2010-TSSTC-018

Référence : Viterra Inc., 2010 OHSTC 18

Date : 2010-12-23

Dossier : 2009-34

Rendue à : Ottawa

Entre : Viterra Inc., appelante

Affaire : Appel fondé sur le paragraphe 146(1) du Code canadien du travail d’une décision rendue par un agent de santé et de sécurité

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Pierre Guénette, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : M. Peter T. Bergbusch, avocat, Balfour Moss

Pour l’intimé : Il n’y a pas d’intimé dans cet appel.

MOTIFS DE DÉCISION

[1] Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) par M. Bergbusch au nom de Viterra Inc. (Viterra) d’une instruction donnée le 26 novembre 2009 par l’agent de santé et de sécurité (Ag.SST) Patrick Kurtz(Ag.SST Kurtz).

Contexte

[2] Le 1er septembre 2009, l’Ag.SST Kurtz a effectué une inspection de santé et de sécurité au travail de l’installation de Viterra située à Warner, en Alberta.

[3] Après avoir inspecté sept élévateurs à grain de l’installation, l’Ag.SST Kurtz a relevé de multiples contraventions au Code. L’Ag.SST Kurtz a reçu une Promesse de conformité volontaire (PCV)[1]note en bas de la page 1 de l’employeur fixant la date de conformité au 18 septembre 2009.

[4] L’employeur a envoyé sa réponse à la PCV le 17 septembre 2009. Tous les points précisés dans la PCV avaient été respectés à la satisfaction de l’Ag.SST Kurtz, sauf celui concernant les dispositifs de protection des voies respiratoires.

[5] Sur ce point, l’employeur a donné suite comme il suit à la PCV envoyée à l’Ag.SST Kurtz:

« ...[traduction] après avoir discuté de cette question à l’interne, Viterra estime que la formation et les tests d’ajustement (fit testing) offerts aux employés satisfont les exigences de la norme de l’ACNOR. Viterra offre la formation nécessaire à tous les employés susceptibles d’être exposés à de la poussière ou à des produits chimiques, y compris lors des tests d’ajustement (fit testing) des dispositifs respiratoires. Des masques anti‑poussière jetables qui peuvent être considérés comme des dispositifs respiratoires doivent être utilisés dans des situations où la concentration de poussière est très légère/incommodante. Les demi‑masques respiratoires ou les masques complets sont utilisés lorsque la concentration de poussière est plus élevée ou en cas d’exposition à des produits chimiques. Si les employés sont sensibilisés à l’utilisation des masques anti‑poussière jetables pendant leur formation, on ne fait pas de test d’ajustement (fit testing) parce que ces masques ne sont pas aussi bien ajustés que les demi‑masques respiratoires ou que les masques complets. Il n’est pas possible d’ajuster aussi bien un masque jetable. En outre, ce genre de masque peut se déformer légèrement lorsqu’on le porte, de sorte qu’un employé qui avait réussi le test d’ajustement (fit test) pourrait penser qu’il est bien protégé alors que son masque n’est plus assez bien ajusté pour le protéger. Viterra n’autorise donc l’utilisation des masques anti‑poussière jetables que dans des environnements où la concentration de poussière est très faibles et en exigeant que l’on porte des demi‑masques respiratoires ou des masques complets ayant passé des tests d’ajustement (fit test) lorsque la concentration de poussières est plus élevée. Veuillez nous confirmer si cela ne satisfait pas aux exigences du Règlement. »

[6] L’Ag.SST Kurtz a étudié la réponse de l’employeur à la PCV et le programme de protection des voies respiratoires de Viterra, mais il a persisté à croire que les employés qui portaient des masques anti‑poussière jetables devaient passer un test d’ajustement (fit test), en se fondant sur la norme Z94.4-M1982 de l’ACNOR, ainsi que sur les avis d’un conseiller technique, d’un hygiéniste industriel du Programme du travail et de 3M Canada, la compagnie qui fournit ces masques anti‑poussière jetables à Viterra.

