2010-TSSTC-006

TSSTC-10-006

Référence : Armstrong c. Canada (Service correctionnel), 2010 TSSTC 6

Date: 2010-03-29

Décision nº: 2004-34

Rendue à: Ottawa

Entre :

B. Armstrong et autres, appelants
-et-
Service correctionnel du Canada, intimé

Affaire : Appel interjeté à l’encontre d’une décision rendue par un agent de santé et sécurité en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail

Décision : La décision est annulée et une instruction est donnée.

Décision rendue par : M. Douglas Malanka, agent d’appel

Langue de la décision: Traduction de l’anglais

Pour les appelants : Mme Corinne Blanchette, conseillère syndicale, UCCO-SACC-CSN (Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – Confédération des syndicats nationaux)

Pour l’intimé: M. Richard Fader, avocat, ministère de la Justice du Canada

Motifs

[1] Il s’agit d’un appel interjeté par seize employés du Service correctionnel du Canada (SCC) en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une décision rendue par l’agent de santé et sécurité (l’ASS) Michael O’Byrne selon laquelle le danger invoqué par les employés n’existait pas.

Contexte

[2] À la mi-mai 2004, les détenus de l’Établissement de Kent étaient en colère en raison de divers incidents tels des agressions au couteau, des incidents violents et de fouilles survenues pendant l’isolement cellulaire. Cette situation a amené le directeur à accorder aux agents correctionnels (AC) qui travaillent dans les unités résidentielles de l’Établissement l’autorisation générale de porter couramment à leur ceinturon de service un aérosol à base d’oléorésine de type capsicine (aérosol capsique) ou du gaz poivré.

[3] Les évaluations quotidiennes de la menace et du risque (ÉMR) se sont poursuivies afin d’évaluer l’humeur et le comportement des détenus. Le 26 juillet 2004, le directeur a décidé que l’Établissement de Kent devait revenir à une situation gérable régulière. Il a annulé l’autorisation générale donnée aux AC travaillant dans les unités résidentielles de porter couramment un aérosol capsique à leur ceinturon de service. Si ces AC avaient besoin d’un aérosol capsique, il leur faudrait en obtenir un de nouveau au poste de contrôle se trouvant à une extrémité de la rangée.

[4] Le 26 juillet 2004, seize (16) AC touchés par la décision du directeur ont refusé de travailler parce qu’ils ne se sentaient pas en sécurité en ne portant pas leur aérosol capsique. L’employeur a fait enquête sur le refus de travailler et a conclu à l’inexistence d’un danger dans le cas des 16 AC. Ces employés ont continué de refuser à travailler et l’agent de santé et sécurité du Programme du travail du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada (RHDCC) a été informé du maintien des refus de travailler.

[5] L’agent de santé et sécurité a fait enquête sur les refus de travailler et a décidé que le danger invoqué par les employés constituait une condition normale d’emploi. Il a donc conclu à l’inexistence d’un danger aux termes du Code. Il a informé de vive voix l’employeur et les employés de sa décision le 26 juillet 2004 et a confirmé sa décision par écrit le 28 juillet 2004.

[6] Le 3 août 2004, les 16 AC ont interjeté appel de la décision de l’agent de santé et sécurité devant un agent d’appel et j’ai été saisi de l’appel. Par la suite, les parties ont tenté de régler l’affaire entre elles. Finalement, des audiences devaient avoir lieu du 6 au 10 avril et les 27 et 28 juillet 2009.

[7] L’ASS O’Byrne a témoigné à l’instruction de l’appel en se reportant à son rapport intitulé Investigation Report and Decision (rapport d’enquête et décision) daté du 4 août 2004. Les parties ne se sont pas objectées à la présentation du rapport par l’ASS à cet agent d’appel.

Questions en litige

[8] Le présent appel soulève les questions suivantes à trancher :

  • Existait-il un danger le 26 juillet 2004 pour les seize AC qui ont refusé de travailler?
  • Si je réponds affirmativement à cette question, le danger constitue-t-il une condition normale d’emploi?

Argumentation présentée par les parties

A) Arguments des appelants

[9] C. Blanchette, représentante des employés, a présenté 49 pièces et a produit 6 témoins. Voici l’identité des six témoins :

  • l’AC Steven Latulippe
  • l’agent de libération conditionnelle Leighton Johnson (ancien AC à l’Établissement de Kent)
  • l’AC Karmen Aulakh
  • l’AC Juan Verville
  • l’AC Tim Sterkenburg
  • l’inspecteur John McKay, de la Police de Vancouver.

[10] C. Blanchette a soutenu que l’aérosol capsique au ceinturon de service des AC est un dispositif de protection essentiel, car leur travail dans les unités résidentielles les met en contact avec des détenus jusqu’à 90 % du temps. Elle a fait valoir que l’aérosol capsique a un effet dissuasif sur les agressions, réprime rapidement les incidents et aide les AC à reprendre et à conserver la maîtrise d’une situation. C. Blanchette a mentionné ce qui suit :

  • les descriptions de travail des AC I et II, l’« ordre de poste du bloc » à l’Établissement de Kent, la « Directive du commissaire 567, Gestion des incidents de sécurité » et le document sur la planification des urgences daté de 2006, selon lesquels les AC possèdent le statut d’« agent de la paix » et la responsabilité d’intervenir dans des incidents impliquant des détenus;
  • les témoignages d’AC, selon lesquels le temps d’intervention lors d’une alarme relative à un incident varie de 15 à 45 secondes. C. Blanchette a soutenu qu’une blessure à des AC qui se trouvent dans une unité résidentielle peut survenir à la suite de coups de pied, de coups de poing et d’agressions au couteau subis au cours de cette période;
  • le témoignage de l’AC Aulakh selon lequel la sécurité du personnel revêt une importance primordiale dans une intervention lors d’un incident impliquant des détenus, mais selon lequel on ne sait pas toujours clairement comment remplir les deux exigences qui consistent à intervenir immédiatement et à protéger la santé et la sécurité des personnes concernées;
  • la preuve selon laquelle les AC des autres unités résidentielles sont généralement les premiers sur les lieux d’un événement lors d’une alarme relative à un incident. D’après la preuve, cette situation découle du fait que les agents de contrôle des déplacements des détenus (CDD) qui sont tenus de répondre à des alarmes relatives à un incident et qui sont munis d’un aérosol capsique peuvent être déployés n’importe où dans l’Établissement. C. Blanchette mentionne le témoignage de l’AC Verville, selon lequel le rôle principal d’un agent correctionnel consiste à superviser l’intervention, et non à prendre part à l’incident;
  • les documents présentés par l’inspecteur J. McKay, qui montrent que l’aérosol capsique constitue un dispositif efficace pour empêcher les agressions à l’endroit d’agents d’application de la loi et pour faire diminuer les blessures à ces agents et aux agresseurs lorsque de telles agressions surviennent;
  • M. Gabor, qui a témoigné pour l’intimé, a convenu en contre-interrogatoire que l’efficacité de l’aérosol capsique s’établit à au moins 85 %;
  • les témoignages des AC Sterkenburg et Latulippe selon lesquels l’aérosol capsique a un effet dissuasif et limitatif efficace sur la violence, même s’il n’est pas utilisé. Ils ont cité des incidents dans le cadre desquels le seul fait de pointer l’aérosol suffisait pour obtenir la conformité;
  • le SCC a décidé que le seul fait de pointer l’aérosol capsique n’équivaut pas à un usage de la force;
  • des témoignages d’AC selon lesquels sans aérosol capsique, les AC doivent avoir recours au contrôle physique lorsque l’interaction verbale n’obtient pas de succès ou est irréalisable. Cette situation a entraîné des échauffourées plus longues ainsi que des blessures pour les détenus et les AC impliqués. L’AC Verville a témoigné qu’il s’est absenté du travail pendant 4 mois à la suite d’une blessure qui a découlé d’un épisode de contrôle physique;
  • les témoignages d’AC selon lesquels le contrôle physique expose les AC à des maladies contractées à la suite d’un contact avec les fluides corporels des détenus. L’exposition peut être rattachée à l’échauffourée ou découler de l’utilisation, par le détenu, de son fluide corporel comme arme;
  • les témoignages d’AC selon lesquels l’aérosol capsique, par lui-même ou combiné au contrôle physique, diminue efficacement la durée de l’incident et par conséquent la possibilité de blessure ou la gravité de celle-ci. Des AC ont affirmé que même dans les cas où l’efficacité de l’aérosol capsique est réduite lorsque des détenus ont consommé des stupéfiants ou sont concentrés sur leur projet d’agresser un agent, l’aérosol capsique nuit aux agresseurs en leur faisant fermer les yeux, ce qui facilite le contrôle physique, ce qui, selon eux, raccourcit la durée de l’échauffourée et amoindrit le risque de blessure grave;
  • la preuve non contestée présentée par J. McKay et par des AC, selon laquelle la taille et la force importent lorsque l’on tente d’avoir recours au contrôle physique pour maîtriser un détenu. Sans aérosol capsique à leur ceinturon de service, les AC qui sont plus petits et moins forts seront considérablement désavantagés s’ils sont contraints d’avoir recours au contrôle physique;
  • le témoignage de J. McKay selon lequel l’effet de l’aérosol capsique n’est généralement pas durable.

