Gestion des antimicrobiens et professionnels en santé buccodentaire
Publié par : L’Agence de la santé publique du Canada
Numéro : Volume 46–11/12 : Santé buccodentaire au Canada
Date de publication : 5 novembre 2020
ISSN : 1719-3109
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Volume 46–11/12, le 5 novembre 2020 : Santé buccodentaire au Canada
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Les professionnels de la santé buccodentaire du Canada et la gestion des antimicrobiens
Bureau du dentiste en chef du Canada1
Affiliation
1 Bureau du dentiste en chef du Canada, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa, ON
Correspondance
Citation proposée
Bureau du dentiste en chef du Canada. Les professionnels de la santé buccodentaire au Canada et la gestion des antimicrobiens. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2020;46(11/12):423–6. https://doi.org/10.14745/ccdr.v46i1112a02f
Mots-clés : résistance aux antimicrobiens, gestion, antibiotiques, ordonnance, meilleures pratiques, dentistes
Résumé
La résistance aux antimicrobiens est une préoccupation mondiale, car elle présente une grave menace à notre capacité de traiter les maladies infectieuses. Le Canada a pris des mesures pour relever le défi de la résistance aux antimicrobiens depuis 1997. Ces mesures comprennent une stratégie nationale à quatre piliers : surveillance, gestion, prévention et contrôle des infections, recherche et innovation. Les dentistes jouent un rôle important en contribuant aux efforts consacrés à ces quatre piliers, en particulier celui de la gestion. Des études démontrent que les ordonnances d’antibiotiques pour des raisons de santé buccodentaire augmentent avec le temps et que 60 % à 80 % des antibiotiques prescrits en milieu dentaire ne sont pas nécessairement indiqués sur le plan clinique. L’élaboration, la promotion et la mise en œuvre d’initiatives visant à promouvoir l’utilisation optimale des antimicrobiens partout au Canada nécessiteront la collaboration de nombreux intervenants, y compris la collectivité de la santé buccodentaire. La résistance aux antimicrobiens et la gestion des antimicrobiens font déjà l’objet de discussions au sein de la profession dentaire au Canada; cependant, il reste encore du travail à faire dans divers domaines, notamment l’utilisation par les dentistes des lignes directrices courantes fondées sur des données probantes et des protocoles d’ordonnance mis en œuvre par leurs instances dirigeantes pour garantir une ordonnance appropriée d’antibiotiques au besoin et un accès abordable et opportun aux services de santé buccodentaire par les Canadiens.
Introduction
La découverte et le développement des antibiotiques font partie des plus grandes réalisations médicales du XXe siècle; cependant, avec une utilisation accrue, les bactéries peuvent développer une résistance aux antibiotiques au fil du temps. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a fait de la résistance aux antimicrobiens une priorité. L’OMS appelle à une action coordonnée au niveau mondial pour réduire l’émergence et la propagation de la résistance aux antimicrobiens et pour que chaque pays se dote d’un plan d’action nationalNote de bas de page 1. Le Canada a pris des mesures pour relever les défis de la résistance aux antimicrobiens depuis 1997 et ces mesures comprennent une stratégie nationale à quatre piliers : surveillance, gestion, prévention et contrôle des infections, recherche et innovationNote de bas de page 2Note de bas de page 3Note de bas de page 4. Comme le souligne le rapport Pleins feux de l’administratrice en chef de la santé publique du Canada 2019, le Canada a fait des progrès et les taux de résistance aux antimicrobiens sont inférieurs à ceux de nombreux autres pays du mondeNote de bas de page 5. Cependant, il reste encore du travail à faire.
