2011 TSSTC 2

Référence : Day & Ross Dedicated Logistics Inc., 2011 TSSTC 2

Date : 2011-02-11
Dossier: 2009-28
Rendue à: Ottawa

Entre
Day & Ross Dedicated Logistics Inc., appelante

Affaire : Appel à l’encontre de quatre instructions données par un agent de santé et de sécurité, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail.
Décision : Les instructions sont annulées
Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelante : M. Jordan D. Winch, Ogilvy Renault

Motifs de décision

[1] Il s’agit d’un appel déposé par l’appelante, Day & Ross Dedicated Logistics Inc. (Day & Ross), à l’encontre de quatre instructions données à l’appelante, à titre d’employeur, par l’agente de santé et de sécurité (Ag.SST), Mme Amy Ferguson, au terme d’une enquête sur un accident de travail survenu le 11 juin 2009 qui a causé une blessure invalidante à M. Michael (Mike) Edem, en l’occurrence, la perte permanente de l’extrémité du majeur droit. L’appel a été instruit exclusivement sur la foi des observations écrites de Day & Ross.

Contexte

[2] Day & Ross est une entreprise sous réglementation fédérale qui offre une gamme complète de services généraux de transport et de fret dans toute l’Amérique du Nord. Dans ses activités quotidiennes, l’entreprise utilise un grand nombre de travailleurs provenant d’un certain nombre d’entreprises et d’agences spécialisées dans le placement de travailleurs temporaires auprès d’entreprises ayant besoin de main‑d’œuvre temporaire. Le jour de l’événement, M. Edem fournissait ses services à Day & Ross comme « aide‑conducteur/manœuvre ». Au moment où l’accident est survenu, M. Edem participait, en tant que membre d’une équipe de quatre personnes composée également d’Alex Garcia (conducteur de camion‑pompe), de Larry Morandin (conducteur de grue) et de Tristan Nisble (manœuvre), au déchargement d’un plateau de batteries de 1 800 kg à un lieu désigné sous le nom de Maison St. Matthews Bracondale, au 707, avenue St. Clair Ouest à Toronto. L’accident peut être décrit brièvement comme suit : M. Edem, qui donnait un coup de main pour le déchargement, a perdu l’extrémité du majeur droit lorsqu’il s’est fait écraser le doigt contre le hayon du camion par le 2 x 4 qui soutenait la partie centrale du plateau de batteries que le conducteur de camion‑pompe s’affairait à descendre. Le jour de l’accident, M. Edem en était à son sixième poste chez Day & Ross, les cinq postes précédents ayant été effectués les 3, 5, 8, 9 et 10 juin 2009.

[3] Cet accident de travail a entraîné la tenue d’une enquête au cours de laquelle l’Ag.SST Amy Ferguson a examiné en détail la question de la relation employeur‑employé entre M. Edem et Day & Ross, ainsi que la relation de deux des trois autres travailleurs qui faisaient partie de l’équipe au moment de l’accident. À en juger par le contenu du rapport d’enquête, il semble que l’Ag.SST Ferguson a décidé de concentrer son attention sur cette question parce que ses contacts précédents avec cet employeur l’avaient amenée à constater que la relation employeur‑employé entre Day & Ross et les travailleurs des agences de placement n’était pas claire. Donc, trois questionnaires détaillés ont été soumis aux trois travailleurs en cause, en l’occurrence, la victime de l’accident M. Edem, le superviseur Larry Morandin et le conducteur de camion‑pompe Alex Garcia. Il convient de noter que le quatrième membre de l’équipe, le manœuvre Tristan Nisble, n’a pas rempli de questionnaire; si bien que les détails de sa relation avec Day & Ross n’ont pas été examinés, même s’il avait obtenu son emploi chez Day & Ross par l’entremise d’une agence de placement, à l’instar des trois autres travailleurs. Au terme de cette enquête, qui avait été instituée suite à un accident de travail ayant causé une blessures à un seul travailleur, M. Edem, l’Ag.SST Ferguson en est arrivée à la conclusion que les trois membres de l’équipe de quatre personnes sur lesquels elle avait plutôt décidé de faire porter son enquête devaient être considérés comme des employés de Day & Ross Dedicated Logistics [traduction] « dans la mesure où l’employeur de compétence fédérale a l’obligation de protéger ses travailleurs et qu’il ne peut confier cette responsabilité par contrat à une agence ». La conclusion de l’Ag.SST Ferguson se termine sur le raisonnement pour le moins inclusif suivant : [traduction] « il est nécessaire que l’entreprise de compétence fédérale soit considérée comme l’employeur de toutes les personnes qui exécutent du travail sous son contrôle exclusif aux fins de la santé et de la sécurité, en conformité avec l’esprit du texte législatif, qui est d’assurer un cadre de travail sûr et équitable à tous les Canadiens », un énoncé qui déborde le cadre de sa compétence.

[4] Afin de préciser la situation, ajoutons que Day & Ross Inc. a fait l’acquisition, en janvier 2008, des locaux d’une entreprise connue sous la raison sociale Wesbell Logistics Services, et adopté la raison sociale Day & Ross Dedicated Logistics Inc. (Day & Ross), et que les employés de l’ancienne entreprise Wesbell, y compris les travailleurs d’agence, ont conservé leur poste. Wesbell Logistics Services était également une entreprise régie par la législation fédérale. Selon le rapport de l’Ag.SST Ferguson, l’utilisation de personnel provenant d’agences de placement est une pratique qui avait été instituée par Wesbell et que Day & Ross a décidé de maintenir. Cette entreprise (Day & Ross) n’a cependant pas d’entente d’exclusivité avec CGM Transport Services (l’agence de placement), ni avec ses employés. L’agence fournit ses services à d’autres compagnies, notamment à des entreprises offrant des services de transport routier et de fret.

