Quand utiliser les études sur l'efficacité réelle

RMTC

Volume 45-6, le 6 juin 2019 : La grippe : mise à jour

Commentaire

Les individus devraient-ils utiliser les études sur l’efficacité réelle du vaccin antigrippal pour décider s’il y a lieu de se faire vacciner?

L Zhao1, R Stirling1, K Young1

Affiliation

1 Centre de l’immunisation et des maladies respiratoires infectieuses, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario)

Correspondance

kelsey.young@canada.ca

Citation proposée

Zhao L, Stirling R, Young K. Les individus debraient-ils utiliser les études sur l’efficacité réelle du vaccin antigrippal pour décider s’il y a lieu de se faire vacciner? Relevé des maladies transmissibles au Canada 2019;45(6): 172–4. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i06a02f

Mots-clés : grippe, vaccin, efficacité réelle, risque, réponse.

Résumé

Les études sur l’efficacité réelle du vaccin contre la grippe saisonnière peuvent influencer la perception des gens quant à la capacité de ce vaccin de les protéger contre la grippe. Toutefois, les études sur l’efficacité réelle des vaccins sont conçues pour éclairer les décisions sur le plan de la santé publique plutôt que pour la prise de décision individuelle. Cet article présente un aperçu de ce que signifie l’efficacité réelle d’un vaccin et pourquoi ses estimations peuvent varier. La variation individuelle de la réponse au vaccin contre la grippe saisonnière est fondée sur des facteurs de risque, tels que l’âge, l’état de santé global, le statut immunitaire et le risque d’infection et de complications. Par conséquent, la décision d’une personne de se faire vacciner devrait être fondée principalement sur son risque de contracter la grippe et de la transmettre à des personnes vulnérables.

Introduction

La grippe est une maladie évitable par la vaccination qui cause chaque année une morbidité et une mortalité importantes. Les épidémies annuelles de grippe au Canada sont responsables d’environ 12 200 hospitalisationsNote de bas de page 1 et 3 500 décèsNote de bas de page 2. Pour réduire ce fardeau de la maladie, le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) du Canada recommande la vaccination antigrippale chaque année pour toute les personnes de six mois et plus qui ne présente aucune contre-indication à l’administration du vaccin, particulièrement celles qui présentent un risque élevé de complications de la grippeNote de bas de page 3.

Les virus de la grippe subissent continuellement des changements génétiques. C’est pourquoi les vaccins antigrippaux sont reformulés chaque année, mais en raison du délai qui s’écoule entre le moment où les souches vaccinales sont décidées et celui où le vaccin devient disponible sur le marché, les antigènes contenus dans le vaccin peuvent ne plus offrir la protection souhaitée contre les virus qui circulent dans la collectivité. Comme ces facteurs peuvent avoir un effet sur la correspondance antigénique entre le vaccin et les souches grippales en circulation, les réseaux de surveillance de la grippe surveillent, chaque année, le degré de protection qu’offre le vaccin contre la grippe pendant la saison en cours.

Au Canada et ailleurs, les réseaux de surveillance calculent habituellement les estimations de l’efficacité réelle du vaccin antigrippal de leur territoire de compétence deux fois par saison, soit au milieu et à la fin de la saison. Bien que l’estimation annuelle systématique de l’efficacité réelle d’un vaccin soit un outil de santé publique précieux, elle ne reflète pas directement la capacité du vaccin à protéger une personne contre la grippe. Néanmoins, le fait qu’une personne ait connaissance de l’efficacité réelle du vaccin antigrippal au cours d’une saison donnée peut influencer sa perception de la protection offerte par le vaccin et sa décision de se faire vaccinerNote de bas de page 4.

Par conséquent, une personne qui envisage de se faire vacciner contre la grippe pourrait se demander : « Le vaccin me protégera-t-il contre la grippe? » Pour aider à répondre à cette question, le présent article explique brièvement ce que signifie l’efficacité réelle d’un vaccin en tant que mesure de la performance d’un vaccin antigrippal et de quelle manière elle est liée à la décision, d’un point de vue individuel, de se faire vacciner.

