Cinquième comité d'examen indépendant sur les décès de causes non naturelles survenus en établissement entre le 1ier avril 2017 au 31 mars 2019
Rapport fourni au Service correctionnel du Canada par :
Robert Cormier
Gareth Jones
Louise Leonardi
1er avril 2017 au 31 mars 2019
Remerciements
De nombreuses personnes nous ont aidés à effectuer notre examen. Les premières sont celles de la Direction des enquêtes sur les incidents (DEI). Tara Tremblay, coordonnatrice au SCC pour le comité d'examen indépendant (CEI), nous a aidés à nous y retrouver dans le système du SCC et à avoir accès aux documents dont nous avions besoin. Nous lui sommes très reconnaissants de son aide. Mark Nafekh, Mel Sater et Isabelle Bastien ont été disponibles tout au long du processus. Nous avions de nombreuses questions sur les politiques et sur le fonctionnement des enquêtes et ils n'ont pas manqué d'y répondre. Nous les remercions de leur aide assidue.
Nous avons interrogé bon nombre d'employés de différents secteurs d'activité du SCC. Nous les remercions de nous avoir donné de leur temps, surtout ceux dont les exigences se sont multipliées avec la pandémie. Nous remercions également les personnes que nous avons interrogées qui ne relevaient pas du SCC, un membre de la collectivité d'un comité d'enquête, un enquêteur national à la retraite, des fonctionnaires à Sécurité publique, l'enquêteur correctionnel et le personnel de son bureau, l'ex-enquêteur correctionnel, des aumôniers, des représentants d'organismes communautaires venant en aide aux détenus et à leur famille, ainsi que des membres de familles de détenus décédés pendant leur incarcération au SCC. Nous remercions Fannie Lafontaine, professeure, de nous avoir fait part de son expertise et de son expérience à titre d'observatrice indépendante dans le cadre d'une enquête de grande envergure. Nos travaux ont profité des renseignements et des observations que toutes ces personnes nous ont fournis.
En conclusion, nous souhaitons reconnaître la contribution de représentants (que nous avons interrogés) d'organismes d'autres pays qui enquêtent sur les décès dans les prisons : l'ombudsman adjointe du Bureau de l'ombudsman des prisons et de la probation du Royaume-Uni; l'ombudsman des prisonniers (Irlande du Nord) et un membre de la haute direction; l'inspecteur en chef des prisons du Bureau des inspections du ministère des Services correctionnels de la Nouvelle-Zélande; de hauts fonctionnaires du Bureau de la justice et des examens du ministère de la Justice de Victoria en Australie, ainsi que le Bureau de l'ombudsman de la Nouvelle-Galles du Sud. Toutes ces personnes ont été généreuses et accommodantes. Nous avons beaucoup appris de ces enquêtes, comme en témoignent notre rapport et les recommandations qu'il renferme.
Introduction
Les décès de causes non naturelles dans les établissements du Service correctionnel du Canada (SCC) ne datent pas d'hier, tout comme les réponses de l'organisme aux recommandations des enquêteurs cherchant à faire la lumière sur les circonstances de ces décès. Dans son rapport annuel de 2005-2006, l'enquêteur correctionnel s'est dit préoccupé par le temps que prenait le SCC pour produire des rapports d'enquête et par le manque de rigueur qu'il y mettait, ainsi que par les plans d'action élaborés en réponse aux enjeux présentés dans ces rapports. Pour commencer, le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC) a demandé à un universitaire de réaliser une étude sur les décès de causes non naturelles dans les établissements du Service correctionnel du Canada (SCC) (Gabor, 2007). Ce dernier a présenté dans un rapport des résultats préliminaires sur les facteurs récurrents des décès en établissement (manque de communication, manquements aux mesures de sécurité, soins d'urgence après l'incident, programmes en santé mentale et stupéfiants) et a cerné des domaines à approfondir. Après ce rapport, le SCC a mandaté une série de comités d'examen indépendants (CEI) pour examiner les rapports de ses comités d'enquête internes, les politiques et les procédures encadrant le processus d'enquête, les mesures correctives et les plans d'action faisant suite aux recommandations des comités d'enquête, les stratégies en place pour prévenir les décès de causes non naturelles en établissement, ainsi que les pratiques exemplaires d'autres services. Quatre comités indépendants ont effectué des examens dans le passé. Le présent rapport est le produit du cinquième comité indépendant.
Le SCC a établi une base de données sur les décès en établissement qu'il tient à jour. Les analyses des données de cette base sont présentées dans des rapports annuellement. Le dernier Rapport annuel du SCC sur les décès en établissement, qui couvre une période de huit ans (2009-2010 à 2016-2017), analyse les causes des décès et leur répartition entre les régions, le profil des délinquants et les manquements, et présente les recommandations des rapports des comités d'enquête.
Les cinq CEI ont eu le même mandat général (décrit précédemment), mais les termes de référence particuliers qui leur ont été confiés (énoncés dans les ordres de convocation) ont différé, puisque les politiques et les processus d'enquête ont évolué, en partie à la suite des recommandations de leurs prédécesseurs. Les termes de référence du cinquième CEI s'énonçaient comme suit :
- analyser les répercussions des changements que le SCC a apportés à son processus d'enquête à la suite des recommandations du quatrième CEI;
- analyser l'indépendance et l'impartialité du processus d'enquête du SCC;
- suggérer des façons dont le SCC peut communiquer ses rapports d'enquête aux employés pour qu'un plus grand nombre d'entre eux soient au fait des « leçons à retenir » et pour que ces rapports soient plus accessibles au public;
- évaluer si les recommandations formulées par les comités d'enquête s'attaquent bien aux causes sous-jacentes de l'incident ou des incidents, et s'il est nécessaire d'apporter des améliorations d'ensemble aux politiques et aux procédures;
- évaluer les mesures prises par le SCC en réponse aux rapports d'enquête sur les incidents, notamment le caractère approprié et adéquat de ses mesures correctives et de ses plans d'action pour donner suite aux recommandations des enquêtes et aux problèmes sous-jacents;
- examiner les normes et les pratiques d'autres pays encadrant leur processus d'enquête en général et celui s'appliquant lors de décès en particulier, ainsi que la façon dont ces normes et pratiques pourraient améliorer le processus d'enquête du SCC.
Le comité s'est aussi fait demander par la DEI d'examiner une section du Rapport annuel de 2017-2018 du Bureau de l'enquêteur correctionnel, intitulée Attention particulière sur… Enquête sur l'émeute au Pénitencier de la Saskatchewan. Le BEC en était arrivé à d'importantes conclusions sur le processus d'enquête et avait recommandé au ministre de la Sécurité publique de procéder à un examen indépendant de l'article 19 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, lequel oblige le SCC à enquêter sur les décès et les blessures graves de détenus. Le comité s'est occupé d'examiner ces questions, en particulier l'analyse de l'indépendance et de l'impartialité du processus d'enquête du SCC, ce qui a contribué, en partie, à la longueur du chapitre sur le deuxième élément du mandat.
Méthodologie (démarche et personnes interrogées)
Dans le cadre de notre examen, nous avons longuement interrogé la haute direction de la DEI. Nous avons sélectionné au hasard et interrogé des enquêteurs nationaux et un membre de la collectivité. Nous avons également posé des questions à un ex-enquêteur du SCC à la retraite qui a fait partie de plusieurs comités d'enquête.
Lors de notre séance d'orientation en février 2020, nous avons assisté aux présentations de plusieurs employés du SCC sur différents sujets, dont les unités d'intervention structurée, le cadre clinique des Services de santé et les répercussions de l'AIPRP sur les travaux de la DEI. On nous a également donné un compte rendu détaillé de l'émeute survenue au Pénitencier de la Saskatchewan et on nous a informés que le présent CEI était cité dans la réponse du ministre à une recommandation du BEC, après que celui-ci eut critiqué le rapport du comité d'enquête interne devant faire la lumière sur l'émeute dans un segment de son Rapport annuel de 2017-2018. Nous nous sommes entretenus avec des cadres d'établissements ayant participé aux enquêtes de la DEI sur les décès à titre de témoins.
Nous avons interrogé trois membres de familles de détenus décédés dans un établissement du SCC, ainsi que les représentants de cinq organisations intervenant auprès des familles de détenus. Nous avons aussi discuté avec trois aumôniers qui travaillent au SCC.
Nous avons interrogé l'enquêteur correctionnel et l'avocat général qui travaille avec lui et nous avons rencontré des employés de leur bureau (BEC). Nous avons également discuté avec l'ancien enquêteur correctionnel, Howard Sapers, et nous avons révisé de la documentation sur les décès en établissement tirée de son rapport d'examen indépendant des services correctionnels de l'Ontario (2017).
Nous avons interrogé d'autres représentants du SCC, notamment des cadres à la Direction des valeurs, de l'intégrité et de la gestion des conflits, aux Politiques stratégiques, à la Gestion du rendement et à la Recherche. Nous avons aussi posé des questions à des fonctionnaires à la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale, au ministère de la Sécurité publique.
Nous avons communiqué avec le Syndicat des agents correctionnels du Canada (SACC), sans toutefois obtenir de réponse.
Nous nous sommes entretenus avec des cadres supérieurs du Bureau du coroner en chef de l'Ontario et du ministère des Services correctionnels de l'Alberta.
Nous avons discuté avec des organismes qui enquêtent sur les décès survenant dans des établissements de l'État, notamment avec l'Unité des enquêtes spéciales de l'Ontario et le Bureau de l'ombudsman de l'Ontario.
Nous avons interrogé Me Fannie Lafontaine, qui a été nommée par le gouvernement du Québec pour agir comme observatrice civile indépendante d'enquêtes sur des allégations d'infractions commises par des policiers à l'endroit d'Autochtones.
Nous avons communiqué avec des organisations ailleurs dans le monde qui enquêtent sur les décès survenant dans des établissements carcéraux. Nous avons longuement interrogé l'ombudsman adjoint du Bureau de l'ombudsman des prisons et de la probation du Royaume-Uni, l'inspecteur en chef des prisons du Bureau des inspections du ministère des Services correctionnels de la Nouvelle-Zélande, l'ombudsman des prisonniers d'Irlande du Nord, des hauts fonctionnaires du Bureau de la justice et des examens du ministère de la Justice et de la Sécurité de Victoria en Australie, ainsi qu'un cadre supérieur du Bureau de l'ombudsman de la Nouvelle-Galles du Sud. Nous avons obtenu une quantité importante de documents de ces organisations. Nous avons consulté leurs sites Web et lu des rapports d'ensemble et des rapports individuels sur des décès en établissement survenus dans ces pays.
La DEI a demandé au comité d'examiner la critique que le BEC avait faite à l'égard du comité du SCC qui a enquêté sur l'émeute au Pénitencier de la Saskatchewan et sur le décès survenu le 14 décembre 2016 (critique incluse dans un segment du Rapport annuel du BEC de 2017-2018). Le ministre de la Sécurité publique a donné suite à une recommandation clé provenant de ce segment, laquelle citait le cinquième CEI. Dans le cadre de ce processus, nous avons obtenu le rapport du comité du SCC qui a enquêté sur l'émeute au Pénitencier de la Saskatchewan.
Nous avons étudié un grand nombre d'autres documents au cours de notre examen, dont 25 rapports de comités d'enquête sur des décès de causes non naturelles qui relevaient de notre mandat, ainsi que les rapports connexes des réunions sur les enquêtes nationales (REN). Nous avons aussi consulté le travail du comité qui a enquêté sur les attaques commises à l'endroit de détenus qui avaient un statut de protection à l'Établissement d'Edmonton en 2018. Le rapport ne traitait pas de décès, mais il était d'intérêt pour avoir une idée de la culture du SCC et de la nouvelle façon dont la DEI rédige ces rapports.
Nous avons également obtenu et passé en revue les politiques du SCC et de la DEI, les Directives du commissaire et les procédures liées aux enquêtes sur les décès en établissement, l'engagement auprès des familles et celui auprès des victimes, l'aumônerie, le processus simplifié de divulgation et les mesures disciplinaires. La DEI nous a transmis la description du poste d'enquêteur, les responsabilités, les documents de formation, les directives en matière de conflit d'intérêts et le tableau expliquant le déroulement des activités. On nous a donné de l'information sur les antécédents des membres de la collectivité.
Nous avons examiné les rapports des CEI précédents, surtout celui du quatrième CEI, et la réponse que lui a donnée le SCC, le Rapport annuel du BEC de 2017-2018, ainsi que le rapport annuel du SCC sur les décès en établissement de 2016-2017.
Nous avons étudié la documentation du SCC concernant les relations avec les médias, la communication d'information, la trousse de formation sur les avis de décès, et nous avons examiné plusieurs types de plateformes de communication et de mécanismes de diffusion à la disposition du Service.
Nous avons aussi révisé les recherches du SCC sur le Résumé des constatations de son sondage national mené auprès des détenus en 1995, de même que la méthodologie et les sondages derrière les plus récentes entrevues sur les multiples surdoses des analyses approfondies de la DEI.
Nous avons consulté les recherches sur le questionnaire visant à mesurer la qualité de vie en prison (Measuring Quality of Prison Life [MQPL]).
Mise en garde importante
Comme nous l'indiquons à plusieurs reprises dans le présent rapport, nous n'avons pas pu étendre notre champ d'enquête comme nous l'aurions souhaité, en raison des contraintes de temps que nous a imposées le SCC lorsque nous avons été engagés.
Pour cette même raison, manque de temps, nous n'avons pas pu approfondir autant que nous l'aurions souhaité la manière dont chacun des comités d'enquête a été mené. Nous n'avons tout simplement pas eu le temps d'obtenir et d'examiner l'ensemble de la documentation de chaque comité d'enquête, ne serait-ce qu'un seul ensemble. Cette documentation aurait pu inclure les plans d'enquête, les plans d'entrevue, la transcription des entrevues, des copies de documents, les notes des membres des comités d'enquête, des courriels provenant de membres de comités d'enquête ou envoyés à ceux-ci ou échangés entre eux, etc. Le fait de pouvoir examiner cette documentation nous aurait certainement donné un meilleur portrait de la qualité du travail d'enquête d'un comité en particulier.
Soyons clairs, nous ne laissons aucunement sous-entendre qu'il a été difficile d'obtenir cette information ou qu'il aurait été difficile de l'obtenir si nous l'avions demandée.
En résumé, le manque de temps a quelque peu entravé notre capacité à déterminer le niveau d'indépendance, d'impartialité et de rigueur d'un comité d'enquête donné, de manière conforme aux exigences judiciaires. Au final, nous nous sommes fiés au contenu des rapports des comités d'enquête pour faire notre évaluation. Bien que nous soyons à l'aise avec nos conclusions, elles ne sont pas fondées sur un examen exhaustif de toutes les informations potentiellement pertinentes.
Cela dit, nous n'avons trouvé aucune preuve prima facie de renseignements qui contredisent nos conclusions finales, et nous estimons que nous n'aurions pas pu en trouver, même en creusant davantage. Nous sommes convaincus que nos résultats et nos recommandations reposent sur une base probante suffisamment solide, comme nous l'expliquons dans le rapport.
Structure du rapport
Le présent rapport est structuré suivant l'ordre des éléments du mandat décrits précédemment. Le premier chapitre traite donc de l'analyse des répercussions des changements que le SCC a apportés à son processus d'enquête à la suite des recommandations du quatrième CEI. Les autres chapitres traitent de l'indépendance et de l'impartialité du processus d'enquête du SCC; des façons dont le SCC peut mieux communiquer ses rapports d'enquête aux employés pour qu'un plus grand nombre d'entre eux soient au fait des « leçons à retenir » et pour que ces rapports soient plus accessibles au public; des recommandations formulées par les comités d'enquête, pour vérifier si elles s'attaquent bien aux causes sous-jacentes des incidents, et du caractère approprié et adéquat des mesures correctives et des plans d'action du SCC. Le sixième élément du mandat, qui est d'examiner les normes d'autres pays encadrant les processus d'enquête, ne fait pas l'objet d'un chapitre distinct; il est plutôt intégré aux autres, s'il y a lieu, en particulier au chapitre 2. Les membres du comité ont travaillé en équipe, mais ils se sont divisé les éléments du mandat. Chacun s'est ainsi vu confier la responsabilité d'un ou deux éléments et la rédaction du chapitre correspondant. La répartition s'est faite comme suit : Robert Cormier, les premier et cinquième éléments; Gareth Jones, le deuxième élément; et Louise Leonardi, les troisième et quatrième éléments.
Des recommandations sont formulées à différents endroits dans le rapport et sont résumées à l'annexe A.
Chapitre 1
Terme de référence
- Analyser les répercussions des changements que le SCC a apportés à son processus d'enquête à la suite des recommandations du quatrième CEI
Pour pouvoir s'acquitter de ce volet de son mandat, le comité a commencé par passer en revue les recommandations du quatrième CEI; il a déterminé que cinq des 17 recommandations du rapport traitaient d'aspects liés au processus d'enquête. Nous avons reçu un document (Mesures correctives et plan d'action de la gestion [MCPAG] de la Direction des enquêtes sur les incidents [DEI]) faisant état de la réponse du SCC à chacune des recommandations du quatrième CEI. Le rapport de ce dernier a été officiellement publié en novembre 2018, mais des mesures ont commencé à être instaurées quand les autorités du SCC en ont reçu une copie en juillet 2018.
La tâche du comité était d'examiner chacune de ces cinq recommandations et la réponse du SCC à chacune, de déterminer les changements qui en ont découlé et d'évaluer les répercussions de ces changements. Dans un grand nombre de cas que nous avons examinés, les comités d'enquête ont été convoqués avant juillet 2018. Aux fins de la tâche, nous avons examiné les rapports des comités convoqués à partir de juillet 2018. Dix des 25 rapports entraient dans cette catégorie. Cette mise en garde étant faite, notre examen et notre analyse de chacune des recommandations sont présentés ci-dessous.
Recommandation no 5 du quatrième CEI
Envisager d'inclure dans son cadre de référence des enquêtes sur les incidents i) les valeurs fondamentales de dignité et de respect des détenus du SCC et ii) des normes internationales, comme l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies, à titre de critères pertinents pour les enquêtes que le SCC mène sur les incidents de suicide qui surviennent en isolement.
Le quatrième CEI en est arrivé à cette recommandation après avoir analysé le suicide d'un détenu désespéré ayant longuement séjourné en isolement. Le comité a conclu que les employés du SCC n'avaient pas tenu compte dans leurs décisions des valeurs fondamentales de l'organisation (respect, justice, professionnalisme, inclusion, responsabilisation, voir la DC 001) ni des normes reconnues internationalement pour le traitement des prisonniers. Dans sa réponse à cette recommandation, le SCC a indiqué que les membres du comité ont été invités à tenir compte de la mission et des valeurs fondamentales du SCC, ainsi que des normes internationales comme critères pour leurs enquêtes.
Le comité n'a pas trouvé d'exemples où le comité d'enquête a établi un lien explicite entre ses conclusions et ses faits à l'appui et les valeurs fondamentales du SCC ou les normes internationales. Il y a tout de même eu quelques cas où des membres ont prêté attention aux valeurs fondamentales dans leur enquête, même si celles-ci n'ont pas été explicitement mentionnées. À titre d'exemple, le comité qui a enquêté sur un suicide survenu en isolement avant juillet 2018 (cas décrit plus loin, au cinquième élément du mandat) ne renvoie pas précisément aux valeurs fondamentales du SCC ou aux normes internationales pour le traitement des prisonniers, mais il a fait preuve d'un respect remarquable envers le délinquant en examinant soigneusement les événements du point de vue de ses expériences et de ses besoins. Nous sommes d'accord avec le quatrième CEI concernant l'importance à accorder aux valeurs et aux principes éthiques dans le processus d'enquête. Nous formulons donc la recommandation qui suit.
Première recommandation
Que les valeurs et les principes éthiques du Service correctionnel du Canada soient énoncés dans le mandat du comité d'enquête, qu'ils soient des éléments centraux du processus d'enquête le cas échéant, et qu'ils figurent dans les conclusions et les recommandations, s'il y a lieu.
Le comité a constaté, à la lecture du Rapport annuel sur les décès en établissement de 2016-2017, qu'au cours d'une période de huit ans, environ 39 % des suicides sont survenus en isolement. Depuis la rédaction du rapport du quatrième CEI, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée : les dispositions sur l'isolement ont été abolies et les unités d'intervention structurée (UIS) ont vu le jour, entre autres. Il est possible qu'il y ait moins de suicides dans les UIS qu'il y en avait dans les unités d'isolement, parce que le niveau d'encadrement y est différent. Il sera important de continuer à recueillir des données sur les lieux des décès pour voir si cette possibilité se confirme. Le SCC a indiqué dans sa réponse au quatrième CEI que les comités d'enquête continueront de tenir compte des valeurs fondamentales et des normes internationales dans le contexte des UIS.
Recommandation no 10 du quatrième CEI
Que les enquêtes sur les incidents menées par le SCC permettent d'examiner les quatre piliers liés aux problèmes de toxicomanie afin d'éclairer les stratégies de prévention, de traitement, de réduction des méfaits et d'application de la loi.
Le quatrième CEI en est arrivé à cette recommandation après avoir observé que les enquêtes sur les suicides ciblaient presque exclusivement les stratégies de surveillance et d'application de la loi, et qu'elles analysaient peu les trois autres piliers. En réponse à cette recommandation, le SCC a indiqué que la DEI a instauré une approche pour enquêter de manière approfondie les cas de surdoses (mortelles et non mortelles) en faisant appel à des groupes de discussion, à des entrevues et à des questionnaires axés sur les quatre piliers. Les données recueillies dans le cadre de ces travaux ont permis de rendre compte du développement des stratégies de prévention et de réduction des méfaits. Nous estimons que cette initiative permet au SCC de mieux comprendre le problème de toxicomanie dans les pénitenciers et d'améliorer les stratégies de prévention des surdoses, et nous sommes d'avis qu'elle devrait être poursuivie.
Dans sa réponse, le SCC avait indiqué qu'[traduction] « il fait partie du travail des enquêteurs d'examiner les soins, le traitement et la surveillance que reçoivent les délinquants et de formuler des recommandations, s'il y a lieu ». Le comité a examiné un sous-ensemble de rapports pertinents de comités d'enquête à la recherche de preuves de cela. Le comité a examiné quatre cas de surdose qui ont fait l'objet d'une enquête après juillet 2018. Dans un rapport, on pouvait consulter des détails sur la consommation antérieure de drogue du détenu, ainsi que sur son engagement par rapport aux programmes de traitement et de réduction des méfaits. Dans un autre, on y décrivait la consommation de drogue du détenu et le lien avec son casier judiciaire, et on y mentionnait sa récente participation à un programme correctionnel général. Le troisième rapport relatait un cas inhabituel du fait que le délinquant n'était pas connu comme un consommateur de drogue, même s'il avait été condamné pour possession et trafic de stupéfiants. Le quatrième cas suivait l'approche d'analyse approfondie : entrevues avant la tenue du comité et questionnaire poussé avant l'arrivée du comité d'enquête.
Globalement, le comité a conclu que le fait d'inclure des renseignements sur la participation des détenus aux programmes et sur les stratégies mises en place pour gérer les problèmes de toxicomanie a permis d'avoir un portrait plus complet des circonstances ayant mené aux incidents, et un cadre plus large pour cerner les problèmes aux fins des rapports. Le SCC a grandement fait progresser ses enquêtes sur les cas de surdose en suivant l'approche des quatre piliers. En nous fondant sur le quatrième CEI, nous formulons la recommandation ci-dessous.
Deuxième recommandation
Que l'« examen des quatre piliers » figure dans le mandat des comités qui enquêtent sur les surdoses.
Recommandation no 15 du quatrième CEI
Que la politique du SCC relative aux enquêtes sur les incidents encourage les enquêteurs à aller au-delà de l'évaluation du respect de politiques précises et à souligner, dans une section réservée à cet effet dans leurs rapports, les conclusions et les recommandations concernant les pratiques inadéquates, les lacunes au chapitre des politiques et les problèmes sous-jacents.
Le quatrième CEI en est arrivé à cette recommandation après avoir examiné le rapport d'un comité d'enquête qui a constaté qu'une pratique courante d'un établissement ne répondait pas aux critères de transparence et de prise de décisions adéquates, mais qui n'a pas recommandé de la corriger. Dans sa réponse au quatrième CEI, le SCC a indiqué qu'une section intitulée « Principaux éléments de non-conformité et problèmes sous-jacents » figure désormais dans le rapport des comités d'enquête. Cette section vise à cerner les principales lacunes des politiques et les problèmes sous-jacents qui appuient directement les recommandations, afin d'éviter que des incidents similaires ne se produisent dans le futur. Le comité a remarqué que cette section est couramment utilisée; les rapports des comités d'enquête s'en voient ainsi grandement améliorés. Nous félicitons le SCC de cette initiative et nous l'encourageons à continuer d'utiliser cette section.
Recommandation no 16 du quatrième CEI
Que le cadre de référence des enquêtes portant sur un décès en établissement exige, dans les cas où l'enquête cerne de multiples problèmes graves de conformité avec les politiques, que les enquêteurs examinent les facteurs liés à l'environnement et aux opérations de l'établissement. Ces facteurs comprendraient les politiques, les plans et les procédures ayant une incidence sur un milieu de travail sain et respectueux, tout examen du milieu de travail ou tout sondage auprès du personnel, les plaintes et les griefs déposés par les délinquants ou tout autre signe avant-coureur de l'incident.
Le quatrième CEI en est arrivé à cette recommandation après avoir examiné le cas du détenu Matthew Hines, un incident qualifié d'« extrêmement troublant » (Nadeau, 2018) où des manquements graves ont été commis, notamment parce qu'un agent inflammatoire a été utilisé de manière répétée et inappropriée en direction d'un délinquant non violent souffrant de troubles mentaux, ce qui a contribué à son décès. Le quatrième CEI a été consterné de voir à quel point les employés avaient dérogé aux normes de pratique attendues (Mission et valeurs fondamentales du SCC). Le comité a conclu comme suit : « Compte tenu de l'étendue et de l'ampleur des violations qui ont entraîné ce décès en établissement, il est difficile d'imaginer qu'il n'y avait pas d'interactions précédentes entre les employés et les détenus qui auraient pu annoncer l'intervention de sécurité extrême où on a fait très peu de cas du bien-être de la personne. Les signaux d'avertissement dans les mois précédents auraient-ils pu mener à cet incident? » (p. 55)
La réponse du SCC à cette recommandation comportait deux volets. Le premier était que la DEI insisterait sur l'élaboration de cadres de référence particuliers aux circonstances des incidents. Le comité a examiné les rapports des comités d'enquête sous cet angle et a constaté que des éléments particuliers avaient été ajoutés aux éléments standards dans bon nombre de cas (c.-à-d. existence de signes précurseurs, cote de sécurité/placement, présence du personnel dans le secteur, intervention du personnel). Parmi des éléments précis ajoutés, mentionnons ceux-ci : « Santé mentale examinée par le psychologue », « Évaluation globale de la santé mentale des détenus et plan de traitement », « Mesures en place pour prévenir les incidents liés à la consommation de drogue et examen des comités d'enquête pour en tirer des leçons », « Stratégie de répression des drogues et conformité au plan de fouille », « Fréquence et qualité des fouilles effectuées dans la rangée 3D » et « Gestion des groupes menaçant la sécurité (GMS) et des Autochtones affiliés aux GMS ». Notre conclusion générale est que le SCC a bien travaillé en adaptant les cadres de référence aux circonstances particulières des incidents; ce faisant, les enquêtes ciblent les aspects les plus pertinents.
Le second volet de la réponse à la recommandation no 16 du quatrième CEI était que les rapports des comités d'enquête comprendraient une section « Contexte » décrivant et analysant les facteurs liés à l'environnement et aux opérations de l'établissement. Bien qu'elles ne soient pas normatives, les lignes directrices encadrant les rapports des comités d'enquête dressent une longue liste de facteurs que les membres du comité peuvent inclure dans leurs rapports, comme l'analyse de l'environnement, la gestion de la population/démographie, les enjeux d'enquêtes précédentes, l'analyse des incidents qui se sont produits à l'unité opérationnelle, dans la région et dans l'ensemble du pays et les tendances qui en ressortent, les constatations pertinentes de rapports d'autres comités d'enquête ou du BEC, les plaintes et griefs des détenus avant l'incident et au moment de celui-ci, et les cas où la force a été employée avant l'incident. À l'heure actuelle, la section « Contexte » sert uniquement dans certains cas notoires, lorsqu'elle a précisément été demandée ou a été approuvée par la direction. Nous avons vérifié dans les rapports de comités d'enquête si des cas comptaient une section « Contexte ». Nous en avons trouvé plusieurs. Ils traitaient de divers sujets en lien avec l'incident enquêté, notamment de la crise des opioïdes et des recherches connexes, de la population de détenus et de la double occupation des cellules, de la culture carcérale et des affiliations à des gangs, des GMS et des Autochtones affiliés aux GMS et du rôle d'un centre résidentiel communautaire dans la surveillance d'un délinquant dans la collectivité et de ses liens avec le SCC. Nous sommes d'avis que l'ajout de la section « Contexte » a été très utile pour comprendre les circonstances de chaque incident et qu'elle a aidé à produire des rapports plus étoffés.
Troisième recommandation
Qu'une section « Contexte » figure dans le rapport de tous les comités d'enquête.
Problème sous-jacent
Le problème sous-jacent à la recommandation no 16 du quatrième CEI est décrit dans le paragraphe précédant la recommandation :
"Ce qui s'est passé dans ce cas, c'était une dérogation flagrante aux normes de pratique attendues du SCC, et cela frappe au cœur de l'organisation. Dans cette circonstance, il incombe au SCC de comprendre autant que possible la genèse de ces événements. Quelle était la supervision du personnel dans les six mois précédents? Comment la performance du personnel était-elle surveillée et documentée? Y a-t-il eu des signes de détérioration dans le fonctionnement de l'établissement? Existait-il dans l'établissement une culture qui permettait le manque de respect à l'égard des détenus?" (soulignement ajouté)
Parmi les cas que nous avons examinés, nous n'en avons pas trouvé qui sont aussi troublants que celui de Matthew Hines, mais nous avons constaté plusieurs défaillances ayant contribué à l'incident dans quelques cas (décrites au chapitre traitant du quatrième élément du mandat, plus loin). Ces dernières amènent le présent comité à s'interroger sur la qualité du rendement des établissements en général et sur les répercussions sur les détenus. Les normes professionnelles du SCC sont énoncées clairement à la DC 001 et, dans le contexte de son mandat et de sa mission, elles lui fournissent un fondement solide de valeurs et d'éthique. Pour soutenir les valeurs et l'éthique, il existe de multiples plateformes de formation et de soutien à tous les niveaux de l'organisation (Programme d'orientation des nouveaux employés, « Et si… alors quoi? », Programme de formation correctionnelle à l'intention des nouveaux employés, Programme de formation des cadres supérieurs opérationnels, Programme sur le leadership éthique, formation sur l'éthique à l'intention des formateurs du SCC, séance sur l'éthique et l'intégrité organisationnelle à l'intention du Comité de direction et séances ponctuelles sur les valeurs et l'éthique pour répondre à la demande ou aux besoins particuliers d'une équipe). Un comité consultatif national sur l'éthique présidé par la commissaire a été établi pour veiller à ce que les valeurs et l'éthique soient intégrées dans toute l'organisation. Le SCC a par ailleurs lancé une initiative d'évaluation des risques liés à l'éthique pour aider à cerner les domaines à risque au travail et à établir des stratégies pour les atténuer.
Au cours de notre examen, nous avons découvert l'existence d'un programme de recherche sur la qualité de vie en prison au Royaume-Uni mené par une équipe de chercheurs de l'université de Cambridge, dirigés par la professeure Alison Liebling (Liebling, 2004; Liebling, 2014; https://www.prc.crim.cam.ac.uk/directory/research-themes/mqpl; Auty et Liebling, 2020). Cette recherche (Measuring the Quality of Prison Life [MQPL]) traite des dimensions centrales à la qualité de vie en prison (respect, rapports, confiance, soutien, équité, sécurité, organisation, cohérence, etc.) et intègre des questionnaires menés auprès de détenus et d'employés. Cette recherche dépasse les paramètres de notre mandat, mais étant donné sa pertinence par rapport à la question sous-jacente à la recommandation du quatrième CEI et sa valeur potentielle pour le SCC, nous avons convenu de l'approfondir. Ce champ de recherche complexe est exploré depuis 20 ans. Il a nécessité des ressources et des efforts importants, mais il a porté fruit. La méthodologie appliquée dans certaines prisons a permis aux cadres supérieurs de relever des maillons faibles et de les corriger. La recherche a par ailleurs montré que les mesures étaient corrélées à un bien-être supérieur, à des taux de suicide moindres, au maintien de l'ordre dans les établissements et à une récidive moindre. Le ministère qui gère les services correctionnels au Royaume-Uni (National Offender Management Service [NOMS]) a officiellement adopté le questionnaire MPQL.
Nous avons examiné les recherches actuelles et les mesures du rendement au SCC et nous n'avons rien trouvé qui se compare au questionnaire MQPL. Le SCC a réalisé des recherches en lien avec la culture (normes et comportements attendus de personnes dans un groupe et un cadre particuliers et la façon dont ces éléments sont façonnés dans les établissements), mais cela ne se compare pas à l'expérience de la qualité de vie dans les établissements. Du point de vue de la mesure du rendement, le comité a été impressionné par la base de données Tendances, Analyse et Performance (TAP). Il s'agit essentiellement d'une base qu'on peut interroger sur des sujets clés comme la gestion de la population, le profil des délinquants, la sécurité, les incidents et les griefs. On peut y consulter le profil des établissements et les changements d'indicateurs clés sur une période de 13 mois et faire des comparaisons entre établissements. Le comité a été frappé par la richesse du contenu de cette base et par la facilité d'accès à l'information que permet la fonction de recherche. Cette base serait précieuse pour ceux qui enquêtent sur les incidents. Une analyste de la DEI pourrait par exemple consulter la base de données TAP pour fournir au comité d'enquête en guise de contexte une photo de l'établissement où s'est produit l'incident. La base de données TAP est utile et elle serait une excellente ressource pour les comités d'enquête, mais elle ne comprend pas les mesures saisies dans le questionnaire MQPL.
Nous avons été informés qu'il y a un certain nombre d'années, des personnes ont proposé de manière spontanée au SCC d'effectuer une recherche sur le questionnaire MQPL, mais il n'y a pas eu de suite à cela à l'époque. Nous ignorons pourquoi. Il y a néanmoins clairement un avantage à mener ce genre de recherche et c'est le constat auquel tous ceux que nous avons interrogés sur le sujet sont arrivés. Une recherche sur la qualité de vie en prison pourrait en effet aider le SCC à mieux comprendre les conditions dans les établissements telles qu'elles sont vécues par les détenus et les employés, améliorer le bien-être général de ces personnes, et aider à réduire les décès de causes non naturelles.
Quatrième recommandation
Que le Service correctionnel du Canada se dote d'un programme de recherche sur la qualité de vie dans ses établissements en s'inspirant de celui entrepris par la professeure Alison Liebling et ses collaborateurs.
Cinquième recommandation
Que les membres des comités d'enquête aient accès à la base de données Tendances, Analyse et Performance (TAP) pour avoir une meilleure compréhension du contexte carcéral d'un incident.
Recommandation no 17 du quatrième CEI
Que le SCC mène une étude de recherche sur un modèle qui intègre des améliorations récentes apportées aux politiques et aux pratiques du SCC concernant l'engagement auprès des familles de délinquants qui décèdent en établissement, dans le but d'établir des pratiques exemplaires dans ce domaine.
Le quatrième CEI en est arrivé à cette recommandation afin d'approfondir les travaux que le SCC avait entrepris en réponse aux recommandations du rapport du BEC intitulé Laissés dans le noir : Enquête sur les pratiques relatives à l'échange et à la divulgation d'information sur les décès en établissement dans le système correctionnel fédéral. Les initiatives visant à améliorer l'engagement du SCC auprès des familles lors de décès en établissement sont énumérées dans le rapport du quatrième CEI :
- Élaborer et mettre en œuvre un processus de divulgation simplifié;
- Établir une directive qui décrit les procédures concernant les notifications de la famille dans des circonstances d'urgence médicale grave;
- Établir des points de contact du SCC auprès des familles (p. ex. des agents de liaison avec les familles) depuis la notification jusqu'à l'achèvement du processus d'enquête;
- Fournir une formation convenable aux agents de liaison avec les familles afin de les aider à communiquer avec les familles dans ces circonstances;
- Envoyer une lettre de condoléances à la famille;
- Préparer un guide pour les familles afin d'expliquer les politiques et les processus à la suite d'un décès en établissement et indiquer des personnes-ressources et des services communautaires clés qui pourraient leur être utiles;
- Modifier l'approche en ce qui concerne l'approbation et la divulgation de l'information en établissant une équipe spécialisée d'experts en accès à l'information et en protection des renseignements personnels qui travailleront en étroite collaboration avec les membres de la famille et d'autres partenaires et intervenants afin de s'assurer que l'information est communiquée de façon appropriée et conforme. (p. 65)
Dans sa réponse à cette recommandation du quatrième CEI, le SCC a indiqué que la Direction de la recherche ne pouvait pas trouver un partenaire externe pour réaliser une telle recherche. Elle allait plutôt examiner les pratiques d'autres services et en résumer les résultats. En interrogeant des employés de la Direction de la recherche, nous avons appris que l'examen avait donné lieu à très peu de documentation sur les pratiques d'autres services et qu'il ne serait pas très utile. Nous avons également appris qu'il avait été difficile de trouver un partenaire de recherche externe principalement parce que les chercheurs avaient des réserves du point de vue éthique à communiquer avec des familles endeuillées. On peut comprendre cette préoccupation étant donné la nature délicate des entretiens menés dans ces conditions. Nous avons noté dans notre discussion qu'une façon de pallier cette difficulté est de s'organiser pour que l'équipe de chercheurs travaille avec un partenaire du secteur bénévole qui a de l'expérience et de l'expertise sur les questions délicates comme celle-ci, un partenaire qui a un lien de confiance avec les familles des détenus. C'est précisément le cas du Regroupement canadien d'aide aux familles des détenu(e)s (RCAFD), qui pourrait participer au projet en établissant un premier contact avec les familles pour tâter leur intérêt par rapport à la recherche et leur volonté à y participerNote de bas de page 1. Le personnel de recherche a convenu que ce serait une option pour pallier cette difficulté et faire avancer la recherche. Avant d'évaluer le modèle, il faudrait avoir un document étoffé en décrivant les composantes, ainsi que les politiques et les protocoles établis pour s'assurer qu'il peut être utilisé partout au pays. D'après la documentation du SCC que nous avons examinée et les entrevues que nous avons faites, nous concluons qu'un tel document n'a pas encore été produit.
Notifications
Les modalités de notification du plus proche parent lors du décès d'un détenu au SCC sont établies à la Directive du commissaire (DC) 530 Décès d'un détenu : notifications et dispositions funéraires. Cette dernière décrit les responsabilités des parties prenantes et les procédures encadrant les notifications et les dispositions funéraires. L'administrateur régional, Communications et Services à la haute direction (ARCSHD) assume le rôle de coordonnateur de la liaison avec les familles, et à ce titre, agit comme la principale personne-ressource transmettant de l'information à la famille en cas de décès en établissement, une fois la notification initiale effectuée par l'établissement. La directive prévoit également que cette responsabilité peut être déléguée au membre du personnel de l'unité opérationnelle (l'agent de liaison avec les familles [ALF]), qui s'en acquittera sous la supervision de l'ARCSHD. Les procédures exigent que l'unité opérationnelle avise dans les plus brefs délais la personne à contacter en cas d'urgence ou le plus proche parent, par téléphone dans la mesure du possible, et qu'elle envoie à cette personne ou à ce proche parent une lettre de condoléances précisant les coordonnées de l'ARCSHD. Ce dernier, ou son délégué, transmettra au plus proche parent le guide Décès d'une personne sous les soins et la garde du Service correctionnel du Canada : Guide à l'intention de la famille et des amis. En outre, l'ARCSHD (ou un employé désigné) recueillera des faits et les communiquera au plus proche parent en respectant les paramètres de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information, sauf si cela est susceptible de nuire à une enquête pouvant mener à des accusations criminelles.
À la lecture des rapports des comités d'enquête, nous avons remarqué que c'est souvent un aumônier qui téléphonait au plus proche parent. Le guide de formation sur les avis de décès aux proches parents exige que l'employé qui avise la famille fournisse ses coordonnées et celle de l'agent de liaison avec les familles (ALF) de l'établissement dans un délai de 24 heures. Selon le guide de formation, l'ALF doit également faire un appel de suivi le lendemain du décès (jamais la même journée, mais dans les 48 heures), et indiquer à la famille qu'elle peut le joindre.
