Le nez partout? La menace de l’ingérence étrangère dans les régimes démocratiques

La Nouvelle-Zélande constitue un exemple frappant de la façon dont la Chine est prête à utiliser des liens économiques pour s’ingérer dans la vie politique d’un pays partenaire. Une stratégie vigoureuse a été mise en œuvre pour influer sur le processus de décisions stratégiques, obtenir des avantages injustes dans le milieu du commerce et des affaires, éliminer toute critique de la Chine, faciliter l’espionnage et exercer une influence sur les communautés chinoises à l’étranger. Les petits États sont particulièrement vulnérables aux stratégies d’ingérence de la Chine.

Tout comme d’autres pays, la Nouvelle-Zélande est la cible d’une campagne d’ingérence étrangère concertée que mène la République populaire de Chine (RPC). Cette campagne vise à obtenir la collaboration des élites politiques et économiques afin de recueillir des appuis pour les programmes politiques et économiques du Parti communiste chinois (PCC). Elle a aussi pour but d’avoir accès à des informations et à des ressources stratégiques. Les activités des Chinois nuisent à l’intégrité du système politique de la Nouvelle-Zélande, menacent la souveraineté du pays et portent directement atteinte à la liberté de parole, d’association et de religion des Néo-Zélandais d’origine chinoise.

La RPC aspire à devenir une grande puissance et cherche à modifier l’ordre mondial. Sous la direction du secrétaire général du PCC, Xi Jinping, elle revendique désormais un rôle de chef de file dans les affaires mondiales et met en œuvre une politique étrangère ferme. Dans les années 1960, la Chine de Mao Zedong était présentée comme le centre de la révolution mondiale. Sous la direction de Xi toutefois, la RPC vise à diriger la mondialisation 2.0, c’est‑à-dire créer un ordre économique axé sur la Chine, soit un nouveau bloc économique et stratégique baptisé « Une ceinture, une route ». La politique étrangère ferme de Xi Jinping consiste notamment à accroître les activités d’ingérence politique du PCC (ces activités sont connues en Chine sous le nom de « stratégie du front uni »). La stratégie du front uni revêt actuellement une importance qui n’avait pas été observée en Chine depuis avant 1949, alors que le PCC formait l’opposition. Cette stratégie intègre la collaboration des élites, la gestion de l’information, la persuasion ainsi que l’accès à des informations et à des ressources stratégiques. Elle a aussi souvent servi à faciliter des activités d’espionnage. Influer sur le processus décisionnel de sociétés et de gouvernements étrangers de manière à favoriser la Chine représente l’un des principaux objectifs de cette stratégie.

Sous le règne de Xi, les activités d’ingérence politique s’inspirent en grande partie des stratégies définies à l’époque de Mao ainsi que des politiques de Deng Xiaoping, de Jiang Zemin et de Hu Jintao, mais elles atteignent un nouveau sommet d’ambition. Cette situation témoigne de la confiance grandissante du gouvernement actuel en l’influence de la Chine à l’échelle internationale et met en évidence la stratégie aux enjeux élevés mise en œuvre par Xi pour préserver son régime par la stimulation de la croissance économique et le resserrement du contrôle de l’information. 

Tout comme Mao, Xi insiste sur l’importance du contrôle de l’information. Dans le contexte moderne, cela touche non seulement la sphère publique chinoise, mais également la façon dont les médias et les universitaires à l’échelle internationale dépeignent la Chine et les enjeux connexes. C’est pourquoi l’antenne internationale de la télévision centrale chinoise, le China Global Television Network, diffuse en tout temps des émissions par satellite ainsi que du contenu sur les médias sociaux afin de faire connaître la ligne du PCC au reste du monde (l’accent étant mis sur le commerce et non sur la politique). Par ailleurs, Radio Chine internationale et l’agence de presse Xinhua se sont accaparées, grâce à des fusions et à des ententes de partenariat, de chaînes de radio et de télévision ainsi que de plateformes en ligne à l’étranger dans des créneaux bien précis. Le China Daily, le journal en anglais du PCC, a conclu des ententes avec de grands journaux partout dans le monde pour la publication de suppléments. La Chine a également annoncé des ententes de collaboration dans le domaine des médias avec des pays qu’elle qualifie de partenaires stratégiques, comme la Russie, la Turquie et les 16+1 (pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, plus la Chine). De plus, les universités et les presses universitaires chinoises ont conclu des partenariats avec leurs équivalents à l’étranger. Par conséquent, nous pouvons régulièrement observer la censure chinoise s’immiscer dans ces secteurs. 