[11] D’après C. Blanchette, l’argument du SCC à l’encontre de la remise automatique de l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans les unités résidentielles repose sur le fait que la fréquence des agressions qui surviennent à l’Établissement de Kent est faible et que les agressions n’ont entraîné ni blessure grave ni décès. Selon C. Blanchette, les données sur les incidents et les blessures du SGD fournies par le SCC à M. Gabor et présentées à cette audience sont viciées et ne devraient se voir accorder aucune valeur probante pour les motifs suivants :

  • la décision du SCC de classer les blessures comme blessures mineures n’est pas cohérente avec le Code. C. Blanchette a fait valoir que je dois tenir compte de toutes les blessures et accorder de l’attention à la définition de blessure invalidante qui se trouve dans la Partie XV du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement);
  • les données fournies par le SCC à M. Gabor et présentées à cette audience ne tiennent pas compte de toutes les blessures subies par des AC, de la gravité de ces blessures ou du temps de travail perdu par les AC;
  • les lacunes dans les statistiques sur les blessures qui sont établies par le SCC ne sont pas imputables aux AC. Elle a affirmé que les AC remplissent deux formulaires : le premier est le Rapport d’observation ou déclaration d’un agent qui constitue un document de sécurité, et l’autre est la demande d’indemnisation pour accident du travail. C. Blanchette a fait valoir qu’à titre de document de sécurité, le Rapport d’observation ou déclaration d’un agent n’est pas un résumé des blessures subies par les AC au travail;
  • le témoignage de la directrice Knopf selon lequel le tableau de données fourni par le SCC à M. Gabor et présenté à cette audience ne comprenait pas de renseignements sur la blessure, sa gravité ou les jours de temps perdu. Dans certains cas, les blessures déclarées comme des blessures mineures constituaient dans les faits des blessures graves;
  • le document intitulé « Lockdown, Kent Institution - Plan of Action », daté du 16 juin 2003, présenté à cette audience, indique que les blessures subies par l’AC Johnston étaient mineures. C. Blanchette a fait observer que l’AC Johnston a été en interruption de service pendant dix semaines et a été incapable de reprendre son occupation d’avant la blessure. C. Blanchette soutenait qu’il s’agissait d’une blessure invalidante, mais a déclaré que le SCC est d’avis qu’il n’existe pas de danger s’il n’y a ni blessure grave ni décès;
  • le tableau de données fourni par le SCC à M. Gabor couvrait moins de deux exercices;
  • la directrice Knopf a convenu que les statistiques du SCC ne sont pas rattachées aux demandes d’indemnisation pour accident de travail;
  • l’unité des soins de santé à l’Établissement de Kent classe les blessures en blessures graves ou mineures et fait rapport à cet égard, malgré le fait qu’elle n’offre que les premiers soins pour le personnel, et les AC consultant leur propre médecin à la suite d’une blessure;
  • le tableau de données fourni par le SCC à M. Gabor et présenté à cette audience n’inclut pas de données établissant que dans les faits, il y a eu une augmentation importante du nombre d’agressions à l’Établissement de Kent d’une année à l’autre. Les types d’agressions comprennent des coups de pied et des coups de poing donnés au personnel qui, selon M. Gabor, pourraient occasionner des blessures. C. Blanchette a également fait observer que lorsque deux membres du personnel sont agressés au cours d’un même incident, l’événement est consigné comme une seule agression;
  • en ce qui concerne le rapport dressé par le comité d’enquête de 2008 qui a fait enquête sur la plainte interne concernant l’article 127.1 déposée par deux AC, la directrice Knopf était d’accord avec la conclusion selon laquelle il y a eu une hausse du nombre d’agressions à l’endroit du personnel.

[12] C. Blanchette a fait valoir que même si l’employeur prétend que les politiques, procédures et ordonnances du SCC ramènent le risque à un niveau sécuritaire, il n’a produit aucune preuve pour étayer cette affirmation. C. Blanchette a soutenu que la Cour fédérale a déclaré dans la décision MillhavenFootnote 1 que l’employeur doit établir l’efficacité de ses politiques. C. Blanchette a relevé ce qui suit comme preuve que le risque n’a pas été ramené à un niveau sécuritaire :

  • la preuve de la description de travail des AC et le témoignage de M. Gabor, de J. McKay et des AC établissaient que les ÉMR ne peuvent ni prévoir ni empêcher une agression spontanée par un détenu;
  • l’ÉMR sur l’aérosol capsique ne respecte pas tous les critères et manque de transparence quant à la justification de l’attribution ou non de l’aérosol capsique à des AC travaillant dans les unités résidentielles. Elle a déclaré que les AC n’acceptent pas la position de l’employeur selon laquelle le processus des ÉMR est solide;
  • le comité d’enquête constitué pour faire enquête sur une plainte interne déposée par des AC en vertu de l’article 127.1 du Code a confirmé le 2 décembre 2008 que ce ne sont pas tous les rapports d’observation et déclaration d’un agent des AC qui sont revus et examinés par le gestionnaire correctionnel pour décider si un aérosol capsique devrait être fourni ou non aux AC;
  • le même comité d’enquête a fait observer le manque de participation du Comité mixte sur la santé et la sécurité au travail (CMSST) au processus d’ÉMR;
  • le processus actuel d’ÉMR est le même processus lacunaire auquel on s’en est remis à la veille de l’émeute de 2003 quand la directrice a décidé qu’il n’était pas nécessaire de fournir un aérosol capsique aux AC travaillant dans les unités résidentielles. Elle a fait observer qu’ultérieurement, l’employeur a décidé qu’un aérosol capsique serait fourni aux AC;
  • en contre-interrogatoire, la directrice Knopf a convenu que malgré toutes les mesures en place à l’Établissement de Kent, rien ne garantit qu’il n’y a ni stupéfiants ni couteaux dans l’Établissement;
  • les dispositifs d’alarme personnels portatifs (DAPP) ne sont pas toujours fiables pour indiquer aux premiers répondants où a lieu un incident. Les DAPP s’appliquent de façon générale à une unité résidentielle et n’indiquent pas à quel niveau l’incident survient. La preuve établissait que les premiers répondants se sont déjà rendus au mauvais niveau;
  • la preuve établit que lorsqu’un incident se produit, chaque seconde compte et que les retards dans l’obtention d’un aérosol capsique ont une corrélation directe sur la gravité de la blessure.

[13] C. Blanchette a fait valoir que la décision du SCC de ne pas fournir automatiquement un aérosol capsique aux AC qui travaillent dans les unités résidentielles n’est pas cohérente avec le recours à la force et avec la formation des AC et expose ces derniers au danger. Elle a soutenu qu’il ressortait ce qui suit de la preuve :

  • le modèle de recours à la force du SCC, le Modèle de gestion de situations (MGS), est similaire aux modèles utilisés par d’autres organismes d’application de la loi. C. Blanchette a souligné que le MGS guide les membres du personnel sur la manière de réagir au comportement humain des détenus et que tous les membres du personnel du SCC sont formés pour se servir de ce modèle;
  • le modèle MGS confirme que le comportement de l’être humain est imprévisible et que les détenus peuvent passer de coopératifs à responsables de blessures graves ou d’un décès instantanément et que l’escalade n’est pas nécessairement progressive;
  • d’après le MGS, l’utilisation de l’aérosol capsique précède le recours au contrôle physique. Le fait de ne pas fournir automatiquement un aérosol capsique aux AC qui travaillent dans les unités résidentielles signifie que les AC qui répondent à un appel à l’aide sur un DAPP doivent avoir recours au contrôle physique. L’aérosol capsique vient avant le contrôle physique parce que le contrôle physique occasionne des batailles et des luttes plus longues et expose les AC à un risque de blessure accru.

