COVID-19 et le besoin de données sur la mortalité ventilées par sexe

RMTC

Volume 46–7/8, le 2 juillet 2020 : Programmes d’immunisation obligatoire des enfants

Communication rapide

La COVID-19 et le besoin croissant de données de mortalité ventilées selon le sexe au Canada et dans le monde

Amanda Lien1, Rojiemiahd Edjoc1, Nicole Atchessi1, Christine Abalos1, Imran Gabrani-Juma1, Marianne Heisz1

Affiliation

1 Centre de la biosûreté, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa, ON

Correspondance

rojiemiahd.edjoc@canada.ca

Citation proposée

Lien A, Edjoc R, Atchessi N, Abalos C, Gabrani-Juma I, Heisz M. La COVID-19 et le besoin croissant de données de mortalité ventilées selon le sexe au Canada et dans le monde. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2020;46(7/8):259–63. https://doi.org/10.14745/ccdr.v46i78a03f

Mots-clés : COVID-19, coronavirus, sexe, genre, maladie infectieuse

Résumé

Dans les pays les plus touchés par la maladie à coronavirus (COVID-19), comme l’Italie et la Chine, la surveillance révèle que le nombre de décès varie selon le sexe. Selon les données préliminaires, si la répartition des cas varie selon le sexe, les hommes représentent la plus grande proportion des décès dans ces pays. L’analyse des décès peut indiquer une progression inégale de la maladie entre les hommes et les femmes de façon plus robuste que les analyses des cas, étant donné que les premiers sont moins susceptibles de subir des biais de sous-déclaration et de goulots d’étranglement dans les tests. Le Canada a une énorme opportunité d’utiliser ses données sur la mortalité selon le sexe pour mener des recherches médicales et sanitaires complètes permettant de saisir les différences dans la manifestation de la maladie selon le sexe afin d’améliorer les résultats et les méthodes de prévention. Durant la pandémie, il est difficile d’obtenir des données complètes et totalement exactes sur tous les décès liés à la COVID-19 lorsque le personnel soignant et le personnel de santé publique travaillent à pleine capacité. Toutefois, il est essentiel de poursuivre les efforts pour saisir ces informations et les rendre accessibles, car elles peuvent également être appliquées pour éclairer la mise en œuvre de stratégies cliniques et de santé publique plus efficaces et plus équitables, comme la diffusion de matériel de communication sanitaire ciblée et la thérapie.

Introduction

De nombreux pays, dont le Canada, ont mis en place des mesures de prévention importantes, telles que la distanciation physique et les restrictions de voyage, afin de réduire la propagation de la maladie à coronavirus (COVID-19). Il s’agit d’une nouvelle maladie à coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2) qui est hautement transmissible par les gouttelettes et le contact directNote de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3. Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé a déclaré l’épidémie de coronavirus comme étant une pandémieNote de bas de page 4. En date du 10 juin 2020, on comptait environ 7,27 millions de cas de la COVID-19 dans le monde et 412 013 décèsNote de bas de page 5. Au Canada, il y a eu 96 653 cas confirmés et 7 897 décès en date du 9 juin 2020Note de bas de page 6.

Au cours de l’éclosion de 2002 à 2003 du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS), maladie également causée par un type de coronavirus, les données sur la mortalité selon le sexe indiquaient que les hommes avaient un taux de mortalité plus élevé que les femmesNote de bas de page 7Note de bas de page 8. D’autres études ont également établi que le sexe joue un rôle dans la réaction aux maladies infectieusesNote de bas de page 9Note de bas de page 10. Sur la base d’études sur le SARS et d’autres maladies infectieuses à tendance épidémiqueNote de bas de page 11, l’Organisation mondiale de la santé a encouragé la mise en œuvre de stratégies de communication, de promotion et de soins primaires basées sur le sexe.

Les premières données sur la mortalité selon le sexe de la pandémie actuelle de COVID-19 indiquent que les hommes recensent plus de décès liés à la COVID-19 que les femmes dans presque tous les pays pour lesquels de telles données sont disponiblesNote de bas de page 12. Malgré les observations préliminaires indiquant que le sexe joue un rôle dans l’évolution et la gravité de la maladie, peu de pays recueillent des données complètes sur les décès selon le sexe.