En septembre 2014, Xi a prononcé un discours sur l’importance de la stratégie du front uni. Citant Mao, il a présenté cette stratégie comme l’une des « armes magiques » du PCCNote de bas de page 55  , les deux autres étant le renforcement du Parti et les activités militaires, qui occupent une grande place dans la Chine de Xi. En mai 2015, Xi a présidé une conférence nationale sur la stratégie du front uni (la première en neuf ans) et a formé, en juillet 2015, un petit groupe dirigeant chargé de cette stratégieNote de bas de page 56  . 

Les activités d’ingérence sous le règne de Xi peuvent être regroupées en quatre catégories.

  • Le renforcement des efforts pour gérer et diriger les communautés chinoises à l’étranger et les utiliser comme agentes de la politique étrangère chinoise.
  • Le regain d’importance accordée aux relations personnelles, aux relations entre partis et aux relations entre entreprises chinoises et étrangères dans le but d’obtenir la collaboration d’étrangers pour soutenir et favoriser les objectifs de la politique étrangère de la RPC.
  • La mise en œuvre d’une stratégie de communication multiplateforme générale.
  • La formation d’un bloc économique et stratégique axée sur la Chine.

Pour les instances dirigeantes du PCC, la Nouvelle-Zélande illustre parfaitement les relations qu’elles aimeraient entretenir avec d’autres États dans l’avenirNote de bas de page 57  . Les activités d’ingérence politique de la RPC en Nouvelle-Zélande ont maintenant atteint un seuil critique.

Pourquoi la Chine s’intéresse-t-elle à la Nouvelle-Zélande?

La Nouvelle-Zélande présente un intérêt pour le Parti, l’État, l’armée et le marché de la Chine pour diverses raisons importantes. 

  • Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande est chargé de la défense et des affaires étrangères du pays, mais également de celles de trois territoires du Pacifique Sud, soit les îles Cook, Nioué et Tokelau, ce qui signifie quatre votes possibles pour la Chine dans des tribunes internationales. 
  • Depuis l’adoption, en 2011, d’une loi visant à encourager l’investissement de fonds étrangers en Nouvelle-Zélande, cette dernière a acquis une certaine réputation de centre de blanchiment d’argent mondial. Les îles Cook, Nioué et Tokelau sont aussi des endroits bien connus pour le blanchiment d’argent.
  • La Nouvelle-Zélande est un État revendiquant des droits sur l’Antarctique et l’un des points d’accès les plus rapprochés de ce continent. La Chine a une stratégie à long terme en Antarctique qui nécessitera la collaboration d’États qui y sont établis, comme la Nouvelle-ZélandeNote de bas de page 58  .
  • La Nouvelle-Zélande possède des terres arables bon marché et a une population clairsemée. De son côté, la Chine cherche à avoir accès à des terres arables à l’étranger pour améliorer sa sécurité alimentaire. 
  • Vingt-quatre pour cent du lait importé par la Chine provient de la Nouvelle-Zélande. La Chine est le plus gros investisseur étranger dans le secteur laitier néo‑zélandaisNote de bas de page 59  .
  • La Nouvelle-Zélande est utile pour la recherche sur l’espace proche, un nouveau domaine important des recherches sur les armes menées par l’Armée populaire de libération (APL). 
  • La Nouvelle-Zélande possède des ressources pétrolières et gazières inexplorées, tandis que la Chine élargit ses activités d’exploration pétrolière et gazière en mer.
  • La Nouvelle-Zélande possède un savoir-faire utile à la Chine dans le domaine des négociations commerciales multilatérales, des affaires du Pacifique, de la recherche scientifique en Antarctique et de l’horticulture.

Par ailleurs, la Nouvelle-Zélande est partie à l’entente des services de renseignement du Groupe des cinq (comme le Royaume-Uni, les États‑Unis, le Canada et l’Australie) et aux accords de défense des cinq puissances (elle fait partie de leurs regroupements militaires non officiels), en plus d’être un État membre de l’OTAN. Sortir la Nouvelle‑Zélande de ces groupements militaires et l’éloigner de ses partenaires traditionnels représenterait, pour le gouvernement Xi, un coup de maître dans l’atteinte de l’objectif stratégique, c’est-à‑dire faire de la Chine une grande puissance mondiale. Du point de vue de Beijing, les relations économiques, politiques et militaires que la Nouvelle-Zélande entretient avec la RPC représentent un modèle à appliquer dans les relations avec l’Australie et les petits États insulaires du Pacifique Sud et, de manière plus générale, dans les relations avec d’autres États occidentaux. La Nouvelle-Zélande s’avère aussi utile pour la Chine, ainsi que pour d’autres États comme la Russie, car elle représente un point faible par lequel avoir accès aux services de renseignement du Groupe des cinq. Le pays constitue aussi un site stratégique possible pour les installations navales de la marine de l’APL dans l’hémisphère sud ainsi que pour une station terrestre Beidou-2. Il existe déjà plusieurs de ces stations en AntarctiqueNote de bas de page 60  . Pour toutes ces raisons, la Nouvelle-Zélande revêt un grand intérêt pour la RPC. 