[14] D’après C. Blanchette, pour que l’aérosol capsique soit un dispositif efficace, les AC doivent savoir qu’ils peuvent en disposer en tout temps et acquérir la capacité de l’utiliser en période de forte tension. Elle a souligné la preuve selon laquelle :

  • l’AC Johnston avait l’aérosol capsique à son ceinturon de service au moment de l’émeute de 2003, mais n’a pas eu le réflexe de s’en servir lorsqu’il s’est fait agresser. Il a simplement oublié qu’il avait l’aérosol capsique en sa possession parce que certains jours, on lui en fournissait, et d’autres non;
  • J. McKay a témoigné que des dispositifs de sécurité doivent être présents en tout temps;
  • les représentants de l’employeur et des employés au comité d’enquête constitué de deux personnes sur la plainte interne déposée en vertu de l’article 127 par deux AC ont tous deux recommandé que le premier intervenant lors d’un incident obtienne un aérosol capsique.

[15] C. Blanchette a fait mention de la préoccupation de M. Gabor selon laquelle un vaporisateur d’aérosol capsique pourrait être enlevé à un AC et utilisé contre lui. Toutefois, selon C. Blanchette, aucun incident du genre n’est survenu à l’Établissement de Kent et l’employeur n’a présenté aucune preuve d’un tel événement.

[16] C. Blanchette n’était pas d’accord avec la préoccupation formulée par le SCC selon laquelle les AC pourraient trop compter sur l’aérosol capsique et en faire une utilisation excessive pour régler des incidents plutôt que d’amener les détenus à respecter les règles en ayant recours à des méthodes moins agressives. Elle a soutenu que le recours excessif n’est pas compatible avec le modèle du recours à la force et avec la formation que reçoivent les AC. Elle a également souligné que les AC qui font un usage excessif de l’aérosol capsique peuvent faire l’objet de poursuites pénales et de mécanismes de révision et de mesures disciplinaires internes s’ils sont trouvés coupables d’usage d’une force excessive pour contrer le comportement de détenus. En outre, les détenus peuvent déposer des plaintes à la Gendarmerie royale du Canada, au ministre et aux députés s’ils font l’objet d’une force excessive.

[17] C. Blanchette a fait valoir que la sécurité active et la sécurité passive vont de pair et qu’il ne s’agit pas de remplacer une par l’autre. C. Blanchette a souligné que les AC sont fiers et professionnels et qu’ils désirent assurer la sécurité active en toute sécurité.

[18] À cet égard, C. Blanchette a soutenu que l’intimé n’a jamais traité des témoignages des AC selon lesquels ils se sentaient davantage en confiance lorsqu’ils avaient un aérosol capsique à leur ceinturon de service et ils estimaient pouvoir assurer alors la sécurité active plus efficacement.

[19] C. Blanchette n’était pas d’accord pour affirmer que le fait de fournir automatiquement un aérosol capsique aux AC travaillant dans les unités résidentielles pourrait augmenter le niveau de tension dans l’Établissement. Elle a signalé le témoignage de la directrice Knopf selon lequel des mesures de sécurité passive, comme l’installation de caméras de surveillance et le boulonnage de tables et d’appareils ménagers, ont été prises dans les unités résidentielles de l’Établissement de Kent sans incident. Elle a fait valoir que le SCC n’a présenté aucune preuve que ces mesures ont donné lieu à de la tension dans les unités résidentielles.

[20] Mme Blanchette a souligné que la seule preuve soumise par l’employeur selon laquelle l’aérosol capsique pourrait faire augmenter la tension et créer un déséquilibre était l’incident survenu au gymnase. Le SCC estimait que les détenus ont cessé d’avancer vers les AC seulement lorsque ces derniers ont dit aux détenus que l’aérosol capsique n’avait pas été utilisé. C. Blanchette a contesté cette thèse et a fait valoir que la preuve révèle que les détenus ont reculé lorsque les AC leur ont dit qu’ils auraient recours à l’aérosol capsique.

[21] Mme Blanchette a souligné que dans ma décision rendue dans Agence Parcs Canada et Douglas MartinFootnote 2, j’ai statué que la fréquence des blessures ne constitue pas un facteur déterminant pour conclure à l’existence d’un danger. Elle a également souligné que le témoignage des gardes de parc a été accepté. Enfin, elle a souligné que le nombre d’agressions dont sont victimes chaque année les gardes de parc était inférieur au nombre annuel d’agressions que subissent les AC à l’Établissement de Kent. Elle a ajouté que les données sur les incidents et les blessures du Système de gestion des détenus (SGD) présentées par le SCC pour l’année 2008-2009 couvraient seulement une période de neuf mois.

[22] C. Blanchette a cité la décision Eric V. et Service correctionnel du CanadaFootnote 3 rendue par l’agent d’appel Serge Cadieux en date du 27 février 2009 et a fait valoir que dans cette affaire, le risque pouvait être contrôlé au moyen de mesures de protection.

[23] Mme Blanchette a déclaré que l’employeur invoque ses données sur le faible nombre d’agressions et de blessures graves pour soutenir qu’il n’y aura pas de blessure ou que celles-ci sont peu probables. Elle a fait valoir que les tribunaux supérieurs ont statué qu’il est question de la possibilité de blessure par opposition à la probabilité de blessure.

[24] C. Blanchette m’a demandé d’annuler la décision de l’ASS O’Byrne selon laquelle il n’existait pas de danger et de donner une instruction au SCC.

B) Arguments de l’intimé

[25] R. Fader, avocat de l’intimé, a présenté 54 documents et produit deux (2) témoins. Les deux témoins sont :

  • M. Thomas Gabor, professeur, Université d’Ottawa;
  • Diane Knopf, directrice, Établissement de Kent.

[26] R. Fader a déclaré que le SCC invoque l’avis d’expert de M. Gabor. Ce dernier a été reconnu par le Tribunal de santé et sécurité au travail du Canada (le Tribunal) comme expert dans le domaine de la criminologie qualifiée pour présenter un témoignage d’expert sur les avantages et les inconvénients de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans les unités résidentielles à l’Établissement de Kent. L’avocat a déclaré que M. Gabor s’est fait demander par le SCC de réunir des preuves sur l’effet net de l’aérosol capsique fourni aux AC, compte tenu des mesures de sécurité en place à l’Établissement de Kent. Plus précisément, le SCC a demandé à M. Gabor de répondre à la question de savoir si de façon générale, le fait de fournir automatiquement un aérosol capsique aux AC améliorerait ou minerait l’ordre et la sécurité dans l’Établissement de Kent.

[27] R. Fader a souligné le témoignage de M. Gabor au sujet des craintes qu’il a relevées sur la fourniture automatique de l’aérosol capsique aux AC dans les unités résidentielles :

  • il existe un équilibre fragile entre la sécurité passive et le traitement réservé aux êtres humains, et le contrôle exercé par la direction dans un établissement correctionnel représente un équilibre sélectif entre le contrôle coercitif et des incitatifs pécuniaires;
  • la fourniture automatique d’aérosol capsique, une arme offensive coercitive aux AC travaillant dans les unités résidentielles, pourrait porter ombrage au climat d’un établissement;
  • la mise en commun de renseignements est cruciale pour la sécurité des membres du personnel car ils peuvent ainsi être informés des menaces, des agressions qui se préparent ou de l’inconduite générale. Comme la collecte de renseignements repose sur la collaboration de la population des détenus, plus un établissement s’en remet au contrôle coercitif, plus il devient difficile d’obtenir des renseignements pour empêcher la violence;
  • la fourniture automatique d’un aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles pourrait les amener à faire un usage excessif de cette méthode coercitive et à moins utiliser le contrôle dynamique. Si l’aérosol capsique était utilisé de manière punitive plutôt que simplement défensive, il pourrait en découler un milieu de travail moins sûr pour tout le personnel.

[28] R. Fader a fait valoir que l’émeute de 2003 à l’Établissement de Kent montre comment un changement mineur tel qu’un détenu qui sert un autre détenu a causé une émeute.

[29] Selon R. Fader, M. Gabor a déclaré que sa recherche révélait que :

  • l’aérosol capsique n’est efficace que dans une proportion de 75 % et pourrait ne pas fonctionner dans le cas de personnes très concentrées sur la réussite de leur mission ou qui sont sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants;
  • des détenus pourraient enlever l’aérosol capsique aux AC et l’utiliser contre eux;
  • la décision de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles pourrait engendrer un genre de course aux armes chez les détenus.

[30] R. Fader a affirmé que le témoignage de l’AC Latulippe concernant l’incident survenu dans le gymnase a confirmé que l’aérosol capsique peut provoquer les détenus et causer une réaction violente. Il a également soutenu que l’incident dans le Bloc A appuie l’opinion de M. Gabor selon laquelle l’usage excessif de l’aérosol capsique pourrait placer les agents dans une situation plus périlleuse. Il a souligné que la réaction adéquate consistait à fuir et que c’est ce qu’a fait l’AC Latulippe.