En tant que fournisseurs de soins de santé et prescripteurs, les dentistes ont un rôle important à jouer en contribuant aux efforts consacrés à la stratégie nationale à quatre piliers, en particulier la gestion. La gestion des antimicrobiens renvoie à des interventions coordonnées conçues pour promouvoir, améliorer, surveiller et évaluer une utilisation judicieuse et appropriée des antimicrobiens afin de préserver leur efficacité future et de favoriser et de protéger la santé humaine et animaleNote de bas de page 2. Les sections suivantes examineront de plus près les habitudes d’ordonnance dans la pratique de la santé buccodentaire par rapport à celles des médecins praticiens ainsi que les initiatives de la résistance aux antimicrobiens déjà en cours, et donneront un aperçu des travaux de la gestion des antimicrobiens à venir dans la médecine dentaire canadienne.
Utilisation des antimicrobiens et pratiques d’ordonnance
Au Canada, environ 92 % des antibiotiques sont utilisés en dehors du milieu hospitalier de soins de courte durée; 89 % sont prescrits par des médecins, 8 % par des dentistes et 3 % par du personnel infirmier, des pharmaciens et des optométristesNote de bas de page 2. En médecine dentaire, les antibiotiques sont utilisés à deux fins : prophylactique et thérapeutique. Les antibiotiques prophylactiques sont utilisés pour prévenir l’infection et ce type d’ordonnance est plus répandu que les antibiotiques thérapeutiques, lesquels sont utilisés pour traiter une infection existanteNote de bas de page 5. L’Association dentaire canadienne appuie les lignes directrices de l’American Heart Association concernant la prophylaxie antibiotique avant certaines procédures de santé buccodentaire visant à prévenir l’endocardite infectieuse. Ces lignes directrices stipulent qu’en raison d’un nombre croissant de données probantes, les risques liés à la prise d’antibiotiques préventifs l’emportent sur les avantages pour la plupart des patientsNote de bas de page 6. Malgré ces lignes directrices, dans une étude de cohorte rétrospective menée aux États-Unis examinant des données de 2011 à 2015, on a découvert que les dentistes aux États-Unis prescrivaient souvent une prophylaxie primaire aux patients en bonne santé subissant des procédures de santé buccodentaire invasives même si les preuves à l’appui d’une telle utilisation sont minimes et peu concluantesNote de bas de page 7. Plus précisément, les chercheurs ont constaté que plus de 80 % des antibiotiques prescrits pour la prophylaxie des infections avant la visite chez le dentiste n’étaient pas nécessairesNote de bas de page 7.
Les études au Royaume-Uni et aux États-Unis démontrent qu’entre 60 % et 80 % des antibiotiques prescrits en milieu dentaire ne sont pas nécessairement indiqués sur le plan cliniqueNote de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9. Malheureusement, à l’heure actuelle, les données publiées sur les pratiques d’ordonnance d’antibiotiques des dentistes au Canada sont limitées. Les données canadiennes disponibles montrent une tendance à la baisse du taux d’ordonnance d’antimicrobiens chez les médecinsNote de bas de page 10. Une augmentation des ordonnances chez les dentistes (2010 à 2012) a été suivie d’un taux généralement stable de 2012 à 2015Note de bas de page 10. Une étude en Colombie-Britannique a également montré que l’utilisation globale d’antibiotiques et les ordonnances prescrites par les médecins ont diminué de 18,2 % entre 1996 et 2013Note de bas de page 11. Cependant, on a signalé une augmentation de 62,2 % des ordonnances d’antibiotiques prescrites par les dentistes en Colombie-Britannique au cours de la même période, au moment où l’utilisation des recommandations et des lignes directrices aurait dû entraîner une baisseNote de bas de page 11.
