2010-TSSTC-013

Référence : Breen Ouellette c. SaskTel, 2010 TSSTC 13

Date : 2010-09-27
Dossier nº: 2008-14
Rendue à : Ottawa

Entre :

Breen Ouellette, appelant
et
SaskTel, intimée

Affaire : Question préliminaire - Caractère théorique

Décision : L'appel est rejeté sur la base du caractère théorique.

Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d'appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l'appelant : M. Breen Ouellette

Pour l'intimée : M. Will Egan, avocat, SaskTel

Motifs de décision

[1] Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) par M. Breen Ouellette, employé chez SaskTel, d'une décision d'absence de danger rendue par M. Curtis Pidhorney, agent de santé et de sécurité (ASS), le 28 mars 2008, conformément au paragraphe 129(4) du Code.

Contexte

[2] M. Ouellette a occupé le poste de technicien de service de soutien Internet et il a fait valoir son droit de refuser un travail dangereux le 24 mars 2008. Les motifs de son refus à l'époque avaient trait à la conception des tâches des employés du Centre de soutien à la clientèle. En outre, en exerçant ses activités professionnelles, il a éprouvé de la douleur malgré les changements ergonomiques apportés à son poste de travail. Dans le cadre de son travail, il devait être constamment assis pendant des périodes de plus de cinquante minutes, sans pause, ce qui l'empêchait d'exercer des activités augmentant son rythme cardiaque pour atténuer son problème de santé.

[3] Une audience a été fixée à novembre 2008, puis reportée en raison de la maladie de l'avocat qu'avait l'appelant à ce moment-là, et l'audience a été remise au rôle en date du 17 février 2009.

[4] Le 12 février 2009, l'avocat de M. Ouellette m'a informé que l'employeur avait proposé un certain nombre de solutions qui, une fois mises en œuvre, règleront vraisemblablement les préoccupations qui sous-tendent la plainte de l'appelant. L'appel a été remis sine die et les parties se sont fait demander de communiquer des mises à jour écrites régulières.

[5] Le 7 octobre 2009, les parties ont été informées qu'une dernière prorogation a été accordée et qu'elles devaient m'aviser si elles désiraient procéder à l'appel d'ici le 15 janvier 2010.

[6] Le 15 janvier 2010, l'avocat de l'appelant m'a avisé que M. Ouellette désirait interjeter appel. Toutefois, le syndicat et l'avocat mettaient fin à leur aide. Par conséquent, une audience a été fixée au 22 juin 2010.

[7] L'audience du 22 juin 2010 a débuté par le témoignage de l'ASS Pidhorney et s'est poursuivie par celui du premier témoin de l'appelant. Le 23 juin 2010, M. Ouellette a entrepris son témoignage en déclarant que depuis janvier 2009, il occupe le poste de directeur des TI pour la Nation Métis de la Saskatchewan. Son témoignage s'est poursuivi pendant le reste de la matinée. Quand l'audience a repris après la pause du déjeuner, je lui ai posé d'autres questions au sujet de son statut chez l'employeur et M. Ouellette a déclaré que depuis janvier 2009, son lien professionnel avec SaskTel est complètement rompu.

[8] À ce stade, j'ai informé les parties qu'à mon avis, il n'existait plus de différend entre un employé et son employeur au sens du Code et que d'après la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), la question semblait théorique. L'audience a été suspendue et les parties se sont fait demander de présenter des arguments sur la question du caractère théorique.

[9] Le 14 juillet 2010, avant la réception des arguments de l'appelant, le Tribunal a reçu une demande de M. Geoff Dalsin, employé chez SaskTel. Il a déclaré que M. Ouellette l'a avisé que l'audience sur l'appel était suspendue, parce que M. Ouellette n'était plus un employé de SaskTel. M. Dalsin a dit qu'il exécute le même travail que celui que faisait l'appelant au moment de son refus et il croit qu'ils ont tous deux les mêmes intérêts relativement aux questions soulevées dans la présente affaire.

[10] M. Dalsin a présenté une demande pour se faire ajouter à la liste des appelants à cette audience. Il a déclaré qu'il est actuellement en congé de maladie prolongé; toutefois, il occupe toujours le même poste et demeure employé de SaskTel. Il a informé le Tribunal que M. Ouellette serait son représentant à compter de maintenant.

Question en litige

[11] Je dois déterminer si le présent appel doit être rejeté en raison de son caractère théorique.

Arguments des parties

[12] En date du 16 juillet 2010, l'argumentation finale des parties sur la question du caractère théorique a été reçue. Le 25 août 2010, l'intimée a communiqué ses arguments au sujet de la demande présentée par M. Dalsin.

Arguments de l'appelant

[13] L'appelant est en désaccord avec l'hypothèse sur laquelle repose la décisionBorowski, à savoir que l'appel doit prendre fin parce qu'il revêt un caractère théorique.

[14] M. Ouellette a fait valoir que de nombreuses autres parties visées ne se sont pas identifiées auprès du Tribunal. Néanmoins, l'examen des faits révèle clairement qu'elles existent en tant que parties visées. Par conséquent, il a soutenu qu'il existe un litige actuel parce que ces parties ont été impliquées à toutes les étapes du refus de travailler et de l'appel, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un organisme qu'il représentait.

[15] Il est en outre allégué par l'appelant que si l'agent d'appel décide de conclure qu'il n'existe pas de litige actuel et détermine que l'appel est théorique, l'agent d'appel doit se pencher sur la question de savoir s'il existe des motifs suffisants pour exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre l'appel. M. Ouellette a présenté des arguments sur les raisons d'être du principe relatif au caractère théorique.

