’éclosion.
Figure 1 : Courbe épidémique selon la date d’apparition des symptômes entériques pour l’éclosion de S. Thompson pulsovar 1, dans la province de Québec, novembre et décembre 2016
Description textuelle : Figure 1
Figure 1 : Courbe épidémique selon la date d’apparition des symptômes entériques pour l’éclosion de S. Thompson pulsovar 1, dans la province de Québec, novembre et décembre 2016
Date d'apparition des symptômes entériques pour l'éclosion | Nombre de cas |
---|---|
Le 11 nov 16 | 0 |
Le 12 nov 16 | 0 |
Le 13 nov 16 | 0 |
Le 14 nov 16 | 0 |
Le 15 nov 16 | 0 |
Le 16 nov 16 | 0 |
Le 17 nov 16 | 0 |
Le 18 nov 16 | 0 |
Le 19 nov 16 | 1 |
Le 20 nov 16 | 7 |
Le 21 nov 16 | 0 |
Le 22 nov 16 | 2 |
Le 23 nov 16 | 3 |
Le 24 nov 16 | 0 |
Le 25 nov 16 | 1 |
Le 26 nov 16 | 0 |
Le 27 nov 16 | 0 |
Le 28 nov 16 | 0 |
Le 29 nov 16 | 0 |
Le 30 nov 16 | 0 |
Le 01 déc 16 | 2 |
Le 02 déc 16 | 0 |
Le 03 déc 16 | 0 |
Le 04 déc 16 | 0 |
Le 05 déc 16 | 0 |
Expositions alimentaires
Dans le cadre de l’enquête, treize des seize cas qui ont présenté des symptômes entériques rapportent avoir consommé du poulet Shawarma dans l’un des restaurants associés à une même chaîne de restauration rapide durant leur période d’exposition, tous au cours des deux dernières semaines de novembre 2016, dont neuf dans le même restaurant. Un quatorzième cas parmi les seize rapporte avoir consommé régulièrement du poulet Shawarma dans l’un des restaurants de cette chaîne au cours de cette période sans toutefois pouvoir donner une date précise.
Les deux cas déclarés en février 2017 n’ont pas présenté de symptômes entériques. Il était donc difficile de cerner une date précise d’apparition des symptômes et d’établir une période d’exposition. Ces deux cas rapportent avoir probablement consommé du poulet Shawarma vers la fin novembre dans l’un des restaurants identifié dans l’éclosion puisqu’ils y vont régulièrement.
Au total, seize cas sur dix-huit ont rapporté avoir consommé du poulet Shawarma dans la même chaîne de restauration au cours des trois jours précédant le début de leur maladie ou pensent avoir consommé ce mets à la chaîne de restauration puisqu’ils y vont régulièrement. Trois des restaurants de la chaîne fréquentée se situent dans la région de Montréal, et deux restaurants sont dans des régions limitrophes.
Parmi les deux cas qui n’ont pas fréquenté ces restaurants, un aurait consommé du poulet dans un restaurant asiatique et l’autre aurait acheté de la dinde crue ensachée dans un supermarché.
Analyses en laboratoire
Les isolats de S. Thompson qui ont été analysés par électrophorèse sur gel en champ pulsé (EGCP) et dont le prélèvement a été effectué en novembre ou en décembre étaient tous de type pulsovar 1 (dénomination québécoise) et STHXAI.0002/STHBNI.0015 (dénomination canadienne). Ce pulsovar est commun pour les S. Thompson au Québec. En effet, sur les 440 souches de S. Thompson typées par EGCP au LSPQ depuis 2002, 383 souches étaient de type pulsovar 1 (87 %).
Le séquençage génomique a été utilisé pour mieux distinguer les souches et délimiter l’éclosion. Parmi les vingt-cinq isolats de S. Thompson analysés au LSPQ par la méthode SNVPhyl et dont la date de prélèvement était du 22 septembre 2016 au 4 février 2017, dix-huit ont présenté la même séquence génomique (désignée ST7), et qui était la souche associée à l’éclosion. La date de prélèvement pour les seize cas ayant présenté des symptômes entériques varie du 22 novembre au 15 décembre 2016. Les deux cas avec des manifestations cliniques plus rares (ostéomyélite et abcès anal) ont été prélevés le 29 janvier et le 3 février 2017.
