Découverte d’une anaplasmose granulocytaire humaine en Estrie, au Québec

RMTC

Volume 48-5, mai 2022 : Infections acquises par transmission vectorielle–Partie 1 : tiques & moustiques

Aperçu

Identification d'un agrégat inhabituel d'anaplasmose granulocytaire humaine dans la région de l'Estrie, Québec, Canada, en 2021

Laurence Campeau1, Valérie Roy2, Geneviève Petit3,4, Geneviève Baron3,4, Jacinthe Blouin4, Alex Carignan2

Affiliations

1 Programme canadien d'épidémiologie de terrain, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa, ON

2 Département de microbiologie et d'infectiologie de l'Université de Sherbrooke, Sherbrooke, QC

3 Direction de la santé publique de l'Estrie, Sherbrooke, QC

4 Département des sciences de la santé communautaire de l'Université de Sherbrooke, Sherbrooke, QC

Correspondance

laurence.campeau@phac-aspc.gc.ca

Citation proposée

Campeau L, Roy V, Petit G, Baron G, Blouin J, Carignan A. Identification d'un agrégat inhabituel d'anaplasmose granulocytaire humaine dans la région de l'Estrie, Québec, Canada, en 2021. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2022;48(5):212–9. https://doi.org/10.14745/ccdr.v48i05a02f

Mots-clés : Anaplasma phagocytophilum, anaplasmose granulocytaire humaine, maladie transmise par les tiques, zoonoses

Résumé

Contexte : L'anaplasmose granulocytaire humaine (AGH) est une infection potentiellement grave transmise par les tiques et causée par la bactérie Anaplasma phagocytophilum (A. phagocytophilum) du genre Rickettsia. Le présent article décrit les caractéristiques épidémiologiques et cliniques d'un agrégat inhabituel d'AGH détectés dans la région de l'Estrie, au Québec, Canada, pendant la saison de transmission 2021.

Méthodes : Les cas confirmés d'AGH se définissent comme des personnes ayant eu des manifestations cliniques typiques et un résultat positif à l'épreuve d'amplification en chaîne par polymérase (PCR). Les entrevues avec les cas ont été effectuées à l'aide d'un questionnaire structuré et les données cliniques provenant des dossiers médicaux des patients.

Résultats : Au total, 25 cas confirmés ont été identifiés pendant la saison de transmission 2021, ce qui représente le plus grand nombre de cas d'AGH rapportés dans une même région au Canada. Les symptômes les plus fréquemment décrits étaient la fièvre, la fatigue et les maux de tête. Les analyses de laboratoire ont révélé que 20 (80 %) patients présentaient une thrombocytopénie et que 18 (72 %) présentaient une leucopénie au moment de la consultation initiale. Près de la moitié des patients ont dû être hospitalisés (n = 11, 44 %) pour une durée médiane de quatre jours (écart interquartile [EI] de 2,5 à 5 jours) et un patient a nécessité des soins intensifs. Aucun décès n'a été enregistré pendant l'étude. L'investigation épidémiologique a révélé que tous les cas avaient contracté la maladie au Canada et que l'entretien du terrain était l'activité à risque la plus couramment mentionnée par les cas. Seulement sept (28 %) cas avaient remarqué une morsure de tique dans les deux semaines précédant l'apparition des symptômes.

Conclusion : La détection de cet agrégat inhabituel d'AGH nous indique que A. phagocytophilum semble désormais établie le long de la frontière sud du Québec. Les cliniciens devraient tenir compte de l'AGH lorsqu'ils évaluent les patients qui présentent des symptômes compatibles et qui sont en contact avec des environnements où le risque de morsures de tiques sont élevé.