[7] Comme l’employeur soutenait qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer des tests d’ajustement (fit test) des masques anti‑poussière jetables et qu’il refusait de prendre les mesures correctives voulues, l’Ag.SST Kurtz a donné, le 26 novembre 2009, une instruction à Viterra.

[8] Cette instruction se lit comme il suit :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 1er septembre 2009, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une inspection dans le lieu de travail exploité par VITERRA INC., un employeur assujetti au Code canadien du travail, partie II, à Elevator Row, Warner, Alberta, T0K 2L0, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de Viterra.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes.No./No 1Alinéa 125.(1)v) – Code canadien du travailpartie II et paragraphe 12.7(2) – Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

L’employeur veille à ce que les employés qui se servent de dispositifs de protection des voies respiratoires, incluant notamment des dispositifs respiratoires jetables filtrant les particules, soient formés à les choisir, les ajuster et les utiliser conformément à la normeZ94.4-M1982 de l’ACNOR. Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 14 décembre 2009.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LA PRÉSENTE INSTRUCTION, en vertu du paragraphe 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, dans le délai prescrit par l’agent de santé et de sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition..

Fait à Calgary, ce 26e jour de novembre 2009.

Patrick Kurtz
Agent de santé et de sécurité

Numéro de certificat : ON1277

À : VITERRA INC.
Boîte postale 426
Warner (Alberta)
T0K 2L0

Question en litige

[9] Je dois déterminer si l’Ag.SST Kurtz a erré en donnant une instruction à Viterra en vertu du paragraphe 145(1) du Code.

Observations de l’appelante

[10] Au nom de Viterra, M. Bergbusch a déclaré que l’instruction a été donnée par erreur et qu’elle devrait être annulée. Selon lui, l’Ag.SST Kurtz a commis trois erreurs en donnant cette instruction. Premièrement, il n’a pas déterminé « s’il y avait un risque de présence, dans le lieu de travail, d’air contenant des substances dangereuses ou d’air à faible teneur en oxygène …», une condition préliminaire essentielle pour déterminer si un dispositif de protection des voies respiratoires est nécessaire en vertu du paragraphe 12.7(2) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement).

[11] Deuxièmement, M. Bergbusch a soutenu que l’instruction est trop générale parce qu’elle englobe tous les dispositifs de protection des voies respiratoires, bien que le seul point que l’Ag.SST Kurtz ait eu à reprocher à Viterra concerne les masques jetables et que cette affaire porte seulement sur les dispositifs de protection des voies respiratoires jetables. Qui plus est, rien ne justifie la conclusion de l’agent qui a affirmé que Viterra a manqué à ses obligations de choisir, d’ajuster et d’entretenir tous les dispositifs de protection des voies respiratoires qu’elle fournit à ses employés.

[12] Troisièmement, M. Bergbusch a maintenu que l’Ag.SST Kurtz n’a pas tenu compte de l’explication de Viterra qui allègue qu’elle fournit les dispositifs de filtrage de particules jetables (masques anti‑poussière) à ses employés, seulement dans des circonstances où la poussière incommodante peut constituer un irritant. Ces masques ne se prêtent pas à des tests d’ajustement (fit test), et les employés ne sont pas autorisés à les porter dans des circonstances où la concentration de poussière constitue « un risque de présence d’air contenant des substances dangereuses ».

[13] La poussière de grains ne constitue pas un danger pour les employés dans leur lieu de travail à moins d’y être présente à une concentration excédant les normes prescrites dans la réglementation. Au moment de son inspection, l’Ag.SST Kurtz n’avait aucune preuve que la concentration de poussière de grains dans les élévateurs à grain du terminal céréalier de Viterra à Warner dépassait les normes réglementaires.

