2011 TSSTC 4
Référence: Compagnie des Chemins de Fer Nationaux du Canada, 2011 TSSTC 4
Date: 2011-02-22
Nº de dossier: 2011-08
Rendue à: Ottawa
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Appelant
Affaire: Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction conformément au paragraphe 146(2) du Code canadien du travail.
Décision: La demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction est refusée.
Décision rendue par: Mme Katia Néron, Agente d’appel
Langue de la décision: Français
Pour l'appelant: Me Michel Huart, Langlois Kronström Desjardins, S.E.N.C.R.L.
Motifs
[1] La présente décision concerne une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction déposée le 14 janvier 2011 par Me Michel Huart, au nom de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN). L’instruction a été donnée le 31 janvier 2011 par l’Agent de santé et de sécurité M. Alain Testulat (l’ASS Testulat).
Contexte
[2] L’instruction portée en appel a été donnée suite à une enquête effectuée par l’ASS Teslulat dans le lieu de travail du CN situé au 8050, boul. Cavendish, Ville Saint-Laurent (Québec), plus spécifiquement à la Cour de Triage Taschereau.
[3] L’instruction donnée par l’ASS Testulat se lit comme suit :
Après avoir analysé la tâche (traverser à pied d’un wagon porte automobile multiétages à un autre sur des ponts portatifs) ainsi que les documents que vous nous avez fait parvenir par courriel (analyse du comité local de santé et sécurité).
Après avoir reçu la confirmation le 31 janvier 2011, par le directeur de la rampe automobile M. Mike Tucci, que ladite tâche était toujours effectuée de cette même manière.
Ledit agent de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, à savoir:
De circuler à pied d’un wagon à un autre, à plus de 2,4 mètres du niveau permanent sûr le plus proche, sur une passerelle (pont roulant) conçue pour le transfert de véhicule automobile constitue un danger de chute pouvant entraîner des blessures graves, voire mortelles.
Par conséquent, il vous est Ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder immédiatement à la protection des personnes contre ce danger
Conformément au paragraphe 145(3) un avis portant le numéro 3759 a été apposé babillard cafétéria des employés et ne peut être enlevé sans l’autorisation de l’agent.
Il vous est En outre interdit par les présentes, conformément à l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, d’accomplir la tâche en cause, jusqu’à ce que ces instructions aient été exécutées.
[4] Le 7 février 2011, Me Huart, au nom du CN, a interjeté appel de l’instruction et a demandé une suspension de la mise en œuvre de celle-ci.
[5] À l’appui de sa demande de suspension de l’instruction, Me Huart a fait valoir ses arguments lors d’une conférence téléphonique tenue le 14 février 2011. Les participants à la téléconférence étaient Me Huart, M Claude Benoît, représentant du syndicat des employés travaillant à l’auto-rampe de Montréal, M. André Urbain, superviseur auto-rampe, M. Don Wates, directeur principal, Mme Chantale Crevier, directrice adjointe, M. Mike Tucci, directeur auto-rampe de Montréal, M. Lizam Hasham, conseiller juridique au CN pour l’Est du Canada, ainsi que l’ASS Testulat.
[6] Après avoir entendu les arguments présentés par Me Huart ainsi que ceux présentés par C. Benoît, représentant les employés, qui a appuyé la requête déposée par l’employeur, j’ai décidé de ne pas accorder la suspension de la mise en œuvre de l’instruction jusqu’à ce qu’une décision sur le bien-fondé de l’appel soit rendue. Voici les motifs de cette ordonnance.
Analyse
[7] Le paragraphe 146(2) du Code Canadien du travail (le Code) prévoit ce qui suit :
146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.
[8] Pour décider sur la demande de l’employeur, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à favoriser la réalisation de l’objet du Code, soit de veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité. Pour ce faire, j’appliquerai les critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores tels qu’ils ont été modifiés et adaptés par le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (TSSTC). Ces critères sont les suivants:
- Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.
- Le demandeur doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre l’application de l’instruction lui causera un préjudice important.
- Le demandeur doit démontrer que dans l’éventualité où une suspension serait accordée, des mesures seront mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.
S’agit-il d’une question sérieuse à juger par opposition à une plainte futile et vexatoire?
[9] Me Huart a fait valoir que la demande de suspendre la mise en œuvre de l’instruction porte sur le fait que pour se déplacer d’un wagon à un autre, l’employeur demande à ses employés, depuis qu’il a reçu l’instruction, d’utiliser les échelles des wagons alors que, de l’avis de l’employeur, cette manière de faire représente un plus grand risque pour la santé et la sécurité de ses employés que si on leur permettait d’utiliser les ponts portatifs.
[10] Me Huart a de plus indiqué que l’utilisation des ponts portatifs a été examinée et approuvée comme étant la méthode à suivre pour exécuter la manœuvre en cause selon une procédure élaborée et mise en place ainsi qu’une formation établie au préalable par le comité local de santé et de sécurité. Ainsi, de l’avis de Me Huart, l’émission de l’instruction remet en question tout le processus impliquant le comité local de santé et de sécurité prévu par le Code pour en arriver à des solutions et assurer la protection des employés.
