Utilisations de données satellites pour prédire et détecter les éclosions de maladies infectieuses

RMTC

Volume 45-5, le 2 mai 2019 : Changement climatique et maladies infectieuses : Les solutions

Aperçu

Utilisation des images d'observation de la terre pour améliorer la cartographie des risques de maladies associées au changement climatiques

SO Kotchi1, C Bouchard1, A Ludwig1, EE Rees1, S Brazeau1

Affiliation

1 Division Science des risques pour la santé publique, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Saint-Hyacinthe (Québec)

Correspondance

serge-olivier.kotchi@canada.ca

Citation proposée

Kotchi SO, Bouchard C, Ludwig A, Rees EE, Brazeau S., Utilisation des images d'observation de la terre pour améliorer la cartographie des risques de maladies associées au changement climatiques. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2019;45(5):148–58. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i05a04f

Mots-clés : Images d’observation de la Terre, changement climatique, cartographie des risques, maladies infectieuses, maladies transmises par les tiques, maladies transmises par les moustiques, télédétection, déterminants environnementaux, déterminants climatiques, Canada

Résumé

Le nombre de cas de plusieurs maladies infectieuses liées au climat chez l’humain, y compris les maladies transmises par les tiques et les moustiques, a augmenté au Canada et dans d’autres parties du monde depuis la fin du siècle dernier. Une nouvelle méthode utilisant des images satellites pour cerner les déterminants environnementaux et climatiques permettant de prévoir et de cartographier les risques associés à ces maladies contribue à appuyer les activités de recherche, de surveillance, de prévention et de contrôle, et aider à mieux évaluer les impacts du changement climatique au Canada. Il est possible d’utiliser les images d’observation de la Terre afin de surveiller les changements à la surface de la Terre et dans l’atmosphère de façon systématique, et ce, à différentes échelles temporelles et spatiales. Ces images peuvent éclairer l’estimation et la surveillance des déterminants environnementaux et climatiques, et donc aussi la prévision des maladies et la cartographie des risques. Le réseau actuel de satellites d’observation de la Terre produit une grande quantité et une grande variété de données. Ces données présentent différentes caractéristiques en termes de précision et de résolution spatiales, temporelles et thématiques. Le présent aperçu vise à décrire comment les images d’observation de la Terre peuvent éclairer l’évaluation des risques et la cartographie des maladies transmises par les tiques et les moustiques au Canada, leurs potentiels avantages et limites, les répercussions et les prochaines étapes.

Introduction

Le changement climatique a entraîné une hausse des températures et du niveau des océans, une variabilité climatique accrue et des changements dans la fréquence et l’intensité des précipitationsNote de bas de page 1Note de bas de page 2. Les premiers signes de changements climatiques au Canada remontent aux années 1950Note de bas de page 3Note de bas de page 4Note de bas de page 5Note de bas de page 6 et la température moyenne a augmenté de plus de 1,5 °C entre 1950 et 2010, soit près du double de la moyenne mondialeNote de bas de page 7. L’ampleur de ce changement varie d’une région à l’autre, les changements les plus importants s’étant produits dans le Nord du Canada et plus particulièrement dans l’ArctiqueNote de bas de page 8. Les taux d’humidité moyens au Canada ont également augmenté, avec une augmentation moyenne des précipitations d’environ 12 %Note de bas de page 8. Ces tendances devraient se poursuivre, avec une augmentation de l’intensité et de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur, les sécheresses, les inondations et les feux de forêtNote de bas de page 5Note de bas de page 6Note de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10. L’urbanisation et la création d’îlots de chaleur qui en découle ont contribué à ces changements climatiquesNote de bas de page 11.

Le climat a un impact direct sur les mouvements des populations humaines et des vecteurs de maladies infectieuses, tels que les tiques et les moustiques, et sur leurs populations hôtesNote de bas de page 12Note de bas de page 13. L’augmentation de la température et la variabilité du climat entraînent une augmentation et une expansion géographique des populations de vecteurs et des maladies qu’ils transmettentNote de bas de page 1Note de bas de page 7Note de bas de page 11Note de bas de page 14Note de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18Note de bas de page 19Note de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22. Par exemple, de nombreuses études ont démontré l’expansion des tiques vers le Nord, ce qui a été associé à une augmentation constante du nombre de cas de la maladie de Lyme chez l’humainNote de bas de page 23Note de bas de page 24Note de bas de page 25. Une étude prévoit que l’incidence du virus du Nil occidental augmentera probablement de plus de 17 fois d’ici 2050Note de bas de page 26. Avec l’expansion vers le Nord du moustique Aedes albopictus aux États-Unis (É.-U.)Note de bas de page 27Note de bas de page 28, l’Amérique du Nord pourrait être confrontée à des maladies exotiques transmises par les moustiques comme la dengue, le Zika, la fièvre jaune et le Chikungunya. D’autres maladies transmises par les tiques et les moustiques sont susceptibles d’augmenter ou d’émerger au Canada en raison du réchauffement planétaireNote de bas de page 26Note de bas de page 27Note de bas de page 29Note de bas de page 30Note de bas de page 31.

