Surveillance génomique du SRAS-CoV-2


Publié par : L'Agence de la santé publique du Canada
Numéro : Volume 48-4, avril 2022 : La santé des Premières Nations
Date de publication : avril 2022
ISSN : 1481-8531
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Volume 48-4, avril 2022 : La santé des Premières Nations
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La nécessité d’une surveillance génomique liée du SRAS-CoV-2
Caroline Colijn1, David JD Earn2, Jonathan Dushoff3, Nicholas H Ogden4, Michael Li5, Natalie Knox6, Gary Van Domselaar6, Kristyn Franklin7, Gordon Jolly8, Sarah P Otto9
Affiliations
1 Département de mathématiques, Université Simon Fraser, Burnaby, BC
2 Département de mathématiques et de statistiques et Institut M. G. DeGroote pour la recherche sur les maladies infectieuses, Université McMaster, Hamilton, ON
3 Département de biologie et Institut M. G. DeGroote pour la recherche sur les maladies infectieuses, Université McMaster, Hamilton, ON
4 Division des sciences des risques pour la santé publique, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Saint-Hyacinthe, QC
5 Division des sciences des risques pour la santé publique, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Guelph, ON
6 Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada et département de microbiologie médicale et infectiologie, Université du Manitoba, Winnipeg, MB
7 Centre de l'immunisation et des maladies respiratoires infectieuses, Agence de la santé publique du Canada, Calgary, AB
8 Génomique et santé publique, Agence de la santé publique du Canada
9 Département de zoologie et Biodiversity Research Centre, Université de la Colombie-Britannique, Vancouver, BC
Correspondance
Citation proposée
Colijn C, Earn DJD, Dushoff J, Ogden NH, Li M, Knox N, Van Domselaar G, Franklin K, Jolly GW, Otto SP. La nécessité d’une surveillance génomique liée du SRAS-CoV-2. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2022;48(4):147–55. https://doi.org/10.14745/ccdr.v48i04a03f
Mots-clés : surveillance génomique, SRAS-CoV-2, variants viraux, COVID-19, épidémiologie, santé publique, partage des données
Résumé
La surveillance génomique au cours de la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a été essentielle pour repérer en temps utile les variants du virus ayant des conséquences importantes pour la santé publique, telles que les variants qui peuvent se transmettre et provoquer une maladie grave chez les personnes vaccinées ou guéries. L’émergence rapide du variant Omicron a mis en évidence la rapidité avec laquelle l’étendue d’une menace doit être évaluée. Le séquençage rapide et l’ouverture des institutions de santé publique au partage international des données de séquençage offrent une occasion sans précédent de le faire. Toutefois, l’évaluation des propriétés épidémiologiques et cliniques de tout nouveau variant reste un défi. Nous mettons ici en évidence un « groupe de quatre » sources de données clés qui peuvent aider à détecter les variants viraux qui menacent la gestion de la COVID-19 : 1) des données génétiques (séquence du virus), 2) des données épidémiologiques et géographiques, 3) des données cliniques et démographiques, et 4) des données sur la vaccination. Nous soulignons les avantages qui peuvent être obtenus en reliant les données de ces sources et en combinant les données de ces sources avec les données de séquences virales. Les défis considérables que représente la mise à disposition des données génomiques et les coupler avec les caractéristiques des virus et des patients doivent être comparés aux conséquences majeures de ne pas le faire, notamment si de nouveaux variants préoccupants apparaissent et se propagent sans être détectés et traités à temps.