Question en litige

[5] Day & Ross conteste en appel la validité des quatre instructions reçues et en demande l’annulation. L’appel porte sur une question unique commune aux quatre instructions. L’appelante conteste le fait que M. Edem soit considéré comme un « employé » de Day & Ross. Elle soutient qu’elle n’est pas l’employeur de M. Edem pour l’application de la partie II du Code canadien du travail (le Code) et du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement). Elle prétend en fait qu’au moment de l’accident, elle avait conclu un contrat commercial avec le véritable employeur de M. Edem, CGM Transport, une agence de placement, pour obtenir les services de travailleurs temporaires et qu’à ce moment‑là et à toutes les périodes pertinentes, M. Edem fournissait ses services à Day & Ross à titre de représentant de CGM Transport, un employeur sous réglementation provinciale, et qu’en aucun moment il n’était un employé de l’appelante.

Preuve et observations

[6] Comme il est indiqué au début, le présent appel a été instruit exclusivement sur la foi des observations écrites. Par conséquent, à l’exception du rapport d’enquête préparé par l’Ag.SST Ferguson pour étayer ses conclusions et de sa décision de donner quatre instructions à l’appelante, Day & Ross, aucun autre élément de preuve n’a été présenté à l’agent d’appel soussigné pour appuyer sa décision, qui sera dès lors limitée à son interprétation des renseignements recueillis pas l’Ag.SST Ferguson et des observations de l’appelante.

[7] Un fait qu’on ne peut non plus passer sous silence à ce stade-ci est que si la caractérisation de la relation entre un « employeur » et un « travailleur » est essentiellement un processus individualisé, en ce sens que chaque affaire est un cas d’espèce qui doit être tranché en fonction des détails particuliers de la relation entre ce « travailleur » et cet « employeur », il n’en demeure pas moins que pour en arriver à sa conclusion que M. Edem, le travailleur blessé, est un « employé » de Day & Ross, l’Ag.SST Ferguson a décidé, en fait, d’examiner la situation de M. Edem qui, même s’il avait été présenté à Day & Ross par une agence de placement, CGM Transport Services, n’avait fourni ses services que pour six postes avant que survienne l’accident, ainsi que la situation de deux travailleurs de longue date de Day & Ross placés par une agence, soit Alex Garcia et Larry Morandin, qui fournissaient leurs services à Day & Ross depuis cinq et sept ans respectivement. Tristan Nisble, dont la situation n’a pas été examinée par l’Ag.SST Ferguson, travaillait chez Day & Ross depuis un an et demi seulement.

[8] Les faits se rapportant à M. Edem, le travailleur blessé, sont les suivants. Après avoir appris par un tiers et par une annonce publiée sur l’Internet (Kijiji) par CGM Transport Services qu’il y avait des postes à combler, M. Edem a présenté une demande d’emploi, par l’entremise de CGM Transport Services (CGM), afin d’obtenir le poste de manœuvre‑aide et rempli les formulaires requis. Il a été interviewé par CGM, qui a également pris la décision finale quant au choix du travailleur requis par Day & Ross en se fondant sur les critères que Day & Ross lui avait communiqués peu de temps après que M. Edem ait été embauché par l’agence. Il semble que Day & Ross avait besoin de main‑d’œuvre temporaire à court terme sur demande pour accomplir diverses tâches générales, autres que la conduite de véhicules, relativement au chargement et au déchargement de remorques appartenant à Day & Ross et exploitées par celle-ci. CGM était tenue de rémunérer les travailleurs aux taux horaire établi par Day & Ross; à ce salaire pouvaient s’ajouter, selon l’Ag.SST Ferguson, des frais supplémentaires négociés visant à rémunérer l’agence pour ses services selon le degré de satisfaction de Day & Ross. Il semble que les frais supplémentaires étaient la seule portion de la rémunération que CGM pouvait modifier. Day & Ross décrit toutefois cette rémunération de façon un peu différente en indiquant que l’entreprise considérait que le montant total que CGM pouvait facturer représentait le montant maximal que Day & Ross acceptait de payer pour que l’agence lui fournisse les services d’un travailleur. Day & Ross a expliqué que l’entreprise avait négocié avec CGM un taux de rémunération horaire de 14,85 $, avant la TPS, pour que M. Edem lui fournisse des services de manœuvre, même si ce dernier avait convenu avec l’agence d’un taux de rémunération horaire de 11 $ (sur lequel CGM effectuait les retenues obligatoires) avant que Day & Ross communique avec CGM Transport pour obtenir des services de main‑d'œuvre temporaire et que M. Edem soit envoyé sur place.

[9] Le rapport d’enquête indique que durant la période où M. Edem a fourni ses services à Day & Ross sur la recommandation de CGM, son travail quotidien était assujetti à la supervision et au contrôle de répartiteurs et superviseurs de Day & Ross, ainsi que de chefs d’équipe de l’agence. CGM n’exerçait pas de contrôle sur les activités, l’équipement, les lieux de travail, le territoire, les calendriers, les attentes de la clientèle ou les exigences des divers lieux de travail, bref sur l’entreprise de Day & Ross. Ces éléments étaient décidés par Day & Ross et leur application était supervisée par le personnel de Day & Ross et par d’autres travailleurs temporaires d’agence. L’avocat de Day & Ross affirme cependant que le travail de M. Edem et M. Edem lui‑même n’étaient pas assujettis à la supervision et au contrôle exclusifs de Day & Ross durant sa période d’emploi. L’Ag.SST Ferguson admet d’ailleurs que si le travail accompli par le travailleur ne répond pas aux attentes sur ces points, Day & Ross ne mettrait pas fin à son emploi au sens de la loi, mais cesserait plutôt d’utiliser ses services, ce qui pourrait avoir la même conséquence finale, puisque l’agence ne s’engage pas à trouver un autre placement, même si cette possibilité n’est pas exclue. Donc, si Day & Ross avait le droit de dire à l’agence qu’elle ne voulait plus utiliser les services M. Edem parce que son travail n’était pas jugé satisfaisant, c’est l’agence qui avait le pouvoir final de le licencier. L’Ag.SST indique que dans ce scénario, Day & Ross avait uniquement le pouvoir discrétionnaire de mettre fin à l’affectation, tandis que CGM aurait le pouvoir exclusif de mettre fin à son emploi comme employé de l’agence. De plus, en cas de problème disciplinaire, Day & Ross communiquerait les faits à l’agence et les documents relatifs aux mesures disciplinaires imposées par l’agence seraient transmis à Day & Ross, sur demande.