En raison de l’interaction entre le changement climatique et les maladies à vecteurs, il est de plus en plus important de pouvoir mesurer les changements de température, de précipitations et autres variables relatives à l’habitat. Le Canada est un vaste pays et les stratégies de surveillance actuelles ne sont pas conçues pour surveiller l’impact du changement climatique sur la propagation géographique des maladies transmises par les tiques et les moustiques. Les outils d’observation de la Terre sont de plus en plus utilisés d’une façon qui accroît notre capacité à effectuer cette surveillance. L’observation de la Terre désigne l’acquisition, le traitement, l’analyse, l’interprétation et la diffusion d’informations physiques, chimiques et biologiques sur la terre, les océans et l’atmosphère au moyen de capteurs de télédétection satellitaire, aéroportée ou in situ. Les technologies de télédétection, qui mesurent les propriétés d’un objet au moyen d’ondes électromagnétiques, peuvent être utilisées en combinaison avec de nombreux autres capteurs terrestres comme les stations météorologiques et les ballons-sondesNote de bas de page 32.

Cet aperçu porte sur les images d’observation de la Terre acquises par les satellites de télédétection. Les images d’observation de la Terre et leurs dérivés fournissent des données sur la température, les précipitations, l’humidité, la forêt, les terres humides, l’agriculture, les milieux bâtis et plus encore. Plusieurs études ont démontré l’efficacité des images d’observation de la Terre et de leurs dérivés pour l’évaluation des risques et la cartographie des maladies transmises par les tiques et les moustiques dans le monde. Le MalariaAtlas Project (MAP)Note de bas de page 33Note de bas de page 34, l’Epidemic Prognosis Incorporating Disease and Environmental Monitoring for Integrated Assessment (EPIDEMIA)Note de bas de page 35 et le Mapping Malaria Risk in Africa (MARA)Note de bas de page 36Note de bas de page 37 sont des exemples de programmes de surveillance qui ont recours aux images d’observation de la Terre et leurs dérivés. Les images d’observation de la Terre sont également utilisées pour suivre les maladies transmises par les tiques et les moustiques et évaluer les conditions géographiques et climatiques de leur propagation au Canada. Le présent aperçu vise à décrire comment les images d’observation de la Terre peuvent éclairer l’évaluation et la cartographie des risques des maladies transmises par les tiques et les moustiques au Canada afin d’en assurer la surveillance et à cerner leurs avantages et leurs limites éventuelles, les répercussions et les prochaines étapes.

Les images d’observation de la Terre pour l’évaluation et la cartographie des risques

Les images d’observation de la Terre ne permettent évidemment pas d’observer directement les tiques et les moustiques dans leurs habitats. Elles permettent plutôt d’obtenir des données sur des variables et des indicateurs qui servent à caractériser les déterminants environnementaux et climatiques (DEC) qui influencent la présence et le développement des tiques et des moustiques. Les images d’observation de la Terre permettent d’obtenir les données sur les DEC grâce à plusieurs méthodes de traitement et d’analyse, y compris des corrections géométriques, radiométriques et atmosphériques, et des analyses de classification des images. Les DEC qui en résultent comprennent la température de surface, la température de l’air, l’humidité du sol, l’humidité de surface, la vapeur d’eau atmosphérique, l’humidité de l’air, la quantité de précipitations, la topographie, la couverture et l’épaisseur de la neige, le type de sol, le type de végétation et sa densité, les indices de végétation, les zones inondées, les milieux humides, les paramètres liés à la qualité des eaux (tels la concentration en chlorophylle, la matière organique dissoute, les sédiments en suspension, la couleur et la salinité), les forêts, les zones forestières, urbaines ou bâties ainsi que les zones agricolesNote de bas de page 33Note de bas de page 38Note de bas de page 39Note de bas de page 40. Ainsi, de nombreux DEC dérivés des images d’observation de la Terre sont des déterminants importants de la survie et de l’abondance des vecteurs des maladies transmises par les tiques et les moustiques. Le Tableau 1 présente une liste des satellites d’observation de la Terre les plus couramment utilisés, leurs capteurs et les DEC qui en sont dérivés.