Introduction
Depuis le début de la pandémie, le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2) a connu de multiples évolutions qui font grandir la menace qu’il représente pour la santé publique, avec une transmissibilité plus élevée (variants Alpha, Delta, Omicron)Note de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3Note de bas de page 4, un échappement immunitaire partiel (variants Bêta, Omicron)Note de bas de page 5Note de bas de page 6 et une gravité plus importante (variants Alpha, Delta)Note de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9. L’émergence et la propagation continue de nouveaux variants d’intérêt et de variants préoccupants sont susceptibles de compromettre notre capacité à gérer la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), avec des conséquences coûteuses pour la santé, les systèmes de soins de santé et les économies. Le virus du SRAS-CoV-2 fait face à une sélection hétérogène : les communautés fortement vaccinées et celles qui bénéficient d’une immunité importante à la suite d’une infection antérieure sont partiellement protégées, tandis que les communautés non vaccinées et celles dont la protection immunitaire diminue sont sensibles. Avec l’augmentation des niveaux d’immunité, la sélection devrait favoriser les variants qui échappent mieux à l’immunité induite par les vaccins ou les infectionsNote de bas de page 10. Il est particulièrement crucial de savoir si un nouveau variant du virus émerge avec des mutations qui augmentent 1) la capacité à infecter des individus vaccinés ou guéris, 2) la transmissibilité du virus et 3) la gravité de la maladie. La propagation rapide du variant Omicron a entraîné la demande la plus élevée jamais enregistrée dans les hôpitaux de nombreuses régions, bien que la maladie soit moins grave en moyenneNote de bas de page 11, ce qui souligne l’urgence de développer les méthodes et les processus de données permettant de répondre à ces questions à temps pour prendre les mesures préventives appropriées.
Il faut espérer que le SRAS-CoV-2 n’évoluera pas vers une transmissibilité plus élevée en même temps qu’une plus grande sévérité chez les personnes vaccinées ou guéries. La réponse immunitaire cellulaire est forte et complexeNote de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14, et les échecs vaccinaux (breakthrough) ont une gravité réduite par rapport aux infections chez les personnes non vaccinéesNote de bas de page 15. Avant l’apparition d’Omicron, les réponses anticorps induites par le vaccin restaient fortes pour une variété de variants préoccupantsNote de bas de page 16Note de bas de page 17, mais Omicron nous rappelle brutalement que des variants peuvent émerger et échapper de façon substantielle à nos réponses immunitairesNote de bas de page 1Note de bas de page 2Note de bas de page 3Note de bas de page 18, au moins en termes d’anticorps neutralisantsNote de bas de page 14Note de bas de page 18Note de bas de page 19Note de bas de page 20, réduisant considérablement la protection induite par le vaccin contre l’infectionNote de bas de page 21. Il n’y a aucune garantie que les futurs variants suivront le chemin d’Omicron en termes de gravité.
Les initiatives de séquençage du virus et les systèmes de surveillance génomique connexes donnent une image à résolution élevée et en temps quasi réel de l’évolution et de la propagation du SRAS-CoV-2 ainsi que des mutations dont la fréquence augmenteNote de bas de page 22. La mise en place de systèmes de surveillance capables de détecter l’évolution des caractéristiques virales ayant un impact sur les résultats cliniques et l’efficacité des mesures de contrôle est un objectif clé des efforts de séquençage viralNote de bas de page 23. Il est primordial d’évaluer rapidement le niveau de risque pour les efforts de contrôle en cas de nouveau variant émergent dont les répercussions sont incertaines, ce qui nécessite de multiples sources de données.
Données et liens nécessaires
Si les données génomiques seules permettent certaines déductions (e.g. cerner les cas qui sont liés et déterminer quelles mutations se produisent dans un nouveau variant), une valeur nettement supérieure peut être obtenue en combinant un « groupe de quatre » sources de données clés : données génétiques, données épidémiologiques et géographiques, données cliniques et démographiques, et données sur l’immunisation (ou le rétablissement).
Les données génétiques font référence aux attributs du virus. Nous nous sommes concentrés ici sur les données de la séquence du génome entier du SRAS-CoV-2, mais notons que les tests de réaction en chaîne par polymérase peuvent cerner des mutations ou des délétions précises sans séquençage complet du génome du virus et peuvent donc permettre une détection rapide des variants préoccupants.