Arguments de l'intimée

[16] M. Egan a soutenu que l'agent d'appel n'a pas compétence pour trancher l'appel deM. Ouellette en raison du concept du caractère théorique tel qu'il est mentionné dans l'arrêt Borowski.

[17] L'appel devient théorique, selon ce que prétend l'intimée, parce que M. Ouellette a quitté son emploi chez l'employeur le 16 janvier 2009. Le fait que M. Ouellette ne travaille plus chez SaskTel rend théorique son appel d'une réponse à un refus de travailler et en conséquence, l'agent d'appel n'a pas compétence pour trancher cette question.

[18] En outre, l'intimée a fait valoir que le refus de travailler et son appel n'ont pas d'incidence sur les autres employés, car les autres employés sont libres de refuser de travailler s'ils sentent que leur sécurité est en danger aux termes du Code, qui s'applique actuellement aux employés de SaskTel.

[19] En ce qui concerne la demande faite par M. Dalsin, M. Egan a fait valoir que comme la question en litige est actuellement théorique, la question ne pourrait être réglée par l'ajout d'un tiers intéressé, étant donné que la doctrine du caractère théorique s'applique encore à l'action initiale. De plus, M. Dalsin est en congé de maladie, ce qui fait que son ajout en qualité de tiers donnerait de nouveau lieu à une situation théorique, parce qu'il n'y a pas présentement de question en litige sur la sécurité entre lui et SaskTel pendant qu'il est en congé de maladie prolongé. En conséquence, d'aucuns prétendent que son ajout ne corrige pas le problème initial entre les parties conformément au principe du caractère théorique.

Analyse

[20] La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Borowski, a adopté une analyse en deux temps pour trancher la question du caractère théorique. Le tribunal doit d'abord déterminer si la question est théorique, c.-à-d. si le différend tangible a disparu, rendant ainsi la cause hypothétique. Si la réponse à cette question est affirmative, le tribunal doit alors déterminer s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. Afin de décider si le tribunal doit exercer ou non son pouvoir discrétionnaire, il doit tenir compte des raisons d'être du principe relatif au caractère théorique :

  1. l'existence d'un contexte contradictoire;
  2. la préoccupation pour l'économie des ressources judiciaires;
  3. la nécessité pour le tribunal de se montrer sensible à sa fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

[21] De plus, la doctrine relative au caractère théorique est décrite par le juge Sopinka, au paragraphe 15 de la décision, dans les termes suivants :

« La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire.[…] En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. »

[22] J'aimerais d'abord souligner que le fondement de cet appel est une décision rendue par l'ASS Pidhorney à la suite de son enquête selon laquelle il n'existait pas de danger, tel que défini par le Code, pour M. Ouellette en date du 24 mars 2008. M. Ouellette croyait que le fait de travailler au Centre de soutien à la clientèle dans des circonstances comprenant la position assise pendant de longues périodes sans pause tout en tentant de respecter les normes de rendement pourrait raisonnablement lui occasionner une blessure.

[23] Le droit de refuser un travail dangereux est un droit individuel prévu par le paragraphe 128(1) du Code qui se lit comme suit :

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas

  1. l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
  2. il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
  3. l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou pour un autre employé.

[24] Conformément au paragraphe 128(1), le Code confère ce droit personnel uniquement aux employés qui travaillent pour un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail.

[25] M. Ouellette ayant démissionné de son poste, il n'est plus un employé de SaskTel, l'employeur. Par conséquent, les conditions préalables à l'application du paragraphe 128(1) du Code ont disparu.

[26] En outre, rien n'établissait que plus d'un employé a présenté un rapport de nature similaire au moment du refus le 24 mars 2008, et que M. Ouellette avait été désigné représentant des autres employés comme le prévoit le paragraphe 128(11) du Code.

[27] Pour ces motifs, je conclus qu'il n'existe plus de litige actuel ni de différend réel et concret entre les parties dans cette affaire. De plus, comme il n'y a plus de lien d'emploi entre M. Ouellette et SaskTel, je crois que le fait de rendre une décision sur le fond de cet appel n'aurait pas d'effet concret sur les droits des parties.

[28] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l'appel de M. Ouellette revêt un caractère théorique.

[29] Ayant établi que l'appel est théorique, je dois maintenant passer à la deuxième étape de l'analyse. J'ai examiné avec soin les arguments présentés par les parties relativement aux raisons d'être du principe relatif au caractère théorique et à la lumière de cet examen, je choisis de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire d'entendre l'appel sur le fond.

[30] Avant de statuer sur l'appel, j'aimerais me prononcer sur la demande faite parM. Dalsin de se faire ajouter comme partie à l'instance conformément à l'alinéa 146.2g)du Code. M. Ouellette a fait valoir que je ne devrais pas déclarer cette affaire théorique parce que M. Dalsin, qui est un autre employé de SaskTel, est également touché par la décision de l'ASS et il est prêt à agir comme appelant dans cette affaire.

[31] Si je conclus à l'existence du caractère théorique, cela signifie que cet appel revêt un caractère théorique depuis que M. Ouellette a quitté son emploi chez SaskTel, soit le 16 janvier 2009. Par conséquent, je crois que l'ajout d'un tiers à l'appel à ce stade de l'instance ne corrigera pas la question du caractère théorique et je n'examinerai donc pas la demande de M. Dalsin.

Décision

[32] Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

Michael Wiwchar
Agent d'appel

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