Introduction

L'anaplasmose granulocytaire humaine (AGH) est une infection transmise par les tiques et causée par la bactérie Anaplasma phagocytophilum (A. phagocytophilum) du genre Rickettsia. Dans le nord-est de l'Amérique, le principal vecteur de la maladie est Ixodes scapularisNote de bas de page 1, communément appelée la tique à pattes noires, qui transmet également Borrelia burgdorferi, l'agent causal de la maladie de Lyme. Les personnes infectées par A. phycocytophilum développent habituellement des symptômes non spécifiques comme de la fièvre, des frissons, des myalgies, des malaises, des céphalées importantes et des symptômes gastro-intestinaux une à deux semaines après l'expositionNote de bas de page 2. Bien que la maladie puisse être grave et potentiellement mortelle si elle n'est pas traitée, le traitement antimicrobien entraîne généralement la résolution des symptômes dans les 48 heuresNote de bas de page 3.

L'anaplasmose granulocytaire humaine est endémique principalement dans la partie supérieure du Midwest et dans le nord-est des États-UnisNote de bas de page 4. Au cours des dernières années, la bactérie A. phagocytophilum a été détectée dans les populations de tiques de toutes les provinces canadiennes. Néanmoins, les données sur les infections à l'AGH chez les humains dans le contexte canadien sont limitées parce que l'AGH est une maladie à déclaration obligatoire uniquement au Manitoba et au Québec. Ainsi, entre 2015 et 2019, 37 cas confirmés ont été déclarés au ManitobaNote de bas de page 5. Au Québec, trois cas confirmés ont été déclarés à la santé publique depuis que la maladie est devenue assujettie à la déclaration obligatoire pour les laboratoires en 2019. Ceci incluait notamment un cas provenant de la région de l'Estrie, une région située le long de la frontière sud de l'est du Québec (communication personnelle, Institut national de santé publique du Québec [INSPQ]). Le présent article décrit les caractéristiques épidémiologiques et cliniques d'un agrégat inhabituel d'AGH identifié dans la région de l'Estrie pendant la saison de transmission 2021.

Méthodes

Contexte, population et conception de l'étude

Nous avons effectué l'analyse rétrospective de cas dans la région de l'Estrie, au Québec, qui compte une population totale de 489 479 personnesNote de bas de page 6. Cette région, où l'on retrouve la majorité des cas de maladie de Lyme de la province, partage sa frontière sud avec trois des huit États des États-Unis ayant l'incidence la plus élevée d'AGH, soit le Vermont, le New Hampshire et le MaineNote de bas de page 4. L'échantillon étudié comprenait tous les cas d'anaplasmose confirmés dans cette région entre le 1er mai 2021 et le 20 novembre 2021. Un cas confirmé d'AGH se définit comme une personne ayant eu des manifestations cliniques typiques et un résultat positif au test d'amplification en chaîne par polymérase (PCR)Note de bas de page 7. Comme l'anaplasmose est une maladie à déclaration obligatoire au Québec, la liste des patients ayant obtenu un résultat de PCR positif a pu être extraite de la base de données régionale des maladies à déclaration obligatoire de la Direction de la santé publique de l'Estrie.

Méthodes de laboratoire utilisées pour détecter les infections transmises par les tiques

Tous les tests diagnostiques et les tests microbiologiques de confirmation pour la bactérie Anaplasma phagocytophilum et pour d'autres co-infections potentielles ont été effectués soit au Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg au Manitoba, au Laboratoire de santé publique du Québec à Sainte-Anne-de-Bellevue au Québec ou au Centre de référence national en parasitologie de Montréal au Québec. Les méthodes détaillées des analyses de laboratoire sont présentées dans l'annexe.