[31] D’après R. Fader, le témoignage de l’AC Aulakh a confirmé que l’aérosol capsique est inefficace avec les personnes souffrant de problèmes mentaux et/ou sous l’emprise de stupéfiants.

[32] R. Fader a fait valoir que les incidents mentionnés dans le témoignage de l’AC Sterkenburg n’établissent pas que c’est le fait de ne pas avoir fourni automatiquement de l’aérosol capsique à la personne qui a causé des blessures.

[33] R. Fader a souligné que pour comprendre les avantages et les inconvénients de fournir automatiquement l’aérosol capsique, il faut prendre en compte la situation actuelle de l’Établissement de Kent. Il a déclaré que la preuve présentée par la directrice Knopf concernant les agressions du personnel était résumée dans les données sur les incidents et les blessures du SGD fournies par le SCC à M. Gabor et présentées à cette audience.

[34] R. Fader a fait observer que M. Gabor a mentionné dans son rapport que les agressions contre les AC entraînant des blessures graves ou des décès sont rares. M. Gabor a cité Light (cité dans Wortley, 2002:118) qui a étudié les agressions commises contre des gardes dans 31 pénitenciers de l’État de New York et a conclu que moins de 2 % des détenus avaient agressé un agent au cours de l’année précédente.

[35] R. Fader a souligné l’énoncé de M. Gabor selon lequel les données sur l’Établissement de Kent montrent qu’au cours des deux dernières années, il y a eu moins de deux douzaines d’agressions ayant causé des blessures, soit environ une par mois. M. Gabor a noté 135 incidents impliquant des menaces qui n’ont pas entraîné de blessures, soit moins de six menaces par mois. M. Gabor a ajouté que toutes les blessures étaient classées comme des blessures mineures, surtout constituées de lacérations et d’éraflures. M. Gabor a en outre fait observer que le dossier des incidents du SCC indiquait que peu de blessures ont nécessité des soins médicaux externes et se sont traduites par une hospitalisation.

[36] R. Fader a prétendu que les AC qui ont témoigné ont fait mention des incidents dans lesquels ils ont subi des blessures mineures comme des incidents qui n’ont pas découlé de l’absence de l’aérosol capsique à leur ceinturon de service. Il a souligné que ces incidents n’étaient pas documentés dans le rapport d’observation et déclaration d’un agent qui doit être rempli pour chaque incident de sécurité.

[37] R. Fader a soutenu que sur la base du témoignage de la directrice Knopf et des politiques, directives et des ordres permanents du SCC produits en preuve, il est clair que le SCC a traité tous les secteurs de risque au sein de l’Établissement de Kent.

[38] R. Fader a également prétendu que les documents présentés établissent clairement que le SCC insiste beaucoup sur la formation et sur la formation continue.

[39] Selon R. Fader, la preuve révèle qu’il y a une séance d’information toutes les matinées, au cours de laquelle il est décidé de fournir ou non l’aérosol capsique. De plus, la directrice Knopf a témoigné que l’évaluation de la menace et du risque a cours tout au long de la journée, au fur et à mesure que les renseignements deviennent disponibles. En outre, la preuve établissait que les évaluations de la menace et du risque peuvent être effectuées en tout temps et que les gestionnaires correctionnels possèdent le pouvoir de fournir l’aérosol capsique en situation d’urgence. Il a souligné que l’AC Verville a confirmé ce renseignement dans son témoignage.

[40] R. Fader a fait valoir que la preuve établit que l’aérosol capsique était disponible chaque fois que les AC en avaient besoin, et que tel devrait être le contexte de la réalisation de l’analyse des avantages et des inconvénients de l’aérosol capsique.

[41] R. Fader a soutenu, subsidiairement, que les politiques, les procédures, la formation et le matériel de protection en place et en usage à l’Établissement de Kent atténuent le danger dans une mesure raisonnable, ce qui fait que le danger qui subsiste est résiduel ou constitue une condition normale d’emploi.

[42] R. Fader a ajouté que le critère de la condition normale d’emploi a été énoncé par la Cour fédérale et confirmé par la Cour d’appel fédéraleFootnote 4 comme suit :

  • le concept distingue la méthodologie des caractéristiques essentielles;
  • le degré de risque identifié n’est pas une caractéristique essentielle, mais dépend de la méthode appliquée pour accomplir un travail ou exercer une activité;
  • en conséquence, un danger normal n’est pas un danger lié à une méthodologie qui pourrait habituellement être modifiée pour éliminer ou éviter le danger.

[43] R. Fader a demandé que l’appel soit rejeté intégralement.

Analyse

Existait-il un danger pour les seize AC qui ont refusé de travailler?

[44] La première question que je dois trancher consiste à déterminer s’il existait ou non un danger le 26 juillet 2004 pour les 16 AC qui ont refusé de travailler parce que le SCC ne fournit plus automatiquement de l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles.

[45] Le terme « danger » est ainsi défini à l’article 122 du Code:

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[46] Les AC de l’Établissement de Kent sont exposés à un danger potentiel qui réside dans les agressions spontanées de détenus à sécurité maximale. En l’espèce, la preuve confirme que l’agression spontanée commise par un détenu peut survenir sans provocation et sans avertissement. La preuve confirme en outre que le comportement du détenu peut passer de la collaboration à un comportement causant des blessures graves ou un décès sans escalade progressive de l’agressivité.

[47] Dans Verville c. Canada (Services correctionnels)Footnote 5 , à l’alinéa 36, Madame la juge Gauthier écrit que la définition de danger exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit raisonnablement possible que telles circonstances se produiront dans l’avenir :

[36] [...] Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[48] Pour conclure à l’existence d’un danger pour les seize AC qui ont refusé de travailler, je dois constater dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et il doit être établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

[49] À cet égard, la Cour fédérale a traité dans la décision susmentionnée des types de preuve qu’un juge des faits pourrait accepter comme suffisantes pour étayer une conclusion de danger. À l’alinéa 51, la juge Gauthier indique que le juge des faits peut s’appuyer sur des avis d’expert, sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise ou sur une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus. J’ai interprété cela comme une opinion fondée sur l’expérience de travail. L’alinéa 51 se lit comme suit :

[51] Finalement, la Cour relève qu’il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[50] À titre d’information, je mentionne que les AC qui ont témoigné sont des leaders chevronnés et exercés dans la formation d’autres agents et dans la constitution d’unités spéciales. Ce sont des professionnels réfléchis, rationnels et disciplinés.

[51] R. Fader a fait valoir que J. McKay possédait des compétences dans le recours à la force et que son point de vue concernant la prévisibilité du comportement des détenus et l’impact de fournir automatiquement un aérosol capsique aux AC travaillant dans les unités résidentielles allait au-delà de ses compétences. Toutefois, les vues de J. McKay au sujet du comportement criminel sont valides dans la mesure où elles sont directement liées à son interprétation et à son application des modèles de recours à la force. M. Gabor a déclaré que ses recherches confirment qu’il n’y a pas de spécialistes et qu’il existe peu d’études sur les agressions spontanées malgré le fait que la majeure partie de la violence dans les prisons soit spontanée, ce qui rend le témoignage de J. McKay plus convaincant dans la mesure où il s’applique au recours à la force.

[52] À cet égard, la preuve soumise me convainc que les AC possèdent le statut d’un agent de la paix et que les AC ont la responsabilité d’intervenir si un détenu subit un préjudice. Je suis également convaincu que dans le cadre du travail des AC, il existe un conflit entre le devoir d’intervenir et le devoir de se protéger et de protéger ses partenaires. Compte tenu de la dynamique associée à un incident, il n’est ni clair ni manifeste, au vu de la preuve, de quelle façon les AC doivent satisfaire aux deux exigences opposées. Compte tenu du libellé non équivoque des descriptions de travail et des ordres de poste des agents correctionnels, je m’attends à ce que les AC aient toujours tendance à intervenir.

[53] Bien que la directrice Knopf ait affirmé que l’un des AC pourrait courir jusqu’au poste de contrôle pour prendre de l’aérosol capsique, selon le témoignage non contesté des AC, ils ne peuvent laisser leur partenaire seul dans une rangée pendant un incident.

[54] Le fait d’avoir à courir jusqu’au poste de contrôle pour obtenir un dispositif en vue de dissuader les détenus d’avoir recours à la violence pourrait engendrer une escalade dans les incidents et faire augmenter le risque que les AC subissent des blessures graves.