Le comité a interrogé plusieurs familles et employés participant au processus de notification. C'est une période très éprouvante pour les familles qui cherchent à savoir ce qui s'est passé pour que leur proche décédé. C'est aussi très difficile pour le SCC d'appeler les familles pour les aviser et de les aider à ce moment-là. Comme l'enquête n'a pas été réalisée, le SCC peut difficilement leur donner des réponses à ce qu'elles souhaitent ardemment savoir : qu'est-ce qui s'est passé? Un aumônier que nous avons interrogé nous a raconté avoir dû faire plusieurs appels pour rejoindre un membre de la famille. Quand il a annoncé le décès à son interlocutrice, celle-ci est restée muette et a raccroché. Il n'a pas réussi à la rejoindre de nouveau. C'est une conversation difficile à avoir, surtout quand l'employé qui appelle en sait peu sur les circonstances du décès ou ne sait rien sur le sujet.
En examinant les rapports des comités d'enquête, nous avons observé que le délai pour aviser la famille variait considérablement d'un cas à l'autre (d'une heure à trois jours). Il faut s'efforcer d'aviser les familles le plus rapidement possible en se servant des coordonnées inscrites au dossier des détenus. Si le décès est imminent, il est encore plus urgent de communiquer avec le plus proche parent pour qu'il puisse se rendre à l'hôpital auprès du détenu ou qu'il puisse participer aux décisions sur sa fin de vie. D'après nous, il y a un manquement dans les politiques concernant la communication lors d'un décès imminent. Nous formulons (plus loin) une recommandation pour que cela soit corrigé.
Concernant les lettres de condoléances, nous avons constaté, lors de nos entrevues et à la lecture des examens des comités d'enquête, qu'une lettre était habituellement envoyée par le directeur de l'établissement et qu'une autre l'était par l'ARCSHD (ou son délégué), et que si le décès faisait l'objet d'une enquête, la DEI envoyait également une lettre. Les familles nous ont raconté trouver excessif de recevoir trois lettres du SCC et ne plus très bien savoir avec qui communiquer pour avoir plus d'information. Nous recommanderons (un peu plus loin) de simplifier et d'uniformiser les premières communications avec la famille.
Les familles ont fourni de très bons commentaires à propos du guide préparé par le SCC (Décès d'une personne sous les soins et la garde du Service correctionnel du Canada : Guide à l'intention de la famille et des amis, 2017)Note de bas de page 2. L'information est présentée de façon claire, les coordonnées de ressources y sont présentes et l'annexe compte une liste très utile pour aider la famille à s'y retrouver dans le déroulement du processus. Le guide sert également aux employés d'organismes communautaires pouvant être appelés à soutenir la famille à la suite du décès d'un détenu. À l'interne, le Guide permet aux employés du SCC de savoir quelles sont les étapes à suivre, comment l'information est communiquée et qui s'occupe de la liaison avec la famille.
Plusieurs politiques ou directives du SCC traitent de la divulgation d'information lors d'un décès. Comme cela a été indiqué précédemment, la DC 530 fait état de la question comme suit : « l'ARCSHD, ou un employé désigné, recueillera les faits pertinents et les communiquera au plus proche parent, en respectant les paramètres de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information, sauf si cela est susceptible de nuire à une enquête pouvant mener à des accusations criminelles. » Les dispositions sur la divulgation se trouvent dans les DC suivantes :
- La DC 022 (Relations avec les médias) prévoit ceci : "En cas de décès d'un délinquant, le SCC informera le plus proche parent qu'un communiqué de presse sera diffusé dans les 24 à 48 heures suivant le décès. S'il faut plus de temps pour informer les membres de la famille du délinquant, des rajustements seront faits quant à la divulgation de l'information aux médias." (Paragr. 33)
- La DC 041 (Enquêtes sur les incidents) précise ce qui suit : "Le directeur général, Enquêtes sur les incidents, veillera, lorsqu'un détenu décède de causes non naturelles, à ce que le plus proche parent, ou une autre personne désignée, soit informé qu'une enquête a été ordonnée et qu'il/elle peut demander une copie du rapport à la Division de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels du SCC." (Paragr. 3d)
- La DC 784 (Engagement des victimes) mentionne ceci : "Les victimes de détenus qui sont avisées le sont normalement dans les cinq jours suivant le décès et seulement après que le plus proche parent a été avisé," et si la victime est aussi le plus proche parent, les Services aux victimes ou les membres du personnel de l'établissement l'aviseront du décès. (Annexe C)
En résumé, des politiques de divulgation sont en place et, sous réserve des recommandations qui suivent, elles sont généralement adaptées à la divulgation d'information au plus proche parent. Dans les faits, les régions/unités opérationnelles ne fonctionnent pas toutes de la même façon, et certaines caractéristiques du processus de divulgation simplifié restent encore à préciser. Le rôle de l'équipe des ARCSHD n'est par exemple pas toujours clair et la communication écrite au plus proche parent n'est pas toujours la même d'une région à l'autre. La plupart des unités opérationnelles ne divulguent pas de renseignements sur les circonstances du décès ni n'aiguillent la famille vers des ressources d'aide, mais elles s'occupent des questions liées au transport du corps et aux effets personnels. L'équipe de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels au SCC travaille étroitement avec le Commissariat à la protection de la vie privée (CPVP), et lui fournit en temps opportun une liste du type d'information que le SCC a l'intention de communiquer de manière proactive à la famille.
Dans la lettre qu'elle envoie à la famille, la DEI l'invite à participer à l'enquête. Même s'il est rare qu'une famille veuille participer, elle peut communiquer avec la DEI pour lui fournir des commentaires aux fins de l'ordre de convocation et pour être informée des développements de l'enquête. Le comité d'enquête peut interroger les membres de la famille s'il est indiqué que ces derniers peuvent avoir des renseignements pertinents pour l'enquête, mais le manuel de formation de la DEI ne précise pas qu'il doit s'agir du plus proche parent. Le DG de la DEI est ouvert à rencontrer les familles pour réviser les conclusions de l'enquête avec elles, il lui est arrivé de le faire à l'occasion.
Selon notre examen, la formation est un aspect du modèle auquel il faut porter davantage attention. Comme l'a remarqué le quatrième CEI, l'engagement auprès des familles est très complexe dans les circonstances d'un décès. L'événement, qui est traumatisant en soi, peut s'ajouter à des couches de traumatisme basées sur des événements passés. Les membres du personnel qui interviennent auprès des familles après le décès d'un détenu (notification initiale et communication tout au long du processus) doivent savoir agir avec tact et sensibilité et être conscientisés au deuil et aux expériences traumatisantes que vivent les familles. Nous n'avons trouvé aucune preuve que les employés appelés à intervenir auprès des familles dans ces circonstances sont formés en conséquence. Nous constatons qu'il faut continuer de faire davantage connaître le Guide du SCC intitulé Décès d'une personne sous les soins et la garde du Service correctionnel du Canada (2017) et sa trousse de formation Avis de décès produite ces dernières années, lesquels s'adressent aux nouveaux employés et à ceux déjà en place, ainsi qu'à ceux qui prennent part au processus de divulgation. Dans la plupart des rapports des comités d'enquête que nous avons passés en revue, c'est l'aumônier de l'établissement qui avait le mandat d'aviser le plus proche parent du décès, mais d'après nos entrevues, certains aumôniers ignoraient l'existence de la trousse de formation Avis de décès.
Si l'on revient au rapport du quatrième CEI, le BEC avait été motivé dans son étude sur les pratiques liées à la communication et à la divulgation d'information par le fait que certaines familles de délinquants lui demandaient des conseils et de l'aide après le décès d'un des leurs pour avoir accès à de l'information du SCC. Ces familles ont raconté qu'elles avaient de la difficulté à obtenir de l'information, particulièrement sur ce qui avait mené au décès et ses circonstances. Nous avons fait un suivi auprès du BEC pour vérifier si les familles sollicitaient toujours l'aide de son bureau. Les employés qui y travaillent ont remarqué une « forte baisse » des communications des familles une fois que le SCC a mis en œuvre les recommandations de leur rapport (Laissés dans le noir : Enquête sur les pratiques relatives à l'échange et à la divulgation d'information sur les décès en établissement dans le système correctionnel fédéral). Le BEC comprend que les initiatives du SCC ont considérablement amélioré les réponses que les employés fournissent aux familles et il a l'impression, même s'il n'a pas évalué la mise en œuvre du modèle, que les voies de communication avec les familles fonctionnent maintenant assez bien.
Sixième recommandation
Que le Service correctionnel du Canada communique avec le plus proche parent du détenu dont le décès à l'hôpital est imminent, afin de permettre à la famille de se rendre à son chevet ou de participer aux décisions sur sa fin de vie.
Septième recommandation
Qu'il n'y ait que deux lettres possibles qui soient envoyées à la famille. Que le directeur de l'établissement avise la famille, lui offre des condoléances et lui mentionne qu'une lettre du coordonnateur de la liaison avec les familles suivra, que cette personne renseignera la famille sur les circonstances du décès, s'occupera des arrangements funéraires et lui communiquera d'autres détails. Si le décès doit faire l'objet d'une enquête, la Direction des enquêtes sur les incidents enverra une deuxième lettre à la famille pour lui faire savoir qu'elle peut participer au comité d'enquête et communiquer avec lui.
Chapitre 2
Terme de référence
- Analyser l'indépendance et l'impartialité du processus d'enquête du SCC
Structure
Compte tenu de la portée du mandat, nous avons divisé ce chapitre en deux parties. La première traite de l'indépendance, la seconde de l'impartialité. Nous sommes conscients que ces notions sont étroitement liées.
Premiere partie : Indépendance
Qu'entend-on par indépendence?
Dans le contexte des enquêtes, l'indépendance signifie généralement le degré de séparation entre les enquêteurs et l'entité sur laquelle ils enquêtent. Plus l'organisme qui enquête est indépendant, ou est perçu comme tel, plus l'enquête est susceptible d'être crédible, pour les parties concernées et pour les personnes pouvant avoir un intérêt.
Moins les enquêteurs sont indépendants, ou sont perçus comme tels, plus il y a de risques d'allégations selon lesquelles l'enquête a été entachée et les conclusions faussées. Ce sont des allégations faciles à faire et qui peuvent être difficiles à réfuter.
Partout dans le monde, les gouvernements ont créé des bureaux de surveillance, comme des bureaux d'ombudsman, de vérificateurs et d'inspecteurs généraux et de commissaires spécialisés. Ces bureaux sont indépendants des entités qu'ils surveillent. Dans les modèles les plus rigoureux, ces « chiens de garde » rendent compte directement au corps législatif, par opposition au gouvernement. Les enquêteurs qui travaillent pour ces bureaux jouissent donc d'un degré élevé d'indépendance (et, par extension, de crédibilité) que n'ont pas les organismes d'enquête qui rendent compte à l'organisation sur laquelle ils enquêtent.
On observe au Canada, ainsi qu'au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande, une tendance à créer de plus en plus de cadres de surveillance avec un degré important d'indépendance par rapport à l'entité enquêtée.
Cette tendance s'observe en particulier dans les enquêtes sur les décès de personnes sous la garde de l'État. Presque toutes les provinces canadiennes ont créé un organisme civil indépendant ou dirigé par des civils pour enquêter sur les décès et les blessures graves impliquant la police. Le but de ces organismes est de déterminer s'il existe ou non des raisons de croire qu'un agent impliqué est criminellement lié au décès. Le service de police concerné ne joue aucun rôle dans ces enquêtes.
Le gouvernement fédéral et plusieurs provinces ont également créé des organismes civils indépendants qui s'occupent des plaintes contre la police ne concernant pas un décès ou une blessure grave. Ces organismes ont généralement pour mandat de relever les problèmes systémiques présumés ou apparents liés aux services de police en général, et d'enquêter sur ces problèmesNote de bas de page 3.
Les ombudsmans des provinces, qui relèvent des assemblées législatives, surveillent les systèmes correctionnels provinciaux. Ils s'occupent des plaintes individuelles et enquêtent sur les problèmes systémiques, comme l'isolement et le recours à la force des agents correctionnels. Le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC), qui rend compte au ministre de la Sécurité publique, remplit une fonction similaire au niveau fédéral.
Bien entendu, les différents types d'enquêtes exigent différents degrés d'indépendance pour être crédibles. Plus l'enquête est sérieuse, plus le besoin d'indépendance (réelle et perçue) est grand. Le décès d'une personne sous la garde de l'État est, par définition, une affaire très sérieuse.
Comment d'autres pays enquêtent-ils sur les décès en prison?
Comme cela a été mentionné en introduction, un des éléments de notre mandat était d'examiner les normes et les pratiques d'autres pays encadrant leur processus d'enquête en général et celui s'appliquant lors de décès en particulier. On nous a demandé s'il y avait des leçons à retenir d'autres pays quant à la façon dont ils mènent leurs enquêtes en général et celles sur les décès en particulierNote de bas de page 4.
Voici un bref résumé du fonctionnement des organismes avec lesquels nous avons communiqué, accompagné d'information sur leur mandat et leur degré d'indépendance. Tous ces organismes ont un mandat très similaire à celui de la DEI lorsqu'un décès en établissement survient. Les enquêtes réalisées visent à tirer des leçons de ce qui s'est passé et, au besoin, à recommander des changements pour réduire les probabilités qu'un événement similaire se reproduise. C'est au système carcéral de décider de mettre ces recommandations en œuvre et de la manière dont il le fera. Aucun organisme ne mène d'enquêtes criminelles ou disciplinaires.
Les leçons que le SCC pourrait tirer de certaines des pratiques d'enquête de ces organismes sont intégrées tout au long de ce chapitre. De plus, comme ces pratiques sont étroitement liées à l'indépendance et à l'impartialité, nous avons combiné les deuxième et sixième termes de référence du mandat (normes et pratiques internationales) dans ce chapitre, comme nous l'avons indiqué dans l'introduction.
Ombudsman des prisons et de la probation (Prisons and Probation Ombudsman [PPO]) : Angleterre et Pays de Galles
Le Prisons and Probation Ombudsman (PPO) enquête sur tous les décès, de causes naturelles ou non, qui surviennent en Angleterre et au Pays de Galles dans une prison, un centre de détention pour jeunes contrevenants, un centre de détention pour les cas d'immigration, la cellule d'un tribunal ou lors de transports vers ces installations ou au retour de celles-ci. Le PPO a aussi pour mandat d'enquêter sur les décès dans les maisons de transition et certaines unités sécurisées pour enfantsNote de bas de page 5. Le PPO a un rôle semblable à celui du BEC, il enquête notamment sur les plaintes provenant de détenusNote de bas de page 6.
Le PPO existe depuis 26 ans. Il a enquêté sur des centaines de décès depuis qu'il a été habilité à le faire il y a 16 ans.
En 2018-2019, le PPO a enquêté sur 334 décès. De ce nombre, 180 étaient de causes naturelles, 91 étaient des suicides et quatre des homicides. En tout, le PPO a formulé 723 recommandations à propos des décès en établissement, dont 138 concernaient les soins de santé, 117, les interventions d'urgence et 80, la prévention du suicide ou de l'automutilation.
Le PPO enquête sur les décès dans le but de [traduction] « comprendre ce qui s'est passé et de déterminer comment l'organisation dont il surveille la conduite peut améliorer son travail à l'avenir ». Le Service des prisons et de la probation de Sa Majesté (Her Majesty's Prison and Probation Service [HMPPS]), l'équivalent britannique du SCC, n'enquête pas sur les décès, sauf pour d'éventuelles questions disciplinairesNote de bas de page 7.
Le PPO rend compte au ministre de la Justice et ce dernier en définit le budget. En entrevue avec un membre du CEI, l'ombudsman adjointe des prisons et de la probation a affirmé que, pour elle, ce lien compromet son indépendance. Cette reddition de compte n'est pas bonne. Son bureau préférerait rendre compte à un comité parlementaire.
Elle a également souligné à quel point l'indépendance et la perception d'indépendance sont importantes à son travail. Premièrement, en vertu de l'article 2 de la Human Rights Act (loi sur les droits de la personne au Royaume-Uni enchâssant les droits énoncés dans la Convention européenne des droits de l'homme), une enquête indépendante doit être menée quand une personne décède sous la garde de l'État. L'ombudsman adjointe est d'avis qu'une enquête interne menée par le HMPPS ne satisfait pas à ce critère d'indépendance.
Deuxièmement, l'indépendance ajoute un niveau de protection supplémentaire aux intervenants, elle est absolument essentielle à leur crédibilité. Même avec leur statut indépendant, ils ont encore parfois du mal à convaincre les familles qu'ils ne font pas l'apologie du HMPPS.
À sa connaissance, il n'y a jamais eu d'interférence dans une enquête du PPO.
Ombudsman des prisonniers d'Irlande du Nord (Prisoner Ombudsman for Northern Ireland [PONI])
Le Prisoner Ombudsman for Northern Ireland (PONI) a été créé en 2005. Il s'occupe de quatre prisons en Irlande du Nord, ce qui représente environ 1 400 détenus (la moitié d'entre eux sont en détention provisoire).
L'ombudsman est nommé par le ministre de la Justice (nomination publique indépendante). Il est complètement indépendant du Service correctionnel d'Irlande du Nord (Northern Ireland Prison Service), il rend compte à l'Assemblée d'Irlande du Nord par l'entremise du ministre.
Le PONI enquête sur les décès de causes naturelles et non naturelles en établissement depuis la fin de 2005. Il a depuis enquêté sur 33 décès de causes non naturelles (tous des délinquants qui se sont infligé la mort). Il enquête également sur les cas d'automutilation grave non mortelle et sur les décès dans les 14 jours suivant la mise en liberté.
Le bureau compte 14 employés (trois d'entre eux participent aux enquêtes sur les décès) et un budget annuel d'environ 1,1 million de dollars canadiens.
Inspecteur en chef des prisons de Nouvelle-Zélande : Bureau des inspections (Chief Inspector of Prisons of New Zealand: Office of the Inspectorate [OOTI])
L'Office of the Inspectorate (OOTI) surveille le travail du ministère des Services correctionnels, ce qui comprend le réseau d'établissements carcéraux et les services correctionnels communautaires (l'équivalent du service de probation). L'inspecteur en chef dirige le bureau. Ce dernier traite les plaintes, effectue des inspections et enquête sur tous les décès en établissement, y compris ceux de causes naturelles. Le bureau a un rôle hybride : il s'occupe de plaintes de dernier palier à l'interne et enquête sur des incidents graves, comme les décès en établissement.
L'OOTI peut également mener des enquêtes systémiques de sa propre initiative, pour faire la lumière sur des problèmes qui ne sont pas nécessairement liés à une plainte ou à un incident. En août 2020, le bureau a publié une enquête sur le traitement des prisonniers âgés.
L'OOTI surveille 18 prisons de Nouvelle-Zélande, ce qui représente environ 9 200 détenus. Son bureau central se trouve dans les locaux du bureau national du ministère des Services correctionnels, à Wellington, et des employés travaillent à Christchurch et à Auckland.
Concernant son indépendance, l'OOTI fait partie du ministère des Services correctionnels. En dehors de la chaîne de commandement, l'inspecteur en chef rend compte directement au président-directeur général, qui est le fonctionnaire le plus haut placé du ministère. L'inspectrice (le poste est actuellement occupé par une femme) ne rend compte à aucun haut dirigeant des Services correctionnels, pas même au commissaire national des Services correctionnels, qui est l'équivalent de la commissaire au SCC.
L'inspectrice s'entretient régulièrement avec le ministre des Services correctionnels pour discuter de problèmes et d'enjeux divers.
D'autres indices témoignent de son indépendance : elle choisit son propre personnel, qui peut provenir ou non du ministère des Services correctionnels, et elle dispose de son propre conseiller juridique, ce qu'elle décrit comme étant très important, surtout pour assurer une certaine séparation avec le ministère même.
En 2019-2020, l'OOTI a enquêté sur 27 décès en établissement : huit étaient des suicides, un était un homicide et les autres étaient des décès de causes naturelles.
L'OOTI a toute la latitude voulue par rapport aux sujets de ses enquêtes. Il ne sollicite pas nécessairement l'avis d'autres parties, notamment des familles ou du ministère, mais si quelqu'un lui présente des observations, il les évalue et décide d'y donner suite ou non, si la question le mérite. L'OOTI a le dernier mot sur ce qui fait ou ne fait pas l'objet d'une enquête lorsqu'un décès survient.
L'OOTI peut également changer unilatéralement le cap d'une enquête au cours de son déroulement, si les circonstances le justifient.
Il fournit ses recommandations au commissaire national (et au directeur général adjoint de la Santé, s'il y a lieu) et exige une réponse dans un délai de cinq semaines. On nous a informés que 97 % des recommandations de l'OOTI sont acceptées.
État de Victoria, en Australie
Il n'existe pas de système fédéral qui s'occupe des prisons en Australie. Chaque État s'occupe des prisonniers qui sont sous sa responsabilité. Les Services correctionnels de l'État de Victoria (Corrections Victoria) gèrent quelque 7 000 détenus.
Le Bureau d'examen de l'assurance et de la justice (Justice and Assurance Review Office [JARO]) enquête lors de décès de causes non naturelles en établissement. Le JARO est une unité du ministère de la Justice et de la Sécurité publique (Department of Justice and Community Safety), comme le sont les Services correctionnels de Victoria, sans toutefois avoir la même chaîne de commandement que ceux-ci. Le JARO rend directement compte au secrétaire adjoint responsable de la réglementation, du droit et de l'intégrité, puis au secrétaire, qui est le fonctionnaire le plus haut placé au ministère de la Justice et de la Sécurité publique. Les Services correctionnels de Victoria rendent compte à un secrétaire adjoint différent au sein de ce ministère.
En plus des détenus, le JARO surveille le système de justice pour les jeunes, ainsi que les jeunes et les adultes sous surveillance dans la collectivité
Le JARO enquête sur tous les décès de causes non naturelles et cherche, ce faisant, à voir si des problèmes sont généralisés, et à recommander des améliorations à la grandeur du système, s'il y a lieu. Le JARO a enquêté sur huit décès de novembre 2018 à octobre 2019.
Le JARO se décrit comme la « troisième ligne de défense » par rapport aux enquêtes/examens des décès de causes non naturelles de détenus. Normalement, l'établissement où a lieu un décès procède à une enquête interne, laquelle est ensuite révisée par des cadres supérieurs des Services correctionnels de Victoria.
Le JARO est complètement autonome dans ce sur quoi il choisit d'enquêter. Aucune entité extérieure n'influence la façon dont les questions à examiner sont formulées, ce qui comprend les Services correctionnels de Victoria, quoiqu'il puisse lui arriver de les consulter lorsque des enjeux sont soulevés lors du processus de planification des examens.
Il y a souvent une enquête du coroner après le décès d'un détenu. Le JARO fournit son rapport au coroner. On nous a informés que le coroner fait souvent référence aux recommandations du JARO dans ses constatations, et qu'il précise si les Services correctionnels de Victoria les ont acceptéesNote de bas de page 8.
Concernant les liens du JARO avec les Services correctionnels de Victoria, ils sont en général axés sur la collaboration. Dans l'ensemble, la coopération est très bonne, en particulier aux niveaux supérieurs. Comme c'est le cas avec tous les organismes de surveillance que nous connaissons, une certaine tension est présente entre les enquêteurs et les enquêtés, selon ce qu'on nous a indiqué, mais nous sommes d'avis que c'est tout à fait naturel. Le contraire serait en fait préoccupant, selon nous.
État de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie
Nous avons parlé à un haut fonctionnaire du Bureau de l'ombudsman de la Nouvelle-Galles du Sud qui s'occupe des questions relatives aux services correctionnels. L'ombudsman surveille le système correctionnel de l'État. Elle connaît très bien le fonctionnement des enquêtes sur les décès en établissement. Nous avons également examiné les rapports du coroner et d'autres renseignements sur le site Web des Services correctionnels de la Nouvelle-Galles du Sud (CSNSW) et sur d'autres sites.
Les CSNSW comptent environ 14 000 détenus. En 2019, 44 détenus sont décédés en établissement. Lors de tels événements, la Direction des enquêtes des CSNSW et les autorités policières de la Nouvelle-Galles du Sud procèdent à des enquêtes. Le coroner est tenu d'en faire autant. La procédure du coroner est, semble-t-il, très rigoureuse.
Il arrive que d'autres entités participent aux enquêtes lors de décès en établissement. C'est le cas notamment du Bureau d'inspection des Services de détention et du Comité des CSNSW responsable de la gestion des décès en établissement, dont le mandat est de voir à la mise en œuvre des recommandations de l'enquête des coronersNote de bas de page 9. Le Comité est présidé par un commissaire adjoint des CSNSW et est composé de cadres supérieurs des CSNSW, du directeur général du Réseau de la justice, de la santé et de la santé mentale dans le contexte judiciaire de Nouvelle-Galles du Sud, de membres des autorités policières de la Nouvelle-Galles du Sud et de la cour du coroner de l'État.
Critères d'indépendance
Un certain nombre de facteurs permettent de déterminer le degré d'autonomie d'un organisme d'enquête. Ces facteurs sont énoncés ci-dessous. Nous avons vérifié dans quelle mesure la DEI répondait à chacun de ces critères, puis présenté nos constatations et nos recommandations, lorsqu'il y avait lieu d'en faireNote de bas de page 10...
- De qui l'organisme relève-t-il?
- Peut-il décider de ce sur quoi il enquête?
- Est-il habilité à obtenir les éléments de preuve dont il a besoin?
- Comment ses employés sont-ils embauchés?
- Comment gère-t-il les conflits d'intérêts potentiels?
- Quel est son degré de transparence?
- Comment est-il financé?
- D'où proviennent ses conseils juridiques?
De qui l'organisme relève-t-il?
Nous avons déjà traité des différents modèles - p. ex., l'organisme relève d'une assemblée législative, relève directement d'un ministre ou relève de différents niveaux au sein de l'organisation. Le PPO et le PONI sont des exemples d'organismes indépendants entièrement autonomes par rapport au système correctionnel.
Lorsque l'organisme d'enquête fait partie de l'organisation sur laquelle il enquête, de qui son dirigeant relève-t-il? Par exemple, l'ombudsman du ministère de la Défense nationale (MDN) et des Forces armées canadiennes (FAC) relève directement du ministre et ne fait pas partie de la chaîne de commandement militaire et civile. Le BEC ne fait pas partie du SCC, mais il relève aussi du ministre.
Actuellement, le directeur général (DG) de la DEI du SCC relève du sous-commissaire principal (SCP), et non directement de la commissaire. Le SCP assume d'importantes responsabilités dans les enquêtes sur les décès en établissement, notamment celles de tenir le Comité de direction du SCC au courant des enquêtes de niveau I en cours et d'approuver toute prolongation des « échéances établies ».
Nous recommandons ci-après que le DG relève directement du commissaire.
Avant d'en expliquer les raisons, nous tenons à souligner que personne au SCC ne s'est plaint que la structure hiérarchique actuelle posait problème. À notre connaissance, rien n'indique que le processus d'enquête sur les décès soit compromis par le fait que le DG relève du SCP. De plus, cette recommandation ne constitue en aucun cas une critique envers le SCP ou son engagement à mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les décès. Lorsque nous avons rencontré le SCP et la commissaire au début de notre examen, ils nous ont tous deux indiqué très clairement qu'ils attachaient beaucoup d'importance à la manière dont le SCC enquête sur les décès.
Nous savons aussi que la commissaire assume une multitude de responsabilités qu'elle ne pourrait exercer efficacement si elle ne les déléguait pas à l'équipe de la haute direction. L'ajout d'un autre subalterne direct vient évidemment augmenter sa charge déjà très lourde. Nous en sommes conscients.
Mais là n'est pas la question, à notre avis. Comme il est mentionné tout au long du présent rapport, la perception d'indépendance des enquêtes sur les décès dans les établissements du SCC est d'une importance absolument cruciale, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'organisation. Il est particulièrement essentiel d'optimiser la confiance en l'indépendance du processus lorsqu'il s'agit d'enquêtes internes. L'établissement d'un rapport hiérarchique direct avec le plus haut niveau de l'organisation peut contribuer à instaurer cette confiance. L'OOTI en Nouvelle-Zélande en est un exemple. Bien que le bureau de l'inspectrice en chef fasse partie du ministère des Services correctionnels, celle-ci ne relève pas de la chaîne de commandement du système correctionnel, mais plutôt de l'équivalent d'un sous-ministre, et elle a régulièrement accès au ministre.
C'est pourquoi nous recommandons que le DG relève directement de la commissaire. Ce rapport hiérarchique enverrait un message très clair à tout le monde, au SCC, aux familles et au public en général, à savoir que la plus grande responsabilité du SCC est de faire tout ce qu'il peut pour protéger la vie des personnes sous sa garde. En cas de décès de causes non naturelles en établissement, le SCC fera tout en son pouvoir, et au plus haut niveau de l'organisation, pour savoir ce qui s'est passé et pour prendre, au besoin, des mesures afin de réduire au minimum le risque qu'un autre décès survienne dans des circonstances semblables. De plus, cela signifierait que la commissaire a jugé qu'il s'agit d'une priorité si importante pour le SCC que la personne chargée de mener ces enquêtes relèvera directement d'elle.
Selon nous, cette recommandation suscitera probablement des réactions négatives. Les critiques pourraient la qualifier de cosmétique ou d'inutile sur le plan opérationnel, ou affirmer qu'elle crée un fâcheux précédent ou qu'elle imposera un fardeau excessif.
À cela nous répondons que la perception l'emporte parfois sur toutes ces choses, comme c'est le cas ici.
Conclusion
La crédibilité du processus sera renforcée si le DG de la DEI relève directement de la commissaire. Ce rapport hiérarchique témoignera de l'importance que le SCC accorde au travail de la DEI, notamment lorsqu'elle enquête sur des décès de causes non naturelles dans les établissements du SCC.
Huitième recommandation
Que le directeur général de la Direction des enquêtes sur les incidents relève directement de la commissaire du Service correctionnel du Canada.
Peut-il décider de ce sur quoi il enquête?
L'organisme d'enquête peut-il décider de ce sur quoi il enquêtera? Dans la négative, à qui revient cette décision? Qui tire les ficelles, comme dirait un cynique? Lorsque l'organisme commence une enquête, peut-il se diriger là où les éléments de preuve le mènent?
Chaque comité d'enquête dispose d'un ordre de convocation qui énumère les domaines d'enquête ou les éléments du mandatNote de bas de page 11. Les éléments du mandat sont une liste de questions à analyser par le comité d'enquête.
Nous avons examiné les ordres de convocation et les éléments de mandat de chaque rapport de comité d'enquête qui relevait de notre mandat.
L'objectif de chaque enquête était formulé en une phrase passe-partout dans l'ordre de convocation : présenter des constatations et des recommandations 'qui peuvent contribuer à la résolution ou à la prévention efficace de situations ou d'incidents semblables à l'avenir.'
Les éléments de mandat étaient assez génériques et variaient peu d'un incident à l'autre, mais ils étaient appropriés et d'une portée suffisamment large. Selon la nature apparente du décès, les comités d'enquête devaient enquêter sur des domaines manifestement pertinents, dont ceux-ci généralement :
- les signes précurseurs;
- la cote de sécurité du détenu;
- les soins, les traitements et le suivi offerts;
- la présence du personnel;
- l'intervention du personnel.
Comme nous l'avons mentionné dans le chapitre précédent sur le premier élément du mandat, nous avons vu des exemples, dans des rapports de comités d'enquête plus récents, d'éléments de mandat supplémentaires adaptés aux circonstances particulières de l'incident qui, comme nous l'avons conclu, ont contribué à mieux cibler l'enquête sans en limiter la portée. Nous n'avons trouvé aucun cas où des domaines qui devaient manifestement faire l'objet de l'enquête ont été négligés. En outre, le libellé de certains éléments de mandat donnait une certaine marge de manœuvre - p. ex., l'utilisation de l'expression [traduction] « sans toutefois s'y limiter » à propos d'éventuels signes précurseurs dans le rapport du comité d'enquête sur l'émeute survenue au Pénitencier de la Saskatchewan, lequel sera traité en profondeur plus loin dans la présente partie. Les domaines d'enquête énoncés dans l'ordre de convocation sur un cas d'homicide et de blessures graves à l'Établissement de Stony Mountain comprenaient 'l'intervention du personnel et sa gestion des incidents, y compris, sans toutefois s'y limiter,' …suivi de certains domaines.
Toutefois, il y a un problème évident. Les éléments des mandats des comités d'enquête sont établis et approuvés par le SCC. La commissaire les approuve elle-même en cas d'enquêtes sur des décès de causes non naturelles en établissement. Cet état de fait expose le SCC à la critique selon laquelle ce sont ceux qui font l'objet d'une enquête qui en définissent les paramètres. En théorie, des limites pourraient être imposées pour empêcher un comité d'enquête d'explorer des pistes d'enquête qui devraient, objectivement, être explorées.
En réponse à cette critique, nous recommandons d'intégrer une mesure de protection supplémentaire au système actuel à ce stade du processus des comités d'enquête. Les comités d'enquête devraient être habilités à élargir la portée d'une enquête en cours, sans obtenir d'autorisation.
Voici notre raisonnement :
- Permettre à un comité d'enquête d'ajouter unilatéralement un ou plusieurs domaines d'enquête sans obtenir l'autorisation du SCC renforcerait considérablement son degré d'autonomie réelle et perçue. Ce pouvoir enverrait un message très clair : c'est le comité d'enquête qui décide de ce sur quoi il enquête. Il aurait l'aval du SCC pour enquêter là où les éléments de preuve le mèneraient, sans entrave.
- Les enquêtes sont dynamiques, et ce sur quoi elles portent peut changer au fur et à mesure qu'elles progressent. D'importantes questions qui n'étaient peut-être pas apparentes lors de la formulation initiale des éléments de mandat peuvent se présenter au cours de l'enquête. La capacité d'élargir la portée de l'enquête, de la réorienter ou de la recadrer lorsqu'elle est en cours, sans avoir à obtenir l'autorisation de l'organisme visé par l'enquête, renforce aussi bien la perception d'indépendance que l'efficacité de l'enquête.
- D'autres organismes le font. Le PPO nous a indiqué qu'il revient à l'enquêteur et à son gestionnaire de déterminer quelles sont les questions apparentes et les pistes d'enquête appropriées. Ils peuvent recadrer ces éléments au fur et à mesure que l'enquête progresse.Note de bas de page 12 L'OOTI décide de ce sur quoi il enquête et peut se réorienter là où les éléments de preuve le mènent sans demander l'autorisation à qui que ce soit, tout comme le PONI.
Selon nous, il serait avantageux d'ajouter la mention générale « sans toutefois s'y limiter » dans la partie sur les domaines d'enquête de tous les ordres de convocation des comités d'enquête sur des décès de causes non naturelles en établissement. De plus, un autre élément de mandat devrait être ajouté à ces ordres de convocation et ressembler à ceci :
Le comité d'enquête peut élargir l'enquête à toute autre question qu'il juge d'intérêt pour l'enquête pendant qu'elle est en cours.
Nous estimons que ce pouvoir sera rarement utilisé, voire pas du tout. Toutefois, le fait qu'il existe crée un degré de séparation supplémentaire clair et transparent entre ceux qui définissent les limites d'une enquête dont ils font l'objet et ceux qui mènent l'enquête. Cette séparation est d'autant plus importante lorsqu'un organisme enquête sur l'organisation dont il fait partie, comme c'est le cas pour la DEI.
Il se peut que les comités d'enquête disposent déjà ce pouvoir dans la pratique; d'ailleurs, plusieurs personnes qui participent étroitement au processus des comités d'enquête nous ont dit qu'elles pensaient qu'il en était ainsi. Le cas échéant, pourquoi ne pas l'énoncer clairement par écrit dans chaque ordre de convocation?
Selon nous, des inquiétudes pourraient être soulevées quant à la possibilité qu'un comité d'enquête peu scrupuleux prenne des tangentes injustifiées sans faire l'objet d'aucune forme de surveillance. Cette éventualité nous semble hautement improbable. Quoi qu'il en soit, elle ne prévaut pas sur l'avantage lié au fait qu'un comité d'enquête puisse se pencher sur toute question qu'il juge appropriée.
Cela ne signifie pas qu'un comité d'enquête décidant d'étendre la portée d'une enquête n'aurait pas à rendre des comptes. S'il décidait d'enquêter sur d'autres questions, il devrait bien sûr en informer le DG de la DEI. Les raisons justifiant toutes ces décisions doivent être entièrement consignées, y compris dans le rapport final du comité d'enquête. Les échéances et les ressources devraient aussi être modifiées en conséquence.
Conclusions
Dans leur version actuelle, les éléments du mandat sont d'une portée assez large.
Pendant une enquête, il se peut que des questions se présentent et qu'elles ne puissent être traitées exhaustivement dans le cadre des éléments du mandat. Dans ces cas vraisemblablement très rares, les comités d'enquête devraient être habilités à décider unilatéralement de donner suite à ces questions, comme bon leur semble.
Un autre élément du mandat devrait être ajouté à chaque ordre de convocation de comité d'enquête sur un décès de causes non naturelles en établissement et ressembler à ceci :
Le comité d'enquête peut élargir l'enquête à toute autre question qu'il juge d'intérêt pour l'enquête pendant qu'elle est en cours.
Les comités d'enquête doivent rendre des comptes et faire preuve de transparence s'ils utilisent ce pouvoir. Ils doivent indiquer les raisons pour lesquelles ils l'utilisent dans leur rapport final.
Neuvième recommandation
Que le comité d'enquête soit habilité à formuler d'autres éléments du mandat au cours d'une enquête, sans obtenir l'approbation du Service correctionnel du Canada, et qu'il consigne les raisons justifiant cette décision.
Est-il habilité à recueillir les éléments de preuve dont il a besoin?
Les éléments du mandat du comité d'enquête comprennent un passage précis qui prévoit que celui-ci peut 'adopter les procédures et les méthodes qu'il jugera nécessaires au bon déroulement de l'enquête.' Les éléments du mandat indiquent que le comité d'enquête est habilité à fouiller tout immeuble du SCC et à saisir des objets, qu'il a un 'accès complet' au personnel du SCC et qu'il peut 'communiquer avec toute personne à l'extérieur du SCC,' à la discrétion du président. Les employés du SCC sont tenus de collaborer aux enquêtes des comités d'enquête et commettent une infraction s'ils ne le font pasNote de bas de page 13.
En outre, les comités d'enquête sur des décès de causes non naturelles en établissement disposent d'importants pouvoirs en vertu de la Loi sur les enquêtes.
Nous n'avons trouvé aucune preuve indiquant qu'un comité d'enquête n'avait pu recueillir les éléments de preuve nécessaires pour faire son travail. Nous n'avons pas non plus trouvé de preuve d'entrave importante à une enquête d'un comité d'enquête parmi celles que nous avons examinées. Nous avons entendu parler de quelques problèmes de collaboration, mais aucun ne semble avoir empêché un comité d'enquête d'obtenir les éléments de preuve dont il avait besoin pour mener une enquête approfondie.
En résumé, les comités d'enquête disposent de pouvoirs considérables pour recueillir les éléments de preuve. Comme c'est le cas pour de nombreux organismes d'enquête du même ordre, le fait qu'ils disposent de ces pouvoirs signifie qu'ils ont rarement à les utiliser.
Comment ses employés sont-ils embauchés?
Le processus de dotation d'un organisme d'enquête peut donner une idée de son degré d'indépendance. L'organisme d'enquête peut-il choisir ses propres employés? Est-il responsable du processus d'embauche? Peut-il choisir ses propres employés sans l'avis de l'organisation sur laquelle il doit enquêter?
Une autre question connexe est de savoir quel est le degré de réciprocité entre l'organisme d'enquête et l'organisation sur laquelle il enquête. Quel est le processus de mutation du personnel entre l'organisme d'enquête et l'organisation sur laquelle il enquête? S'agit-il de mutations temporaires ou permanentes?
Certains obstacles peuvent se dresser. Par exemple, l'Ombudsman de l'Ontario est un officier de l'Assemblée législative de l'Ontario. Son bureau exerce une surveillance sur la fonction publique de l'Ontario (FPO). Toutefois, ses employés ne sont pas membres de la FPO. Ils ne peuvent pas postuler à des postes de la FPO pourvus au moyen de concours internes. Aucune préférence n'est non plus accordée aux employés de la FPO dans les concours visant à pourvoir des postes vacants au Bureau de l'Ombudsman de l'Ontario. Il en est ainsi pour empêcher toute apparence de conflit d'intérêts potentiel. Cette façon de faire assure un degré supplémentaire de séparation entre les personnes visées par les enquêtes et les enquêteurs.
Les membres du personnel de la DEI sont des employés du SCC. Le DG, les directeurs, les chefs d'équipe, les analystes et le personnel de soutien sont des employés permanents de la DEI. Les enquêteurs nationaux sont des employés du SCC affectés à la DEI pour une période de deux à trois ans, mais leur affectation peut être prolongée. Ils agissent généralement comme présidents des comités d'enquête. Ils doivent notamment planifier et coordonner l'enquête, superviser le travail des membres du comité d'enquête et « livrer un produit de qualité » dans les délais impartisNote de bas de page 14.
Il y a aussi des 'enquêteurs nationaux occasionnels.' Il s'agit d'anciens cadres du SCC embauchés sous contrat comme employés occasionnels du Service pour faire partie d'un comité d'enquête particulier. Ils sont engagés pour un maximum de 90 jours par année.
