Détection précoce et prédiction des éclosions de maladies infectieuses

RMTC

Volume 45-5, le 2 mai 2019 : Changement climatique et maladies infectieuses : Les solutions

Aperçu

Stratégie d’évaluation des risques servant à la détection précoce et à la prédiction des éclosions de maladies infectieuses associées aux changements climatiques

EE Rees1, V Ng2, P Gachon3, A Mawudeku4, D McKenney5, J Pedlar5, D Yemshanov5, J Parmely6, J Knox1,2

Affiliations

1 Division des sciences des risques pour la santé publique, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Saint-Hyacinthe (Québec)

2 Division des sciences des risques pour la santé publique, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Guelph (Ontario)

3 Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale (ESCER), Université du Québec à Montréal (UQAM), Montréal (Québec)

4 Bureau de la connaissance de la situation et des opérations, Centre de mesures et d’interventions d’urgence, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario)

5 Ressources naturelles Canada, Service canadien des forêts, Centre de foresterie des Grands Lacs, Sault Ste. Marie (Ontario)

6 Réseau canadien pour la santé de la faune, Université de Guelph, Guelph (Ontario)

Correspondance

erin.rees@canada.ca

Citation proposée

Rees EE, Ng V, Gachon P, Mawudeku A, McKenney D, Pedlar J, Yemshanov D, Parmely J, Knox J. Stratégie d’évaluation des risques servant à la détection précoce et à la prédiction des éclosions de maladies infectieuses associées aux changements climatiques. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2019;45(5):132–40. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i05a02f

Mots-clés : changements climatiques, évaluation des risques, systèmes de surveillance événementielle, intelligence artificielle, apprentissage automatique, traitement des langues naturelles, modélisation des risques

Résumé

Une nouvelle gamme de stratégies de surveillance visant à détecter les infections émergentes et à reconnaître les risques accrus d’éclosions de maladies infectieuses qui seraient causées par les changements climatiques est en cours de développement. Ces stratégies comportent des systèmes de surveillance événementielle et la modélisation des risques. Les systèmes de surveillance événementielle font appel à des données Internet à code source libre, comme des rapports officiels ou des médias, et des réseaux sociaux (p. ex. Twitter), pour détecter les signes d’une menace imminente et ils peuvent servir, en association avec les systèmes de surveillance traditionnels, à faciliter l’émission d’avis précoces de menace pour la santé publique. Depuis quelque temps, ces systèmes comprennent des applications d’intelligence artificielle, comme l’apprentissage automatique et le traitement des langues naturelles, qui accroissent la rapidité, la capacité et l’exactitude du filtrage, du classement et de l’analyse des données Internet portant sur la santé. La modélisation des risques recourt à des méthodes statistiques et mathématiques pour évaluer la gravité de l’émergence d’une maladie et pour diffuser certains facteurs portant sur l’hôte (p. ex. le nombre de cas signalés), le pathogène (p. ex. la pathogénicité) et l’environnement (p. ex. si le climat est propice aux espèces réservoirs ). On élargit les types de données de ces modèles en vue d’y inclure les renseignements sur la santé tirés de données Internet à code source libre et l’information sur les tendances des êtres humains et des biens en matière de mobilité. Ces renseignements contribuent à cerner les populations à risque et à prédire par quelles voies les infections pourraient se répandre dans de nouvelles régions et de nouveaux pays. Outils très efficaces complétant les stratégies traditionnelles de surveillance qui déterminent ce qui s’est déjà produit, les systèmes de surveillance événementielle et la modélisation des risques devraient servir de plus en plus à éclairer les mesures de santé publique visant à prévenir, à détecter et à contrôler les hausses de cas de maladies infectieuses causées par les changements climatiques.