Tableau 1 : Images d’observation de la Terre en service en accès libre et les déterminants environnementaux et climatiques qui en sont dérivés
Satellite Nom Capteur Rés. spatiale Rés. temp. Déterminants environnementaux et climatiques dérivés
Couv. sols Type sol Type vég. Qté vég. Prof. couv. neige Qual. eau Hum. surf. Temp. surf. Temp. air Vap. dʹeau Préc.
Aqua AIRS 2,3–41 km 0,5 jour - - - - - - - Y Y - -
DMSP SSM/I 13–69 km 1 jour - - - - Y - - - - Y Y
GCOM-W1 AMSR-2 3–62 km 1 jour - - - - Y Y - - - Y Y
GPM DPR 5 km 1–2 heures - - - - - - - - - - Y
GPM GMI 4–32 km 1–2 heures - - - - - - - Y - Y Y
Landsat-5 TM 30–120 m 16 jours Y Y Y Y Y - Y Y - - -
Landsat-7 ETM+ 15–60 m 16 jours Y Y Y Y Y - Y Y - - -
Landsat-8 OLI 15–30 m 16 jours Y Y Y Y Y - - - - - -
Landsat-8 TIRS 100 m 8 jours - - - - - - - Y - Y -
MSG SEVIRI 1–4,8 km 15 min - - - Y - - Y Y - Y Y
NOAA 15-19 AVHRR/3 1,1 km 0,5 jour Y - - Y Y - Y Y - Y -
Sentinel-1 C-SAR 5– 100 m 12 jours Y - Y Y Y - - - - - -
Sentinel-2 MSI 10–60 m 5 jours Y Y Y Y Y - - - - - -
Sentinel-3 OLCI 300 m 2 jours Y - - Y - Y - - - - -
Sentinel-3 SLSTR 500–1000 m 1–4 jours - - - Y Y - - Y - - -
SMAP MWR 40 km 1,5 jour - - - - - Y Y - - - -
SNPP ATMS 16-75 km 0,5 jour - - - - - - Y - Y - -
SNPP VIIRS 375–750 m 6 min - - - Y Y - Y Y - Y -
Terra ASTER 15–90 m 5 jours Y Y - Y Y - - Y - Y -
Terra, Aqua MODIS 250–1000 m 5 min Y Y Y Y Y Y Y Y Y Y -

Maladies transmises par les moustiques

Les déterminants environnementaux et climatiques (DEC) des maladies transmises par les moustiques comprennent à la fois les milieux anthropiques (comme les zones urbaines, périurbaines et rurales) et les milieux naturels (comme les forêts et les milieux humides)Note de bas de page 7Note de bas de page 17Note de bas de page 49Note de bas de page 50Note de bas de page 51Note de bas de page 52. Ces DEC comportent également des facteurs climatiques et microclimatiques connus pour avoir une incidence sur la propagation des maladies transmises par les moustiques, comme la température, l’humidité et les précipitationsNote de bas de page 17Note de bas de page 20Note de bas de page 52Note de bas de page 53Note de bas de page 54. Certaines espèces de moustiques ont également des DEC particuliers. Des espèces, comme Aedes albopictus (qui propage les virus de la dengue, du Chikungunya et du Zika) ou Culex pipiens (qui propage le virus du Nil occidental), sont très bien adaptées aux milieux urbains. D’autres espèces, comme Culiseta melanura (qui propage l’encéphalite équine de l’Est), sont propres aux milieux humides naturels et se trouvent uniquement dans des zones rurales.

Maladies transmises par les tiques

Les DEC des maladies transmises par les tiques diffèrent également selon les espèces. Le vecteur de la maladie de Lyme, Ixodes scapularis, a évolué dans les biomes forestiers tempérés (feuillus mixtes) en Amérique du Nord, tandis que le vecteur du virus de Powassan, Ixodes cookei, vit principalement dans des terriers et plus rarement sur la végétation. Historiquement, les changements dans la répartition de divers types d’habitats et des espèces hôtes ont été accompagnés de changements dans la répartition et l’abondance des tiquesNote de bas de page 55. Les DEC des maladies transmises par les tiques comprennent le type et la densité du couvert forestier et le degré de fragmentation de la forêt, ainsi que les conditions de température et d’humidité prévalant dans les habitats forestiersNote de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 17Note de bas de page 56Note de bas de page 57Note de bas de page 58Note de bas de page 59Note de bas de page 60Note de bas de page 61Note de bas de page 62Note de bas de page 63.