Efficacité potentielle et efficacité réelle

Deux notions distinctes décrivent la performance d’un vaccin : son efficacité potentielle et son efficacité réelle. Ces expressions sont souvent regroupées sous le terme « efficacité »; or ce à quoi elles se réfèrent est très différent. Tant l’efficacité potentielle que l’efficacité réelle décrivent dans quelle mesure le vaccin protège efficacement contre l’infection grippale et les complications qui en découlent (p. ex. une hospitalisation). Les études sur l’efficacité potentielle des vaccins sont menées dans des conditions optimales, par exemple dans un essai clinique hautement contrôlé. Quant aux études sur l’efficacité réelle des vaccins, qui font l’objet de cet article, elles sont menées dans des conditions « réelles », par exemple en consultation externe dans une clinique de soins primaires.

Que signifie l’efficacité réelle du vaccin antigrippal?

L’efficacité réelle du vaccin antigrippal est l’avantage relatif de la vaccination dans la prévention des cas de grippe par rapport à l’absence de vaccination. Autrement dit, l’efficacité réelle du vaccin antigrippal correspond au pourcentage de cas de grippe qui pourraient être évités dans un groupe vacciné par rapport à un groupe non vacciné. La façon dont l’estimation de l’efficacité réelle du vaccin a été produite, ce qui tient compte de la souche grippale et des résultats cliniques mesurés, est importante pour interpréter cette estimation. Lorsque le Réseau canadien de surveillance sentinelle (RCSS) a rapporté que l’efficacité réelle du vaccin antigrippal contre la grippe A(H1N1)pdm09 pour la saison 2018-2019 était de 72 % chez les personnes se présentant en consultation externe et qui sont atteintes d’une maladie semblable à la grippe, cela signifie que les personnes vaccinées de l’étude étaient 72 % moins susceptibles que les personnes non vaccinées d’être atteintes de la grippe A(H1N1)pdm09 médicalement assistéeNote de bas de page 5.

Il est également important de noter qu’une efficacité réelle de 72 % pour un vaccin ne signifie pas qu’une personne vaccinée a 72 % de chances de ne pas obtenir le résultat clinique mesuré dans l’étude. C’est plutôt le groupe vacciné qui a 72 % moins de chances d’obtenir ce résultat. Pour illustrer cela en chiffres simples, il faut savoir qu’environ 10 % des adultes non vaccinés sont infectés par la grippe chaque saisonNote de bas de page 6. Cela signifie que sur un groupe de 100 adultes non vaccinés, 10 seraient infectés. Si un vaccin antigrippal a une efficacité réelle de 72 %, sur 100 adultes vaccinés, seulement trois adultes (au lieu de 10) seraient infectés. Dans ce scénario, le vaccin empêcherait sept adultes sur 10 (soit environ 72 %) d’être infectés.

Dans les rapports scientifiques, les estimations de l’efficacité réelle des vaccins sont souvent présentées sous la forme de valeurs ajustées. Cela signifie que l’estimation tient compte de facteurs confusionnels potentiels, tels que le groupe d’âge, le sexe, la race ou l’origine ethnique, le lieu de l’étude et le délai entre l’apparition de la maladie et l’inscription à l’étude. Les estimations de l’efficacité réelle des vaccins s’accompagnent d’un intervalle de confiance qui indique le degré de certitude de l’estimation. En général, plus l’intervalle de confiance est étroit, plus il est probable que l’estimation soit similaire à la véritable efficacité réelle du vaccin. Si l’intervalle de confiance inclut zéro, il est possible que le vaccin ne fournisse aucune protection supplémentaire, comparativement à l’absence de vaccination pour ce résultat, même si l’estimation de l’efficacité réelle du vaccin est supérieure à zéro.

Pourquoi les estimations de l’efficacité réelle des vaccins varient-elles?

Aucune estimation unique de l’efficacité réelle d’un vaccin ne peut à elle seule résumer l’efficacité réelle des vaccins antigrippaux, même au cours d’une saison grippale donnée, car l’estimation de l’efficacité réelle du vaccin dépend toujours des conditions particulières de chaque étude. L’efficacité réelle du vaccin variera en fonction d’une multitude de facteurs, y compris l’étroitesse du lien entre les souches virales du vaccin et les virus en circulation pendant une saison grippale donnée, la population étudiée, le moment et le lieu de l’étude et les différences dans la méthodologie des études évaluant l’efficacité réelle du vaccin (p. ex. le protocole de l’étude, la taille des échantillons, les vaccins antigrippaux utilisés, les résultats mesurés).