Les activités d’ingérence de la Chine en Nouvelle-Zélande prennent les formes qui suivent.

  • La Chine fait des efforts ciblés pour obtenir la collaboration de membres des élites commerciales, politiques et intellectuelles néo-zélandaises de façon à ce qu’elles défendent ses intérêts en Nouvelle-Zélande et à l’échelle internationale. À cette fin, elle utilise des occasions d’affaires et des investissements, des témoignages d’honneur, des activités d’accueil politique, des bourses d’études, des liens entre partis et des projets personnalisés.
  • Elle fait des dons politiques ciblés par l’intermédiaire de gens d’affaires d’origine chinoise qui entretiennent des liens étroits avec le PCC. 
  • Elle réalise des efforts colossaux pour que les médias en chinois, les groupes communautaires chinois et les politiciens d’origine chinoise en Nouvelle-Zélande soient sous l’emprise du PCC, en plus de s’efforcer d’influer sur leur vote.
  • Elle se sert de fusions, d’acquisitions et de partenariats avec des entreprises, des universités et des centres de recherche néo-zélandais afin de pouvoir mettre à profit des images de marque locales qui améliorent ses activités d’ingérence et pour avoir accès à de la technologie militaire, des secrets commerciaux et d’autres informations stratégiquesNote de bas de page 61  .

Certaines de ces activités menacent directement la sécurité nationale de la Nouvelle‑Zélande, tandis que d’autres ont un effet destructeur à long terme. Les activités d’ingérence politique de la Chine ont eu de profondes répercussions sur la démocratie en Nouvelle-Zélande : effritement de la liberté de parole, de religion et d’association pour la communauté chinoise, étouffement des débats sur la RPC dans la sphère publique générale et effet corrupteur sur le système politique en raison des différences qui s’estompent entre les intérêts personnels, politiques et économiques. Les petits pays comme la Nouvelle‑Zélande sont très vulnérables à l’ingérence étrangère. En effet, les médias disposent de ressources limitées et n’ont pas de concurrents. De plus, le secteur de l’enseignement supérieur est de petite taille, ce qui fait que, malgré les lois sur la liberté d’enseignement, il est facile d’en intimider les intervenants ou d’obtenir leur collaboration. Toutefois, l’ingérence étrangère (peu en importe l’origine) n’est efficace que si la population du pays visé ferme les yeux sur celle-ci ou la tolère.

La RPC n’a pas eu à exercer de pressions sur la Nouvelle-Zélande pour que celle-ci accepte les activités de puissance douce et d’ingérence politique de Beijing; des gouvernements néo‑zélandais successifs ont plutôt énergiquement cherché à obtenir ses bonnes grâces. Depuis le début des relations diplomatiques avec la RPC en 1972, les gouvernements de la Nouvelle-Zélande ont eu pour politique d’attirer l’attention et la faveur de Beijing par un soutien très médiatisé du nouveau programme économique de la ChineNote de bas de page 62  . Les gouvernements néo-zélandais ont également encouragé la Chine à mener des activités dans la région, du Pacifique Sud à l’Antarctique, d’abord en tant que donneur d’aide et partenaire scientifique afin de contrebalancer l’influence soviétique, puis, à compter de 2014, dans le cadre de la « diversification » des liens militaires de la Nouvelle-Zélande avec d’autres pays que ceux du Groupe des cinqNote de bas de page 63  . En mai 2017, la Nouvelle-Zélande a accepté de promouvoir les politiques du programme « Une ceinture, une route » en Océanie, y compris sur son territoire. Elle a également été le premier pays occidental à conclure un accord de coopération avec la RPC à cet égard.  

Le gouvernement du Parti national de la Nouvelle-Zélande (2008-2017) appliquait deux grands principes relativement à la Chine. Il y avait d’abord la politique du « sans surprise »Note de bas de page 64  , ce qui signifiait que le gouvernement de la Nouvelle-Zélande, ses représentants ou quiconque ayant un lien avec ses activités devaient éviter de dire ou de faire quoi que ce soit pouvant offenser le gouvernement de la RPC, ce qui avait inévitablement un effet paralysant sur les discussions politiques normales. Le deuxième principe consistait à « établir une bonne relation politique ». Sous le Parti national, cela en est venu à signifier l’établissement de liens politiques étroits avec des dirigeants locaux et nationaux du PCC, leurs représentants et des acteurs connexes en Nouvelle-Zélande. Ces deux principes ont contribué au succès des activités d’ingérence politique chinoises en Nouvelle-Zélande.