L’Association dentaire canadienne a tenté de documenter les pratiques d’ordonnance des dentistes au Canada en 2017. Les résultats d’un sondage en ligne indiquent que la plupart des dentistes au Canada déclarent prescrire des antibiotiques selon les meilleures données probantes et directives cliniques à leur dispositionNote de bas de page 12. Les résultats montrent également qu’il existe des préoccupations, notamment la surutilisation de certains types d’antibiotiques, des disparités concernant les états de santé et les procédures dentaires nécessitant une prophylaxie antibiotique pour la prévention de l’endocardite infectieuse et les affections dentaires nécessitant des antibiotiques thérapeutiques. Une autre préoccupation est un manque apparent de sensibilisation chez certains dentistes aux changements dans les directives d’ordonnance d’antibiotiquesNote de bas de page 12. Alors que le sondage était basé sur des informations autodéclarées et que la taille de l’échantillon était petite (n = 1 035, ce qui représente un taux de réponse de 16,5 %), les résultats pointent vers le besoin de recherches supplémentaires pour mieux comprendre les pratiques d’ordonnance des dentistes canadiens.
De nombreux facteurs, au-delà des preuves et des pratiques exemplaires, contribuent à la décision de prescrire un antibiotique. Ces facteurs peuvent inclure les recommandations d’autres professionnels de la santé, les attentes des patients, les lignes directrices peu claires, obsolètes ou changeantes ou le manque de connaissance des lignes directrices récentes, l’incertitude du diagnostic et les contraintes de tempsNote de bas de page 5. Selon une étude réalisée par Suda et al.Note de bas de page 7, les raisons de l’augmentation des taux d’ordonnance d’antibiotiques chez les dentistes sont l’utilisation croissante d’implants dentaires, une population vieillissante, la sous-assurance qui propulse les antibiotiques comme un substitut à la chirurgie buccale, la lenteur de l’adoption des nouvelles lignes directrices, le manque de sensibilisation au rôle des dentistes dans la résistance aux antimicrobiens et la pression du médecin et du patient. Ces caractéristiques sont semblables à celles associées à la prescription excessive d’antibiotiques par les médecinsNote de bas de page 7. En outre, une revue exploratoire a révélé que les raisons de prescrire des antibiotiques thérapeutiques comprennent un temps limité pour les rendez-vous d’urgence, les contraintes de temps et les patients non assurés qui n’ont pas les moyens de se payer un traitement appropriéNote de bas de page 13. Néanmoins, à l’instar des autres professionnels de santé prescripteurs, le défi pour les dentistes est de s’assurer qu’ils ne prescrivent des antibiotiques que lorsque c’est nécessaire et en stricte conformité avec la posologie et la durée recommandées pour cet antibiotique (en visant le temps le plus court possible pour l’effet thérapeutique recherché).
Contribuant aux problèmes liés à la résistance aux antimicrobiens, certains patients consultent des médecins dans les services d’urgence des hôpitaux. Entre 2001 et 2010, les visites aux services d’urgence des États-Unis par des personnes âgées de 20 à 29 ans représentaient 42 % de toutes les visites pour les maux de dents au service d’urgence, se classant au cinquième rang des raisons les plus courantes pour toute visite au service d’urgence et au troisième rang des visites au service d’urgence dans ce groupe d’âgeNote de bas de page 14Note de bas de page 15. En 2019, un autre groupe de chercheurs a mené un examen de la portée à l’aide de données canadiennes et américaines pour cartographier les facteurs préliminaires associés à l’utilisation des services d’urgence pour de problèmes dentaires non traumatiquesNote de bas de page 15. Bien que les chercheurs aient indiqué plusieurs limites, leurs résultats préliminaires montrent que les patients visitent les services d’urgence en raison des facteurs démographiques, d’accessibilité, d’influences économiques et sociales avec le revenu et l’incapacité de payer des soins comme facteurs les plus courants.