Collecte des données

Une médecin-résidente en microbiologie médicale et maladies infectieuses et une épidémiologiste de terrain ont effectué, en collaboration avec l'équipe des maladies infectieuses de la Direction de la santé publique de l'Estrie, une analyse des dossiers médicaux de trois différents hôpitaux du Centre intégré universitaire de santé et services sociaux de l'Estrie — Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSS de l'Estrie — CHUS), où les cas confirmés ont été évalués et traités. Un formulaire standardisé d'extraction de données a été utilisé pour la collecte de données. Ce questionnaire a été élaboré par notre équipe de recherche à la suite d'une revue initiale de la littérature et d'un essai préalable sur un patient. Les données démographiques et cliniques, incluant les résultats de laboratoire et les traitements administrés, ont été collectées. L'indice de comorbidité de CharlsonNote de bas de page 8 a également été calculé selon les antécédents médicaux. Un questionnaire normalisé visant à évaluer les antécédents de morsures de tiques et les sources possibles d'exposition a été élaboré. Ce dernier incluait l'emplacement, les activités effectuées et leur fréquence. Des entrevues téléphoniques ont été réalisées avec tous les patients. Les activités effectuées dans les deux semaines précédant l'apparition des symptômes étaient jugées à risque si elles se déroulaient dans une région connue pour être endémique pour la maladie de Lyme et que l'endroit était propice aux tiques (e.g. herbes hautes, broussailles ou zones boisées). Si une personne avait pratiqué plusieurs activités à risque durant ces deux semaines, toutes les activités étaient incluses dans l'analyse descriptive.

Information géographique et visualisation des données

Les données spatiales ont été téléchargées dans un logiciel SIG (QGIS 3.10.9) pour pouvoir créer une carte du lieu de résidence des cas confirmés.

Analyse statistique

Le nettoyage des données et les analyses descriptives ont été effectués à l'aide d'Excel 2016 et de Stata version 15.1 (StataCorp, College Station, Texas, États-Unis).

Approbation en matière d'éthique

Le Comité d'éthique clinique et organisationnelle du CIUSSS de l'Estrie-CHUS a approuvé cette étude (projet no 2022-4465).

Résultats

Pendant la période de l'étude, 25 cas confirmés ont été recensés dans la région de l'Estrie (figure 1). Le tableau 1 résume les caractéristiques démographiques et cliniques des patients. La majorité des cas étaient de sexe masculin (n = 15, 60 %) avec un âge médian de 65 ans. Tous les cas étaient des résidents permanents ou saisonniers des régions de La Pommeraie ou de la Haute-Yamaska au moment de l'exposition, et la majorité d'entre eux résidaient dans la ville de Bromont (n = 16, 64 %). Aucun des cas n'a déclaré avoir voyagé à l'extérieur de la province pendant les deux mois précédents l'infection. L'activité la plus souvent rapportée par les patients était l'entretien du terrain (n = 22, 88 %), ce qui inclut le jardinage, la tonte du gazon et la coupe de bois. En outre, 48 % (n = 12) des cas ont indiqué avoir pratiqué des activités récréatives de plein air, comme la marche, le vélo de montagne et le tir, alors que cinq (20 %) personnes ont plutôt mentionné une exposition possible lors de soins à des animaux de ferme ou en visitant une ferme. Dans l'ensemble, 28 % (n = 7) des cas avaient aperçu une tique sur leur peau dans les deux semaines précédant l'apparition des symptômes.

Figure 1 : Lieu de résidence des cas confirmés d'anaplasmose granulocytaire humaine dans la région de l'EstrieFigure 1 Note de bas de page a en 2021

Figure 1

Description textuelle : Figure 1

Ce graphique présente le nombre de cas d'anaplasmose granulocytaire humaine confirmés en laboratoire et déclarés dans la région de l'Estrie du 1er mai 2021 au 20 novembre 2021. La plupart des patients ont développé des symptômes en juin (n = 9) ou en juillet (n = 11), avec un nombre de cas allant de 1 à 4 par semaine.


