Le recours accru à la PrEP entraîne une diminution de diagnostics de VIH

RMTC

RMTC : Volume 49-6, juin 2023 : Les hépatites aiguës chez les enfants au Canada

Étude épidémiologique

Le recours accru à la prophylaxie préexposition (PrEP), notamment auprès d'une infirmière autorisée (PrEP-IA), entraîne une diminution du nombre de diagnostics de VIH chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes à Ottawa, au Canada

Abigail Kroch1, Patrick O’Byrne2,3, Lauren Orser2,3, Paul MacPherson4, Kristen O’Brien1, Lucia Light1, Ryu Kang1, Agatha Nyambi1

Affiliations

1 Réseau ontarien de traitement du VIH

2 Université d’Ottawa, École des sciences infirmières, Ottawa, ON

3 Santé publique Ottawa, Ottawa, ON

4 Université d’Ottawa, Faculté de médecine, Ottawa, ON

Correspondance

pjobyrne@uottawa.ca

Citation proposée

Kroch AE, O’Byrne P, Orser L, MacPherson P, O’Brien K, Light L, Kang RW, Nyambi A. Le recours accru à la prophylaxie préexposition (PrEP), notamment auprès d’une infirmière autorisée (PrEP-IA), entraîne une diminution du nombre de diagnostics de VIH chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes à Ottawa, au Canada. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2023;49(6):305–13. https://doi.org/10.14745/ccdr.v49i06a04f

Mots-clés : VIH, PPrE, PPrE-IA, épidémiologie, prophylaxie préexposition

Résumé

Contexte : L’étude cherchait à évaluer si l’adoption accrue de la prophylaxie préexposition au VIH (PPrE) était corrélée aux changements au niveau de la population dans l’épidémiologie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), dans un milieu doté d’un système intégré de prestation de la PPrE par une clinique de PPrE dirigée par des infirmières en santé publique et un processus de référence.

Méthodes : Cette étude a été menée à Ottawa, au Canada, où tous les résultats positifs du test de dépistage du VIH sont déclarés aux bureaux de santé publique. Les renseignements sur les facteurs de risque sont aussi recueillis par les infirmières et ils sont ensuite saisis dans une base de données provinciale. Ces données d’Ottawa de 2017 à 2021 ont été extraites, en limitant les analyses aux premiers diagnostics.

Résultats : Les résultats ont permis d’identifier 154 personnes ayant reçu un nouveau diagnostic de VIH. Au cours de cette période, le nombre de nouveaux diagnostics chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, le groupe le plus ciblé par la PPrE, a diminué de 50 % à 60 %. Nous n’avons pas relevé de changements dans le nombre de nouveaux diagnostics fondés sur la race, la consommation de drogues injectables ou pour les femmes.

Conclusion : L’augmentation de l’adoption de la PPrE à Ottawa de 2017 à 2021 a coïncidé avec une diminution importante des nouveaux diagnostics de VIH chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes. L’adoption de la PPrE à Ottawa, en particulier chez les personnes les plus à risque, est probablement appuyée par une approche intégrée par l’entremise de la PPrE-IA, un programme de santé publique dirigé par des infirmières dans le cadre duquel les personnes ayant reçu un diagnostic de syphilis, de gonorrhée rectale ou de chlamydia se font automatiquement offrir un traitement de PPrE. Bien que ces résultats ne puissent établir de lien causal entre la PPrE-IA ou la PPrE et cette réduction du nombre de nouveaux diagnostics de VIH, ces changements de l’épidémiologie du VIH à Ottawa se sont produits exclusivement au sein du groupe visé par la PPrE. Ces données soulignent l’efficacité et l’importance de la PPrE.

Introduction

En commençant par l’étude iPrEx en 2010Note de bas de page 1, les données probantes ont continué de démontrer l’efficacité de l’emtricitabine plus le fumarate de ténofovir disoproxil (DF) (FTC/TDF) ou de ténofovir alafenamide (AF) (FTC/TAF) comme prophylaxie préexposition (PPrE) pour réduire le risque d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)Note de bas de page 2Note de bas de page 3. Ces données ont amené la Food and Drug Administration des États-Unis à octroyer une licence de FTC/TDF pour la PPrE en 2012, puis Santé Canada en 2016. En 2015, la première clinique de PPrE a été lancée à Ottawa et ciblait les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HARSAH), qui représentaient environ 77 % des nouveaux diagnostics de VIH à Ottawa à l’époqueNote de bas de page 4. À la suite de l’approbation de la PPrE par Santé Canada en 2016, deux cliniques communautaires supplémentaires ont ouvert leurs portes à Ottawa. Les premières lignes directrices canadiennes sur la PPrE ont été publiées en 2017Note de bas de page 5.

