Grille d'analyse (égalité réelle)

1. Introduction

En février 2009, la Cour suprême du Canada (la Cour) a rendu sa décision dans l’affaire Desrochers c. Canada (Industrie), (le cas CALDECH). Elle a statué sur la nature et la portée du principe de l’égalité linguistique dans le contexte des communications et la prestation des services au public par le gouvernement fédéral. Les obligations fédérales en la matière proviennent de l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés et de la partie IV de la Loi sur les langues officielles (LLO).  

La Cour a précisé que le principe d’égalité réelle (voir la définition plus bas) en matière de prestation de services gouvernementaux donne une garantie par rapport aux services offerts. De plus, elle a déclaré que, selon la nature du service en question et de ses objectifs, il se peut que l’élaboration et la mise en œuvre de services identiques pour chacune des communautés de langue officielle ne permettent pas de réaliser l’égalité réelle. La Cour indique que le contenu du principe de l’égalité linguistique en matière de services gouvernementaux n’est pas nécessairement uniforme. Il faut comprendre de ce jugement qu’il peut parfois être nécessaire d’adapter les services existants afin de tenir compte des besoins tant de la minorité que de la majorité.

2. Définitions

Voici une liste de définitions de concepts afin de vous aider à saisir la portée du présent document et à effectuer votre analyse au moyen de la grille :  

égalité formelle (formal equality) :

L’égalité formelle est réalisée lorsque l’on traite de façon identique les membres de la communauté minoritaire de langue officielle et ceux de la communauté majoritaire en leur offrant des services identiques en français et en anglais, sans tenir compte des possibles différences existant entre membres des deux communautés.

égalité réelle (substantive equality) :

L’égalité réelle est réalisée lorsque l’on prend en considération, là où cela est nécessaire, des différences dans les caractéristiques et les circonstances de la communauté minoritaire, en offrant des services avec un contenu distinct ou au moyen d’un mode de prestation différent afin d’assurer que la minorité reçoive les services de la même qualité que la majorité. Cette démarche est la norme en droit canadien.

Service uniforme (single uniform service) :

Un service ou un programme offert de la même façon et avec le même contenu en français et en anglais.

Mode de prestation (delivery method) :

Façon d’offrir les services, par exemple en personne, en ligne, par téléphone, au moyen de la formation en classe, du cyber apprentissage, etc.

3. Compréhension du concept de l’égalité réelle

Incidence de CALDECH

D’un commun accord, les parties en cause dans le jugement de la Cour suprême ont convenu qu’il y a une obligation constitutionnelle de mettre à la disposition du public des services qui sont de qualité égale dans les deux langues officielles, et que l’égalité réelle, par opposition à l’égalité formelle, doit être la norme. 

Il ressort de ce jugement qu’il peut parfois suffire d’offrir des services identiques aux deux communautés de langue officielle pour se conformer au principe d’égalité linguistique, mais selon la nature du service en question, il se pourrait que cette stratégie ne permette pas de toujours réaliser l’égalité réelle.

Les deux exemples ci-dessous sont fournis uniquement à titre informatif, aux fins de comparaison des deux concepts. Veuillez noter que, selon le droit canadien, la notion d’égalité réelle constitue la norme.

Exemple d’égalité formelle : programmes d’assurance emploi – recherche d’emploi

Des ateliers sont offerts pour aider les chômeurs canadiens dans leur recherche d’emploi ou les réorienter au sein du marché du travail. On offre des services identiques, quant à leur contenu et leur mode prestation en français et en anglais à la minorité et à la majorité.

Exemple d’égalité réelle : programmes d’assurance-emploi – recherche d’emploi

Des ateliers sont offerts pour aider les chômeurs canadiens dans leur recherche d’emploi ou les réorienter au sein du marché du travail. Pour ce qui est de la communauté linguistique en situation minoritaire, on constate qu’il faut consacrer davantage de temps à l’enseignement des compétences de base en littératie et à la préparation d’un curriculum vitae. Par conséquent, le contenu du service est modifié afin de s’adapter à cette situation.