[10] L’Ag.SST Ferguson a déterminé que M. Edem considérait l’agence et l’entreprise cliente (Day & Ross) comme son employeur et attribuait à chacune des rôles différents. Il savait à qui il devait s’adresser dans l’agence et dans l’entreprise cliente pour signaler un retard, une maladie, un problème relativement à une tâche ou une préoccupation à propos d’une pièce. Ses activités journalières étaient assujetties au contrôle et à la supervision de Day & Ross, par l’entremise de son personnel, permanent ou d’agence. Par exemple, après son deuxième poste chez Day & Ross, les répartiteurs l’avaient informé de la date de son prochain poste, de l’heure à laquelle il devait se présenter au lieu de travail, de l’équipe dont il ferait partie et du fait qu’il devait se présenter au terminal de Day & Ross à la fin de chaque poste. Day & Ross précise cependant que M. Edem était assujetti à la supervision et au contrôle final de CGM Transport, puisque c’est CGM qui décidait si M. Edem devait aller travailler chez Day & Ross, à quelle fréquence il y allait et s’il pouvait continuer d’y travailler. Toujours selon l’appelante, CGM Transport pouvait décider unilatéralement de placer le travailleur ailleurs.

[11] En ce qui concerne la rémunération, M. Edem soumettait ses feuilles de route quotidiennes aux répartiteurs de Day & Ross, qui transmettaient l’information à CGM chaque semaine pour la préparation du chèque de paye que des représentants de CGM apportaient chaque semaine chez Day & Ross pour qu’il soit remis au travailleur. Dans le cas de M. Edem, CGM n’a préparé qu’un seul chèque de paye. Si M. Edem s’est présenté au travail à six reprises chez Day & Ross, où il a travaillé en équipe avec d’autres travailleurs d’agence, il ne s’est rendu qu’une seule fois au bureau de l’agence, CGM Transport Services, pour remplir les documents au début et pour être interviewé pour le travail envisagé chez Day & Ross.

[12] Il est clair que la rémunération et le recrutement étaient la responsabilité de l’agence, tandis que l’entreprise cliente, Day & Ross, soutient qu’elle contrôlait et supervisait l’exécution du travail comme tel et que, dans cet ordre d’idées, elle avait l’intention de donner de la formation à M. Edem sur les tâches particulières qu’il devait accomplir, comme elle le faisait pour les autres travailleurs d’agence. Pourtant, ni Day & Ross ni l’agence n’a pris l’initiative, à titre d’employeur, de donner à M. Edem des consignes ou de la formation sur la sécurité au travail. Aucune des deux parties ne l’a informé des dangers liés au travail ni ne lui a donné une formation générale en matière de sécurité. Il semble cependant que CGM Transport avait prévu lui donner un peu de formation sur le Système d’information sur les matière dangereuses utilisées au travail (SIMDUT) et sur le transport de marchandises dangereuses (TMD), comme l’agence le faisait pour les autres travailleurs détachés chez Day & Ross. En règle générale, CGM fournissait le matériel de formation et assumait les coûts de cette formation, y compris le salaire du travailleur pendant la durée de sa formation. De son côté, Day & Ross offrait habituellement un peu de formation aux travailleurs d’agence pour les familiariser avec ses activités. Il convient de noter ici que Day & Ross n’a pas donné cette formation à M. Edem et que CGM ne lui a pas donné de formation sur le SIMDUT ou sur d’autres sujets comme le transport de marchandises dangereuses. L’appelante a également indiqué que la supervision exercée par Day & Ross consistait essentiellement à échanger des renseignements de vive voix avec le travailleur au début de chaque poste afin de lui expliquer le genre de services qu’il devait fournir. Cela dit, l’appelante soutient que tous les autres contacts avec M. Edem étaient purement de nature administrative, y compris la production des rapports sur les heures de travail et sur le nombre réel d’heures de travail, ce qui, selon l’avocat, ne correspond en aucun cas au degré de supervision ou de contrôle requis pour que M. Edem soit considéré comme un employé de Day & Ross.

[13] Comme je l’ai indiqué au début, l’Ag.SST Ferguson a étendu son enquête à deux autres travailleurs qui avaient également été présentés à Day & Ross par une agence de placement. À première vue, les détails de la situation de ces deux travailleurs ne semblent présenter beaucoup d’intérêt pour déterminer si M. Edem était devenu un employé de Day & Ross. Cependant, l’examen de ces détails, tels qu’ils sont décrits dans le rapport d’enquête, sert à démontrer la grande différence qui existe entre la situation de ces deux travailleurs et celle de M. Edem, peu importe la durée comparative d’emploi de chacun chez Day & Ross, et facilite ainsi le processus décisionnel. En fait, à l’examen de l’information recueillie par l’Ag.SST Ferguson dans son rapport en trois parties, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle savait pertinemment que M. Edem fournissait des services à Day & Ross depuis très peu de temps et que son objectif était sans doute de démontrer, en attirant l’attention sur la situation de M. Garcia et de M. Morandin, comment la situation de M. Edem pourrait évoluer à la longue. Il est donc important d’examiner brièvement la situation de ces deux travailleurs.