Évaluations des risques

Il est possible d’utiliser les DEC dérivés des images d’observation de la Terre pour évaluer les risques associés à différentes maladies liées au climatNote de bas de page 49Note de bas de page 50Note de bas de page 52Note de bas de page 64Note de bas de page 65Note de bas de page 66Note de bas de page 67Note de bas de page 68Note de bas de page 69. La possibilité d’une infection chez l’humain dépend d’une série de risques : le risque que les vecteurs en cause soient présents dans l’environnement; le risque que ces vecteurs soient contaminés par un pathogène; le risque que les populations humaines soient exposées à ces vecteurs; le risque de transmission de la maladie. Les DEC, dérivés des images d’observation de la Terre, combinés aux données de surveillance, permettent d’évaluer, de modéliser et de cartographier ces différentes composantes du risque. Les images d’observation de la Terre et leurs dérivés peuvent servir à cartographier les risques sur une base régulière une fois que le modèle de risque basé sur ces données est développé et validé.

L’utilisation la plus courante des images d’observation de la Terre pour l’évaluation et la cartographie des risques est la surveillance des risques environnementaux associés à la présence ou à l’abondance des tiques et des moustiques. Les DEC dérivés des images d’observation de la Terre peuvent également être combinés avec des données de cas humain pour évaluer et cartographier directement le risque de transmission de la maladie. La figure 1 présente un exemple de structure opérationnelle fondée sur l’observation de la Terre que l’on peut utiliser pour l’évaluation et la cartographie des risques de maladies infectieuses liées au climat.

Figure 1 : Structure opérationnelle fondée sur l’observation de la Terre pour l’évaluation et la cartographie des risques de maladies infectieuses liées au climat

Figure 1 : Structure opérationnelle fondée sur l’observation de la Terre pour l’évaluation et la cartographie des risques de maladies infectieuses liées au climat

Description textuelle : Figure 1

Figure 1 : Structure opérationnelle fondée sur l’observation de la Terre pour l’évaluation et la cartographie des risques de maladies infectieuses liées au climat

Cette figure est un schéma conceptuel d’un cadre opérationnel fondé sur l’observation de la Terre pour l’évaluation et la cartographie des risques de maladies infectieuses reliées au climat.

Cette figure est divisée en quatre sections :

Première Section : Acquisition, traitement et intégration des données d’observation de la Terre, et estimation des déterminants environnementaux et climatiques :

  1. Images d’observation de la Terre (IOT) (Acquises par divers satellites et capteurs)
    1. Traitement et intégration des images multicapteurs (dans le but d’avoir des données prêtes à être analysées)
      1. Déterminants climatiques et microclimatiques (dérivés du traitement et de l’intégration d’images multicapteurs et de données météorologiques)
      2. Déterminants environnementaux (dérivés du traitement et de l’intégration d’images multicapteurs et de données de vérité terrain)

Deuxième Section : Modélisation des risques et validation :

  1. Habitat potentiel des vecteurs (dérivé des déterminants environnementaux)
  2. Risque de présence/abondance des vecteurs (dérivé des déterminants climatiques et microclimatiques, des données de surveillance des vecteurs ainsi que de la détection des habitats potentiels des vecteurs)
    1. Risque d’exposition à des vecteurs infectés (dérivé des déterminants environnementaux et du risque de présence/abondance de vecteurs)
      1. Risque de transmission de la maladie (dérivé des données de cas humain et de risque d’exposition à des vecteurs infectés)

Troisième Section : Cartographie des risques

  1. Carte d’habitat des vecteurs
  2. Carte de risque de présence/abondance des vecteurs
  3. Carte de risque d’exposition à des vecteurs infectés
  4. Carte de risque de la transmission de la maladie

Quatrième Section : Résultats pour les interventions en santé publique

  1. Estimation de la population à risque
  2. Zones cibles pour la surveillance active des vecteurs
  3. Zones cibles de contrôle et de prévention

Avantages et limites

Les données provenant des images d’observation de la Terre et de leurs dérivés présentent de nombreux avantages par rapport aux autres types de données pour estimer les DEC et cartographier le risque de transmission des maladies infectieuses liées au climatNote de bas de page 17Note de bas de page 22Note de bas de page 70Note de bas de page 71. Les images d’observation de la Terre présentent au moins cinq avantages potentiels pour l’évaluation des risques pour la santé publique liés aux maladies à vecteurs au Canada.

Premièrement, le Canada est un vaste pays qui n’est pas actuellement entièrement couvert par des données d’observation sur le terrain, utilisées dans les méthodes traditionnelles de surveillance (p. ex. piégeage et analyse de la densité et du type de moustiques ou cartographie des habitats des tiques par la recherche des tiques). Ces données de surveillance traditionnelles ne couvrent généralement qu’un nombre limité de sites de surveillance dont la répartition est inégale entre les provinces. Les images d’observation de la Terre couvrent quant à elles des surfaces continues du pays, où chaque point du territoire observé est un « site de surveillance ». De plus, ces images peuvent couvrir de vastes régions géographiques comme le Canada dans un délai (minutes, heures ou jours, selon le satellite utilisé) qui ne peut être égalé par les méthodes de surveillance traditionnelles.