Tableau 1 : Caractéristiques des cas confirmés d'anaplasmose granulocytaire humaine
Caractéristique n = 25
n %
Sexe
Femme 10 40 
Homme 15 60 
Âge
En années, médiane (EI) 65 53–70
Municipalité de résidence
Bedford 1
Bolton Ouest 1
Bromont 16 64 
Cowansville 1
Granby 2
Waterloo 2
Brome ouest 2
Activités à risque signaléesTableau 1 Note de bas de page a
Entretien du terrain 22 88 
Activité récréative en plein air 12 48 
Visite d'une ferme ou soins aux animaux 5 20 
Voyages récents hors de la province 0
Piqûre de tique deux semaines ou moins avant l'apparition des symptômes 7 28 
Indice de comorbidité de Charlson
0 21 84 
1 2
2 ou plus 2
Symptômes et signes cliniques
FièvreTableau 1 Note de bas de page b 25 100 
Durée de la fièvre en jours (médiane [EI])Tableau 1 Note de bas de page c 4 2–5
Transpiration 17 68 
Fatigue 24 96 
Myalgie 20 80 
Arthralgie 12 48 
Vomissements 11 44 
Diarrhée 9 36 
Douleurs abdominales 8 32 
Maux de tête 22 88 
Toux 5 20 
Dyspnée 5 20 
Erythème migrant 0
Éruption cutanée non spécifique 2
Résultat
Hospitalisation 11 44 
Durée de l'hospitalisation en jours (médiane [EI]) 4 2,5–5
Unité des soins intensifs 1
Décès 0
ImmunosuppressionTableau 1 Note de bas de page d 3 12 

La plupart des patients ont présenté des symptômes en juin (n = 9) ou en juillet (n = 11) (figure 2). Tous les cas ont eu de la fièvre et ont présenté des symptômes tels de la fatigue (n = 24; 96 %), des céphalées (n = 22; 88 %), des myalgies (n = 20; 80 %) et des sueurs (n = 17; 68 %). Une proportion importante de patients ont présenté des symptômes gastro-intestinaux tels que des vomissements (n = 11; 44 %), de la diarrhée (n = 9; 36 %) et des douleurs abdominales (n = 8; 32 %). Deux patients (8 %) ont signalé une éruption cutanée. Dans les deux cas, les éruptions étaient inférieures à 5 cm de diamètre et, par conséquent, n'étaient pas caractéristiques d'un érythème migrant. Le tableau 2 présente les résultats détaillés des analyses hématologiques et biochimiques effectuées en laboratoire. Les anomalies laboratoires les plus fréquentes étaient la leucopénie (n = 18/25; 72 %), la thrombocytopénie (n = 20/25; 80 %) et une légère élévation de l'alanine aminotransférase (n = 14/24; 58 %).

Figure 2 : Cas confirmés d'anaplasmose granulocytaire humaine dans la région de l'Estrie par semaine d'apparition des symptômes, Québec, 2021

Figure 2

Description textuelle : Figure 2

Cette carte représente la région de l'Estrie au Québec. Les points rouges représentent le lieu de résidence des cas confirmés d'anaplasmose granulocytaire humaine. Ils indiquent que 16 des cas se trouvent à proximité de la ville de Bromont. Les autres municipalités indiquées sur la carte sont Bedford, Bolton-Ouest, Cowansville, Granby, Waterloo et West-Brome, avec un ou deux cas confirmés dans chacune.


Tableau 2 : Résultats de laboratoire hématologiques et biochimiques
Résultats hématologiques et biochimiques n = 25
Médiane EI
Leucocytes (1 x 109/L)
Valeur au moment de la présentation 3,3 2,5–5,2
Valeur la plus basse 2,9 2,1–3,4
Neutrophiles (1 x 109/L)
Valeur au moment de la consultation initiale 2,4 1,4–3,9
Valeur la plus basse 1,4 0,9–1,7
Lymphocytes (1 x 109/L)
Valeur lors de la consultation initiale 0,7 0,2–1,0
Valeur la plus basse 0,6 0,2–1,0
Valeur la plus élevée 2,5 1,5–3,7
Plaquettes (1 x 109/L)
Valeur lors de la consultation initiale 114 72–141
Valeur la plus basse 76 61–123
AnémieTableau 2 Note de bas de page a (n, [%]) 9 36 %
Alanine aminotransférase (IU/L)
Valeur lors de la consultation initiale 61,5 36,8–122,8
Valeur maximale 80 58,5–224,5
Protéine C-réactive (mg/L)
Valeur lors de la consultation initiale 82 35,5–171
Valeur maximale 94,5 35,8–184,5
Insuffisance rénale aiguëTableau 2 Note de bas de page b 3 12 %