Les membres du comité d'enquête sont des employés du SCC qui sont libérés de leurs fonctions habituelles pour participer à l'étape de la collecte d'éléments de preuve du comité d'enquête. Ils participent aussi à la rédaction du rapport.
La DEI choisit ses propres employés. Elle affirme que les employés sont en forte concurrence pour rejoindre ses rangs, à tous les niveaux, y compris à titre de membres spéciaux de comités d'enquête.
Les comités d'enquête de niveau I doivent comprendre un membre de la collectivité qui ne peut être ou avoir été un employé du SCC. Il incombe à la DEI de trouver et d'embaucher les membres de la collectivité.
Nous n'avons trouvé aucune preuve indiquant que les employés de la DEI n'étaient pas entièrement dévoués à leurs fonctions, ou qu'une affectation à la DEI était considérée comme un tremplin vers la prochaine promotion. En fait, nous avons été impressionnés par le ferme engagement des employés de la DEI avec qui nous avons communiqué. Toutefois, cela ne règle pas le problème de perception selon lequel la DEI, parce qu'elle est un organisme interne, peut être soumise à des pressions réelles ou perçues de la part d'autres personnes au sein de l'organisation.
On nous a dit qu'il y a des avantages considérables à confier ces enquêtes à des personnes qui connaissent intimement le SCC, et nous en convenons. Elles connaissent le système, la culture, la dynamique, les acronymes, les politiques et les procédures, et ainsi de suite. Elles comprennent les questions telles que les principes d'évaluation des niveaux de risque et de gestion des délinquants violents. Un employé chevronné du SCC nous a indiqué qu'à son avis, un président de comité d'enquête 'ne pouvait exercer ses fonctions' sans connaître le système correctionnel et que 'les profanes ne savent pas ce qu'ils ne savent pas.'
Ces arguments sont valables, mais nous ne les trouvons pas convaincants. Il est très important que les enquêteurs connaissent et comprennent l'organisation sur laquelle ils enquêtent. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'ils doivent y avoir travaillé auparavant. Il n'est pas nécessaire d'être, ou d'avoir été, un policier pour enquêter sur des policiers, ou un avocat pour enquêter sur des avocats. L'ombudsman militaire compte assez peu d'anciens militaires et aucun militaire en service. La majorité des enquêteurs à temps plein de l'Unité des enquêtes spéciales de l'Ontario, qui mène des enquêtes criminelles sur des décès ou des blessures graves impliquant des policiers, n'ont aucune expérience policière.
Nous ne souhaitons pas formuler de conclusion ou de recommandation sur le processus de dotation, mais nous tenons à souligner que plus les membres des comités d'enquête proviendront de l'extérieur du SCC, plus grand sera le degré de séparation entre les personnes visées par les enquêtes et les enquêteurs. Nous en discuterons plus loin, dans la partie sur les membres de la collectivité.
Une autre question se pose, à savoir si l'organisme peut retenir les services de professionnels sans en demander l'autorisation à l'organisation sur laquelle il enquête. La DEI doit passer par le processus normal de dotation en personnel du SCC et le Comité d'examen des marchés du SCC pour procéder à des embauches externes, du moins dans la plupart des cas.
Comment gère-t-il les conflits d'intérêts potentiels?
L'une des façons d'évaluer le degré d'indépendance de l'organisme est d'examiner s'il dispose d'un processus rigoureux pour établir si une personne participant à une enquête est en situation de conflit d'intérêts potentiel.
Un conflit d'intérêts peut être réel, c'est-à-dire qu'il s'avère plutôt évident pour tous. Par exemple, une personne ne peut pas faire partie d'un comité d'enquête si le directeur de l'établissement visé par l'enquête est un membre de sa famille, ou si elle a déjà travaillé assez étroitement avec un agent correctionnel qui semble être impliqué dans l'incident.
Il peut aussi y avoir un conflit apparent. Un conflit d'intérêts apparent peut s'avérer plus nuancé et difficile à définir. Toute apparence doit être raisonnable, c'est-à-dire qu'une personne objective conclurait raisonnablement qu'il pourrait s'agir d'un conflit.
La DEI dispose d'un processus de gestion des conflits d'intérêts pour les membres potentiels des comités d'enquête. En règle générale, un membre du SCC nommé à un comité d'enquête ne proviendra pas de la région où l'incident est survenu. Les membres potentiels des comités d'enquête sont tenus de signaler tout conflit apparent dès que possible, ce qu'ils font parfois d'après ce qu'on nous a dit, surtout parce qu'ils ont déjà eu des rapports avec un employé ou un détenu impliqué dans un incident.
Les membres des comités d'enquête doivent répondre à des questions sur les conflits potentiels. Nous avons reçu une copie du formulaire d'évaluation des risques de conflits d'intérêts de la DEI destiné aux enquêteurs nationaux faisant partie des comités d'enquête ainsi qu'un formulaire semblable destiné aux membres des comités d'enquête pouvant être nommés pour mener des enquêtes de niveau IINote de bas de page 15. Ces deux formulaires semblent assez complets et visent à cerner les conflits potentiels avant qu'un membre potentiel soit nommé pour faire partie d'un comité d'enquête. Ils comprennent des questions visant à établir si le candidat a déjà travaillé dans l'établissement où se tiendra l'enquête ou s'il a déjà eu des rapports avec toute personne susceptible d'être interrogée pendant l'enquête, y compris des collègues du SCC.
Les membres de la collectivité doivent confirmer à la DEI qu'ils ne sont pas en situation de conflit d'intérêts, notamment qu'ils ne sont '...lié[s] d'aucune façon aux témoins potentiels, à qui que ce soit ayant un lien avec l'incident ou aux autres membres du [c]omité d'enquête.'Note de bas de page 16
Nous n'avons pas vu de formulaires de cet ordre dans d'autres organismes menant des enquêtes de surveillance, même si cela ne veut évidemment pas dire qu'ils n'existent pas. Généralement, du moins d'après notre expérience, il incombe à l'employé de signaler tout conflit possible. Nous félicitons la DEI d'avoir élaboré ce processus proactif.
Quel est son degré de transparence?
La transparence d'un organisme donne aussi une idée de son degré d'indépendance. Quels renseignements l'organisme rend-il publics? Publie-t-il des rapports annuels ou spéciaux? Ses rapports d'enquête sont-ils rendus publics, comme c'est le cas pour l'Unité des enquêtes spéciales de l'Ontario?
Dans le cas des organismes d'enquête internes, les politiques ayant une incidence sur leur travail ou les directives générales qui leur sont données sont-elles rendues publiques, comme les directives ministérielles qui régissent les activités de l'ombudsman du MDN et des FAC?
Dans le cas de la DEI, la Directive du commissaire 41 (DC 041) énonce ce qu'elle fait et comment elle le fait. Il s'agit d'un document public.
Nous traiterons de la publication des rapports d'enquêtes des comités d'enquête sur les décès en établissement dans notre réponse au troisième élément du mandat, où nous discuterons aussi de ce que d'autres organismes font ailleurs.
Comment est-il financé?
Le mode de financement d'un organisme d'enquête représente un élément clé de son indépendance. Qui contrôle les cordons de la bourse? Quel contrôle l'organisme exerce-t-il sur son budget? Dispose-t-il d'un financement suffisant pour mener ses enquêtes en profondeur et en temps utile? Peut-il dépenser cet argent comme il l'entend? Ce financement est-il stable?
La DEI dispose d'un budget d'environ cinq millions de dollars. Aucun problème de sous-financement n'a été porté à notre attention, mais, comme il en sera question plus loin, nous avons été mis au fait de problèmes liés à la charge de travail, lesquels se rapportaient davantage à des postes non pourvus qu'à un manque de financement pour les doter. De plus, nous n'avons pas eu vent de problèmes quant à la façon dont l'argent est dépensé. Comme nous l'indiquons dans la partie portant sur l'impartialité, les enquêtes de la DEI sont relativement bien financées, comme elles doivent l'être, vu le travail important et sérieux qu'elles impliquent.
D'où proviennent ses conseils juridiques?
L'organisme dispose-t-il d'avocats internes? Peut-il, de son propre chef, obtenir des conseils juridiques externes sur des questions précises?
Ces questions peuvent s'avérer importantes puisque l'organisme peut parfois être aux prises avec des conflits ayant une incidence sur son indépendance s'il dispose d'avocats qui travaillent aussi pour le compte de l'organisation sur laquelle il enquête ou s'il reçoit des conseils juridiques de celle-ci.
La DEI ne dispose pas d'avocats internes. Elle reçoit ses conseils juridiques de l'Unité des services juridiques du SCC.
Conclusion
Au vu des critères susmentionnés, le mécanisme actuel régissant les comités d'enquête de la DEI n'est manifestement pas indépendant, tant dans la réalité que dans la perception. D'ailleurs, personne au sein ou à l'extérieur du SCC ne prétend qu'il l'est. La DEI n'est pas indépendante, ne dispose pas de sa propre loi et relève de la chaîne de commandement du SCC. Ses avocats travaillent aussi pour l'organisation sur laquelle elle enquête. Elle n'a pas le même degré d'indépendance que le PPO, le PONI, le JARO ou l'OOTI.
Cela dit, et comme nous le verrons dans la partie du présent chapitre consacrée à l'impartialité, le fait que la DEI n'est pas indépendante ne signifie pas nécessairement qu'elle ne peut mener des enquêtes suffisamment impartiales et approfondies.
Ingérence dans le processus des comités d'enquête
Nous formulons plusieurs fois l'observation suivante dans le présent rapport, notamment dans la section 'Mise en garde importante' de la partie 'Démarche et personnes interrogées.' Il est particulièrement important que nous la répétions ici, dans le contexte de la question à l'étude.
Nous n'avons pas eu assez de temps pour examiner tous les documents d'enquête de chaque comité d'enquête que nous avons été chargés d'examinerNote de bas de page 17. De plus, nous n'avons pas eu le temps de mener des entrevues lorsque nous le jugions nécessaire, et ce, pour savoir s'il y avait eu tentative de compromettre ou d'influencer indûment l'indépendance du processus d'un comité d'enquête donné.
Toutefois, au vu des 25 rapports de comités d'enquête que nous avons examinés et des autres démarches d'enquête que nous avons entreprises, dont de nombreuses entrevues avec des personnes prenant part au processus et des conversations avec le BEC, nous n'avons trouvé aucune preuve convaincante d'ingérence systémique exercée par des parties internes ou externes dans les enquêtes de comités d'enquête que nous avons examinées. Il n'y avait aucune preuve évidente de tentative d'entraver ou d'orienter les enquêtes des comités d'enquête que nous avons examinées. Nous n'avons pas non plus obtenu de preuves en ce sens, outre celles mentionnées dans la partie du rapport annuel 2017-2018 du BEC concernant l'enquête sur le Pénitencier de la Saskatchewan.
Cela dit, nous avons été mis au fait d'un cas où un président d'un comité d'enquête aurait dit à un autre membre que ses observations 'n'étaient pas utiles, car elles pourraient ternir la réputation du SCC.' Toutefois, ce cas concernait un comité d'enquête convoqué avant la période que nous devions examiner, et nous n'avons donc pas approfondi la question. Nous avons appris que le membre n'avait pas tenu compte du commentaire et que le président en question ne travaille plus au SCC. Un autre employé du SCC nous a confié qu'on lui avait dit une fois qu'un comité d'enquête avait 'outrepassé son mandat.' Toutefois, cet employé a également indiqué qu'il s'agissait réellement d'un cas isolé et que cela n'avait pas empêché le comité d'enquête en question de faire son travail comme il l'entendait.
Les employés de la DEI et d'autres personnes prenant part au processus avec qui nous avons parlé nous ont dit qu'ils n'avaient jamais subi de pressions indues dans l'exercice de leurs fonctions, y compris lorsqu 'une constatation d'un comité d'enquête pourrait ne pas convenir aux dirigeants.' Ils ne connaissaient pas non plus de cas où une personne faisant partie d'un comité d'enquête aurait subi de telles pressions. Les employés nous ont également dit qu'ils se sentaient à l'aise de 'donner l'heure juste aux dirigeants' et qu'ils n'avaient subi aucun contrecoup pour l'avoir fait. De plus, nous avons été informés que la DEI appuyait solidement les présidents et les membres des comités d'enquête.
Nous savons que des entités au sein du SCC, notamment à l'échelle locale, demandent parfois que des modifications soient apportées aux constatations ou aux recommandations des comités d'enquête. Personne ne nous a dit que ces demandes étaient faites de mauvaise foi ou que des pressions indues étaient exercées sur les membres des comités d'enquête, et nous n'avons obtenu aucune preuve en ce sens. Au contraire, on nous a indiqué, et nous en convenons, qu'il est normal, dans tout processus d'enquête administrative, que les personnes susceptibles d'être touchées par les recommandations aient la possibilité de les commenter avant qu'elles soient rédigées dans leur version définitive. Il serait inéquitable sur le plan procédural de les priver de cette possibilité. Les comités d'enquête doivent tenir compte de leurs commentaires, et ils le font, car ceux-ci comprennent souvent d'autres renseignements importants.
Toutefois, si le comité d'enquête juge que ses constatations ou ses recommandations sont une représentation exacte des faits et de la question à l'étude, il doit rester ferme dans ses conclusions. Tout commentaire de la part d'une entité du SCC qui, aux yeux d'une personne raisonnable, viserait à convaincre le comité d'enquête de modifier ses constatations ou ses recommandations devrait être entièrement consigné. Cet exercice de consignation devrait s'appliquer à l'ensemble du processus d'examen du comité d'enquête, jusqu'à la Réunion sur les enquêtes nationales (REN).
Conclusions
Dans l'ensemble, nous avons constaté que les comités d'enquête s'étaient déroulés sans signe évident de crainte ou de faveur. Nous avons aussi observé que les principaux problèmes avaient été cernés en général et, à quelques exceptions près mentionnées plus loin dans le présent rapport, qu'ils avaient fait l'objet d'un suivi adéquat.
Par souci de transparence et en guise de bonne pratique d'enquête, toute demande de modification d'une constatation ou d'une recommandation du comité d'enquête à l'échelle locale, régionale ou nationale devrait être entièrement consignée à la fois par le demandeur et par le comité d'enquête.
Dixième recommandation
Que toutes les communications entre une partie du Service correctionnel du Canada et les membres du comité d'enquête concernant les constatations ou les recommandations que le comité d'enquête a formulées ou envisage de formuler soient entièrement consignées. Si des modifications sont apportées à une constatation ou à une recommandation, que le processus par lequel elles ont été apportées et leur justification figurent dans un addenda au rapport du comité d'enquête.
Le Bureau de l'enquêteur correctionnel et la recommandation no 10 dans son rapport annuel 2017-2018 Contexte
Dans son rapport annuel 2017-2018, le BEC avait intégré une partie intitulée 'Attention particulière sur… Enquête sur l'émeute au Pénitencier de la Saskatchewan.' Il s'agissait d'un compte rendu détaillé de son enquête sur ce qu'il qualifiait d'« émeute d'envergure » et sur ce que le SCC décrivait comme 'une perturbation majeure' survenue au Pénitencier de la Saskatchewan le 14 décembre 2016. Durant les faits, qui se sont déroulés pendant plusieurs heures, un détenu a été assassiné et deux autres ont été gravement blessés par d'autres détenus. Des dommages totalisant environ 3,5 millions de dollars ont été causés. Les agents correctionnels ont tiré six salves de coups de fusil, blessant six détenus.
Le SCC a convoqué un comité d'enquête. Le BEC a aussi mené une enquête.
Dans son rapport annuel, le BEC a vivement critiqué l'enquête menée par le comité d'enquête. Il a conclu que le comité d'enquête n'avait pas tenu compte d'importants problèmes sous-jacents, dont ce que le BEC croyait être un lien entre l'incident et la mise en œuvre d'un programme national du SCC qui a eu une incidence sur l'approvisionnement en nourriture à l'établissement et qui avait été mal accueilli par les détenus. Il ne souscrivait pas à l'affirmation du SCC selon laquelle l'incident s'était produit spontanément. Plus grave encore, de notre point de vue, le BEC a conclu que '[l]es moyens, la façon et la méthode utilisés par le [c]omité d'enquête pour aborder l'émeute du Pénitencier de la Saskatchewan n'étaient ni transparents ni crédibles.'
Le BEC considérait aussi qu'un résumé de la situation rendu public par le SCC en mars 2018 ne concordait pas avec les constatations du comité d'enquête et qu'il était trompeur à cet égard.
Le BEC a formulé cinq conclusions qui allaient au-delà de l'enquête sur l'incident comme tel. Dans ces conclusions, il critiquait très sévèrement le processus des comités d'enquête en général en soutenant que '.....les omissions de ce [c]omité reflètent les limites et les déficiences inhérentes du processus du CEN.'
Voici les conclusions en question :
- Les conclusions, les leçons retenues et les recommandations des [c]omités d'enquête nationale correspondent rarement à la gravité des incidents qui font l'objet d'un examen - perturbations majeures, voies de fait, émeutes, lésions corporelles graves et décès en établissement.
- Le processus du [c]omité d'enquête nationale n'est pas libre, impartial ou indépendant du Service correctionnel du Canada, sous sa forme, sa fonction ou son apparence.
- Les normes en matière d'enquête - crédibilité, rigueur, intégrité, minutie, qualité - ne sont pas facilement comblées d'un [c]omité d'enquête à un autre.
- Les [c]omités d'enquêtes ne sont pas obligés de rendre leurs rapports d'enquête publics ou même de les distribuer à l'interne.
- Le CEN porte son attention sur les politiques et la conformité aux procédures, mais il échoue souvent à traiter des causes sous-jacentes des incidents récurrents, nuisant à l'apprentissage et limitant les améliorations.
À la lumière de ces conclusions, le BEC a formulé la recommandation suivante au ministre :
- Je recommande que le ministre de la Sécurité publique mène un examen indépendant du processus de [c]omité d'enquête nationale prévu à l'article 19 pour améliorer la transparence, la crédibilité, l'intégrité et la reddition de comptes relativement aux enquêtes ordonnées et menées par le Service correctionnel du Canada. Cet examen tiendrait compte de la possibilité, pour le ministre, d'autoriser la nomination d'un enquêteur externe et indépendant pour qu'il enquête sur les perturbations majeures (émeutes) menant à des blessures ou à des décès, sur les suicides en isolement et sur les interventions nécessitant un recours à la force menant à des lésions corporelles graves ou à des décès.
Nous avons examiné attentivement la recommandation no 10 du BEC et ses conclusions, qui portent évidemment sur l'indépendance et l'impartialité.
Nous avons demandé au BEC s'il disposait d'autres éléments de preuve étayant l'affirmation selon laquelle les lacunes qu'il avait relevées dans le cas du Pénitencier de la Saskatchewan se retrouvaient dans d'autres comités d'enquête sur des décès en établissement. On nous a répondu que le rapport parlait de lui-même.
Lorsque nous avons interrogé les employés de la DEI, nous avons clairement constaté qu'ils jugeaient injustes les critiques du BEC à l'égard du comité d'enquête. Ils considéraient que le BEC cherchait à retirer le SCC du processus d'enquête sur les décès, du moins dans certains cas. Ils se sont défendus contre les cinq conclusions en faisant valoir que la DEI menait des enquêtes impartiales fondées sur des preuves, qu'elle se penchait sur les principaux problèmes (bien qu'ils aient reconnu que cela n'avait peut-être pas toujours été le cas dans le passé) et qu'ils n'étaient pas du tout d'accord pour dire que les comités d'enquête ne traitaient pas des causes sous-jacentes. Ils ont aussi vigoureusement nié que le SCC ait exercé des pressions sur le comité d'enquête pour qu'il fasse abstraction des problèmes liés à la nourriture.
Notre seule façon d'évaluer équitablement le bien-fondé de la critique du BEC ou de la défense de la DEI aurait été de réexaminer leurs deux enquêtes, voire l'incident lui-même, ce qui aurait été un travail colossal. Il aurait fallu obtenir tous les documents d'enquête des deux organisations, ce qui représente une grande quantité de renseignements. Nous aurions probablement demandé à interroger des enquêteurs, des employés de soutien, des décideurs et d'autres employés du BEC et du SCC ayant joué un rôle dans l'affaire. Après avoir tout examiné, nous aurions eu à analyser tous les renseignements recueillis et, peut-être, à déterminer quel point de vue, le cas échéant, reposait sur des preuves suffisantes, pertinentes et fiables. Ou peut-être aurions-nous déterminé qu'il n'y avait pas assez de preuves pour parvenir à une conclusion. Comme nous l'avons maintes fois mentionné dans le présent rapport, nous n'avons tout simplement pas eu le temps ni les ressources nécessaires pour effectuer ce travail.
De plus, nous aurions dû entreprendre une démarche semblable pour chacun des 25 rapports de comités d'enquête que nous devions examiner, ce qu'il nous était aussi impossible de faire. Par conséquent, nous avons dû nous fier aux renseignements contenus dans les rapports des comités d'enquête eux-mêmes, ainsi qu'à des renseignements provenant d'autres sources, comme les différentes parties interrogées.
Voici donc ce que nous avons conclu : nous n'étions pas convaincus qu'il y ait un besoin urgent, à ce stade-ci, de nommer un enquêteur externe et indépendant pour mener de telles enquêtes, et ce, pour plusieurs raisons.
La première, et la plus importante, en est que les enquêtes des comités d'enquête que nous avons examinées étaient, à première vue, exemptes de tout parti pris et qu'elles étaient assez approfondies. Nous n'avons trouvé aucune preuve indiquant que des problèmes avaient été systématiquement négligés ou dissimulés. À quelques exceptions près, et selon les faits présentés dans le rapport, les preuves pertinentes ont été recueillies.
En outre, et il s'agit là de considérations très secondaires, la mise en œuvre de la recommandation no 10 entraînerait probablement des coûts importants. Les enquêteurs externes, souvent des juges à la retraite, et le personnel auxiliaire nécessaire occasionneraient des dépenses très importantes. Il en coûterait probablement des centaines de milliers de dollars pour retenir les services d'une entité externe afin qu'elle mène une enquête d'une portée que l'on trouverait probablement dans les cas mentionnés par le BEC. De plus, la désignation et l'embauche d'un enquêteur externe qualifié pourraient entraîner des retards, l'enquêteur et son équipe pourraient être en période d'apprentissage pendant longtemps avant de devenir des experts instantanés du contexte, de la structure et des pratiques du SCC, et le processus pourrait devenir contradictoire. Dans le pire des cas, le processus risquerait de devenir une petite enquête publique de facto, où les parties chercheraient à obtenir qualité pour agir et s'engageraient dans des contestations judiciaires vraisemblablement sans fin.
Mais cela ne signifie pas que nous devrions maintenir le statu quo. Dans le processus d'enquête des comités d'enquête, nous n'avons pas trouvé d'exemples flagrants de lacunes comme celles mentionnées dans le rapport du BEC, mais nous avons trouvé des éléments préoccupants. Ils seront traités brièvement plus loin dans la partie du présent élément de mandat portant sur l'impartialité, et en détail dans les chapitres suivants du présent rapport.
En outre, et comme nous l'avons mentionné plusieurs fois dans le présent rapport, la perception de l'indépendance des enquêtes sur les décès de personnes sous la garde de l'État est extrêmement importante, peu importe la profondeur et l'objectivité réelles de ces enquêtes.
Pour ces raisons, nous convenons avec le BEC que le processus d'enquête sur les décès en établissement devrait être plus indépendant, notamment dans les circonstances mentionnées dans la recommandation no 10.
Toutefois, cette plus grande indépendance ne devrait pas se limiter uniquement aux circonstances mentionnées par le BEC. Elle devrait également s'appliquer aux situations qui ne relèvent peut-être pas de ces catégories, mais pour lesquelles il est dans l'intérêt public de renforcer l'indépendance du processus des comités d'enquête.
Observateurs indépendants
Nous avons examiné différentes façons de renforcer l'indépendance réelle et perçue du processus des comités d'enquête. Aucune n'était parfaite. Toutefois, nous pensons qu'une solution serait de nommer un observateur indépendant (OI) dans les enquêtes de la DEI sur des affaires hautement médiatisées.
Quel est le rôle de l'observateur indépendant?
L'observateur indépendant (OI) est une personne qui n'est pas associée à l'entité menant l'enquête et qui surveille la progression de celle-ci pour s'assurer qu'elle est menée de façon impartiale.
Le rôle de l'OI est défini dans les éléments de mandat d'un cas particulier. L'élément commun est que l'OI n'est pas un enquêteur, mais plutôt un observateur. Il ne joue pas un rôle actif dans l'enquête en soi. Il ne réalise pas d'entrevues et n'analyse pas les preuves. Les éléments du mandat peuvent varier d'un cas à l'autre, mais de façon générale, ils visent à ce que l'enquête soit menée de façon impartiale.
Dans quels cas?
Nous recommandons qu'un OI soit nommé dans les cas mentionnés par le BEC dans sa recommandation no 10, soit en cas de :
- perturbations majeures (émeutes) menant à des blessures ou à des décès;
- suicides en isolementNote de bas de page 18;
- recours à la force menant à des lésions corporelles graves ou à des décès.
Nous recommandons aussi que ces paramètres s'appliquent aux incidents qui ne font peut-être pas partie de ces catégories, mais pour lesquels il serait dans l'intérêt public de renforcer l'indépendance des processus de comité d'enquête. La commissaire devrait avoir le pouvoir discrétionnaire de nommer un OI pour surveiller toute enquête de la DEI. Le ministre pourrait également ordonner la nomination d'un OI, dans toutes les circonstances qu'il juge appropriées, bien que nous ne sachions pas si l'attribution de ce pouvoir nécessiterait une modification à la Loi sur les enquêtes.
Historique
Les OI ont d'abord été intégrés dans des enquêtes sur des décès et des blessures graves en 2007. La GRC et la Commission des plaintes du public contre la GRC (CPP) de l'époque avaient créé un projet pilote pour répondre aux préoccupations soulevées quant à l'impartialité des enquêtes de la GRC sur ces types d'incidents. Le projet pilote se limitait à la Colombie-Britannique. Depuis, des OI ont été nommés pour examiner des incidents graves impliquant la GRC dans d'autres provinces, notamment au Manitoba, en Alberta et à Terre-Neuve.
Le gouvernement du Québec a également nommé une observatrice indépendante dans une affaire très médiatisée. Ce cas sera traité en détail plus loin dans la présente partie du document.
Le rôle précis de l'OI varie d'une enquête à l'autre. Dans certains cas, il consiste seulement à s'assurer que les enquêteurs ne sont pas en situation de conflit d'intérêts. Dans d'autres, l'OI assume des fonctions beaucoup plus importantes, comme statuer sur l'impartialité de l'enquête en général. Toutefois, vu la création d'organismes de surveillance civile qui enquêtent sur les cas de décès et de blessures graves impliquant les policiers dans presque toutes les provinces depuis 2007, le projet d'OI était devenu largement superflu pour ces types d'enquêtes. Cela dit, le concept consistant à procéder à l'observation indépendante d'une enquête sur le décès d'une personne sous la garde de l'État reste valable et utile.
Un exemple
La GRC a aussi nommé des OI pour examiner des incidents où il n'y avait pas eu de décès ni de blessures graves. En 2014, des allégations ont été formulées à propos d'actes de harcèlement et d'inconduite commis au sein du Groupe de la formation aux explosifs (GFE) du Collège canadien de police (CCP). Les incidents seraient survenus en 2012 et en 2013. La GRC a mené une enquête interne et l'affaire a été réglée. Toutefois, d'autres allégations ont été formulées, ce qui a jeté un doute sur le caractère adéquat de l'enquête initiale et du processus de règlement.
On s'est alors demandé non seulement si l'enquête initiale était adéquate, mais aussi si la GRC était apte à mener une enquête approfondie et objective sur elle-même. Le commissaire de la GRC a ordonné que la GRC examine la façon dont les allégations avaient été traitées et la manière dont l'enquête initiale avait été menée sur celles-ci. Il a aussi ordonné la tenue d'une nouvelle enquête sur les nouvelles allégations d'inconduite au sein du GFE qui avaient été récemment formulées.
La GRC a demandé au CCP d'agir en tant qu'observateur indépendant de cet examen, un examen interne supervisé par un comité directeur composé de cadres dirigeants de la GRC, dont deux sous-commissaires. Les principaux éléments du mandat de l'OI sont reproduits ci-après.
Éléments du mandat
- L'observateur indépendant évaluera si le travail de l'équipe multidisciplinaire et du comité directeur est rigoureux, impartial et professionnel. Il faut entendre par impartialité l'absence de préjugés, réels ou perçus, quant à l'issue de l'enquête et des examens qui ne seront guidés que par les faits.
- Au long des activités, l'observateur indépendant doit faire des observations et des recommandations sur toutes [sic] les éléments relevant de son mandat. Il pourra présenter ses observations et recommandations au comité directeur ou, si une recommandation concerne le comité directeur ou si telle est la préférence de l'observateur indépendant, au commissaire. Il peut s'agir de cerner des préoccupations potentielles ou de proposer des solutions à ces préoccupations.
- L'observateur indépendant produira un rapport final de ses observations et conclusions dès que possible après la conclusion de l'enquête et des examens commandés. Le rapport prendra la forme que choisira l'observateur indépendant.
- Le sous-commissaire aux Services de police spécialisés et son bureau assureront la liaison avec l'observateur indépendant et veilleront à ce qu'il ait accès à toute l'information et à tous les documents qu'il jugera nécessaires. Il peut avoir besoin par exemple d'un accès raisonnable à des employés pour des entrevues.
- L'observateur indépendant sera invité à toutes les réunions du comité directeur.
- L'observateur indépendant doit s'attendre à présenter un exposé de fin de mandat au gouvernement, aux médias ou à d'autres intéressésNote de bas de page 19.
Le 16 juillet 2016, l'OI a publié son rapport, qui a été rendu public. Il a conclu que l'enquête avait été menée de façon impartiale, que les enquêteurs possédaient l'expérience et l'expertise nécessaires, que suffisamment de ressources avaient été affectées à l'enquête et que les recommandations de l'enquête, si elles étaient mises en œuvre, amélioreraient la façon dont la GRC gère le harcèlement au travailNote de bas de page 20.
Des résultats en demi-teinte
Le programme d'OI de la GRC et du CCP a donné des résultats en demi-teinte. Certains considéraient qu'il s'agissait d'un paravent et qu'il n'était pas assez solide, car l'OI n'exerce pas de fonctions d'enquêteur. Cependant, le cas de Val-d'Or, qui sera traité un peu plus loin, constitue un excellent exemple où le processus peut s'avérer extraordinairement efficace et crédible auprès d'un large éventail de parties prenantes.
Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. La nomination d'un OI par la GRC dans le cas de la fusillade mortelle de Donald Dunphy par un agent de la Royal Newfoundland Constabulary le dimanche de Pâques de 2015 n'a pas été un succès, selon la commission d'enquête sur l'incidentNote de bas de page 21. Ce constat s'explique, en partie, par le fait que l'OI embauché par la GRC, un juge à la retraite, a joué un rôle beaucoup plus proactif dans l'enquête que ne le permettaient les éléments de son mandat. Il en est résulté de la confusion et des malentendus dans la sphère publique lorsque l'OI a accordé des entrevues aux médias une fois l'enquête terminéeNote de bas de page 22.
Le commissaire, le juge Leo Barry de la Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador, a conclu que l'OI avait outrepassé son mandat et s'était livré à des conjectures inappropriées dans son rapport. Il a formulé les recommandations suivantes sur les OI dans son rapport, avec commentaires à l'appui :
Conclusions sur l'observateur indépendant
La nomination d'un observateur indépendant peut s'avérer un moyen efficace pour accroître la confiance du public dans les enquêtes de la police sur la police. Même si un organisme de surveillance civile existe dans la province, l'observateur indépendant peut encore avoir un rôle à jouer dans les cas qui ne relèvent pas du mandat de cet organisme.
Bien que le recours à un observateur indépendant n'ait pas atteint l'objectif voulu dans l'enquête sur le décès de M. Dunphy, il n'est pas nécessaire de jeter le bébé avec l'eau du bain.
Recommandation no 29
Que le mandat et les fonctions de l'observateur indépendant soient clairement définis avant qu'il commence son travail.
Commentaires : Les détails des procédures et des protocoles à suivre par l'observateur indépendant et l'organisme d'enquête doivent être clairement formulés et communiqués à toutes les parties concernées.
L'observateur indépendant doit suivre un protocole qui mesure objectivement l'intégrité et l'impartialité de l'enquête.
Recommandation no 30
Que l'observateur indépendant ait un accès illimité aux membres de l'organisme d'enquête et aux renseignements recueillis, mais qu'il n'ait pas de contact direct avec les témoins potentiels.
Commentaires : L'observateur indépendant n'est pas un enquêteur et ne doit pas être autorisé à prendre part à l'enquête. S'il a des préoccupations pendant l'enquête ou des suggestions susceptibles de rendre l'enquête plus impartiale, équitable ou transparente, il doit en faire part à l'équipe chargée de l'enquête. Celle-ci doit conserver le pouvoir décisionnel final sur l'orientation de l'enquête.
Recommandation no 31
Que l'observateur indépendant soit assujetti à des conditions de confidentialité appropriées, mais que ses conclusions définitives soient rendues publiques, sous réserve de révisions ou de modifications qui pourraient être nécessaires pour protéger des privilèges légitimes ou des droits en matière de vie privée.
Commentaires : Bien qu'il ne soit pas approprié que l'observateur indépendant fasse des déclarations publiques ou s'adresse aux médias sans l'accord de l'organisme d'enquête, ses conclusions définitives doivent être rendues publiques pour optimiser la transparence du processus et la reddition de comptesNote de bas de page 23.
Si le SCC accepte notre recommandation de nommer un OI dans certains cas, nous suggérons fortement qu'il intègre ces recommandations dans son processus à cette fin.
L'observatrice indépendante dans l'enquête menée à Val-d'Or
En 2014, des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) travaillant à Val-d'Or, au Québec, ont été visés par une série d'allégations d'agressions sexuelles à grande échelle contre des femmes autochtones de la communauté. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a été chargé de mener une enquête.
Vu les préoccupations que suscitait cette enquête de la police sur la police, le gouvernement du Québec a nommé en novembre 2014 une observatrice civile indépendante, Me Fannie Lafontaine, pour surveiller l'enquête du SPVM. Elle avait comme mandat d'examiner et d'évaluer l'intégrité et l'impartialité de l'enquête. Me Lafontaine est avocate et professeure à l'Université Laval, et possède de l'expérience en droit en matière de droits de la personne, ayant notamment travaillé pour le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme.
Dans son rapport publié en novembre 2016, elle a rédigé le Protocole de l'observatrice indépendante, un guide sur les éléments que les observateurs indépendants doivent prendre en considération dans le cadre de leur travail. Ce guide comprend une feuille de route détaillée pour les futurs OI, dont les choses à faire et à ne pas faire, ainsi qu'une série d'indicateurs qu'ils peuvent utiliser pour mesurer l'impartialité de l'enquête qu'ils surveillentNote de bas de page 24. Le commissaire de l'enquête sur le décès de Donald Dunphy, qui a examiné le Protocole et intégré bon nombre de ses principes dans ses recommandations, a indiqué qu'il offrait une approche permettant à l'OI d'évaluer un incident avec 'équité, transparence et impartialité.'Note de bas de page 25
Le Protocole constitue un excellent point de départ pour déterminer exactement le rôle qu'assumerait l'OI dans le processus des comités d'enquête de la DEI. Nous allons maintenant citer un large extrait du rapport de Me Lafontaine pour expliquer pourquoi nous sommes parvenus à cette conclusion.
Dans son rapport, Me Lafontaine énonce les objectifs de l'OI :
- Les objectifs du processus d'observation sont définis dans mon mandat de la façon suivante :
- Rehausser la confiance du public quant à l'impartialité des enquêtes policières;
- Augmenter la perception d'intégrité et de transparence du processus;
- Renforcer la confiance quant au respect des droits des victimes.
Elle traite aussi des pouvoirs qui lui ont été conférés pour exercer ses fonctions :
- Pour exécuter ce mandat, il est prévu que je peux avoir accès aux documents, lieux et personnes nécessaires. Je peux plus précisément :
- Obtenir du SPVM tout document ou renseignement jugé utile;
- Échanger avec le responsable des enquêteurs assignés aux dossiers et obtenir les informations pertinentes à son mandat;
- Rencontrer toute personne pouvant fournir des informations pertinentes à son évaluation de l'intégrité ou l'impartialité de l'enquête;
- Visiter, au besoin, certains lieux liés à l'enquête (accompagnée par des enquêteurs);
- Prendre connaissance des différents témoignages, que ce soit par le biais des transcriptions, des enregistrements vidéos [sic] ou encore en assistant en direct à ceux-ci dans une pièce adjacente.
Me Lafontaine a aussi indiqué qu'elle était investie d'un mandat limité, en ce sens qu'elle n'était pas une enquêtrice, et a souligné qu'elle avait comme rôle de surveiller une enquête, et non pas d'en mener une. Elle n'a pas communiqué avec les plaignantes, les policiers visés ou d'autres témoins. Elle n'a pas non plus assisté aux entretiens en personne, bien qu'elle en ait examiné les enregistrements vidéo ou audio, comme il a été mentionné précédemment.
Dans l'introduction de son rapport, elle énumère les conditions nécessaires pour permettre à l'OI de bien s'acquitter de ses fonctions :
- Le modèle d'observation civile indépendante d'une enquête policière visant d'autres policiers, pour être efficace et crédible, repose sur une série de conditions essentielles. Celles-ci incluent :
- Un accès complet à la preuve et à toutes les étapes de l'enquête;
- Un accès sans restriction à toute l'équipe d'enquête du corps de police observé et la collaboration pleine et entière de ce dernier;
- La possibilité de rencontrer toute personne pouvant fournir des observations et informations relatives à l'enquête (sous réserve des restrictions aux contacts directs avec les victimes, témoins, policiers impliqués et policiers témoins);
- La transparence du processus et des résultats de l'observation;
- Les ressources appropriées pour mener à bien le mandat. La portée de mon mandat et la façon dont je l'ai interprété et appliqué respectent ces conditionsNote de bas de page 26.
Le Protocole comprend notamment des objectifs, des définitions et des principes directeurs. Il fait état des renseignements auxquels l'OI doit avoir droit. Il comporte une partie détaillée sur les critères que doit utiliser l'OI pour évaluer l'intégrité et l'impartialité de l'enquête, soit les suivants :
- Application cohérente d'un processus d'enquête établi et rigoureux à toutes les phases de l'enquête;
- Prise en compte du contexte autochtone et de la nature sexuelle des allégations à toutes les étapes de l'enquête;
- Absence de conflit d'intérêts, réel ou apparent, entre les membres de l'équipe d'enquête du SPVM et les policiers impliqués, les policiers témoins, les autres témoins, les membres de la direction du poste visé par l'enquête ou les victimes.
Dans le Protocole, Me Lafontaine précise ce qu'elle entend par chacune des catégories susmentionnées. Par exemple, un « processus d'enquête établi et rigoureux » se définit par les éléments suivants :
- Célérité des enquêtes;
- Comportement en tout temps courtois et respectueux à l'égard des victimes, des témoins et des policiers impliqués;
- Présence d'enquêteurs hautement qualifiés qui détiennent la formation et l'expérience requises pour mener les enquêtes;
- Intervention appropriée et proportionnelle des enquêteurs à la gravité des incidents sous enquête;
- Application de méthodes d'enquête et de façons de faire analogues à celles appliquées pour des crimes de gravité similaire commis par des civils;
- Pour les incidents contemporains, mesures prises par le SPVM pour isoler les policiers impliqués ou les policiers témoins ainsi que pour restreindre les communications entre eux après l'incident jusqu'à leur entretien avec les enquêteurs du SPVM;
- Pour les incidents passés, vérification par le SPVM des mesures qui ont été prises par la SQNote de bas de page 27 ou un autre corps de police pour isoler les policiers impliqués ou les policiers témoins ainsi que pour restreindre les communications entre eux après l'incident jusqu'à leur entretien avec les enquêteurs de la SQ ou du SPVM, le cas échéant;
- Rang des enquêteurs du SPVM qui procèdent aux interrogatoires eu égard à celui des policiers impliqués ou des policiers témoins;
- Respect des droits fondamentaux de toute personne, notamment ceux garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et par la Charte des droits et libertés de la personne;
- Sérieux et exhaustivité des enquêtes, notamment en explorant toutes les pistes d'enquête raisonnables afin de déterminer si un acte criminel a été commis et d'en identifier le ou les responsables, et en accordant un suivi approprié aux compléments d'enquête demandés par le Directeur des poursuites criminelles et pénales.
Dans l'enquête menée à Val-d'Or, l'OI a manifestement fait bien plus qu'examiner les éléments fondamentaux de l'indépendance de l'enquête, comme la question de savoir si suffisamment de ressources y étaient affectées, s'il y avait absence de conflits d'intérêts et si les enquêteurs possédaient les compétences voulues. En effet, l'OI s'est aussi penchée sur la rigueur de l'enquête. Elle a aussi donné des conseils - et non des directives - sur demande. Lors d'un entretien avec un membre du CEI, Me Lafontaine a indiqué qu'elle n'agissait pas seulement comme observatrice, mais aussi parfois comme médiatrice et agente de rétroaction pour les enquêteurs.