Deuxièmement, le Canada compte de nombreuses régions éloignées difficiles d’accès. Ces régions sont couvertes par des images d’observation de la Terre au même titre que le reste du pays. Ceci offre l’avantage unique de pouvoir surveiller de façon continue même les régions les plus éloignées. Cela est particulièrement important au Canada, car certaines de ces régions éloignées, comme l’Arctique, sont affectées de façon disproportionnée par le changement climatique.

Troisièmement, l’utilisation d’images d’observation de la Terre permet de répondre au problème du coût élevé de la surveillance active sur une vaste zone géographique. Il est possible d’accéder librement aux images d’observation de la Terre acquises par plusieurs satellites sur des plateformes de données ouvertes ou à faible coût. Au Canada, il existe une grande quantité de données dérivées d’images d’observation de la Terre prêtes à l’emploi. Ces données sont produites par des ministères fédéraux comme Agriculture et Agroalimentaire Canada, Ressources naturelles Canada et Environnement et Changement climatique Canada. Elles sont disponibles gratuitement sur le site Web ouvert du gouvernement (https://ouvert.canada.ca/fr/donnees-ouvertes).

Quatrièmement, les méthodes et protocoles de surveillance active varient selon les projets, les années, les programmes et les administrations. En raison de cette variabilité, il est difficile d’établir des comparaisons dans le temps et entre divers lieux. Pour leur part, l’acquisition des images d’observation de la Terre se fait de façon standardisée et sur une base régulière. Cela permet de comparer les détections de signaux (p. ex. situations anormales et alertes) d’une manière plus efficace dans l’ensemble du pays.

Cinquièmement, les satellites d’observation de la Terre peuvent être mobilisés rapidement pour appuyer des opérations d’urgence en temps réel en cas de catastrophe majeure qui présente des risques pour la santé publique. Par exemple, dans le cas d’une inondation, il est possible d’utiliser des images d’observation de la Terre pour délimiter et surveiller les zones à risque où des activités de lutte contre les moustiques peuvent être requises. La Charte internationale « Espace et catastrophes majeures »Note de bas de page 72 a pour but de faciliter la mobilisation des satellites d’observation de la Terre de diverses agences spatiales à l’appui des opérations d’urgence liées aux grandes catastrophes. Cette charte a été appliquée pour la première fois dans le cadre d’une maladie infectieuse lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014Note de bas de page 73. Le tableau 2 résume les avantages de l’utilisation des images d’observation de la Terre et de leurs dérivés.

Tableau 2 : Avantages de l’utilisation des images d’observation de la Terre pour l’estimation des déterminants environnementaux et climatiques et la cartographie des risques de maladies infectieuses liées au climat
Avantage Description
Mesures précises et régulières à différentes résolutions spatiales et temporelles L’homogénéité et la régularité des observations faites à l’aide d’images d’observation de la Terre permettent de mesurer avec plus de précision les changements survenus au fil du temps, comme les changements environnementaux et climatiques, comparativement aux données recueillies sur le terrain. Ces mesures sont effectuées à différentes résolutions spatiales et temporelles, ce qui permet d’observer des phénomènes (par exemple, habitats des vecteurs, conditions microclimatiques) et leurs changements selon un spectre varié d’échelles allant de 0,31 m à 75 km et de fréquences temporelles allant de 5 minutes à 16 jours. Cette capacité d’observation multiéchelle qu’offrent les images d’observation de la Terre est unique et permet d’estimer les DEC et de cartographier les risques à l’échelle locale, régionale et globale en fonction des objectifs de santé publique.
Haute densité spatiale des observations, avec la couverture de vastes territoires, de régions éloignées et de zones difficiles d’accès Les mesures effectuées à l’aide d’images d’observation de la Terre consistent en des données continues couvrant l’ensemble de la zone géographique couverte par le capteur. Il est possible d’estimer les DEC et de cerner les zones à faible risque ou à risque élevé pour toutes les parties du territoire. Les images d’observation de la Terre couvrent d’immenses territoires qui ne peuvent être échantillonnés avec des données recueillies sur le terrain. La plupart des satellites d’observation de la Terre peuvent capter des images couvrant la planète entière, y compris les régions éloignées et les zones géographiques difficiles d’accès. Ceci est très utile pour appuyer les initiatives de santé publique qui ciblent les collectivités éloignées.
Récurrence des observations sur une longue période Les images d’observation de la Terre sont acquises de façon récurrente depuis près de 40 ans. La capacité d’observation d’un territoire donné sur de longues périodes offre une excellente occasion d’étudier et de prévoir l’impact du changement climatique sur l’émergence et la réémergence des maladies liées au climat.
Dérivés d’images d’observation de la Terre prêts à l’emploi De nombreux produits prêts à l’emploi ont été développés à partir d’images d’observation de la Terre pour rendre ces données accessibles à une communauté plus large de personnes non expertes dans le traitement et l’analyse de ces images. Ces produits se rapportent à la fois aux déterminants environnementaux et aux déterminants climatiques.
Accès à de grandes quantités de données à faible coût Plus de 1 700 satellites d’observation de la Terre sont en serviceNote de bas de page 74. Les images d’observation de la Terre de ces nombreux satellites ainsi que la plupart des dérivés sont accessibles gratuitement sur des plateformes de données ouvertes. La majorité des images commerciales d’observation de la Terre comportent des données à très haute résolution spatiale (moins de 2 m). Les coûts associés à ces données diminuent rapidement avec l’augmentation du nombre de systèmes d’observation de la Terre et l’amélioration de leur performance.
Rapidité de mobilisation de nombreux satellites pour appuyer les opérations d’urgence En vertu de la Charte internationale « Espace et catastrophes majeures »Note de bas de page 72, les satellites et les services peuvent être rapidement mobilisés par de nombreuses agences spatiales pour appuyer la gestion des situations d’urgence dans les grandes zones sinistrées. Ils permettent d’évaluer rapidement les risques d’épidémies dans ces zones alors que le nombre de catastrophes majeures augmente avec le changement climatique. La Charte est en vigueur depuis l’an 2000. Elle a été mobilisée pour appuyer les interventions liées à l’éclosion du virus Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014Note de bas de page 73. C’était la première fois que la Charte était mobilisée pour la gestion d’une maladie infectieuse.