En 2018, O’Byrne et al.Note de bas de page 6Note de bas de page 7 ont mis en œuvre la PPrE-IA, une clinique de PPrE dirigée par des infirmières et un système de référence dirigé par des infirmières de la santé publique. Conformément à la législation provinciale en matière de santé publiqueNote de bas de page 8, tous les résultats positifs des tests de dépistage des infections transmissibles sexuellement sont signalés aux bureaux de santé locaux aux fins de suivi et de recherche des contacts. Dans le cadre de la PPrE-IA, une offre automatique de PPrE a été faite à toute personne ayant reçu un diagnostic de syphilis infectieuse, de gonorrhée rectale ou de chlamydia, ou qui, selon une évaluation clinique, était à risque d’infection par le VIH. Entre 2018 et 2021, 1 901 personnes ont satisfait aux critères d’admissibilité de la PPrE-IA et se sont vu offrir un traitement, et 49 % (n = 845/1 736) des personnes admissibles ont accepté. De ces 845 personnes qui ont accepté la PPrE, 95 % (n = 803) étaient des HARSAH et 97 % (n = 820) étaient des hommes.

Ces efforts visant à faciliter l’accès à la PPrE – de la première clinique en 2015 à notre système d’aiguillage en 2018 – ont mené à une augmentation du nombre de personnes qui utilisent la PPrE, qui est passé de 110 en 2016 à plus de 1 000 en 2021Note de bas de page 9. En 2021, cela correspondait à un taux de 92/100 000 personnes à Ottawa utilisant la PPrENote de bas de page 9. Toutefois, l’utilisation de la PPrE à elle seule ne permet pas de déterminer si l’adoption de la PPrE répond aux besoins de la province et des collectivités. Pour ce faire, il est nécessaire d’évaluer l’adoption de la PPrE par rapport au risque de VIH au sein d’une population. Les premiers diagnostics sont une approximation de l’infection par le VIH et du risque vécu par la communauté; par conséquent, nous examinons l’utilisation de la PPrE par rapport aux premiers diagnostics, connus sous le nom de ratio « PPrE-au-besoin »Note de bas de page 10Note de bas de page 11. Plus le ratio est élevé, plus l’utilisation de la PPrE répond aux besoins. Le rapport PPrE-au-besoin permet également de comparer les groupes et les emplacements pour comprendre l’adoption de PPrE-au-besoin.

En Ontario, les ratios de PPrE-au-besoin ont été calculés à l’aide des données sur les pharmacies commerciales dispensatrices et des nombres de premiers diagnostics du VIH (tableau 1) Note de bas de page 12. Correspondant à l’augmentation déclarée de l’utilisation de la PPrE par habitant à Ottawa, le ratio de la PPrE-au-besoin a été multiplié par sept, passant de cinq en 2017 à 35 en 2021Note de bas de page 9. Ce taux demeure le plus élevé en Ontario et environ un tiers plus élevé que dans l’ensemble de la province, après avoir augmenté plus rapidement qu’ailleurs en Ontario (tableau 1)Note de bas de page 9. D’autres analyses ont révélé que 97 % des personnes qui utilisent la PPrE en Ontario s’identifient comme des HARSAH, ce qui correspond aux résultats de la PPrE-IA de la plupart des personnes admissibles qui sont des HARSAH.