Les dix-huit souches du type de séquence désigné ST7 présentent une absence de variation nucléotidique ou une seule variation nucléotidique entre elles, ce qui constitue une forte similarité génomique basée sur la méthode SNVphyl. Cet agrégat de souches est distinct des autres souches de S. Thompson séquencées durant cette même période, dont le nombre de variations nucléotidiques appelées SNP (single nucleotide polymorphism) varie de 3 à 771. La souche présentant 771 SNP est une souche de S. Thompson acquise en voyage, selon les données de la direction de santé publique régionale d’où provient le cas.
Enquête sur la salubrité des aliments
Lors des inspections de la Division de l’inspection des aliments (DIA) de la Ville de Montréal et du MAPAQ, des lacunes ont été observées dans les établissements ciblés, soit au niveau des températures de conservation, du nettoyage et de l’assainissement ainsi que des risques de contaminations croisées.
La chaîne de restauration visée est approvisionnée par une cuisine centrale qui distribue, entre autres, du poulet cru mariné à chacun de ses restaurateurs affiliés. La cuisine centrale est approvisionnée par trois abattoirs québécois. Les lots de poulet visés par cette enquête ont été abattus dans ces trois abattoirs les 7 et 8 novembre 2016. Ils auraient été marinés les 10 et 14 novembre au niveau de la cuisine centrale et acheminés à différents restaurants de la chaîne entre les 17 et 21 novembre 2016. Plusieurs restaurants associés à la chaîne X autres que ceux visés par les enquêtes et situés dans les régions de Montréal, de la Montérégie, de Laval et de la Lanaudière auraient reçu des lots de poulet concernés par l’éclosion. Selon les enquêtes sur la salubrité des aliments, une quarantaine de restaurants, incluant la chaîne X, ont reçu les lots visés de poulet.
Lors de l’intervention de la DIA dans un restaurant asiatique où un client a consommé des aliments pour ensuite présenter des symptômes d’infection à S. Thompson faisant partie de l’éclosion, il a été démontré que le fournisseur de poulet de ce restaurant asiatique s’approvisionnait dans deux des trois abattoirs de la chaîne impliquée (figure 2).
Figure 2 : Répartition des cas de SalmonellaThompson, désigné ST7 par séquençage génomique et selon le lieu de consommation de poulet Shawarma, Québec 2016
Description textuelle : Figure 2
Figure 2 : Répartition des cas de SalmonellaThompson, désigné ST7 par séquençage génomique et selon le lieu de consommation de poulet Shawarma, Québec 2016
La figure 2 représente la répartition des cas d’infections à Salmonella Thompson ST7 au Québec en 2016 en fonction des lieux où le poulet a été consommé. Elle montre également la chaîne d’approvisionnement du poulet depuis l’abattoir jusqu’à la cuisine centrale qui dessert les restaurants associés à la chaîne de restauration X.
Trois abattoirs approvisionnaient la cuisine centrale qui, elle, approvisionnait la chaîne de restauration X, laquelle approvisionnait à son tour cinq chaînes de restaurants identifiés en tant que restaurants A, B, C, D et E. Le restaurant A a connu neuf cas d’infections à SalmonellaThompson ST7; le restaurant B, quatre cas; le restaurant C, un cas; le restaurant D, un cas; et le restaurant E, un cas. Les trois abattoirs approvisionnent d’autres restaurants qui ne font pas partie d’une chaîne de restauration, et la chaîne d’approvisionnement de la cuisine centrale dessert d’autres restaurants; aucun cas n’a toutefois été recensé pour ces derniers.
Au total, 33 échantillons alimentaires ont été prélevés dans les restaurants identifiés ainsi qu’à la cuisine centrale. Cependant, aucune souche de S. Thompson n’a été isolée. On a découvert la présence de S. enterididis dans l’un des échantillons prélevés au restaurant asiatique. Un résumé des échantillons prélevés et des résultats d’analyse microbiologique est présenté dans le tableau 1.