Limites

L’utilisation des images d’observation de la Terre et de leurs dérivés comporte un certain nombre de limites.

Premièrement, les dérivés d’images d’observation de la Terre sont conçus à l’origine pour d’autres domaines d’application, notamment l’agriculture, la foresterie et la conservation de la nature, et les indicateurs de qualité des données relatifs à ces dérivés sont principalement destinés à répondre aux objectifs de ces applications initiales. Cela signifie qu’il y a un manque de dérivés d’images d’observation de la Terre spécifiquement développés pour des maladies infectieuses comme les maladies transmises par les tiques et les moustiques. Par conséquent, plusieurs indicateurs de qualité des données (couverture géographique, résolution spatiale, résolution temporelle, échelle d’agrégation temporelle, fréquence de mise à jour, période d’archivage, composition des classes thématiques et exactitude des données) relatifs aux images d’observation de la Terre communément utilisées et leurs dérivés ne répondent pas aux critères de qualité des données nécessaires à l’estimation des DEC associés aux maladies infectieuses liées au climat.

Deuxièmement, les images d’observation de la Terre les plus utilisées pour l’estimation des déterminants climatiques et microclimatiques ont rarement une résolution spatiale et temporelle élevée. Par exemple, la température de surface et l’humidité du sol peuvent varier considérablement d’un endroit à l’autre et dans le temps. Les images d’observation de la Terre utilisées pour les calculer ne permettent pas de combiner une résolution spatiale élevée (moins de 30 m) avec une résolution temporelle élevée (moins d’un jour)Note de bas de page 17Note de bas de page 68Note de bas de page 75; cependant, cette combinaison est nécessaire pour caractériser la dynamique des conditions microclimatiques et les microhabitats des vecteurs. Ainsi, ces données ne permettent pas toujours de mener des activités de contrôle et de prévention à l’échelle locale (p. ex. pour une municipalité).

Troisièmement, l’utilisation des images d’observation de la Terre et de leurs dérivés pour estimer les DEC à une échelle fine et pour cartographier les risques sur de longues périodes et sur de vastes zones géographiques génère une quantité considérable de données. Les méthodes et technologies classiques utilisées pour le traitement, l’analyse, le stockage et la gestion de données aussi volumineuses sont actuellement limitées.

Le tableau 3 résume ces limites et d’autres limitations associées à l’utilisation des images d’observation de la Terre et de leurs dérivés.