Il est possible que l’on constate que la population de la communauté linguistique en situation minoritaire est plus dispersée et que, par conséquent, des ateliers en ligne sont plus accessibles que des séances en classe. Dans ce cas, le mode de prestation est modifié pour répondre aux besoins de la minorité.

4. Objectif de la grille d’analyse

Cette grille d’analyse a pour but d’aider les institutions fédérales à appliquer le principe d’égalité réelle à leurs programmes et services en lien avec la partie IV de la LLO, intitulée Communications avec le public et prestation des services. Elle ne vise pas à fournir une liste exhaustive de critères aux institutions pour adapter ou ajuster un programme ou un service particulier. Elle ne constitue pas un avis juridique, et toute question sur la portée et l’interprétation de la partie IV de la LLO devrait être adressée aux services juridiques de votre ministère pour avis.

Cette grille d’analyse aidera les institutions fédérales à déterminer si des modifications doivent être apportées à leurs programmes ou services en vue de fournir des services de qualité égale à la communauté de langue officielle en situation minoritaire. Puisque la détermination de la qualité égale des services demande la comparaison des services offerts aux communautés en situation majoritaire et en situation minoritaire, cette grille sert à évaluer un programme ou un service qui est offert aux deux communautés de langue officielle et non à un service ou programme qui s’adresse à une seule communauté de langue officielle.

La grille d’analyse se divise en trois parties : la première vise à identifier le type de programmes et de services concernés, la deuxième sert à déterminer si le même service ou programme peut être utilisé pour la majorité et la minorité afin de procurer le même avantage aux deux communautés de langue officielle, et la troisième aide à déterminer dans quelle mesure un programme ou un service devrait être adapté ou modifié afin d’atteindre l’égalité réelle. 

Programmes et services offerts par des tiers

Nous vous rappelons que cette analyse doit également être effectuée pour les services et les programmes offerts par des tiers  « pour le compte » des institutions fédérales. En effet, l’article 25 de la LLO prévoit que les institutions fédérales qui confient à des tiers la prestation de services ou de communications qu’elles mêmes sont tenues d’offrir dans les deux langues officielles doivent s’assurer que ces tiers s’acquittent de cette obligation. Les institutions sont responsables de l’action des tiers en la matière et pourraient faire l’objet d’une plainte devant le Commissaire aux langues officielles et d’un recours en cour fédérale en vertu de la LLO si elles manquent à cette obligation.

Cette analyse ne devrait pas normalement être nécessaire dans le contexte d’un programme de paiements de transfert, car de tels paiements n’ont pas pour objet l’acquisition de biens, de services ou d’actifs par le gouvernement du Canada et les bénéficiaires de ces paiements ne devraient normalement pas être des tiers agissant « pour le compte » d’une institution fédérale.

Il est toutefois important de signaler que la décision CALDECH a été rendue dans le contexte d’un programme de paiements de transfert et que la Cour a conclu que, dans la situation factuelle spécifique devant elle, un bénéficiaire agissait « pour le compte » d’une institution fédérale.  Les institutions fédérales sont donc encouragées à être vigilantes dans l’élaboration de programmes de paiements de transfert, à consulter leurs services juridiques afin de déterminer l’étendue des obligations linguistiques de leur institution, (notamment pour clarifier si, dans le cas du programme de paiement de transfert en question, votre institution a des obligations en vertu de l’article 25 de la LLO) et à employer cette grille d’analyse lorsque nécessaire.

5. Exemples d’utilisation de la grille d’analyse

Les exemples qui suivent ont pour but d’illustrer comment la grille peut être appliquée aux divers programmes et services gouvernementaux.