[55] La preuve non contestée établissait qu’il peut y avoir des retards dans l’obtention de l’aérosol capsique au poste de contrôle si l’agent du poste est occupé à opérer les barrières et les portes ou à exercer d’autres fonctions.

[56] Les AC travaillant dans les unités résidentielles sont, aux termes de leur affectation, sur les lieux pour réagir à un incident. Par conséquent, la preuve établit qu’en situation d’agression, les AC sont laissés à eux-mêmes pendant de 15 à 45 secondes jusqu’à ce que les secours arrivent.

[57] La preuve non contestée établissait que le processus de l’ÉRM utilisé pour déterminer si l’aérosol capsique sera fourni ou non aux AC travaillant dans les unités résidentielles un jour donné ne peut prévoir le comportement humain ni le moment d’une agression spontanée. Comme l’a affirmé M. Gabor, [traduction] « les détenus ne font généralement pas connaître leurs intentions à l’avance et ce sont eux qui choisissent le moment et l’endroit de leurs agressions. »

[58] Je conclus d’après la preuve que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que le danger potentiel cause une blessure à un AC avant que le danger puisse être corrigé, ce qui fait qu’il existe effectivement un danger.

Le danger constitue-t-il une condition normale d’emploi?

[59] Ayant effectivement décidé qu’il existait un danger au moment de l’enquête et de la conclusion de danger de l’ASS O’Byrne, je dois maintenant décider si ce danger représente ou non une condition normale d’emploi.

[60] Le 27 janvier 2010, la Cour fédérale du Canada a maintenu une décisionFootnote 6  du Tribunal au sujet de l’interprétation à donner au concept de « condition normale d’emploi ». Cette décision établit qu’un danger qui constitue une condition normale d’emploi est de nature résiduelle. Il s’agit du danger qui subsiste une fois que l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour éliminer, réduire ou contrôler le danger, la situation ou la tâche et pour lequel aucune instruction ne peut raisonnablement être donnée en vertu du paragraphe 145(2) du Code pour protéger les employés.

[61] Par conséquent, pour qu’un danger soit réputé constituer une condition normale d’emploi, ce danger doit être tel qu’il ne peut être contrôlé au moyen de mesures de protection prévues par le Code. Un tel danger ne justifierait pas d’invoquer le droit de refuser de travailler ou de continuer à refuser de travailler une fois qu’il a été déterminé que le danger constitue une condition normale d’emploi.

[62] Mon analyse de la preuve devrait me permettre de décider si l’employeur a pris ou non toutes les mesures nécessaires pour éliminer, réduire ou contrôler le danger et pour lequel aucune instruction ne peut être donnée en vertu du paragraphe 145(2) du Code pour protéger les employés.

[63] À cet égard, j’ai énoncé dans ma décision Agence Parcs CanadaFootnote 7, au paragraphe 849, que j’étais d’accord avec la déclaration du sergent Butler selon laquelle le principe de « faible fréquence, risque élevé » devrait s’appliquer. Je suis d’accord avec C. Blanchette que le principe s’applique aux AC dans cette affaire. Le paragraphe 849 est ainsi rédigé :

Dans son témoignage, le sergent Butler a indiqué que toute politique visant à établir le besoin d’équipement de protection devait être fondée sur le principe de « faible fréquence, risque élevé ». Ce principe veut que si un événement est susceptible d’avoir des conséquences très graves ou critiques pour une personne, des mesures doivent être prises pour prévenir ces conséquences, sans égard à la probabilité que l’événement survienne. En parallèle, si le résultat potentiel de l’exposition au risque est grave ou critique pour une personne, des mesures d’atténuation visant à prévenir ce résultat doivent être prises, sans égard à la probabilité que cette exposition survienne. Je ne suis pas en désaccord avec ce principe

[je souligne].

[64] Les arguments des parties étaient axés sur la question de savoir si le fait de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles atténuait le risque d’agression par un détenu pour les AC qui ont refusé de travailler.

[65] D’entrée de jeu, l’intimé a convenu que l’aérosol capsique est utile pour dissuader les détenus d’avoir recours à la violence. C’est pourquoi il est mis à la disposition des AC qui travaillent dans des unités résidentielles au poste de contrôle.

[66] Dans son rapport, M. Gabor a écrit qu’il existe deux approches fondamentales de la sécurité des établissements. La première est la sécurité passive, qui comporte le recours au contrôle physique coercitif sur des détenus au moyen de matériel (verrous, barreaux, etc.), de technologie (caméras) et de dispositifs de contrainte pour faire face à certains détenus à problèmes ou à ceux qui sont transférés. M. Gabor a affirmé que le contrôle passif est conçu pour supprimer les violations.

[67] M. Gabor a écrit que la deuxième approche est celle de la sécurité active, qui met l’accent sur l’aspect humain et soutient que les établissements humanisants représentent la meilleure approche de stabilité des établissements.

[68] M. Gabor a écrit que les deux approches de la sécurité sont présentes dans toutes les prisons et que l’accent mis sur chacune peut varier considérablement. Il a mentionné qu’il existe un équilibre fragile entre la sécurité passive et le traitement de l’être humain. Il a ajouté que des universitaires ont fait observer récemment que l’équilibre fragile entre la sécurité et le traitement de l’être humain que les établissements doivent maintenir pourrait être compromis si l’on mettait davantage l’accent sur les méthodes de contrôle coercitif.

[69] M. Gabor a écrit que sa tâche consistait à recueillir des preuves sur l’effet net de munir les AC d’un aérosol capsique, compte tenu des mesures de sécurité dont disposent déjà les membres du personnel dans les établissements à sécurité maximum comme l’Établissement de Kent. Il a affirmé que la mention de l’« effet net » reconnaît que l’aérosol capsique aura à la fois des effets positifs et négatifs. Il a indiqué que dans son rapport, il a traité de la question de savoir si l’effet global de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC améliorerait ou minerait l’ordre et la sécurité au sein de l’Établissement de Kent.

[70] M. Gabor a fait mention des données sur les incidents et les blessures du SGD qui lui ont été fournies par l’Établissement de Kent. Il a découvert qu’au cours des deux dernières années, il y a eu 158 incidents, dont seulement 23, soit un par mois, ont causé une blessure à un AC et aucun n’a été décrit comme grave. De ces 158 incidents, la plupart comportaient des menaces, le lancement d’objets aux agents et le geste de cracher. Seulement le quart de tous les incidents comportaient une agression physique comme des coups ou des coups de pied à un agent. Compte tenu de tous ces facteurs, M. Gabor a conclu que dans seulement 12 incidents, des blessures autres que des blessures graves ont été infligées à un AC. Il a affirmé qu’en ce qui concerne ces 12 incidents, l’on ne sait toujours pas avec certitude si le fait de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC aurait eu un effet dissuasif sur les incidents ou aurait diminué leur gravité. Dans l’affirmative, il faut ensuite se demander si les chiffres recueillis justifient de devoir risquer d’assumer les effets négatifs liés à la fourniture automatique de l’aérosol capsique aux AC, ce qui comprend la possibilité que les détenus considèrent ce geste comme de la provocation et deviennent difficiles à contenir.

[71] M. Gabor a relevé de nombreuses répercussions potentiellement négatives qui pourraient avoir un effet néfaste sur la sécurité des AC et de l’établissement si l’aérosol capsique devait être fourni aux AC. Il a conclu que compte tenu de la fréquence généralement faible des incidents et des blessures subies par les AC qui est rapportée dans les statistiques du SCC, ces répercussions potentiellement négatives l’emportent sur les impacts positifs.

[72] Dès le début de son rapport, M. Gabor a affirmé qu’il n’existe pas de corpus d’études rigoureuses contrôlées sur la question précise de l’impact de fournir automatiquement un aérosol capsique aux AC. Il a également confirmé en contre-interrogatoire qu’il n’y a pas de corpus d’études rigoureuses contrôlées sur la question des agressions spontanées commises par des détenus sur des AC. C’est dans le contexte de ces deux mises en garde que j’ai évalué le témoignage d’expert de M. Gabor.

[73] Mon analyse de l’avis d’expert et du témoignage de M. Gabor traitera des éléments suivants :

  • la fiabilité des données sur les incidents et les blessures du SGD sur lesquelles M. Gabor s’est appuyé pour conclure que les répercussions potentiellement négatives de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles l’emportent sur les impacts positifs;
  • le MGS et l’aérosol capsique;
  • une évaluation des répercussions potentiellement négatives indiquées par M. Gabor.