Introduction

Le réchauffement climatique tend à accélérer depuis quelques décennies. En effet, durant la période de 1850 à 2017, les neuf années les plus chaudes ont toutes été observées au cours des douze dernières années. Au total, la température annuelle moyenne de l’atmosphère a augmenté d’environ 0,97 °C entre 1880 et 2017Note de bas de page 1. Aussi infime soit-il, cet accroissement de la température moyenne mondiale est la cause de changements importants dans le climat planétaire et il produit des effets non moins importants sur la société : la hausse du niveau de la mer (et l’érosion qu’elle provoque) et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations, des sécheresses (et les incendies et les mauvaises récoltes qu’elles causent) et des épisodes de pluie verglaçanteNote de bas de page 2. Fait qui revêt une importance particulière pour le Canada, le réchauffement climatique est encore plus sensible sous les hautes latitudes et pendant l’hiverNote de bas de page 3. En effet, depuis 70 ans, la température annuelle moyenne globale au pays a grimpé de 1,8 °CNote de bas de page 4 et la température hivernale moyenne, de 3,4 °CNote de bas de page 4. Dans certaines parties du Nord-Ouest, cette hausse est encore plus marquée. Étant donné que les changements climatiques influent non seulement sur les températures, mais aussi sur les régimes de précipitations, le Canada a tendance à devenir plus aride dans l’Ouest et plus humide dans l’EstNote de bas de page 4.

On sait que les changements de température et de précipitations provoqués par les changements climatiques augmentent les risques de transmission de maladies infectieuses. Les changements climatiques modifient en effet les aires de distribution des vecteurs de maladies (comme les tiques et les moustiques) et des espèces réservoirs (les oiseaux, les rongeurs et les cerfs), qui contribuent à la transmission aux humains d’agents pathogènes infectant les tiques et les moustiques, à mesure que le climat devient plus propice aux vecteurs et aux espèces réservoirsNote de bas de page 5Note de bas de page 6. Par exemple, la hausse des cas de maladie de Lyme au Canada reflète l’expansion de son vecteur, la tique à pattes noires (Ixodes scapularis), dont l’aire de répartition se déplace vers le nord aux États-Unis et couvre désormais aussi le sud du Canada, les changements climatiques ayant rendu le pays plus hospitalier pour les tiquesNote de bas de page 7Note de bas de page 8. Cette expansion dans une région où les vecteurs et les espèces réservoirs peuvent se multiplier se traduit non seulement par la hausse des risques de maladies infectieuses sporadiques, mais aussi par la probabilité accrue que ces vecteurs et les maladies qu’ils transmettent deviennent endémiquesNote de bas de page 6Note de bas de page 9Note de bas de page 10Note de bas de page 11.

En outre, les changements climatiques influent sur la mobilité des personnes et des biens. On s’attend à voir une augmentation du nombre de réfugiés climatiques, ces personnes déplacées fuyant les phénomènes météorologiques extrêmes qui menacent leur existence ou leurs moyens de subsistanceNote de bas de page 11. Ces réfugiés, souvent issus de régions du monde où les maladies infectieuses sont plus répandues et ayant des pratiques et des calendriers de vaccination différents risquent, sans le vouloir, de transmettre ces maladies aux CanadiensNote de bas de page 12. Le tourisme, tant dans les pays d’origine que dans les pays de destination, est également touché par les changements climatiques, qui modifient les facteurs antinomiques incitant les touristes à voyager et le potentiel de propagation des maladiesNote de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15. Sans le vouloir, on risque de transporter des vecteurs et des pathogènes dans le cadre des importations canadiennes par la voie des airs, par la voie terrestre et par bateauNote de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18. Comme on le sait, les conteneurs terrestres et maritimes facilitent les invasions de moustiques parce que les larves peuvent se développer dans l’eau stagnante qu’ils contiennent et que, même en l’absence de liquide, leurs œufs résistent à la déshydratation pendant des semaines, voire des moisNote de bas de page 19Note de bas de page 20. De plus, les passagers des lignes aériennes transmettent les infections dans de nouvelles régions. Ainsi, au Canada, les passagers de retour au pays ont transmis le virus Zika et provoqué une éclosion du coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS)Note de bas de page 15Note de bas de page 21Note de bas de page 22.