[14] Larry Morandin, qui travaille chez Day & Ross depuis sept ans, a été informé par un ami qu’il y avait un poste à combler chez Wesbell (maintenant Day & Ross) et s’est présenté au lieu de travail de l’entreprise de compétence fédérale pour soumettre sa candidature. Des gestionnaires de Wesbell lui ont fait passer une entrevue et un test d’évaluation de ses compétences comme conducteur de camion et on lui a remis un uniforme de Wesbell. Dans le cadre du processus de recrutement, il a été dirigé vers l’agence KAS pour remplir une demande d’emploi et Wesbell l’a prié de soumettre sa candidature par l’entremise de cette agence, étant entendu que Wesbell lui réservait un poste.

[15] Au chapitre de la formation, l’agence avait donné de la formation à M. Morandin sur le SIMDUT et sur le TMD avant son affectation chez Wesbell. M. Morandin a également reçu de la formation pratique de Wesbell, qui a payé les frais de sa formation sur le maniement de grues HIAB et rémunéré ses heures de formation, en plus de lui fournir un camion de l’entreprise pour compléter sa formation. L’agence n’a pas donné de formation à M. Morandin sur la manutention du matériel, les consignes d’urgence, la procédure à suivre en cas de refus de travailler ou les exigences relatives au chargement et au déchargement de la marchandise chez les clients ou aux divers lieux de travail. M. Morandin a cependant reçu de la formation de Day & Ross sur la manutention du matériel et sur l’utilisation de l’équipement; il participe aux réunions d’information périodiques, en plus d’être informé des exigences de la clientèle et des particularités des divers lieux de travail et de recevoir des directives spéciales pour accomplir ses tâches quotidiennes. Il indique qu’il a des contacts irréguliers avec l’agence, la plupart du temps pour obtenir sa paye de vacances, même s’il n’a pas besoin de l’autorisation de l’agence pour prendre des vacances. M. Morandin estime que son travail est assujetti à la supervision et au contrôle exclusif de Day & Ross, pour la bonne raison qu’il n’a jamais reçu de directives ou d’instructions de l’agence relativement à ses responsabilités professionnelles, aux tâches à accomplir, aux procédures à suivre et aux attentes de la clientèle. Day & Ross traite toujours directement avec M. Morandin en cas de problème disciplinaire ou de rendement.

[16] En ce qui concerne la rémunération, la paye de M. Morandin est déposée directement dans son compte, mais il reçoit un bordereau de paye hebdomadaire de l’agence; c’est également l’agence qui lui remet sa paye de vacances. Il a obtenu quelques augmentations de salaire qu’il a négociées personnellement avec la direction de Day & Ross. Il a même reçu des augmentations inattendues à quelques reprises, ce qui signifie, à son avis, que Day & Ross est satisfait de son rendement. Sur le questionnaire qu’il a rempli au moment de l’embauche, il est indiqué que l’entreprise n’évalue pas le rendement des travailleurs d’agence; aucune des parties ne s’est attribué la responsabilité d’évaluer le rendement des travailleurs d’agence. Pour ce qui touche le licenciement, M. Morandin croit comprendre que le pouvoir de Day & Ross se limite à mettre fin à l’affectation du travailleur, ce qui peut mener à son licenciement s’il n’obtient pas une autre affectation ailleurs. Il reste que seule l’agence peut mettre fin légalement à l’emploi du travailleur. Il est évident que M. Morandin considère Day & Ross comme son employeur. Cela dit, un représentant de Day & Ross Inc., la société mère de l’appelante, Day & Ross Dedicated Logistics, a indiqué que dans toutes les divisions de la société mère, à l’exception de l’appelante, M. Morandin aurait été embauché comme employé permanent, et que même après sept années d’emploi, il n’avait à peu près aucune chance d’obtenir un poste permanent chez l’appelante, car Day & Ross Dedicated Logistics n’a jamais eu la moindre intention d’établir une relation juridique permanente avec les travailleurs d’agence.

[17] Le cas d’Alex Garcia, un travailleur d’agence de longue date (cinq ans) est très similaire à celui de Larry Morandin, de sorte que je ne décrirai pas sa situation en détail. Il a été informé de la même manière que Day & Ross cherchait du personnel, mais lorsqu’il s’est présenté sur place pour soumettre sa candidature, on l’a redirigé vers une agence, à vrai dire plusieurs agences, pour remplir les documents requis. La situation de M. Garcia est cependant unique en ce qu’il a reçu et rempli les documents requis directement au lieu de travail plutôt qu’à l’agence ou aux agences et que, de ce fait, il n’a pas été interviewé par le personnel de l’agence, contrairement à M. Edem, avant d’être placé chez Day & Ross. En ce qui concerne son statut d’employé chez Day & Ross, M. Garcia a indiqué à l’Ag.SST Ferguson que l’entreprise prend les moyens nécessaires pour que les travailleurs d’agence ne deviennent pas ou ne croient pas qu’ils sont devenus des employés permanents de l’entreprise. Il a déclaré à l’Ag.SST Ferguson que Day & Ross [traduction] « s’assure qu’on comprend bien qu’on n’est pas des employés permanents, mais “des travailleurs d’agence de seconde zone” ».