étape 1: Exemple d’un programme qui n’est pas visé

Dans le cadre du l’utilisation de la grille d’analyse, la première étape est de déterminer si le programme ou le service est touché. Après avoir répondu à la série de questions, vous pouvez conclure que la réponse est négative pour les quatre questions. En raison de la nature et de l’objectif du programme ou du service, vous n’aurez donc peut-être pas besoin d’adapter ce programme ou service aux besoins particuliers de la communauté de langue officielle en situation minoritaire.

Scénario : Distribution des passeports

Une partie de rôle de Passeport Canada consiste notamment à délivrer des passeports aux Canadiens. Ces services sont offerts partout au pays de manière individuelle par le biais de divers modes de prestation; il s’agit d’un service transactionnel ponctuel. à l’étape 1 de la grille d’analyse, on conclut que la réponse aux quatre questions à propos de ce service est « NON ». Par conséquent, ce service n’est pas visé et on n’a pas besoin de passer à la deuxième étape.

étape 2 : Exemple d’un programme ou service où un service uniforme serait adéquat et offrirait les mêmes avantages pour les membres des deux communautés de langue officielle

Si vous continuez l’analyse et constatez qu’un programme ou un service est visé par l’étape 2 de l’analyse, vous devez déterminer si le service uniforme unique est approprié pour donner des avantages identiques aux membres des deux communautés de langue officielle. Pour ce faire, il faut savoir si la communauté de langue officielle en situation minoritaire a des besoins différents liés à ce service ou programme.

Scénario : Prestations d’assurance-emploi

L'assurance-emploi fournit aux chômeurs canadiens qui ont perdu leur emploi de l'aide financière temporaire pendant qu'ils cherchent un nouvel emploi ou perfectionnent leurs compétences. Les mêmes programmes et services sont offerts dans l’ensemble du pays et sont mis en place par les mêmes moyens en anglais et en français. Ce service unique et uniforme procure le même avantage aux membres des deux collectivités de langue officielle en raison de la nature du service.

étape 3 : Exemple d’un programme ou service qui doit être adapté aux besoins de la minorité.

à cette étape de l’analyse, vous devez évaluer de quelle façon le programme ou le service doit être modifié afin de répondre aux besoins de la communauté de langue officielle en situation minoritaire et ainsi assurer une égalité réelle. Cela peut se faire soit en fournissant un contenu distinct ou en utilisant un mode de prestation différent, ou encore une combinaison de ces deux éléments.

Scénario : Programme de développement communautaire

Une agence de développement économique met sur pied un programme de développement économique communautaire. Dans le cadre de ce programme, des sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) offrent pour le compte de l’agence de développement économique des services locaux adaptés aux besoins de la région.

L’agence consulte la majorité afin d'identifier ses besoins. Parallèlement, elle consulte aussi la minorité au même titre que la majorité pour identifier ses besoins particuliers. Afin de fournir des services dans sa région, une SADC située dans une région où la majorité est anglophone et la minorité est francophone se dote d’un comité consultatif francophone afin de préciser les moyens d’adapter ses services aux besoins de la minorité francophone.  Elle détermine qu’afin de fournir des services de qualité égale à la minorité et à la majorité, elle doit prendre des mesures distinctes en matière de publicité et de réseautage.  Elle publie ainsi des annonces dans les journaux communautaires francophones et les diffuse à la station de radio francophone, elle communique personnellement avec des représentants clés de la collectivité francophone minoritaire pour les informer de ses services, elle a recours à des bénévoles francophones pour faire la promotion de ses services dans la région visée et elle publie un bulletin bilingue qu’elle achemine à des entreprises francophones de la région.

6. Documentation de la démarche et recours aux services juridiques

Chaque institution devrait se sentir libre d’adapter la grille d’analyse à son mandat particulier. Les administrateurs généraux sont chargés d’appliquer la décision de la Cour dans leurs institutions respectives et devraient documenter les démarches effectuées afin d’assurer la conformité et d’être en mesure de faire rapport sur les résultats.