[14] Enfin, M. Bergbusch a fait valoir que, même si Viterra offre des dispositifs de protection des voies respiratoires jetables à ses employés pour leur confort quand de la poussière de grains est présente dans l’air à une concentration trop faible pour être dangereuse, mais suffisante pour les incommoder, elle leur fournit également d’autres dispositifs lorsque la concentration dépasse le seuil réglementaire et veille à ce qu’ils soient formés pour les choisir, les ajuster et les utiliser, conformément à la norme Z94.4-M1982 de l’ACNOR.

[15] Les documents fournis à l’Ag.SST révèlent que Viterra applique un programme exhaustif de protection des voies respiratoires incluant l’utilisation de divers dispositifs de protection des voies respiratoires comme des masques anti‑poussière jetables, des masques complets à cartouche et des appareils respiratoires autonomes. Ce programme contient des renseignements détaillés à l’intention des employés sur le choix, l’ajustement et l’utilisation des dispositifs de protection des voies respiratoires non jetables.

Analyse

[16] Je dois décider si l’Ag.SST Kurtz a erré en concluant que l’employeur a contrevenu à alinéa 125(1)v) du Code et au paragraphe 12.7(2) du Règlement.

[17] L’alinéa 125(1)v) du Code dispose :

125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève...

v) d’adopter et de mettre en oeuvre les normes et codes de sécurité réglementaires;

[18] Les normes de sécurité pertinentes en l’espèce sont précisées aux paragraphes 12.7(1) et (2) du Règlement qui stipulent que :

12.7(1) Lorsqu’il y a risque de présence, dans le lieu de travail, d’air contenant des substances dangereuses ou d’air à faible teneur en oxygène, l’employeur doit fournir un dispositif de protection des voies respiratoires qui figure dans la liste intitulée NIOSH Certified Equipment List, publiée le 13 février 1998 par le National Institute for Occupational Safety and Health, compte tenu de ses modifications successives, et qui protège les voies respiratoires contre ces substances dangereuses ou le manque d’oxygène, selon le cas.

12.7(2) Le choix, l’utilisation, l’entretien et l’ajustement du dispositif de protection des voies respiratoires visé au paragraphe (1) doivent être conformes à la norme Z94.4-M1982 de l’ACNOR intitulée Choix, entretien et utilisation des appareils respiratoires, publiée dans sa version française en mars 1983, (la dernière modification date de septembre 1984) et publiée dans sa version anglaise en mai 1982 (la dernière modification date de septembre 1984) à l’exclusion des articles 6.1.5, 10.3.3.1.2 et 10.3.3.4.2c).

[19] Après avoir examiné attentivement les documents soumis par l’Ag.SST Kurtz, et particulièrement toute la correspondance qu’il a échangé avec l’employeur avant de lui donner son instruction, je constate que l’Ag.SST Kurtz n’a émis aucune réserve pendant son inspection à propos du dispositif de protection des voies respiratoires fourni aux employés par Viterra autre que celle concernant le masque anti‑poussière jetable. La principale préoccupation de l’Ag.SST Kurtz semble reposer sur le fait que l’employeur refusait de faire des tests d’ajustement (fit test) pour ce type de masque comme l’exige la norme de l’ACNOR mentionnée au paragraphe 12.7(2) du Règlement.

[20] En outre, l’Ag.SST Kurtz n’a pas conclu que le programme de protection des voies respiratoires mis en place par l’employeur et portant sur divers types de dispositifs de protection des voies respiratoires contrevient au Code.

[21] Par conséquent, je souscris à l’allégation de l’employeur qui affirme que l’instruction de l’Ag.SST Kurtz était trop générale puisqu’elle portait sur tous les dispositifs de protection des voies respiratoires. Le seul de ces dispositifs qui fait l’objet d’un litige en l’espèce est le masque anti‑pousssière jetable.

[22] L’Ag.SST Kurtz a jugé que Viterra a enfreint le paragraphe 12.7(2) du Règlement en fournissant à ses employés des masques anti‑poussière jetables sans s’assurer de les avoir formés à les choisir, à les ajuster et à les utiliser, alors que le Règlement le prescrit.