[18] Il semble que la totalité de sa formation pratique lui a été dispensée par des travailleurs de Day & Ross; il participe aux réunions d’information périodiques et il sait que Day & Ross consigne quelque part toute la formation que l’entreprise lui a donnée. M. Garcia a indiqué à l’Ag.SST Ferguson que son emploi et ses tâches sont assujettis à la supervision et au contrôle exclusif de Day & Ross, qu’il se présente quotidiennement au lieu de travail de Day & Ross, qu’il fait rapport périodiquement aux superviseurs de l’entreprise, qu’il utilise l’équipement de cette dernière, qu’il remet ses feuilles de route journalières aux répartiteurs de l’entreprise, auxquels il s’adresse pour recevoir des instructions lorsqu’un problème survient sur le terrain. Ses vacances doivent d’abord être approuvées par l’entreprise cliente. En ce qui concerne sa rémunération, sa paye est aussi déposée directement dans son compte et son bordereau de paye hebdomadaire indique que le chèque a été émis par l’agence. L’agence paye ses cotisations au régime d’indemnisation des accidents du travail ainsi que la totalité des cotisations patronales, en plus de délivrer les relevés d’emploi et les relevés T4. Pour obtenir une augmentation de salaire, il entame directement des discussions avec le superviseur de Day & Ross; l’agence hausse ensuite son salaire selon les instructions reçues de l’entreprise et rajuste la facture en conséquence.

[19] L’avocat de l’appelante a formulé un argument à deux volets en soutien à la position que Day & Ross n’est (n’était) pas l’employeur de M. Edem et qu’il n’a pas de relation employeur‑employé avec le travailleur blessé. Ses observations portent, en premier lieu, sur les détails précis de la situation qui existait entre Day & Ross et M. Edem, et, en deuxième lieu, sur l’application du droit, c’est‑à‑dire le critère établi par la jurisprudence pour établir l’existence d’une relation employeur‑employé dans les cas particuliers mettant en cause une tierce partie, en l’occurrence une agence de placement. Ce critère, appelé critère du contrôle fonctionnel ou fondamental, a été énoncé dans la jurisprudence, notamment dans l’arrêt Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail)Footnote 1 , qui préconise l’application d’une approche globale pour déterminer qui est le véritable employeur du travailleur d’agence parce que, dans le cas d’une situation liant trois parties, il serait manifestement déraisonnable de déterminer qui est le véritable employeur en se fondant uniquement ou exclusivement ou de façon prépondérante sur le critère de la subordination juridique et, partant, de faire abstraction des autres aspects fondamentaux de la situation en question.

[20] L’avocat a également émis l’opinion que je ne devais pas accorder d’importance au fait que l’Ag.SST Ferguson a fait enquête sur la situation de trois travailleurs, dont deux étaient employés par Day & Ross depuis plusieurs années. Ce qu’il voulait dire, c’est que le litige porte essentiellement sur le statut d’emploi de M. Edem et que, de ce fait, je dois fonder ma décision exclusivement sur les circonstances personnelles de M. Edem, c’est‑à‑dire sa situation de travail. L’avocat de l’appelante a fait valoir que la relation de Day & Ross avec les autres entreprises ou les agences de placement était dénuée d’intérêt, au même titre que sa relation avec les employés de ces entreprises ou de ces agences de placement, y compris Larry Morandin, Alex Garcia et Tristan Nisble. Il a ajouté que [traduction] « les passages du rapport d’enquête où il est question de ces entreprises ou de ces agences de placement et de leurs employés ne facilite[ront] pas le processus de recherche des faits de l’agent d’appel qui (…) devrait porter exclusivement sur Day & Ross, CGM Transport et M. Edem ».

[21] En ce qui concerne l’utilisation de personnel temporaire ou d’agence, l’avocat a fait valoir que l’effectif de Day & Ross n’est pas composé de travailleurs d’agence et que l’entreprise fait appel à ces travailleurs uniquement pour suppléer au manque de personnel au sein de son effectif permanent à temps plein. L’avocat a déclaré que : [traduction] « Day & Ross utilise les services de CGM Transport pour combler des besoins temporaires de main‑d’œuvre. À cet égard, Day & Ross dispose d’un effectif permanent à temps plein pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise au jour le jour. Cependant, en période de pointe, il arrive que l’entreprise ait besoin de main‑d’œuvre supplémentaire pour une période temporaire. » À cet égard, l’avocat a également attiré l’attention sur le fait que lorsque Day & Ross a communiqué avec CGM Transport, le 2 juin 2009, pour obtenir les services d’un manœuvre temporaire. M. Edem avait été embauché par CGM quatre jours plus tôt environ, ce qui démontre bien qu’il n’existait pas de relation exclusive entre CGM et Day & Ross.

[22] Quant au critère applicable pour analyser et déterminer la relation d’emploi, l’avocat a expliqué que le critère du contrôle fonctionnel établi par la jurisprudence nécessite l’application d’une approche globale et flexible qui s’accorde avec la relation non traditionnelle qui existe entre les trois parties, c’est‑à-dire une approche permettant d’établir quelle partie exerce le plus de contrôle sur tous les aspects du travail compte tenu faits particuliers de chaque cas, après examen d’un grand nombre d’éléments tels que le processus de sélection et d’embauche, la formation, le processus disciplinaire et d’évaluation, la supervision, l’attribution du travail, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise, ce dernier aspect étant nécessairement fonction de la durée d’emploi chez l’employeur particulier. Pour déterminer qui exerce ce contrôle fonctionnel, il n’est pas nécessaire de savoir qui donne des directives sur l’exécution du travail quotidien, étant acquis que cela est la prérogative du client de l’agence. L’avocat avance que : [traduction] « en ce qui concerne le contrôle fondamental, la jurisprudence applicable reconnaît que c’est le client qui aura en définitive la tâche d’expliquer à l’employé d’agence comment exécuter son travail chaque jour et que, cela étant, cet aspect ne permettra pas d’établir qui est le véritable employeur. Le raisonnement qui sous-tend vraisemblablement cette conclusion est le suivant : puisque c’est le client qui a besoin de faire faire du travail, il serait absurde de communiquer les instructions essentielles à un tiers et de s’embourber dans une foule de tracasseries administratives et de problèmes d’efficience opérationnelle. »