Les données épidémiologiques et géographiques renvoient aux informations sur le contexte de transmission, y compris la localisation géographique et la raison du test ou du séquençage (e.g. si l’individu faisait partie d’une éclosion connue, était un voyageur, a fait l’objet d’un échantillonnage aléatoire, d’un échec vaccinal (breakthrough), était précédemment infecté ou a été testé pour d’autres raisons). Les données épidémiologiques comprennent également des informations sur la source et le lieu d’exposition : foyer d’infection en milieu de travail, à domicile, voyage, transmission communautaire, zoonose, travailleur de la santé, ainsi que toute autre information relative à l’enquête sur le contact (e.g. intérieur par rapport à extérieur, ventilation, milieu communautaire).
Les données cliniques et démographiques font référence aux attributs des personnes infectées par le SRAS-CoV-2, y compris les traitements administrés, les résultats (e.g. les symptômes, la gravité) et les aspects démographiques (e.g. l’âge, les comorbidités, les risques d’exposition).
Les données relatives à la vaccination (ou au rétablissement) font référence aux attributs d’une infection ou d’une vaccination antérieure à la COVID-19, notamment le(s) type(s) de vaccin, le nombre de doses et les dates des doses.
Ces données sont généralement recueillies par différentes parties d’un système de santé à différents moments et sont utilisées à des fins diverses, ce qui crée des difficultés pour le couplage des données. Les établissements médicaux gèrent l’évolution clinique de la maladie, la recherche des contacts et d’autres données sur les cas sont recueillies par les équipes épidémiologiques de la santé publique, le statut vaccinal peut figurer dans les dossiers médicaux ou n’être connu que de l’individu, tandis que les informations sur les séquences sont souvent recueillies dans des centres de séquençage spécialisés. En cours de route, des informations peuvent se perdre ou rester déconnectées. Les juridictions diffèrent quant à la mesure dans laquelle il est possible d’établir des liens entre ces données. Toutefois, la mise en relation de ces quatre sources de données est le moyen le plus prometteur de détecter rapidement les variants susceptibles de passer outre les mesures de confinement de la pandémie.
Occasions relatives aux données partielles
Il est essentiel de comprendre l’efficacité du vaccin par rapport à une variété de résultats (infection, symptômes, hospitalisation, décès), ainsi que la transmissibilité intrinsèque et la gravité chez les personnes vaccinées et non vaccinées. Ces caractéristiques peuvent évoluer rapidement à mesure que de nouveaux variants apparaissent et se propagent. Les liens avec les données génétiques permettent d’attribuer la transmissibilité, la gravité et l’efficacité des vaccins aux types de virus, et fournissent ainsi une meilleure base pour projeter les infections et la charge des soins de santé dans le contexte de la vaccination. L’évolution virale entraîne également un changement continu dans la classification d’un virus, car les noms ne sont donnés que lorsqu’un variant s’est répandu et est devenu suffisamment distinct (e.g. par Phylogenetic Assignment of Named Global Outbreak Lineages)Note de bas de page 24. Par conséquent, les données sur les cas avec les informations de lignage y étant liées doivent être mises à jour lorsque notre système de classification change, et cela n’est possible que si les liens avec les données de séquence, par opposition aux noms de lignage, sont maintenus.
Avec seulement des séquences virales et des dates d’échantillonnage, il est possible de cerner de nouveaux variants inhabituels, des salves de mutations, des lignées de « mutateurs » qui évoluent plus rapidement que prévuNote de bas de page 25Note de bas de page 26 ou des changements génétiques qui se propagent plus rapidement que prévu. Toutefois, une croissance rapide est difficile à interpréter. La croissance rapide pourrait être due aux caractéristiques virales, aux fluctuations épidémiologiques, aux introductions associées aux voyages ou aux artefacts d’échantillonnageNote de bas de page 26. Par exemple, le profil mutationnel du variant Omicron a suscité des inquiétudes, car il comprend à la fois de nouvelles mutations et un certain nombre de mutations déjà observées dans d’autres variants préoccupants, y compris des mutations connues pour permettre au virus d’échapper aux anticorps neutralisantsNote de bas de page 27. Grâce à son système de surveillance génétique, le ministère de la Santé d’Afrique du Sud a tiré la sonnette d’alarme au sujet d’Omicron (B.1.1.529; 25 novembre 2021) après avoir détecté le nouveau sous-variant et constaté sa propagation rapide en quelques semaines (première collecte le 11 novembre 2021). Les chercheurs ont remarqué des questions clés en suspens concernant l’effet de l’Omicron sur la transmissibilité, l’efficacité des vaccins et la gravité de la maladie, qui ne peuvent être déterminées à partir des seules données sur le nombre de séquences Omicron détectéesNote de bas de page 28.
