Action collective Bouchard (système de paye Phénix) : Jugement rectifié approuvant l’entente de règlement
Cour Supérieure
(Chambre Actions Collectives)
Canada
Province de Québec
District de Québec
N° : 200-06-000214-174
Date: 15 avril 2025
Sous la présidence de : L’honorable Jean-François Émond, j.c.s.
Ezmie Bouchard
Demanderesse
c.
Procureur général du Canada
Défendeur
Jugement Rectifié
(Sur une demande d’approbation d’une transaction)
1. La demande
[1] Les parties reviennent devant le Tribunal (6) six ans après le jugement d’autorisation de l’action collectiveVoir la note en bas de page 1. Une transaction étant intervenue, elles demandent qu’elle soit approuvée.
[2] La demanderesse demande aussi que les honoraires des avocats de groupe soient approuvés.
2. La transaction
[3] Le contexte qui a donné lieu à l’action collective est bien connu. Il découle des ratés du système de paye Phénix, lequel a causé des ennuis à plusieurs employés du gouvernement fédéral.
[4] L’action collective ne concerne que les employés non-syndiqués, les employés syndiqués ayant été exclus de l’action collective dans le jugement d’autorisation. Le préjudice subi par les employés syndiqués a fait l’objet d’ententes entre leur syndicat et le gouvernement.
[5] La transaction visée par la demande d’approbation ne concerne donc que les employés non-syndiqués.
[6] Selon la preuve administrée, la méthode utilisée pour établir l’indemnité payable aux membres visés est essentiellement la même que celle qui a été retenue pour indemniser les employés syndiqués, à l’exclusion des particularités dont il fallait tenir compte pour ces derniersVoir la note en bas de page 2.
[7] La transaction porte principalement sur les dommages moraux accordés aux membres, d’autres modalités ayant été mises en place par le gouvernement fédéral pour indemniser pleinement les employés qui ont subi des pertes de revenus ou encouru des dépensesVoir la note en bas de page 3.
[8] Lors de l’audition, une seule personne s’est opposée à la demande d’approbation de la transaction. Il s’agit de madame Renée Delorme. Celle-ci est la représentante d’une action collective entreprise en Alberta quelque temps après celle qui nous occupe. Cette action a été suspendue pour éviter les risques de jugements contradictoires avec la présente instance qui avait préséance.
[9] Dans son opposition écrite, madame Delorme fait valoir que la transaction intervenue en l’instance est moins avantageuse que celle conclue entre le gouvernement fédéral et ses employés syndiqués. Or, il a été démontré que les chiffres et données qu’elle avance ne sont pas conformes à la réalité. À l’audience, madame Delorme l’a reconnu. Elle a toutefois maintenu que les membres visés par la transaction, les employés non-syndiqués, soit les employés temporaires et étudiants, étaient traités de façon moins avantageuse que les employés syndiqués. Elle a plaidé avec beaucoup de conviction que le travail effectué par les employés non-syndiqués et leur apport au sein de l’administration publique était aussi important que celui des employés syndiqués, et que rien ne pouvait justifier qu’ils soient traités différemment.
[10] Nul ne doute de l’apport des employés non-syndiqués au sein de l’administration publique fédérale.
[11] Les employés non-syndiqués ont le droit à un traitement comparable, sans dire qu’il doit être le même.
[12] Est-ce le cas? Suivant la preuve présentée par le Procureur général du Canada, il faut conclure que oui.
[13] La méthode utilisée pour établir l’indemnité dans les deux cas est essentiellement la même. Elle est fondée sur des moyennes de revenu des heures et des jours travaillés. Comme les employés non-syndiqués travaillent généralement moins d’heures que les employés syndiqués, le seuil de dommages moraux est moins élevé. C’est ce qui explique les écarts existants.
[14] De fait, la preuve révèle que la transaction répond aux meilleurs intérêts des membres. Certes, elle n’est pas parfaite et ne répond pas aux revendications de tous. Mais, il ne s’agit pas là du seuil applicable.
[15] Tenant compte du caractère juste et équitable de la transaction et aussi des inconvénients liés à la poursuite du recours, aux aléas qui lui seraient inhérents et des délais qui s’ajouteraient à ceux déjà encourus, le Tribunal estime que la transaction doit être approuvée.
3. Les honoraires
[16] Les honoraires réclamés par les avocats du groupe s’élèvent à 1,4 million $. Si l’on tient compte de la convention d’honoraires intervenue entre la représentante et les avocats du groupe avant l’institution du recours, laquelle fixait les honoraires des avocats du groupe à 20 % de chacune des réclamations liquidées, cela signifie que les honoraires réclamés (1,4 million $), pour correspondre à la convention d’honoraires, nécessiteraient l’atteinte d’un plancher de réclamations individuelles d’environ 7 millions $, soit plus ou moins 25 % à 28 % des réclamations potentielles.