Les risques accrus de maladies infectieuses causées par les changements climatiques posent ainsi des risques importants pour la santé publique, et des efforts sont en cours pour surveiller, évaluer et prédire leurs répercussions. Auparavant, la gestion de la santé publique reposait sur des systèmes de déclaration et de surveillance des maladies à déclaration obligatoire, qui visaient à détecter les éclosions, à suivre la progression des maladies et à éclairer les politiques de prévention et de contrôle. Malheureusement, les systèmes traditionnels de surveillance se caractérisent par des retards dans la transmission et l’analyse des données, et dans la communication des résultats.

Compte tenu de la nécessité d’avoir un système de surveillance des problèmes émergents qui soit plus en temps réel et de comprendre plus tôt leurs répercussions possibles sur la santé, on a élaboré et l’on continue d’élaborer deux stratégies d’évaluation des risques : les systèmes de surveillance événementielle qui, de plus en plus, font appel à l’intelligence artificielle et la modélisation des risques. Le présent aperçu a pour objectif de décrire ces deux stratégies et d’expliquer en quoi elles peuvent éclairer les mesures de santé publique prises afin de prévenir, de détecter et de contrôler les augmentations de cas de maladies infectieuses causées par les changements climatiques.

Systèmes de surveillance événementielle

Les systèmes de surveillance événementielle font appel à plusieurs données à code source libre et à plusieurs techniques d’évaluation permettant de reconnaître les menaces pour la santéNote de bas de page 23Note de bas de page 24.On compte, parmi ces données à code source libre, les fils de presse en ligne, les réseaux sociaux et les autres flux de données Internet, en de nombreuses langues, qui permettent de détecter de façon précoce les menaces pour la santé publique. On a démontré que ces systèmes sont plus rapides que les données de surveillance traditionnelles transmises par les laboratoires ou les hôpitauxNote de bas de page 25 et qu’ils peuvent servir, en association avec les systèmes traditionnels de surveillance, à faciliter la communication précoce de menaces pour la santé publiqueNote de bas de page 26. Plus on reconnaît les signes d’une éclosion en pleine évolution rapidement, plus on peut, sans tarder, en assurer le suivi, ainsi que planifier et mettre en œuvre les mesures d’intervention nécessaires afin de protéger la santé publiqueNote de bas de page 27.

Il existe trois types de systèmes de surveillance événementielle : modéré, partiellement modéré et entièrement automatiséNote de bas de page 28. Le niveau d’automatisation influe sur la gestion du flux de l’information dans les systèmes à partir des données à code source libre provenant des agrégateurs (Factiva, Google News, Moreover Baidu, etc.), du format RSS et des réseaux sociaux, qu’ils soient de sources officielles ou officieuses (Twitter pour les Centers for Disease Control américains et le grand public, etc.), et à partir des rapports officiels validés (Organisation mondiale de la Santé, Centers for Disease Control américains, etc.). Programme de suivi des maladies émergentes, ProMED constitue un exemple de système modéré. Il était au cœur de l’élaboration de systèmes de surveillance événementielle il y a plus de 25 ansNote de bas de page 29Note de bas de page 30. ProMED est exécuté par des analystes bénévoles (qui constituent en quelque sorte des conservateurs experts des données) qui cherchent et choisissent des articles de presse, en valident le contenu et avertissent les abonnés en cas d’éclosion importante de maladies infectieuses. Les avantages de ce programme sont son faible rapport signal sur bruit, son accès ouvert et sa grande portée. Par contre, ces bénévoles ne couvrent pas toutes les populations à risque, leurs partis pris peuvent influer sur la modération des cas et, ce qui est normal, ils ne disposent pas de ressources suffisantes pour fournir des renseignements détaillés permettant de connaître la situation et ainsi d’évaluer avec précision le niveau de dangerNote de bas de page 29.