Les domaines de la phylogéographie et de la phylodynamique ont permis d’utiliser les données sur les séquences virales pour déduire les mouvements géographiques des virus Note de bas de page 24Note de bas de page 25, identifier les facteurs de transmission dans les régions géographiquesNote de bas de page 29, estimer le nombre réel de reproductions dans le tempsNote de bas de page 30Note de bas de page 31 et relier les séquences virales aux modèles épidémiologiques pour une série d’applicationsNote de bas de page 32Note de bas de page 33. Toutefois, il existe des limites. Les analyses phylogéographiques sont affectées par les différences géographiques tant au niveau des taux d’échantillonnage que des stratégies. Les estimations phylodynamiques des nombres de reproductions dans le temps ont tendance à être rétrospectives, s’appliquent à de grandes populations de virus à l’échelle nationale ou internationale, présentent des degrés élevés d’incertitude et ne sont souvent pas immédiatement exploitables dans des lieux plus petits, là où les unités de santé publique doivent agir. La combinaison des données de séquence avec les trois autres groupes de données offre davantage de possibilités d’utiliser les séquences de virus pour comprendre la transmission, la gravité et l’immunité. Cette combinaison ne nécessite pas nécessairement des données liées à l’échelle individuelle. On pourrait faire beaucoup avec des données dépersonnalisées et même des données rapportées pour de petits groupes plutôt que des individus. Même la désagrégation des résultats par statut de variants préoccupants aurait une très grande valeur, comme cela a été noté récemment pour Omicron Note de bas de page 34.
Si le contexte épidémiologique est connu, il est possible de distinguer l’émergence d’un variant à taux de croissance élevé d’une croissance due à des « effets fondateurs » fortuits (e.g. des événements de supercontamination, des rassemblements sociaux parmi des personnes non vaccinées, des introductions par rapport à la transmission dans des établissements de soins ou un échantillonnage accru en raison d’une éclosion particulière)Note de bas de page 35Note de bas de page 36. En faisant cette distinction, on augmente la fiabilité de l’inférence et sa valeur pour la recherche et la santé publiqueNote de bas de page 36Note de bas de page 37. Par exemple, Volz et al. ont combiné les données de séquençage et de test de réaction en chaîne par polymérase avec la raison du séquençage (échantillons communautaires) et la géographie pour estimer la transmissibilité du variant Alpha B.1.1.7Note de bas de page 1. Les séquences virales peuvent également être liées à l’historique des voyages afin de surveiller la propagation des variants émergents et documenter les mesures de santé publique visant à limiter les importationsNote de bas de page 24Note de bas de page 38Note de bas de page 39.
Dans les éclosions à échantillonnage dense, l’établissement d’un lien entre les séquences virales et l’épidémiologie peut fournir des informations d’intérêt immédiat pour la prévention des infections, en particulier lorsque l’analyse peut être effectuée en temps réel. Lucey et al. ont utilisé les données de la séquence du génome entier pour déterminer les événements de transmission non détectés auparavant dans les infections nosocomiales. Ils ont trouvé des preuves que la transmission se faisait à partir de travailleurs de la santé symptomatiques et asymptomatiques, et qu’elle se produisait de manière disproportionnée chez les patients qui nécessitaient des niveaux élevés de soins infirmiers, ce qui permet d’améliorer les outils de préventionNote de bas de page 40. Dans le cadre d’une étude d’épidémiologie génomique en temps réel menée en Australie, le séquençage lié aux données épidémiologiques a permis d’indiquer la source probable de l’infection et de déterminer des liens précédemment inconnus entre les institutionsNote de bas de page 37Note de bas de page 41. L’établissement d’un lien entre les séquences virales et des données supplémentaires sur l’hôte et l’épidémiologie, comme le lieu d’exposition, permettrait également de détecter les mutations qui confèrent au virus un avantage précis au contexte, comme une transmission plus efficace à l’extérieur ou parmi des groupes d’âge précis.