Tableau 1 : Premiers diagnostics, adoption de PPrE et rapport PPrE-au-besoin dans le temps

Année d’étude
Ontario Ottawa
Premiers diagnostics du VIH Utilisateurs de PPrE PPrE-au-besoin Premiers diagnostics du VIH Utilisateurs de PPrE PPrE-au-besoin
2017 691 2 998 4,3 51 259 5,1
2018 729 6 543 9,0 43 560 13,0
2019 679 9 797 14,4 34 873 25,7
2020 508 9 584 18,9 37 862 23,3
2021 483 11 005 22,8 27 964 35,7

Pour comprendre l’incidence de notre réseau de référence et de prestation de la PPrE dirigé par des infirmières, et si l’augmentation du ratio de PPrE-au-besoin à Ottawa correspondait aux changements du nombre de premiers diagnostics du VIH, nous avons entrepris un examen rétrospectif des premiers diagnostics du VIH à Ottawa entre 2017 et 2021. Cette période a été choisie parce qu’elle correspondait à la publication des lignes directrices canadiennes sur la PPrE et qu’elle précédait de 18 mois la mise en œuvre de la PPrE-IA.

Méthodes

Les résultats positifs au test de dépistage du VIH en Ontario sont signalés aux bureaux de santé publiqueNote de bas de page 8, notamment les premiers diagnostics, les personnes qui subissent des tests répétés ou de confirmation, et les personnes qui ont déjà reçu un diagnostic et celles qui subissent des tests pour la première fois en Ontario. Les bureaux de santé publique contactent les personnes ayant subi un test de dépistage du VIH positif pour leur fournir des conseils, des liens avec les soins et mener une recherche des contacts. Les infirmières de la santé publique recueillent également des renseignements démographiques, notamment si la personne qui a déclaré un résultat positif au test de dépistage du VIH a déjà reçu un diagnostic de VIH, ainsi que l’âge, le sexe, le pays de naissance et des renseignements sur les facteurs de risque (e.g. les pratiques sexuelles et de consommation de drogues). Les facteurs de risque du VIH sont conformes à la collecte de données standard sur le VIH et comprennent, sans s’y limiter, les HARSAH, les rapports sur la consommation de drogues injectables et les rapports sur les contacts hétérosexuels. Les facteurs de risque sont traités indépendamment, ce qui permet d’examiner de multiples facteurs de risque par personne. Ces données sont entrées dans le Système intégré d’information sur la santé publique (SIISP).

Collecte et analyse des données

Pour les tests de dépistage du VIH positifs déclarés à Santé publique Ottawa entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2021, nous avons extrait les renseignements démographiques suivants du SIISP, notamment l’âge, l’origine ethnique, le sexe et le pays de naissance, les facteurs de risque, y compris le sexe des partenaires, la consommation de drogues et les diagnostics antérieurs d’infections transmises sexuellement, notamment un diagnostic antérieur de VIH. Nous avons entré ces données dans une base de données REDCap et nous avons utilisé SAS v.9.4 pour l’analyse. Afin de limiter notre analyse aux premiers diagnostics, nous avons retiré de l’ensemble de données toute personne ayant des antécédents enregistrés ou déclarés de diagnostic du VIH avant son test positif à Ottawa. Nous avons évalué les associations entre les caractéristiques démographiques, les facteurs de risque et l’année du diagnostic au moyen de tests khi carré. Les facteurs de risque du VIH ont été testés indépendamment, c’est-à-dire les contacts sexuels entre hommes par rapport à l’absence de contacts sexuels entre hommes, la consommation de drogues injectables par rapport à l’absence de consommation de drogues injectables, et les contacts hétérosexuels par rapport à l’absence de contact hétérosexuel. Les facteurs de risque du VIH n’ont pas été traités comme mutuellement exclusifs. Comme tous les tests de diagnostic du VIH en Ontario sont effectués par les laboratoires de Santé publique Ontario, nous avons obtenu le nombre total de tests de dépistage du VIH effectués par groupe démographique et par emplacement dans la provinceNote de bas de page 13. Nous avons calculé la positivité des tests en divisant le nombre de premiers diagnostics par le nombre de tests à Ottawa (dans l’ensemble, par sexe de naissance et pour les HARSAH) par année (à l’exclusion des tests prénataux). Nous avons analysé les tendances de la positivité des tests au fil du temps à l’aide d’un test Cochran-Armitage.