Près de la moitié des patients ont dû être hospitalisés (n = 11, 44 %) pendant une durée médiane de quatre jours (écart interquartile [EI] de 2,5 à 5 jours) et un patient a eu besoin de soins intensifs. Les patients hospitalisés étaient légèrement plus âgés que ceux n'ayant pas nécessité d'hospitalisation, mais cette différence n'était pas statistiquement significative (67,0 vs 61,3 ans; p = 0,2). Aucun des patients n'est décédé pendant la période de l'étude. Tous les patients ont été traités avec de la doxycycline pendant une durée médiane de 14 jours (EI entre 14 et 16 jours).

Les résultats des tests diagnostiques pour l'anaplasmose et les autres coinfections potentielles sont présentés dans le tableau 3. La sérologie Anaplasma phagocytophilum (épreuve d'immunofluorescence indirecte) a été effectuée chez 21 patients pendant la phase aiguë de l'infection et des anticorps ont été détectés chez quatre d'entre eux. Des tests répétés pendant la période de convalescence ont été effectués sur deux patients; aucun n'a présenté une hausse de quatre fois des titres d'anticorps. Il est intéressant de noter que chez les patients qui présentaient une sérologie positive (n = 4), le délai entre le début des symptômes et le moment où était réalisé la sérologie était beaucoup plus long que chez les patients dont la sérologie était négative (médiane de 18,5 jours comparativement à 4,0 jours), et on a obtenu un résultat indéterminé pour la sérologie chez un patient qui avait été prélevé sept jours après l'apparition des symptômes. Chez trois patients, des frottis sanguins ont montré la présence de morules au sein de neutrophiles, en plus de résultats positifs à l'épreuve PCR. Dans le cas des autres co-infections, 11 patients sur 23 ont obtenu un résultat positif au test d'immunologie enzymatique (EIA) pour la sérologie de la maladie de Lyme. Chez ces patients, sept ont obtenu un résultat positif au test de confirmation pour le Line Blot IgM isolé et quatre ont obtenu un résultat positif au test WB IgG pour la maladie de Lyme.

Tableau 3 : Résultats des tests de diagnostic pour l'anaplasmose et d'autres co-infections potentielles
Agent pathogène Test de diagnostic (résultats positifs/nombre total de tests effectués)
Amplification en chaîne par la polymérase Sérologie Frottis sanguin
Anaplasma phagocytophilum 25/25 4/21Tableau 3 Note de bas de page a 3/4Tableau 3 Note de bas de page b
Borrelia burgdorferi 0/1

EIA : 11/23Tableau 3 Note de bas de page c

WB IgG : 4/11

Line Blot IgMTableau 3 Note de bas de page d : 7/7

s.o.

Babesia microti 0/19 0/14

0/18

Discussion

Le présent article décrit les caractéristiques épidémiologiques et cliniques d'un agrégat d'AGH en Estrie, une région située le long de la frontière sud du Québec. Au total, 25 cas ont été confirmés en 2021, ce qui représente le plus grand nombre de cas d'AGH recensés pendant une saison de transmission au Canada. Depuis le premier cas d'AGH déclaré au Canada en 2009Note de bas de page 9 , les données de surveillance montrent que la séroprévalence de l'AGH a augmenté dans les populations du Manitoba et de l'OntarioNote de bas de page 10Note de bas de page 11. Néanmoins, un article portant sur trois cas au Manitoba est la seule autre série de cas accessible au public qui décrit un ensemble de cas confirmés d'AGH au CanadaNote de bas de page 10.

Comme l'ont indiqué précédemment les programmes de surveillance acarologique, nos données suggèrent que A. phagocytophilum pourrait maintenant établie dans les populations de tiques à pattes noires de la région de l'EstrieNote de bas de page 12. Ces résultats concordent également avec une étude récente qui suggère un agrandissement des zones géographiques présentant des conditions favorables aux réservoirs de tiques et d'hôtes, comme les souris et les cerfs, ce qui favorise l'émergence de maladies transmises par les tiques dans de nouvelles régionsNote de bas de page 13. Avant 2021, seuls trois cas confirmés d'anaplasmose humaine avaient été déclarés à la santé publique au Québec, dont un dans la région de l'EstrieNote de bas de page 14.