Un exemple de l’hétérogénéité des estimations de l’efficacité réelle des vaccins est l’estimation ponctuelle de l’efficacité réelle du vaccin contre la grippe saisonnière du RCSS de 2004-2005 à 2018-2019. Ces estimations variaient considérablement, de 9 à 93 %, pour tous les souches de la grippe. Elles étaient tout aussi variables pour des souches de grippe particulièresNote de bas de page 7.

Les estimations de l’efficacité réelle des vaccins devraient-elles éclairer les décisions individuelles?

Les études sur l’efficacité réelle du vaccin antigrippal sont conçues pour estimer les avantages relatifs de la vaccination antigrippale au niveau de la population et non au niveau individuel. Les estimations de l’efficacité réelle du vaccin à l’échelle de la population représentent la protection offerte par le vaccin pour une population à l’étude qui présente des variations dans l’âge, l’état de santé global, les vaccins antigrippaux utilisés et les virus grippaux qui causent des infections.

Le risque de contracter la grippe chez une personne dépend non seulement de la capacité de protection du vaccin antigrippal, telle qu’elle a été estimée par des études sur son efficacité réelle, mais aussi du risque que la personne soit exposée à la grippe, de sa sensibilité à l’infection et de son risque de complications de la grippe. La réponse d’une personne au vaccin dépend de son âge, de son état de santé sous-jacent et de l’état de son système immunitaire. Par conséquent, les estimations de l’efficacité réelle des vaccins sont surtout utiles pour éclairer les décisions stratégiques en matière de santé publique, notamment en signalant le besoin de recourir à des mesures de protection complémentaires, notamment des médicaments antiviraux, pendant une saison de faible efficacité vaccinaleNote de bas de page 8 et en orientant la sélection des souches virales pour les vaccins des saisons futuresNote de bas de page 9.

Une personne qui doit décider si elle souhaite se faire vacciner devrait tenir compte de son risque de complications liées à la grippe. Les femmes enceintes, les enfants et les adultes atteints de maladies chroniques, les jeunes enfants de 6 à 59 mois, les adultes de 65 ans et plus, les personnes résidant dans des maisons de soins infirmiers et d’autres établissements de soins de longue durée, ainsi que les peuples autochtones ont un risque élevé de complications et d’hospitalisation associées à la grippe. Les gens devraient également tenir compte de la possibilité de transmettre la grippe à des personnes à risque élevé (p. ex. s’ils prennent soin de personnes à risque élevé de complications liées à la grippe ou d’hospitalisation), ainsi que de leur profession (p. ex. ceux qui fournissent des services communautaires essentiels ou qui sont en contact direct avec des volailles infectées par la grippe aviaire pendant les opérations d’abattage. La Déclaration sur la vaccination antigrippale pour la saison 2019-2020Note de bas de page 3 du CCNI donne plus de détails sur les groupes qui courent un risque accru de complications liées à la grippe et sur ceux qui peuvent transmettre la grippe aux personnes à risque élevé.

Conclusion

La surveillance de l’efficacité réelle des vaccins antigrippaux est un important outil de santé publique à l’échelle de la population; toutefois, les résultats ne sont pas conçus pour éclairer la décision d’un individu de se faire vacciner ou non. Une telle décision devrait être fondée principalement sur son risque de développer des complications liées à la grippe et son risque de transmettre le virus à des personnes vulnérablesNote de bas de page 3.

Déclaration des auteurs

  • L. Z. — Conceptualisation, rédaction – rédaction de la première ébauche – révision
  • R. S. — Conceptualisation, rédaction – révision
  • K. Y. — Conceptualisation, rédaction – révision

Conflit d’intérêts

Aucun.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier C. Bancej, M. Dubuc, J. Guertin, L. Whitmore et les pairs examinateurs pour leurs précieux commentaires.

Aide financière

Ce travail a été réalisé grâce au soutien de l’Agence de la santé publique du Canada.

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