Tableau 3 : Limites des images d’observation de la Terre et de leurs dérivés
Limite Description
Résolution spatiale grossière La résolution spatiale correspond à la taille du plus petit détail que l’on peut observer sur l’image. Une résolution spatiale inférieure à 30 m est généralement recommandée pour les applications cartographiques à une échelle locale. Les images d’observation de la Terre et leurs dérivés se rapportant aux déterminants climatiques et microclimatiques ont généralement une résolution spatiale grossière (plus de 1000 m).
Faible résolution temporelle La résolution temporelle correspond à la fréquence temporelle à laquelle un satellite acquiert des images d’observation de la Terre pour une même région. Une résolution temporelle bimensuelle (16 jours) convient aux images d’observation de la Terre utilisées pour estimer les déterminants environnementaux de la couverture terrestre. Pour estimer les déterminants microclimatiques, une résolution temporelle pouvant servir à établir des moyennes quotidiennes est plus indiquée. Cependant, les images d’observation de la Terre en accès libre à haute résolution spatiale (p. ex. les images Landsat-8), couramment utilisées, n’ont pas cette résolution temporelle.
Précision inconnue ou faible Les projections relatives au changement climatique indiquent des augmentations de température de 1 °C à plus de 5 °C dans les latitudes élevées, à partir des années 1950Note de bas de page 76Note de bas de page 77. Une incertitude inférieure à 1 °C serait appropriée pour les images d’observation de la Terre et leurs dérivés liés à la température. Les métadonnées de nombreux dérivés d’images d’observation de la Terre n’indiquent pas leur précision, alors que cette précision peut être très variable et n’est en général pas disponible.
Composition des classes de couverture du sol incomplètes Un dérivé d’image d’observation de la Terre relatif aux déterminants environnementaux doit contenir toutes les classes de couverture du sol qui constituent des déterminants environnementaux d’intérêt. Cependant, la composition des classes de couverture du sol d’un dérivé d’image d’observation de la Terre dépend de son producteur et de l’objectif de sa création. De plus, il n’existe pas de dérivé d’image d’observation de la Terre spécialement conçu pour estimer tous les DEC de chaque maladie infectieuse liée au climat.
Échelle d’agrégation temporelle inadéquate L’échelle d’agrégation temporelle est le pas temporel utilisé pour agréger les données multitemporelles. Les échelles d’agrégation le plus souvent utilisées pour les dérivés des images d’observation de la Terre sont des moyennes quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles et annuelles. L’échelle d’agrégation temporelle adéquate dépend des vecteurs de la maladie. Le cycle de vie des vecteurs de maladies transmises par les moustiques est très court (de quelques jours à quelques mois) si on le compare à celui des vecteurs de maladies transmises par les tiques (plusieurs années). Une échelle hebdomadaire est plus adéquate dans le premier cas et une échelle annuelle dans le second. Toutefois, pour certains DEC, il n’existe pas de dérivés d’images d’observation de la Terre conçus avec les échelles d’agrégation temporelle recherchées (par exemple, les accumulations annuelles des degrés-jours de surface, dérivées des images des températures de surface).
Mises à jour très espacées Une fréquence de mise à jour annuelle est généralement adéquate pour les dérivés d’images d’observation de la Terre utilisés pour estimer les déterminants environnementaux. Toutefois, plusieurs de ces produits ne sont pas mis à jour annuellement.
Courte période d’archivage Une période d’archivage relativement longue (plus de 15 ou 30 ans) peut être nécessaire pour étudier l’évolution des risques de maladies infectieuses dans le contexte du changement climatique. Cependant, la période d’archivage de plusieurs images d’observation de la Terre et de leurs dérivés n’est pas assez longue pour étudier l’impact du changement climatique sur les maladies infectieuses.
Couverture géographique incomplète L’évaluation et la cartographie des risques de maladies infectieuses aux frontières nécessitent souvent des données couvrant plusieurs régions administratives différentes (p. ex. Québec/Ontario; Canada/États-Unis).
Méthodes et outils traditionnels non adaptés aux données massives des images d’observation de la Terre Un ensemble de données d’images d’observation de la Terre couvrant un vaste pays comme le Canada, avec une résolution spatiale élevée, une résolution temporelle élevée, des mises à jour fréquentes et une longue période d’archivage, produira des données massives pour lesquelles les méthodes et outils traditionnels de traitement et de gestion des données d’observation de la Terre ne sont pas appropriés.

Discussion

Le changement climatique favorise l’émergence et la réémergence des maladies transmises par les tiques et les moustiques au Canada. L’utilisation de DEC dérivés des images d’observation de la Terre permet de cartographier l’expansion géographique de ces vecteurs et d’évaluer les risques de maladies qu’ils transmettent. À l’heure actuelle, les images d’observation de la Terre peuvent couvrir toutes les régions urbaines, rurales et éloignées du Canada de façon standardisée et sur une base régulière, à des résolutions spatiales et temporelles variées. Cependant, la précision des dérivés d’images d’observation de la Terre est souvent inconnue.