En raison de goulots d’étranglement dans les tests, les données sur les cas de la COVID-19 peuvent comporter d’éventuels biais en ce qui concerne des symptômes rapportés ainsi que des biais de sélection des manifestations plus graves de la maladieNote de bas de page 13. En revanche, les données sur les décès liés à la COVID-19 sont plus fiables. Par exemple, en avril 2020, les directives du ministère de la Santé de l’Ontario stipulaient que les personnes à haut risque telles que les travailleurs de la santé et les personnes vivant et travaillant dans des lieux de vie collective et leurs proches devaient être testées si elles présentaient des symptômesNote de bas de page 14. La disponibilité des tests étant un obstacle probable et les femmes étant plus susceptibles de signaler des symptômes corporels que les hommesNote de bas de page 15Note de bas de page 16Note de bas de page 17Note de bas de page 18, il pourrait y avoir un biais lié au sexe qui aurait pour effet que davantage d’hommes s’abstiennent de recourir ou de recevoir des soins adéquats.

La collecte de données de mortalité ventilées selon le sexe est essentielle pour une meilleure compréhension des disparités basées sur le sexe en ce qui concerne les manifestations graves de la COVID-19 et le risque de mortalité qui y est associéNote de bas de page 19. La connaissance de ces risques peut, à son tour, éclairer des recherches plus complètes et des interventions de santé publique équitables et efficaces, comme la communication ciblée sur la santé et les soins cliniques. Mettre l’accent sur la saisie des données est une façon réaliste d’amorcer la création d’un ensemble de données nationales ventilées selon le sexe et le genre. Cette revue se concentre sur la nécessité de recueillir des données ventilées selon le sexe, ce qui peut donner un aperçu du rôle que les différences biologiques peuvent jouer dans le risque de mortalité. Cependant, la collecte de données ventilées selon le sexe est également nécessaire pour déterminer le rôle des inégalités, des normes et des comportements basés sur le sexe, dans le risque de mortalité. Les données de mortalité ventilées selon le sexe pourraient donner une idée encore plus précise de la progression différentielle de la maladie selon les comportements liés aux normes de genreNote de bas de page 12Note de bas de page 20.

Situation actuelle

Le rôle du sexe dans le risque de mortalité de la COVID-19

Les femmes constituent une grande proportion du personnel de santé et sont plus exposées au risque de contracter le SARS-CoV-2Note de bas de page 21. Cela se reflète dans leur plus grande représentation parmi les cas confirmés de COVID-19 au CanadaNote de bas de page 6. Contrairement à la plupart des autres pays, les femmes représentent également une proportion plus importante de décès parmi les cas confirmés. À l’échelle mondiale, les premières études ont signalé des différences immunologiques basées sur le sexe comme explication partielle potentielle du plus grand nombre de décès liés à la COVID-19 chez les hommesNote de bas de page 22Note de bas de page 23. Diverses études basées sur des populations en Chine ont montré que la présence de certains problèmes de santé, tels que ceux pour lesquels le tabagisme est un facteur de risque, qui touchent davantage les hommesNote de bas de page 24, peut augmenter le risque de manifestations graves et les conséquences de la COVID-19Note de bas de page 25Note de bas de page 26. Des études dans des populations présentant des diversités ethniques et génétiques sont nécessaires pour mieux comprendre les différences dans l’expression de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) selon le sexe – l’ACE2 étant le récepteur du SARS-CoV-2 et son expression s’accentuant à cause du tabagisme – et son lien avec le risque de mortalitéNote de bas de page 27. L’observation selon laquelle les données sur la mortalité au Canada ne suivent pas la tendance mondiale des hommes présentant un risque de mortalité plus élevé pourrait être attribuable à d’autres facteurs propres au Canada. En l’occurrence, bien que le sexe soit un facteur, d’autres variables démographiques comme l’âge et d’autres facteurs génétiques peuvent également augmenter le risque de mortalité. Les effets de l’interaction de ces facteurs sur le risque de mortalité liée à la COVID-19 ne sont pas connus. En ce qui concerne les réponses à la COVID-19, certaines études utilisant des données de cas basées sur le sexe ont montré que des mesures de santé publique importantes, telles que les restrictions de voyage et la distanciation sociale, contribuaient à améliorer le contrôle de l’épidémie chez les deux sexesNote de bas de page 28Note de bas de page 29. Toutefois, les effets des mesures et politiques de santé publique sur le risque de mortalité selon le sexe ne sont pas connus.