Cela ne signifie pas que l'OI est un enquêteur de facto ou qu'il tente d'orienter l'enquête. L'OI est là, en partie, pour veiller à ce que les enquêteurs ne négligent aucune piste raisonnable pendant l'enquête.
Nous sommes convaincus que la méthode adoptée par Me Lafontaine pourrait servir de modèle aux OI dans le contexte du SCC. Tous les critères qu'elle énonce s'adaptent à un comité d'enquête sur un décès de causes non naturelles en établissement.
Rôle dans la formulation, la révision et la mise en œuvre des recommandations
L'OI ne devrait pas prendre part à l'élaboration des recommandations. Toutefois, s'il jugeait que le comité d'enquête ignore ou évite délibérément et manifestement de formuler des constatations et des recommandations sans donner d'explication raisonnable et que celles-ci sembleraient clairement justifiées aux yeux de l'OI, celui-ci devrait présenter des commentaires à cet égard dans son rapport avec motifs détaillés à l'appui.
Selon nous, l'OI devrait notamment avoir comme mandat de suivre le processus d'acceptation ou de rejet des recommandations formulées par le comité d'enquête. Il porterait attention à la même question essentielle à cette étape, soit celle de savoir si le processus d'examen a été impartial. Il ne s'agirait pas de plaider en faveur de recommandations en particulier ou d'empêcher la haute direction de prendre des décisions. Au contraire, l'OI viserait ici uniquement à s'assurer que les membres du comité d'enquête ou d'autres employés du SCC n'ont subi aucune pression indue pour modifier leurs constatations ou leurs recommandations.
L'OI devrait rester en place au moins jusqu'à ce que le rapport final soit achevé et que toute mesure corrective soit en voie d'être appliquée. Bien que nous n'ayons pas formulé de recommandation officielle sur cet aspect en particulier, le SCC pourrait envisager que l'OI surveille le processus de mise en œuvre jusqu'à ce que toutes les recommandations soient achevées, et ce, pour assurer une surveillance concrète tout au long du processus du comité d'enquête.
Rapports publics de l'OI
Le commissaire de la commission d'enquête sur le décès de Donald Dunphy a écrit que :
- L'un des principaux objectifs de l'observateur indépendant est d'accroître la confiance du public en assurant la transparence du processus d'enquête. Pour ce faire, les rapports finaux des observateurs indépendants doivent être publiés sous une forme ou une autreNote de bas de page 28.
L'OI devrait rendre publiques ses conclusions et observations au terme du processus. Ces conclusions et observations devraient se limiter aux domaines mentionnés dans son mandat.
Si l'OI détectait un problème qui relève de son mandat alors que le processus d'enquête est en cours, et qu'il ne serait pas en mesure de le résoudre de bonne foi et à sa satisfaction avec le SCC, il devrait être habilité à produire un rapport public faisant état de ses préoccupations, et ce, dès qu'il le jugerait nécessaire. La raison en est que s'il concluait que l'enquête est en train de déraper, toutes les mesures raisonnables devraient être prises pour la remettre sur la bonne voie avant qu'elle prenne fin.
La sélection de l'OI
Le processus de sélection de l'OI est essentiel. Dans les cas de la GRC, c'est celle-ci qui a choisi l'OI, en collaboration avec le CCP dans certains cas, d'après ce que nous comprenons. Dans l'enquête menée à Val-d'Or, l'OI a été nommée par le ministre de la Sécurité publique, et non par le SPVM.
Dans certaines circonstances, il peut être avantageux de consulter à l'extérieur de l'organisme d'enquête pour choisir l'OI. Au Manitoba, en 2008, la GRC a signé un protocole avec l'Assemblée des chefs du Manitoba, l'Organisation des chefs du Sud et le Manitoba Keewatinowi Okimakanak qui permet aux civils
'de surveiller les incidents de fusillades policières et d'autres incidents graves. En vertu du protocole, "les organisations et la GRC s'entendent sur le choix de la personne-ressource de la collectivité. Cet observateur civil, ou surveillant, reçoit des renseignements au fur et à mesure que l'enquête progresse. L'enquêteur principal de la GRC peut autoriser ou non le surveillant civil à observer un interrogatoire.'Note de bas de page 29
Le processus de sélection de l'OI doit viser à dresser une liste de personnes qui sont manifestement indépendantes du SCC et qui n'ont aucun intérêt direct, réel ou perçu, dans l'issue de l'enquête.
L'OI devrait être choisi en fonction des principes suivants :
- L'OI devrait être nommé dès que possible après un incident.
- L'OI ne devrait pas être un employé actuel ou ancien d'un service correctionnel provincial ou fédéral. Puisque le comité d'enquête sera composé de membres du SCC et que le membre de la collectivité pourrait avoir de l'expérience dans le domaine des services correctionnels autres que le SCC, il n'est pas nécessaire que les candidats au poste d'OI aient des connaissances du système correctionnel.
- Parmi ses compétences et ses antécédents professionnels, l'OI devrait posséder une vaste expérience de la conduite ou de l'examen d'enquêtes, notamment d'enquêtes ayant une composante systémique.
- Dans la mesure du possible, l'OI devrait avoir une connaissance ou une expérience directe des questions raciales ou culturelles qui peuvent se rapporter à l'incident faisant l'objet de l'enquête.
Défis
Nous sommes conscients que le processus de sélection sera inévitablement parsemé de problèmes logistiques découlant de la passation de contrats et d'autres obstacles bureaucratiques possibles. Certains des défis mentionnés précédemment quant à la nomination d'un enquêteur externe - coûts, retards, etc. - pourraient également s'appliquer à la nomination d'un OI. Toutefois, ils seraient de bien moindre ampleur vu les fonctions bien plus limitées d'un OI.
Observateurs indépendants et membres de la collectivité
Si un OI était nommé pour surveiller une enquête, cela n'exclurait pas la nécessité qu'un membre de la collectivité participe pleinement au comité d'enquête, y compris à titre de président du comité d'enquête, lorsque les circonstances le justifieraient.
Résultats
Dans son rapport publié en novembre 2016, Me Lafontaine a conclu que l'enquête du SPVM avait été menée avec rigueur et équité. Elle a motivé sa conclusion de façon très détaillée. Malgré quelques critiques formulées au départ sur le fait que l'OI n'était pas d'origine autochtone et qu'une enquête publique aurait plutôt dû être ordonnée, dans l'ensemble, son travail a été très bien accueilli. La nomination d'une OI dans cette affaire a permis de répondre très efficacement aux préoccupations légitimes selon lesquelles les enquêtes internes - dans ce cas-ci, une enquête de la police sur la police - sont foncièrement teintées de parti pris. Selon toute norme objective, le processus s'est révélé une réussite.
Période d'essai
Selon nous, la nomination d'un OI exerçant un rôle similaire à celui défini dans le Protocole de Me Lafontaine a toutes les chances de réussir dans les enquêtes du SCC sur les décès en établissement, pourvu que l'OI dispose des ressources adéquates et bénéficie de l'appui résolu du SCC à tous les niveaux. Cela dit, et comme nous l'avons mentionné précédemment, le processus des OI est loin d'être parfait. Nous proposons que les OI soient utilisés pendant une période d'essai raisonnable à fixer par le SCC. En cas d'échec, le SCC devrait alors envisager d'adopter l'approche décrite dans la recommandation no 10.
Conclusions
- D'après notre évaluation des rapports de comités d'enquête que nous avons examinés, nous n'avons pas trouvé de preuves empiriques convaincantes pour souscrire à toutes les conclusions du BEC quant aux lacunes du processus des comités d'enquête en général. Par conséquent, nous n'appuyons pas entièrement la recommandation no 10 formulée dans le rapport annuel 2017-2018 du BEC.
- Cela dit, certains rapports de comités d'enquête que nous avons examinés comportaient des éléments manifestement préoccupants. Ces éléments sont traités dans la partie du présent élément de mandat portant sur l'impartialité et dans la réponse à d'autres éléments de mandat.
- Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire, à ce stade-ci, de retirer entièrement le SCC du processus d'enquête en nommant un enquêteur externe et indépendant pour les types d'incidents mentionnés dans la recommandation no 10.
- Nous convenons avec le BEC que le processus d'enquête sur les décès en établissement devrait être plus indépendant, notamment dans les circonstances mentionnées dans la recommandation no 10.
- Pour assurer une plus grande indépendance, le SCC devrait envisager de nommer un observateur indépendant (OI) dans chaque comité d'enquête qui répond aux critères susmentionnés, pour la durée de l'enquête, y compris lors du processus d'examen à la REN.
- Pour renforcer la confiance du public en l'intégrité du processus des comités d'enquête, l'OI devrait publier un rapport public à la fin de son travail.
- L'indépendance accrue du processus d'enquête des comités d'enquête ne devrait pas se limiter uniquement aux incidents mentionnés par le BEC. Elle devrait également s'appliquer aux enquêtes sur des incidents qui ne correspondent pas exactement à ces catégories, mais pour lesquels il est dans l'intérêt public de renforcer l'indépendance du processus des comités d'enquête. Un exemple d'un tel incident serait l'enquête en cours sur le décès d'une travailleuse du sexe au Québec. Dans de telles circonstances, la commissaire devrait avoir le pouvoir discrétionnaire de nommer un OI pour surveiller l'enquête. Le ministre devrait aussi être habilité à ordonner la nomination d'un OI lorsqu'il considère qu'il est dans l'intérêt public de le faire.
Nous sommes conscients que jusqu'à maintenant, au mieux de nos connaissances, on n'a eu recours aux OI que dans les cas impliquant des services de police. Néanmoins, nous sommes convaincus que ce mécanisme peut être adapté facilement aux enquêtes réalisées par les comités d'enquête de la DEI qui relèvent des catégories susmentionnées.
- Le mandat et les pouvoirs de l'OI devraient être semblables à ceux conférés à Me Lafontaine dans le cadre de l'enquête menée à Val D'Or. L'OI ne devrait pas participer directement à l'enquête. Son rôle serait plutôt de veiller à ce que le processus du comité d'enquête soit impartial, à ce que le comité d'enquête donne suite adéquatement à toutes les pistes d'enquête raisonnables, à ce qu'il n'y ait aucune ingérence dans l'enquête d'aucune partie, à ce que le rapport du comité d'enquête tienne compte des éléments probants recueillis et à ce qu'aucune influence indue n'ait été exercée en vue de changer les constatations ou les recommandations du comité d'enquête. Si des changements devaient être apportés aux constatations et aux recommandations, les raisons devraient être rendues publiques dans le rapport final de l'OI.
Onzième recommadation
Qu'un observateur indépendant soit nommé pour surveiller les travaux du comité d'enquête dans les cas définis par le Bureau de l'enquêteur correctionnel à la recommandation no 10 de son Rapport annuel de 2017-2018, ainsi que dans tout autre cas de décès en établissement lorsque la commissaire ou le ministre de la Sécurité publique estime qu'il y va de l'intérêt public.
Membres de la collectivité
Tous les comités d'enquête sur des décès de causes non naturelles en établissement doivent inclure au moins un membre de la collectivité. En outre, les comités d'enquête convoqués en vertu de l'article 20 et du paragraphe 154 (4) de la LSCMLC, qui portent sur les personnes en liberté conditionnelle, doivent être présidés par un membre de la collectivité.
Nous croyons comprendre que le programme des membres de la collectivité a été créé il y a environ 25 ans, pour donner suite à une recommandation du BEC.
Les membres de la collectivité sont des personnes qui n'ont jamais été employées par le SCC, à qui le Service demande de siéger à un comité d'enquête en tant que membres « à part entière », pour reprendre les termes utilisés par le SCC. Ils participent à l'étape de collecte des preuves de l'enquête, ce qui comprend les entrevues menées avec d'autres membres du comité d'enquête, lesquelles ont généralement lieu à l'établissement. Ce processus prend normalement deux ou trois semaines. Selon la DEI, même si les membres de la collectivité ne participent pas à la rédaction du rapport, on s'attend à ce qu'ils prennent part aux breffages et à la formulation des constatations et recommandations. Ils ont également l'occasion de commenter l'ébauche finale du rapport.
D'après la DEI, les membres de la collectivité sont choisis en fonction de l'expertise et des connaissances requises dans un cas donné. À titre d'exemple, si le comité d'enquête porte sur un suicide apparent, la DEI pourrait faire appel à un membre de la collectivité ayant une formation en psychologie et étant spécialisé dans les questions touchant le suicide et l'automutilation.
La DC 041 indique que les comités d'enquête qui se penchent sur des incidents mettant en cause les pavillons de ressourcement 'comprendront normalement un membre de la collectivité autochtone.'Note de bas de page 30
Nous avons passé en revue les courtes biographies des membres de la collectivité faisant partie des comités d'enquête visés par notre examen. Plusieurs d'entre eux avaient de l'expérience dans les services correctionnels provinciaux, alors que d'autres étaient des universitaires ou provenaient du milieu policier. Certains participaient, en tant que membre de la collectivité, à plusieurs comités d'enquête pendant cette période, dont deux qui faisaient partie de quatre comités d'enquête distincts.
Les fonctions des membres de la collectivité sont décrites dans la lettre que la DEI envoie à tous les membres du comité d'enquête au début des travaux. Ils doivent notamment :
- Certifier l'intégrité du processus;
- Contribuer à toutes les étapes de l'enquête, ce qui comprend les recherches et la participation aux entrevues et aux débreffages;
- Répondre aux questions concernant l'impartialité et l'objectivité du processus d'enquête.
Les membres de la collectivité ont accès à tous les renseignements, au même titre que les autres membres du comité d'enquête. Cependant, des enjeux liés à la sécurité et aux technologies de l'information peuvent parfois entraver leur travail. On nous a dit, par exemple, qu'il arrive que les membres de la collectivité n'aient pas accès directement aux systèmes d'information du SCC et qu'ils doivent passer par les autres membres du comité d'enquête, qui sont des employés du SCC. Les exigences en matière de sécurité font qu'il peut être difficile pour eux d'obtenir les documents dont ils ont besoin. Nous croyons comprendre que le SCC n'attribue pas normalement aux membres de la collectivité un ordinateur portable ni d'autres appareils. Nous sommes d'avis qu'ils devraient avoir accès aux mêmes outils que les autres membres du comité d'enquête pour qu'ils puissent faire leur travail.
Nous encourageons la DEI à prendre les mesures qui s'imposent pour faire en sorte que les membres de la collectivité participent à part entière au processus qui suit l'enquête, y compris aux débreffages à l'échelon local. Il est difficile de savoir s'il s'agit là d'une pratique courante à l'heure actuelle; pourtant, cela devrait l'être, car le regard indépendant du membre de la collectivité est tout aussi précieux à ce stade du processus qu'il l'est aux étapes qui précèdent.
Les membres de la collectivité ne participent pas aux REN, pas plus que les EN. La DEI nous a expliqué qu'il en était ainsi, car à ce stade, tous les membres du comité d'enquête, y compris les membres de la collectivité, 'se sont entendus sur la dernière version du rapport présenté.'Note de bas de page 31
Nous avons aussi relevé des questions concernant la formation donnée aux membres de la collectivité, au sujet des techniques d'enquête, et aux employés du SCC, au sujet du rôle des membres de la collectivité. Ces questions seront abordées plus loin dans le présent chapitre.
Un des principaux avantages de la participation des membres de la collectivité aux comités d'enquête est, bien entendu, que cela contribue à accroître l'impartialité du processus. Les membres de la collectivité ne sont pas des employés du SCC et ne l'ont jamais été; peu d'entre eux, voire aucun, n'ont un lien direct avec l'organisation (du moins, à notre connaissance) et, de ce fait, ils n'ont pas à s'inquiéter de répercussions éventuelles sur leur carrière. Ils sont libres, du moins en théorie, de donner leur opinion en toute objectivité sur l'objet de l'enquête et, ce qui est tout aussi important, sur le déroulement de celle-ci sans crainte de représailles ni promesse d'une faveur.
Ainsi, le rôle du membre de la collectivité ne se limite pas à celui d'enquêteur; il sert aussi de baromètre pour mesurer l'indépendance et l'impartialité du comité d'enquête. Dans une entrevue, l'enquêteur correctionnel nous a expliqué que, selon lui, le membre de la collectivité devrait avoir le rôle de contester le processus du comité d'enquête, au besoin. Nous abondons dans son sens. Si le membre de la collectivité est en désaccord avec la façon dont l'enquête s'est déroulée ou avec les constatations ou les recommandations du comité d'enquête, il devrait être activement encouragé à exprimer son point de vue et son raisonnement dans le rapport final. Il s'agit là d'un volet essentiel du rôle des membres de la collectivité, qui devrait être abordé pendant les séances d'orientation et de formation à leur intention; de plus, il devrait en être fait mention explicitement dans la lettre qui leur est envoyée avant le début de l'enquête, dans laquelle on les informe de leurs responsabilités.
Un autre avantage considérable est que la participation d'un membre de la collectivité est une occasion en or de prendre en considération les questions pertinentes ayant trait à la race et aux antécédents culturels pendant le processus d'enquête, particulièrement dans les cas où ces questions ont pu constituer un facteur menant au décès. À titre d'exemple, nous avons appris que la DEI avait retenu les services d'experts de collectivités autochtones qui ont participé, en tant que membre de la collectivité, à des comités d'enquête portant sur des cas impliquant des délinquants autochtones qui ne mettaient pas en cause des pavillons de ressourcement; comme il est indiqué plus haut, dans de tels cas, la participation d'un membre de la collectivité est obligatoire.
Le SCC devrait adopter cette façon de faire plus largement, en prenant l'initiative d'entrer en contact avec des personnes qualifiées représentant des collectivités qui sont surreprésentées dans le système correctionnel fédéral et en retenant leurs services pour qu'elles participent, en tant que membre de la collectivité, à des comités d'enquête lorsque la situation l'indique.
Les bénévoles ou les personnes qui s'impliquent dans des organisations œuvrant au sein du système correctionnel, comme des organismes de défense des droits des victimes ou encore des droits des détenus, pourraient aussi servir de membre de la collectivité. Avant toute chose, le principe fondamental devrait être l'objectivité réelle et perçue du candidat. La connaissance du système carcéral peut être un atout, mais ne devrait pas nécessairement constituer un prérequis.
Les comités d'enquête qui portent sur des enquêtes de niveau I impliquant des libérés conditionnels, telles que l'enquête en cours sur l'homicide d'une travailleuse du sexe au Québec, qui aurait été commis par un libéré conditionnel, sont présidés par un membre de la collectivité; toutefois, ce n'était le cas d'aucun des comités d'enquête que nous avons examinés. Nous voyons des avantages non négligeables à la nomination d'un membre de la collectivité en tant que président du comité d'enquête dans les cas notoires. Par exemple, il serait manifestement dans l'intérêt du public et du SCC de nommer un membre de la collectivité à titre de président dans certains ou dans l'ensemble des cas relevés par le BEC dans sa recommandation no 10, et ce, même lorsqu'il y a un OI. En effet, puisque le membre de la collectivité, contrairement à l'observateur, a un rôle d'enquêteur, leur participation commune à une enquête très médiatisée permet d'accroître l'indépendance, réelle et perçue, du processus. Les autres membres du comité d'enquête, qui sont des employés du SCC, y compris les EN, apporteraient une expertise technique et d'enquête afin de soutenir le président et participeraient bien entendu à la formulation des constatations et des recommandations.
Nous sommes conscients que le fait de nommer un membre de la collectivité à titre de président pourrait causer des problèmes logistiques supplémentaires, particulièrement dans les cas où le SCC désigne aussi un OI. Quoi qu'il en soit, nous estimons que ces efforts en vaudront la peine, car ils permettront d'accroître l'indépendance du processus dans son ensemble de façon claire et transparente, tout particulièrement le volet d'enquête.
Enfin, nous tenons à féliciter le SCC de faire participer des membres de la collectivité aux comités d'enquête sur des décès en établissement; nous félicitons également le BEC d'avoir recommandé une telle mesure. Les membres de la collectivité ne font pas que rehausser l'indépendance du processus, ils [traduction] « ont une expérience de la vie différente et voient les choses d'un autre œil », pour reprendre les termes d'un membre chevronné de la DEI. Aucun des autres organismes internationaux que nous avons consultés ne procède de cette façon. Que nous sachions, la DEI est unique en ce qu'elle fait appel à des personnes hautement qualifiées de l'extérieur de l'organisme pour qu'elles participent directement aux enquêtes sur des décès en établissement.
Conclusions
- Le recours à des membres de la collectivité est louable.
- Un recours accru à la pratique de nommer un membre de la collectivité à titre de président du comité d'enquête permettrait d'améliorer la perception du public quant à l'indépendance du processus, particulièrement dans les cas notoires.
- On devrait encourager activement les membres de la collectivité à contester et à remettre en question des éléments de l'enquête, et ce, à tout moment du processus.
- La nomination de membres de la collectivité qualifiés est une façon possible de faire en sorte que les questions pertinentes ayant trait à la race et aux antécédents culturels soient prises en compte pendant le processus d'enquête, particulièrement dans les cas où ces questions ont pu constituer un facteur menant au décès.
- Les membres de la collectivité n'ont pas toujours accès aux mêmes outils que les autres membres du comité d'enquête, qui sont des employés du SCC.
Douzième recommandation
Que le Service correctionnel du Canada nomme un membre de la collectivité à titre de président du comité d'enquête dans les cas notoires, lorsqu'il est logique et pratique de le faire.
Treizième recommandation
Que le Service correctionnel du Canada s'efforce de nommer des membres de la collectivité ayant l'expertise voulue et une connaissance des enjeux qui touchent les groupes de détenus surreprésentés, tout particulièrement dans les cas où la race ou les antécédents culturels peuvent avoir constitué un facteur dans une enquête donnée.
Quatorzième recommandation
Que les membres de la collectivité aient tous accès aux mêmes outils pour faire leur travail que ceux qui sont fournis aux autres membres du comité d'enquête, qui sont des employés du Service correctionnel du Canada.
Deuxième partie : Impartialité
Qu'un organisme d'enquête ne soit pas indépendant de l'entité sur laquelle il enquête, comme c'est le cas de la DEI, ne signifie pas pour autant qu'il ne peut mener des enquêtes en toute impartialité.
Comment peut-on mesurer l'impartialité? Un moyen efficace est d'évaluer la rigueur et l'objectivité d'une enquête donnée. Tel est notre objectif dans cette partie du présent rapport; pour ce faire, nous nous sommes fiés principalement au contenu des rapports des comités d'enquête.
Ce qui nous amène à réitérer, sans nous en excuser, notre mise en garde importante. Nous n'avons examiné aucun ensemble de documents d'enquête ni aucun autre matériel produit par les comités d'enquête ou créé à leur intention, qu'il s'agisse de courriels, des notes des enquêteurs, des plans d'enquête ou de la transcription des entrevues. Nous n'avons pas non plus interviewé qui que ce soit ayant participé à quel titre que ce soit à un comité d'enquête donné. Ces étapes nous auraient certainement permis de mieux comprendre le processus dans son ensemble de même que le déroulement de l'enquête et, possiblement, de relever des lacunes quant à l'indépendance ou à l'impartialité du comité d'enquête.
Comme nous l'indiquons à plusieurs reprises dans le présent rapport, si nous ne l'avons pas fait, c'est que nous n'en avons pas eu le temps, tout simplement. Bien entendu, cela a restreint notre capacité de réaliser une analyse exhaustive de la rigueur d'une enquête donnée et, par le fait même, de son niveau d'impartialité.
Pour être on ne peut plus clair, nous réitérons qu'en aucun moment le SCC nous a empêchés d'avoir accès ni refusé l'accès aux renseignements qui nous auraient permis de réaliser une analyse plus approfondie. Au contraire, le SCC a offert de nous donner accès à toute la documentation ayant trait à un comité d'enquête donné, ainsi qu'au personnel de l'organisation.
Même si ne pas avoir eu accès à ces renseignements a été pour nous un handicap majeur, nous ne pensons pas pour autant que cela ait nui de façon irréparable à notre évaluation. Les renseignements que nous avons recueillis pendant les entrevues et puisés dans d'autres sources, en plus de notre analyse des rapports des comités d'enquête, nous donnent l'assurance que nos résultats et nos recommandations ayant trait à la rigueur et à l'équité des comités d'enquête que nous avons examinés reposent sur une base probante suffisamment solide.
Qu'entend-on par impartialité?
Pour qu'un processus d'enquête soit impartial, les personnes qui mènent, qui supervisent ou qui examinent une enquête donnée doivent faire preuve d'ouverture d'esprit et ne pas se trouver dans une situation réelle de conflit d'intérêts ou pouvant raisonnablement être perçue comme telle. Elles ne doivent pas céder à la pression ni mener l'enquête de manière à obtenir un résultat prédéterminé ou privilégié. Elles doivent relever et explorer toutes les pistes d'enquête logiques dans une mesure raisonnable, en se fondant sur les preuves et sans faire abstraction d'aucun détail. Cela implique de former adéquatement les enquêteurs, qui doivent mener des entrevues rigoureuses et poser des questions difficiles, au besoin. Cela implique également une analyse objective des preuves. En bref, il s'agit de mener une enquête sans crainte de représailles ni promesse d'une faveur, en ne ménageant aucun effort.
Afin de déterminer le niveau d'impartialité d'un processus d'enquête, il est utile d'éplucher les renseignements le plus minutieusement possible, en se fondant sur les principes suivants :
- L'enquête doit être menée de façon aussi indépendante que possible.
- Les enquêteurs étaient-ils bien formés et expérimentés?
- Les enquêteurs ont-ils cerné et, s'il y a lieu, analysé tous les points potentiellement pertinents?
- Les enquêteurs disposaient-ils de ressources suffisantes pour l'enquête?
- Les enquêteurs ont-ils recensé et rassemblé toutes les preuves physiques ou numériques pertinentes entreposées ou stockées? Les ont-ils ensuite analysées adéquatement?
- Les enquêteurs ont-ils examiné tous les documents pertinents et les ont-ils gardés dans un endroit sûr?
- Les enquêteurs ont-ils identifié toute personne pouvant détenir des renseignements pertinents au sujet de l'incident et rencontré ces personnes, au besoin?
- L'analyse des preuves recueillies au cours de l'enquête était-elle objective et fondée uniquement sur les faits?
Nous avons constaté avec satisfaction que ces critères figurent dans le manuel de formation de la DEI, à la rubrique 'Principes fondamentaux d'une enquête.'Note de bas de page 32, Note de bas de page 33 Si ces principes ne sont pas respectés, il est probable, d'après notre expérience, que l'enquête ne sera pas impartiale.
Nous avons effectué notre examen des comités d'enquête et des autres documents en nous fondant sur les critères ci-dessus. Voici nos constatations.
L'enquête doit être menée de façon aussi indépendante que possible
Nous abordons ce principe dans la première partie du présent chapitre.
Les enquêteurs étaient-ils bien formés et expérimentés?
Les enquêteurs avaient-ils reçu une formation adéquate pour mener l'enquête? Avaient-ils une expérience suffisante pour mener une enquête de cette nature? Beaucoup de choses dépendent du sérieux de l'affaire qui fait l'objet de l'enquête. Les enquêtes sur un décès, particulièrement le décès d'une personne sous la garde de l'État, sont, par définition, une affaire très sérieuse.
Nous croyons comprendre qu'il existe un programme de formation formelle à l'intention des nouveaux employés de la DEI, ce qui comprend les EN. Nous avons appris que des démarches étaient en cours afin d'améliorer cette formation, notamment en y ajoutant des études de cas fondées sur des incidents réels. On nous a informés que les principes relatifs à l'indépendance et à l'impartialité sont au cœur de la formation, qui porte, entre autres, sur les préjugés et les préjugés inconscients, de même que sur la difficulté de demeurer neutre pendant toute la durée d'une enquête. Une formation de recyclage est aussi offerte, y compris des cours sur la conduite des enquêtes.Note de bas de page 34
Nous avons passé en revue le manuel de formation sur la conduite des enquêtes à l'intention du personnel de la DEI.Note de bas de page 35 Le document traite, entre autres choses, des fondements du processus d'enquête, de la planification de l'enquête, de l'établissement des problèmes et de la préparation des entrevues.
Une des premières choses que nous avons remarquées, c'est que le volet du document qui porte sur la conduite des entrevues met surtout l'accent sur le personnel du SCC. La section 'exemples de questions d'entrevue' contient presque exclusivement des questions à poser aux employés du SCC.
Nous sommes conscients que les comités d'enquête se penchent avant tout sur ce que le personnel du SCC a pu faire. Néanmoins, cela ne devrait pas être au détriment des autres parties qui pourraient détenir des renseignements utiles, selon les circonstances d'un cas donné. À l'étape de la planification de l'enquête, les comités d'enquête devraient envisager d'autres sources possibles d'éléments probants, particulièrement dans les cas présentant une composante systémique. Il peut s'agir de détenus, d'organismes communautaires qui œuvrent dans le milieu correctionnel (comme la Société John Howard, l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, le Regroupement canadien d'aide aux familles des détenu(e)sNote de bas de page 36 et la Société St-Léonard du Canada), de victimes et de membres de leur famille, etc. Nous abordons ce sujet plus en profondeur plus loin dans le présent chapitre.
Formation des membres de la collectivité
En ce qui concerne la formation des membres de la collectivité, la DC 041 prévoit ce qui suit : '.....dans la mesure du possible, chaque comité d'enquête devrait comprendre des personnes possédant des connaissances spécialisées qui se rapportent à l'incident faisant l'objet de l'enquête.' Dans de nombreux cas, l'expérience et les qualifications du membre de la collectivité lui permettront de répondre à cette exigence. Bien évidemment, le membre de la collectivité devrait aussi savoir comment mener des enquêtes.
Nous avons été étonnés d'apprendre qu'à l'heure actuelle, les membres de la collectivité ne reçoivent aucune formation sur la conduite des enquêtes, fait particulièrement surprenant compte tenu du rôle essentiel qu'ils jouent. Le manuel de formation indique que l'on 's'attend à ce que chaque membre du comité participe pleinement à l'enquête.' Si les membres de la collectivité sont censés être des membres 'à part entière' des comités d'enquête, comme l'affirme la DEI et comme il est indiqué dans la lettre que ces membres reçoivent avant le début des travaux du comité d'enquête pour leur expliquer leurs responsabilités, il est impératif qu'ils reçoivent une formation sur cette fonction fondamentale qui est la leur, soit celle d'enquêteur.
Lorsque nous avons demandé à la DEI pour quelle raison il n'existait pas une formation à l'intention des membres de la collectivité, on nous a répondu qu'une formation leur était donnée auparavant, mais qu'elle ne l'était plus 'depuis quelques années.' Certains obstacles se dressent, notamment les coûts de formation et les préoccupations associées à l'établissement d'une relation employeur-employé.
La DEI prépare en ce moment un nouveau programme de formation, mais n'a pas décidé encore si celui-ci serait donné aux membres de la collectivité, quoique l'adoption d'un modèle de prestation en ligne pourrait faciliter leur inclusion.
Nous estimons qu'il est essentiel que tous les membres de la collectivité reçoivent une formation sur la planification et la conduite des enquêtes, particulièrement en ce qui a trait aux entrevues, ainsi que sur les difficultés présentées par les enquêtes sur des problèmes systémiques. Cette formation devrait aussi comporter un volet sur les fonctions, la mission et les valeurs fondamentales du SCC. Plus encore, la formation devrait expliquer en détail aux membres de la collectivité leur rôle essentiel, qui consiste à contester et à remettre en question, au besoin, les mesures prises par le comité d'enquête, ses constatations ou ses recommandations, comme l'a suggéré l'enquêteur correctionnel quand nous nous sommes entretenus avec lui.
Nous sommes conscients que certains membres de la collectivité, notamment d'anciens policiers, sont sans doute déjà des enquêteurs d'expérience. Cela ne change en rien à la nécessité pour eux de suivre une formation, à tout le moins une séance de recyclage, car l'objet des enquêtes menées par les comités d'enquête et leur déroulement diffèrent de ceux des enquêtes criminelles.
Nous laissons à la DEI le soin de déterminer si la formation à l'intention des membres de la collectivité peut être coordonnée avec les programmes de formation existants. Nous recommandons que les membres de la collectivité reçoivent également une formation de recyclage avant d'être nommés à un comité d'enquête subséquent, au besoin. Comme nous l'indiquons ci-dessus, l'objectivité et la rigueur de l'enquête, et du fait même, son impartialité, dépendent, en partie, de la qualité de la formation donnée aux membres du comité d'enquête, et les membres de la collectivité n'y font pas exception.
Dans le même ordre d'idées, on nous a avisés qu'il était possible que certains membres du personnel du SCC, y compris quelques EN, ne soient pas tout à fait au courant du rôle des membres de la collectivité. Si tel est le cas, la DEI devrait envisager d'ajouter un volet à ce sujet dans son programme de formationNote de bas de page 37.
Conclusions
Le volet de la formation à l'intention des comités d'enquête qui porte sur les entrevues met avant tout l'accent sur le personnel du SCC. À l'étape de la planification de l'enquête, les comités d'enquête devraient envisager de s'entretenir avec d'autres parties, particulièrement dans les cas présentant une composante systémique.
Les membres de la collectivité ne reçoivent aucune formation sur la conduite des enquêtes. Il est impératif qu'ils soient formés à cet égard.
Quinzième recommandation
Que la Direction des enquêtes sur les incidents ajoute à son programme de formation sur la conduite des enquêtes un volet à l'intention de tous les membres des comités d'enquête, qui porterait sur les entrevues avec des parties de l'extérieur du Service correctionnel du Canada pouvant détenir des renseignements pertinents, ce qui comprend les détenus, leurs victimes et les membres de leur famille.
Seizième recommandation
Que la Direction des enquêtes sur les incidents crée un programme de formation formelle à l'intention des membres de la collectivité, qui porterait entre autres sur les techniques d'entrevue, la mission et les valeurs fondamentales du Service correctionnel du Canada, et le rôle essentiel que jouent les membres de la collectivité pour ce qui est de contester et de remettre en question, au besoin, le déroulement de l'enquête. Les membres de la collectivité devraient suivre cette formation dès leur nomination et recevoir une formation de recyclage au besoin.
Les enquêteurs ont-ils cerné et, s'il y a lieu, analysé tous les points potentiellement pertinents?
Une façon de mesurer la rigueur et l'impartialité d'une enquête consiste à déterminer si tous les enjeux pertinents ont été relevés au début et pendant le cours de l'enquête. Qu'est-ce qui a motivé les enquêteurs à se pencher sur un enjeu plutôt qu'un autre? Ont-ils exploré toutes les pistes d'enquête dans une mesure raisonnable?
Cet aspect est particulièrement important compte tenu des inquiétudes soulevées par le BEC à l'égard d'un comité d'enquête qui aurait ignoré un enjeu très important durant l'enquête menée au Pénitencier de la Saskatchewan.
Dans l'ensemble, nous estimons que les comités d'enquête sont sur la bonne voie quant à la façon dont ils déterminent les enjeux et y donnent suite, quoique le processus ne soit pas aussi rapide que certains le souhaiteraient. La haute direction de la DEI affirme que les enquêtes mettent maintenant davantage l'accent sur les raisons pour lesquelles un décès est survenu plutôt que sur la conformité avec les politiques. Ce changement d'orientation nous a été confirmé par le personnel de première ligne et est corroboré, dans une certaine mesure, par le nouveau modèle de rédaction de rapports dont il est question ailleurs dans le présent rapport.
Sujets de préoccupation
Comme nous l'indiquons dans la partie du présent rapport qui porte sur le Rapport annuel du BEC de 2017-2018, à l'issue de notre examen des comités d'enquête, nous n'avons relevé aucun élément probant permettant de conclure que des enjeux majeurs sont ignorés systématiquement ou encore balayés sous le tapis.
Nous avons néanmoins relevé plusieurs sujets de préoccupation en ce qui a trait à la détermination des enjeux et au suivi de ceux-ci. Même si ce ne sont pas tous les comités d'enquête qui sont visés, ces sujets reviennent assez fréquemment pour qu'ils méritent que l'on s'y attarde.
En particulier, nous avons constaté que dans plusieurs cas, le comité d'enquête avait relevé des enjeux ayant trait au décès pendant l'enquête, mais n'en avait pas traité adéquatement dans le rapport. Dans certains cas, l'enjeu avait soit été soulevé par le comité d'enquête, soit ressortait nettement des faits dans l'affaire, pourtant aucun suivi n'est fait dans le rapport. En voici une liste non exhaustive :
- équipement défectueux;
- points d'attache dans les cellules;
- personnel ayant tardé à entrer dans la cellule pour prodiguer les premiers soins;
- retards dans l'envoi de l'avis au plus proche parent.
Par souci d'équité, nous reconnaissons qu'il pourrait y avoir une explication raisonnable qui justifierait ce manque de suivi. Si tel est le cas, le comité d'enquête devrait l'expliquer clairement dans son rapport, ce qui n'a pas été fait dans les cas que nous avons examinés.
Nous abordons ces préoccupations plus en profondeur dans un prochain chapitre.
En outre, comme il en est question au chapitre précédent, nous avons remarqué que les mandats des comités d'enquête ne font pas expressément mention de la mission et des valeurs fondamentales du SCC et avons formulé une recommandation à cet égardNote de bas de page 38.
Planification et préparation
La planification de l'enquête est une étape primordiale du processus. Si la planification manque de rigueur, les enquêteurs pourraient passer à côté de certains éléments. L'élaboration d'un plan d'enquête rigoureux aidera le comité d'enquête à établir une feuille de route, à repérer les sources d'éléments probants, à utiliser les ressources efficacement, à cerner les obstacles possibles, et à déterminer les échéanciers et les jalons.
Le manuel de formation de la DEI comporte une section détaillée sur l'établissement du 'plan de match' de l'enquête, qui nous semble raisonnablement appropriée. Nous n'avons pas pu examiner le 'plan de match' d'aucun des comités d'enquête visés par notre examen, par manque de temps.
Un cadre supérieur de la DEI nous a affirmé que la Direction fournissait aux comités d'enquête 'tous les renseignements pertinents dont les enquêteurs ont besoin dans un cas donné.' Durant le processus de planification de l'enquête, les enquêteurs sont informés des incidents semblables survenus dans le même établissement ou, s'il y a lieu, de situations similaires dans d'autres établissements. Nous abordons cette question plus en profondeur au chapitre qui traite du quatrième élément du mandat.
Analyse approfondie
La DEI a récemment mis en place un processus d'analyse approfondie, appelé au départ 'analyse préliminaire.'
L'analyse approfondie est effectuée avant le début des travaux du comité d'enquête; elle vise à recueillir de l'information sur le contexte général de l'incident, dont le comité d'enquête se sert ensuite pour planifier et mener son enquête. La DEI décide d'employer ou non cette approche au cas par cas.
Une analyse approfondie a été réalisée dans deux cas jusqu'à maintenant, qui impliquaient tous deux de multiples surdoses, dont une ayant causé un décès. Dans le cadre du processus d'analyse approfondie, le personnel de la DEI a mené des groupes de discussion distincts avec des membres du personnel et des détenus à l'établissement. La participation aux groupes ne se limitait pas aux personnes mises en cause dans l'incident. L'objectif était de recueillir plus d'information au sujet de l'incident en préparation du comité d'enquête qui serait ensuite convoqué. Les discussions portaient sur les stratégies de prévention, de réduction des méfaits, de traitement et d'application de la loi, soit les quatre piliers dont il est question au premier chapitre.
Les résultats de cette analyse approfondie ont été communiqués au comité d'enquête, qui en a fait mention à la rubrique « Contexte » de son rapport.
Nous sommes d'avis que les analyses approfondies seront un bon atout pour cerner les enjeux éventuels dans les décès en établissement. Elles seront utiles à l'étape de collecte des preuves et peuvent contribuer à dégager et à préciser les enjeux éventuels, y compris les problèmes systémiques, et à rationaliser les travaux du comité d'enquête.
Nous croyons que la DEI devrait saisir l'occasion d'étendre le processus d'analyse approfondie à d'autres enquêtes majeures, particulièrement lorsqu'il existe une preuve prima facie d'éventuels problèmes ou enjeux systémiques. L'analyse approfondie peut également aider le comité d'enquête à cerner les principaux enjeux et à repérer les sources d'éléments probants, ce qui pourrait lui permettre de boucler l'enquête plus rapidement. Comme nous l'a mentionné un membre du personnel de la DEI, il s'agit d'une '…approche assez ciblée visant à donner suite à un sujet de préoccupation ou à un secteur d'intérêt en particulier.' Par conséquent, l'analyse approfondie est un outil précieux dont on devrait se servir le plus souvent possible, lorsque les circonstances l'indiquent.
Conclusions
Nous avons relevé plusieurs sujets de préoccupation concernant la façon dont les enjeux ont été traités par les comités d'enquête que nous avons examinés.