[11] Je suis convaincue par les observations de Me Huart qu’il existe une question sérieuse à juger dans le cadre du présent appel.
Le demandeur subira-t-il un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?
[12] Me Huart soutient que le CN subira un préjudice considérable si l’instruction n’est pas suspendue pour les motifs qui suivent.
[13] La procédure consistant à l’utilisation des échelles des wagons à la place des ponts portatifs introduite par le CN suite à l’émission de l’instruction, crée, de l’avis de l’employeur, un plus grand risque pour la santé et sécurité des employés.
[14] En effet, bien que lorsqu’ils utilisent les échelles des wagons les employés doivent le faire en respectant les trois points d’appui selon la procédure établie, cela implique qu’ils doivent tout de même pivoter en haut de l’échelle tout en cherchant soit le barreau de l’échelle soit la poignée du wagon pour pouvoir soit sortir d’un wagon soit pouvoir y entrer. Ce qui implique pour eux des mouvements de torsions et de tractions. En outre, en cas de neige, de pluie ou de présence de glace, cela crée un risque de mauvaise préhension au niveau des barreaux des échelles ou des poignées des wagons.
[15] Pour ces raisons et aussi sur la base que des accidents mineurs sont survenus à des employés par le passé alors qu’ils utilisaient les échelles des wagons pour traverser d’un wagon à un autre, Me Huart soutient qu’il est moins risqué pour les employés de traverser d’un wagon à un autre en utilisant les ponts portatifs que les échelles des wagons.
[16] C. Crevier a ajouté, au nom de l’employeur, que les ponts portatifs en cause servent aussi au déplacement des automobiles pour les faire passer d’un wagon à un autre jusqu’à la rampe servant à les descendre hors du train. Ces ponts sont ainsi soit en aluminium soit en acier, ont une largeur d’environ 24 pouces, une longueur d’environ une cinquantaine de pouces et leurs extrémités sont solidement fixées par des loquets aux planchers des étages supportant les automobiles dans les wagons. Leur plancher est de plus recouvert d’une surface antidérapante.
[17] C. Crevier a de plus soutenu que bien que le comité local de santé et de sécurité ait examiné cette option, il n’est pas possible de munir les ponts portatifs de garde-fou car cela rajouterai un poids sur ces structures alors qu’elles sont transportées du sol à l’intérieur des wagons par les employés. Rappelant que ces ponts ont été conçus pour faire passer les automobiles d’un wagon à un autre, elle a ajouté que cela fait en sorte que leur dimension a spécifiquement été calculée pour permettre cette manœuvre.
[18] Tout en appuyant les arguments présentés plus haut par Me Huart et C. Crevier, C. Benoît, au nom des employés, a soutenu que, comme les ponts portatifs ont une longueur d’environ cinquante pouces, les employés n’ont qu’un pas à faire pour les franchir et ainsi traverser d’un wagon à l’autre.
[19] Me Huart a de plus soutenu que l’emploie des ponts portatifs lors de l’exécution de la manœuvre en cause est la méthode utilisée présentement par l’industrie de l’automobile dans toute l’Amérique du Nord.
[20] Me Huart soutient en outre que puisque les employés prennent plus de temps pour traverser d’un wagon à un autre en utilisant les échelles des wagons, cela diminue la productivité.
[21] Les motifs invoqués par Me Huart ne m’ont pas convaincue que le CN subira un préjudice considérable si la mise en application de l’instruction n’est pas suspendue jusqu’à que j’entende cette affaire sur le fond. En fait, il n’est aucunement fait mention dans l’instruction que la méthode temporaire devant être mise en place pour se conformer à l’instruction est d’utiliser les échelles des wagons pour traverser d’un wagon à un autre.
[22] De plus, concernant le 3ième critère, je suis d’avis qu’outre la procédure et la formation donnée aux employés sur les trois points d’appui lors de l’utilisation des ponts portatifs, l’employeur ne m’a présenté aucune autre mesure ou méthode mise en place pour effectuer la manœuvre en cause à part celle d’utiliser les échelles des wagons qui, de son propre avis, n’est pas la meilleure façon de faire pour assurer la santé et la sécurité des employés. J’ajoute qu’il est question ici de prévenir un risque de chute d’un employé d’une hauteur de plus de 2,4 mètres.
[23] Compte tenu de ce qui précède, l’employeur ne m’a pas convaincue que si une suspension de l’instruction était accordée, des mesures suffisantes seront mises en place pour préserver la santé et la sécurité des employés.
Décision
[24] Pour ces motifs, la demande de suspension de la mise en application de l’instruction donnée par l’ASS Testulat le 31 janvier 2011 n’est pas accordée.
[25] L’audition de cette affaire a été fixée dans un bref délai, soit le 24 février 2011.
Katia Néron
Agente d’appel
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