[74] Les éléments de preuve suivants ont établi que les données sur les incidents et les blessures du SGD fournies à M. Gabor ne reflètent pas avec exactitude toutes les blessures des AC, la gravité de celles-ci ou l’ampleur du temps perdu :

  • la directrice Knopf a convenu avec C. Blanchette que le Rapport d’observation ou déclaration d’un agent est un document de sécurité. La directrice Knopf a également convenu que le SGD ne renvoie pas aux demandes d’indemnisation pour accident du travail ou aux rapports des médecins de famille. C. Blanchette a fait mention du témoignage de la directrice Knopf selon lequel dans certains cas, certaines blessures déclarées mineures étaient, dans les faits, des blessures graves;
  • la situation dans laquelle deux membres du personnel sont agressés au cours du même incident, qui est consignée comme une seule agression;
  • la directrice Knopf a reconnu en contre-interrogatoire qu’elle était au courant d’occasions dans lesquelles des AC ont pris congé le lendemain d’un incident lié à un contrôle physique même si aucune blessure n’a été déclarée;
  • les blessures subies par l’AC Johnston pendant l’émeute de 2003 à l’Établissement de Kent étaient inscrites et déclarées par les SCC comme mineures. Toutefois, le fait est que l’AC Johnston a été en congé pendant 10 semaines et n’a pas été en mesure de reprendre l’occupation qu’il avait avant sa blessure. C. Blanchette a conclu qu’il s’agissait d’une blessure invalidante aux termes du Code, mais elle ne tombe pas sous le coup de la définition que donne le SCC d’une blessure mineure ou d’un décès;
  • l’AC Verville s’est blessé en maîtrisant physiquement un détenu. La blessure était inscrite dans le SGD comme une blessure mineure, mais elle s’est plutôt révélée être un accident de travail avec perte de 4 mois. Ce fait n’a jamais été indiqué dans le SGD;
  • le rapport d’un comité d’enquête daté du 2 décembre 2008 a confirmé l’augmentation récente des agressions sur un an à l’Établissement de Kent.

[75] Il a également été établi que la définition donnée par le SCC d’une blessure mineure n’est pas conforme au Code. Par exemple, le document intitulé « Classification of Serious Bodily Injury for a definition of Serious Bodily Injury (SBI) as defined in Commissioner’s Directive 568-1 » définissait une blessure grave comme suit :

[Traduction]

Blessure grave - une blessure qui, selon le personnel des Services de santé, peut mettre la vie d'une personne en danger ou qui entraîne un handicap physique permanent, un défigurement important ou la perte prolongée d'un fonctionnement normal. Il peut s'agir, entre autres, de graves fractures des os, du sectionnement de membres ou d'extrémités, ou encore de blessures causant des dommages aux organes internes.

[76] La définition d’une « blessure invalidante » donnée dans la partie XV du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST), intitulée « Enquêtes et rapports sur les situations comportant des risques », est d’application plus générale que la définition d’une blessure grave du SCC. Cette situation confirme que les rapports sur la gravité des blessures et sur l’ampleur du temps perdu ne semblent pas refléter toute la réalité. L’article 15.1 et le paragraphe 15.8(1) de la partie XV du RCSST prévoient :

15.1 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« blessure invalidante » Blessure au travail ou maladie professionnelle qui, selon le cas :

a) empêche l’employé de se présenter au travail ou de s’acquitter efficacement de toutes les fonctions liées à son travail habituel le ou les jours suivant celui où il a subi la blessure ou la maladie, qu’il s’agisse ou non de jours ouvrables pour lui ; […]

15.8 (1) L’employeur doit rédiger sans délai en la forme établie à l’annexe I de la présente partie un rapport qui comprend les renseignements qui y sont demandés, ainsi que les conclusions de l’enquête visée à l’alinéa 15.4(1)a) lorsque l’enquête révèle que la situation comportant des risques a entraîné l’une des conséquences suivantes :

  1. une blessure invalidante chez un employé; […];
  2. l’évanouissement d’un employé causé par une décharge électrique ou par l’exposition à des gaz toxiques ou à de l’air à faible teneur en oxygène;
  3. la nécessité de recourir à des mesures de sauvetage ou de réanimation ou à toute autre mesure d’urgence semblable;
  4. un incendie ou une explosion.

[77] Compte tenu de la preuve, je suis convaincu que les lacunes des données sur les incidents et les blessures du SGD fournies par le SCC à M. Gabor et soumises dans le cadre de cette audience suffisent pour semer un doute quant à la conclusion de M. Gabor selon laquelle les effets préjudiciables prévus de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles l’emportent sur les avantages.

[78] M. Gabor a déclaré que l’équilibre est fragile entre la sécurité passive et la sécurité active et que cet équilibre varie d’un établissement à l’autre. Toutefois, M. Gabor n’a ni étudié ni commenter le caractère adéquat de l’équilibre entre la sécurité passive et la sécurité active à l’Établissement de Kent. Plus précisément, M. Gabor n’a pas semblé se pencher sur l’aérosol capsique à la lumière des politiques, des procédures et de la formation du SCC pour évaluer les avantages et les inconvénients de l’aérosol capsique pour atténuer le risque d’agression par un détenu des AC travaillant dans des unités résidentielles. M. Gabor a plutôt semblé avoir utilisé les données du SGD qui lui ont été fournies par le SCC comme élément de remplacement à cette fin.

[79] La preuve concernant le MGS et l’utilisation de l’aérosol capsique en regard des politiques, des procédures et de la formation du SCC était la suivante :

  • le MGS est similaire aux modèles basés sur le recours à la force qui existent dans les autres organismes d’application de la loi et tous les membres du personnel du SCC sont formés pour utiliser ce modèle;
  • le MGS précise que les AC évaluent constamment la situation en termes de comportement, d’intelligence et de situation. Quand un détenu collabore, le MGS indique que l’intervention adéquate de l’AC est la sécurité active, dans le cadre de laquelle l’AC interagit de manière pacifique avec le détenu pour donner l’exemple et aider le détenu dans ses programmes;
  • la sécurité active, l’aérosol capsique et le contrôle physique se situent tous sur le même continuum d’intervention face au comportement des détenus. Le comportement du détenu peut varier de la collaboration, à la résistance verbale, à la résistance physique, à l’agression, aux blessures graves ou au décès. Le seul élément qui oriente le choix de l’intervention qui convient est le comportement du détenu, ce que l’employeur n’a pas contesté;
  • J. McKay a témoigné que la présence et les aptitudes en matière de communications de l’agent représentent la meilleure option d’intervention et estimait que les options de recours à la force physique ne sont utilisées que de 1 % à 2 % du temps. J. McKay a affirmé que cette situation est cohérente avec la vision du Service de police de Calgary, qui est d’avis que la force physique n’est requise que dans 1 % des cas. Toutefois, J. McKay a affirmé que bien que chaque organisme d’application de la loi a pour objectif déclaré de régler toutes les situations en ayant recours à des compétences en communications, le fait est que la présence et les aptitudes en communications d’un agent ne permettent pas toujours de réussir. Enfin, J. McKay s’est dit d’avis que certaines questions ne peuvent faire l’objet d’une collaboration et que le degré de violence d’un sujet ou une agression spontanée excluent souvent la communication. J. McKay a déclaré que lorsque la présence et la communication échouent, un agent doit avoir recours à une certaine forme de contrôle physique pour se défendre et pour maîtriser le sujet et la situation;
  • le MGS est un guide permettant aux membres du personnel de s’assurer qu’un AC n’utilise pas plus de force que ce que commande le comportement du détenu. Les AC I et II possèdent le statut d’un agent de la paix et l’inspecteur McKay a témoigné que l’article 34 du Code criminel du Canada (C. Cr.) prévoit le recours à une force pouvant causer la mort si l’attaque est susceptible de causer la mort. J. McKay a également affirmé que l’article 26 du C. Cr. précise que quiconque a recours à une force excessive sera tenu criminellement responsable. J. McKay a fait observer que les AC peuvent également faire l’objet d’un examen interne et de mesures disciplinaires pour usage excessif de la force.

[80] La preuve établit également que les AC qui ne sont pas munis d’aérosol capsique doivent avoir recours au contrôle physique pour les détenus physiquement non coopératifs ou violents. Selon la preuve non contestée, le contrôle physique entraîne des batailles plus violentes au cours desquelles tant les AC que les détenus peuvent se blesser.

[81] Je suis convaincu par l’ensemble de la preuve que le défaut de M. Gabor de prendre en compte l’importance du MGS et le rôle de l’aérosol capsique dans celui-ci, à la lumière de son lien avec la gestion des risques en matière de sécurité à l’Établissement de Kent, sème d’autres doutes quant à la conclusion tirée par M. Gabor.

