Examen du transfèrement d’un détenu de l’établissement de Millhaven à l’établissement de La Macaza le 29 mai 2023

Résumé

Les délinquants sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada (SCC) sont classés au niveau de sécurité minimale, moyenne ou maximale, conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). Après l’attribution de la cote de sécurité initiale, une réévaluation de la cote de sécurité doit être effectuée au moins une fois tous les deux ans pour les délinquants classés au niveau de sécurité maximale ou moyenne, conformément à la Directive du commissaire (DC) 710-6. Les réévaluations de la cote de sécurité se fondent sur le jugement professionnel et l’évaluation du niveau d’adaptation à l’établissement, du risque d’évasion et du risque pour la sécurité publique du délinquant, ainsi que sur les résultats de l’outil actuariel du SCC, à savoir l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité (ERCS). Les réévaluations périodiques de la cote de sécurité sont effectuées conformément au principe des mesures « les moins privatives de liberté » énoncé à l’article 28 de la LSCMLC, qui prévoit que « [l]e Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue un milieu où seules existent les restrictions les moins privatives de liberté pour celui-ci », tout en tenant compte du degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu, ainsi que du profil et des facteurs de besoins du délinquant.

Le présent examen du cas a pour but d’analyser le transfèrement récent de PAUL BERNARDO, de l’Établissement de Millhaven à l’Établissement de La Macaza le 29 mai 2023. L’accent est mis sur la conformité aux politiques en ce qui concerne : la pertinence de la cote de sécurité du délinquant, la pertinence du transfèrement à l’établissement à sécurité moyenne, les considérations liées aux victimes et les notifications aux victimes, les notifications concernant les délinquants notoires, et tout autre facteur pertinent.

L’examen a porté sur les documents au dossier du délinquant dans le Système de gestion des délinquant(e)s (SGD), les documents envoyés aux victimes inscrites fournis par le Secteur des communications et de l’engagement, à l’administration centrale (AC), ainsi que la correspondance et les autres documents ayant trait à la communication de renseignements et à la planification du cas fournis par l’Établissement de Millhaven et l’administration régionale (AR) de l’Ontario. De plus, des consultations ont été tenues auprès de représentants du Secteur des communications et de la mobilisation (AC), du Secteur des opérations et des programmes correctionnels (AC), de l’Établissement de Millhaven et de l’AR de l’Ontario, afin d’obtenir des éclaircissements sur l’interprétation des politiques pertinentes et de recueillir des faits supplémentaires sur le cas.

À titre d’information, BERNARDO, déclaré délinquant dangereux, purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré (deux chefs), enlèvement – séquestration (deux chefs), agression sexuelle grave (deux chefs) et indignité envers un cadavre humain. Les infractions à l’origine de la peine découlent de l’enlèvement, de l’agression sexuelle et du meurtre de Kristen French et de Leslie Mahaffy. Plusieurs autres infractions ont été suspendues dans cette affaire, notamment en lien avec la mort de Tammy Homolka, les agressions sexuelles de « Jane Doe » et les agressions sexuelles liées à l’affaire du « violeur de Scarborough ». Le délinquant a commencé à purger sa peine le 1er septembre 1995; il a dépassé les dates d’admissibilité à la libération conditionnelle et s’est vu refuser la libération conditionnelle à deux reprises. Il est désigné comme un délinquant notoire, soit un « délinquant ayant commis une infraction qui, par sa dynamique, a suscité, ou pourrait susciter, une réaction dans la collectivité, c’est-à-dire un grand intérêt public et/ou médiatique », conformément à la DC 701.

Selon les documents au dossier, le délinquant a été maintenu au niveau de sécurité maximale de 1995 à 2023. De 1999 à 2022, on a rempli l’ERCS à 14 reprises (environ tous les deux ans, comme le prévoit la DC 710-6). Chaque fois, la cote obtenue selon l’ERCS correspondait au niveau de sécurité moyenne. Dans tous les cas, sauf le plus récent (8 novembre 2022), la décision finale quant au niveau de sécurité a été d’attribuer la cote de sécurité maximale, ce qui constitue une « dérogation » à la cote de l’ERCS.