Dans cette étude, la plupart des cas observés étaient des hommes, ce qui concorde avec la littérature scientifique indiquant que les hommes sont plus susceptibles d'adopter des comportements qui les exposent au risque de morsure de tiqueNote de bas de page 15Note de bas de page 16. Seuls quatre patients étaient âgés de moins de 50 ans; toutefois, cela pourrait être en partie explicable par une probabilité accrue d'infections asymptomatiques chez les plus jeunes. Pendant la période d'exposition, l'entretien du terrain était l'activité à risque la plus souvent indiquée par les cas. Ce constat est similaire à celui émis par Porter et al., qui ont constaté que les travaux d'entretien du terrain étaient l'activité la plus souvent mentionnée par un échantillon de personnes ayant soumis des tiques au moyen d'un système de surveillance passive des tiques dans le nord-est des États-UnisNote de bas de page 17.

La plupart des cas présentaient des symptômes non spécifiques comme de la fièvre, des céphalées et de la fatigue. Les symptômes digestifs étaient également prévalents dans notre série de cas. Des résultats anormaux aux analyses de laboratoire, incluant la leucopénie, la thrombocytopénie et des taux élevés de transaminases hépatiques, ont été retrouvés chez la majorité des patients. Ces données concordent avec les présentations cliniques et paracliniques récemment publiéesNote de bas de page 1Note de bas de page 18. La proportion de patients hospitalisés observée dans notre échantillon était légèrement plus élevée que celle indiquée dans les données de surveillance nationale recueillies aux États-Unis de 2008 à 2012 (44 % vs 31 %)Note de bas de page 3. Les taux d'hospitalisation plus élevés étaient probablement attribuables au fait que l'AGH n'est pas encore une maladie bien reconnue dans notre région et les médecins peuvent être moins susceptibles de l'identifier lors des consultations externes.

Il a été rapporté dans la littérature que parmi les patients présentant une sérologie positive pour Anaplasma phagocytophilum, 4 à 36% avaient également une sérologie positive à Borrelia burgdorferi ou à Babesia microtiNote de bas de page 1. Il est intéressant de noter que près de la moitié de nos patients présentaient une sérologie positive pour la maladie de Lyme, mais que seuls deux d'entre eux ont indiqué avoir eu une éruption cutanée non spécifique, ce qui n'est pas un signe classique d'érythème migrant. Parmi les résultats positifs aux EIA (n = 11), quatre étaient aussi positifs pour l'IgG (déterminé par WB), une méthodologie conforme à l'approche des tests à deux niveaux actuellement utilisée au Canada. Pour les cas ayant un résultat positif à l'EIA et une IgG négative, la positivité de l'IgM a été démontrée dans tous les cas (à l'aide de la méthode Line Blot). Bien que les titres IgM soient généralement reconnus pour indiquer une infection récente, le test comporte des limites. L'IgM peut être faussement positif et le rester pendant des mois ou des années après l'infection initialeNote de bas de page 1. Par conséquent, même si une proportion élevée des patients de notre série de cas ont reçu un résultat positif à l'IgM, il est difficile de conclure que tous les patients avaient une co-infection, surtout sans historique d'érythème migrant. La sérologie de phase convalescente aurait aidé à confirmer la co-infection précoce avec la maladie de Lyme si l'IgG s'était développé par la suite, mais ces résultats n'étaient pas disponibles au moment de la présentation du manuscrit. Aucune co-infection avec Babesia microti n'a été diagnostiquée dans notre série. Ce résultat était attendu puisque selon les programmes de surveillance acarologiqueNote de bas de page 12 , on ne trouve pas souvent ce parasite chez les tiques dans la région.