Résultats

À Ottawa, du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2021, nous avons identifié 154 personnes ayant reçu un diagnostic de VIH pour la première fois (tableau 2). De ce nombre, 41 nouveaux diagnostics ont été documentés en 2017, 34 en 2018, suivis d’une baisse progressive qui s’est stabilisée à 26 à 27 nouveaux diagnostics par année entre 2019 et 2021. Il s’agit d’une baisse de 37 % du nombre total de nouveaux diagnostics en 2021 par rapport à 2017. Un test du khi carré a permis de déterminer si le nombre de diagnostics changeait considérablement au fil du temps selon les caractéristiques démographiques ou le facteur de risque du VIH. La diminution apparente des premiers diagnostics était importante seulement chez les hommes (p < 0,01) et les HARSAH (p < 0,05) (tableau 2). De plus, 19 HARSAH ont reçu un nouveau diagnostic du VIH en 2017, 16 en 2018, et seules 5 à 8 personnes ont été diagnostiquées dans ce groupe chaque année entre 2019 et 2021, ce qui représente une baisse de 57 % entre 2017 et 2021. Nous n’avons pas observé de changement significatif dans le nombre de nouveaux diagnostics de VIH au cours de la période à l’étude chez les personnes qui ont déclaré un contact hétérosexuel par rapport à celles qui ne l’ont pas fait (p = 0,68), celles qui ont déclaré utiliser des drogues injectables par rapport à celles qui n’en utilisent pas (p = 0,19) ou les femmes par rapport aux hommes (p = 0,09). Nous n’avons pas non plus relevé de changement dans le nombre de premiers diagnostics de VIH en fonction de la race ou de l’origine ethnique (Noir ou Blanc) ou de l’âge (moins de 35 ans ou 35 ans et plus) (tableau 2).

Tableau 2 : Diagnostic de virus de l’immunodéficience humaine au fil du temps

Données démographiques et facteurs de risque
N (%) Valeur p
2017 2018 2019 2020 2021 Total
Total 41 34 26 27 26 154 s.o.
Sexe à la naissance
Homme 34 (83 %) 26 (76 %) 14 (54 %) 16 (59 %) 17 (65 %) 107 (69 %) 0,0899
Femme 7 (17 %) 8 (24 %) 12 (46 %) 11 (41 %) 8 (31 %) 46 (30 %) s.o.
Facteurs de risque du VIH
HARSAH 19 (46 %) 16 (47 %) 6 (23 %) 5 (19 %) 8 (31 %) 54 (35 %) 0,049
Non-HARSAH 22 (54 %) 18 (53 %) 20 (77 %) 22 (81 %) 18 (69 %) 100 (65 %) s.o.
UDI 8 (20 %) 8 (24 %) 1 (4 %) 8 (30 %) 6 (23 %) 31 (20 %) 0,1848
Non-UDI 33 (80 %) 26 (76 %) 25 (96 %) 19 (70 %) 20 (77 %) 123 (80 %) s.o.
HétérosexuelNote de bas de page a 21 (51 %) 16 (47 %) 17 (65 %) 19 (70 %) 13 (50 %) 86 (56 %) 0,6822
Pas hétérosexuel 17 (41 %) 11 (32 %) 9 (35 %) 8 (30 %) 12 (46 %) 57 (37 %) s.o.
Race/origine ethnique
Noir 18 (44 %) 6 (18 %) 16 (62 %) 10 (37 %) 9 (35 %) 59 (38 %) 0,059
Caucasien 17 (41 %) 22 (65 %) (27 %) 13 (48 %) 14 (54 %) 73 (47 %) s.o.
Autre 3 (7 %) 3 (9 %) 1 (4 %) 4 (15 %) 2 (8 %) 13 (8 %) s.o.
Catégorie d’âge (années)
Moins de 35 ans 16 (39 %) 11 (32 %) 8 (31 %) 12 (44 %) 6 (23 %) 53 (34 %) 0,511
35 ans et plus 25 (61 %) 23 (68 %) 18 (69 %) 15 (56 %) 20 (77 %) 101 (66 %) s.o.