Selon les renseignements au dossier, pendant une grande partie de l’incarcération du délinquant, ses interactions avec d’autres délinquants ont été extrêmement restreintes et contrôlées. Ces mesures ont été prises en raison de menaces à la sécurité du délinquant, étant donné son statut de délinquant notoire et la nature de ses infractions. Depuis 1999, un jugement professionnel a été exercé afin de déroger aux résultats de l’ERCS, l’outil actuariel utilisé pour réévaluer la cote de sécurité des délinquants, qui indiquaient une cote de sécurité moyenne. D’après les documents au dossier, ces dérogations s’expliquent par les mesures importantes et continues qui étaient nécessaires pour gérer le délinquant en toute sécurité, et non par des problèmes de comportement. Dans l’ensemble des documents, il est indiqué que le délinquant se comporte généralement bien en établissement. L’équipe de gestion des cas (EGC) du délinquant travaille depuis de nombreuses années à faciliter son intégration au sein de la population carcérale.

Le délinquant a demandé un transfèrement à l’Établissement de Bath (un établissement à sécurité moyenne) en juin 2022. Après la réévaluation de sa cote de sécurité, on a effectué une dérogation aux résultats de l’ERCS (sécurité moyenne) en se fondant sur le jugement professionnel, car il a été décidé de maintenir la cote de sécurité maximale du délinquant. Le fait qu’il n’ait pas pu s’intégrer à la population carcérale et les mesures continues requises pour assurer sa sécurité (p. ex. protocoles individualisés) ont constitué des facteurs décisifs. Par conséquent, il a été déterminé que l’Établissement de Bath n’était pas une option viable, d’autant plus que la demande n’était pas appuyée par l’EGC du délinquant; les décideurs ont donc refusé le transfèrement.

À la suite de cette décision, en juillet 2022, le délinquant a travaillé avec l’équipe de la haute direction et le Service du renseignement de sécurité de l’Établissement de Millhaven à l’élaboration d’un plan d’intégration en établissement. Ces efforts s’inscrivaient dans le cadre d’une stratégie de gestion en établissement visant à établir des cohortes au sein de l’unité (EXPURGÉ) de l’Établissement de Millhaven, dans le but sous-jacent d’atténuer les pressions exercées sur la sous-population et d’offrir un milieu moins privatif de liberté aux délinquants. La stratégie a permis aux délinquants compatibles des rangées (EXPURGÉ) et (EXPURGÉ) de se rendre au centre de soins de santé, à la salle de programmes, à l’école et à la cour en cohorte. En juillet 2022, le délinquant s’est « pleinement intégré » à sa rangée, ce qui représentait pour lui un nouveau progrès.

Après s’être intégré à son unité, le délinquant, en consultation avec son EGC, a présenté une demande de transfèrement à l’Établissement de La Macaza, un établissement à sécurité moyenne situé au Québec. L’EGC du délinquant a jugé que le profil de la population de l’Établissement de La Macaza était compatible avec le profil du délinquant, car l’établissement peut accueillir des délinquants notoires ainsi que des délinquants purgeant une peine pour infractions sexuelles. Selon les renseignements fournis au comité d’examen, après que le délinquant eut présenté une demande de transfèrement (EXPURGÉ), le Bureau de de l’enquêteur correctionnel (BEC) a entamé des discussions informelles concernant la cote de sécurité du délinquant, afin d’assurer le respect du principe des « restrictions les moins privatives de liberté » et autres exigences prévues par la loi, conformément à la LSCMLC. Préoccupé par les longs délais de traitement, le BEC s’est enquis régulièrement de l’avancement du dossier et du processus décisionnel auprès du directeur et du sous-directeur de l’Établissement de Millhaven.

En novembre 2022, ayant démontré qu’il pouvait s’intégrer à une rangée, BERNARDO a obtenu le soutien de son EGC pour être transféré à l’Établissement de La Macaza. Plus précisément, l’EGC a déterminé qu’en raison de son « intégration complète » récente, il était justifié d’abaisser la cote d’adaptation en établissement du délinquant, soit l’un des trois facteurs analysés dans l’évaluation de la cote de sécurité et celui qui avait auparavant empêché le délinquant d’obtenir la cote de sécurité moyenne. L’Évaluation en vue d’une décision, préparée par l’EGC, recommandait que l’on attribue une cote de sécurité moyenne au délinquant et que l’on approuve sa demande de transfèrement à l’Établissement de La Macaza. La principale justification tenait au fait que l’« intégration complète » du délinquant démontrait que les préoccupations soulevées dans la décision défavorable de juin 2022 avaient été résolues. On a fait valoir que si BERNARDO était incarcéré à l’Établissement de La Macaza, il n’aurait pas un plus grand accès à la collectivité, car le périmètre de l’établissement est sécurisé et contrôlé, et ses déplacements et contacts avec d’autres délinquants seraient réglementés et surveillés. On a également souligné que l’Établissement de La Macaza offre des programmes qui répondent aux besoins de BERNARDO, en particulier le Programme de maintien des acquis pour délinquants sexuels.

