Surconsommation d’antibiotiques dentaires au Canada post-COVID-19

Résumé

L'Organisation mondiale de la Santé a reconnu que la résistance aux antimicrobiens, due à la surprescription dans le secteur des soins de santé, y compris en dentisterie, était l'une des dix principales menaces pour la santé mondiale. La dentisterie est responsable d'environ 10 % des antibiotiques prescrits dans le monde et des recherches ont montré que jusqu'à 80 % des antibiotiques prescrits par les dentistes pourraient être non justifiés. Au cours des premiers mois de la pandémie de maladie à coronavirus 2019, lorsque les cabinets dentaires ne traitaient que les urgences dentaires, il est probable que les antibiotiques étaient prescrits plus facilement et pour une plus longue durée afin de différer le traitement des cas non urgents. Cette période sans précédent a renforcé la prise de conscience que de solides pratiques de l'intendance des antimicrobiens dentaires sont nécessaires au Canada pour maîtriser la surutilisation des antimicrobiens. Dans des pays comme le Royaume-Uni et l'Australie, des travaux importants sont en cours à cet égard. Le Canada a fait des progrès dans l'élaboration d'outils d'intendance des antimicrobiens destinés spécifiquement aux médecins en milieu communautaire, où la grande majorité des antibiotiques sont prescrits, et il est maintenant temps de s'intéresser à l'intendance des antimicrobiens dans le domaine des soins dentaires. Les investissements dans l'élaboration d'une base de données nationale sur les ordonnances dentaires, ainsi que les mécanismes de surveillance, d'éducation et de rétroaction, peuvent fortement contribuer à faire avancer la lutte contre la surconsommation d'antibiotiques par les dentistes au Canada.

Introduction

Lors de la réunion des ministres de la Santé du G7 à Berlin en mai 2022, la résistance antimicrobienne a été citée comme l'un des quatre domaines d'intérêt prioritaires, avec la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), la préparation aux futures pandémies et les risques sanitaires liés au changement climatique ^{Note de bas de page 1}. Les antibiotiques sont essentiels à la pratique de la dentisterie pour la prévention des infections à distance telles que l'endocardite infectieuse, comme adjuvants pour la prévention de certaines infections du site chirurgical et pour le traitement des infections odontogènes graves.

Au niveau mondial, la dentisterie est responsable d'environ 10 % des antibiotiques prescrits dans le secteur de la santé, et des recherches ont montré que jusqu'à 80 % des antibiotiques dentaires pourraient être non justifiés, avec de grandes variations entre les pays ^{Note de bas de page 2}. On ne dispose pas d'informations fiables sur la prescription par les dentistes dans la plupart des provinces canadiennes, mais les données de la base de données PharmaNet de la Colombie-Britannique indiquent qu'au cours d'une période de dix ans, les prescriptions d'antibiotiques par les médecins ont diminué de 18,2 %, tandis que les prescriptions par les dentistes ont augmenté de 62,2 % ^{Note de bas de page 3}. Les raisons de cette situation ne sont pas claires, mais les données autodéclarées d'une enquête menée en 2016 auprès des dentistes canadiens ^{Note de bas de page 4} indiquent que les dentistes comprennent mal les indications médicales ainsi que les procédures dentaires nécessitant une prophylaxie antibiotique pour la prévention de l'endocardite infectieuse. Une méconnaissance des changements apportés aux directives sur les antibiotiques pour les patients ayant subi une arthroplastie totale, une variation des pratiques de prescription parmi les dentistes pour l'antibioprophylaxie visant à prévenir les infections du site chirurgical, l'utilisation d'antibiotiques pour des conditions où les antibiotiques ne sont pas nécessaires et une surutilisation générale de la clindamycine et une sous-utilisation de la pénicilline V. En outre, lorsque la gestion la plus appropriée des infections dentaires (intervention chirurgicale) n'est probablement pas disponible, les visites chez les médecins de famille et les services d'urgence pour des conditions dentaires non traumatiques ^{Note de bas de page 5}, peuvent entraîner une prescription inappropriée d'antibiotiques.

La pandémie de COVID-19 a eu un impact profond sur la santé bucco-dentaire et les pratiques dentaires dans le monde entier. Les soins différés au cours des premiers mois de la pandémie ont créé un énorme retard dans les traitements dentaires nécessaires. Pendant les mois de triage virtuel ou de fermeture des bureaux, où seuls les soins les plus urgents étaient dispensés en personne, il n'est pas difficile d'imaginer que lorsque les patients présentaient des problèmes dentaires, les antibiotiques étaient prescrits plus facilement et pour une plus longue durée. Des données provenant du Royaume-Uni et de l'Alberta vont dans ce sens ^{Note de bas de page 6 Note de bas de page 7}. La contribution de la prescription dictée par les dentistes s'ajoute à l'augmentation globale de la prescription d'antibiotiques dans l'ensemble des soins de santé à la suite de la pandémie ^{Note de bas de page 8}.