La mise en relation des données de séquences virales avec les données de l’hôte sur l’âge, le sexe, la race, la profession, le type de logement, les comorbidités et d’autres données cliniques et démographiques permet de préciser les facteurs du virus et de l’hôte qui contribuent à la gravité de la maladie. Par exemple, Bager et al. ont utilisé des données liées pour les séquences virales, les résultats des hospitalisations et un grand nombre de covariables de l’hôte pour démontrer un rapport de risque rajusté d’hospitalisation plus élevé pour le variant AlphaNote de bas de page 42. De même, Fisman et Tuite ont estimé l’augmentation du risque d’hospitalisation, d’admission dans une unité de soins intensifs et de décès que présentent les variants contenant N501Y et le variant DeltaNote de bas de page 43. Une résolution plus poussée pourrait être obtenue avec la séquence du génome entier à la place des données de dépistage des variants préoccupants.
Il est essentiel de relier les données sur la vaccination et les séquences pour déterminer si les nouveaux types et variants émergents réduisent l’efficacité du vaccin et dans quelle mesure. Par exemple, Skowronski et al. ont établi un lien entre le typage des variants préoccupants, le statut vaccinal et les informations sur les tests pour montrer qu’une dose de vaccin d’acide ribonucléique messager (ARNm) avait une efficacité similaire contre les variants Alpha et Gamma et le variant non préoccupant SRAS-CoV-2Note de bas de page 44. L’examen d’agrégats spatio-temporels ou d’ensembles de séquences virales étroitement liées, ainsi que du statut vaccinal, nous renseigne sur la transmission potentielle. Si un groupe se compose principalement de personnes vaccinées, cela suggère une transmission considérable parmi ces personnes. Cependant, si les échecs vaccinaux (breakthrough) sont séquencées de manière préférentielle, un groupe apparent de cas de ces échecs pourrait ne pas inclure de nombreuses personnes non vaccinées qui ont constitué la majeure partie de la transmission. Pour les distinguer, il faut relier les séquences, le statut vaccinal et la raison du séquençage, qui peut inclure la recherche de contacts ou des informations sur le ménage.
L’ensemble des quatre groupes est nécessaire pour déterminer si un variant du virus peut être transmis par des personnes vaccinées et provoquer une maladie grave parmi elles : les données de séquence peuvent nous dire s’il s’agit d’un nouveau variant, les données épidémiologiques et les données de vaccination peuvent nous dire s’il est transmis parmi les personnes vaccinées, et les données cliniques indiqueront s’il provoque une maladie grave. Sans ces quatre groupes liés entre eux, partagés suffisamment rapidement et sur une zone assez large pour avoir une forte puissance statistique, il y aura des lacunes qui affaibliront considérablement notre capacité à surveiller l’évolution du phénotype du virus. Des données à petite échelle, mais agrégées et dépersonnalisées, peuvent suffire pour des alertes précoces et contribuer à dissiper les inquiétudes concernant la confidentialité.
Communication des données et puissance statistique
De nombreuses juridictions peuvent recueillir des séquences de virus et des données cliniques, épidémiologiques et d’immunisation, mais ne permettent pas de les relier entre elles en raison d’obstacles structurels ou autres. Cependant, même lorsque l’analyse conjointe de ces données est possible en temps opportun, il existe le défi supplémentaire qu’un variant ou un type émergent est nécessairement rare lorsqu’il apparaît pour la première fois. La communication des données entre les juridictions permet d’améliorer considérablement la puissance statistique en augmentant la quantité totale de données disponibles. Les délais de transmission des données constituent un problème supplémentaire. Même pour les pays qui partagent les données génomiques du virus par le biais de la base de données de la Global Initiative on Sharing All Influenza Data (Initiative mondiale sur la communication de toutes les données relatives à l’influenza), les délais peuvent atteindre plusieurs moisNote de bas de page 45. Ces délais importants entravent les efforts internationaux visant à suivre les variants et leurs mutations, à déterminer lesquels augmentent en fréquence et à quel endroit, à suivre les conséquences épidémiologiques et biologiques des variants et à élaborer une politique de santé publique efficaceNote de bas de page 45. En outre, même lorsque les séquences sont transmises en temps utile à la base de données de la Global Initiative on Sharing All Influenza Data, elles ne sont généralement pas communiquées avec les données épidémiologiques, cliniques, démographiques et d’immunisation. En effet, les obstacles à la communication des données de santé publique sont nombreux : van Panhuis et al. ont décrit des obstacles techniques, motivationnels, économiques, politiques, juridiques et éthiquesNote de bas de page 46. Nombre d’entre eux sont d’une pertinence quotidienne dans la pandémie de COVID-19.