Le comité d’examen a examiné l’Évaluation en vue d’une décision concernant la reclassification du niveau de sécurité et le transfèrement du délinquant selon les politiques applicables, notamment la DC 705-7, DC 710-6, la DC 710-2 et les Lignes directrices (LD) 710-2-3. Une analyse critique a révélé que l’Évaluation en vue d’une décision n’avait pas tenu compte de tous les éléments énoncés dans ces politiques. Dans le cadre de consultations verbales auprès du Secteur des opérations et des programmes correctionnels, on a expliqué qu’il n’était pas nécessaire d’inclure dans l’Évaluation en vue d’une décision les éléments des DC qui ne sont pas applicables au cas en question; il est donc possible que les éléments omis aient été jugés non pertinents.

Le comité d’examen était toutefois d’avis que certains des éléments omis s’appliquaient au cas et qu’une justification plus détaillée aurait dû être fournie dans certaines sections de l’Évaluation en vue d’une décision. En particulier, le comité d’examen s’est demandé si la période de quatre mois d’intégration était suffisante pour amorcer le processus de réévaluation de la cote de sécurité du délinquant. Cette question a fait l’objet de discussions avec le personnel de l’Établissement de Millhaven et de l’AR de l’Ontario. Selon les renseignements fournis par le personnel et ceux contenus dans les divers documents au dossier, l’intégration récente du délinquant dans sa rangée de l’unité (EXPURGÉ) faisait en fait partie d’une stratégie à long terme; l’intégration avait été précédée d’une série d’étapes, échelonnées sur plusieurs années, comprenant notamment des formes d’intégration à plus petite échelle afin de permettre au délinquant d’être en contact avec un petit nombre de délinquants. Les membres du personnel ayant participé à cette stratégie ont indiqué que pendant ces étapes vers l’intégration, aucun problème n’avait été relevé sur le plan du comportement ou de la sécurité. Ils ont insisté sur le fait que l’intégration du délinquant, la plus récente étape dans ce long processus, infirmait l’argument selon lequel le délinquant n’était toujours pas intégré à l’établissement, la raison qui justifiait le maintien de sa cote de sécurité maximale depuis des années. De plus, de juillet 2022 à mai 2023, aucun incident ni aucun problème de comportement n’a été consigné pendant la période où le délinquant était intégré à sa rangée à l’Établissement de Millhaven.

Après un examen exhaustif des documents au dossier et des décisions pertinentes ainsi que des consultations auprès du personnel de l’Établissement de Millhaven et de l’AR, de l’Ontario, le comité d’examen a conclu que la décision du 13 février 2023 concernant la reclassification au niveau de sécurité moyenne et la décision du 27 mars 2023 concernant l’approbation du transfèrement à l’Établissement de La Macaza ont été prises conformément aux lois et politiques, à savoir la LSCMLC, la DC 705-7, la DC 710-6, la DC 710-2 et les LD 710-2-3.

En ce qui concerne la façon dont les victimes ont été informées du transfèrement du délinquant le 29 mai 2023, le comité d’examen a analysé les renseignements provenant du module Services aux victimes et la correspondance au dossier. Des démarches pour aviser les victimes du transfèrement du délinquant ont été entreprises le jour même du transfèrement. Le matin du 29 mai 2023, avant le transfèrement, les victimes ont été prévenues par téléphone (certaines victimes inscrites n’ont pas pu être jointes immédiatement). Le Bureau des services aux victimes a expliqué au comité d’examen que ce type de préavis n’est pas exigé par les politiques, mais qu’il a été jugé nécessaire de procéder de la sorte, étant donné la nature très délicate et hautement médiatisée du cas. Dans l’après-midi du 29 mai 2023, après le transfèrement du délinquant, on a de nouveau communiqué avec les victimes inscrites par téléphone pour les informer que le délinquant avait été transféré à l’Établissement de La Macaza; le principal motif cité était la « réévaluation de la cote de sécurité ». L’agent des services aux victimes a également répondu aux questions des victimes au sujet des caractéristiques des établissements à sécurité moyenne. En plus des avis par téléphone, les victimes ont également reçu une lettre (par courrier ou par le Portail des victimes, selon la préférence indiquée au dossier) les informant du transfèrement effectué le 29 mai 2023.