Pourtant, contrairement à l’Australie, la question de l’intensification des activités d’ingérence de la Chine n’avait encore jamais été soulevée publiquement en Nouvelle‑Zélande. Dans ce contexte, la publication, une semaine avant les élections nationales du 23 septembre 2017, du rapport de recherche d’Anne-Marie Brady, intitulé « Magic Weapons: China’s Political Influence Activities under Xi Jinping » [Armes magiques : Activités d’ingérence politique de la Chine sous Xi Jinping], a lancé le débat et a provoqué un tollé médiatique à l’échelle nationale et internationale. Fait inhabituel, l’auteure a décidé de publier ce qui était au départ un document de conférence qui n’était pas destiné à être diffusé, car il contenait des informations d’intérêt public. Les questions soulevées ont touché les deux grands partis politiques de la Nouvelle-Zélande, et l’article a eu une incidence considérable au pays et sur la scène internationale.

Le nouveau gouvernement de coalition (formé par le Parti travailliste, le Parti vert et le parti Nouvelle-Zélande d’abord) se retrouve dans une position difficile en raison de l’attention portée par les médias nationaux et étrangers aux activités d’ingérence de la Chine en Nouvelle-Zélande. Pour régler ce problème, il ne peut pas se contenter d’attaquer les politiques du gouvernement précédent. Il doit également mettre de l’ordre dans ses propres affaires et prendre des mesures relativement à la participation de certains de ses politiciens haut placés dans des activités liées à la stratégie du front uniNote de bas de page 65  . La Nouvelle‑Zélande doit indiquer à ses alliés qu’elle va s’attaquer au problème, et ce, sans offenser la RPC, qui surveille de très près les actions du nouveau gouvernement. Il faudra des efforts acharnés pour modifier l’orientation donnée à la Nouvelle‑Zélande par le gouvernement nationaliste précédent, qui visait à resserrer encore plus la relation avec la RPC.  

La Chine est le deuxième partenaire commercial en importance de la Nouvelle‑ZélandeNote de bas de page 66  . Les deux pays ont conclu une entente globale de collaboration en 2003 et une entente globale de partenariat stratégique en 2014. La Nouvelle-Zélande étend en ce moment ses relations avec la Chine à d’autres domaines que le commerce, comme les finances, les télécommunications, la foresterie, la sécurité et la salubrité alimentaires, l’éducation, les sciences et la technologie, le tourisme, la lutte contre le changement climatique et la coopération en Antarctique, voire la collaboration militaire. À l’inverse, le gouvernement Trump n’a pas ratifié le Partenariat transpacifique, que la Nouvelle‑Zélande a contribué à mettre sur pied.

Dans le nouvel ordre mondial en évolution, la Nouvelle-Zélande, comme de nombreux autres petits États, doit travailler en partenariat avec des gouvernements de même tendance et abandonner la notion selon laquelle elle a besoin de la protection de l’une ou l’autre des grandes puissances mondiales. Les activités d’ingérence politique de la Chine s’inscrivent dans une politique étrangère générale. Les amis et les alliés de la Nouvelle‑Zélande peuvent l’aider, ainsi que d’autres petits États vulnérables, en trouvant des moyens d’établir des partenariats économiques. Ainsi, il ne s’avérera plus aussi nécessaire de devoir faire des concessions politiques à la RPC pour obtenir des avantages économiques, soit le choix faustien du précédent gouvernement néo-zélandais.

Conclusion

Tous les pays s’opposent à l’ingérence d’autres nations dans leurs affaires politiques. La RPC réprimande souvent les États-Unis et d’autres États qui, à son avis, se mêlent de sa politique nationale. En outre, elle présente la non-ingérence dans les affaires des autres pays comme un principe important de sa politique étrangère, bien que la stratégie du front uni soit toujours allée à l’encontre de cet idéal. Pour un petit État comme la Nouvelle‑Zélande, ancienne colonie d’une grande puissance protégée par une autre grande puissance depuis plus de soixante ans, il n’est pas toujours facile de savoir comment se défendre contre l’ingérence politique étrangère. Pour y parvenir, il faut la volonté politique du gouvernement en place et le soutien de la population. Si la Nouvelle‑Zélande trouve un meilleur moyen de gérer ses relations économiques et politiques avec la RPC, elle pourrait servir d’exemple à d’autres pays occidentaux.

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