Comme les diagnostics peuvent avoir été touchés par la diminution du nombre de tests de dépistage pendant la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19), nous avons analysé les tendances en matière de positivité des tests de dépistage à Ottawa au cours de la même période. S’il n’y avait pas eu de changement dans le taux de transmission du VIH et que la diminution du nombre de nouveaux diagnostics était attribuable à une diminution des tests, le taux de positivité au test aurait dû demeurer inchangé. Nous avons examiné la positivité générale du test, selon le sexe à la naissance et pour les HARSAH (tableau 3). Bien qu’il y ait eu une légère diminution de la positivité globale au test, de 0,07 % en 2017 à 0,04 % en 2021, il y a eu une diminution importante seulement chez les hommes (p < 0,05) et les HARSAH (p < 0,01), ce qui laisse supposer une réduction réelle de la transmission du VIH. Nous n’avons pas relevé de changements importants dans le taux de positivité au test chez les femmes (p = 0,27) (tableau 3).

Tableau 3 : Positivité au test de dépistage du virus de l’immunodéficience humaine au fil du temps

Données démographiques et facteurs de risque
Année Valeur p de la tendance du test
2017 2018 2018 2020 2021
Dans l’ensemble 0,07 0,05 0,05 0,06 0,04 0,07
Sexe à la naissance
Homme 0,11 0,08 0,05 0,07 0,04 0,002
Femme 0,02 0,03 0,04 0,05 0,03 0,07
Risque de VIH
HARSAH 0,37 0,4 0,16 0,18 0,18 0,02

Discussion

Nous signalons ici une diminution importanteNote de bas de page 1 de la positivité au test de dépistage du VIH chez les hommes et les HARSAH à Ottawa Note de bas de page 2 et du nombre de premiers diagnostics de VIH chez les HARSAH de 2017 à 2021. De 2012 à 2016, la moyenne mobile des nouveaux diagnostics de VIH chez les HARSAH à Ottawa était de 31,3 (intervalle : 21–40)Note de bas de page 14. En 2017, il y a eu 19 nouvelles infections au VIH à Ottawa dans ce groupe et de 2019 à 2021, ce nombre est tombé à 5 à 8 nouveaux diagnostics par année. Parallèlement à cette diminution, il y a eu une augmentation progressive du ratio de PPrE-au-besoinNote de bas de page 15Note de bas de page 16.

Bien que nous ne puissions pas prouver la causalité, le lien entre l’augmentation de l’adoption de la PPrE (comme le démontre l’augmentation absolue et l’augmentation du ratio de PPrE-au-besoin; tableau 1) et la diminution de l’incidence du VIH à Ottawa est déduite du fait que les HARSAH ont été ciblés pour la PPrE et que c’est seulement dans ce groupe que le nombre de premiers diagnostics de VIH a diminué. Le fait que nous n’ayons pas constaté de diminution chez les femmes ou les personnes qui utilisent des drogues injectables, les groupes pour lesquels la PPrE a été peu utilisée à Ottawa et parmi lesquels la PPrE n’était pas aussi bien ciblée que dans le cadre de la PPrE-IA, soutient le lien entre l’augmentation de l’utilisation de la PPrE et la diminution du nombre de premiers diagnostics de VIH. Ces données s’harmonisent aux recherches menées en AustralieNote de bas de page 17, en ÉcosseNote de bas de page 18, en Ouganda et au KenyaNote de bas de page 19 et aux États-UnisNote de bas de page 20, qui ont documenté une baisse de l’incidence du VIH après la mise en œuvre d’un accès à la PPrE à couverture élevée pour les HARSAH.