[23] Pour finir, l’avocat de l’appelante a attiré l’attention sur un certain nombre de faits contenus dans le rapport d’enquête qui, lorsqu’ils sont examinés du point de vue du contrôle fondamental ou fonctionnel, appuient clairement, selon lui, la conclusion que le contrôle fondamental est exercé par CGM Transport, puisque c’est l’entité qui était habilitée à approuver ou à influencer de manière décisive la sélection, l’affectation et les conditions d’emploi de M. Edem. Il fonde sa conclusion sur les éléments suivants. CGM Transport :

  • a recruté et embauché M. Edem;
  • a conclu un contrat d’emploi avec M. Edem;
  • s’est présentée comme l’employeur de M. Edem;
  • a déterminé que M. Edem était capable de fournir ses services comme manœuvre à Day & Ross;
  • exerçait un contrôle sur les affectations de M. Edem;
  • pouvait mettre fin en tout temps à l’affectation de M. Edem;
  • a établi le salaire de M. Edem avant de le présenter à Day & Ross;
  • a payé le salaire de M. Edem;
  • avait la responsabilité d’évaluer le rendement de M. Edem;
  • avait la responsabilité de prendre des mesures disciplinaires contre M. Edem;
  • a imposé des règles et des restrictions à M. Edem;
  • avait la responsabilité de former M. Edem;
  • continue de maintenir M. Edem sur sa liste de travailleurs.

L’avocat a également indiqué que M. Edem avait fourni ses services chez Day & Ross durant six postes seulement et que, cela étant, on ne peut conclure qu’il a été intégré dans l’entreprise de Day & Ross.

[24] L’avocat conclut son argumentation en disant qu’il n’existait pas de relation employeur‑employé entre Day & Ross et M. Edem.

Analyse

[25] Dans ses observations, l’avocat de l’appelante renvoie l’agent d’appel soussigné aux observations formulées par l’honorable ministre de la Santé de l’Ontario relativement aux agences de placement temporaire et à leurs employés. Ces observations ont été faites dans le cadre de l’examen d’un texte de loi visant à modifier la loi sur les normes d’emploi en Ontario et portaient sur l’évolution du monde du travail. Day & Ross en tire argument pour faire valoir que la réalité commerciale a changé et que, de nos jours, les agences de placement temporaire ne font pas que fournir du personnel pour exécuter des tâches administratives pour une courte période et que l’employé d’agence peut travailler dans la même entreprise cliente pendant des mois, voire des années. En faisant référence à ces observations, l’avocat de l’appelante cherchait visiblement à convaincre l’agent d’appel soussigné d’accepter l’idée que cette nouvelle réalité nous force à modifier notre perception de la réalité des relations d’emploi. Je reconnais que les paroles citées se rapportaient à une situation qui existe en Ontario, mais je n’ai pas de raison de croire que cette situation n’existe pas ailleurs comme dans le secteur de compétence fédérale. C’est pourquoi je reprends à mon compte ces observations, que je reproduis ci‑après, pour la bonne raison que je suis totalement en accord avec leur contenu et que je suis d’avis qu’elles pourraient s’appliquer à n’importe quelle sphère de compétence :

[Traduction]

La nature du travail a changé. Les travailleurs temporaires constituent de nos jours une partie importante de la main‑d’œuvre de l’Ontario. Ils représentent en fait 11 % de la population active environ. Plus de 700 000 personnes occupent un emploi temporaire dans la province et nombre d’entre eux ont été présentés par une agence de placement temporaire. Il en existe environ un millier en Ontario. Ces agences fournissent les services de leurs employés à des entreprises clientes qui ont besoin de personnel à titre temporaire seulement.

Il y a quelques décennies, les agences de placement temporaire fournissaient des travailleurs pour du travail de bureau à court terme qui durait quelques jours ou quelques semaines. On faisait appel à du personnel d’agence lorsque des membres du personnel permanent tombaient malades ou partaient en vacances. Aujourd’hui, les agences fournissent des travailleurs pour combler des besoins dans une grande variété de domaines tels que la fabrication, la construction, les services et les technologies de l’information. L’employé d’agence peut travailler dans la même entreprise cliente pendant des mois, voire des années. Les travailleurs temporaires travaillent côte à côte avec les employés permanents de l’entreprise.

(…)

L’agence de placement temporaire est généralement considérée comme l’employeur du travailleur dont les services sont fournis à l’entreprise cliente. L’entreprise cliente n’est pas l’employeur.

(…)

On constate souvent que ceux qui travaillent pour une agence de placement temporaire ne comprennent pas très bien qui est leur véritable employeur. Certains pensent que c’est l’entreprise cliente à laquelle ils offrent leurs services, d’autres croient que c’est l’agence de placement. Il est important de bien faire comprendre aujourd’hui, selon moi, que l’entreprise cliente n’est pas l’employeur du travailleur temporaire qui lui fournit ses services, ce que ce projet de loi indique clairement. La réalité c’est que l’employé temporaire travaille pour l’agence de placement temporaire.

Si je suis généralement en accord avec les grandes lignes de la déclaration reproduite ci‑dessus en ce qui concerne l’évolution du monde du travail, j’ajouterai cependant que de nombreux aspects tels que la durée d’emploi, le contrôle, l’intégration peuvent faire en sorte que l’employé d’agence devient l’employé du client de l’agence et qu’il n’y a pas de raison que, dans une situation liant trois parties, la détermination du statut d’« employé » soit basée sur le principe de « tout l’un ou tout l’autre ».