Orientations futures

Bien que l'AGH soit une maladie à déclaration obligatoire à l'échelle nationale aux États-UnisNote de bas de page 19 , au Canada, elle n'est déclarée que dans les provinces du Manitoba et du Québec. Comme il a été suggéré ailleursNote de bas de page 2Note de bas de page 20, donner à l'AGH un statut de maladie à déclaration obligatoire à l'échelle nationale améliorerait la surveillance épidémiologique, ce qui est particulièrement important pour identifier de nouvelles régions dans lesquelles cette maladie peut devenir endémique. La déclaration obligatoire sensibiliserait aussi davantage les médecins à cette infection émergente, ce qui faciliterait le diagnostic et le traitement précoces. Le traitement antimicrobien précoce de l'AGH est essentiel, car il réduit le risque de complications graves et peut sauver la vie de personnes plus à risque de décéder, comme les patients immunodéprimés et les patients âgésNote de bas de page 10. L'adoption de tests PCR multiplex pour les maladies transmises par les tiques devrait également être envisagée pour faciliter l'identification des agents pathogènes émergents dans les régions où la maladie de Lyme est déjà endémiqueNote de bas de page 21.

Des améliorations aux stratégies actuelles de surveillance acarologique sont également nécessaires pour identifier d'avance les régions où A. phagocytophilum est le plus susceptible de s'établir. Cela a été mis en évidence dans les conclusions du cadre fédéral sur la maladie de Lyme au CanadaNote de bas de page 14 , qui a désigné l'élaboration d'un système national de surveillance des maladies transmises par les tiques comme mesure prioritaire. Ce système intégrerait des données régionales sur la distribution des vecteurs et la prévalence des agents pathogènes afin d'améliorer la surveillance de la distribution des tiques capables de transmettre la maladie de Lyme, l'AGH et d'autres infections.

En outre, la principale méthode de prévention des maladies transmises par les tiques, incluant l'AGH, demeure l'adoption de comportements préventifs qui réduisent le risque de contact avec les tiques. Les efforts actuels de promotion de la santé et les efforts portant sur la maladie de Lyme devraient être renforcés et, dans les régions où la bactérie A. phagocytophilum a été détectée, adaptés pour intégrer l'AGH. L'accent devrait également être mis sur les approches multisectorielles et multidisciplinaires auxquelles participent des intervenants en santé humaine et animale pour aider à déterminer des stratégies de prévention qui tirent parti de l'approche « Une seule santé », et pour mieux comprendre le rôle des vecteurs des tiques, comme le chevreuil et la souris, dans l'émergence de nouvelles zones à risque pour l'AGHNote de bas de page 22.

Limites de l'étude

Notre étude est limitée par sa nature observationnelle, puisqu'elle ne comprenait que les cas déclarés à la Santé publique. Même si notre définition des cas confirmés était fondée sur un test très précis et fiable (PCR), nos données sous-estiment certainement le fardeau réel de l'AGH dans la région. D'une part, les cas sous-cliniques risquent de ne pas être détectés et, d'autre part, comme cette maladie n'est apparue que récemment dans la région, les médecins sont vraisemblablement peu sensibilisés à l'importance d'inclure l'anaplasmose dans leur diagnostic différentiel. Une autre limite de notre étude est qu'il n'a pas été possible d'établir un lien entre l'AGH et une activité à risque particulière lorsque de multiples expositions ont eu lieu dans les deux semaines précédant l'apparition des symptômes; par conséquent, toutes les activités ont été considérées.

Conclusion

L'anaplasmose granulocytaire humaine est une préoccupation croissante en matière de santé publique dans les régions du sud du Québec, au Canada. Les autorités provinciales et fédérales devraient envisager un statut de maladie à déclaration obligatoire pour l'AGH, et les efforts de promotion de la santé visant à réduire le risque de contact avec des tiques devraient être renforcés. Les cliniciens doivent tenir compte de la possibilité d'AGH lorsqu'ils évaluent des patients qui font de la fièvre, ont une leucopénie, une thrombocytopénie, des taux élevés de transaminase hépatique et une exposition récente à des environnements à risque élevé pour les morsures de tiques. Un traitement empirique avec de la doxycycline doit être envisagé avant la réception des résultats des tests PCR lorsque ces résultats ne peuvent être obtenus en temps opportun.