Le Réseau mondial d’intelligence en santé publique (RMISP) est un système partiellement modéré créé par le gouvernement du Canada, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé, quatre ans après ProMEDNote de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33. Son accès est réservé aux organismes ayant un mandat lié à la santé. Les algorithmes d’intelligence artificielle du RMISP automatisent un flux de 2000 à 3000 articles de presse par jour, modérés par 12 analystes experts qui reconnaissent les menaces et lancent une alerte au besoin, à la lumière de données contextuelles tacites (contexte historique, tendances du marché, interdictions de voyager, anomalies climatiques, etc.). L’exemple suivant permet de voir à quel point ce réseau peut être utile : au début de 2003, les analystes ont pu lire des rapports chinois mentionnant la hausse des ventes de traitements antiviraux immédiatement avant le déclenchement de l’épidémie mondiale de SRASNote de bas de page 34. Contrairement à ProMED, le RMISP est filtré à plusieurs étapes au moyen de l’intelligence artificielle et d’analystes qualifiés. L’intelligence artificielle permet de traiter un flux de données plus important, tandis que les analystes disposent des ressources nécessaires pour faire connaître la situation. Bien que ProMED et le RMISP puissent tous deux analyser plusieurs langues, il est coûteux de le faire dans le cas du RMISP, car il faut engager des analystes parlant couramment des langues étrangèresNote de bas de page 33.

Parmi les systèmes entièrement automatisés, on compte le système d’information médicale de la Commission européenne (MedISys), le Pattern-based Understanding and Learning System (PULS) et HealthMap. Bien que ces systèmes soient accessibles au public, ils comportent aussi des zones réservées aux organismes sanitaires : forums de discussion privés, fonctionnalité accrue et traitement des données de sources commercialesNote de bas de page 35Note de bas de page 36. Les systèmes entièrement automatisés traitent les données plus rapidement et leur utilisation est moins coûteuse que les systèmes modérés. Leur principal désavantage est leur rapport signal sur bruit plus élevé, qui se traduit par un risque accru de détecter de fausses menacesNote de bas de page 37Note de bas de page 38. On peut toutefois relier les systèmes de surveillance événementielle et les faire fonctionner en synergie pour atténuer ce risqueNote de bas de page 39. Par exemple, MedISys recueille les données, au faible rapport signal sur bruit, de ProMED et du RMISP, et il fait appel aux algorithmes du PULS, qui traitent mieux les langues. Le PULS extrait l’information sur les cas repérés par MedISys, puis il la renvoie à MedISysNote de bas de page 36Note de bas de page 40. Le tableau 1 résume les types de systèmes de surveillance événementielle.

Tableau 1 : Résumé de certains systèmes de surveillance événementielle
Type Exemple Année de création Accessibilité au public
Système modéréNote a de Tableau 1 Program for Monitoring Emerging Disease ProMEDNote de bas de page 29Note de bas de page 30 En 1994 à titre d’organisme sans but lucratif Oui
Système partiellement modéréNote b de Tableau 1 Réseau mondial de renseignement de santé publique RMISPNote de bas de page 31Note de bas de page 32Note de bas de page 33 En 1998 grâce à la collaboration du gouvernement du Canada et de l’Organisation mondiale de la Santé Non; réservé aux organismes sanitaires membres du Réseau
Système entièrement automatiséNote c de Tableau 1 Medical Information System MedISysNote de bas de page 36Note de bas de page 41Note de bas de page 42 En 2004 par la Commission européenne Oui
HealthMapNote de bas de page 35Note de bas de page 38Note de bas de page 40Note de bas de page 43 En 2006 par le Boston Children’s Hospital Oui
Pattern-based Understanding and Learning System PULSNote de bas de page 36Note de bas de page 44Note de bas de page 45 En 2007 par le Département d’informatique de l’Université d’Helsinki, en Finlande Oui