Nous ne croyons pas que la tendance à la baisse des nouveaux diagnostics de VIH à Ottawa puisse être attribuée à la COVID-19 et à la réduction des tests. Premièrement, la diminution du nombre absolu de nouveaux diagnostics et de la positivité des tests chez les HARSAH a commencé avant la pandémie (coïncidant avec le lancement de la PPrE-IA) et s’est maintenue au cours des deux années suivantes (les analyses préliminaires des données de 2022 montrant que la baisse a été maintenue pour une troisième année). Deuxièmement, la diminution du nombre de nouveaux diagnostics était essentiellement limitée aux HARSAH, le groupe visé par la PPrE et où l’adoption était la plus importante. Le fait que le nombre de nouveaux diagnostics de VIH n’a pas changé au cours de cette période pour les personnes qui utilisent des drogues injectables ou les femmes constitue un groupe de comparaison. Si la diminution de l’accès au dépistage avait entraîné la diminution du nombre de diagnostics, on pourrait prévoir une diminution plus générale de l’incidence du VIH, y compris dans d’autres groupes démographiques. Troisièmement, si la diminution du nombre de nouveaux diagnostics avait été attribuable à une diminution du nombre de tests, le changement de la positivité du test n’aurait pas montré une diminution importante au cours de la période à l’étude. La positivité au test est demeurée inchangée chez les femmes, tandis qu’il y a eu une diminution importante chez les hommes, parmi lesquels les HARSAH ont connu la plus forte baisse.
Il est tout aussi improbable que les résultats que nous avons observés soient liés au traitement du VIHNote de bas de page 21, grâce auquel les personnes séropositives peuvent atteindre des charges virales indétectables et des infections non transmissibles (i.e. indétectables égale non transmissibles). En Ontario, Ottawa a le deuxième taux le plus élevé de personnes vivant avec le VIH et le deuxième taux le plus faible de participation aux soins liés au VIHNote de bas de page 22. D’autres explications de la diminution du nombre de nouvelles infections au VIH que nous avons observées comprennent 1) le fait que la prévalence de l’infection au VIH était trop faible pour que la transmission se soit produite et 2) le fait qu’il n’y avait aucune possibilité de transmission en raison des niveaux élevés de suppression virale chez les personnes vivant avec le VIH. Cependant, aucun des deux ne semble vrai à Ottawa. Sans un changement dans les tests et étant donné que la réduction du VIH se limitait aux HARSAH, l’augmentation de l’adoption de la PPrE est le principal facteur qui a changé au cours de notre étude.

Nos données soulèvent quelques points de discussion. Le premier est le ratio PPrE-au-besoin et sa relation avec le nombre de premiers diagnostics du VIH. Comme il a été mentionné, à Ottawa, le ratio PPrE-au-besoin est passé de 5 en 2017 à 35 en 2021Note de bas de page 9Note de bas de page 16 et, notamment, la baisse du nombre de premiers diagnostics de VIH chez les HARSAH s’est produite en 2019 et s’est maintenue par la suite. Cette situation soulève la question de savoir s’il existe un seuil potentiel de la PPrE-au-besoin qui coïncide avec une baisse substantielle des nouvelles infections au VIH. Le concept serait semblable à l’immunité collective et représenterait un point où suffisamment de personnes utilisent la PPrE pour prévenir la transmission continue du VIH. Si un tel seuil existe, il est très peu probable qu’il s’agisse d’une seule cible et il variera probablement selon le réseau de transmission et le contexte écologique, notamment si la PPrE a été déployée en général ou de la façon ciblée par des infirmières autorisées. D’autres recherches sont absolument nécessaires.

Deuxièmement, nos données suggèrent un moyen potentiellement efficace de répondre aux premières étapes de la PPrE; plus précisément, d’identifier les personnes à risque d’infection par le VIH, de faire une offre de PPrE et de relier ceux qui acceptent les soins. Bien que nous soyons très fortement en faveur d’une sensibilisation accrue et généralisée de la communauté ainsi que d’une capacité accrue de PPrE en soins primaires, les bureaux de santé publique sont particulièrement bien placés pour atteindre les personnes les plus à risque d’infection par le VIHNote de bas de page 23. Le tableau 1 montre l’augmentation du ratio de PPrE-au-besoin à Ottawa qui s’est produite après la mise en œuvre des recommandations ciblées et systématiques de la PPrE par les infirmières de la santé publique, ce qui démontre que le ratio de PPrE-au-besoin a augmenté à Ottawa plus rapidement qu’en Ontario, en partie en raison de l’implantation de la PPrE par des infirmières autorisées. Presque toutes les lignes directrices existantes sur la PPrENote de bas de page 4Note de bas de page 24Note de bas de page 25 recommandent d’offrir la PPrE à toute personne ayant reçu un diagnostic de syphilis infectieuse, de gonorrhée rectale ou de chlamydia, ainsi qu’aux partenaires sexuels d’une personne atteinte du VIH transmissible. Comme des études ont révélé des taux de diagnostic du VIH de 7 % à 8 % dans l’année suivant ces indicateursNote de bas de page 24, il s’ensuit que l’incidence du VIH diminuerait après la mise en œuvre d’un programme offrant la PPrE à ceux qui répondent à ces critères. Cette situation est rendue possible par le fait que tous les résultats positifs d’infection transmise sexuellement sont signalés aux bureaux de santé publique de l’Ontario. Cela crée une stratégie réalisable et à haut rendement avec un nombre potentiellement faible de patients à traiter. De plus, le fait que la diminution des diagnostics de VIH dans cette étude ait été observée chez les HARSAH renforce la validité des critères indicateurs en montrant comment les recommandations ciblées pour la PPrE et les dispositions de cette dernière peuvent coïncider avec la diminution du nombre de premiers diagnostics de VIH chez les HARSAH au niveau de la population.