Le processus d'analyse approfondie, qui a été mis en place récemment, est un outil précieux qui peut notamment servir à cerner d'éventuels problèmes systémiques au tout début de l'enquête. Le SCC devrait envisager de l'utiliser plus largement.
Dix-septième recommandation
Que la Direction des enquêtes sur les incidents envisage d'étendre le processus d'analyse approfondie à d'autres enquêtes, lorsque la situation l'indique.
Les enquêteurs disposaient-ils de ressources suffisantes pour l'enquête?
Pour que l'enquête soit rigoureuse :
- elle doit être menée par un nombre suffisant de personnes de sorte qu'elle puisse être terminée dans un délai raisonnable. Le nombre exact dépend d'une série de facteurs, notamment la portée de l'enquête, le nombre de personnes qu'il faut interviewer, le volume de preuves physiques, documentaires et stockées numériquement qu'il faut rassembler et examiner, et la nécessité de consulter ou non des experts dans un domaine en particulier;
- il faut prévoir assez de temps pour explorer toutes les pistes d'enquête dans une mesure raisonnable;
- les enquêteurs doivent disposer des pouvoirs nécessaires pour recueillir toutes les preuves pertinentes.
En général, la portée des comités d'enquête qui se penchent sur un décès en établissement est assez large; il faut souvent interviewer un nombre considérable de témoins et examiner un grand volume de preuves documentaires et stockées numériquement. Aussi, ces enquêtes peuvent exiger beaucoup de ressources.
Dans l'ensemble, il nous apparaît que les comités d'enquête disposaient de ressources suffisantes, selon la définition ci-dessus. Le fait que les comités d'enquête sont normalement constitués de trois personnes représente un avantage de taille pour le déroulement de l'enquête. L'enquête gagne ainsi en rigueur, du moins en théorie, et met à profit divers points de vue différents. À notre avis, c'est là une bien meilleure approche que ce qui se fait ailleurs dans le monde. Les autres organismes que nous avons étudiés ont tendance à affecter un seul enquêteur à un cas de décès, peu importe la portée potentielle du processus, quoiqu'il y a des exceptions.
On nous a dit que cela peut représenter une lourde charge de travail, particulièrement pour les EN. À l'heure actuelle, la DEI compte 12 postes d'EN, de même que 10 EN 'occasionnels' au sein de la haute direction du SCC, qui prêtent un coup de main lorsque les enquêteurs sont débordés. La charge de travail est parfois considérable. En 2018-2019, la DEI a mené 30 enquêtes nationales de niveau I et 33 de niveau II, ainsi que 43 enquêtes locales. Nous savons qu'un EN participait à quatre comités d'enquête à la fois, qui en étaient à divers stades du processus. À première vue, cela nous semble énorme.
On ne nous a fait part d'aucun comité d'enquête qui se serait plaint de ne pas avoir pu prendre les mesures qu'il estimait nécessaires en raison des coûts de déplacement ou d'autres contraintes financièresNote de bas de page 39.
Les délais indiqués dans l'ordre de convocation des comités d'enquête nous semblent raisonnables de prime abord. Les membres du comité d'enquête qui ne font pas partie de l'effectif de la DEI se voient donner le temps nécessaire pour mener l'enquête. La DC 041 - Enquêtes sur les incidents prévoit que tout membre du personnel du SCC faisant partie d'un comité d'enquête 'doit immédiatement être relevé de ses fonctions habituelles le temps qu'il faut pour la conduite de l'enquête et la rédaction du rapport.'Note de bas de page 40
Nous avons traité brièvement des pouvoirs dont disposent les comités d'enquête pour recueillir des preuves dans la partie du présent rapport qui porte sur le critère d'indépendance, notamment ceux qui leur sont conférés en vertu de la Loi sur les enquêtes. Ces pouvoirs sont convenables.
Les enquêteurs ont-ils rassemblé toutes les preuves physiques ou numériques pertinentes entreposées ou stockées? Les ont-ils ensuite analysées adéquatement?
Les preuves stockées numériquement, comme les enregistrements des systèmes de télévision en circuit fermé qui montrent les entrées et les sorties, les enregistrements de communications radio, de même que les messages textes et les courriels, peuvent constituer des éléments probants essentiels dans une enquête sur un décès en établissement. Il faut dresser une liste de ces preuves, les rassembler, les préserver, les analyser et, au besoin, les soumettre à un examen judiciaire.
Dans le cas des comités d'enquête que nous avons examinés, les preuves obtenues par les systèmes de télévision en circuit fermé étaient préservées automatiquementNote de bas de page 41. Étant donné le peu d'information dont nous disposions sur les mesures prises par les enquêteurs, aspect dont nous traitons plus loin dans cette partie, il était difficile pour nous de déterminer si toutes les preuves pertinentes qui entrent dans cette catégorie ont bel et bien été recueillies et analysées. De nombreux comités d'enquête font mention des systèmes de télévision en circuit fermé. Nous avons toutefois remarqué que, dans un cas, le comité d'enquête avait obtenu et écouté les transmissions radio de l'agent correctionnel.
Visite de l'établissement
En règle générale, plus la preuve est récente, plus elle est bonne. Avec le temps, les souvenirs s'estompent, les documents sont égarés ou altérés et les preuves stockées numériquement sont écrasées, intentionnellement ou pour d'autres raisons. Une bonne pratique d'enquête consiste à préserver les preuves le plus rapidement possible. Pour ce faire, des ressources considérables sont parfois nécessaires, notamment la capacité de rassembler les preuves dès que possible. Il faut également tenir compte du facteur temps, car s'il y a des leçons utiles à tirer d'un décès, il faudrait les dégager et les communiquer dans les meilleurs délais.
Il faut beaucoup de temps avant de convoquer un comité d'enquête. Dans l'intervalle, on risque de perdre des éléments probants. Lorsque le comité d'enquête se rend enfin à l'établissement, généralement des mois après l'incident, il se peut que les détenus impliqués aient été libérés ou transférés, ou que le personnel ne soit pas disponible. Les gens auront oublié, c'est inévitable. On court le risque que les preuves documentaires et stockées numériquement ne soient plus accessibles.
Par conséquent, une bonne pratique d'enquête consiste à préserver les éléments probants qui pourraient être pertinents dès que possible. On entend par là non seulement les preuves physiques et numériques, mais aussi les preuves documentaires et les témoignages.
Cette pratique est adoptée par d'autres organismes d'enquête dans les cas de décès en établissement. Plusieurs des organismes avec lesquels nous nous sommes entretenus ont pour pratique d'envoyer un membre du personnel à l'établissement immédiatement après la constatation du décès. Le PONI offre des services sur appel, 24 heures sur 24. Lorsqu'un décès survient, le NIPS en informe aussitôt le PONI, qui envoie un enquêteur à l'établissement le jour même, normalement dans les quatre heures qui suivent l'avis. L'enquêteur rencontre le gouverneur (le directeur de l'établissement), se rend sur les lieux du décès et se met à la recherche de témoins, ce qui implique notamment de laisser des avis dans la rangée. Son objectif est, en partie, de recueillir les éléments probants périssables et d'informer les détenus et le personnel qu'une enquête externe a été lancée. Le PPO emploie un processus semblable. L'enquêteur du PPO qui se rend à l'établissement affiche des avis afin de solliciter de l'information auprès du personnel et des détenus.
Ces deux organismes travaillent en collaboration avec d'autres entités qui pourraient recueillir des preuves de leur côté ou qui s'intéressent à l'affaire, comme le service de police, l'OOTI ou le coroner.
S'il est vrai que, normalement, l'OOTI ne se rend pas immédiatement sur les lieux du décès, on nous a avisés qu'il peut décider de le faire, au cas par cas.
En revanche, la DEI semble s'en remettre à l'établissement pour recueillir les éléments probants, ce qui comprend les entrevues initiales avec les détenus et d'autres personnes pouvant détenir des renseignements pertinents. On nous a informés que cette tâche était souvent confiée à l'analyste du renseignement de sécurité (ARS) de l'établissement.
Cela nous semble une mauvaise pratique, notamment en ce qui a trait à l'indépendance réelle et perçue de l'enquête. La DEI devrait, dans la mesure du possible, superviser directement la collecte des preuves qui se rapportent aux enjeux sur lesquels le comité d'enquête se penchera probablement, et ce, à tous les stades du processus. Cela permet aussi d'envoyer un message clair, c'est-à-dire qu'un organisme de l'extérieur de l'établissement prend l'enquête en main, ou du moins les aspects de celle-ci qui sont de son ressort, dès le départ.
La DEI a toutefois fait remarquer que les détenus sont parfois réticents à l'idée de s'entretenir avec des enquêteurs de la Direction. Nous ne le nions pas, mais 1) comment peut-on en être certain à moins de prendre la peine de le demander aux détenus et 2) il est difficile de croire que les détenus seraient beaucoup plus enthousiastes à l'idée de parler à un ARS.
Indirectement, cette façon de faire pourrait avoir l'avantage d'accélérer le processus de collecte des preuves, qui serait ainsi lancé dès le début, et par le fait même, de diminuer le temps nécessaire à la conduite de l'enquête.
Nous sommes d'avis que la DEI devrait envoyer des membres de son personnel sur les lieux du décès le plus tôt possible après en avoir été avisée. Ceux-ci devraient voir à ce que tous les éléments probants pertinents susceptibles de servir à un futur comité d'enquête chargé d'examiner ce décès soient recensés, préservés et rassemblés. Ils devraient également mener des entrevues préliminaires auprès des diverses parties, en particulier les personnes auxquelles le comité d'enquête pourrait avoir plus difficilement accès à une date ultérieure, comme les détenus et les membres de leur famille.
Conclusion
La DEI devrait participer au processus initial de collecte des preuves immédiatement après le décès, ce qui pourrait impliquer de mener des entrevues auprès des détenus le plus tôt possible.
Dix-huitième recommandation
Que des membres du personnel de la Direction des enquêtes sur les incidents soient envoyés sur les lieux du décès le plus tôt possible. Ils devraient voir à ce que tous les éléments probants pertinents susceptibles de se rapporter au décès soient recensés, préservés et rassemblés. Ils devraient également mener des entrevues préliminaires auprès des parties auxquelles le comité d'enquête pourrait avoir plus difficilement accès à une date ultérieure, comme les détenus et les membres de leur famille.
Les enquêteurs ont-ils examiné tous les documents pertinents et les ont-ils gardés dans un endroit sûr?
Les documents sont la pierre angulaire de la plupart des organismes gouvernementaux et le système carcéral ne fait pas exception. Les enquêteurs devraient voir à ce que tous les documents susceptibles de se rapporter au décès en établissement soient recensés et rassemblés; ils devraient lire ces documents et s'assurer de bien les comprendre et, chose tout aussi importante, s'enquérir de tout document manquant.
Le manuel de formation de la DEI comprend une liste exhaustive des documents que les comités d'enquête devraient envisager d'obtenir.
Les rapports de tous les comités d'enquête que nous avons examinés comprenaient une annexe énumérant les politiques et les lignes directrices que le comité d'enquête avait passées en revue, mais ne faisaient aucune mention d'autres documents potentiellement pertinents qui ont pu être examinés pendant l'enquête, comme des journaux de bord ou des dossiers du personnel. Cela dit, dans le cas des comités d'enquête que nous avons examinés, il semble que les documents pertinents ont été rassemblés; nous tenons toutefois à préciser que, dans certains cas, il y avait si peu d'information sur les mesures prises par le comité d'enquête qu'il était difficile pour nous de tirer des conclusions. Nous discutons de la façon dont les comités d'enquête devraient améliorer la présentation de l'information sur la collecte des documents dans la partie du présent chapitre qui porte sur l'analyse des preuves, ci-dessous.
Les enquêteurs ont-ils identifié toute personne pouvant détenir des renseignements pertinents au sujet de l'incident et rencontré ces personnes, au besoin?
Un autre moyen d'évaluer la qualité d'une enquête est de déterminer si les enquêteurs ont identifié puis rencontré les personnes pouvant détenir des renseignements pertinents au sujet de l'incident. Dans les cas où des politiques ou des problèmes systémiques sous-jacents pourraient être en cause, il peut également s'agir de toute personne ayant les connaissances et l'expertise voulues pour aider le comité d'enquête dans ses travaux.
L'évaluation comprend trois volets :
- Les enquêteurs ont-ils identifié toutes les personnes pouvant détenir des renseignements pertinents au sujet de l'incident le plus tôt possible?
- Un processus fondé sur des éléments probants était-il en place pour déterminer s'il fallait interviewer ou non ces personnes? Dans certains cas, les témoins potentiels sont tellement nombreux qu'il n'est tout simplement pas possible de rencontrer toutes les personnes qui pourraient, peut-être, détenir des renseignements. Dans de telles situations, les enquêteurs devraient effectuer un tri et dresser la liste des personnes qui sont les plus susceptibles de détenir des renseignements utiles. Le premier élément que l'on considère est souvent la proximité avec les lieux où l'incident est survenu ou le niveau de familiarité avec l'enjeu visé par l'enquête.
- Si une entrevue, formelle ou informelle, a été réalisée, celle-ci était-elle rigoureuse et équitable? Une entrevue efficace consiste à poser les bonnes questions à la bonne personne de la bonne façon, au bon endroit et au bon moment, à donner à cette personne la possibilité de fournir des réponses complètes, et à écouter attentivement tout ce qu'elle dit. Est-ce le cas en l'occurrence?
Comme nous l'indiquons ci-dessus, la DEI n'identifie pas ni ne rencontre les témoins potentiels immédiatement après l'incident, ni à tout autre moment avant la visite du comité d'enquête à l'établissement, laquelle a lieu généralement des mois après le décès. L'exception à cette règle est sans doute l'analyse approfondie, quoique celle-ci n'est normalement effectuée qu'après qu'un bon laps de temps se soit écoulé. De plus, son mandat est limité, car elle ne vise pas à établir les faits d'une affaire en particulier, mais plutôt à fournir un contexte.
Conduite d'entrevues auprès des « victimes »
Avant le début des travaux du comité d'enquête, la DEI remet aux membres une lettre qui énonce leurs responsabilités. Cette lettre comprend une courte section qui porte sur les entrevues auprès des « victimes » et « un membre de la famille d'une victime ». La DEI définit une victime comme suit :
'…. il peut s'agir d'un autre détenu qui est victime de l'incident (la victime d'une agression par exemple), de membres du personnel, d'une victime dans la collectivité comme un conjoint ou une conjointe.'
Dans la lettre, il est indiqué ce qui suit :
Si une victime ou un membre de la famille d'une victime demande à rencontrer le comité d'enquête parce qu'il croit posséder des renseignements qui pourraient contribuer à l'enquête, le comité doit en examiner la demande. Le comité d'enquête doit seulement rencontrer ou interviewer la victime ou la famille de la victime que s'il croit qu'il obtiendra ainsi des éléments d'information qui feront avancer l'enquête. Ce n'est le cas que dans de très rares circonstances, comme dans le cas où la victime connaissait le délinquant.
Nous traitons des rencontres des comités d'enquête avec les membres de la famille plus loin dans le chapitre.
Conduite d'entrevues auprès de détenus pouvant servir de témoins
Il nous apparaît évident que dans bon nombre des cas que nous avons examinés, les détenus auraient pu détenir des renseignements utiles au sujet de l'incident ainsi que sur les éléments précurseurs et les contrecoups. Une bonne pratique d'enquête consiste à recueillir ces éléments probants dès que possible, normalement en interviewant le détenu. Comme nous l'indiquons ci-dessus, dans la partie du présent rapport qui porte sur les visites à l'établissement, le PPO et d'autres entités s'emploient activement à identifier les détenus pouvant détenir des renseignements et à les interviewer immédiatement après l'incident. On nous a informés que les enquêteurs du PONI interviewent souvent des détenus.
Comme il est indiqué plus haut, certaines entrevues sont réalisées par l'ARS à l'établissement, immédiatement après l'incident. Cette façon de faire n'est pas idéale, notamment en ce qui a trait à la perception de l'indépendance de l'enquête; c'est pourquoi nous recommandons plus haut qu'un membre du personnel de la DEI interviewe dès que possible les personnes (comme les détenus) auxquelles le comité d'enquête pourrait avoir plus difficilement accès dans les mois qui suivent, lorsqu'il se rend à l'établissement.
Les efforts déployés pour interviewer les détenus ne sont pas toujours apparents. Dans le rapport d'un comité d'enquête, à la section décrivant les mesures prises au cours de l'enquête, il était indiqué : 'Les principaux détenus impliqués dans cet incident n'ont pas été interviewés.' Aucune raison n'est donnée pour expliquer cette décision.
Selon la DEI, les comités d'enquête interviewent « fréquemment » les détenus. Or, cela ne semble pas toujours avoir été le cas dans les 25 comités d'enquête que nous avons examinés, du moins si l'on se fie au peu d'information fournie à cet égard dans leurs rapports d'enquête. (Nous abordons le manque de détails en général dans les rapports des comités d'enquête plus loin dans le présent chapitre.) Comme nous le soulignons précédemment, on nous a informés que de nombreux détenus refusent de parler aux comités d'enquête. Nous avons également souligné les critiques du BEC à l'égard d'un comité d'enquête qui n'avait interviewé qu'un seul détenu pendant son enquête au Pénitencier de la Saskatchewan et qui, en outre, avait omis d'interviewer un détenu qui semblait détenir des renseignements importantsNote de bas de page 42.
Conduite d'entrevues parallèlement à d'autres enquêtes en cours
Dans tous les comités d'enquête que nous avons examinés, une enquête policière et une enquête du coroner/médecin légiste ont été menées parallèlement. Sauf dans les cas d'homicide, il semble que l'étape de collecte des preuves de ces enquêtes ait été effectuée assez rapidement, sans aucune incidence sur les travaux du comité d'enquête.
Voici ce qu'indique le manuel de formation de la DEI à l'égard des enquêtes policières en cours :
Bien que l'enquête policière prédomine sur l'enquête interne du SCC, cela ne veut pas dire que le comité d'enquête doit mettre fin à ses activités. Il doit simplement maintenir le contact avec le service de police de sorte que l'enquête policière ne soit gênée par aucune de ses activités.
Habituellement, le comité d'enquête contacte le service de police au début de l'enquête, ce qui lui permet d'avoir une bonne idée des domaines où il doit consulter la police ou des domaines qui se situent à l'extérieur de son champ d'activité. Ainsi, dans certains cas, la police peut demander que le comité d'enquête ne rencontre pas l'auteur présumé de l'infraction qui fait l'objet de l'enquête. Même si la police ne peut pas empêcher le comité d'enquête d'interviewer le détenu/délinquant, le comité d'enquête ne doit pas nuire à l'enquête policière.
Cette façon de faire est logique et, selon ce que nous savons des autres organismes que nous avons étudiés, une pratique courante à l'échelle internationale.
En résumé, la conduite d'une enquête parallèle ne signifie pas pour autant que le comité d'enquête doit s'empêcher d'agir jusqu'à ce que celle-ci soit conclue, même si elle a préséance. Toute entrevue menée immédiatement après un incident nécessite l'assentiment de l'entité, telle que le service de police, qui prime sur le processus du comité d'enquête. Nous ne voyons pas pourquoi la DEI ne pourrait pas en faire de même. Au meilleur de nos connaissances, les comités d'enquête composent adéquatement avec les enquêtes parallèles.
Conduite d'entrevues auprès des membres de la famille
Comme nous l'indiquons dans le chapitre précédent, la lettre initiale envoyée par la DEI au plus proche parent du détenu décédé en établissement invite celui-ci à fournir tout renseignement pertinent qu'il pourrait détenir. Comme il est indiqué ailleurs dans le présent rapport, en règle générale, le PPO et le PONI rencontrent les membres de la famille, en partie pour déterminer s'ils détiennent des renseignements pertinents au sujet du décès.
La DEI nous a informés qu'un comité d'enquête pouvait rencontrer les membres de la famille si les faits dans l'enquête semblent indiquer que ceux-ci pourraient détenir des renseignements pertinents au sujet de l'incident, quoiqu'aucune mention précise du plus proche parent n'est faite dans le manuel de formation. Il est arrivé par le passé que le comité d'enquête interviewe le plus proche parent, mais cette pratique est moins fréquente depuis quelques années.
Dans les cas que nous avons examinés, très peu de comités d'enquête ont interviewé le plus proche parent. En comparaison, le PONI rencontre toujours les familles, en partie parce qu'il est tenu, aux termes de son mandat, d'inclure ces démarches dans l'enquête sur le décès.
Nous notons au moins deux cas dans lesquels, de prime abord, les membres de la famille auraient dû être rencontrés ou le comité d'enquête aurait dû expliquer pourquoi il a choisi de ne pas le faire. Dans le premier cas, le détenu s'est suicidé le jour prévu de sa libération. Ni le personnel ni les autres détenus ne s'y attendaient. Des questions ont été soulevées à l'égard du soutien qu'il s'attendait à recevoir des membres de sa famille, notamment des divergences entre ce qu'il aurait dit à ce sujet aux responsables de son cas et la réalité. Le détenu s'est entretenu avec des membres de sa famille trois jours avant son suicide. Pourtant, comme il est indiqué dans le rapport, le comité d'enquête, 'n'a pas rencontré les membres de la famille et ignore ce qui s'est dit pendant ces appels…' Or, le comité d'enquête a été informé de l'état d'esprit du détenu par les aumôniers de l'établissement, qui lui ont confié que '….les membres de la famille avaient appris le décès avec stupéfaction.'
Dans l'autre cas, le détenu a passé 28 appels en tout, à sa mère, à sa petite amie et à d'autres personnes, avant de se suicider. Bien que tous ces appels soient restés sans réponse, il aurait valu la peine de communiquer avec les membres de la famille pour déterminer, à tout le moins, ce qu'ils savaient au sujet de l'état d'esprit du détenu tout juste avant son décès et pour connaître la teneur des messages vocaux qu'il aurait pu laisser.
Nous ignorons pour quelles raisons le comité d'enquête n'a pas interviewé au moins quelques-uns des membres de la famille. Peut-être existe-t-il des raisons valables. Si tel est le cas, celles-ci auraient dû être expliquées clairement dans le rapport.
Conclusions
Bien que nous soyons tout à fait d'accord pour dire que les comités d'enquête ne doivent pas nuire aux autres enquêtes qui, à juste titre, ont préséance sur la leur, ils doivent suivre les pistes d'enquête en temps opportun.
Dans certains cas, les membres de la famille, les détenus et d'autres personnes peuvent détenir des renseignements pertinents au sujet des enjeux sur lesquels le comité d'enquête se penche. Une pratique exemplaire en matière d'enquête, employée par certains des organismes que nous avons consultés, consiste à communiquer de manière proactive avec ces parties pour obtenir ces renseignements. Il semble que cela ne soit pas toujours fait.
Dix-neuvième recommandation
Que le comité d'enquête identifie et, s'il y a lieu, rencontre les membres de la famille, les détenus, les victimes et toute autre personne susceptible de détenir des renseignements pertinents au sujet du décès.
Enregistrement vocal numérique des entreNote de bas de page 43
Aucune politique de la DEI ne régit l'enregistrement vocal numérique (EVN) des entrevues. Les comités d'enquête ne procèdent pas toujours à un tel enregistrement. Or, ils le devraient, car il s'agit là d'une pratique exemplaire en matière d'enquête.
Le manuel de formation de la DEI aborde la question des enregistrements pendant les entrevues, mais seulement dans le contexte des personnes interviewées qui enregistrent elles-mêmes l'entrevue. Si une personne interviewée demande que son entrevue soit enregistrée sur bande, on peut le faire et 'elle peut garder le matériel en sa possession.' Bien que cela ne soit pas généralement la norme, pour éviter la collusion et le contrôle de l'information, il semble raisonnable de donner une latitude dans ce type d'enquêtes, qui vise à remédier aux problèmes systémiques et non pas à jeter le blâme.
L'enregistrement vocal numérique des entrevues est une pratique d'enquête employée couramment par d'autres organismes à l'échelle internationale, dont ceux chargés d'enquêtes ayant une portée semblable à celles dont la DEI est responsable, notamment le PPO et l'OOTI. Bon nombre d'organismes d'enquête ont adopté cette pratique, depuis des décennies dans de nombreux cas, notamment plusieurs bureaux de l'ombudsman provinciaux et fédéraux.
Cette pratique offre une série d'avantages considérables :
Exactitude
De toute évidence, il est très important que l'entrevue soit consignée avec exactitude. L'EVN permet :
- De savoir exactement qui a dit quoi, à quel moment et sur quel ton;
- De déterminer le ton général et le rythme de l'entrevue;
- De relever les digressions, les formulations, les mises en relief, les hésitations, les pauses et les interruptions;
- De déterminer la longueur de l'entrevue, en temps réel.
La déclaration écrite ou les notes prises par l'enquêteur du comité d'enquête ne contiendront pas nécessairement cette information.
Nous sommes conscients que le processus des comités d'enquête n'est pas censé être axé sur la confrontation. Néanmoins, il n'est pas impossible qu'une personne interviewée puisse, à un certain moment, contester la version des faits du comité d'enquête. La personne interviewée pourrait, par exemple, affirmer que la version des faits de l'enquêteur ne reflète pas exactement ce qu'elle a dit ou ce qu'elle a voulu dire, que l'enquêteur l'a sermonnée ou intimidée, ou encore qu'il a omis d'inclure des renseignements importants. Dans pareille situation, tout peut dépendre de la crédibilité de l'enquêteur et de la personne interviewée.
Dans la plupart des cas, l'EVN suffit pour déterminer très rapidement les mérites d'une telle plainte.
Productivité
L'EVN est un moyen économique et efficace d'enregistrer les entrevues dans le cadre d'une enquête. Les enquêteurs peuvent mener un nombre bien plus grand d'entrevues pendant la même période s'ils les enregistrent numériquement au lieu de rédiger une déclaration ou de prendre des notes, ce qui prend beaucoup plus de temps.
Les enquêteurs doivent non seulement se concentrer sur les questions et les réponses, mais aussi consigner assidûment tout ce qui se dit, souvent en détail, particulièrement dans les cas où ils ne sont pas certains de la pertinence éventuelle de l'information. Ce processus peut être très long et fastidieux.
Qualité
L'enregistrement d'une entrevue au moyen d'un enregistreur vocal numérique permet aux enquêteurs de se concentrer sur la personne interviewée au lieu de coucher péniblement par écrit tout ce qui se dit. Cette immutabilité rehausse la qualité de l'entrevue.
Reddition de comptes
L'EVN est aussi un moyen très efficace pour démontrer l'impartialité du processus. Il démontre de manière probante le niveau de rigueur et d'objectivité de l'entrevue, notamment la façon dont les questions ont été posées, et permet de déterminer si les principaux enjeux ont été traités et, le cas échéant, dans quelle mesure. Il peut aussi démontrer si des pressions indues ont été exercées et le niveau de coopération de la personne interviewée.
Pourquoi pas?
Nous nous sommes fait dire, mais non par le personnel du SCC, que les personnes interviewées se montrent moins franches en présence d'un enregistreur vocal numérique; il aurait un effet dissuasif. Ce n'est pas ce qu'affirment les organismes d'enquête que nous avons consultés; ce n'est pas non plus ce que l'auteur du présent chapitre a constaté dans le cadre des milliers d'entrevues d'enquête qu'il a soit menées, soit examinées au cours de sa carrière
En outre, nous croyons comprendre que certaines parties, dont les syndicats, pourraient s'opposer à l'utilisation de l'EVN; il n'est pas rare d'observer une telle résistance lorsque cet outil est utilisé pour la première fois dans ce type d'enquête. La solution est d'en expliquer les avantages à toutes les parties, y compris les personnes interviewées.
Enfin, il y a la question de la protection de la confidentialité, notamment au titre des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Le SCC devrait trouver des moyens de surmonter ces obstacles éventuels afin de pouvoir enregistrer numériquement toutes les entrevues. Bon nombre d'autres organismes d'enquête ont dû composer avec des difficultés similaires et y sont parvenus. Au bout du compte, tout inconvénient réel ou perçu que pourrait avoir cet outil est largement compensé par les avantages qu'il présente.
Conclusion
Les entrevues menées par les comités d'enquête ne sont pas toutes enregistrées numériquement, alors qu'elles le devraient. L'utilisation d'un enregistreur vocal numérique constitue une pratique exemplaire en matière d'enquête et un outil de reddition de comptes efficaces.
Vingtième recommandation
Que le comité d'enquête enregistre toutes les entrevues menées au cours de son enquête au moyen d'un enregistreur vocal numérique.
L'analyse des preuves recueillies au cours de l'enquête était-elle objective et fondée uniquement sur les faits?
Il se peut qu'un organisme d'enquête ait recueilli toutes les preuves pertinentes avec rigueur et équité. Il peut avoir posé les bonnes questions aux bonnes personnes et donné suite à toutes les pistes d'enquête raisonnables. Néanmoins, si l'analyse de ces preuves n'est pas objective, tous ces efforts auront été vains.
La rédaction du rapport d'enquête est un élément crucial de ce processus. Au cours des dernières années, la DEI a revu en profondeur la structure de ses rapports. Elle a adopté une approche descendante qui met l'accent sur les faits plutôt que sur la chronologie ou les thèmes. Nous traitons de cette nouvelle approche plus en détail dans un prochain chapitre.
Nous avons constaté que, dans la plupart des cas, les rapports des comités d'enquête que nous avons examinés étaient clairs et bien circonscrits. Dans l'ensemble, les membres du personnel avec qui nous nous sommes entretenus ont formulé des commentaires positifs au sujet du nouveau modèle de rapport. Le BEC, en revanche, a émis de fortes réserves; son personnel a notamment souligné que le nouveau modèle de rapport semblait contenir moins de détails au sujet de la source des preuves. À son avis, cela complique la tâche de déterminer sur quels éléments probants les constatations sont fondées. Un membre du personnel du BEC nous a confié qu'il sera intéressant de voir si cette nouvelle approche se traduira par une reconnaissance et une mise en œuvre accrues des recommandations par les décideurs du SCC.
Comme nous le mentionnons dans le chapitre précédent, il peut être très utile de fournir un contexte général dans le rapport, d'où notre recommandation.
Nous avons examiné les rapports des comités d'enquête en fonction des critères suivants. Les preuves sur lesquelles le comité d'enquête s'est appuyé pour tirer ses conclusions étaient-elles suffisantes, fiables et pertinentes? S'il existait des éléments probants qui n'appuyaient pas les conclusions tirées, ceux-ci ont-ils été traités dans le rapport et, le cas échéant, le comité d'enquête a-t-il expliqué les raisons pour lesquelles il a choisi de ne pas y donner suite? Les principaux enjeux ont-ils été traités dans le rapport?
Il nous apparaît important de réitérer, pour la dernière fois dans le présent chapitre, notre mise en garde, c'est-à-dire que, par manque de temps, nous n'avons pas pu examiner les documents d'enquête ni conduire des entrevues approfondies auprès des membres des comités d'enquête visés par notre examen. Nous aurions pu ainsi mieux comprendre de quelle façon les comités d'enquête analysent les preuves.
En général, nous avons constaté que les constatations des comités d'enquête concordaient avec les preuves recueillies et étaient raisonnablement bien étayées. Comme nous le mentionnons dans la partie portant sur la détermination des enjeux, rien n'indique que les enquêteurs aient délibérément balayé des éléments probants sous le tapis ou pris des gants blancs.
Nous avons toutefois relevé des exceptions. Dans certains des cas que nous avons examinés (manifestement pas tous), nous n'avons pu déterminer avec certitude si le comité d'enquête avait donné suite adéquatement aux éléments de non-conformité, surtout quand ceux-ci étaient multiples. Conséquemment, d'éventuels problèmes systémiques, comme ceux ayant trait à la formation, à la supervision et à la culture de l'organisation, pourraient passer inaperçus et ainsi perdurer; cela comprend les enjeux qui pourraient ne pas constituer un facteur direct dans un incident en particulier, mais dont la résolution contribuerait à prévenir d'autres décès. Nous traitons de cette question plus en profondeur au quatrième chapitre.
Nous nous sommes aussi penchés sur les constatations, c'est-à-dire de savoir si les recommandations concordaient avec les faits relevés durant l'enquête, et sur les catégories relatives aux éléments de non-conformité et aux constatations supplémentaires. Nous avons déjà traité de cette question dans le chapitre précédent et nous y attarderons de nouveau dans un prochain chapitre, qui porte sur les constatations et les recommandations.
Enfin, nous avons remarqué que dans de nombreux rapports des comités d'enquête, une importance particulière est accordée aux antécédents du détenu et aux périodes d'incarcération précédentes de celui-ci. S'il est vrai que ces renseignements peuvent être utiles, et dans de nombreux cas, ils concernent directement le décès en question, le comité d'enquête devrait se concentrer sur la façon dont la personne est morte et sur les raisons de son décès, sur ce qui aurait pu être fait pour prévenir le décès et, surtout, sur les mesures que l'organisation devrait prendre pour minimiser les risques qu'un tel incident se produise de nouveau.
Il s'agit là d'un aspect important à considérer sur le plan de l'impartialité. Si le comité d'enquête croit bon de scruter à la loupe les antécédents du détenu, ne devrait-il pas en faire de même pour tous les membres du personnel du SCC mis en cause dans l'incident? Prenons par exemple le cas d'un agent correctionnel qui n'aurait pas fait le nécessaire pour déterminer si le détenu était bien en vie dans sa cellule pendant sa tournée : ne faudrait-il pas déterminer s'il s'agit de la première fois que l'agent correctionnel a failli à cette tâche? En se penchant sur ce champ d'enquête, l'objectif du comité d'enquête ne serait pas de prendre des mesures disciplinaires ni de chercher à jeter le blâme, mais de relever d'éventuels problèmes systémiques, par exemple, dans le domaine de la formation et de la supervision. Nous avons remarqué que, dans certains cas, les autres parties impliquées n'étaient pas visées par le même niveau d'examen auquel le détenu décédé était soumis, du moins en apparence. Ce déséquilibre peut entacher la perception de l'impartialité du processus.
Description du processus d'enquête dans le rapport du comité d'enquête
Nous avons relevé des incohérences dans les rapports des comités d'enquête en ce qui concerne la description des mesures prises pour recueillir les preuves. Certains rapports comportaient une section intitulée Processus des enquêtes sur les incidents et méthodologie (PEIM); d'autres pas. Lorsque cette section était omise, nous arrivions parfois à reconstituer les mesures prises par le comité d'enquête, mais cette tâche était longue et ardue.
Le manuel de formation de la DEI comporte une annexe intitulée « Liste des documents consultés par le comité d'enquête ». Celle-ci présente une liste hypothétique présumée de documents, tels que des rapports extraits du Système de gestion des délinquant(e)s se rapportant au détenu décédé, des déclarations individuelles des agents correctionnels, les politiques applicables, etc. Les rapports des comités d'enquête que nous avons examinés ne comportaient aucune liste de ce genre. Ils comportaient toutefois en annexe une liste intitulée Renvois aux politiques. Toutefois, il s'agit là des politiques qui sont applicables en l'occurrence, non pas de la liste des documents réels consultés. Nous avons été informés que la liste de ces documents est préparée puis conservée dans le dossier électronique propre à chaque enquête. Elle ne figure pas dans le rapport du comité d'enquête. Elle le devrait.
Dans la plupart des cas, la section PEIM comportait environ une page. Toutefois, elle commençait et se terminait habituellement par un paragraphe passe-partout, soit, au début, un énoncé général sur le processus des comités d'enquête et, à la fin, un autre énoncé général sur les protections prévues par l'article 13 de la Loi sur les enquêtes et le but des comités d'enquête. La description des mesures concrètes prises par le comité d'enquête ne prenait généralement qu'un seul paragraphe. Dans un rapport en particulier, trois lignes et demie ont suffi.
Si nous ne comparons que les rapports qui comportent une section PEIM, nous constatons que le niveau de détails fournis au sujet des mesures prises pour la collecte des preuves varie énormément d'un rapport à l'autre. À titre d'exemple, dans certains cas, le comité d'enquête a décrit les démarches qu'il avait faites pour s'entretenir avec des détenus et indiqué si celles-ci avaient été fructueuses ou non. Dans d'autres cas, le comité d'enquête n'en a pas fait du tout mention, même s'il nous apparaît évident qu'il aurait dû au moins tenter d'entrer en contact avec les détenus. Dans un cas en particulier, le comité d'enquête a spécifié que les entrevues effectuées auprès des détenus par le personnel avant l'arrivée du comité d'enquête à l'établissement étaient suffisantes pour permettre à celui-ci 'de remplir son mandat.' Dans un autre cas, le comité d'enquête a souligné qu'il avait tenté d'interviewer l'agent de libération conditionnelle du détenu décédé, mais qu'il n'y était pas parvenu, sans toutefois donner aucune explication, ce qui est malheureux. Dans certains cas, tels que les suicides dont il est question plus haut, le comité d'enquête n'a pas expliqué pour quelles raisons il n'avait pas rencontré les membres de la famille.
Parfois, le niveau de détails fournis nous a permis de conclure que l'enquête avait été menée avec rigueur. Citons en exemple le comité d'enquête qui a expliqué dans son rapport que les membres avaient participé à un dénombrement cellulaire afin de bien comprendre le processus et de voir de leurs propres yeux quelles zones de la cellule étaient éclairées par une lampe de poche. Quelle bonne initiative! Cependant, il n'a pas été facile pour nous de dénicher cette information, car elle figurait dans le corps du rapport et qu'il n'y avait, malheureusement, aucune section PEIM.
En ce qui concerne les preuves stockées numériquement, dans un rapport en particulier, la date et l'heure des séquences des systèmes de télévision en circuit fermé étaient indiquées à la section PEIM. Dans d'autres cas, le comité d'enquête s'est contenté d'indiquer qu'il avait visionné les séquences. Quelques comités d'enquête ont fourni une chronologie détaillée des événements, en se fondant souvent sur les enregistrements des systèmes de télévision en circuit fermé. La plupart des comités d'enquête ont indiqué le nombre de personnes interviewées et leur poste. Tous ont mentionné qu'ils avaient obtenu des documents, mais les détails quant à leur nature variaient d'un comité d'enquête à l'autre.
Nous encourageons les comités d'enquête à décrire, dans une section de leur rapport réservée à cette fin, les mesures concrètes qu'ils ont prises pour recueillir les preuves, dans le plus grand détail possible. Les raisons sont nombreuses. D'abord, il s'agit d'une bonne pratique d'enquête. Le lecteur peut ainsi savoir quelles démarches précises le comité d'enquête a entreprises pour recueillir des preuves pertinentes, même si celles-ci n'ont pas été fructueuses, par exemple, lorsque les détenus refusent de coopérer. Ensuite, cela permet de tenir les enquêteurs responsables de ce qu'ils ont fait et de ce qu'ils ont omis de faire. Une description détaillée des mesures prises donne au lecteur l'assurance que toutes les pistes d'enquête raisonnables ont été suivies et, par le fait même, que les constatations et les recommandations du comité d'enquête, s'il y a lieu, s'appuient sur un processus exhaustif d'établissement des faits. Enfin, et surtout, on peut espérer que cela donnera au lecteur confiance en l'indépendance et en l'impartialité de l'enquête dans son ensemble.
Il va de soi que le niveau de détails fournis à la section PEIM variera d'un rapport à l'autre. À moins qu'il n'y ait une bonne raison de ne pas le faire, la section PEIM devrait indiquer les éléments suivants :
- Toute activité effectuée par la DEI avant le début des travaux du comité d'enquête, y compris toute analyse approfondie;
- La ou les dates auxquelles le comité d'enquête s'est rendu à l'établissement;
- Les personnes interviewées, y compris leur poste s'il s'agit d'employés du SCC. Cette catégorie devrait comprendre les détenus et toutes les autres personnes avec lesquelles le comité d'enquête s'est entretenu. À moins d'une raison valable, il ne devrait pas être nécessaire de spécifier les noms;
- Dans le cas des personnes qui n'ont pas été interviewées, les tentatives effectuées pour joindre la personne et les raisons de l'échec ou du refus;
- Les démarches effectuées pour recenser, rassembler et analyser les preuves documentaires, comme les politiques, les dossiers de détenus, les renseignements de sécurité, etc.;
- La liste de ces documents, possiblement en annexe;
- La liste de toutes les preuves stockées numériquement obtenues, comme les enregistrements des systèmes de télévision en circuit fermé et les relevés d'appels téléphoniques;
- Des détails au sujet de visites guidées de l'établissement;
- Les consultations avec d'autres parties comme des experts de l'extérieur ou la Direction de la recherche du SCC;
- Les activités de liaison auprès d'organismes externes comme le service de police ou le coroner/médecin légiste;
- Toute autre mesure d'enquête prise;
- Tout obstacle à la collecte des preuves, comme le manque de coopération ou les retards dans l'obtention de l'information, et les solutions trouvées;
- S'il y a lieu, toute autre directive ou orientation du SCC ou d'une autre partie à l'égard de l'enquête ne figurant pas dans l'ordre de convocation ou le mandat.
Nous avons également remarqué que les rapports des comités d'enquête les plus récents étaient plus susceptibles de comporter une section PEIM et celle-ci, d'être plus détaillée. Nous encourageons la DEI à poursuivre dans cette voie.