Intendance des antimicrobiens dans le domaine dentaire

La Fédération dentaire internationale encourage toutes les associations dentaires nationales de toutes les économies à revenu faible, moyen et élevé à s'engager en faveur de l'intendance de l'utilisation des antimicrobiens en préconisant l'inclusion de la dentisterie dans les plans d'action nationaux et en soutenant leurs membres pour qu'ils prescrivent des antibiotiques à bon escient ^{Note de bas de page 9 Note de bas de page 10}. À ce jour, 58 associations dentaires nationales, dont l'Association dentaire canadienne, ont pris l'engagement de la Fédération dentaire internationale de s'attaquer à la résistance aux antibiotiques et d'améliorer la sécurité des patients dans leur pays en s'appuyant sur trois piliers : sensibiliser et faire comprendre les problèmes associés à cette résistance par une communication, une éducation et une formation efficaces; réduire l'incidence des infections dentaires par des mesures efficaces d'assainissement, d'hygiène et de prévention et de contrôle des infections; et optimiser l'utilisation des antibiotiques en santé humaine.

Les programmes d'intendance de l'utilisation des antimicrobiens dentaires se concentrent principalement sur la réduction de la prescription inappropriée d'antibiotiques. S'il est important de réduire l'utilisation des antibiotiques en dentisterie, l'importance des changements dans les taux de prescription pour les résultats des patients est mal comprise ^{Note de bas de page 11}. Il est important de vérifier que les torts causés aux patients sont également réduits par l'étude des résultats cliniques liés aux patients ^{Note de bas de page 11}. Du point de vue des sciences comportementales, il peut être difficile de convaincre les patients et les cliniciens d'éviter une prescription inutile d'antibiotiques en raison de sa contribution à la résistance aux antimicrobiens. Décrire les risques et les avantages individuels d'une prescription inutile d'antibiotiques peut contribuer à soutenir la prise de décision partagée afin d'éviter la prescription inutile d'antibiotiques ^{Note de bas de page 12}. À cette fin, des recherches sont en cours pour développer un consensus international sur un ensemble de résultats fondamentaux pour la gestion de l'utilisation des antimicrobiens dentaires ^{Note de bas de page 13}. À l'heure actuelle, cependant, les efforts consistent en une combinaison de diffusion de lignes directrices, de composantes éducatives pour les cliniciens et les patients, et d'audit et de retour d'information pour améliorer la prescription d'antibiotiques dentaires.

Les directives relatives à l'utilisation appropriée des antibiotiques dentaires se sont largement concentrées sur la prophylaxie des infections de site distant telles que l'endocardite infectieuse et les infections tardives des prothèses articulaires. Celles-ci varient considérablement d'une région à l'autre et font toujours l'objet d'une certaine controverse ^{Note de bas de page 14}. Au Canada, les lignes directrices de l'American Heart Association sont suivies pour la prévention de l'endocardite infectieuse ^{Note de bas de page 15} et la déclaration de consensus tripartite de l'Association dentaire canadienne, de l'Association canadienne d'orthopédie et de l'Association pour la microbiologie médicale et l'infectiologie Canada fournit des conseils solides contre l'utilisation d'antibiotiques pour les patients ayant subi une arthroplastie totale ^{Note de bas de page 16}. Des directives utiles ont récemment été publiées par l'American Dental Association sur l'utilisation des antibiotiques dans la gestion de la douleur dentaire et/ou de l'enflure intraorale ^{Note de bas de page 17}.

Les interventions éducatives destinées aux dentistes sont de plus en plus axées sur des boîtes à outils, conçues à l'aide de concepts issus de la littérature sur le changement de comportement et co-conçues avec les patients. Des travaux importants sont en cours au Royaume-Uni et en Australie à cet égard ^{Note de bas de page 18 Note de bas de page 19 Note de bas de page 20 Note de bas de page 21}. Bien qu'ils soient spécifiques à la prestation de soins dans ces pays, bon nombre des concepts et des outils peuvent être adaptés à la pratique dentaire canadienne. De même, dans le cadre de sa campagne Utilisation judicieuse des antibiotiques, Choisir avec soin a mis au point d'excellents outils pour les médecins et des ressources pour les patients, qui comprennent un « carnet d'ordonnances virales » et une ordonnance différée, ainsi que des affiches et des brochures éducatives ^{Note de bas de page 22}. Il est possible de tirer parti de ces travaux pour élaborer des stratégies de gestion des risques dentaires.