La précision d’une cartographie du risque dépend largement de la qualité des données utilisées pour modéliser le risque et produire la carte de risque. Nous travaillons actuellement à améliorer la qualité des dérivés des images d’observation de la Terre. Par exemple, des images d’observation de la Terre ayant différentes caractéristiques (y compris la résolution spatiale et les bandes spectrales) peuvent être combinées par fusion d’images ou par réduction d’échelle spatiale pour produire des dérivés d’images d’observation de la Terre à valeur ajoutée qui peuvent répondre aux critères de qualité requis pour estimer les DEC. Ainsi, si on combine des images de température de surface des terres (TST) du capteur thermique infrarouge de Landsat-8 (100 m, 16 jours) avec des images TST du spectroradiomètre imageur à résolution moyenne (MODIS) (1000 m, 5 minutes), on peut obtenir une moyenne sur 8 jours des images LST avec une résolution spatiale de 100 mNote de bas de page 78. Grâce à des combinaisons de données multicapteurs ou multiproduits, les possibilités d’estimation des DEC et d’évaluation et de cartographie des risques de maladies infectieuses liées au climat dans un contexte de changement environnemental rapide et de variabilité climatique accrue sont pratiquement infinies. De plus, le traitement et l’analyse des données massives dérivées de la combinaison de données provenant de plusieurs satellites nécessitent l’application de méthodes d’intelligence artificielle. Ce faisant, il serait possible de créer une structure opérationnelle éclairée par l’observation de la Terre pour l’évaluation et la cartographie rapides des risques (EO-OFRAM : Earth observation-informed operational framework for rapid risk assessment and mapping) des maladies infectieuses liées au climat. Une telle plateforme serait entièrement automatisée et dotée d’une interface utilisateur facile à utiliser qui intégrerait des données de surveillance et d’autres données contextuelles. Elle pourrait servir à répondre à des questions, visualiser les réponses sur des cartes et produire des rapports de situation afin d’éclairer la prise de décision sur les interventions en santé publique.

Les auteurs et leurs partenaires universitaires et gouvernementaux travaillent actuellement à l’élaboration d’indicateurs microclimatiques améliorés, d’indicateurs de microhabitat des vecteurs et d’un système d’intégration et de fusion des données. Ces outils novateurs amélioreront la précision de l’estimation des DEC et appuieront l’évaluation et la cartographie dynamiques et multi-échelles des risques des maladies infectieuses liées au climat par le biais de l’EO-OFRAM. Dans le cadre du Programme Solutions innovatrices Canada, l’Agence de la santé publique du Canada a lancé un défi à l’industrie concernant le traitement et l’analyse des données massivesNote de bas de page 79. Un meilleur traitement et une meilleure analyse des données massives, notamment par l’application de techniques novatrices d’apprentissage automatique (un sous-ensemble de l’intelligence artificielle), permettront de mieux exploiter le grand volume de données que produisent les images d’observation de la Terre. L’utilisation d’un EO-OFRAM basé sur l’intelligence artificielle en santé publique dépendra de son efficacité à évaluer les risques dans différents environnements et à différents niveaux de décision (local, provincial/territorial et national). La création d’un EO-OFRAM vise à équiper et optimiser les activités de suivi, de contrôle et de prévention à ces trois niveaux de gouvernance. Les principaux défis d’une telle initiative sont le financement, la participation des intervenants en santé publique des différents paliers de gouvernement et l’élaboration de normes communes.

Conclusion

Les risques de maladies infectieuses émergentes liées au climat varient considérablement d’une région géographique à l’autre et dans le temps. Les images d’observation de la Terre et leurs dérivés offrent de nombreux avantages pour caractériser cette hétérogénéité par l’estimation des déterminants environnementaux et climatiques, et la cartographie des risques associés à ces maladies. Grâce à l’élaboration et à l’application d’approches améliorées pour traiter et analyser les données volumineuses dérivées des images d’observation de la Terre, notamment l’apprentissage automatique, ainsi que l’élaboration d’indicateurs pour les microhabitats des vecteurs et les microclimats, ces images offrent certains outils novateurs pour améliorer notre capacité à modéliser et à cartographier le risque, et ainsi appuyer encore mieux les interventions en santé publique contre les maladies à vecteur.

Déclaration des auteurs

  • SOK — Conceptualisation, enquête, rédaction de l’ébauche originale, révision et modifications
  • CB — Rédaction de l’ébauche originale, révision et modifications
  • AL — Rédaction de l’ébauche originale, révision et modifications
  • ER — Rédaction de l’ébauche originale, révision et modifications
  • SB — Rédaction de l’ébauche originale, révision et modifications

Conflit d’intérêts

Aucun.

Financement

Ce travail a été réalisé grâce au soutien de l’Agence de la santé publique du Canada et de l’Agence spatiale canadienne.

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