Troisièmement, malgré les avantages apparents de l’utilisation des critères d’indicateurs actuels pour amorcer la PPrE chez les HARSAH, nos constatations appuient les critiques soulignant le manque d’importance accordée aux facteurs de risque du VIH pour les personnes qui consomment des drogues injectables et pour les expositions hétérosexuelles, qui touche de façon disproportionnée les Noirs et les Autochtones, ce qui pourrait exacerber les disparités existantes en matière de santé pour ces groupesNote de bas de page 26Note de bas de page 27Note de bas de page 28Note de bas de page 29Note de bas de page 30. De plus, des données probantes ont montré que les facteurs de risque ne sont pas directement corrélés entre les groupes, les HARSAH noirs présentant un risque plus élevé de transmission du VIH, tout en déclarant moins de facteurs de risque que les BlancsNote de bas de page 30. Nos résultats, qui montrent une diminution importante des nouveaux diagnostics de VIH chez les HARSAH, mais pas chez d’autres groupes, appuient cette critique. Bien que la PPrE-IA ne se limitait pas exclusivement aux HARSAH, elle ciblait en fait ces hommes, car les lignes directrices actuelles sur la PPrENote de bas de page 5Note de bas de page 25Note de bas de page 26Note de bas de page 27 s’appliquent particulièrement à ces hommes, ce qui permet à cette population de profiter davantage de la PPrE. Des efforts concertés sont maintenant nécessaires pour déterminer les indicateurs de PPrE pour d’autres populations, permettant ainsi à d’autres groupes de bénéficier des effets potentiels au niveau de la population que nous avons observés chez les HARSAH à Ottawa.

Limites

Tout d’abord, nos données étaient fondées sur les résultats de tests de dépistage du VIH déclarés positifs, qui dépendent de l’accès aux tests. Parmi les personnes ayant reçu de nouveaux diagnostics, un délai peut s’être écoulé depuis la transmission, de sorte qu’il est difficile d’établir la temporalité. Cependant, il ne s’agit pas d’une nouvelle limite de l’épidémiologie du VIH et la diminution soutenue des diagnostics suggère une baisse de l’incidence du VIH. Deuxièmement, la COVID-19 est devenue pandémique en 2020, de sorte que la diminution du nombre de nouveaux diagnostics de VIH aurait pu découler d’une réduction des activités sexuelles ou du dépistage. Étant donné que nous avons observé ces diminutions à compter de 2019, nous pensons que cela est peu probable. Il est tout aussi improbable que la COVID-19 ait eu une incidence sur les changements du ratio de PPrE-au-besoin exclusivement à Ottawa, comparativement à l’ensemble de l’Ontario (voir le tableau 1). Troisièmement, nos données sur les facteurs de risque étaient fondées sur l’autodéclaration des infirmières de la santé publique, bien qu’il s’agisse de l’approche historique de la collecte de données sur l’épidémiologie du VIH et qu’elle ne se serait donc pas traduite par un changement de nos données par rapport à celles qui les ont précédées. Néanmoins, comme les variables de notre analyse se limitaient aux données recueillies par les infirmières de la santé publique, il y avait des facteurs de confusion ou des modificateurs d’effet potentiels qui n’ont pas été examinés dans cette analyse. Enfin, nos données proviennent d’une seule ville au Canada, sans comparaison. Il est possible que la diminution des nouveaux diagnostics soit liée à des influences que nous n’avons pas encore cernées. Bien que ce soit possible, à notre connaissance, il n’y a pas eu d’autres changements importants liés au VIH, aux HARSAH ou à d’autres populations à risque à Ottawa pendant la période examinée. Nous savons également qu’il n’y a eu aucun changement dans l’adoption du traitement contre le VIH ou dans les niveaux de suppression virale dans notre région pendant cette période. Nos données montrent également une comparaison des ratios de PPrE-au-besoin en Ontario, ce qui indique une augmentation plus rapide de l’adoption de la PPrE à Ottawa en conjonction avec la mise en œuvre de la PPrE offert par des infirmières autorisées.