Tendances des données de mortalité ventilées selon le sexe

En date du 10 juin 2020, des données de mortalité liées à la COVID-19 ventilées selon le sexe étaient disponibles pour différents paysNote de bas de page 20. Bien que le ratio hommes-femmes des cas confirmés variait selon les pays, les hommes représentaient une plus grande proportion des décès parmi les cas confirmés dans tous ces pays, à l’exception de deux parmi eux (figure 1). Par ailleurs, il existait plusieurs pays fortement touchés pour lesquels le ratio hommes-femmes parmi les cas confirmés de la COVID-19 ne pouvait être confirmé, notamment les États-Unis et la France.

Figure 1 : Ratio hommes-femmes des décès parmi les cas confirmés de la COVID-19 dans trente pays ayant le plus de décès en dehors du Canada où les données étaient disponibles en date du 10 juin 2020

Figure 1 : Ratio hommes-femmes des décès parmi les cas confirmés de la COVID-19 dans trente pays ayant le plus de décès en dehors du Canada où les données étaient disponibles en date du 10 juin 2020

Description textuelle : Figure 1

Figure 1 : Ratio hommes-femmes des décès parmi les cas confirmés de la COVID-19 dans trente pays ayant le plus de décès en dehors du Canada où les données étaient disponibles en date du 10 juin 2020

Figure 1 : Ratio hommes-femmes des décès parmi les cas confirmés de la COVID-19 dans trente pays ayant le plus de décès en dehors du Canada où les données étaient disponibles en date du 10 juin 2020
Pays Décès dans les cas confirmés
(Ratio hommes-femmes)
Pays-Bas 2,1
République dominicaine 1,9
Espagne 1,8
Belgique 1,8
Suède 1,8
Roumanie 1,8
Danemark 1,8
Angleterre 1,7
Italie 1,7
Pérou 1,7
Chine 1,7
Irlande du Nord 1,7
Mexique 1,6
Écosse 1,6
Équateur 1,6
Suisse 1,6
Philippines 1,5
Afrique du Sud 1,5
Allemagne 1,4
Indonésie 1,4
Autriche 1,4
Argentine 1,4
République tchèque 1,4
République d’Irlande 1,3
Portugal 1,3
Bangladesh 1,3
Colombie 1,2
Iran 1,1
Pakistan 1,0
Finlande 0,9

Étant donné que les données de mortalité ventilées selon le sexe à l’échelle mondiale sont quelque peu incomplètes, il est difficile d’établir l’influence du sexe dans le risque de mortalité liée à la COVID-19. Les données du gouvernement du Canada suggèrent que la répartition des décès selon le sexe au Canada ne suit pas la tendance qui a été observée dans d’autres pays très touchésNote de bas de page 6. Parmi les décès signalés en date du 9 juin 2020, le ratio hommes-femmes des décès parmi les cas confirmés était de 0,85. Cette observation peut être attribuable à des facteurs tels que la distribution par âge selon le sexe, la répartition des résidents des établissements de soins de longue durée et la répartition du personnel de santé de première ligneNote de bas de page 30Note de bas de page 31. Il justifie également l’exploration des éventuelles disparités fondées sur le sexe dans le contexte canadien dans des domaines tels que les interventions de santé publique, l’accès aux soins de santé et la progression de la maladie.