Conclusions
Les rapports des comités d'enquête manquent d'uniformité en ce qui a trait à la description des mesures prises par le comité d'enquête pour recueillir les preuves. Certains rapports comprennent une section réservée à cette fin, d'autres pas.
Dans le cas des rapports qui comprennent une telle section, le niveau de détails fournis au sujet des mesures prises n'est parfois pas suffisant.
Le fait de ne pas inclure cette information peut avoir pour effet de miner la confiance en l'indépendance et l'impartialité du processus.
Vingt et unième recommandation
Que tous les rapports des comités d'enquête comportent une section sur les mesures prises par le comité d'enquête pour recueillir les preuves.
Conclusion au regard de l'indépendance et de l'impartialité
Bien que le processus d'enquête global du SCC sur les décès de causes non naturelles ne soit pas indépendant, nous n'avons trouvé aucune preuve qui nous permette de conclure que les comités d'enquête ne fonctionnent pas indépendamment.
En ce qui concerne l'impartialité, nous estimons que la DEI mène ses enquêtes sur les décès de causes non naturelles de manière raisonnablement rigoureuse et objective et, par le fait même, impartiale, du moins selon les rapports des comités d'enquête que nous avons examinés. Nous avons toutefois relevé plusieurs sujets de préoccupation. Même si ce ne sont pas tous les comités d'enquête qui sont visés, ces sujets reviennent assez fréquemment pour que cela mérite d'y donner suite.
En résumé, nous n'avons trouvé aucune preuve convaincante qui nous permette de conclure qu'il existe à l'heure actuelle une partialité systémique dans la conduite des enquêtes. Rien ne nous permet non plus de conclure que le régime actuel est à ce point imparfait sur le plan de l'indépendance et de l'impartialité qu'une réforme complète de celui-ci est nécessaire. Néanmoins, le SCC devrait prendre des mesures pour rehausser la confiance en son processus d'enquête sur les décès de causes non naturelles. Nous traitons de ces mesures dans nos recommandations.
Chapitre 3
Terme de référence
- Suggérer des façons dont le SCC peut communiquer ses rapports d'enquête aux employés pour qu'un plus grand nombre d'entre eux soient au fait des « leçons à retenir » et pour que ces rapports soient plus accessibles au public
Le présent chapitre est divisé en deux parties, la première portant sur l'information et les documents actuels du Service correctionnel du Canada (SCC) concernant la communication des rapports des comités d'enquête, et la deuxième, sur les prochaines étapes que nous suggérons.
En ce qui concerne cet élément du mandat, le comité d'examen indépendant (CEI) estime que la communication des rapports des comités d'enquête à tous les employés du SCC est primordiale pour deux raisons principales. Premièrement, et avant toute chose, afin de prévenir les décès en établissement dans toute l'organisation. Deuxièmement, afin d'informer les employés de ce qui s'est réellement passé, car bon nombre d'entre eux pourraient en avoir entendu parler, mais ne sont pas informés des faits réels ni des éléments probants relevés au cours de l'enquête. Cela permettrait aux employés de comprendre les éventuels changements apportés à l'infrastructure, aux politiques, à la formation ou encore à l'effectif au sein de l'établissement ou de la région, par suite de l'incident. En plus de sauver des vies, cette pratique pourrait contribuer à améliorer les processus, à définir plus clairement les politiques et à réduire le stress subi par les employés ou les détenus.
Aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le SCC est tenu de communiquer les rapports des comités d'enquête au Bureau de l'enquêteur correctionnelNote de bas de page 44 (BEC). Au nombre des autres parties qui pourraient voir un intérêt à consulter les rapports d'enquête ou un document sur les leçons à retenir, pensons aux organes gouvernementaux internes qui jouent un rôle particulier dans la surveillance du système correctionnel et l'établissement de politiques en la matière et qui ont la capacité d'orienter le changement (par exemple, Sécurité publique Canada), les coroners/médecins légistes, les intervenants, les universitaires et les personnes qui s'intéressent au système correctionnel. Pensons aussi à d'autres groupes importants, comme les détenus, le plus proche parent et les membres de la famille du détenu décédé, de même que les victimes des infractions commises par celui-ci, en raison de leurs liens avec le détenu et de l'intérêt possible qu'ils pourraient avoir à son égard. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de nous pencher sur cet élément du mandat, car cela témoigne de la volonté de la Direction des enquêtes sur les incidents (DEI) de communiquer les renseignements tirés de ses enquêtes.
Information et documents actuels du Service correctionnel du Canada concernant la communication des rapports des comités d'enquête
La lettre de mandat
En septembre 2018, le ministre fédéral de la Sécurité publique de l'époque a publié pour la première fois la lettre de mandat adressée à la nouvelle commissaire du Service correctionnel du Canada, Anne Kelly.Note de bas de page 45 Dans cette lettre, il l'encourageait :
"à instaurer dans le SCC une culture d'autoréflexion continue. Cela inclut : réexaminer régulièrement les politiques et les opérations afin d'identifier ce qui fonctionne, et de changer ce qui ne fonctionne pas; veiller à ce que les incidents où il y a recours à la force soient enquêtés [sic] de façon compréhensive [sic] et transparente, et que les leçons qui en découlent soient appliquées; chercher des idées et des approches novatrices, fondées sur les expériences du SCC, de même que celles d'autres juridictions [sic] au Canada et ailleurs dans le monde; faciliter le travail de chercheurs indépendants au sein du SCC; et accueillir les critiques constructives, offertes de bonne foi, comme étant des moteurs indispensables du progrès."
La publication d'une lettre de mandat favorise la reddition de comptes et l'évaluation des progrès réalisés par rapport à l'orientation donnée. Nous encourageons l'autoréflexion et la transparence du SCC et applaudissons les efforts déployés jusqu'à maintenant en ce qui a trait aux leçons retenues et à la communication des renseignements au sujet des incidents; nous estimons de surcroît que cela donne à la commissaire la directive de rendre publics le plus de renseignements possible, ce qui comprend les rapports d'enquête.
Manuel de formation du participant de la DEI
Pour ce qui est de la DEI du SCC, le manuel de formation du participant de la DEINote de bas de page 46 à l'intention des enquêteurs présente les trois principales procédures en vigueur pour la communication des résultats des rapports des comités d'enquête aux employés du SCC. D'abord, après la collecte des preuves à l'établissement par les membres du comité d'enquête, un débreffage local a lieu, ce qui conclut la phase de l'enquête qui se déroule sur les lieux de l'incident. Selon le manuel de formation du participant, l'objectif est "de communiquer les résultats de l'enquête, plus particulièrement les recommandations, les questions de conformité et les constatations supplémentaires qui requièrent la mise en œuvre de mesures correctives par l'unité opérationnelle."
Le manuel de formation décrit la deuxième étape principale dans la communication des résultats à l'interne comme suit: "Un débreffage pour le sous-commissaire régional, le sous-commissaire adjoint, Opérations correctionnelles, le DG, DEI et d'autres responsables politiques concernés doit avoir lieu deux semaines avant la date d'échéance du rapport du comité d'enquête."
La troisième et dernière étape du processus est la présentation du rapport final à la réunion sur les enquêtes nationales, tenue généralement tous les trois mois; la réunion est présidée par le sous-commissaire principal, et y participent notamment les commissaires adjoints, les sous-commissaires régionaux, les responsables de secteur concernés et le directeur général de la DEI.
Si les rapports des comités d'enquête ne sont pas communiqués à l'ensemble du personnel, seul ce sous-groupe peut consulter les constatations et les leçons retenues.
Directives du commissaire
Dans le cadre de notre examen du processus de communication des renseignements au sujet des décès en établissement, le comité a aussi passé en revue plusieurs directives du commissaireNote de bas de page 47 (DC), dont la DC 022 Relations avec les médias, la DC 530 Décès d'un détenu : notifications et dispositions funéraires, et la DC 784 Engagement des victimes, que nous mentionnons dans le premier élément du mandat, ainsi que les DC qui suivent, qui mettent l'accent sur la communication des renseignements dans les cas de décès en établissement :
- La Directive du commissaire 048 Communication de renseignements et prestation de services de soutien liées à des enquêtes médico-légales ou à des enquêtes publiques du coroner/médecin légiste indique ce qui suit :
- "À titre de donneur d'ordres concernant des cas régionaux/particuliers, le sous-commissaire régional concerné ou son délégué communiquera immédiatement l'avis initial concernant une enquête publique à venir au sous-commissaire principal et, au besoin, assurera la liaison avec l'administrateur régional, Communications et Services à la haute direction, et la sous-commissaire pour les femmes lorsqu'une délinquante est en cause.
- Le commissaire adjoint, Communications et engagement, ou son délégué préparera les réponses aux médias concernant la participation du SCC à une enquête médico-légale ou à une enquête publique et formulera les réponses du SCC aux recommandations, s'il y a lieu, assurera la liaison entre le SCC et le Bureau du ministre, lorsqu'il y a lieu et mobilisera les intervenants, au besoin."
Dans la Directive du commissaire 041 Enquêtes sur les incidents, le paragraphe 53, intitulé "Communication des constatations principales," énonce l'obligation de la DEI de communiquer les constatations principales d'une enquête, mais ne fait pas mention du rapport d'enquête sur l'incident :
"La Direction des enquêtes sur les incidents crée des documents sur les constatations principales. Ces documents fournissent un aperçu général des recommandations et constatations principales, des mesures correctives et des plans d'action ainsi que des meilleures pratiques découlant de diverses enquêtes. Ils sont distribués à tous les membres du personnel du SCC, aux syndicats pertinents et au président du Comité national de direction des comités consultatifs de citoyens, et ils sont affichés dans le Hub." (Le Hub est le réseau interne du SCC auquel ont accès le personnel et les syndicats.)
Le SCC s'est doté de directives claires au sujet des notifications, des réponses aux médias et de la communication des constatations, qui servent à informer les employés et le grand public de la publication prochaine du rapport d'un comité d'enquête. Nous avons constaté que les instructions énoncées dans les directives du commissaire susmentionnées étaient dans l'ensemble respectées; néanmoins, nous avons relevé un manque d'uniformité et de rigueur dans l'application du paragraphe 53 de la DC 041, qui constitue un véhicule important pour la communication des renseignements au sujet de l'incident. Lorsque nous nous sommes entretenus avec des employés du SCC à divers échelons, nous avons découvert que bon nombre d'entre eux n'étaient pas au fait des recommandations formulées dans les rapports des comités d'enquête ou des mesures prises pour y donner suite; ils ne savaient pas non plus à quel endroit consulter cette information. La DEI nous a confirmé que les constatations principales étaient communiquées au président du Comité national de direction des comités consultatifs de citoyens par Internet ou par les médias sociaux; cependant, nous n'avons trouvé aucune section sur le site Web du SCC qui serait réservée à cette fin ni relevé aucun élément probant qui nous donnerait l'assurance que les constatations principales sont communiquées par ces canaux. En outre, en examinant le site intranet du SCC (le Hub, auquel ont accès le personnel du SCC et les syndicats), nous avons constaté que le document « Leçons à retenir » le plus récent a été publié il y a quatre ans, à la suite de l'émeute au Pénitencier de la Saskatchewan, en 2016. De toute évidence, d'importantes constatations ne sont pas communiquées systématiquement à l'ensemble du personnel du SCC, alors que, de l'avis du comité, elles le devraient pour les raisons énoncées au début de la présente partie.
Entrevues
En plus de notre examen exhaustif de la documentation écrite, nous avons mené plusieurs entrevues auprès d'employés qui nous en ont appris beaucoup sur la communication des renseignements; les points saillants sont présentés ci-dessous.
Premièrement, compte tenu des ressources et du temps investis dans la production des rapports des comités d'enquête, nous estimons qu'il est important de les utiliser au mieux. En effet, ces rapports d'enquête contiennent une mine de renseignements qui peuvent être mis à profit dans plusieurs secteurs du SCC. Chaque rapport comporte des observations, des constatations et des recommandations d'une très grande utilité pour les employés du SCC et les nouvelles recrues, qui nous ont dit qu'ils tenaient à en être informés. Qui plus est, le fait de ne pas communiquer ces rapports, et par le fait même de ne pas faire connaître les recommandations, les pratiques exemplaires, les failles dans les politiques, les éléments de non-conformité et les mesures correctives, nuit aux efforts de prévention et fait croître le risque que de pareils incidents surviennent de nouveau. Par ailleurs, la mise en œuvre à l'échelle nationale des mesures suggérées par un comité d'enquête pourrait non seulement permettre de sauver des vies (par exemple, fouiller plus souvent la cellule d'un détenu après sa première surdose afin d'en prévenir d'autres), mais aussi de cerner des possibilités d'amélioration.
Deuxièmement, pendant nos entrevues, nous avons découvert que les gens ont des besoins différents quant aux renseignements qu'ils souhaitent recevoir. Parmi les membres de l'équipe de gestion, le personnel de première ligne, les plus proches parents, les familles et les organisations communautaires avec qui nous nous sommes entretenus, certains nous ont dit qu'ils aimeraient recevoir des fiches de renseignements/bulletins sur l'incident aux fins de consultation rapide, alors que d'autres préféreraient avoir accès aux rapports intégraux. Nous nous sommes vite rendu compte que le SCC dispose d'un grand nombre de plates-formes de communication et de mécanismes de diffusion, internes et externes, qui lui permettent de transmettre les renseignements de la façon qui convient le mieux aux différentes personnes. Notamment, le site Web du SCC, les sites des médias sociaux (Facebook et Twitter), les communications par courriel aux intervenants et au personnel, le Hub du SCC (site intranet), ALCpédia (la plate-forme de formation du SCC à l'intention des agents de libération conditionnelle), les bulletins, les bulletins d'information et les réunions du personnel.
Troisièmement, comme nous le mentionnons dans les éléments du mandat traités précédemment, la transparence et la reddition de comptes vont de pair avec l'indépendance et l'impartialité. Dans un cas comme dans l'autre, les rapports publics en sont une composante essentielle. Durant nos entretiens avec des employés du SCC et du BEC, nous avons appris que la communication des renseignements au sujet des enquêtes est soumise à des limites, notamment:
- La Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada, dont l'objet est "de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernentNote de bas de page 48";
- La Directive du commissaire 701 Communication de renseignements, qui prévoit que le SCC peut refuser de communiquer des renseignements si la communication compromet la sécurité d'une personne (p. ex., menace pour la sécurité d'un particulier), la sécurité du pénitencier (p. ex., renseignements décrivant tout système de sécurité) ou la tenue d'une enquête licite (p. ex., renseignements sur les méthodes de collecte de renseignements)Note de bas de page 49;
- Le principe de protection des renseignements et de compassion à l'égard des victimes d'actes criminels, de leur famille ou d'autres personnes concernées, compte tenu des répercussions que la communication des renseignements et des faits pourrait avoir sur ces personnes;
- Le principe de protection des renseignements et de compassion à l'égard du plus proche parent, des familles et des amis des détenus, compte tenu des répercussions que la communication des renseignements et des faits pourrait avoir sur ces personnes;
- Les responsabilités découlant des activités du SCC ou de la conduite de son personnel (le manuel de formation de la DEI indique que « des copies des dossiers d'enquêtes de la DEI sont souvent exigées à des fins de litige »Note de bas de page 50).
Dans son rapport définitif intitulé "Enquête sur le décès en établissement de Matthew Ryan Hines," l'enquêteur correctionnel met en relief le besoin particulier qu'éprouve la famille du détenu décédé de connaître les circonstances entourant le décès de celui-ci et souligne la responsabilité particulière du SCCNote de bas de page 51 de bien les informer. Plusieurs des personnes que nous avons interviewées ont fait valoir que lorsque les familles ne sont pas immédiatement avisées du décès de leur proche, ou qu'elles n'obtiennent pas de réponse à leurs questions au sujet de ce qui s'est passé, elles le voient comme un manque d'empathie et de compassion de la part du SCC, ce qui mine leur confiance à l'égard de l'organisation. Comme l'a fait remarquer un employé du SCC, "Il ne faut pas oublier que cette personne est l'enfant de quelqu'un. Il faut tellement de temps pour répondre aux questions de la famille. Le mieux, c'est de leur transmettre tout ce qu'on peut dès le départ. Nous devons aussi faire preuve d'une grande compassion." Dès que survient un incident grave impliquant une personne sous la responsabilité du SCC, il faut transmettre rapidement et avec tact tous les renseignements possibles à la famille de celle-ci. Si la famille souhaite être informée du déroulement et des faits de l'enquête, il faut poursuivre cette communication de renseignements utiles pendant l'enquête, dans la mesure du possible.
Lorsque le rapport final du comité d'enquête est prêt, les renseignements qu'il renferme changent de catégorie. Auparavant, les familles devaient présenter une demande d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels (AIPRP), un processus souvent très long et fastidieux, pour obtenir le rapport final, lequel était lourdement caviardéNote de bas de page 52. Le directeur général de la DEI est désormais autorisé à communiquer certains faits du rapport de vive voix au plus proche parent; les familles peuvent demander une copie du rapport intégral en passant par l'équipe de l'administrateur régional, Communications et Services à la haute direction, qui fera les démarches nécessaires auprès de l'AIPRP. Nous voyons deux problèmes dans cette façon de faire. Premièrement, c'est au SCC que devrait revenir la responsabilité de communiquer avec les familles qui souhaitent recevoir le rapport, afin d'éviter à celles-ci d'avoir à appeler continuellement la DEI pour savoir quand le rapport sera accessible. Deuxièmement, nous croyons comprendre que la version du rapport que les familles reçoivent est malheureusement toujours aussi caviardée, ce à quoi il faudrait remédier.
Prochaines étapes
Pendant notre examen des pratiques internationales, nous avons été impressionnés par les pratiques de communication des renseignements adoptées par le Prisons and Probation Ombudsman (PPO) au Royaume-Uni dans les cas de décès au sein du Her Majesty's Prison and Probation Service (HMPPS).
Au Royaume-Uni, lorsqu'un décès survient en établissement, la famille est aussitôt avisée; l'agent de liaison avec les familles (ALF) est la principale personne-ressource pendant le déroulement de l'enquête. Le PPO voit les familles comme faisant partie intégrante du processus et leur apporte un soutien à toutes les étapes; il leur donne la possibilité de soulever les enjeux sur lesquels elles aimeraient que le PPO enquête, de poser des questions et d'exprimer leurs inquiétudes, et leur fournit de l'information sur les services de counseling à leur disposition. L'agent offre à la famille de rencontrer l'enquêteur avec elle et la prévient de tout aspect du rapport qui pourrait la surprendre ou la bouleverser. (Ce dernier point témoigne d'une grande compassion à nos yeux.)
Le PPO envoie la version préliminaire du rapport à la famille du détenu décédé (le Prisoner Ombudsman of Northern Ireland [PONI] le fait aussi). Cette version est identique à celle qui est remise au coroner et au personnel correctionnel du HMPPS. Le rapport préliminaire est accompagné d'annexes à l'appui, qui comprennent un examen du dossier de santé, la transcription des entrevues et d'autres documents pertinents. Des éléments ayant trait à la sécurité pourraient par contre être caviardés. Le coroner, le personnel correctionnel et la famille du détenu décédé ont tous l'occasion de commenter les faits contenus dans leur rapport préliminaire avant la publication du rapport final.
Après avoir tenu compte des commentaires de toutes les parties, le PPO produit le rapport final, lequel est ensuite renvoyé à la famille (nous croyons comprendre que les éléments encore caviardés sont minimes), au coroner et au service correctionnel. (Le PONI envoie un rapport final légèrement caviardé aux familles.)
Les familles sont invitées à assister au débreffage, si elles le souhaitent (PPO et PONI). À moins de circonstances exceptionnelles, si la communication pose un risque important pour la sécurité par exemple, le PPO transmet à la famille les mêmes renseignements que ceux qui ont été communiqués au service correctionnel pendant le débreffage. (Le PONI procède de façon similaire ici aussi.)
Le PPO publie en ligne une version anonymisée de tous ses rapports d'enquête sur des décès en établissement (ainsi que tout plan d'action connexe dans lequel le HMPPS donne suite aux recommandations du PPO) après l'enquête du coronerNote de bas de page 53. Le nom du détenu est indiqué dans le rapport, mais ceux des autres parties, comme le personnel correctionnel, sont caviardés.
Sur le site Web du PPO, on peut lire que, depuis 2012, le PPO met l'accent sur les leçons à retenir de l'analyse collective de ses enquêtes afin de contribuer à l'amélioration du service et d'aider possiblement à prévenir d'autres décès. On peut consulter une gamme impressionnante de rapports sur les leçons retenues et de rapports thématiques sur son site WebNote de bas de page 54. Ces bulletins portent sur un sujet en particulier (p. ex., les suicides de détenues) et présentent des statistiques récentes, les règles et procédures en la matière, quelques études de cas à titre d'exemple pratique et les leçons à retenir.
Nous sommes conscients que le cadre législatif du Canada n'est pas le même que celui du Royaume-Uni. Néanmoins, nous encourageons le SCC à étudier en profondeur le processus employé par le PPO afin de voir quelles pratiques il pourrait adopter et adapter en ce qui a trait à la publication des rapports d'enquête sur les décès et à la communication d'autres renseignements aux intervenants, particulièrement au plus proche parent et à la famille du détenu décédé. Le SCC devrait surtout s'intéresser aux moyens qui lui permettraient de communiquer le plus de renseignements possible au sujet d'un décès ainsi qu'à la façon dont il pourrait éliminer, de façon proactive et continuelle, les obstacles à cette communication. L'adoption de ces pratiques contribuerait à réduire le scepticisme que suscite inévitablement une entité qui enquête sur elle-même.
Comme nous l'avons mentionné précédemment, nous avons consacré beaucoup de temps à étudier les documents du SCC portant sur les relations avec les médias et la communication des renseignements; nous avons également examiné les différents types de plates-formes de communication et de mécanismes de diffusion au sein de l'organisation. D'après nos recherches et les entrevues que nous avons menées auprès de plusieurs employés du SCC, avec qui nous avons discuté des moyens qui permettraient de communiquer plus de renseignements au personnel du SCC et au grand public, nous proposons plusieurs stratégies de communication, que voici :
- Annoncer les enquêtes à venir sur le site Web du SCC et les médias sociaux;
- Publier les rapports intégraux des comités d'enquête, ainsi que les mesures correctives prises, sur le site Web du SCC, dans leur version non caviardée de préférence ou aussi légèrement caviardée que possible, si besoin est. (Une solution serait de rassembler les éléments qui doivent être anonymisés, pour des raisons de confidentialité ou de sécurité, comme nous l'expliquons plus haut, dans une annexe du rapport. Celle-ci serait alors retirée de la version publiée sur le site Web du SCC.);
- Publier les fiches de renseignements/bulletins sur les leçons à retenir sur le site Web du SCC pour que tout le personnel du SCC et le grand public y aient facilement accès;
- Mentionner les « Leçons à retenir », les fiches de renseignements/bulletins et les rapports de comité d'enquête récemment publiés dans les bulletins « Cette semaine au SCC » (communication électronique destinée au personnel) et « Dernière heure » (communication électronique destinée aux intervenants), de même que sur les médias sociaux;
- Communiquer les renseignements nouveaux ou pertinents tirés des rapports des comités d'enquête (conseils pour prévenir les suicides, nouvelles drogues introduites dans les établissements, etc.) aux employés, par les bulletins d'information, et aux détenus, par l'entremise des pairs-conseillers et des comités de détenus;
- Fournir de l'information sur le processus de communication des renseignements tirés des rapports des comités d'enquête du SCC dans le bulletin « Entre Nous » au moins une fois par année à titre de rappel.
À la lumière des éléments probants recueillis dans ce volet de notre examen, le comité formule les recommandations suivantes :
Vingt-deuxième recommandation
Que les rapports d'enquête sur les décès de causes non naturelles, accompagnés des mesures correctives, soient publiés dans leur version quasi intégrale sur le site Web du Service correctionnel du Canada pour que les employés et le grand public puissent y avoir accès, comme le fait le Prison and Probation Ombudsman au Royaume-Uni.
Vingt-troisième recommandation
Que le Service correctionnel du Canada rédige régulièrement des fiches de renseignements/bulletins sur les leçons à retenir ayant trait aux décès de causes non naturelles et les publie sur son site Web, comme le fait le Prison and Probation Ombudsman au Royaume-Uni.
Vingt-quatrième recommandation
Que la Direction des enquêtes sur les incidents adopte des pratiques semblables à celles du Prison and Probation Ombudsman au Royaume-Uni afin de faire participer davantage la famille et le plus proche parent au processus d'enquête. Elle devrait notamment leur donner la possibilité de soulever les enjeux sur lesquels ils voudraient que l'on enquête, leur communiquer le rapport préliminaire pour qu'ils puissent en commenter les faits, les inviter à un débreffage local pour leur présenter le rapport final (en leur refusant le moins de renseignements possible) et les aviser lorsque le rapport final est rendu public.
Chapitre 4
Terme de référence
- Évaluer si les recommandations formulées par les comités d'enquête s'attaquent bien aux causes sous-jacentes de l'incident ou des incidents, et s'il est nécessaire d'apporter des améliorations d'ensemble aux politiques et aux procédures
Observations initiales à propos de cet élement du mandat
Premièrement, avant d'aborder cet élément du mandat, nous tenons à réitérer que, dans le cadre de notre examen des rapports des comités d'enquête qui nous ont été remis, nous n'avons enquêté sur les incidents d'aucune manière. Nous n'avons pas examiné les méthodes de collecte des preuves utilisées par les comités d'enquête ni la liste des personnes qu'ils ont interviewées pour déterminer les causes sous-jacentes et les problèmes systémiques. Nous avons accepté la validité apparente des constatations et analysé la corrélation entre les causes sous-jacentes et les recommandations.
Deuxièmement, il importe de donner un aperçu de la structure d'établissement des rapports des comités d'enquête et des paramètres pour les recommandations. On retrouve dans les rapports des comités d'enquête plusieurs termes qui sont définis dans le manuel de formation des participants de la Direction des enquêtes sur les accidents (DEI)Note de bas de page 55. En voici quelques-uns qu'il convient de mentionner :
- Faits à l'appui : éléments probants ou faits au sujet de l'incident qui montrent un élément de non-conformité, une faille dans les politiques ou un enjeu majeur/problème sous-jacent;
- Élément de non-conformité : élément probant décrit dans les faits à l'appui montrant qu'une personne ne s'est pas conformée à une loi, à une politique ou à une procédure et que le manquement était directement lié à l'incident qui fait l'objet de l'enquête;
- Enjeu majeur/problème sous-jacent : fait à l'appui sans lien avec les politiques;
- Constatations : résumé des faits à l'appui qui présente les grandes conclusions ou les énoncés de fait des domaines d'enquête;
- Constatations principales : enjeux ou recommandations issus d'enquêtes nationales pouvant avoir des répercussions sur l'ensemble du SCC;
- Constatations supplémentaires : élément de non-conformité n'ayant eu aucune incidence directe sur l'incident;
- Recommandations : faille dans les politiques ou enjeu majeur/problème sous-jacent décrit explicitement dans les faits à l'appui, qui est directement lié à l'incident et aux domaines d'enquête décrits dans l'ordre de convocation. Il existe d'autres paramètres pour les recommandations, lesquels sont traités dans les prochains paragraphes.
Troisièmement, il convient de faire la distinction entre un élément de non-conformité et des mesures disciplinaires. Au cours de son enquête, en cherchant à bien comprendre ce qui s'est passé, le comité d'enquête peut relever des éléments de non-conformité; ceux-ci pourraient être attribuables au manque de connaissances ou à la négligence d'un employé, ou encore à l'absence de mécanismes de gestion ou de surveillance de la conformité adéquats. Cependant, le manuel de formation des participants indique que "la DEI ne mène pas d'enquête à des fins disciplinaires, mais privilégie plutôt un modèle fondé sur les leçons retenues" et spécifie qu'une recommandation, "ne peut être formulée pour appuyer ou corriger un élément de non-conformitéNote de bas de page 56". Il est important d'en tenir compte à la lecture du présent chapitre. L'élément de non-conformité relevé par le comité d'enquête peut entraîner la prise de mesures correctives ou disciplinaires, mais cela fait intervenir des processus distincts, ce que nous abordons plus en détail ci-dessous.
Quatrièmement, le comité d'enquête a pour mandat de se concentrer sur l'incident et sur d'éventuelles mesures de prévention; le reste est superflu. À titre d'exemple, une situation dans laquelle un employé aurait omis de remplir un formulaire après que le décès soit survenu constituerait un élément de non-conformité qui n'aurait aucune incidence sur l'incident en soi et, par conséquent, serait considéré comme une constatation supplémentaire par le comité d'enquête.
Avant de nous pencher sur cet élément du mandat, nous avons déterminé que lorsque des causes sous-jacentes étaient mentionnées dans les recommandations, nous devions concentrer notre analyse sur ce qui s'était passé et les raisons pour lesquelles l'incident s'était produit, et sur ce qui pouvait être fait pour prévenir d'autres incidents similaires. (Les pratiques et les politiques ont-elles été respectées? Y avait-il un effectif complet le jour de l'incident? Le personnel a-t-il dû composer avec des obstacles qui échappaient à leur contrôle? Y avait-il des problèmes sous-jacents que la direction, les superviseurs ou le personnel auraient dû remarquer?)
Lorsqu'il s'agit d'examiner des recommandations qui visent à remédier à des problèmes systémiques, l'important est de voir à ce que le SCC ait pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir et gérer ces incidents. (Les politiques et les procédures sont-elles adéquates ou existe-t-il des lacunes? Les politiques concordent-elles à leur objectif? Les membres du personnel ont-ils les connaissances voulues pour gérer efficacement toutes sortes de situations? L'organisation leur fournit-elle les ressources et les stratégies nécessaires à cet égard? Existe-t-il des problèmes liés à la culture au sein de l'établissement ou au moral de l'effectif auxquels le SCC pourrait remédier? Par exemple, les constatations montrent-elles que le laisser-faire est toléré ou encore que l'on se préoccupe peu de savoir si le personnel qui intervient à la suite d'un incident connaît et respecte les politiques?)
Conclusions
Volonté de la Direction des enquêtes sur les incidents
Nous sommes reconnaissants à la Direction des enquêtes sur les incidents du SCC d'avoir bien voulu nous présenter ses processus de formation et d'enquête et la félicitons des efforts qu'elle déploie activement en vue de les améliorer. Au cours des deux dernières années, la DEI a apporté des améliorations à son processus d'établissement des rapports, ce qui est louable à notre avis. Elle nous a informés qu'elle avait simplifié la partie portant sur les antécédents des détenus et étoffé celles ayant trait au contexte et à l'environnement de l'établissement. Les rapports sont maintenant plus concis et reposent sur une approche descendante. Le manuel de formation des participants de la DEI décrit cette approche comme suit : "Il ne s'agit PAS d'un ordre séquentiel/chronologique avec une section d'introduction, de développement et de conclusion à la fin. Cette "approche descendante" permet au lecteur d'arriver à l'essentiel immédiatement. Elle permet aussi à l'auteur de modifier le début du récit à volonté, et de garder ainsi l'ensemble du contenu à jour. Il s'agit d'un type de rédaction fondé sur des éléments probants et appuyé par des renseignements/faitsNote de bas de page 57."
La DEI nous a informés que les changements apportés au modèle de rapport d'enquête avaient été motivés en partie par l'objet et les recommandations du quatrième comité d'examen indépendantNote de bas de page 58. Néanmoins, elle ne s'est pas arrêtée là et a adopté une approche axée sur l'action de manière à produire des rapports rigoureux et analytiques. Les changements apportés contribuent à accroître la responsabilisation des intervenants internes du SCC au regard des constatations et des recommandations.
La Direction de la recherche du SCC a le projet de recueillir des données sur les décès en établissement afin de les inclure dans son rapport annuel; on nous a informés que pour ce faire, elle avait demandé à la DEI d'enjoindre aux comités d'enquête de recueillir des informations qui aideraient à contextualiser les enjeux et à relever les tendances (p. ex. les médicaments pris par le détenu, les soins en santé mentale reçus, s'il y a lieu, etc.) et de les présenter dans leur rapport à des fins de collecte. Quoiqu'il n'appartienne pas aux comités d'enquête d'aider à la collecte des données de recherche, si cela ne leur demande pas trop d'efforts supplémentaires, nous y voyons une valeur ajoutée pour le SCC.
Lorsque nous nous sommes entretenus avec le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC), en sa qualité d'organe de surveillance, nous nous sommes fait dire que le nouveau processus simplifié "minait la capacité du lecteur d'évaluer le processus d'enquête sous-jacent" et "compliquait la tâche de déterminer les sources dont les enquêteurs se sont servis pour tirer leurs conclusions". L'examinateur externe est ainsi obligé de chercher lui-même ces sources, ce qui peut être laborieux. En ce qui a trait au premier point, au chapitre qui porte sur le deuxième élément du mandat, nous recommandons que le comité d'enquête décrive en détail ce qu'il a fait pour recueillir les preuves dans une section du rapport réservée à cette fin; cette mesure devrait faciliter la compréhension du processus d'enquête sous-jacent. En ce qui a trait au deuxième point, nous estimons que si le nouveau processus favorise la compréhension des problèmes sous-jacents et permet de trouver des solutions pour y remédier, cela pourrait compenser le travail supplémentaire que doit faire le BEC pour déterminer les sources sur lesquelles sont fondées les conclusions.
Parmi les 25 rapports que nous avons examinés, les plus récents étaient généralement plus clairs, contenaient des renseignements sur le détenu plus pertinents et comportaient des domaines ciblés (p. ex. principaux éléments de non-conformité et enjeux majeurs) qui apportaient une valeur ajoutée. Même s'il ne traite pas d'un décès en établissement, le rapport sur les détenus bénéficiant d'une protection à l'Établissement d'Edmonton est un exemple digne de mention de ce nouveau style de rédaction.
Recommandations des comités d'enquête
Les recommandations des comités d'enquête que nous avons examinés variaient d'un rapport à
l'autre; certaines étaient fermes et ciblaient des éléments précis alors que d'autres étaient plus prudentes. Certains comités d'enquête n'en ont formulé aucune. Dans tous les cas, le comité d'enquête peut avoir eu de bonnes raisons, selon les circonstances. Les écarts que nous avons constatés ne sont pas inattendus, il est normal d'en trouver dans tous les secteurs d'activité; nous ne sommes pas en mesure de les expliquer. Aucun incident ni aucun comité d'enquête n'est identique. Sans enquêter de nouveau sur chaque incident, il est difficile pour nous de savoir si les recommandations auraient dû être proposées différemment. Néanmoins, nous avons constaté que, dans l'ensemble, les recommandations des comités d'enquête découlaient comme il se doit des problèmes systémiques et sous-jacents relevés. Cela dit, voici quelques observations supplémentaires.
a) Il ne faut pas passer à côté de la possibilité de soulever des problèmes systémiques
Chaque fois qu'un comité d'enquête est convoqué, il peut servir de véhicule pour soulever des problèmes systémiques. Le SCC n'est pas tenu d'attendre la publication d'un rapport annuel sur les décès en établissement ou d'autres rapports thématiques spéciaux publiés par la Direction des enquêtes sur les incidents ou la Direction de la recherche, ni une réponse au rapport du BEC. La recommandation d'un comité d'enquête peut entraîner des changements qui permettraient de remédier à un problème systémique ayant des répercussions d'une portée considérable sur les activités de l'organisation. Voici des cas qui illustrent ce point.
Cas no 1
Dans plusieurs des rapports que nous avons examinés, le comité d'enquête a soulevé des lacunes dans les communications qui ont entravé les soins donnés aux détenus. Les renseignements de sécurités qui ne sont pas transmis, les employés qui oublient de porter leur appareil de communication et les rapports en retard en sont un exemple. Le comité d'enquête dont il est ici question, qui examinait un cas de suicide dans un établissement à sécurité moyenne, a déterminé que ces éléments de non-conformité étaient assez graves pour mériter une recommandation ferme.
Il s'agit d'un détenu qui avait des antécédents de suicide et d'automutilation, dont la santé physique s'était détériorée et qui avait perdu du poids; il affichait un comportement nerveux et s'était retiré des activités sociales. Quelques jours avant sa mort, il avait admis avoir fabriqué un nœud coulant et ressentir une détresse. La veille de son suicide, son agent de libération conditionnelle a envoyé une demande d'aiguillage vers des services de psychologie en santé mentale; la demande d'aiguillage était bien précisée dans l'objet du courriel. Le courriel a été transmis à l'ensemble des Services de santé mentale (neuf employés). Dans celui-ci, l'agent de libération conditionnelle expliquait que le détenu avait admis avoir tenté de se suicider à deux reprises pendant sa mise en liberté et que ses problèmes chroniques de santé physique avec de lourdes conséquences sur sa santé mentale; il avait aussi déclaré qu'il lui importait peu de mourir.
Malheureusement, le nom d'un autre détenu était inscrit sur le formulaire joint au courriel et la case « Urgent » n'était pas cochée sur celui-ci. La demande d'aiguillage pour ce détenu n'a jamais été traitée, ni ce jour-là ni le lendemain, le jour où il s'est suicidé. Le comité d'enquête a conclu que, malgré les erreurs, la demande "aurait pu et aurait dû être traitée immédiatement, conformément aux Lignes directrices intégrées en santé mentale".
Il n'existait aucun mécanisme suffisant pour prévenir de telles situations. Le chef par intérim des Services de santé mentale affirme qu'il n'a jamais reçu cette demande d'aiguillage et qu'il ne l'avait jamais vue avant que le comité d'enquête ne la lui montre. Trois employés qui figuraient sur la liste de distribution des Services de santé mentale ont pris connaissance de la demande d'aiguillage avant le suicide; cependant, puisque ce fait nous a été rapporté par un autre employé, nous n'avons pas pu déterminer l'identité de ces personnes. Plusieurs autres personnes se sont souvenues avoir vu la demande, mais ne pouvaient pas dire si c'était avant ou après le suicide. Aucun des neuf employés informés n'a agi. Dans son rapport, le comité d'enquête a considéré, à juste titre, que plusieurs aspects de cette situation constituaient des éléments de non-conformité et que le manque de communication et d'intégration des services était attribuable à des failles dans les politiques.
À l'issue de son enquête, le comité d'enquête a recommandé que l'organisation s'attaque à ce qu'il voyait comme un problème de communication systémique ayant des répercussions sur les soins donnés aux détenus sous la garde du SCC. Voici la recommandation :
"Que le commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels, en collaboration avec la commissaire adjointe, Services de santé, envisage de convoquer immédiatement une réunion de l'équipe inter/intra-multidisciplinaire, composée d'employés de l'établissement et d'employés contractuels affectés à la gestion du cas (qui se trouvent à l'établissement au moment de la convocation) dans les situations où l'on a des motifs de croire qu'une personne présente un risque élevé ou un risque imminent de suicide ou d'automutilation. Cette recommandation est conforme au rapport du troisième comité d'examen indépendant sur les décès en établissement paru en octobre 2015 de même qu'aux constatations de comités d'enquête précédents."
Par suite de cette recommandation, le SCC a diffusé le Bulletin de la gestion des cas intitulé "Gestion des délinquants qui présentent un risque de suicide ou de comportement d'automutilation", daté du 16 décembre 2019, dans lequel il rappelle au personnel chargé de la gestion des cas combien il est important que les membres du personnel de première ligne échangent des renseignements rapidement et efficacement lorsqu'ils gèrent des délinquants qui présentent un risque de suicide ou d'automutilation. Cette étude de cas illustre une situation où le comité d'enquête a formulé une recommandation judicieuse découlant d'éléments de non-conformité et de problèmes sous-jacents, laquelle a eu une incidence sur l'ensemble de l'organisation.
Nous tenons également à souligner deux autres pratiques utiles qui ressortent de cette enquête. Les enquêteurs ont passé en revue le rapport du troisième comité d'examen indépendant, qui indique que la communication est non seulement cruciale, mais constitue un élément fondamental dans la prévention du suicideNote de bas de page 59. Les enquêteurs ont aussi étudié les rapports de plusieurs comités d'enquête précédents, lesquels mettaient l'accent sur l'importance de la communication efficace dans la prévention des suicides, et ont proposé aux gestionnaires dans les établissements un plan clair pour donner suite aux recommandations. L'examen de rapports d'autres comités d'enquête et de documents de la DEI traitant de problèmes sous-jacents similaires permet d'accroître la valeur du rapport, de rehausser la crédibilité des travaux de recherche des enquêteurs et de relever les problèmes récurrents. La DEI nous a informés que les documents pertinents ont été remis au comité d'enquête. Si les enquêteurs veulent consulter d'autres documents, ils n'ont qu'à en faire la demande. Le manuel de formation des participants de la DEI contient une annexe intitulée "Liste de documents d'enquête", mais ni les rapports des comités d'enquête précédents ni ceux des comités d'examen indépendant n'y figurentNote de bas de page 60. Nous estimons qu'il faudrait les ajouter pour que les membres des comités d'enquête sachent qu'ils existent et qu'ils peuvent demander à les consulter.