Le respect des échéanciers est important
Pour qu’il ait des actions pratiques immédiates, ces couplages de données et ces analyses doivent être réalisés dans les plus brefs délais. Plus tôt un nouveau variant préoccupant peut être caractérisé, plus tôt les décideurs sont avertis du risque. Pour comprendre la propagation d’un variant préoccupant, il faut une solide surveillance génomique en temps réel avec un échantillonnage qui reflète la transmission communautaire ainsi que des rapports réguliers sur la composition de la population virale.
La mise en place d’une surveillance en temps opportun des variants préoccupants émergents pose des défis importants, qui diffèrent selon que l’on s’inquiète d’une augmentation de la gravité, de l’échappement immunitaire, de la transmissibilité ou d’une combinaison de ces éléments. Il faut de nombreuses infections avant de pouvoir estimer une différence de sévérité, mais les changements de sévérité détermineront l’impact sur la charge des soins de santé. Cependant, seule une minorité d’individus est atteinte d’une maladie grave, et il existe des délais inhérents entre l’infection et les résultats éventuels. Lorsque les risques liés aux besoins en matière d’hospitalisation et de soins aigus pourront être estimés, plusieurs centaines ou milliers d’infections auront eu lieu. Pour stratifier les estimations de la gravité en fonction des facteurs viraux, il faut encore plus de dossiers hospitaliers et donc plus d’infections (potentiellement des milliers). Ce problème peut être légèrement amélioré en se concentrant sur des mesures avec des décalages temporels minimes (e.g. les admissions à l’hôpital plutôt que l’occupation) et avec des rapports en temps opportun.
Les différences de transmissibilité sont susceptibles d’apparaître plus tôt que les différences de gravité, car la transmission se produit pour toutes les infections (alors que les conséquences graves se produisent pour une petite minorité). En effet, avec les variants Alpha et Delta, les augmentations de la transmissibilité ont été détectées bien avant les augmentations de la sévéritéNote de bas de page 1Note de bas de page 7. Les différences dans l’échappement immunitaire peuvent être ou non apparentes peu de temps après l’apparition des variants pertinents, selon le système de surveillance génomique (e.g. la priorité accordée aux infections dues à un échec vaccinal, l’étendue de la surveillance) et selon que le nouveau type provoque ou non une maladie grave chez les personnes vaccinées.
Un système de surveillance efficace nécessite également d’associer une détection rapide à une action rapide. Les responsables de la santé publique et les décideurs doivent déterminer quand prendre des mesures face à l’incertitude inhérente aux évaluations précoces des variants susceptibles d’accroître la transmission, la gravité ou l’échappement immunitaire. Les actions localisées précoces qui empêchent un variant préoccupant de se propager à grande échelle, bien que coûteuses à court terme, réduisent le risque de défis prolongés et globaux pour un contrôle efficace de la COVID-19.