[82] Comme rien ne prouve que M. Gabor a tenu compte des répercussions défavorables possibles qu’il a relevé dans le contexte des circonstances à l’Établissement de Kent, je les examinerai maintenant. Il serait incompatible avec le Code que quiconque ait besoin d’avoir recours à du matériel de protection ayant comme effet net de faire augmenter le risque pour la santé et la sécurité des employés plutôt que de le faire diminuer.

[83] M. Gabor et le SCC soutiennent que la présence au ceinturon de service des AC de l’aérosol capsique pourrait être perçue par les détenus comme une augmentation du contrôle coercitif et pourrait accroître la tension chez les détenus ou provoquer les détenus à devenir plus violents lors d’un incident. Toutefois :

  • dans la présente affaire, la directrice Knopf a témoigné que des changements importants ont été apportés à l’augmentation de la sécurité passive à l’Établissement de Kent. Les changements étaient constitués de l’installation de caméras additionnelles dans les unités résidentielles et du boulonnage de meubles et d’appareils. De plus, les AC ont reçu des vestes de protection contre les armes blanches et des menottes. L’intimé n’a produit aucune preuve que l’une ou l’autre de ces mesures a provoqué des détenus ou fait augmenter la tension dans la prison;
  • les témoins des appelants ont mentionné que les détenus voient quotidiennement des AC avec de l’aérosol capsique à leur ceinturon de service dans le gymnase ainsi que lorsque les gestionnaires correctionnels, les agents du CGI et les AC de l’unité d’isolement et à encadrement renforcé répondent à des alarmes. Les détenus voient également l’aérosol capsique au ceinturon de service des AC qui travaillent dans les unités résidentielles lorsque la direction détermine que l’évaluation de la menace et des risques est élevée;
  • l’AC Verville a témoigné que les AC obtiennent un aérosol capsique à l’occasion et qu’il n’a pas observé de réaction négative des détenus en ces occasions.

[84] Bien que je ne doute aucunement que les détenus le remarqueront lorsque les AC travaillant dans les unités résidentielles ont un aérosol capsique à leur ceinturon de service, la preuve qui a été présentée me convainc que les avantages de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles ne cèdent pas le pas à cette répercussion potentiellement négative.

[85] M. Gabor et le SCC ont soutenu que les AC pourraient trop s’en remettre à l’aérosol capsique pour faire face au comportement des détenus et par conséquent faire fi des options de la sécurité active, de la présence du personnel, de l’intervention verbale, de la résolution de conflits, de la négociation ou des ordres donnés oralement qui sont précisés dans le MGS. Toutefois :

  • J. McKay a témoigné qu’il s’agissait d’une question d’orientation et de formation pour le SCC. Il a convenu que si les AC ont recours à une force excessive, notamment en s’en remettant trop à l’aérosol capsique, ils prêteraient flanc à des poursuites pénales et à des mesures disciplinaires internes. Dans son témoignage, la directrice Knopf a confirmé que les AC peuvent faire l’objet de sanctions et de mesures disciplinaires s’ils utilisent trop l’aérosol capsique;
  • J. McKay a témoigné que la présence d’agents et les compétences en communications sont les deux meilleures options d’intervention et a fait observer que les AC évaluent qu’ils ont recours à des options nécessitant la force physique seulement de 1 % à 2 % du temps. L’inspecteur McKay a déclaré que cela correspond au Service de police de Calgary, qui a évalué que la force physique n’est nécessaire que dans un pour cent des incidents;
  • l’AC Sterkenburg a témoigné que les AC ont comme pratique de se montrer discrets lorsqu’ils sortent l’aérosol capsique de leur étui pour éviter d’aggraver des incidents au cours desquels il pourrait être encore possible de reprendre le contrôle d’un incident sans utiliser l’aérosol capsique. Il a déclaré que le fait de disposer de l’aérosol capsique donne plus de confiance aux AC pour tenter de régler un incident par la sécurité active. Il a ajouté que bien que l’aérosol capsique puisse avoir tendance à empirer une situation, en règle générale, il contribue beaucoup à faire diminuer l’intensité des situations.

[86] L’intimé a mentionné l’incident qui est survenu dans le gymnase, au cours duquel l’AC Latulippe est entré dans le gymnase et a pointé un générateur d’aérosol capsique Mark 9. La preuve ne m’indique pas clairement si l’AC était justifié d’agir ainsi. Toutefois,il est clair que l’AC Latulippe n’a pas suivi la pratique mentionnée par l’AC Sterkenburg. Selon moi, l’élément important à retenir en l’espèce est qu’en définitive, l’AC a appliqué le MGS et qu’au moyen d’une intervention orale, il a calmé le jeu et réglé la question. Si les gestes de l’AC Latulippe constituaient un recours excessif à la force, l’employeur aurait dû aborder la question comme tel. Aucune preuve n’indique que cela a été fait.

[87] M. Gabor a soutenu que si le SCC avait fourni automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles, ces derniers pourraient s’enhardir et prendre des risques alors que la réaction adéquate consisterait à battre en retraite. À cet égard, R. Fader a donné comme exemple la déclaration de l’AC Latulippe selon laquelle il aurait fait face à un incident s’il avait eu l’aérosol capsique à son ceinturon de service. R. Fader a conclu que l’AC Latulippe a posé le bon geste en ne faisant pas face au détenu et a cité cette situation comme exemple de situation dans laquelle il était approprié et sécuritaire pour l’AC de battre en retraite.

[88] Bien que l’exemple soit probant, le témoignage des AC me convainc davantage que l’aérosol capsique leur donne davantage confiance lorsqu’ils appliquent la sécurité active et leur permet de déployer un plan d’action plus mesuré et calculé lorsqu’ils réagissent au comportement d’un détenu, ce qui a également été mentionné dans des documents présentés par M. Gabor.

[89] M. Gabor a soutenu que les communications entre les détenus et les AC pourraient subir des répercussions préjudiciables, ce qui ferait diminuer l’efficacité du processus de sécurité active, nuirait aux programmes des détenus et ferait baisser la quantité de renseignements fournis par les détenus. Toutefois :

  • l’AC Aulakh a témoigné que la majeure partie de son expérience a été acquise dans des unités dans lesquelles l’aérosol capsique est porté automatiquement au ceinturon de service et est utilisé souvent. L’AC Aulakh a déclaré que des détenus lui ont dit qu’ils se sentent en sécurité lorsqu’il est dans la rangée et il attribuait cette déclaration à son professionnalisme, qui repose sur le fait qu’il a suivi une formation et qu’il est muni des outils nécessaires pour agir avec professionnalisme. Il a soutenu que la sécurité active et la sécurité passive fonctionnent de concert et que la sécurité passive sifie que l’on possède les outils pour accomplir son travail. Il estimait que la clé réside dans l’interaction personnelle du garde avec les détenus et non dans l’équipement à son ceinturon de service;
  • l’AC Aulakh a également témoigné qu’il n’a constaté aucune différence perceptible dans l’interaction de sécurité active avec les détenus de l’unité d’isolement dans les cas où l’aérosol capsique est utilisé souvent pour faire face à des détenus qui posent problème. Il a fait observer qu’après les émeutes de 2003, de petits groupes de détenus ont perturbé la vie quotidienne des autres détenus, ce qui a occasionné des tensions considérables au sein de l’établissement. Il a déclaré qu’il a observé une absence de respect parmi les détenus et que les détenus plus violents ont tendance à se tenir en groupes plus petits;
  • l’AC Verville a témoigné que les AC obtiennent un aérosol capsique à l’occasion et qu’il n’a pas observé de réaction négative des détenus en ces occasions. Il a toutefois convenu que les détenus le remarquent lorsque les AC portent un aérosol capsique à leur ceinturon de service.

[90] Au vu de la preuve produite, je ne suis pas convaincu que les avantages de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles cèdent le pas à la crainte que les communications entre les détenus et les AC subissent des répercussions négatives, ce qui diminue l’efficacité du processus de sécurité active et perturbe les programmes des détenus, et fait baisser la quantité de renseignements fournis par les détenus.

[91] M. Gabor prévient dans son rapport que les détenus pourraient enlever l’aérosol capsique aux AC et s’en servir contre eux ou que les AC pourraient être atteints par l’aérosol capsique d’un autre AC.

[92] La preuve établit que l’AC a accès à l’aérosol capsique au poste de contrôle et que les premiers intervenants sur les lieux des incidents comprennent les agents qui travaillent dans les unités résidentielles et qui reçoivent automatiquement l’aérosol capsique. Par conséquent, les agents doivent toujours être prêts à une telle éventualité. Toutefois,

  • J. McKay a affirmé qu’il s’agit d’une question de conservation de l’équipement d’aérosol capsique et de formation;
  • des AC ont témoigné que l’aérosol capsique ne cause pas de dommages permanents et que cette option est préférable à un recours au contrôle physique qui se traduit souvent par une blessure à l’AC et au détenu.