[23] Je conclus que l’Ag.SST Kurtz a erré en donnant instruction à l’employeur d’offrir de la formation en ce qui concerne le choix, l’utilisation et l’ajustement des masques anti‑poussière jetables conformément au paragraphe 12.7(2) du Règlement sans d’abord se demander si Viterra a l’obligation légale de fournir ces masques à ses employés.

[24] Le fait est que le paragraphe 12.7(2) s’applique seulement lorsque l’employeur est tenu de fournir un dispositif de protection des voies respiratoires figurant dans la liste intitulée NIOSH Certified Equipment List, conformément au paragraphe 12.7(1).

[25] L’employeur a l’obligation légale de fournir un dispositif de protection des voies respiratoires figurant dans la liste intitulée NIOSH Certified Equipment List conformément au paragraphe 12.7(1) « lorsqu’il y a risque de présence, dans le lieu de travail, d’air contenant des substances dangereuses ou d’air à faible teneur en oxygène ».

[26] Le risque de présence d’air contenant des substances dangereuses ou d’air à faible teneur en oxygène au paragraphe 12.7(1) est une condition préalable à l’application du paragraphe 12.7(2).

[27] L’employeur exploite un complexe d’élévateurs à grain; durant les opérations de manutention du grain, les employés peuvent être exposés à différentes concentrations de poussière. Le danger auquel les employés travaillant dans le complexe sont susceptibles d’être exposés est la présence de poussière de grain à une concentration dans l’air supérieure à celle qui est prescrite à la partie X du Règlement intitulé Substances dangereuses.

[28] L’alinéa 10.19(1)b) du Règlement stipule :

10.19(1) Aucun employé ne doit être exposé à :
...
b) une concentration de poussières de céréales dans l’air qui excède 10mg/m3;

[29] Il s’ensuit que, lorsque les employés sont exposés à de la poussière de grain en suspension dans l’air à une concentration excédant 10 mg/m3, Viterra est tenue de leur fournir un dispositif de protection des voies respiratoires figurant dans la NIOSH Certified Equipment List et de veiller à ce qu’ils aient reçu la formation nécessaire en ce qui concerne la façon de le choisir, son utilisation et son entretien, conformément à la normeZ94.4-M1982 de l’ACNOR.

[30] Par contre, lorsque les employés sont exposés à une concentration de poussière de grain inférieure au niveau prescrit dans le Règlement, Viterra n’est pas tenue de leur fournir un dispositif de protection des voies respiratoires, et le paragraphe 12.7(2) ne s’applique donc pas.

[31] Par conséquent, puisque Viterra ne fournit des masques anti‑poussière jetables à ses employés que pour leur confort, lorsque la concentration de poussière de grain ne dépasse pas le seuil réglementaire, elle pas tenue par le Règlement de s’assurer qu’ils soient formés en ce qui concerne le choix, l’utilisation et l’ajustement de ces masques. Viterra n’est donc pas tenue de faire passer des tests d’ajustement (fit test) aux employés qui utilisent ce genre de masque lorsqu’ils sont exposés à une concentration non dangereuse de poussière de grain.

[32] Cela dit, après avoir analysé le programme de protection des voies respiratoires de Viterra, je conclus qu’il satisfait aux exigences réglementaires. Le programme prévoit l’identification des zones dangereuses grâce à des tests. On effectue des tests de la qualité de l’air pour assurer une sélection judicieuse des dispositifs de protection des voies respiratoires. Lorsque la concentration de poussière de grain excède le seuil réglementaire, on équipe les employés de dispositifs de protection des voies respiratoires approuvés par la NIOSH en leur fournissant des renseignements détaillés sur comment choisir, ajuster et utiliser de ces dispositifs conformément à la norme Z94.4-M1982 de l’ACNOR.

Décision

[33] Pour ces motifs, j’annule l’instruction donnée le 26 novembre 2009 par l’Ag.SST Kurtz.

Pierre Guénette
Agent d’appel

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