Discussion
Une surveillance précise et en temps opportun nécessite une série d’expertises couvrant l’épidémiologie des maladies infectieuses, les statistiques, l’évolution des virus, la génomique et la santé publique. Les avantages ne proviennent pas seulement de la combinaison des données, mais aussi de la réalisation d’analyses conjointes, réunissant un éventail suffisant d’expertise pour augmenter les chances de détection précoce d’une menace émergente. De nombreuses approches standard utilisées pour estimer la transmissibilité, l’efficacité des vaccins et la gravité (e.g. les taux d’attaque, les modèles d’étude à test négatif) ne sont possibles qu’une fois la transmission communautaire bien établie. La conception de systèmes permettant d’avertir d’une éventuelle augmentation de la transmission, de l’échappement immunitaire et de la gravité alors que les cas sont encore peu nombreux nécessite l’intégration de nombreuses sources d’information et d’expertise ainsi que la conception et l’utilisation de méthodes analytiques conçues pour combiner ces flux de données. En outre, les progrès accomplis dans la mise en place d’une surveillance conjointe du SRAS-CoV-2 devraient profiter à la surveillance d’autres agents pathogènes respiratoires, notamment les nouveaux virus zoonotiques émergents et les agents pathogènes à forte charge de morbidité tels que la grippe et le virus respiratoire syncytial. Les progrès de la technologie de séquençage permettent également de séquencer de multiples agents pathogènes viraux prélevés sur des patients ou dans l’environnement, ce qui améliore la capacité à réagir rapidement à tout nouveau virus émergentNote de bas de page 47.
Il existe des précédents de systèmes de surveillance solides basés sur la génomique et reliés aux données cliniques et épidémiologiques. PulseNet CanadaNote de bas de page 48 est un réseau électronique virtuel qui assure une surveillance systémique des maladies entériques et veille à ce que les génomes des bactéries responsables soient rapidement séquencés. La présence de groupes de cas déclenche des enquêtes coordonnées sur les agrégats spatio-temporels, dans le cadre desquelles des données sont collectées et reliées à des séquences afin d’évaluer l’étendue totale de l’éclosion et d’en déterminer la source. Pour la surveillance du SRAS-CoV-2, le Réseau canadien de génomique COVID-19Note de bas de page 16 vise à établir un séquençage à grande échelle du virus et de l’hôte à l’échelle nationale pour éclairer la prise de décision et suivre l’évolution et la propagation du virus. Ces plateformes nationales peuvent permettre la mise en relation des données, soit avec un accès public, soit avec un accès privilégié accordé aux chercheurs agréés. Bien que, jusqu’à présent, au Canada, ces objectifs aient été entravés en partie en raison de l’accès limité ou retardé aux séquences de virus et de l’établissement limité de liens.
Tout au long de la pandémie de SRAS-CoV-2, le Royaume-Uni a été le chef de file mondial en matière de couplage de données, d’analyses et de communication publique dans ses efforts pour comprendre l’évolution du SRAS-CoV-2 et son impact sur la santé publique. Le COVID-19 UK Genomics ConsortiumNote de bas de page 49 effectue et coordonne le séquençage, avec plus de 1,5 million de génomes viraux accessibles au public depuis le 17 février 2022Note de bas de page 50. Les séquences sont liées à des informations cliniques et épidémiologiques et sont stockées en toute sécurité. Les agences de santé publique utilisent des données génomiques liées à des données cliniques, démographiques et épidémiologiques dans le cadre de la réponse de santé publique et peuvent fournir des informations sur la COVID-19 anonymisées sur les patients dans l’infrastructure nuagique dans la base de données Microbial Bioinformatics (CLIMB-COVID-19)Note de bas de page 51. Des systèmes sont en place pour permettre aux chercheurs d’accéder aux données.
Une récente séance d’information (SARS-CoV-2 VOC and variants under investigation in England: technical briefing 36) de la UK Health Security AgencyNote de bas de page 21 fournit un excellent exemple de l’impact de la recherche rendue possible par le couplage des données au Royaume-Uni. Ce rapport résume la recherche reliant Phylogenetic Assignment of Named Global Outbreak aux données de recherche des contacts, permettant de découvrir que la sous-lignée BA.2 d’Omicron a des intervalles de série plus courts que la sous-lignée BA.1, ce qui a un impact sur l’interprétation de la sélection (le taux de propagation plus élevé est en partie dû à une transmission plus rapide plutôt qu’à une transmission globale plus importante). L’établissement d’un lien avec les données sur la vaccination, les profils d’âge et la gravité de la maladie a permis d’estimer la protection contre les maladies graves et la charge probable des soins de santé liée au BA.2. La caractérisation de la montée en puissance de BA.2 par séquençage et criblage a permis d’estimer son taux de propagation, ce qui est nécessaire pour projeter la charge future de l’infection et de la maladie. Le rapport est le fruit de la collaboration d’équipes qui combinent leur expertise en génomique, en surveillance des éclosions, en recherche des contacts, en épidémiologie et en analyse des données, en reliant et en analysant les données émergentes dans des délais très rapides, au bénéfice de la communauté mondiale.