Lieu de l’échantillonnage | Aliments prélevés (nombre d’échantillons) | Nombre d’échantillons | Résultats des analyses pour Salmonella Thompson |
---|---|---|---|
Cuisine centrale (fournisseur de poulet mariné aux restaurants affiliés) |
|
6 | Absence |
Restaurant 1 |
|
6 | Absence |
Restaurant 2 |
|
6 | Absence |
Restaurant 3 |
|
11 | Absence |
Fournisseur (restaurant asiatique) | Poulet cru | 4 | Un échantillon positif pour Salmonella enteritidis |
Discussion
En novembre 2016, l’augmentation soudaine du nombre de cas d’infections à S. Thompson déclarés et leur localisation dans le même secteur de la région de Montréal laissaient présager une source commune de contamination. L’éclosion a été circonscrite dans le temps et l’espace, la totalité des cas étant survenue dans trois régions limitrophes. Le poulet cuit à la façon Shawarma (shish taouk) est l’aliment commun consommé ou probablement consommé par la majorité des cas. Le poulet Shawarma est une spécialité alimentaire du Moyen-Orient qui consiste à placer de la viande marinée (poulet, bœuf ou agneau) sur une broche formant un cône qui rôtit en tournant devant un gril. La viande au pourtour est coupée à la demande et servie dans un pain pita ou avec du riz et des condiments. Cette méthode de cuisson peut entraîner une cuisson insuffisante du pouletNote de bas de page 5.
La chaîne de restauration identifiée dans l’enquête est alimentée par une cuisine centrale, elle-même alimentée par trois abattoirs au Québec. Il est donc possible qu’un lot de poulet provenant d’un ou de plusieurs de ces trois abattoirs ait pu être contaminé par S. Thompson et qu’il ait été distribué au cours de cette période dans cette chaîne de restauration. Selon les enquêtes de salubrité des aliments, une quarantaine de restaurants ont reçu les lots visés de poulet; toutefois, aucun autre cas de maladie n’a été rapporté à l’exception des cinq restaurants ciblés. Par contre, des lacunes ont été observées dans les restaurants visés lors de l’inspection alimentaire.
Les animaux destinés à l’alimentation, y compris les espèces aviaires, transportent naturellement dans leur tractus intestinal des agents pathogènes qui peuvent contaminer les produits de viande crue lors de l’abattage et de la transformationNote de bas de page 6. Au Canada, une étude récente réalisée de décembre 2012 à décembre 2013 démontre que la prévalence nationale de Salmonella dans les lots de poulets à griller prélevés à l’abattoir s’élevait à 25,6 %. Les lots élevés dans les provinces de l’Est étaient plus fréquemment colonisés par Salmonella. Dans des produits transformés, soit des carcasses entières de poulet et des parties de carcasses transformées dans des établissements agréés par le gouvernement fédéral, la prévalence de Salmonella s’élevait respectivement à 16,9 % et à 29,6 %Note de bas de page 6. Des échantillons de types similaires de produits de poulet cru ont été prélevés auprès de chaînes de supermarchés et de boucheries ou d’épiciers indépendants dans 33 grandes villes du Canada. La prévalence de Salmonella sur les carcasses entières et les parties de carcasses s’élevaient respectivement à 21 % et à 31,6 %Note de bas de page 6.
Aux États-Unis, des seuils d’acceptabilité concernant la proportion de poulet contaminé par Salmonella ont été établis par les services d’inspection alimentaire en 1996Note de bas de page 7. La proportion de poulet à griller contaminé par Salmonella peut s’élever à l’abattoir jusqu’à un maximum de 20 %. Cette norme de rendement est reconnue dans le système d’analyse des dangers et de maîtrise des points critiques (HACCP)Note de bas de page 8. Entre 10 % et 19 % des abattoirs aux États-Unis dépassent ce seuil. Cette proportion est plus élevée pour les petits abattoirsNote de bas de page 9 Note de bas de page 10 Note de bas de page 11 Note de bas de page 12.
Plusieurs sérotypes de Salmonella peuvent être retrouvées dans le poulet. S. Thompson fait partie du groupe des 12 sérotypes de Salmonella que l’on retrouve le plus souvent dans le poulet cruNote de bas de page 13 Note de bas de page 14.
Bien qu’il soit attendu que le poulet à chair peut être contaminé par Salmonella, la cuisson adéquate devrait l’éliminer. Cette enquête met en évidence que la méthode de cuisson pour faire le poulet Shawarma peut présenter un risque. Plusieurs éclosions ont été associées à ce type de préparationNote de bas de page 15 Note de bas de page 16 Note de bas de page 17 Note de bas de page 18. Avec cette méthode de cuisson, il est possible que la partie crue de la viande puisse entrer en contact avec la partie cuite. Lorsque le restaurant est achalandé, il est possible que les temps de cuisson puissent ne pas être respectés et que la viande servie ne soit pas entièrement cuite. D’ailleurs, afin d’éviter une contamination croisée ou une cuisson insuffisante, plusieurs restaurants de ce type font une seconde cuisson de la viande avant de la servir aux consommateurs. De plus, il peut y avoir un risque associé à la contamination croisée lors de la manipulation du poulet.