Initiatives de gestion dentaire sur la résistance aux antimicrobiens au Canada
Certaines initiatives de gestion sont déjà en cours pour sensibiliser et éduquer les professionnels dentaires sur la résistance aux antimicrobiens. Par exemple, la résistance aux antimicrobien et la gestion des antimicrobiens font déjà l’objet de discussions au sein de la profession dentaire au Canada. L’Association dentaire canadienne sensibilise à la résistance aux antimicrobiens, encourage la mobilisation des professionnels canadiens de la santé buccodentaire et publie des articles sur la résistance aux antimicrobiens dans la revue de l’Association dentaire canadienneNote de bas de page 16. L’Association dentaire canadienne a également participé aux collaborations nationales parrainées par l’Agence de la santé publique du Canada (l’Agence). Au sein de l’Agence, le Bureau du dentiste en chef du Canada travaille également avec l’équipe de la résistance aux antimicrobiens de l’Agence et avec les principaux intervenants nationaux en santé buccodentaire pour permettre à la profession de s’aligner sur les meilleures pratiques d’ordonnance afin d’atténuer les risques de la résistance aux antimicrobiens. L’Association canadienne des dentistes en milieu hospitalier participera à la Table ronde d’action SoinsSantéCAN pour élaborer un plan d’action national de gestion des antimicrobiens et collabore avec les dentistes et les médecins spécialistes des maladies infectieuses pour communiquer l’importance cruciale d’une utilisation responsable des antimicrobiensNote de bas de page 17.
Sur le plan des ressources pour les cliniciens, aux États-Unis, le service de la santé publique du Massachusetts a mis au point une trousse d’outils pour la gestion des antibiotiques pour les cliniciens en santé buccodentaire, qui se compose de deux courtes vidéos YouTube en plus de webinairesNote de bas de page 18. Au Canada, l’Agence a contribué au parrainage de modules de formation sur la résistance aux antimicrobiens, donnant aux dentistes canadiens l’accès à une formation continue ciblée grâce aux modules de formation en ligne de l’Université de WaterlooNote de bas de page 19. Les dentistes peuvent également guider leurs patients vers de l’information facile à lire sur la résistance aux antimicrobiens dans les sites Web « Des pilules contre tous les microbes »Note de bas de page 20 et « Choisir avec soin Canada/Antibiotiques »Note de bas de page 21.
À l’avenir, différentes approches devraient être envisagées par la profession dentaire pour lutter contre la résistance aux antimicrobien. L’élaboration, la promotion et la mise en œuvre d’initiatives visant à promouvoir l’utilisation optimale des antimicrobiens partout au Canada nécessiteront la collaboration de nombreux intervenantsNote de bas de page 22. Les gouvernements devraient examiner davantage les disparités d’accès aux soins de santé buccodentaire et les inégalités auxquelles sont confrontés des segments de la population afin d’éviter des consultations inutiles chez les médecins et d’autres fournisseurs de soins pour des problèmes de santé buccodentaireNote de bas de page 14Note de bas de page 15. Cela réduirait l’ordonnance inutile d’antibiotiques comme il est susmentionné, par exemple dans les services d’urgenceNote de bas de page 14. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et leurs organismes de réglementation respectifs jouent également un rôle clé dans la responsabilité partagée de la surveillance et de l’évaluation des lignes directrices, une composante essentielle des stratégies de la gestion des antimicrobiensNote de bas de page 22. L’OMS et les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis formulent des politiques sur la gestion des antimicrobiensNote de bas de page 23. La responsabilité, la formation, le suivi et l’établissement des rapports sur les modèles d’ordonnance et l’éducation des cliniciens et des patients sont des exemples des composantes essentielles des CDC de la gestion des antimicrobiens en clinique ambulatoireNote de bas de page 23. Les gouvernements, les associations dentaires et les organismes de réglementation peuvent s’appuyer sur ces éléments comme point de départ.
Les initiatives de la gestion des antimicrobiens sont soutenues au niveau du gouvernement et des associations dentairesNote de bas de page 2Note de bas de page 6Note de bas de page 22. Les possibilités de formation continue, les lignes directrices professionnelles et la sensibilisation devraient être utilisées et promues parmi les dentistes en plus des recherches supplémentaires au Canada pour mieux comprendre les habitudes d’ordonnance d’antibiotiques des cliniciens dentaires.
Intérêts concurrents
Aucun.
Financement
Ce travail est soutenu par l’Agence de la santé publique du Canada.
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