[17] Évidemment, nul ne connaît avec certitude quel sera le taux réel des réclamations qui seront présentées.
[18] Pour s’assurer que les honoraires convenus ne soient pas disproportionnés par rapport au taux de réclamation qui sera éventuellement atteint, le Fonds d’aide aux actions collectives suggère que le paiement des honoraires soit modulé de manière à ce que leur détermination finale soit établie dans six mois, lorsque l’on aura une idée plus juste du taux réel de réclamation.
[19] Le Tribunal estime qu’une pareille modulation ne paraît pas opportune. D’une part, les honoraires convenus paraissent raisonnables eu égard à l’ampleur du dossier qui touche un nombre considérable de personnes. D’autre part, les honoraires payables n’auront aucun impact sur l’indemnité.
[20] En outre, tenant compte des mesures prises par le Procureur général du Canada pour publiciser la transaction et amener les membres à présenter des réclamations, et de la procédure de réclamation relativement simple, il semble probable qu’un taux de réclamation de l’ordre de 28 % sera atteint.
Pour ces motifs, le tribunal :
[21] Accueille la présente demande en approbation d’une transaction et en approbation des honoraires professionnels;
[22] Déclare que la transaction R-1 est raisonnable, équitable et dans le meilleur intérêt des membres du Groupe;
[23] Approuve la transaction R-1 intervenue entre la demanderesse Ezmie Bouchard et le défendeur Procureur général du Canada;
[24] Ordonne aux parties de se conformer aux termes et conditions de la transaction R- 1;
[25] Déclare que la transaction R-1 liera tous les membres du Groupe qui ne se seront pas dûment exclus de l’action collective dans les délais prescrits;
[26] Déclare, conformément au paragraphe 5.2 de la transaction R-1, que :
« Les Membres du Groupe qui ne se sont pas exclus dans le Délai d’exclusion donnent une quittance complète et finale au Défendeur, ses ministères, entités, employés, préposés, mandataires, administrateurs et autres dirigeants, anciens et présents, successeurs et ayants droit, et ses assureurs, à l’égard de toutes les réclamations, demandes, obligations et causes d’actions, de quelque nature que ce soit, en vertu du droit civil, de la Common Law, du droit public, des Chartes ou du droit statutaire, visant tous les dommages, contributions, indemnités, coûts, débours ou dépens, dépenses et intérêts de quelque nature que ce soit, matériels et moraux, exemplaires ou punitifs, incluant le stress, les troubles et inconvénients, passés, présents ou futurs, découlant, directement ou indirectement, du jugement d’autorisation ou des faits allégués dans la demande introductive d’instance. Les Membres du Groupe qui ne se sont pas exclus dans le délai d’exclusion s’engagent à ne pas poursuivre le Défendeur ou toute autre personne qui pourrait exercer contre le Défendeur, un recours en garantie, en mise en cause, pour contribution ou en dommages intérêts. »
[27] Approuve l’avis aux membres tel que proposé ainsi que la méthode de publication de cet avis telle que décrite aux annexes de la transaction R-1;
[28] Ordonne la publication de l’avis aux membres conformément aux modalités de la transaction R-1;
[29] Confirme la désignation du défendeur à titre d’administrateur des réclamations, à l’intérieur des limites prévues par la transaction R-1;
[30] Approuve en substance la forme et le contenu du Formulaire de réclamation;
[31] Déclare que les membres du Groupe qui souhaitent déposer une réclamation doivent le faire conformément aux modalités prévues à la transaction R-1 et en remplissant le Formulaire de réclamation dans les délais prescrits;
[32 Prend acte du désistement de la demanderesse eu égard à sa demande interlocutoire du 13 décembre 2019;
[33] Prend acte de l’engagement des avocats du groupe de rembourser au Fond d’aide aux actions collectives un montant de 37 845,98 $ en remboursement de l’aide versée, dans les 90 jours du jugement rectifié, et leur Ordonne de s’y conformer ;
[34] Approuve le versement des honoraires prévus à la transaction R-1;
[35] Le tout, chaque partie payant ses frais.
Jean-François Émond, j.c.s.
Me Christian Saraïlis
Me Julien Fortier
Me Maxime Guérin
Saraïlis Avocats inc.
Pour la demanderesse
Me Claude Joyal
Me Nadine Perron
Me Maude Lemay-Brisebois
Ministère de la justice
Pour le défendeur
Date d’audience : 18 février 2025