Les institutions fédérales pourraient être tenues de prendre d’autres mesures afin de satisfaire aux exigences découlant de la partie VII de la LLO. Il est recommandé aux institutions de consulter leurs services juridiques afin de déterminer les obligations applicables dans une situation donnée en vertu de la partie IV (y compris l’article 25) ou de la partie VII de la LLO.

Grille d’analyse des services et programmes fédéraux en regard du principe de l’égalité réelle

La présente grille d’analyse sert à déterminer si les services que votre institution est tenue d’offrir dans les deux langues officielles en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles (Communications avec le public et prestation des services) tiennent compte des instructions formulées par la Cour suprême du Canada dans l’affaire CALDECH. Veuillez noter que, parallèlement, votre institution pourrait avoir des obligations distinctes en vertu de la partie VII de la Loi; la présente grille ne sert pas à déterminer comment respecter ces obligations particulières.

Cette grille comporte une introduction ainsi que plusieurs définitions et exemples.  Les institutions doivent documenter toutes les étapes prises dans ce processus. Si vous avez besoin d’aide pour l’application de cette grille ou pour la  détermination de vos obligations qui proviennent de la Loi sur les langues officielles, veuillez contacter vos services juridiques dans votre institution

Nom du service ou du programme :
Brève description :

Étape 1 – Déterminer si le service ou le programme peut être visé.
Questions Oui Non
a) S’agit-il d’un service ou programme visant le développement des collectivités par opposition à un service ou programme fourni aux membres du public à titre individuel?    
b) S’agit-il d’un service ou d’un programme qui requiert la prise en compte de caractéristiques régionales?    
c) S’agit-il d’un service ou d’un programme visant à assurer des bénéfices à moyen ou à long terme et impliquant une relation continue avec les bénéficiaires du service (par opposition à un service ponctuel)?    
d) La participation de la population cible est-elle requise dans l’élaboration et/ou la mise en œuvre du service et/ou du programme afin d’en atteindre les objectifs?    

Si vous avez répondu « Non » à toutes les questions de l’étape 1, l’analyse est terminée et elle démontre qu’il n’est pas nécessaire d’adapter ce service ou programme aux besoins de la minorité.Note de bas de page 1

Si vous avez répondu « Oui » à au moins une question de l’étape 1, passez à l’étape 2.

Étape 2– Déterminer si un service uniforme est adéquat.
Questions Oui Non

a) Prenant en considérant la clientèle visée et la nature du service ou du programme, s'agit-il d'un service ou  d’un programme pour lequel un service uniforme (le même mode de prestation et contenu) procure le même avantage aux membres des deux collectivités de langue officielle?

  • Pour être en mesure de répondre à cette question, vous devez savoir si la minorité a des besoins particuliers par rapport à ce service ou programme. Si vous ne connaissez pas les besoins de la minorité, vous devriez la consulter.
   

Si vous avez répondu « Oui » à cette question, l’analyse est terminée et vous avez déterminé qu’un service uniforme est adéquat pour les membres des deux collectivités de langue officielle.

Si vous avez répondu « Non » à cette question, passez à l’étape 3 pour déterminer comment il faut adapter le service ou le programme.

Étape 3– Déterminer comment il faut adapter le service ou le programme aux besoins de la communauté minoritaire de langue officielle en situation minoritaire.
Questions Oui Non
a) Est-il nécessaire d’adapter le contenu afin de tenir compte des besoins particuliers de la minorité linguistique?    
b) Est-il nécessaire d’adapter le mode de prestation de services afin de tenir compte des  besoins particuliers de la minorité linguistique?    

Si vous avez répondu « Oui » à l’une ou l’autre des questions de l’étape 3, le service ou le programme doit être adapté aux besoins de la minorité afin que son contenu ou son mode de prestation tienne compte des besoins de la minorité. Si le programme ou le service a déjà fait l‘objet  d’adaptations, les modifications apportées devraient être consignées dans le cadre du processus.

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