L’Agence de la santé publique du Canada conserve un ensemble de données qui comprend des informations relatives aux décès liés à la COVID-19 selon le sexeNote de bas de page 6. Cet ensemble de données est accessible au public sous une forme agrégéeNote de bas de page 6. Les données détaillées non agrégées sont obtenues auprès des provinces et territoires. Certaines informations peuvent manquer ou être décalées non seulement en raison des difficultés liées à la collecte des données à cause de la pandémie mais également en raison de difficultés liées à la collecte de données existant au préalable et exacerbées par la pandémie. Cet obstacle important peut empêcher l’enregistrement d’informations complètes et à jour et leur transmission au gouvernement fédéral pour une diffusion en temps opportun. Néanmoins, il est important que ces informations continuent d’être recueillies le mieux possible, car elles peuvent éclairer la recherche et l’intervention en santé publique. En outre, les cas de la COVID-19 admis à l’unité de soins intensifs (USI) ont connu des intervalles plus longs entre l’apparition de symptômes et l’hospitalisation que les cas non admis à l’USINote de bas de page 32. Par conséquent, les efforts de promotion de la santé encourageant les hommes à utiliser les services de santé plus tôt et plus efficacement peuvent être des mesures pratiques à mettre en œuvre.

Recommandations

En dépit des institutions locales, provinciales et nationales qui fonctionnent à pleine capacité et des difficultés que pourrait poser la disponibilité de ressources et de personnel dans certaines régions en cas de pandémie, il est recommandé de continuer de faire de grands efforts pour recueillir des données de mortalité ventilées selon le sexe au Canada et dans le monde. Une collaboration efficace entre les provinces et le gouvernement serait également un catalyseur pour la réalisation de cet objectif au Canada. Nous reconnaissons les efforts déployés par Statistique Canada, l’Agence de la santé publique au Canada, Santé Canada et d’autres partenaires fédéraux, en étroite collaboration avec les provinces, les territoires et les coroners pour fournir des statistiques de décès plus complètes et plus à jour. Ces données permettent d’intégrer des analyses basées sur le sexe dans les recherches relatives aux comportements et aux résultats en matière de santé entourant la COVID-19Note de bas de page 33 qui servent à éclairer les soins cliniques et la communication en matière de santé et à révéler comment les interventions de santé publique affectent différemment les hommes et les femmes. En termes de soins cliniques, de meilleurs résultats tels qu’une réduction de la mortalité pourraient être observés avec des interventions médicales basées sur le sexe si la progression de la maladie diffère entre les hommes et les femmes. En termes d’interventions de santé publique, la mise en œuvre de stratégies telles que des messages de communication sur la santé ciblés basés sur le sexe pourrait être plus efficace pour inculquer des principes de prévention au public masculin et féminin.

Afin de mieux comprendre la relation entre le sexe et la mortalité liée à la COVID-19, il est recommandé à tous les pays de s’efforcer de recueillir des données de mortalité ventilées selon le sexe et de les rendre accessibles. Alors que nous argumentons et plaidons pour la capture de données complètes ventilées selon le sexe, nous n’avons pas exploré la question du genre. Il est également important de saisir des données ventilées selon le genre, car elles peuvent révéler l’impact des inégalités, des normes et des comportements selon le genre dans le risque de mortalité lié à COVID-19.

Conclusion

Selon les premières données sur la pandémie de la COVID-19, les hommes représentent la plus grande proportion des décès liés à la COVID-19 dans la plupart des pays. Actuellement, la réponse canadienne à la pandémie de la COVID-19 comprend des politiques et des efforts de santé publique qui tiennent compte de divers aspects du SARS-CoV-2, tels que son infectiosité et ses voies de transmission. Cependant, il existe une opportunité de réduire le nombre de décès et les conséquences graves liés à la COVID-19 en intégrant le rôle du sexe dans le risque de mortalité dans une recherche plus complète et plus pertinente. Cette opportunité permettra également de mettre au point une réponse plus efficace pouvant inclure une communication sanitaire et des soins cliniques ciblés. Il est donc essentiel que ces données continuent d’être recueillies, accessibles et appliquées au Canada et dans d’autres pays touchés en temps opportun durant cette pandémie de la COVID-19.

Déclaration des auteurs

  • A. L. — Méthodologie, enquête, rédaction – première ébauche
  • R. E. — Conceptualisation, rédaction, révision et correction, supervision
  • C. A. — Rédaction – révision et correction
  • N. A. — Rédaction – révision et correction
  • I. G. J. — Rédaction – révision et correction
  • M. H. — Rédaction – révision et correction

Intérêts concurrents

Aucun.

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