Au-delà des analyses à l’échelle nationale, la mise en relation des données à l’échelle locale peut fournir des informations importantes sur les voies de transmission et les risques d’éclosion. Par exemple, les outils liés à l’épidémiologie génomique ont été utilisés pour examiner la transmission à l’échelle des éclosionsNote de bas de page 52Note de bas de page 53Note de bas de page 54Note de bas de page 55Note de bas de page 56. En mettant en relation les séquences, les résultats cliniques, les données épidémiologiques et le statut vaccinal, ces analyses locales peuvent alerter la santé publique de l’émergence d’un agrégat spatio-temporel préoccupant. S’il y avait un agrégat croissant avec une transmission parmi les individus vaccinés et une sévérité élevée, cela pourrait être détecté rapidement. Les analyses à l’échelle nationale et locale nécessitent la mise en relation de systèmes de données disparates par le biais d’identifiants uniques, une collaboration entre plusieurs disciplines et un processus permettant aux chercheurs d’accéder aux données liées pour élaborer et valider des méthodes.
Conclusion
Le virus du SRAS-CoV-2 va continuer à évoluer. Nous ne pouvons pas prédire où les nouveaux variants préoccupants apparaîtront ni compter sur leur détection précoce dans les endroits où la surveillance génomique est forte. Plus nous mettrons en place des systèmes de surveillance solides dans le monde entier, avec des données et des liens de qualité élevée, plus nous serons en mesure de détecter rapidement les nouveaux variants et d’agir en conséquence. De nombreux pays riches ont des taux de vaccination élevés, ce qui entraîne la sélection de variants ayant la capacité de se transmettre parmi les individus vaccinés. Avec les nombreux voyages internationaux, les variants émergents pourront migrer rapidement dans le monde entier, et ceux qui échappent à l’immunité ne seront pas aussi touchés par les exigences en matière de vaccination. Dans le pire des cas, l’évolution virale pourrait compromettre la capacité de la vaccination d’atténuer la pandémie, même dans les pays qui n’ont pas encore atteint des taux de vaccination élevés. Les pays qui disposent des ressources nécessaires pour réaliser des volumes importants de séquençage et mettre en place des programmes de surveillance étroitement liés sont également ceux qui ont le plus bénéficié de programmes de vaccination précoces et étendus. Il est important de développer et de soutenir une surveillance génomique solide permettant de suivre les phénotypes du virus afin de garantir que les vaccins restent efficaces pour le reste du monde.
Déclaration des auteurs
- C. C. — A conçu le projet, a dirigé les discussions avec tous les auteurs, a rédigé la première ébauche
- S. O. — Revue de la littérature
- N. O. — Revue de la littérature
- G. J. — Revue de la littérature
- G. v. D. — Revue de la littérature
Tous les auteurs ont procédé à la révision et à l’édition des textes. Tous les auteurs ont contribué au texte et approuvé le manuscrit final.
Intérêts concurrents
Aucun.
Remerciements
Aucun.
Financement
Nous tenons à remercier le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie pour son soutien financier (CANMOD; RGPIN/06624-2019). D. J. D. E. et J. D. remercient l’Institut M. G. DeGroote pour la recherche sur les maladies infectieuses (IIDR) de l’Université McMaster pour son soutien. S. O. est soutenu par le CRSNG RGPIN-2016-03711. Les commanditaires des sources de financement n’ont pas été impliqués dans ce travail.

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