Vingt-cinquième recommandation
Que les catégories "Rapports pertinents de comités d'enquête précédents" et "Rapports pertinents de comités d'examen indépendant" soient ajoutées à l'annexe "Liste de documents d'enquête" du manuel de formation des participants de la Direction des enquêtes sur les incidents.
b) L'accent sur la responsabilisation
La DEI décrit son mandat comme suit : "Veiller à ce que le Service correctionnel du Canada prenne des mesures appropriées à la suite d'un incident. Veiller à ce que l'examen et l'analyse des rapports d'enquête influencent les politiques et les pratiques organisationnelles lorsqu'il y a lieu et que les recommandations/constatations principales provenant de ces rapports soient communiquées afin d'éviter que des incidents semblables se reproduisent dans l'avenir. Veiller à ce qu'un examen de la qualité des soins soit mené lorsqu'un détenu décède de causes naturelles dans une installation du SCC, excluant les centres correctionnels communautairesNote de bas de page 61." Ainsi, même si la DEI privilégie un modèle fondé sur les leçons retenues et que ses enquêtes sur les incidents cherchent avant tout à déterminer ce qui s'est passé et ce qui peut être fait pour prévenir d'autres incidents similaires, il faut se pencher sur la question de la responsabilité organisationnelle du SCC dans ce domaine.
Le BECNote de bas de page 62 a reproché au SCC de minimiser sa responsabilité, particulièrement dans le segment de son Rapport annuel de 2017-2018 qui porte sur l'émeute au Pénitencier de la Saskatchewan. Le Rapport annuel du BEC de 2018-2019, qui met l'accent sur le cas de Matthew Hines, comprend un tableau sur la fréquence des mesures de recours à la force les plus couramment utilisées; il cite également le quatrième comité d'enquête indépendantNote de bas de page 63 qui, après avoir examiné le cas de M. Hines, a indiqué que le rapport du comité d'enquête et ses 21 points à améliorer « n'étaient pas représentatifs de l'ensemble et de la gravité des conclusions ». Il s'agit là d'un élément important à considérer.
S'il est vrai que dans la grande majorité des cas, les rapports des comités d'enquête que nous avons examinés renfermaient des recommandations convenables qui s'attaquaient adéquatement aux problèmes sous-jacents relevés, nous sommes d'avis que dans un cas, le rapport n'était décidément pas à la hauteur. Nous avons également constaté que dans certains cas, le comité d'enquête avait soulevé de nombreux éléments de non-conformité, mais n'avait formulé aucune recommandation à cet égard. Nous ne sommes pas en mesure de déterminer quelles recommandations, le cas échéant, auraient dû être faites, car nous n'avons pas enquêté de nouveau sur les incidents en question; cependant, il nous apparaît important que les nombreux éléments de non-conformité constatés ne soient pas négligés au cours du processus. Ces cas illustrent la nécessité d'éplucher les rapports des comités d'enquête pour en dégager les éléments de non-conformité récurrents et les analyser, de sorte que l'organisation soit au fait des éventuels problèmes systémiques. L'organisation pourrait ainsi tirer parti de l'ensemble des travaux des comités d'enquête et prendre les mesures qui s'imposent, et ce faisant, mieux assumer sa responsabilité dans ce domaine primordial que sont les décès de causes non naturelles en établissement.
Cas no 2
Il s'agit d'un cas de suicide dans un établissement à sécurité moyenne. Le détenu a été trouvé pendu au tuyau de conduite électrique du plafond de sa cellule. L'agent qui l'a trouvé pendant sa patrouille de sécurité a immédiatement demandé de l'aide par radio et des soins médicaux d'urgence ont été prodigués au détenu, mais en vain. Le comité d'enquête n'a formulé aucune recommandation ni aucun point à améliorer; il a toutefois relevé cinq constatations supplémentaires.
La première soulignait que l'ancienne version (2012) du formulaire Liste de contrôle nationale de l'état de la cellule (CSC/SCC 1448) avait été remplie au lieu de la version de 2016. Dû à cette erreur, les points d'attache dans la cellule n'ont pas été répertoriés, ce qui, comme l'a soulevé le comité d'enquête, n'est pas conforme à la DC 550 Logement des détenus (20 août 2018). Ayant déterminé qu'il s'agissait d'une constatation supplémentaire, le comité d'enquête a du fait conclu que cette erreur n'avait eu aucune incidence sur l'incident qui faisait l'objet de l'enquête, car il y avait un point d'attache similaire dans toutes les autres cellules de la rangée. Le comité d'enquête a également souligné qu'un agent correctionnel s'était engagé à rectifier immédiatement la situation en remplaçant les formulaires désuets par la nouvelle version.
Les points d'attache ont fait l'objet de nombreuses enquêtes sur des suicides par le passé. Des comités d'enquête ont recommandé que l'on enlève les points d'attache dans les cellules afin de réduire le nombre de suicides, ce que le SCC a entrepris de faire. En catégorisant cette erreur à titre de "constatation supplémentaire" (c'est-à-dire, un élément de non-conformité n'ayant eu aucune incidence directe sur l'incident), le comité d'enquête n'a pas accordé à cette question toute l'attention voulue. Puisque cette enquête n'a abouti à aucune recommandation ni à aucun point à améliorer, le SCC n'a entrepris aucun plan d'action. À notre avis, il aurait été judicieux que le comité d'enquête, au lieu de faire fi de cette constatation, insiste au contraire sur celle-ci en formulant une recommandation ferme qui viendrait appuyer celles des autres comités d'enquête qui ont recommandé que tous les points d'attache dans les cellules soient enlevés. Malgré ce qui nous apparaît comme une lacune dans ce rapport d'enquête précis, on nous a informés que la DEI effectuait un suivi des points d'attache constatés par les comités d'enquête et communiquait cette information à la Division des services techniques.
Éléments de non-conformité
Comme nous l'avons mentionné précédemment, la DEI a déployé des efforts afin d'améliorer ses rapports d'enquête, ce pour quoi nous la félicitons. Néanmoins, nous avons observé que cela avait également donné lieu à un changement d'approche quant aux éléments de non-conformité. Même si l'on pourrait croire qu'un élément de non-conformité, comme le fait de ne pas remplir un formulaire nécessaire à l'échange de renseignements ou de ne pas porter un appareil de communication, puisse constituer un manquement ponctuel aux politiques, il ne faut pas oublier que le SCC a l'obligation de prévenir les décès en établissement et que, à ce titre, la conformité devrait toujours être au cœur des travaux des comités d'enquête, qui s'emploient à maintenir un régime de responsabilité.
Éléments de non-conformité et mesures disciplinaires
Afin de comprendre les enjeux de non-conformité, nous devons d'abord aborder la question distincte des mesures disciplinaires. Même si les comités d'enquête n'ont pas pour mandat de prendre des mesures disciplinaires, si le grand public ou la famille du détenu décédé a l'impression que les mesures disciplinaires imposées ne sont pas représentatives de la gravité de la faute relevée dans le rapport d'enquête, cela pose problème.
Durant nos entretiens avec le BEC, ce point a été soulevé et on a cité en exemple le rapport sur les détenus bénéficiant d'une protection à l'Établissement d'Edmonton; nous avons appris qu'aucune mesure disciplinaire n'avait été prise à l'encontre des quatre gestionnaires mis en cause dans ce cas.
Il convient de noter que les comités d'enquête et les enquêtes disciplinaires font intervenir deux processus distincts et que nous n'avions d'aucune façon le mandat d'examiner ce second processus. Cependant, à la lumière des enjeux soulevés, le SCC devrait envisager de se pencher sur la relation entre les comités d'enquête et le processeur disciplinaire, peut-être même à en faire le mandat d'un futur comité d'examen indépendant.
Beaucoup d'éléments de non-conformité
Nous avons constaté qu'il y avait beaucoup d'éléments de non-conformité dans les rapports des comités d'enquête que nous avons examinés. Nous félicitons les enquêteurs de la rigueur avec laquelle ils ont relevé ces éléments de non-conformité et en ont rendu compte. Les employés du SCC que nous avons interviewés nous ont appris qu'auparavant, les comités d'enquête mettaient bien plus l'accent sur la conformité et que les membres du personnel craignaient les répercussions s'ils s'exprimaient avec franchise. La DEI nous a informés que ses enquêtes se concentraient dorénavant sur l'incident et sur les politiques qui auraient pu avoir une incidence directe sur celui-ci, contrairement aux pratiques en vigueur il y a environ cinq ans; le processus s'apparentait alors davantage à un audit de la conformité. Selon elle, l'accent est maintenant mis sur les actions (ou encore l'inaction) ayant contribué à l'incident qui fait l'objet de l'enquête.
Nous sommes d'avis qu'à certains égards, la façon dont la DEI traite les éléments de non-conformité n'est pas aussi efficace qu'elle pourrait l'être. De prime abord, la quantité phénoménale d'éléments de non-conformité constatés par les comités d'enquête nous semble préoccupante. La DEI est passée d'un processus axé sur la conformité à une approche mettant l'accent sur les problèmes sous-jacents, avec pour conséquence que les éléments de non-conformité ne sont plus abordés adéquatement dans les rapports. Dans le cadre de notre examen des rapports des comités d'enquête, nous avons constaté des problèmes récurrents, par exemple des agents qui avaient tardé à entrer dans la cellule du détenu ou qui ne portaient pas leur équipement de communication, des rondes qui n'avaient pas été effectuées correctement, ou des retards dans la communication de l'information. Nous nous sommes alors demandé s'il était possible que ces manquements aux politiques aient pu avoir, dans certains cas, une incidence importante sur le résultat. S'agit-il d'une tendance? Si tel est le cas, les comités d'enquête profitent-ils de l'occasion pour formuler des recommandations qui s'attaquent aux enjeux récurrents et aux problèmes systémiques? Compte tenu du nombre considérable d'enjeux relevés, la non-conformité est-elle devenue en soi un problème systémique? Quelles leçons peut-on en tirer pour y remédier?
Cas no 3
Il s'agit d'un décès de cause inconnue dans un établissement à sécurité maximale. Le comité d'enquête a relevé 12 éléments de non-conformité, dont le rendement d'un agent correctionnel qui est intervenu à la suite du déclenchement de l'alarme à partir de la cellule du détenu; l'agent, qui avant d'intervenir était en train de servir des repas dans une autre unité, a trouvé le détenu étendu par terre, face contre le sol. L'agent correctionnel a regardé à l'intérieur de la cellule, a marché vers le bout de la rangée, a fait demi-tour et est retourné à la cellule, puis a cogné la porte du pied à quelques reprises. Il s'est rendu rapidement au poste de contrôle et a avisé les agents de l'urgence médicale. Il n'avait pas pu les aviser par radio, en restant à côté de la cellule, car il ne portait pas son appareil; il a immédiatement quitté l'unité, en pleine situation d'urgence, pour aller le récupérer.
Parmi les autres éléments de non-conformité constatés, notons : des agents correctionnels avaient omis de s'arrêter à chaque cellule pour s'assurer que le délinquant était bien en vie, un délai de plus de quatre minutes s'était écoulé avant l'ouverture de la porte de la cellule pendant que les agents attendaient l'arrivée du personnel médical, des détenus avaient été autorisés à se rendre visite dans leur cellule la veille de l'incident, on avait appliqué un bulletin de politique désuet (concernant une évaluation psychologique du risque, qui aurait pu signifier la possibilité d'un transfèrement à un établissement de sécurité moindre pour ce détenu), les simulations médicales trimestrielles sur place n'avaient pas eu lieu, les mesures pour contrôler l'accès aux lieux de l'incident étaient inadéquates, etc. Le comité d'enquête a relevé trois enjeux majeurs/problèmes sous-jacents et n'a formulé aucune recommandation. Il n'a donné aucune raison pour expliquer l'absence de recommandations.
Cas no 4
Il s'agit d'un cas de surdose dans lequel on a trouvé le détenu enfermé à clé dans la toilette d'une unité résidentielle à sécurité minimale. Le comité d'enquête a constaté neuf éléments de non-conformité, notamment : les agents correctionnels n'ont pas su reconnaître les signes de surdose, les agents sont arrivés sur les lieux sans matériel médical (alors que l'on avait précisé qu'il s'agissait d'une urgence médicale pendant l'appel à l'aide), une analyse d'urine n'avait pas été effectuée après la permission de sortir avec escorte du détenu, une évaluation du risque n'avait pas été réalisée, une fouille de l'unité résidentielle n'avait pas été effectuée, les fouilles n'avaient pas été consignées et les simulations médicales trimestrielles n'avaient pas eu lieu. Le comité d'enquête a relevé cinq enjeux majeurs/problèmes sous-jacents (dont un délai de 10 minutes avant que le personnel n'arrive avec le défibrillateur externe automatisé et le vaporisateur nasal Narcan) et, ici encore, n'a formulé aucune recommandation. Il n'a pas non plus donné de raison pour expliquer l'absence de recommandations.
Cas no 5
Il s'agissait du cas d'un homme trouvé pendu dans la cellule d'un établissement à sécurité moyenne. Une fois de plus, l'agent correctionnel a dû quitter les lieux pour aller chercher de l'aide, car il n'avait pas de radio. Cet important problème que constitue le fait de ne pas porter un appareil de communication "avait déjà été réglé par la direction de l'établissement au moment où le [c]omité d'enquête s'est présenté sur place et, par conséquent, il a été inclus en tant que constatation supplémentaire" (un élément de non-conformité n'ayant pas un impact direct sur l'incident).
D'après d'autres renseignements fournis par le comité d'enquête, il y aurait eu un délai de cinq minutes avant d'appeler une ambulance "parce que le gestionnaire s'occupait déjà d'une autre question urgente". À première vue, il est inquiétant de constater qu'un autre problème pourrait être plus urgent qu'un homme pendu dans sa cellule, mais le rapport du comité d'enquête ne donne de détails ni sur cet autre problème urgent ni sur la raison pour laquelle il fallait que ce soit un gestionnaire qui appelle le 911. Même si les enquêteurs ont indiqué dans le rapport du comité d'enquête qu'ils estimaient ce retard comme étant "excessif et non conforme à la politique", ce problème a seulement été abordé dans une constatation supplémentaire. Lorsque les ambulanciers sont arrivés, ils ont continué à pratiquer la RCR et ont transporté le détenu à l'hôpital. Comme on ne sait pas si les ambulanciers auraient pu sauver la vie du détenu s'ils étaient arrivés cinq minutes plus tôt, il n'est pas clair pourquoi le fait de ne pas avoir appelé le 911 en temps opportun est considéré comme étant un élément de non-conformité sans impact direct sur l'incident.
Une fois de plus, il n'y a aucune recommandation quant à ces problèmes et aucun motif justifiant l'absence de telles recommandations. La seule recommandation ayant découlé du comité d'enquête concernait les évaluations des détenus effectuées par un Aîné.
Il y a des éléments de non-conformité lorsqu'une politique et/ou une directive du commissaire n'a pas été respectée. Bien qu'il soit entendu que le SCC est une grande organisation comptant des milliers d'employés et que des erreurs peuvent se produire lors d'un incident entraînant la mort, lorsqu'un nombre important d'éléments de non-conformité sont relevés au cours d'une seule enquête, la confiance à l'égard du SCC est érodée. Lorsque les problèmes surviennent à répétition, dans différentes régions dans l'ensemble du Service, cette confiance et la perception que le SCC contribue à la sécurité des délinquants sont minées davantage.
Dans chacun des quatre cas susmentionnés, il y a de nombreux éléments de non-conformité qui se répètent et aucune recommandation pour y remédier. En ne réglant pas ces éléments de non-conformité, le SCC pourrait manquer une occasion de tirer des leçons de ces incidents et de prendre les mesures qui s'imposent. L'objectif d'un comité d'enquête est de mettre l'accent sur les leçons apprises et la prévention d'autres incidents, plutôt que de jeter le blâme sur des employés.
Tout en gardant cela à l'esprit, nous aimerions qu'une modification soit apportée à la politique actuelle de la DEI selon laquelle "une recommandation ne peut être formulée à l'appui d'un élément de non-conformité ou pour le corriger". Dans les domaines où les éléments de non-conformité se répètent et où il existe des occasions d'apprentissage à l'échelle des unités opérationnelles, des régions ou du pays, nous aimerions que des recommandations soient formulées en fonction de la mission, des valeurs et de l'éthique du SCCNote de bas de page 64, que ces recommandations prévoient un audit interne dans un domaine particulier sur les lieux de l'enquête ou qu'elles exigent que les problèmes relevés fassent l'objet d'une formation additionnelle. (Cette recommandation fait fond sur la recommandation précédente consistant à examiner les rapports antérieurs des comités d'enquête et des CEI qui pourraient servir à déterminer les problèmes récurrents.) Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que le Prisoner Ombudsman of Northern Ireland (PONI) formule des recommandations liées au non-respect d'une politique ayant entraîné un décès et possède un processus disciplinaire distinct au sein du Service pénitentiaire.
Comme il a été mentionné dans le chapitre (plus haut) portant sur le premier élément du mandat, la Direction des valeurs et de l'éthique du SCC offre des séances ponctuelles aux équipes pour répondre aux besoins et aux demandes spécifiques. Le SCC passe beaucoup de temps à l'élaboration et à la mise à jour des politiques pour s'assurer que ces dernières sont suffisamment détaillées pour garantir le bon fonctionnement de l'organisation correctionnelle. Il décide, dans ces politiques, ce qui doit se produire afin qu'un employé puisse effectuer un travail de haute qualité tout en faisant preuve de professionnalisme, de dévouement et de comportement éthique. Nous avons été informés que des scénarios sont utilisés au cours de la formation initiale et des formations de recyclage des employés et que, dans les lignes directrices du SCC intitulées "Intervention en cas d'urgence médicale" (LD 800-4, sous "Responsabilités et procédures"), il est prévu que "des simulations d'urgences médicales sont organisées trimestriellement à l'établissement afin de permettre au personnel de mettre ses compétences en pratique et de les maintenir à jour"Note de bas de page 65. Nous savons que cette pratique consistant à utiliser les constatations des rapports dans des cas précis pour les intégrer à la formation des recrues est utilisée par le PONI et reconnaissons que l'utilisation de ces occasions d'apprentissage, pour assurer la préservation de la vie, est de la plus haute importance.
Les recommandations suivantes visent à réduire les éléments de non-conformité et à renforcer les leçons tirées par le SCC des nombreux éléments de non-conformité cernés. Elles permettent au processus disciplinaire actuel de demeurer intact pour composer avec le non-respect individuel.
Vingt-sixième recommandation
Que les comités d'enquête puissent formuler des recommandations visant à corriger des éléments de non-conformité récurrents afin que le Service correctionnel du Canada puisse tirer profit des leçons apprises. Lorsqu'un comité d'enquête détermine des problèmes récurrents, il devrait formuler une recommandation pour régler ces problèmes ou indiquer pourquoi aucune recommandation n'est formulée à cet égard.
Vingt-septième recommandation
Que le Service correctionnel du Canada intègre les scénarios et les leçons apprises des éléments de non-conformité récurrents soulevés par les comités d'enquête dans la formation destinée au personnel de tous les niveaux.
Éléments de non-conformité et constatations supplémentaires
Lorsque des éléments de non-conformité sont inscrits dans les constatations supplémentaires, il a été déterminé qu'ils n'ont eu aucun impact direct sur l'incident et qu'ils sont donc moins importants. La DEI ne cherchera plus à déterminer si des mesures de suivi ou des mesures correctrices ont été apportées. Dans le Manuel de formation sur la conduite des enquêtes, le critère permettant de faire l'importante distinction entre un élément de non-conformité méritant beaucoup d'attention dans le rapport et une constatation supplémentaire indique : "Les constatations supplémentaires sont des éléments de non-conformité déterminés par le comité d'enquête, qui ciblent des éléments énoncés dans les Domaines d'enquête définis dans l'ordre de convocation, mais qui n'ont pas eu d'incidence directe sur l'incident. Ils indiquent que des mesures correctives ont été déjà été prises, qu'il n'y a pas de répercussions à l'échelle nationale et que ces éléments ne constituent pas un thème récurrent"Note de bas de page 66. La décision de savoir si un élément de non-conformité "n'a pas eu d'incidence directe sur l'incident" revient au comité d'enquête, et d'après certains des rapports que nous avons examinés, nous constatons que les équipes des comités d'enquête ont besoin d'orientation pour prendre cette décision.
Vingt-huitième recommandation
Que la Direction des enquêtes sur les incidents crée d'autres critères pour préciser le libellé "n'a pas eu d'incidence directe sur l'incident", lorsqu'il est question d'éléments de non-conformité.
Si le lecteur du rapport d'un comité d'enquête croit qu'un élément de non-conformité a eu un impact sur le décès, il peut être difficile de comprendre pourquoi ce problème a seulement fait l'objet d'une constatation supplémentaire. C'est ce qui s'est produit dans les cas susmentionnés, et plus particulièrement dans le cas où on a tardé à appeler les ambulanciers. Le lecteur pourrait se demander si le fait d'avoir appelé les services d'urgence plus tôt aurait pu permettre de sauver la vie du détenu. Dans de telles circonstances, il est important d'articuler avec exactitude pourquoi un élément de non-conformité est considéré comme n'ayant eu aucun impact direct sur le décès et fait ainsi l'objet d'une constatation supplémentaire seulement.
Vingt-neuvième recommandation
Si un comité d'enquête détermine qu'un élément de non-conformité doit seulement faire l'objet d'une constatation supplémentaire, il doit en expliquer la raison.
Le Bureau de l'enquêteur correctionnel a relevé des éléments de non-conformité de longue date. Il convient de rappeler que le rapport annuel de 2011-2012 contient plusieurs recommandations liées à la conformité à l'intention du SCC concernant les points de suspension, les protocoles d'intervention en cas d'urgence, le recours à la force, etc.Note de bas de page 67 Dans son "Enquête sur le décès en établissement de Matthew Ryan Hines - Rapport définitif 15 février 2017", il est indiqué : "Comme le SCC enquête sur lui-même principalement en fonction du respect des politiques et des procédures plutôt que de la responsabilisation, la plupart des comités d'enquête ne formulent pas de recommandations d'une portée nationale. Par conséquent, mon bureau est témoin des mêmes erreurs qui se produisent encore et encore dans les établissements". Il s'agit d'un problème important que nous abordons dans nos recommandations ci-dessous.
Le manque répété de conformité commence à devenir un problème systémique et érode la confiance accordée au SCC dans son ensemble et à la DEI pour ce qui est de mener des enquêtes indépendantes et impartiales. Comme nous l'a indiqué une personne interrogée : "Il faut en venir à se demander 'Pourquoi mon personnel ne se conforme pas?'. Est-ce un problème de culture, d'indifférence, de relations de travail, un manque de compassion, etc.? Il faut commencer par résoudre ce problème avant de pouvoir atteindre les objectifs du SCC". Dans les cas examinés plus en détail dans le cinquième élément du mandat, une infirmière, qui a constaté le décès d'un détenu et l'inutilité d'administrer la RCR, ne s'est pas sentie à l'aise de prononcer le décès en raison "d'une culture de peur au SCC". Un deuxième membre du personnel infirmier présent lors de cet incident a confirmé qu'il existait une "crainte de représailles" si les membres du personnel infirmier prononçaient des décès à l'établissement. Des commentaires aussi graves méritent d'être examinés plus en détail.
Dans le 2e rapport du CEI, en 2012, il a également été question des éléments de non-conformitéNote de bas de page 68. On y fait mention d'une approche systémique quant aux enquêtes sur les décès, soulignant que :
"Si une erreur humaine est découverte dans le cadre d'une enquête, les responsables de celle-ci doivent mettre l'accent sur les raisons pour lesquelles l'erreur s'est produite. Dans le même ordre d'idées, si la politique n'a pas été respectée, les responsables de l'enquête doivent chercher à en comprendre les raisons. Les réponses à ces questions aideront à cerner les erreurs systémiques qui peuvent être corrigées au moyen de recommandations qui sont plus efficaces que la simple utilisation des politiques et de l'éducation."
Dans son 2e rapport, le CEI recommande :
"Un examen plus poussé des lacunes de l'organisation devrait être réalisé pour approfondir les raisons des problèmes de conformité ainsi que les facteurs rattachés à l'environnement et aux systèmes qui causent des erreurs humaines, s'il y a lieu."
De façon générale, le CEI a aussi formulé une autre recommandation à l'intention du SCC :
"Une nouvelle section obligatoire devrait être ajoutée aux rapports des comités d'enquête pour souligner ce qui s'est bien passé durant un incident".
Le présent CEI appuie ces recommandations. Quoique nous ayons noté quelques éléments qui se sont bien déroulés dans les rapports des comités d'enquête examinés (par exemple, pratique exemplaire de laisser une coquille de purification par la fumée devant la cellule d'un détenu décédé), nous sommes d'accord qu'une section devrait être réservée pour souligner les stratégies positives afin que les autres établissements les utilisent et en tirent des leçons.
Notre recommandation finale vise à réduire davantage les éléments de non-conformité au SCC à l'échelle nationale.
Trentième recommandation
Que la Direction des enquêtes sur les incidents élabore un rapport thématique mettant l'accent sur les rapports des comités d'enquête sur les décès survenus en établissement pour déterminer s'il existe des tendances et/ou de possibles problèmes systémiques liés à la conformité. Selon le résultat du présent examen, il pourrait s'avérer approprié d'inclure ce sujet dans le cadre du mandat d'un futur comité d'examen indépendant.
Il y a un besoin de validation
Les causes sous-jacentes et les recommandations doivent être validées, car il faut que tous comprennent quelles sont les normes de façon à pouvoir être tenus responsables sans équivoque. Dans certains cas, le comité d'enquête ne fournissait pas d'information, ni aucun motif pour justifier une telle omission. Par exemple, comme il a déjà été mentionné, si des éléments de non-conformité récurrents ou systémiques, étant probablement liés à un décès, ne peuvent faire l'objet d'une recommandation, la raison doit être indiquée.
Dans les rapports des comités d'enquête examinés, les renvois aux directives du commissaire et aux ordres permanentsNote de bas de page 69 sont consignés dans la section "Politiques et renvois" des rapports et nous croyons que cette pratique permet d'assurer la rigueur ainsi que la crédibilité et l'impartialité de l'enquête. Nous avons toutefois constaté un problème récurrent. L'une des questions particulières qui a été soulevée à plusieurs reprises lors de notre examen des 25 rapports dans le cadre de notre mandat était "Combien de membres du personnel doivent être présents avant d'ouvrir la porte d'une cellule lorsqu'il est soupçonné que la personne à l'intérieur est en détresse ou qu'on constate qu'une personne est pendue"? Pendant les incidents examinés, certains membres du personnel ont attendu que deux personnes soient présentes devant la cellule, alors que d'autres ont attendu que quatre membres du personnel soient présents, et lors d'un incident, deux détenus se sont précipités dans la cellule en premier. Il peut y avoir des raisons valides d'attendre ou de passer à l'action à un moment aussi critique, mais ces raisons devraient être indiquées dans le rapport du comité d'enquête. Sans connaître la politique ou l'ordre permanent sur lequel on s'est appuyé pour prendre une décision, comment une équipe d'enquête (ou le lecteur de son rapport) peut-elle comprendre les causes sous-jacentes et la recommandation appropriée qui s'ensuit?
L'établissement d'un lien entre le mandat du comité d'enquête, et par conséquent les constatations et les recommandations, et la mission, les valeurs et l'éthique du SCC, tel qu'il est recommandé dans le premier chapitre du présent rapport, permettra aussi de connaître les normes devant être respectées.
c) Autres recommandations découlant du mandat
Les recommandations formulées ailleurs dans le présent rapport porteront aussi sur la question de la responsabilisation, réelle ou perçue, car elles pourraient aider à déterminer les causes sous-jacentes d'une enquête. Par exemple :
- Dans le deuxième élément du mandat, notre recommandation visant à permettre la création d'un mandat à mi-enquête, si les éléments de preuve le justifient.
- Dans le deuxième élément du mandat, nous recommandons que le personnel de la DEI soit dépêché sur les lieux d'un décès dès que possible, pour préserver les éléments de preuve, tenir immédiatement des entrevues et inclure les détenus, les familles et ceux qui pourraient avoir d'autres informations.
- Dans le deuxième élément du mandat, nous recommandons que tous les rapports des comités d'enquête incluent une partie détaillée sur la façon dont le comité d'enquête a recueilli les éléments de preuve.
- Dans le deuxième élément du mandat, nous recommandons que le SCC crée un programme de formation officiel pour les membres de la collectivité sur la façon de planifier et de mener des enquêtes, la façon d'effectuer une entrevue, les défis des enquêtes systémiques, la mission, les valeurs et l'éthique du SCC et le rôle essentiel que joue le membre de la collectivité lorsqu'il pose des questions et fait des remises en question.
- Dans le troisième élément du mandat, nous recommandons que le SCC utilise la méthode du PPO consistant à diffuser publiquement les rapports des comités d'enquête (comportant des recommandations complètes et des mesures correctives).
Autres observations
a) Méthode SMART
Le SCC utilise les concepts SMART et de la hiérarchie de l'efficacité lorsqu'il répond à des recommandationsNote de bas de page 70. Le concept SMART, dans les outils d'orientation du SCC, est défini comme suit :
- Spécifique (Que tentez-vous de corriger/d'améliorer exactement?)
- Mesurable (Comment saurez-vous si les mesures ont été mises en œuvre et si les résultats escomptés ont été atteints?)
- Attribué (Déterminer un responsable des mesures proposées)
- Réaliste (Est-ce possible?)
- Temps donné (Diviser le travail et fixer des échéances raisonnables pour le réaliser). Dans certains des rapports de comités d'enquête examinés, chaque concept SMART était divisé et comportait des réponses distinctes, alors que dans d'autres, ce concept était abordé dans le cadre d'un paragraphe intitulé SMART.
La hiérarchie de l'efficacité, dont il est question dans les outils d'orientation, repose sur les concepts de la sensibilité aux activités, de la préoccupation des défaillances, des égards pour l'expertise, de l'engagement envers la résilience et de la réticence à simplifier.
Lorsque les mesures correctives donnant suite à une recommandation tenaient compte de ces concepts, elles s'avéraient utiles. Dans la mesure du possible, sachant que les mesures correctives respecteront ces concepts, le comité d'enquête devrait rédiger ses recommandations en gardant ces concepts à l'esprit.
b) La valeur d'un point de vue différent et d'une opinion externe
Les recommandations ne doivent pas toujours avoir trait à la cause directe du décès d'un détenu, mais peuvent mener à d'autres idées qui pourraient se révéler bénéfiques avant qu'un décès ne survienne. Le Comité a su, à la suite d'une de ses entrevues, que l'une des enquêtes avait mené à une recommandation que le SCC envisage des "codes" pour identifier la condition d'un détenu à l'hôpital (p. ex. rouge/noir) et préciser la gravité de la situation. Des idées simples utilisées ailleurs, tant dans nos établissements correctionnels que dans nos collectivités, et intégrées aux recommandations destinées au SCC peuvent entraîner d'importants changements. Il est important de sortir des sentiers battus et d'inclure des membres de la collectivité, qui pourraient avoir des points de vue différents selon leur expérience dans la collectivité, afin de les faire contribuer à l'équipe d'enquête et à la formulation de recommandations utiles.
c) L'importance d'inclure des renseignements supplémentaires
Comme il a été noté dans les éléments du mandat, la DEI a adopté une analyse approfondie pour enquêter sur les incidents de surdoses mortelles et quasi-mortelles à l'aide de groupes de discussion, d'entrevues et de questionnaires axés sur quatre piliers (stratégies de prévention, de traitement, de réduction des méfaits et d'application de la loi) pour lutter contre la toxicomanie. Nous sommes heureux de constater que cette information a été utilisée par les comités d'enquête, mais aurions voulu que le sondage soit joint au rapport en annexe. Le fait de joindre ces renseignements, ainsi que tout autre renseignement supplémentaire dégagé durant une enquête, aide à clarifier les causes sous-jacentes et les recommandations.
En bref, le présent CEI estime que, dans la plupart des cas, les rapports des comités d'enquête examinés contenaient des recommandations appropriées à la lumière des éléments de preuve recueillis. Nous avons décrit un cas pour lequel, à notre avis, le comité d'enquête n'avait pas formulé de recommandation pertinente permettant d'aborder les causes sous-jacentes. Dans d'autres cas, nous avons remis en question la façon dont on avait répondu aux éléments de non-conformité et avons indiqué ce qui pourrait être fait pour formuler des recommandations à l'égard d'éléments de non-conformité récurrents, discerner les tendances dans les constatations des comités d'enquête et mieux dégager les leçons apprises de ces enquêtes.
Chapitre 5
Terme de référence
- Évaluer les mesures prises par le SCC pour donner suite aux rapports d'enquête sur les incidents, y compris le caractère approprié et adéquat des mesures correctives et des plans d'action élaborés par le SCC afin de répondre aux recommandations issues des enquêtes et de régler les problèmes sous-jacents
On a fourni au Comité les rapports de comités d'enquête portant sur 25 décès de causes non naturelles survenus en établissement entre le 1er avril 2017 et le 31 mars 2019. De plus, nous avons reçu le rapport portant sur l'émeute survenue au Pénitencier de la Saskatchewan (sécurité moyenne) le 14 décembre 2016, entraînant le décès d'un détenu et l'infliction de blessures graves à de multiples détenus.
D'après notre examen de tous ces rapports, nous concluons que les plans d'action mis en œuvre par le SCC en réponse aux recommandations des comités d'enquête étaient généralement appropriés et adéquats. Nous avons cependant conclu que les plans d'action n'étaient pas adéquats dans certains cas et, à notre avis, ne permettaient pas de régler les problèmes sous-jacents soulevés par l'enquête. Quatre cas sont décrits ci-dessous. Bien que nous espérions que nos commentaires concernant ces cas soient utiles et permettent de tirer des leçons, nous ne formulons aucune recommandation dans cette section du rapport.
Cas no 1
Le premier cas était un suicide dans l'unité d'isolement préventif d'un pénitencier à sécurité maximale. Il s'agissait d'un cas complexe et le comité d'enquête a fait un excellent travail pour ce qui est d'élucider les antécédents et les caractéristiques du détenu, de son parcours dans le système correctionnel et des événements qui ont mené à sa mort. Brièvement, il s'agissait d'un francophone unilingue s'identifiant comme Métis et ayant un profil psychologique complexe qui comprenait de graves antécédents d'automutilation, de tentatives de suicide, de toxicomanie, de comportement antisocial et de trouble de la personnalité limite et des périodes de paranoïa (exacerbées par l'intoxication et parfois allant jusqu'à penser au complot). En outre, il ne voulait pas vraiment admettre qu'il avait des troubles de santé mentale et était généralement peu disposé à consulter des professionnels de la santé mentale. Parmi tous les rapports de comités d'enquête examinés, ce rapport était exemplaire quant à l'attention accordée au contexte et aux détails.
Pendant son incarcération, le détenu a séjourné de façon périodique dans des centres de santé mentale où il fonctionnait mieux. Avant son transfèrement interrégional, il était incarcéré dans un établissement à sécurité moyenne mais, alors qu'il était très intoxiqué et incohérent, il a provoqué d'autres détenus et se montrait agressif et menaçant envers le personnel. Cet incident a entraîné la réévaluation à la hausse de sa cote de sécurité. Le comité d'enquête a fait un examen approfondi de cet incident et a souligné qu'il existait des preuves claires d'une réflexion confuse, désorganisée et délusoire pendant tout l'incident. Le comité d'enquête a conclu que l'on n'avait pas accordé suffisamment d'attention aux troubles de santé mentale du détenu au moment du processus de reclassification et que l'incident avait été évalué comme pour une personne en pleine possession de ses moyens, ce qui n'était de toute évidence pas le cas.
Le comité d'enquête a convenu que cette personne était difficile à gérer, mais il a indiqué que les facteurs atténuants n'avaient pas été pris adéquatement en considération au moment de décider de changer la cote de sécurité du détenu. Comme le détenu était jugé inadmissible pour un transfèrement à l'un des établissements à sécurité maximale de la région - parce qu'il était incapable de s'intégrer et en raison de la présence de détenus incompatibles dans ces établissements (c.-à-d. individus avec lesquels il avait eu des démêlés, ce qui augmentait son risque de violence), il a été transféré dans un établissement à sécurité maximale dans une autre région.
Le détenu s'est opposé au transfèrement et s'est enlevé la vie par la suite. Le comité d'enquête a souligné que l'établissement où le détenu devait être transféré n'aurait pas pu lui fournir des services dans sa langue maternelle et la langue de son choix, de sorte qu'aucun de ses besoins, que ce soit la spiritualité autochtone, la santé mentale ou les programmes correctionnels, ne pouvait être comblé. Le comité d'enquête a conclu que le seul facteur pris en considération lorsqu'il a été décidé de procéder à un transfèrement interrégional était le besoin de mettre fin à son isolement préventif dans l'établissement où il se trouvait et que le processus avait été enclenché en raison de l'impératif de limiter le recours à l'isolement préventif. Pour conclure, le comité d'enquête a indiqué qu'il existait quelques solutions qui n'avaient pas été bien explorées, notamment une demande à la région d'origine afin que le détenu puisse y retourner (où il aurait eu accès à des services dans sa langue fonctionnelle). Le détenu s'était dit intéressé à être transféré dans une unité de soins intermédiaires qui était à pleine capacité à l'époque et qui ne correspondait pas à son niveau évalué de besoins en matière de santé mentale (c.-à-d. moyen). Un transfèrement interrégional était considéré comme étant une option plus rapide. Le comité d'enquête mentionne aussi qu'une réévaluation de la cote de sécurité du détenu aurait dû être envisagée (réduction à une cote de sécurité moyenne), étant donné que l'incident était survenu six mois plus tôt à l'établissement à sécurité moyenne et que son comportement n'avait pas été problématique depuis.
Grâce aux entrevues menées auprès du personnel de l'établissement, le comité d'enquête a appris que tous les membres du personnel trouvaient que le transfèrement interrégional proposé était inadéquat et que ce n'aurait pas dû être l'option privilégiée. Personne ne s'est toutefois opposé au transfèrement. Une fois qu'il a été décidé de procéder à un transfèrement interrégional, le protocole régional indique les étapes, le calendrier et le rôle de chaque personne dans le processus de transfèrement. Le coordonnateur des transfèrements interrégionaux était responsable de choisir l'établissement et cette décision a été prise sur la base de la disponibilité des cellules. Le comité d'enquête a estimé que cette procédure était inadéquate, car elle ne tient pas suffisamment compte des besoins du détenu qui était transféré de façon non sollicitée. En l'espèce, il était évident qu'aucun de ses besoins en matière de santé mentale, de programmes et de gestion de cas ne pouvait être comblé au moyen de ce transfèrement. Plusieurs membres du personnel ont indiqué qu'ils croyaient qu'il serait placé en isolement dès son arrivée au nouvel établissement. En fait, le résultat ultime aurait été de changer le statut de l'isolement d'un établissement à un autre.
Le comité d'enquête a aussi indiqué que le détenu avait déposé un grief pour s'opposer à son transfèrement, grief qui a été accueilli par le sous-commissaire principal après sa mort. Dans la réponse au grief, on indiquait que l'établissement n'avait pas déployé suffisamment d'efforts pour trouver une solution de rechange au placement envisagé, compte tenu du fait que le transfèrement proposé ne permettrait pas au détenu d'accéder aux services dans la langue de son choix.
Le comité d'enquête a conclu qu'il n'y avait aucun précurseur immédiat de l'incident. L'équipe de santé mentale interrogeait régulièrement le détenu à propos d'éventuelles pensées suicidaires et le détenu indiquait qu'il n'en avait pas. Le comité d'enquête a eu accès à des lettres trouvées dans sa cellule indiquant qu'il percevait son transfèrement imminent comme un complot contre lui, mais qu'il était capable de prétendre de rien au personnel et par conséquent, ce détail n'aurait pas pu être connu avant l'incident. Le comité d'enquête a déterminé que l'événement déclencheur était le transfèrement imminent combiné au scénario de persécution, dont le personnel n'était pas au courant, de sorte qu'aucune mesure n'aurait pu être prise pour prévenir le suicide.
Le comité d'enquête a relevé 21 domaines à améliorer et a formulé huit recommandations qui portaient sur une vaste gamme d'enjeux, notamment la décision relative au transfèrement, les services de santé mentale, les services pour Autochtones, les langues officielles, le fait de couvrir la fenêtre de sa cellule, les points de suspension et la notification du plus proche parent. Le comité d'enquête a mis l'accent sur les principaux problèmes, soit le transfèrement interrégional non sollicité, la prise en considération de solutions de rechange et la façon dont la décision finale a été prise. Ces enjeux sont abordés dans les trois premières recommandations et dans plusieurs domaines d'amélioration secondaires. La discussion ci-après porte sur la Recommandation no 1, dont le libellé est un peu vague, mais qui cerne un problème fondamental, soit le processus qui a mené à la décision de procéder à un transfèrement interrégional qui faisait fi des besoins du détenu en l'espèce.