Applications de l’intelligence artificielle

Les applications de l’intelligence artificielle au traitement des données ont révolutionné la capacité des systèmes de surveillance événementielle à détecter rapidement et sans faute les menaces telles que les éclosions de maladies infectieuses. Les données Internet à code source libre sont considérées comme des données non structurées, en ce sens que les articles de presse, les blogues, les gazouillis, etc., racontent et décrivent des faits. Comme le texte, les chiffres et les dates ne suivent pas les modèles de données (p. ex. une base de données) pouvant servir à la détection automatisée des cas et à la modélisation des risques, il faut traiter les données à code source libre en vue d’extraire et de structurer l’information sur la nature du cas, le lieu et la date où il s’est produit, et les personnes touchées. Les systèmes de surveillance événementielle recourent à des méthodes de traitement des langues naturelles pour traiter et comprendre les casNote de bas de page 46Note de bas de page 47Note de bas de page 48. Le traitement des langues naturelles est un domaine des sciences qui se consacre à la compréhension du discours humainNote de bas de page 49. L’analyse du sous-langage est l’une des premières méthodes. On se sert des règles et des modèles pour interpréter et classer le vocabulaire, la syntaxe et la sémantique d’un texte descriptif non structuré. Les systèmes de surveillance événementielle ont des taxonomies associant des termes prédéfinis et leurs synonymes aux termes trouvés dans les sources de données. Tout comme la recherche documentaire traditionnelle, la classification taxinomique de textes descriptifs peut repérer des articles sur la santé en cherchant des termes connexes. Par exemple, les synonymes de la grippe A sont H1N1, grippe H1N1, grippe de type A, influenza A, influenza de type A, grippe porcine, grippe du porc et grippe de Hong KongNote de bas de page 50. Si la méthode du sous-langage de détection des données sur la santé dans les systèmes de surveillance événementielle est efficace, elle comporte aussi des inconvénients. Les taxonomies ne sont pas faciles à généraliser. Il faut en créer une pour chaque maladie dont on assure le suivi et aussi la mettre à jour puisque la langue évolue et que les scientifiques font sans cesse de nouvelles découvertes sur les maladies. C’est pourquoi le traitement des langues naturelles a posé une assise solide en matière de recours aux méthodes d’apprentissage automatique.

L’apprentissage automatique est un sous-ensemble de l’intelligence artificielle qui fait appel à des algorithmes, comme des modèles statistiques, pour exécuter une tâche donnée sans instructions explicites et en recourant plutôt à des modèles et à l’inférence. Les systèmes de surveillance événementielle recueillent des données Internet à code source libre (les flux et les requêtes), puis les filtrent par une combinaison d’analyse du sous-langage et d’apprentissage automatique, ce dernier servant aux tâches plus complexes, soit l’analyse de la syntaxe, de la sémantique, de la morphologie, de la pragmatique et du discoursNote de bas de page 51. L’apprentissage automatique peut ainsi servir à déterminer la différence entre les articles ne portant pas sur la santé (p. ex. la « fièvre Justin Bieber » fait référence aux fans du chanteur) et les articles portant sur l’éclosion d’une maladie infectieuseNote de bas de page 43Note de bas de page 51Note de bas de page 52. L’apprentissage automatique peut également servir à éclaircir les ambiguïtés dans les dates et les lieux, comme les éclosions passées et les éclosions en cours, dans les articles discutant du contexte historiqueNote de bas de page 53Note de bas de page 54. De plus, on élabore des applications avant-gardistes de l’apprentissage automatique, telles que la structuration des données sur les cas sous forme de listes de parcours des éléments épidémiologiques (la liste des patients infectés et l’information connexe : état de santé, sexe, lieu, date d’apparition de la maladie, hospitalisation, etc.) pouvant servir à enquêter sur les éclosions et à réaliser une modélisation des risquesNote de bas de page 55. Après avoir traité les données Internet à code source libre et créé un modèle, on peut, le cas échéant, examiner l’événement et produire un rapport à son sujet. Qui plus est, on peut analyser des données supplémentaires afin de communiquer l’incidence, actuelle et prévue, de la menace pour la santé. Le tableau 2 constitue le résumé du flux d’information provenant de la collecte de données par les systèmes de surveillance événementielle, de leur traitement, de leur analyse et de la production de rapports.