Le comité d’examen a soigneusement analysé le cadre de politiques concernant les notifications aux victimes, notamment la DC 784 et l’« outil d’avis de transfèrement » connexe. En ce qui concerne un transfèrement d’un établissement à sécurité maximale à un établissement à sécurité moyenne, la politique stipule qu’il faut communiquer aux victimes inscrites les renseignements suivants : le nom et l’emplacement du nouvel établissement, la raison du transfèrement et la date du transfèrement. En ce qui concerne le moment de l’avis, dans les cas de transfèrement vers un établissement à sécurité moyenne ou maximale, l’établissement doit aviser le Bureau des services aux victimes dès que le délinquant a été transféré. À son tour, le Bureau des services aux victimes doit aviser la victime le jour du placement ou du transfèrement du délinquant ou dès que possible par la suite. Ainsi, dans le présent cas, les exigences quant au délai d’avis et aux renseignements à communiquer aux victimes ont été respectées.

Bien qu’un préavis (avant le jour du transfèrement) ne soit pas exigé par la politique, le comité d’examen s’est demandé si un engagement plus proactif auprès des victimes aurait néanmoins été permis. Plus précisément, le comité d’examen a soulevé la question de savoir s’il y aurait eu lieu d’informer les victimes, de manière générale et sans compromettre la sécurité opérationnelle, de la possibilité d’un transfèrement, lorsqu’on leur a transmis le Rapport d’étape du plan correctionnel en mars 2023. Le comité d’examen s’est également demandé si la disposition de la DC 784Note de bas de page 1, portant sur les « circonstances exceptionnelles » s’appliquerait dans le cas présent, quoiqu’une interprétation juridique s’imposerait.

Dans l’ensemble, le comité d’examen a conclu qu’il aurait vraisemblablement été possible de communiquer avec les victimes de façon plus proactive et fructueuse tout en respectant la Loi sur la protection des renseignements personnels et les protocoles établis. De l’avis du comité d’examen, cette approche aurait été plus conforme à l’esprit de la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité, notamment le principe selon lequel les victimes d’actes criminels doivent être traitées avec « courtoisie, compassion et respect ».

En ce qui concerne la communication de renseignements au sein du SCC, l’examen de la correspondance et d’autres documents a révélé que l’Établissement de Millhaven, l’administration régionale et l’administration centrale avaient maintenu une communication continue au sujet du transfèrement possible ou à venir du délinquant depuis novembre 2022. Ces communications étaient conformes aux protocoles de communication de renseignements établis dans la DC 701 en ce qui concerne les cas de délinquants ayant un indicateur de « délinquant notoire » actif au dossier. Bien qu’aux termes de la DC 701, il ne soit pas requis d’aviser le ministre de la Sécurité publique en cas de transfèrement d’un délinquant notoire, le comité d’examen a appris que le SCC avait informé le cabinet du ministre et le Bureau du Conseil privé du transfèrement à venir du délinquant le 2 mars 2023 et le 25 mai 2023, et transmis un troisième avis au Bureau du Conseil privé le 26 mai 2023.

À la lumière des conclusions du présent examen, il est recommandé que la commissaire mette sur pied, dès que possible, un comité de travail multidisciplinaire afin d’améliorer les politiques et les pratiques ayant trait à l’engagement des victimes et à la notification aux victimes au Service correctionnel du Canada. Cette recommandation tient compte du fait que le processus de notification aux victimes peut avoir de profondes répercussions sur celles-ci, dont le risque qu’elles subissent un nouveau traumatisme. Plusieurs domaines d’intérêt sont proposés aux fins d’examen et de suivi, lesquels sont décrits dans la section du présent rapport portant sur les recommandations.

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