Recommandation no 1 :
- Le comité d'enquête recommande que le Service correctionnel du Canada se laisse une certaine marge de manœuvre en ce qui a trait à la priorité accordée au retrait d'un délinquant de l'isolement préventif dans certaines circonstances, tel que dans le cas de (DÉTENU), de façon à ce que l'accès aux services essentiels (santé physique et mentale, programmes correctionnels), l'accès aux services spirituels/autochtones dans la langue préférée par le détenu et la proximité de la famille ou de ressources importantes soient bien pris en compte dans les décisions de transfèrement et plus particulièrement lors des transfèrements non sollicités.
Le SCC a appuyé la Recommandation no 1 (et les domaines à améliorer 1 à 6) et a fourni la réponse suivante :
- Tous les services essentiels sont pris en considération, y compris les antécédents sociaux des Autochtones, la langue du détenu et les facteurs liés à la santé, dans toute décision touchant le transfèrement des détenus, ce qui inclut aussi lorsque le transfèrement vise à mettre fin à l'isolement d'un détenu.
- Avant de transférer un détenu de l'isolement préventif à un autre établissement, le Service correctionnel du Canada (SCC) doit tenir compte de nombreux facteurs, notamment la langue officielle, la culture, la santé et la famille. Toute cette information doit être documentée dans l'Évaluation en vue d'une décision dans le cadre du processus de transfèrement comme le prescrivent la Directive du commissaire 709-1, Isolement préventif (1er août 2017) et les Lignes directrices 710-2-3 Processus de transfèrement des détenus (15 janvier 2018). Tous les efforts sont déployés pour éviter le transfèrement d'un détenu à l'extérieur de la région, surtout lorsque l'accès du détenu aux interventions, programmes ou services, p. ex. la santé, les services d'un Aîné dans sa langue officielle ou sa communauté, sera limité ou touché. Néanmoins, malgré les meilleurs efforts, dans certaines circonstances une décision de transférer un détenu à l'extérieur de la région doit être prise lorsque celui-ci ne peut être géré de façon sécuritaire en isolement préventif et ne peut être transféré dans d'autres établissements de la région. Cela étant dit, le Comité national de réexamen des cas d'isolement prolongé assure une surveillance étroite de l'isolement, et des conversations sont régulièrement tenues à l'échelle nationale au sujet des cas complexes.
- De plus, en 2017-2018, les agents de libération conditionnelle ont reçu une formation d'une journée en classe sur les Considérations liées aux antécédents sociaux des Autochtones (ASA) dans le cadre du Programme de perfectionnement continu des agents de libération conditionnelle. Le SCC veillera à inclure ce cas à titre de composante de formation dans la Formation initiale des agents de libération conditionnelle et/ou le Programme de perfectionnement continu des agents de libération conditionnelle.
- La Division de la sécurité examinera la DC 709-1 prochainement afin de s'assurer que l'exigence de tenir compte de l'accès aux interventions, programmes ou services est bien documentée, qu'une analyse de cette information est consignée et que les motifs sont inscrits dans le cadre du processus de décision lors d'un retrait de l'isolement préventif. La DC devrait être promulguée en 2019 et une mise à jour sera communiquée en février 2019 pour confirmer les prochaines étapes.
- De surcroît, le SCC utilisera ce cas pour apporter des changements indispensables aux services correctionnels pour Autochtones et utilisera cet exemple pour en faire une étude de cas dans le nouveau Plan national relatif aux Autochtones et la Stratégie de prévention du suicide. Pour ce faire, le commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels, collaborera avec la Direction des initiatives pour les Autochtones en vue de mettre en œuvre le nouveau Plan national relatif aux Autochtones qui inclura des scénarios fondés sur ce cas dans la formation destinée au personnel. Par la même occasion, le commissaire adjoint, Services de santé, mettra en œuvre une nouvelle Stratégie de prévention du suicide à l'automne 2018 et s'assurera d'inclure des scénarios fondés sur ce cas dans la formation destinée au personnel. Enfin, un exercice de simulation sera élaboré d'ici le 31 mars 2019 en collaboration avec la Direction de l'apprentissage et du perfectionnement pour faciliter une discussion entre les sous-commissaires régionaux et les directeurs d'établissement/directeurs de district.
Le premier paragraphe de la réponse indique que les divers besoins du détenu sont pris en considération dans les décisions liées aux transfèrements, mais les constatations du comité d'enquête permettaient d'établir clairement que ce n'était pas le cas en l'espèce. Le deuxième paragraphe indique que "tous les efforts" sont déployés pour éviter un transfèrement interrégional lorsque l'accès du détenu aux services sera limité ou touché. Encore une fois, les constatations de l'enquête démontrent que le personnel savait très bien que pratiquement tous les services et les programmes dont avait besoin ce détenu allaient être grandement touchés, mais la décision de le transférer allait tout de même se concrétiser au moment où il s'est enlevé la vie.
Dans le deuxième paragraphe, il est indiqué que "malgré les meilleurs efforts" pour éviter un transfèrement, la décision de procéder à un transfèrement interrégional doit être prise lorsqu'un détenu ne peut être géré en toute sécurité à l'extérieur de l'isolement préventif ni transféré dans un autre établissement de la région. Cependant, dans le cas qui nous occupe, le comité d'enquête a conclu que les efforts déployés pour trouver des solutions de rechange au transfèrement proposé n'étaient pas suffisants (p. ex. un transfèrement dans la région d'origine où il aurait reçu des services dans sa langue fonctionnelle n'a pas été envisagé). Le processus s'est poursuivi sans opposition alors que le personnel de l'établissement croyait qu'il s'agissait de la mauvaise décision.
Le troisième paragraphe a trait à la formation sur les antécédents sociaux des Autochtones, qui est une bonne initiative, mais qui ne permet pas de régler le principal problème concernant la décision de procéder à un transfèrement interrégional non sollicité. Dans le quatrième paragraphe, il est indiqué que la Division de la sécurité examinera la DC 709-1 Isolement préventif pour s'assurer que l'information importante est incluse et que les motifs des décisions sont documentés. Or, d'après les constatations de cette enquête, le principal problème était le fossé entre l'information documentée par l'équipe de gestion du cas et la décision prise par l'administration régionale afin de se conformer à une règle organisationnelle consistant à retirer les délinquants de l'isolement préventif pour les placer dans des cellules disponibles ailleurs. Le cinquième paragraphe traite de l'utilisation de ce cas pour éclairer le Plan national relatif aux Autochtones et de son inclusion dans des scénarios de la formation sur la Stratégie de prévention du suicide offerte au personnel. Toutefois, compte tenu de la réponse du SCC aux recommandations, les leçons tirées de ce cas n'étaient pas aussi solides qu'elles auraient dû l'être, comme il est souligné dans notre discussion ci-dessous.
Nous estimons que les constatations de cette enquête sont extrêmement préoccupantes. En raison d'un impératif organisationnel visant à réduire le recours à l'isolement, il a été décidé de transférer un détenu ayant d'importants problèmes de santé mentale dans un établissement à l'autre bout du pays où il ne pourrait pas accéder à des services dans sa langue fonctionnelle et où il se trouverait loin de sa famille. Le personnel de l'établissement savait qu'il ne s'agissait pas de la bonne décision, mais se sentait incapable de s'y opposer. Autrement dit, le processus a entraîné une mauvaise décision ayant des répercussions graves.
L'un des principaux objectifs des comités d'enquête est de permettre à l'organisation de tirer des leçons des incidents et d'apporter des améliorations à ses politiques et procédures de sorte qu'un pareil incident ne se reproduise pas. À notre avis, le SCC a manqué une occasion importante d'améliorer ses politiques et procédures en réponse aux recommandations de ce comité d'enquête. Plutôt que de maintenir que la structure existante était adéquate pour répondre aux besoins des détenus dans les circonstances, la réponse appropriée aurait été que le SCC s'engage à entreprendre un examen fondamental de son processus de transfèrement interrégional pour veiller à ce que tous les besoins des détenus soient pris en compte et bien évalués avant toute décision, que l'équipe de gestion des cas joue un rôle plus important dans le processus décisionnel et que toutes les solutions de rechange à un transfèrement non sollicité soient explorées et documentées avant qu'une décision ne soit prise.
La constatation selon laquelle le personnel de l'établissement a indiqué au comité d'enquête qu'il savait que le transfèrement proposé n'était pas la bonne option, mais qu'il n'a pas osé s'y opposer, mérite que l'on s'y attarde. Le SCC est un organisme qui a une mission et des valeurs essentielles. Les membres du personnel devraient donc être encouragés à signaler tout ce qui va à l'encontre de ces valeurs, et les gestionnaires à tous les niveaux doivent soutenir les employés dans de telles démarches. Sinon, le personnel risque de devenir désabusé et l'organisme risque de perdre du terrain dans ses efforts pour fonctionner conformément à sa mission et à ses valeurs. La leçon primordiale à retenir de cet incident est qu'un impératif opérationnel particulier ne devrait jamais être prépondérant et ne devrait pas l'emporter sur la mission et les valeurs de l'organisme.
Cas no 2
Le deuxième cas concernait un incident comportant de multiples surdoses sur une période d'environ trois semaines, dont l'une a entraîné la mort. Des substances illicites contenant du fentanyl avaient été introduites dans l'établissement. Le rapport contenait une excellente section sur le contexte qui décrivait les tendances de consommation d'opioïdes et les décès y étant attribuables dans les collectivités à l'échelle du pays, ainsi que les répercussions particulières dans les établissements du SCC. Une analyse approfondie (décrite plus haut dans le présent rapport) avait été effectuée par une équipe distincte formée de membres du personnel de la DEI avant que les membres du comité d'enquête arrivent sur les lieux pour mener l'enquête. Les résultats des discussions que l'équipe de la DEI a tenues avec les membres du personnel et les détenus sont présentés dans le rapport du comité d'enquête.
Le rapport du comité d'enquête contient 11 recommandations qui portent sur une vaste gamme de domaines, y compris les stratégies de gestion pour intervenir lorsque des drogues mortelles font des ravages dans un établissement, le dépistage des drogues, la manipulation des substances très toxiques, le renseignement de sécurité, l'administration du Narcan, l'éclairage du périmètre et les réseaux criminels. Nous remettons en question deux recommandations plus particulièrement compte tenu du cinquième élément de notre mandat et nous en discutons ci-dessous.
L'une des constatations du comité d'enquête était que beaucoup de membres du personnel opérationnel (personnel ne faisant pas partie des services de santé) interrogés considéraient que l'administration immédiate de Narcan par voies nasales était le plus important élément d'une intervention auprès d'un détenu inconscient pour préserver la vie et ne considéraient pas l'administration de Narcan par voies nasales comme une composante d'une intervention intégrée en premiers soins comme l'indique le protocole d'intervention. De plus, de nombreux membres du personnel ne faisant pas partie des services de santé ont indiqué au comité d'enquête qu'une formation additionnelle sur le Narcan (c.-à-d. vidéo en ligne ou formation révisée de premiers soins) serait utile pour améliorer la confiance qu'ils ont dans leur capacité d'intervenir auprès d'un détenu inconscient.
Cette constatation a mené à une recommandation que le commissaire adjoint, Gestion des ressources humaines, envisage d'apporter des améliorations à la formation sur l'administration du Narcan par voies nasales au moyen d'une vidéo en ligne ou d'une révision des marchés de formation sur les premiers soins. Cette recommandation n'a pas été appuyée. En réponse à la recommandation, le SCC a décrit plusieurs exigences existantes en matière de formation obligatoire, la disponibilité de matériel de formation et d'instructions, et la politique établie exigeant du personnel ne faisant pas partie des services de santé d'entreprendre la RCR/les premiers soins lorsqu'il était physiquement possible de le faire et d'administrer du Narcan lors d'une surdose soupçonnée. Le comité sait que des mécanismes de formation et des politiques appropriées étaient déjà en place et on pourrait raisonnablement conclure que des améliorations aux protocoles de formation actuels n'étaient pas nécessaires puisqu'il existait des exigences en matière de formation et que beaucoup de matériel était déjà disponible. En outre, nous avons remarqué que le rapport du comité d'enquête indiquait qu'à la suite des deux premières surdoses interrompues, le directeur par intérim a envoyé un courriel à tous les employés pour leur rappeler les signes et les symptômes d'une surdose, y compris le protocole relatif à l'utilisation du Narcan par le personnel ne faisant pas partie des services de santé, incluant des instructions étape par étape qui indiquent plus particulièrement qu'il faut administrer les premiers soins avant d'administrer du Narcan. Néanmoins, compte tenu que de nombreux employés ne faisant pas partie des services de santé ont indiqué qu'ils ne se sentaient pas à l'aise de prendre une mesure permettant de sauver des vies aussi importante que l'administration de Narcan, nous nous attendions que la réponse soit d'offrir du matériel de formation et une formation de recyclage sur son utilisation à cet établissement.
Un autre aspect de l'enquête portait sur les divers moyens d'introduire des substances illicites (c.-à-d. détenus et employés par l'entrée principale, l'entrée des véhicules, l'aire des visites et de la correspondance, l'aire d'admission et de libération, les colis volants et les drones) et les changements non prévisibles des stratégies employées par les réseaux criminels. À cet égard, le comité d'enquête a observé que l'entrée principale, compte tenu du volume élevé de trafic des visiteurs et des employés, représentait un défi logistique et était possiblement vulnérable en ce qui a trait à l'introduction de substances illicites dans l'établissement, car des employés pourraient y faire entrer des substances sous la contrainte d'organisations criminelles. Plus particulièrement, le comité d'enquête a remarqué que, puisque des employés sont responsables de la fouille d'autres employés avec lesquels ils pourraient entretenir des liens personnels, il existe des circonstances de conflit d'intérêts réel et/ou perçu. Aussi, cette préoccupation à l'égard des fouilles du personnel a été renforcée par les constatations d'un sondage effectué avant l'enquête qui présentait de nombreux signalements que le personnel n'était pas soumis à des fouilles de qualité constante à l'entrée principale. Le comité d'enquête a suggéré que le SCC envisage des stratégies d'atténuation des risques et a donné l'exemple de l'utilisation d'un tapis de sélection aléatoire (utilisé dans les aéroports) pour choisir des personnes au hasard afin qu'elles subissent une fouille par palpation complète ou une fouille par balayage corporel, éliminant ainsi la possibilité que des employés effectuent des fouilles moins rigoureuses d'un collègue.
Ainsi, le comité d'enquête a formulé une recommandation afin de revoir la pratique des fouilles trimestrielles du personnel et d'envisager d'autres options pour améliorer l'efficacité des fouilles du personnel à l'entrée principale, dans l'intention de faire obstacle aux stratégies des organisations criminelles visant à introduire des substances illicites dans les établissements et de réduire ou d'éliminer le conflit d'intérêts réel ou perçu lorsque des membres du personnel fouillent des collègues avec qui ils entretiennent des liens personnels. Cette recommandation n'a pas été appuyée. Dans sa réponse, le SCC indique correctement que le terme « trimestriel » renvoie à la production de rapports nationaux sur les fouilles et non aux fouilles elles-mêmes, et que la DC 566-8 exige que le personnel soit fouillé chaque fois qu'il entre ou sort d'un établissement. Dans sa réponse, le SCC indique également :
"Comme les membres du personnel sont les seules personnes autorisées légalement à procéder à la fouille d'autres membres du personnel, conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, il est attendu que les membres du personnel exécutent leurs tâches au nom du gouvernement du Canada avec honnêteté et intégrité. Les employés du Service correctionnel du Canada (SCC) sont responsables d'adhérer aux Règles de conduite professionnelle et au Code de discipline, conformément à la DC 060 Code de discipline. Les membres du personnel doivent respecter certaines règles précises découlant des Règles de conduite professionnelle. Tous les employés du SCC doivent connaître et respecter les divers règlements, lois et politiques touchant les employés du SCC, de même que les instructions et les directives du SCC. De plus, conformément à la DC 566-8, lorsqu'un membre du personnel a des motifs raisonnables de croire qu'un autre membre du personnel a en sa possession un objet interdit ou un élément de preuve relatif à la perpétration d'une infraction criminelle, il peut détenir cet autre membre du personnel afin de recourir aux services de la police. Le SCC est responsable d'intervenir rapidement et avec impartialité, au besoin."
À notre avis, cette réponse ne résout pas le problème sous-jacent du conflit d'intérêts perçu entourant la fouille du personnel par du personnel et les nombreux signalements selon lesquels la qualité des fouilles à l'entrée principale n'était pas constante. La recommandation du comité d'enquête indiquant au SCC d'envisager d'autres options pour améliorer l'efficacité des fouilles du personnel à l'entrée principale visait à résoudre ce problème sous-jacent. Dans sa réponse, le SCC a manqué une occasion d'entreprendre un examen des stratégies et améliorations possibles pour régler cet important problème.
Cas no 3
Le troisième cas impliquait un détenu qui a été trouvé inconscient dans sa cellule et est décédé peu de temps par la suite, malgré l'administration des premiers soins et du Narcan. La cause du décès était toujours inconnue au moment de la rédaction du présent rapport. Dans son rapport, le comité d'enquête soulignait des domaines à améliorer touchant la qualité des patrouilles de sécurité, la demande d'aide, la disponibilité des clés des cellules, l'équipement d'urgence, les directives médicales d'urgence et la fouille des cellules.
Le comité d'enquête a formulé deux recommandations. La première recommandation était que l'établissement mette à jour son guide d'intervention en cas d'urgence pour "s'assurer qu'il soit conforme avec la directive nationale qui stipule que les membres du personnel infirmier de toutes les unités qui interviennent lors d'une urgence médicale apportent l'équipement médical d'urgence avec eux pour réduire les délais possibles d'une évaluation et d'un traitement appropriés". La deuxième recommandation était que "le directeur régional, Services de santé, élabore un plan pour explorer la réticence qu'ont les membres du personnel infirmer à exercer pleinement leurs fonctions lorsqu'ils doivent prononcer un décès à l'établissement, et y remédier", ce qui est prévu dans les paramètres de leur poste.
En réponse à la première recommandation, l'établissement a remplacé le guide existant par un nouveau document qui énonce les protocoles à l'intention des membres du personnel infirmier dans des situations d'urgence et qui stipule clairement que les membres du personnel infirmier apporteront l'équipement médical d'urgence avec eux lorsqu'ils interviennent en cas d'urgence. Les mesures prises pour répondre à la deuxième recommandation ont consisté à envoyer le nouveau document protocolaire aux gestionnaires d'unité et au personnel infirmier par courriel, et le chef des Services de santé par intérim a rencontré le personnel pour discuter de la constatation du décès et du nouveau protocole et les examiner.
Il est important de souligner que la deuxième recommandation est fondée sur la constatation du comité d'enquête selon laquelle une infirmière, qui a constaté le décès du détenu et déterminé qu'il était inutile de poursuivre les premiers soins, ne se sentait pas à l'aise de prononcer le décès même si cette tâche était dans la portée de la pratique en soins infirmiers de la compétence pertinente et qu'elle est prévue dans les lois pertinentes et les politiques du SCC. Elle a décrit le contexte menant à son inconfort comme étant "une culture de peur au SCC". En outre, un autre membre du personnel infirmier, qui est intervenu lors de l'incident, a informé le comité d'enquête qu'il y avait une "crainte de représailles" à la suite des enquêtes si des membres du personnel infirmier avaient prononcé un décès dans cet établissement.
À notre avis, il s'agit d'un problème grave et possiblement systémique qui mérite que le SCC y donne suite de façon plus robuste. Plutôt que de simplement tenir une réunion pour discuter de la question de la constatation du décès, nous nous attendions à une réponse indiquant que la question allait faire l'objet d'une enquête plus poussée pour mieux comprendre l'origine de ces craintes et leur étendue, et pour s'assurer de remédier à la situation adéquatement.
Cas no 4
Il y avait un dernier cas pour lequel le comité a estimé que les mesures correctives et les plans d'action initiés par le SCC ne répondaient pas adéquatement aux recommandations découlant de l'enquête et aux problèmes sous-jacents. Dans ce cas, le comité d'enquête a déterminé qu'un important facteur contributif à un décès survenu en établissement (surdose de médicaments) était que l'information selon laquelle le détenu voyait un psychiatre et prenait des médicaments pour un trouble psychiatrique n'avait pas été communiquée par l'établissement d'origine à l'établissement d'accueil au moment du transfèrement. Le membre du personnel infirmier à l'établissement d'accueil a examiné le dossier et remarqué les facteurs de risque de suicide, mais n'était pas au courant que le détenu faisait l'objet d'un suivi psychiatrique et a noté, à tort, que le détenu ne prenait aucun médicament. Par conséquent, le délinquant n'a pas été mis sur la liste en vue de la poursuite de ses soins psychiatriques. Le comité d'enquête a noté que l'information n'apparaissait pas dans le dossier médical électronique, soit l'outil OSCAR (Open Source Clinical Application Resource), parce que la région avait obtenu une exemption et n'était pas tenue d'utiliser le système électronique national. Le comité d'enquête n'a formulé qu'une seule recommandation, soit que la région soit tenue de contribuer au dossier médical électronique OSCAR de façon à ce que des renseignements détaillés sur la santé soient communiqués de façon fiable au personnel de soins de santé lorsqu'un détenu est transféré, au sein de la région ou d'une région à une autre.
Dans sa réponse, le SCC a indiqué qu'il appuyait la recommandation, mais la mesure prise n'était pas celle recommandée. Le SCC a répondu que les conférences de cas visant l'échange d'information sont effectuées par téléphone, mais que dans ce cas particulier, l'information relayée n'avait pas été documentée par écrit. On a rappelé au personnel responsable de la santé mentale de la région son obligation de communiquer et de documenter l'information dans les cas où il y avait des problèmes de santé mentale et un risque de suicide. En outre, les récentes admissions à l'établissement où s'est produit l'incident seraient examinées par un comité chargé de la santé mentale afin de déterminer les besoins réels ou possibles de services en santé mentale. À notre avis, cette mesure ne répond pas à la recommandation, plus particulièrement parce qu'elle ne permet pas de résoudre les problèmes de communication de l'information lors de transfèrements interrégionaux.
En bref, le comité estime que les quatre cas décrits ci-dessus sont des exemples de situations dans lesquelles les réponses du SCC et les mesures qu'il a prises n'ont pas permis de répondre aux recommandations des comités d'enquête et aux enjeux sous-jacents. Comme il a été noté au début du présent chapitre, nous ne formulons aucune recommandation à l'intention du SCC à cet égard. Nous nous attendons toutefois à ce que le SCC examine ces cas en gardant nos commentaires à l'esprit et qu'il étudie si d'autres mesures s'imposent.
Conclusion
L'ordre de convocation du présent comité d'examen indépendant comprenait six éléments dans son mandat, qui ont été présentés dans l'introduction du présent rapport. Nous avons traité tous ces éléments au cours de notre examen. Dans les chapitres précédents, nous avons résumé les principales constatations de notre examen et formulé des recommandations fondées sur ces constatations.
Dans l'introduction du présent rapport, nous avons fait une importante mise en garde établissant les limites de la rigueur de l'examen que nous avons pu effectuer. Plus précisément, nous n'avions pas accès aux documents d'enquête de chaque comité d'enquête et par conséquent, notre point de départ était le rapport du comité d'enquête même (constatations, analyses, détermination des enjeux sous-jacents et recommandations). Nous étions à l'aise de procéder de cette façon aux fins de notre examen, mais jugions important de le signaler au lecteur dès le départ, ainsi qu'à d'autres endroits dans le présent rapport.
Dans notre analyse des changements apportés pour répondre aux recommandations du quatrième CEI (premier élément), nous avons trouvé plusieurs exemples d'initiatives que la DEI a entreprises pour améliorer le processus d'enquête. Nous en avons fait rapport dans le premier chapitre, avons félicité le SCC d'avoir entrepris ces initiatives et avons formulé quelques recommandations visant à mieux intégrer ces initiatives dans le processus d'enquête. En outre, nous avons formulé deux recommandations au sujet de la participation d'un proche parent sur la base de nos entrevues avec les familles et de leur expérience du décès d'un membre de la famille survenu en établissement. Nous avons aussi fait une recommandation portant sur la recherche visant à déterminer la qualité de vie en prison, une pratique exemplaire du Royaume-Uni qui pourrait aider le SCC à mieux comprendre les conditions dans les établissements telles qu'elles sont vécues par les détenus et le personnel, à prendre des mesures pour améliorer le rendement ainsi que le mieux-être général des détenus et du personnel et à contribuer positivement à la réduction des incidents entraînant des décès de causes non naturelles.
Le mandat exigeait que nous analysions l'indépendance et l'impartialité du processus d'enquête du SCC (deuxième élément). Il s'agit de concepts complexes qui sont fondamentaux à la conduite d'enquêtes appropriées. Même si nous avions fait la mise en garde susmentionnée, cet engagement était important. Nous avons méticuleusement contrôlé le processus d'enquête du SCC en fonction de chacun des critères qui constituent les valeurs fondamentales de l'indépendance et avons tiré des conclusions de cette évaluation. Nous avons examiné la structure organisationnelle, les politiques et les pratiques d'enquête sur les décès en établissement de plusieurs autres administrations et trouvé des exemples de pratiques exemplaires qui pourraient être adoptées et adaptées pour renforcer l'indépendance réelle et perçue du processus d'enquête du SCC, et formulé des recommandations en ce sens. Nous avons abordé la question de l'impartialité de la même manière, c'est-à-dire en appliquant les critères établis pour déterminer dans quelle mesure le processus d'enquête du SCC y répond, en déterminant des moyens d'améliorer l'impartialité de son processus d'enquête, en s'inspirant des pratiques exemplaires d'autres administrations et en formulant des recommandations qui ont découlé de cette analyse.
Au chapitre 3, nous avons répondu au troisième élément du mandat qui nous demandait de suggérer des façons dont le SCC peut communiquer ses rapports d'enquête aux employés pour qu'un plus grand nombre d'entre eux soient au fait des "leçons à retenir" et pour que ces rapports soient plus accessibles au public. Dans ce chapitre, nous avons remarqué que de nombreux publics sont intéressés à obtenir de l'information au sujet de ces rapports d'enquête, notamment le personnel du SCC, et qu'il y a un désir de rendre plus d'information accessible au sein de l'organisation et au public. Nous avons dressé une liste de nombreuses plateformes actuellement disponibles au sein du SCC, mais avons observé qu'elles ne sont pas utilisées dans leur plein potentiel. Dans notre examen international des pratiques d'enquête en cas de décès en établissement, nous avons constaté que le Prison and Probation Ombudsman (PPO) au Royaume-Uni a établi des politiques et des procédures qui permettent la communication élargie de l'information portant sur leurs enquêtes sur des décès en établissement, au-delà de ce qui est pratique courante au SCC. Bien que nous reconnaissions les différences entre les contextes britanniques et canadiens, nous recommandons que le SCC adopte des pratiques semblables à celles du PPO.
Le quatrième chapitre du présent rapport cherchait à savoir si les recommandations formulées par les comités d'enquête s'attaquent bien aux causes sous-jacentes de l'incident ou des incidents et s'il est nécessaire d'apporter des améliorations d'ensemble aux politiques et aux procédures (quatrième élément). Bien que le comité estime que les rapports des comités d'enquête contiennent habituellement des recommandations appropriées, des préoccupations ont été soulevées quant à certains des rapports de comités d'enquête. L'une des préoccupations était que dans certains cas, il existait de nombreux éléments de non-conformité ne faisant l'objet d'aucune recommandation, ce qui soulève la nécessité : a) de permettre à un comité d'enquête de formuler des recommandations quant aux éléments de non-conformité lorsque ces problèmes surviennent à répétition; b) d'examiner l'ensemble des éléments de non-conformité dans les rapports des comités d'enquête et de préparer des rapports thématiques sur les problèmes systémiques liés à la conformité; et c) d'intégrer les scénarios et les leçons apprises des éléments de non-conformité récurrents dans la formation du personnel à tous les niveaux de l'organisation. Nous formulons des recommandations pour combler ces lacunes. Nous avons aussi constaté à quelques occasions que les éléments de non-conformité avaient été jugés comme n'ayant eu "aucun impact direct sur l'incident", et avaient donc été répertoriés sous la rubrique "Constatations supplémentaires", alors que nous jugions que ces problèmes avaient bel et bien eu un impact et auraient dû être analysés de façon plus approfondie dans le rapport. Nous avons d'ailleurs formulé des recommandations à cet effet.
Dans le dernier chapitre de notre rapport, nous avons évalué si les mesures correctives et les plans d'action entrepris par le SCC permettaient de répondre adéquatement aux recommandations et aux problèmes sous-jacents des rapports des comités d'enquête. De façon générale, nous concluons que, d'après notre examen des rapports des comités d'enquête, les mesures correctives et les plans d'action étaient appropriés et adéquats dans la grande majorité des cas. Cependant, il y avait quatre cas pour lesquels, à notre avis, la réponse du SCC n'était pas adéquate et ne permettait pas de répondre aux problèmes sous-jacents cernés dans le rapport du comité d'enquête. Nous avons fourni un synopsis pour chacun de ces cas. Nous nous attendons à ce que le SCC réexamine ces cas à la lumière de nos commentaires, mais nous n'avons pas formulé de recommandations à ce sujet.
Nous avons une dernière observation. Le présent rapport est le cinquième d'une série d'examens indépendants sur les décès de causes non naturelles survenus en établissement. L'étendue et la complexité du mandat de cet examen étaient beaucoup plus vastes que celles des examens passés. À vrai dire, l'un des éléments du mandat, soit l'analyse de l'indépendance et de l'impartialité du processus d'enquête du SCC, aurait pu faire l'objet d'un important examen à lui seul. Toutefois, le comité s'est vu confier la tâche de traiter de cette question ainsi que de cinq autres éléments, ce qui a engendré plus de travail que ce que nous pouvions accomplir dans le délai imparti. Afin que cette situation ne se reproduise pas, nous prions le SCC de s'assurer que, si un 6e rapport d'examen indépendant devait être convoqué, le temps alloué pour procéder à l'examen soit proportionnel à la portée du mandat, ce qui inclut la prévision de suffisamment de temps pour obtenir et examiner les éléments de preuve pertinents en détail.
Trente et unième recommandation
Que le Service correctionnel du Canada s'assure d'accorder suffisamment de temps à tout comité d'examen indépendant futur afin qu'il puisse remplir son mandat.
En conclusion, nous espérons sincèrement que notre rapport et nos recommandations aideront le SCC dans ses efforts pour améliorer son processus d'enquête et contribueront à la prévention des décès de causes non naturelles en établissement.
Bibliographie
Gabor, Thomas (2007). Décès en établissement: Rapport final présenté au Bureau de l'Enquêteur correctionnel, Ottawa.
Service correctionnel du Canada (2017). Décès d'une personne sous les soins et la garde du Service correctionnel du Canada: Guide à l'intention de la famille et des amis, Ottawa, Service correctionnel du Canada.
Service correctionnel du Canada (2019). Rapport annuel sur les décès en établissement 2016-2017, Rapport SR-01, Ottawa, Service correctionnel du Canada.
Service correctionnel du Canada. Formation sur la conduite des enquêtes: Manuel du participant 2020-2021, Ottawa, Service correctionnel du Canada.
Service correctionnel du Canada (2019). Notification of Death Training Package, Ottawa, Service correctionnel du Canada.
Bureau de l'enquêteur correctionnel (2006). Rapport annuel 2005-2006, Ottawa, Enquêteur correctionnel.
Bureau de l'enquêteur correctionnel (2016). Laissés dans le noir: Enquête sur les pratiques relatives à l'échange et à la divulgation d'information sur les décès en établissement dans le système correctionnel fédéral, Ottawa, Enquêteur correctionnel.
Bureau de l'enquêteur correctionnel (2018). Rapport annuel 2017-2018, Ottawa, Enquêteur correctionnel.
Nadeau, L., S, Brochu et R. Cormier (2018). Quatrième comité d'examen indépendant sur les décès de causes non naturelles survenus en établissement entre le 1ier Avril 2014 au 31 Mars 2017, Service correctionnel du Canada, Ottawa.
Liebling, A. (2004). Prisons and their Moral Performance: A Study of Values, Quality, and Prison Life, Royaume-Uni, Oxford University Press.
Measuring the Quality of Prison Life - MQPL+ (2015) Prisons Research, University of Cambridge. https://www.cam.ac.uk/research/impact/measuring-the-quality-of-prison-life
Liebling, A. (2014). Prison quality, moral performance and outcomes, document présenté à la 19e Conférence des Directeurs des services pénitentiaires et de probation du Conseil de l'Europe, 17-18 Juin 2014, Helsinki.
Auty, K. & A. Liebling (2020). Exploring the Relationship between Prison Social Climate and Reoffending. Justice Quarterly, 37(2) https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/07418825.2018.1538421
Ross, M., Liebling, A. & Tait, S. (2011). The Relationships of Prison Climate to Health Service in Correctional Environments: Inmate Health Care Measurement, Satisfaction and Access in Prisons The Howard Journal of Criminal Justice 50 (3), 262-274.
Annexe A: Liste des Recommandations
- Que les Valeurs et les Principes Éthiques du Service Correctionnel du Canada soient énoncés dans le mandat du comité d'enquête, qu'ils soient des éléments centraux du processus d'enquête le cas échéant, et qu'ils figurent dans les conclusions et les recommandations, s'il y a lieu.
- Que l'"examen des quatre piliers" figure dans le mandat des comités qui enquêtent sur les surdoses.
- Qu'une section « Contexte » figure dans le rapport de tous les Comités d'Enquête.
- Que le Service Correctionnel du Canada se dote d'un programme de recherche sur la qualité de vie dans ses établissements en s'inspirant de celui entrepris par la professeure Alison Liebling et ses collaborateurs.
- Que les membres des Comités d'Enquête aient accès à la base de données Tendances, Analyse et Performance (TAP) pour avoir une meilleure compréhension du contexte carcéral d'un incident.
- Que le Service Correctionnel du Canada communique avec le plus proche parent du détenu dont le décès à l'hôpital est imminent, afin de permettre à la famille de se rendre à son chevet ou de participer aux décisions sur sa fin de vie.
- Qu'il n'y ait que deux lettres possibles qui soient envoyées à la famille. Que le Directeur de l'Établissement avise la famille, lui offre des condoléances et lui mentionne qu'une lettre du coordonnateur de la liaison avec les familles suivra, que cette personne renseignera la famille sur les circonstances du décès, s'occupera des arrangements funéraires et lui communiquera d'autres détails. Si le décès doit faire l'objet d'une enquête, la Direction des Enquêtes sur les incidents enverra une deuxième lettre à la famille pour lui faire savoir qu'elle peut participer au Comité d'Enquête et communiquer avec lui.
- Que le directeur général de la Direction des Enquêtes sur les Incidents relève directement de la commissaire du Service Correctionnel du Canada.
- Que le Comité d'Enquête soit habilité à formuler d'autres éléments du mandat au cours d'une enquête, sans obtenir l'approbation du Service Correctionnel du Canada, et qu'il consigne les raisons justifiant cette décision.
- Que toutes les communications entre une partie du Service Correctionnel du Canada et les membres du Comité d'Enquête concernant les constatations ou les recommandations que le comité d'enquête a formulées ou envisage de formuler soient entièrement consignées. Si des modifications sont apportées à une constatation ou à une recommandation, que le processus par lequel elles ont été apportées et leur justification figurent dans un addenda au rapport du Comité d'Enquête.
- Qu'un observateur indépendant soit nommé pour surveiller les travaux du comité d'enquête dans les cas définis par le Bureau de l'Enquêteur Correctionnel à la recommandation no 10 de son Rapport Annuel de 2017 2018, ainsi que dans tout autre cas de décès en établissement lorsque la Commissaire ou le Ministre de la Sécurité Publique estime qu'il y va de l'intérêt public.
- Que le Service correctionnel du Canada nomme un membre de la collectivité à titre de président du comité d'enquête dans les cas notoires, lorsqu'il est logique et pratique de le faire.
- Que le Service Correctionnel du Canada s'efforce de nommer des membres de la collectivité ayant l'expertise voulue et une connaissance des enjeux qui touchent les groupes de détenus surreprésentés, tout particulièrement dans les cas où la race ou les antécédents culturels peuvent avoir constitué un facteur dans une enquête donnée.
- Que les membres de la collectivité aient tous accès aux mêmes outils pour faire leur travail que ceux qui sont fournis aux autres membres du Comité d'Enquête, qui sont des employés du Service Correctionnel du Canada.
- Que la Direction des Enquêtes sur les incidents ajoute à son programme de formation sur la conduite des enquêtes un volet à l'intention de tous les membres des Comités d'Enquête, qui porterait sur les entrevues avec des parties de l'extérieur du Service correctionnel du Canada pouvant détenir des renseignements pertinents, ce qui comprend les détenus, leurs victimes et les membres de leur famille.
- Que la Direction des Enquêtes sur les Incidents crée un programme de formation formelle à l'intention des membres de la collectivité, qui porterait entre autres sur les techniques d'entrevue, la mission et les valeurs fondamentales du Service Correctionnel du Canada, et le rôle essentiel que jouent les membres de la collectivité pour ce qui est de contester et de remettre en question, au besoin, le déroulement de l'enquête. Les Membres de la Collectivité devraient suivre cette formation dès leur nomination et recevoir une formation de recyclage au besoin.
- Que la Direction des Enquêtes sur les Incidents envisage d'étendre le processus d'analyse approfondie à d'autres enquêtes, lorsque la situation l'indique.
- Que des membres du personnel de la Direction des Enquêtes sur les Incidents soient envoyés sur les lieux du décès le plus tôt possible. Ils devraient voir à ce que tous les éléments probants pertinents susceptibles de se rapporter au décès soient recensés, préservés et rassemblés. Ils devraient également mener des entrevues préliminaires auprès des parties auxquelles le Comité d'Enquête pourrait avoir plus difficilement accès à une date ultérieure, comme les détenus et les membres de leur famille.
- Que le Comité d'Enquête identifie et, s'il y a lieu, rencontre les membres de la famille, les détenus, les victimes et toute autre personne susceptible de détenir des renseignements pertinents au sujet du décès.
- Que le Comité d'Enquête enregistre toutes les entrevues menées au cours de son enquête au moyen d'un enregistreur vocal numérique.
- Que tous les rapports des comités d'enquête comportent une section sur les mesures prises par le Comité d'Enquête pour recueillir les preuves.
- Que les rapports d'enquête sur les décès de causes non naturelles, accompagnés des mesures correctives, soient publiés dans leur version quasi intégrale sur le site Web du Service Correctionnel du Canada pour que les employés et le grand public puissent y avoir accès, comme le fait le Prison and Probation Ombudsman au Royaume Uni.
- Que le Service Correctionnel du Canada rédige régulièrement des fiches de renseignements/bulletins sur les leçons à retenir ayant trait aux décès de causes non naturelles et les publie sur son site Web, comme le fait le Prison and Probation Ombudsman au Royaume Uni.
- Que la Direction des Enquêtes sur les incidents adopte des pratiques semblables à celles du Prison and Probation Ombudsman au Royaume Uni afin de faire participer davantage la famille et le plus proche parent au processus d'enquête. Elle devrait notamment leur donner la possibilité de soulever les enjeux sur lesquels ils voudraient que l'on enquête, leur communiquer le rapport préliminaire pour qu'ils puissent en commenter les faits, les inviter à un débreffage local pour leur présenter le rapport final (en leur refusant le moins de renseignements possible) et les aviser lorsque le rapport final est rendu public.
- Que les catégories "Rapports pertinents de comités d'enquête précédents" et "Rapports pertinents de comités d'examen indépendant" soient ajoutées à l'annexe "Liste de documents d'enquête" du manuel de formation des participants de la Direction des enquêtes sur les incidents.
- Que les comités d'enquête puissent formuler des recommandations visant à corriger des Éléments de Non-Conformité récurrents afin que le Service Correctionnel du Canada puisse tirer profit des leçons apprises. Lorsqu'un comité d'enquête détermine des problèmes récurrents, il devrait formuler une recommandation pour régler ces problèmes ou indiquer pourquoi aucune recommandation n'est formulée à cet égard.
- Que le Service Correctionnel du Canada intègre les scénarios et les leçons apprises des Éléments de Non-Conformité récurrents soulevés par les Comités d'Enquête dans la formation destinée au personnel de tous les niveaux.
- Que la Direction des Enquêtes sur les incidents crée d'autres critères pour préciser le libellé "n'a pas eu d'incidence directe sur l'incident", lorsqu'il est question d'Éléments de Non-Conformité.
- Si un Comité d'Enquête détermine qu'un élément de non-conformité doit seulement faire l'objet d'une Constatation Supplémentaire, il doit en expliquer la raison.
- Que la Direction des Enquêtes sur les incidents élabore un rapport thématique mettant l'accent sur les rapports des comités d'enquête sur les décès survenus en établissement pour déterminer s'il existe des tendances et/ou de possibles problèmes systémiques liés à la conformité. Selon le résultat du présent examen, il pourrait s'avérer approprié d'inclure ce sujet dans le cadre du mandat d'un futur Comité d'Examen Indépendant.
- Que le Service Correctionnel du Canada s'assure d'accorder suffisamment de temps à tout comité d'examen indépendant futur afin qu'il puisse remplir son mandat.
Détails de la page
- Date de modification :