Tableau 2 : Flux d’information des données Internet à code source libre dans les systèmes de surveillance événementielle
Systèmes de surveillance événe-mentielle Collecte de données Traitement Analyse Production de rapports
Systèmes modérés Des analystes humains repèrent les données Internet à code source libre portant sur la santé Des analystes humains examinent le cas, procèdent au filtrage et établissent son niveau de danger Aucun On envoie par courriel des rapports sur les menaces pour la santé et on les affiche sur le site Web du système de surveillance événementielle
Systèmes partielle-ment modérés ou entièrement automatisés Source automatique de données Internet à code source libre La classification taxonomique et les algorithmes d’apprentissage automatique filtrent et classent les cas selon leurs métadonnées (p. ex. le type de menace, le lieu et la date). Les algorithmes d’apprentissage automatiques évaluent leur niveau de pertinence. Dans les systèmes partiellement modérés, ce sont des analystes humains qui organisent les sources de données présentant un score élevé Les techniques analytiques évoluent au fil du temps et diffèrent d’un système de surveillance événementielle à l’autre. On compte, parmi les techniques courantes, le géomarquage des cas; les diagrammes à barres montrant les fluctuations du nombre de mots-clés au fil du temps, du nombre d’articles détectés et du nombre (attendu et observé) de cas de la maladie en question; les nuages de mots-clés illustrant l’importance des termes-clés; les alertes en cas de hausse soudaine du nombre de cas, de la fiabilité des sources ou du nombre de sources uniques On envoie par courriel des rapports sur les menaces pour la santé, on les affiche sur le site Web du système de surveillance événementielle et l’on avise les communautés pertinentes d’utilisateurs d’applications Web

Modélisation des risques

La plus grande variété des données de modélisation constitue un progrès important dans l’évaluation des risques. Dans le contexte des maladies infectieuses, la modélisation des risques est le processus par lequel on reconnaît et l’on caractérise, chez les individus ou les populations, les facteurs accroissant leur vulnérabilité à contracter une maladie (leur âge, leur proximité du lieu de l’éclosion, etc.). L’induction statistique est une méthode solide et instructive de modélisation des risques, qui comprend l’analyse de régression. Elle sert à établir le lien entre les facteurs de risque (variables explicatives) et le résultat (p. ex. le nombre de cas signalés). Les modèles de régression, et l’induction statistique en général, s’élargissent et comprennent désormais l’information tirée de données Internet à code source libre. En voici un exemple remontant aux tout débuts : on recourait aux données recueillies par le moteur de recherche de Google Flu Trends pour prédire le résultat du nombre de consultations de médecins pour des maladies d’allure grippaleNote de bas de page 56. On se servait ensuite du modèle résultant pour prédire le nombre de cas de grippe saisonnière une ou deux semaines à l’avance. Malheureusement, cette approche prédisait mal les éclosions survenant à des moments autres que pendant la saison de la grippe, en raison des associations de mots recherchées par le moteur de recherche qui n’avaient rien à voir avec la grippe saisonnière (p. ex. la saison hivernale du basketball)Note de bas de page 57. On a ensuite amélioré l’exactitude du système pour ce qui est de la prédiction des tendances de grippe saisonnière en recourant à des sources supplémentaires de données à code source libre (p. ex. Twitter) et en élargissant la méthode de régression de façon à ce qu’elle profite des algorithmes d’apprentissage automatique qui peuvent trouver des associations complexes entre le résultat et les variables explicativesNote de bas de page 58. Qui plus est, on a amélioré la modélisation de la régression pour les risques d’infection en y ajoutant, en plus des données Internet à code source libre, d’autres variables explicatives (p. ex. les données climatiques et météorologiques transmises par les satellites) sur la présence, sur les déplacements et sur la distribution des pathogènes, des vecteurs, des espèces réservoirs et des personnes infectéesNote de bas de page 59Note de bas de page 60. Par exemple, en Chine, on a amélioré les prédictions sur le nombre de cas de syndrome pieds-mains-bouche chez les enfants en incluant les données hebdomadaires sur la température et sur les précipitations, ainsi que les données sur les requêtes sur le syndrome pieds-mains-bouche faites au moyen de Baidu, le moteur de recherche chinoisNote de bas de page 61.