Bien que les échantillons prélevés n’aient pas révélé la présence de S. Thompson, l’enquête suggère fortement un lien entre l’apparition de la maladie et la consommation de poulet Shawarma dans ces restaurants. Le délai entre l’apparition des symptômes chez les cas et la déclaration des cas aux autorités de santé publique est d’environ 10 à 14 jours. Les poulets prélevés à la cuisine centrale et dans les restaurants ne provenaient donc pas du lot livré et consommé durant la période d’exposition des cas. Ce délai est inhérent aux enquêtes sur les éclosions alimentaires et peut expliquer les résultats négatifs.
Les isolats ont été soumis à l’EGCP afin d’évaluer leur degré de similitude. Toutefois, cette bactérie montre peu de diversité, et le pulsovar 1 est souvent identifié chez les S. Thompson. Le séquençage complet du génome a été nécessaire pour établir la similitude génétique entre les isolats et permettre de circonscrire l’éclosion. Les souches incluses dans l’éclosion étaient identiques ou présentaient une seule variation nucléotidique. Les autres souches de S. Thompson analysées et qui présentaient trois variations nucléotidiques ou plus n’ont pas été incluses dans l’éclosion puisque l’information épidémiologique disponible sur les expositions était différente des cas faisant partie de l’éclosion. Le séquençage du génome a démontré son efficacité dans plusieurs éclosions Note de bas de page 19 Note de bas de page 20 Note de bas de page 21 Note de bas de page 22 Note de bas de page 23. L’utilisation de la technique par séquençage complet du génome permet d’avoir un pouvoir de discrimination additionnel au-delà du sérotypage et du pulsovar pour délimiter une éclosion et l’investigation d’une éclosionNote de bas de page 20 Note de bas de page 21 Note de bas de page 22 Note de bas de page 23 Note de bas de page 24 Note de bas de page 25. Les résultats du séquençage du génome doivent être interprétés en fonction des données épidémiologiques disponibles. Il s’agit d’une des premières éclosions canadiennes de Salmonella à utiliser le séquençage du génome entier dans la définition de cas.
L’enquête ne rapporte que les cas confirmés en laboratoire; il est probable que d’autres personnes aient été affectées, mais n’aient pas consulté ou n’aient pas eu de cultures de selles. Dans le système de maladies à déclaration obligatoire, seule une fraction des cas réels est déclarée, ce qui pourrait expliquer qu’uniquement cinq restaurants de la chaîne ont été identifiés alors que le poulet avait été distribué dans plus d’une quarantaine de restaurants. Le poulet a été identifié comme étant la source probable de la contamination puisque c’est l’aliment le plus susceptible d’avoir été contaminé par S. Thompson.
En conclusion, nous avons documenté une éclosion de salmonellose associée à la consommation de mets de type Shawarma dans une chaîne de restauration. D’autres éclosions associées à ce type de produits ont déjà été identifiées par le passé. Santé Canada a émis des recommandations pour prévenir les éclosions de maladies entériques associées à la préparation d’aliments de type ShawarmaNote de bas de page 5. Des efforts de sensibilisation supplémentaires auprès des propriétaires de ce type de restaurant pourraient contribuer à une meilleure compréhension des risques de contamination associés à ce mode de cuisson ainsi qu’à l’adoption des mesures d’atténuation nécessaires. Le séquençage du génome s’est avéré un outil important pour circonscrire une éclosion.
Déclaration des auteurs
Tous les auteurs (C.G., M.F., C.D., D.R., N.S., A.U., P.A.P., V.U., S.B.) participent à la surveillance des maladies entériques. C.G., D.R., S.B. ont préparé la première ébauche, et tous les autres auteurs ont contribué à la version finale en ajoutant des commentaires et des suggestions.
Conflits d’intérêt
Aucun.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier toutes les personnes qui ont participé aux enquêtes dans les directions de santé publique, ainsi que le personnel du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec pour leurs interventions dans les différents milieux impliqués.
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