Déclaration des auteurs

L. C. — Collecte des données, analyse des données, interprétation des résultats, rédaction de l'ébauche du manuscrit

V. R. — Collecte des données, analyse des données, interprétation des résultats, rédaction de l'ébauche du manuscrit

A. C. — Analyse des données, interprétation des résultats, rédaction de l'ébauche du manuscrit

G. P. — Rédaction de l'ébauche du manuscrit

G. B. — Rédaction de l'ébauche du manuscrit

J. B. — Rédaction de l'ébauche du manuscrit

Tous les auteurs ont participé à la conception de la méthodologie de l'étude et ont examiné les résultats et approuvé la version finale du manuscrit. Tous les auteurs ont examiné les résultats et approuvé la version finale du manuscrit.

Intérêts concurrentiels

Aucun.

Remerciements

Nous remercions M. Gagnon et V. Plante (équipe des maladies transmissibles de la Direction de la santé publique de l'Estrie) pour leur soutien à la collecte de données, et les Dr M. Drapeau et S. Perreault (Direction de la santé publique de l'Estrie) pour avoir fourni leur perspective clinique pendant l'enquête. Nous remercions également les Dr M. Kelly et S. Michaud, deux médecins spécialistes en microbiologie médicale et maladies infectieuses, qui ont traité la majorité des patients de cette série de cas.

Financement

Ces travaux ont été financés par l'Agence de la santé publique du Canada, le Centre de recherche du CHUS et la Direction de la santé publique de l'Estrie.

Annexe : Méthodes de laboratoire utilisées pour détecter les infections transmises par les tiques

Pour la bactérie Anaplasma phagocytophilum, la détection moléculaire est réalisée avec une réaction en chaîne de la polymérase en temps réel (RT-PCR) interne ciblant le gène msp2. Si le résultat est positif, un test PCR classique et un séquençage sont ensuite effectués pour confirmer et caractériser davantage la souche d'A. phagocytophilumNote de bas de page 23. Le Laboratoire national de microbiologie (LNM) a effectué une épreuve d'immunofluorescence indirecte (IFA) à l'aide de la trousse IgG Focus A. phagocytophilum IFA IgG (DiaSorin Molecular, Cypress, Californie, États-Unis), conformément aux instructions du fabricantNote de bas de page 24.

Pour la détection moléculaire de la bactérie Babesia spp., l'amplification du gène de l'ARNr 18 commun à toutes les espèces de Babesia a d'abord été effectuée. Si le résultat est positif, un test RT-PCR spécifique à l'espèce, une analyse de la courbe de dénaturation thermique, un test PCR conventionnel et un séquençage sont effectués pour établir l'espèceNote de bas de page 25. Des tests de dépistage des anticorps de Babesia microti ont été effectués à l'aide d'une épreuve manuelle d'immunofluorescence indirecte (immunoglobuline G) (Imugen, Norwood, Massachusetts, États-Unis)Note de bas de page 26.

Dans le cas de la maladie de Lyme, une première épreuve sérologique a été effectuée au Laboratoire de santé publique du Québec avec une épreuve immunoenzymatique commerciale (ELISA Borrelia VlsE1/pepC10 IgG/IgM, Zeus Scientific, Branchburg, New Jersey, États-Unis). Si le résultat est positif, le spécimen est ensuite envoyé au LNM pour faire effectuer un WB de confirmation pour les anticorps IgG contre Borrelia burgdorferi (anti-B. burgdorferi US EUROLINE IgG, Euroimmun, Lübeck, Allemagne). Si le résultat du test WB est négatif, un test Line Blot (LB) est ensuite effectué pour détecter l'IgM (Anti-Borrelia EUROLINE-RN-AT-adv IgM, Euroimmun, Lübeck, Allemagne)Note de bas de page 27.

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