[93] Sur la base de la preuve, je ne suis pas convaincu que la crainte que des détenus puissent enlever l’aérosol capsique aux AC et s’en servir contre eux ou que les AC puissent être atteints par l’aérosol capsique d’un autre AC l’emporte sur les avantages de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles.

[94] M. Gabor et le SCC ont soutenu que l’aérosol capsique n’est pas tout à fait efficace et que les détenus qui se concentrent sur leur volonté de blesser un AC ou qui sont sous l’emprise des stupéfiants pourraient être en mesure de surmonter l’effet de l’aérosol capsique. Toutefois :

  • J. McKay a mentionné dans son témoignage les conclusions d’un rapport intitulé « TR-04-95 Oleoresin Capsicum in Buffalo » daté de décembre 1994, qui a été dressé par la Police de Buffalo, N.Y.. L’auteur du rapport y mentionnait que l’aérosol capsique permet de contrer les suspects environ 96 % du temps. Le rapport mentionne que la Police de Cincinnati a rapporté une efficacité de 85 %, mais a précisé que les différences au niveau de l’efficacité signalée pourraient avoir un lien avec la manière dont l’efficacité de l’aérosol capsique est calculée. Par exemple, une administration a fait part d’une efficacité de 99 %, mais tenait compte des situations dans lesquelles l’aérosol capsique avait suffisamment d’impact sur le suspect pour restreindre ses capacités de résister;
  • l’AC Sterkenburg a confirmé qu’une personne qui est résolue et concentrée sur son objectif peut surmonter les effets de l’aérosol capsique, mais que sa capacité est effectivement réduite parce que l’aérosol capsique nuit à sa vision et à sa capacité de respirer. L’AC Sterkenburg a témoigné que lorsqu’une personne est exposée à l’aérosol capsique, elle cligne des yeux, verse beaucoup de larmes, produit beaucoup de mucus et déglutit à répétition, a la peau moite (p. ex. la bouche), éprouve une sensation de brûlure, et se sent comme si elle ne pouvait pas respirer, ce qui engendre une grande sensation de panique;
  • les AC ont témoigné que sans aérosol capsique, ils doivent avoir recours au contrôle physique lorsque des détenus opposent de la résistance physique ou sont violents. Les AC ont convenu de l’importance de la taille et de la force pour tenter d’avoir recours au contrôle physique pour maîtriser un détenu et le contrôle physique résulte inévitablement en des incidents plus longs et fait courir plus de risques de blessure aux agents.

[95] D’après la preuve, je ne suis pas convaincu que la préoccupation selon laquelle l’aérosol capsique n’est pas efficace à 100 % l’emporte sur les avantages de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles.

[96] R. Fader a soutenu que le témoignage de la directrice Knopf et les politiques, les directives et les ordres permanent du SCC présentés en preuve établissent clairement que le SCC a traité de tous les secteurs de risque au sein de l’Établissement de Kent.

[97] Toutefois, le comité d’enquête qui a examiné une plainte interne déposée par deux AC en vertu de l’article 127.1 du Code a conclu que le résumé du Rapport d’observation et déclaration de l’agent présenté à la séance d’information de la matinée sur les opérations ne comprend pas ces rapports. Il a plutôt fait observer que les gestionnaires correctionnels décident quels rapports seront inclus dans la séance d’information matinale. Le rapport du comité d’enquête s’est prononcé contre cette pratique.

[98] Le comité d’enquête a également conclu que les rapports d’humeur des AC ne se caractérisent pas par la vision, l’exhaustivité et l’analyse nécessaires pour constituer une évaluation vraiment dignificative de l’humeur de l’unité. Il a recommandé que cette question soit réglée par la formation du personnel.

[99] Le comité d’enquête a également recommandé que l’Établissement de Kent s’assure qu’un plan d’ajustement opérationnel soit mis en place et élaboré de concert avec le syndicat et le CMSST avant la mise en place des ajustements opérationnels. De plus, il a recommandé qu’une ÉMR soit faite et que le résultat soit communiqué au personnel.

[100] En outre, je n’ai trouvé aucun critère dans les documents du SCC qui ont été présentés qui laisserait croire qu’un critère clair et transparent oriente le directeur ou d’autres cadres dans leur décision de fournir automatiquement ou non l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles.

[101] Les preuves suivantes qui ont été produites à l’audience établissent clairement que l’aérosol capsique diminue efficacement le risque de blessure pour les AC travaillant dans les unités résidentielles :

  • les parties ont convenu que l’aérosol capsique est utile pour dissuader les détenus d’avoir recours à la violence et pour réprimer celle-ci;
  • les AC travaillant dans les unités résidentielles se trouvent, du fait de leur affectation, sur les lieux pour intervenir lors d’un incident. Comme ils ne reçoivent pas d’aérosol capsique automatiquement, ils doivent faire face à la situation sans aérosol capsique jusqu’à l’arrivée des secours. Bien que la directrice Knopf ait affirmé que l’un des AC pourrait courir jusqu’au poste de contrôle pour prendre de l’aérosol capsique, selon le témoignage non contesté des AC, ils ne peuvent laisser leur partenaire seul dans une rangée pendant un incident. Par conséquent, d’après la preuve, les AC sont laissés à eux-mêmes s’il survient une agression pendant de 15 à 45 secondes;
  • sans aérosol capsique, les AC doivent avoir recours au contrôle physique. Le contrôle physique expose les AC à des batailles et des échanges plus longs et à un risque de blessure accru lors des échanges. La preuve établit que la proximité physique avec un détenu pendant le contrôle physique expose les AC au risque de se faire poignarder par le détenu ou à des pathogènes à diffusion hématogène;
  • la preuve de la description de travail des AC et le témoignage de M. Gabor, de J. McKay et des AC établissaient que les ÉMR ne peuvent ni prévoir ni empêcher une agression spontanée par un détenu.

[102] Je conclus, à la lumière de la preuve qui m’a été présentée, que le fait de fournir automatiquement l’aérosol capsique aux AC qui travaillent dans des unités résidentielles pourrait faire diminuer le danger.

[103] D’après la jurisprudence du Tribunal, telle qu’elle a été confirmée par la Cour fédérale du Canada, un danger constitue une condition normale d’emploi lorsque ce danger subsiste une fois que l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour éliminer ou contrôler le danger, la situation ou la tâche.

[104] Comme il a été établi que le danger identifié dans la présente affaire pourrait être réduit ou contrôlé, la seule conclusion qu’il est possible de tirer est que le danger auquel font face les appelants ne constitue pas une condition normale d’emploi.

Décision

[105] Pour ces motifs, j’annule la décision de l’ASS O’Byrne qui avait conclu à l’inexistence d’un danger.

[106] J’ordonne à l’employeur de prendre immédiatement des mesures pour protéger la sécurité et la santé des agents correctionnels employés dans les unités résidentielles contre le danger décrit précédemment suivant l’instruction jointe à cette décision.

Douglas Malanka
Agent d’appel

Appendice

Référence: B. Armstrong et autres c. Canada (Services correctionnels), 2010 TSSTC 006

Dossier nº : 2004-34

Instruction donnée à service correctionnel du canada

Par suite d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail (le Code), j’ai effectué, en conformité avec l’article 146.1, un examen d’une décision ayant établi qu’il n’existait pas de danger. Cette décision a été rendue oralement le 26 juillet 2004, puis par écrit le 28 juillet 2004 à la conclusion de l’enquête sur un refus de travailler de 16 agents correctionnels survenu à l’Établissement de Kent, en Colombie-Britannique. Le lieu de travail est exploité par Service correctionnel du Canada, un employeur visé par le Code.

J’ai conclu qu’il existait un danger le 26 juillet 2004 pour les AC ayant refusé de travailler dans les unités résidentielles qui sont exposés à des agressions spontanées de la part de détenus et j’ai annulé la décision de l’agent de santé et sécurité qui avait conclu à l’inexistence d’un danger.

Par conséquent, je vous Ordonne par les présentes, conformément à l’alinéa 145.(2)a) du Code, de prendre des mesures sur-le-champ pour protéger les employés contre le danger et de faire rapport de ces mesures à un ASS du Bureau de district de Vancouver d’ici le 30 avril 2010.

Fait à Ottawa, le 29 mars 2010.

Douglas Malanka
Agent d’appel

À : Service correctionnel du Canada
Établissement de Kent
Agassiz (Colombie-Britannique)

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