[26] Comme je l’ai déjà indiqué, tous les éléments de preuve que je dois examiner ont été recueillis et résumés par l’Ag.SST Ferguson et à cet égard, ils portent la marque d’une Ag.SST qui était animée par une grande motivation. Dans ses observations, l’avocat de l’appelante conteste certains des éléments décrits par l’Ag.SST Ferguson et attire l’attention sur ce qu’il décrit comme [traduction] « des inexactitudes et des hypothèses sans fondement ». Les éléments en question concernent la détermination du taux de rémunération horaire de M. Edem, la question de la direction et du contrôle (exclusif) auquel M. Edem et son travail chez Day & Ross étaient assujettis, les instructions données quotidiennement (de vive voix) à M. Edem pour exécuter ses tâches journalières, l’intégration dans l’entreprise de Day & Ross, ainsi que l’entité responsable de rémunérer les heures supplémentaires de M. Edem. À propos de ces éléments, l’avocat a fait valoir que le rapport d’enquête ne contenait aucune preuve objective étayant les allégations de l’Ag.SST ou que ses conclusions allaient bien au‑delà de ce que la preuve l’autorisait à conclure. Dans la description de la preuve qui précède, ainsi que dans mon résumé des observations de l’avocat, je n’ai pas jugé que ces arguments revêtaient une grande importance pour rendre ma décision, et à la lecture des faits et conclusions contenus dans le rapport d’enquête, j’avais déjà formé l’opinion que l’Ag.SST Ferguson était certainement animée par une très grande motivation. Cela dit, j’ai pris acte des questions soulevées par l’avocat et je comprends en quelque sorte les conclusions auxquelles il est arrivé. Je prends également note de la déclaration non contestée du directeur de la sécurité de Day & Ross Inc., que l’Ag.SST Ferguson rapporte dans son rapport d’enquête, selon laquelle Day & Ross Dedicated Logistics, contrairement aux autres divisions de Day & Ross Inc., n’a jamais voulu que la relation avec les travailleurs d’agence devient permanente.

[27] J’ai noté au paragraphe sept ci-dessus, que même si un seul travailleur a été blessé lors de l’accident, l’Ag.SST a décidé de faire enquête sur la situation de trois travailleurs d’agence, dont deux offraient leurs services à Day & Ross Dedicated Logistics depuis plusieurs années, contrairement à M. Edem. J’ai observé à ce moment-là que la caractérisation ou la détermination du type de relation qui existait entre le travailleur et l’employeur était une question purement individuelle qui nécessitait un examen des faits particuliers de chaque cas. À cet égard, je partage le point de vue de l’avocat de l’appelante, selon lequel la situation des autres travailleurs décrite dans le rapport de l’Ag.SST Ferguson ne présente aucun intérêt pour trancher la question dont je suis saisi. L’Ag.SST Ferguson n’a pas expliqué pour quelles raisons elle avait décidé d’examiner, dans le cadre d’une enquête sur les circonstances d’un accident de travail qui avait fait un seul blessé, le cas d’autres travailleurs dont la situation était très différente de celle de l’employé blessé. Sa courte explication voulant qu’elle ait choisi de procéder de cette manière parce qu’elle estimait que la relation employeur‑employé entre Day & Ross et les travailleurs de l’agence de placement n’était pas claire ne nous dit rien, à mon avis, sur les raisons pour lesquelles elle a fait ce regroupement dans le cadre d’une enquête sur un accident de travail.

[28] Cela dit, je ne peux m’empêcher de penser qu’étant donné le très petit nombre de « postes » que M. Edem avait effectués chez Day & Ross Dedicated Logistics, l’Ag.SST a sans doute voulu montrer comment la situation de M. Edem chez Day & Ross allait évoluer au fil du temps. À cet égard, je suis tout à fait d’accord pour dire qu’on ne peut pas faire abstraction de l’élément relatif à la durée et qu’il faut en tenir compte pour déterminer quel(s) type(s) de relations existe(nt) entre les divers participants dans une situation liant trois parties. Il est toutefois important de préciser que l’élément relatif à la « durée » se rapporte à la durée d’emploi des travailleurs chez le prétendu client employeur de l’agence de placement, non pas à une évaluation prospective de ce que deviendra une relation dans l’avenir si elle continue d’exister. À mon sens, c’est exactement ce que le juge en chef Lamer de la Cour suprême a voulu dire dans l’arrêt Pointe‑Claire (Ville), susmentionné, lorsqu’il a observé au paragraphe 57 que :

[57] [...] la durée des assignations est un facteur important pour mesurer le sentiment d’intégration à l’entreprise.

À la lumière de cette observation, il ne fait aucun doute que l’élément relatif à la durée pèserait lourd dans la balance pour déterminer si les deux travailleurs de longue date (M. Morandin et M. Garcia) qui ont attiré l’attention de l’Ag.SST Ferguson sont des « employés ». Dans le même ordre d’idées, la très courte durée d’emploi de M. Edem dans la même entreprise revêt une grande importance pour déterminer s’il a véritablement été intégré dans l’entreprise. Par conséquent, si le but visé par l’Ag.SST Ferguson, en élargissant la portée de son enquête, était d’expliquer ou de démontrer au soussigné comment allait évoluer la situation de M. Edem, compte tenu de la manière façon dont Day & Ross exploite son entreprise à l’examen de la situation des autres travailleurs d’agence, et de convaincre le soussigné de tenir compte de cette situation potentielle pour déterminer le « statut » de M. Edem, il n’en sera rien, car cela m’obligerait à me projeter dans l’avenir et à formuler une hypothèse en me fondant sur des faits se rapportant à d’autres personnes.