« Audit et rétroaction » est utilisé pour mesurer la pratique professionnelle d'un individu, la comparer aux objectifs, aux normes professionnelles ou aux performances des pairs, et fournir un retour d'information à l'individu pour améliorer la qualité des soins. Il peut conduire à des améliorations modestes, mais potentiellement importantes de la pratique professionnelle, en particulier lorsque les performances de base sont faibles et que le retour d'information est soigneusement conçu et délivré ^{Note de bas de page 23}. Cette méthode a permis d'améliorer la prescription d'antibiotiques dans la pratique médicale canadienne ^{Note de bas de page 24} et la prescription d'antibiotiques dentaires en Écosse ^{Note de bas de page 25}. Des études futures visant à évaluer l'approche conceptuelle la plus efficace en matière d'audit et de retour d'information sont prévues en médecine ^{Note de bas de page 26} et en dentisterie ^{Note de bas de page 27}. Cela dit, comme les soins dentaires sont financés et dispensés par le secteur privé au Canada, l'accessibilité aux données sur les ordonnances dentaires est un défi.

Comment pouvons-nous faire progresser la dentisterie canadienne?

Les efforts canadiens en matière d'intendance de l'utilisation des antimicrobiens dentaires en sont à leurs débuts, mais il y a un fort intérêt et un soutien pour aller de l'avant ^{Note de bas de page 28}. La profession dentaire canadienne est bien placée pour évaluer les programmes internationaux d'intendance de l'utilisation des antimicrobiens dentaires, ainsi que les programmes développés en médecine tels que les campagnes Choisir avec soin, afin de développer une stratégie pour un programme canadien d'intendance de l'utilisation des antimicrobiens dentaires. L'apprentissage à partir d'expériences internationales dans le domaine de l'odontologie peut offrir des possibilités de mettre en œuvre de telles stratégies dans le contexte canadien. Pour aider à faire avancer les choses, les auteurs ont reçu une subvention de recherche dans le cadre du concours triuniversitaire Manchester-Melbourne-Toronto (MMT) Research Fund en juin 2022. Le financement a pour but spécifique d'organiser un atelier à Toronto à l'automne 2023, dont l'objectif sera de développer un cadre stratégique et un plan d'action pour l'intendance de l'utilisation des antimicrobiens dans la dentisterie canadienne, avec des contributions internationales de chercheurs expérimentés dans le domaine de Manchester et Melbourne. L'engagement des principales parties prenantes et organisations dentaires et interprofessionnelles, ainsi que des patients et des membres du public, contribuera à façonner cette initiative et, nous l'espérons, à donner une impulsion au changement.

Conclusion

Il sera difficile de combler l'important manque de données sur la prescription d'antibiotiques par les dentistes. La mise en œuvre probable du Programme national de soins dentaires, qui vise plus de six millions de Canadiens, offre l'occasion d'établir une base de données sur les ordonnances dentaires à l'échelle nationale, qui pourra faire l'objet d'un suivi régulier afin d'appuyer l'examen des pratiques de prescription des dentistes participants dans les provinces et les territoires ^{Note de bas de page 29}. Les enseignements tirés de l'atelier peuvent suggérer d'autres processus à explorer à cet égard. Cela permettra également d'élaborer des processus d'audit et des stratégies de rétroaction afin de faire avancer les choses et d'optimiser les pratiques de prescription d'antibiotiques chez les dentistes canadiens.

Déclaration des auteurs

S. S. — Conception, revue de la littérature, analyse des résultats, rédaction du manuscrit et finalisation

K. B. — Révision du manuscrit, commentaires constructifs et finalisation

S. S. — Conception, revue de la littérature, analyse des résultats, rédaction du manuscrit et finalisation

Le contenu de l'article et les points de vue qui y sont exprimés n'engagent que les auteurs et ne correspondent pas nécessairement à ceux du gouvernement du Canada.

Intérêts concurrents

Les auteurs n'ont pas d'intérêts concurrents.

Remerciements

Aucun.

Financement

Les auteurs ont reçu une subvention de recherche dans le cadre du concours triuniversitaire Manchester-Melbourne-Toronto (MMT) Research Fund de juin 2022.