Autre approche fréquente de modélisation des risques, les modèles compartimentaux simulent de façon mathématique la dynamique de transmission au sein d’une population − autrement dit, le flux des états de santé chez les individus qu’on classe en patients sains (S), infectés (I) et guéris (R). Par exemple, les modèles SIR requièrent qu’on définisse les paramètres pour le taux de patients infectés (ou, au contraire, la période d’infection) et le taux de contacts infectés. Il est alors possible d’estimer si l’infection d’une population se transformera en épidémie et de caractériser la prévalence de la maladie au fil du temps. L’approche des modèles compartimentaux s’est récemment élargie pour inclure la simulation de la dynamique de transmission au sein de plusieurs populations (métapopulations). Il faut y ajouter les données sur la mobilité afin de définir le taux des personnes se déplaçant d’une population à l’autreNote de bas de page 62. Sur le plan de la métapopulation, on peut considérer la mobilité humaine comme le déplacement des gens dans un réseau interrelié de villes et de pays. On peut tirer ces données des relevés des appels faits par des téléphones cellulaires et des volumes de passagers se déplaçant en avionNote de bas de page 63Note de bas de page 64. Grâce à la modélisation de la métapopulation, on peut savoir par quels chemins les pathogènes se propageront au Canada et en calculer la probabilitéNote de bas de page 65Note de bas de page 66. Par exemple, le virus Zika serait apparu pour la première fois au Brésil entre août 2013 et avril 2014. Des voyageurs infectés seraient arrivés à Rio de Janeiro, à Brasilia, à Fortaleza ou à San Salvador, et leur arrivée a été suivie d’épidémies à Haïti, au Honduras, au Vénézuéla, puis en ColombieNote de bas de page 21.

Discussion

On ne sait trop si les changements climatiques influeront sur les nombreux facteurs liés à l’occurrence et à la diffusion des maladies infectieuses. Ces facteurs comprendront sans aucun doute les fluctuations de l’aire de distribution des vecteurs et des espèces réservoirs, la mobilité des gens et des biens, ainsi que l’arrivée possible de pathogènes qui en découle, ce qui entraînera des répercussions sur l’exposition et les risques de transmission. Afin d’assurer le suivi des éclosions de maladies infectieuses de façon rapide et efficace, les professionnels de la santé publique ont besoin d’un meilleur accès à des données de surveillance à jour. Pour ce faire, on complète de plus en plus par des systèmes de surveillance événementielle les données traditionnelles, par exemple celles tirées des systèmes de surveillance des maladies à déclaration obligatoire. Même si les systèmes de surveillance événementielle profitent de l’apprentissage automatique et du traitement des langues naturelles qui optimisent l’exploitation des données, il reste néanmoins des obstacles à surmonterNote de bas de page 59. Ainsi, il existe encore des problèmes de partage et de confidentialité des données à résoudre. Par exemple, à quel niveau peut-on utiliser et divulguer des données personnelles dans la détection de cas de maladie? Google et Twitter fournissent librement au public des données finement agrégées par semaine et par ville. Cela dit, des renseignements plus précis sur la date et le lieu de la source assureraient une détection plus détailléeNote de bas de page 26. Qui plus est, les habitants de cette planète utilisent Internet et les réseaux sociaux chacun à leur façon et à des moments différents. En effet, on a constaté des écarts dans l’usage d’Internet et du téléphone cellulaire en AfriqueNote de bas de page 67; en Chine, c’est Baidu et non Google, qui est le principal moteur de rechercheNote de bas de page 61; et la tendance des gens à se servir de Twitter pour déclarer des maladies dépend de leur âge et de leur statut socio-économiqueNote de bas de page 68.