[29] L’agente d’enquête attache beaucoup d’importance au fait que M. Edem recevait ses instructions pour exécuter son travail quotidien du personnel permanent ou d’agence de Day & Ross et que cela constituait la preuve qu’il était assujetti au contrôle fonctionnel de Day & Ross. Je conviens que ce peut être un indice de contrôle fonctionnel, mais cela n’est pas suffisant. L’avocat de l’appelante a lui aussi formulé des observations sur ce point, en faisant valoir que la jurisprudence applicable reconnaissait que c’est le client de l’agence qui devra en fin de compte expliquer au travailleur d’agence le travail qu’il doit exécuter chaque jour et que cela ne constitue un élément déterminant pour établir qui est le véritable employeur. Je partage ce point de vue. En fait, dans l’arrêt Pointe‑Claire(Ville), susmentionné, de la Cour suprême, le juge en chef Lamer cite avec approbation le juge Deschamps de la Cour d’appel, qui décrit comme suit, dans l’arrêt Vassart, l’approche globale qu’il faut appliquer pour déterminer qui est le véritable employeur du travailleur d’agence :

[22] Il me semble invraisemblable qu’un client qui retient les services d’une agence de location de personnel temporaire se retrouve l’employeur des employés de l’agence simplement parce qu’il contrôle les tâches qui doivent être effectuées au jour le jour. C’est là réduire à bien peu de chose la notion d’employeur et en mettre de côté la réalité, qui exige une vision beaucoup plus globale. Parmi les éléments qui doivent être évalués, je fais non seulement référence au recrutement, à la sélection, à la formation, à la rémunération, à la discipline, mais aussi à l’intégration dans l'entreprise, à la continuité de l’emploi et au sentiment d’appartenance des employés. Je ne peux concevoir de relation employeur-employé(e) qui ne recoupe aucun de ces aspects.

La notion de « subordination juridique », termes utilisés par le Tribunal du travail, ne recouvre en fait, pour le Tribunal du travail que la supervision quotidienne de l’exécution du travail. La notion de subordination juridique, ainsi réduite, s’avère donc totalement insuffisante pour qualifier la relation tripartite qui existe entre l’agence, son client et l’employé(e). Le Tribunal du travail devait prendre en considération tous les aspects des relations liant les trois parties, ce qu’il n’a pas fait. Rien ici ne permet de fixer sur le client la qualité d’employeur.

[30] Au paragraphe 48 de l’arrêt Pointe‑Claire(Ville), précité, le juge en chef Lamer étoffe en quelque chose cette approche en disant que dans une relation tripartite, comme celle qui nous occupe dans la présente affaire, le contrôle n’est pas exercé exclusivement par une partie et que, de ce fait, la question consiste à déterminer quelle partie exerce le plus de contrôle sur tous les aspects du travail selon la situation factuelle particulière à chaque affaire, indiquant ainsi que la situation de l’une ne devrait pas avoir d’incidence sur celle de l’autre :

[48] De plus, lorsqu’un certain dédoublement de l’identité de l’employeur se produit dans le cadre d’une relation tripartite, l’approche plus globale et plus souple a l’avantage de permettre l’examen de la partie qui a le plus de contrôle sur tous les aspects du travail selon la situation factuelle particulière à chaque affaire. Sans établir une liste exhaustive des éléments se rapportant à la relation employeur-salarié, je mentionnerai à titre d’exemples, le processus de sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches, la rémunération et l’intégration dans l’entreprise.

Je note que la liste des éléments à examiner n’est pas exhaustive.

[31] J’ai tenu pour acquis que tous les éléments susmentionnés faisaient partie intégrante de l’approche globale, que je considère comme le processus qui s’applique à l’affaire qui nous occupe. Afin de déterminer le statut de M. Edem, indépendamment de la situation de Larry Morandin et d’Alex Garcia, j’ai également isolé, sans en faire par ailleurs abstraction, le processus de supervision quotidienne décrit par l’Ag.SST Ferguson, de manière à faire ressortir plus clairement les autres éléments décrits dans le rapport d’enquête qui caractérisent la relation de M. Edem avec CGM Transport Services et avec l’appelante, ainsi que la façon dont M. Edem les perçoit lui‑même. J’ai également accordé une grande importance à l’élément relatif à la durée, puisque M. Edem n’a effectué que six postes pour Day & Ross. De plus, en ce qui concerne son intégration dans l’entreprise, j’ai tenu compte, d’une part, de sa courte période d’affectation lorsque l’accident s’est produit, c’est‑à‑dire le moment précis visé par l’examen, et l’absence évidente de nombreux éléments présents dans la situation de M. Morandin et de M. Garcia qui sont de nature à faire pencher la balance du côté de l’intégration de ces deux travailleurs dans l’entreprise. J’ai également noté que certains des éléments décrits ci‑dessus ne figuraient pas dans la description de la situation de M. Edem, sans doute en raison de la courte période d’affectation, et ne peuvent donc pas être examinés. Compte tenu de ce qui précède, j'en suis venu à la conclusion que, toute compte fait, M. Edem n’était certainement pas intégré dans l’entreprise de l’appelante au moment en cause, que son travail était surtout assujetti au contrôle de CGM Transport Services et que, de ce fait, il n’avait pas de relation employeur‑employé avec Day & Ross lorsque l’accident s’est produit.

Décision

[32] Compte tenu de ce qui précède et de la conclusion qui en découle, les quatre instructions données à Day & Ross Inc. par suite de l’accident de travail de M. Edem sont annulées.

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

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