Conclusion

Nous présentons ici un rapport sur une diminution importante du nombre de premiers diagnostics du VIH et du taux de positivité au test de dépistage du VIH à Ottawa de 2017 à 2021 chez les HARSAH, ce qui coïncide avec une augmentation de l’adoption de la PPrE au sein de ce groupe (comme le montre l’augmentation des ratios de PPrE-au-besoin à Ottawa). Bien que nos résultats ne puissent pas démontrer la causalité, la diminution des diagnostics dans les groupes ciblés par la PPrE (hommes et HARSAH) suggère une relation. Comme la réduction du nombre de diagnostics de VIH a été constatée pour la première fois en 2019, et comme le taux de positivité au test de dépistage du VIH a chuté pour les HARSAH (mais aucun autre groupe), nous ne croyons pas que l’effet était attribuable à la COVID-19 ou à des changements dans l’accès aux soins de santé. Nous remarquons également qu’à mesure que le ratio de PPrE-au-besoin a augmenté de 2017 à 2021 (principalement chez les HARSAH), la plus forte diminution des nouveaux diagnostics de VIH s’est produite en 2019. Bien que nos analyses aient mis en évidence l’utilité d’utiliser le ratio PPrE-au-besoin pour comprendre l’adoption globale de la PPrE et les chiffres de diagnostic du VIH, une question pour la recherche en cours est la possibilité qu’il y ait un seuil de PPrE-au-besoin à atteindre pour prévenir la transmission du VIH. Enfin, l’accent mis sur les personnes ayant reçu un diagnostic de syphilis, de gonorrhée rectale ou de chlamydia étant donné qu’elles avaient le plus besoin de la PPrE a potentiellement limité les avantages de cette intervention pour les HARSAH. Les travaux futurs devront préciser les lignes directrices à l’intention des personnes qui consomment des drogues injectables et des personnes présentant des facteurs de risque hétérosexuels qui tiennent compte du risque différentiel au niveau de la population, dans le but précis d’améliorer l’équité en santé pour les Noirs et les Autochtones. Bien que nos résultats proviennent d’échantillons restreints, ils constituent néanmoins des données importantes sur le rôle clé que les bureaux de santé publique peuvent jouer dans les premières étapes de l’offre de PPrE, de la force des critères existants pour désigner ceux qui bénéficieraient de la PPrE, et de la nécessité de mieux comprendre le risque du VIH dans d’autres populations. En effet, ces résultats fournissent une validation de principe selon laquelle l’offre systématique de la PPrE peut entraîner une diminution de l’incidence du VIH chez les HARSAH, en raison du ciblage de la PPrE sur les personnes à haut risque. Cela fait partie du suivi de santé publique pour la syphilis infectieuse, la gonorrhée rectale et la chlamydia, comme on l’a fait pour la PPrE-IA. Grâce à ces efforts continus, la PPrE réduira sans aucun doute la transmission continue du VIH, améliorant ainsi la santé des personnes et de la population.

Déclaration des auteurs

  • A. K., P. O’B. et L. O. — Conceptualisation, analyse des données, rédaction et révision
  • P. M., K. O. B., L. L., R. W. K. et A. N. — Analyse des données, rédaction de la version préliminaire, rédaction et révision

Le contenu et les points de vue exprimés dans cet article n’engagent que les auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.

Intérêts concurrents

Aucun.

Remerciements

P. O’B. tient à souligner la contribution de la Chaire de recherche en santé publique et en prévention du VIH de l’OHTN; A. L. tient à souligner la contribution de la bourse d’études Vanier qu’elle a reçue des IRSC.

Financement

Cette étude a été financée par le Réseau ontarien de traitement du VIH et approuvée par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université d’Ottawa (H-03-21-6786).

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