La modélisation des risques permet d’estimer l’incidence des maladies infectieuses émergentes sur la santé. Les progrès accomplis dans cette modélisation sont, entre autres, les suivants : l’intégration des données climatiques et des données Internet à code source libre qui éclairent ces estimations, et le calcul de la mobilité des êtres humains, qui propagent les maladies infectieuses aux quatre coins du globe. À l’instar des systèmes de surveillance événementielle, les approches de modélisation des risques sont limitées par la disponibilité des données obtenues. Par exemple, les relevés des appels faits avec des téléphones cellulaires et les données liées au trafic aérien fournissent respectivement des renseignements à la tour de téléphonie cellulaire la plus proche et à l’aéroport le plus proche, mais des données plus précises sur l’emplacement des patients sont fournies, sous réserve des questions de confidentialité, par le système de localisation GPS des téléphones mobiles. Les données sur chaque individu pourraient améliorer énormément notre compréhension des facteurs liés à l’occurrence des maladies et à la diffusion des pathogènes, par exemple le rôle joué par certains patients dans l’éclosion de SRAS en 2003Note de bas de page 69.

Conclusion

Les progrès accomplis dans l’évaluation des changements associés aux vecteurs, aux espèces réservoirs et à l’activité humaine, de même que leurs répercussions sur les maladies infectieuses, sont suivis par plusieurs stratégies de surveillance et d’analyse. Les systèmes de surveillance événementielle ont recours à des données à code source libre pour recueillir de l’information sur les maladies infectieuses. Ces systèmes sont soit modérés, soit partiellement modérés, soit entièrement automatisés, chaque type comportant des avantages et des désavantages. On observe une tendance à l’automatisation, car elle permet de traiter des volumes importants de données. De plus, l’apprentissage automatique et le traitement des langues naturelles deviennent de plus en plus précis au point qu’un jour, leurs capacités dépasseront peut-être celles des modérateurs humains. On se sert souvent de la modélisation des risques pour comprendre et prédire les répercussions des maladies infectieuses sur la santé à l’aide de l’induction statistique et des modèles compartimentaux. Ces méthodes améliorent les capacités de détecter les populations vulnérables aux maladies émergentes et de prédire par quelles voies elles arriveront au pays et quelle sera leur incidence sur la santé, en intégrant les données Internet à code source libre et les données sur la mobilité humaine aux données plus traditionnelles sur le climat et les éclosions de maladies infectieuses. Les méthodes que nous avons présentées ici sont des développements prometteurs qui nous aideront à affronter les menaces changeantes posées par des maladies dont l’évolution est influencée par les changements climatiques. En ayant en main plus rapidement une plus grande quantité de données plus précises, les professionnels de la santé publique pourront confirmer et évaluer en moins de temps les éventuelles éclosions de maladies infectieuses et, de ce fait, en élaborer et en entreprendre le traitement (et concevoir et déployer d’autres stratégies de contrôle) de manière plus rapide.

Déclaration des auteurs

  • EER — Conceptualisation, Enquête, Rédaction  — ébauche originale, supervision et administration du projet
  • VN — Enquête, Rédaction – examen et révision
  • PG — Rédaction – examen et révision
  • AM — Rédaction – examen et révision
  • DM — Rédaction – examen et révision
  • JP — Rédaction – examen et révision
  • DY — Rédaction – examen et révision
  • JP — Rédaction – examen et révision
  • JK — Enquête, Rédaction – examen et révision

Conflit d’intérêts

Aucun.

Financement

Le présent travail a été soutenu par l’Agence de la santé publique du Canada.

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