2011 TSSTC 10

Référence : Air Canada c. Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2011 TSSTC 10

Date : 2011-05-16
Dossier: 2011-14
Rendue à: Ottawa

Entre
Air Canada, demanderesse
et
Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, intimée

Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction
Décision : La demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction est accueillie
Décision rendue par : M. Richard Lafrance, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour la demanderesse : M. Stephen Bird, avocat - Bird Richard
Pour l’intimée : M. Boyd Richardson, président général – Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale

Motifs de décision

[1] La présente décision concerne une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction déposée le 1er avril 2011. L’instruction a été donnée par l’agent de santé et de sécurité (Ag.SST) Domenico Iacobellis, le 4 février 2011, et a été portée en appel par Mme Rachelle Henderson, avocate d’Air Canada, le 24 février 2011.

Contexte

[2] L’instruction portée en appel a été donnée à la suite de l’enquête effectuée par l’Ag.SST Iacobellis sur les refus de travailler de trois employés d’Air Canada employés comme conducteur de tracteur de manœuvre à l’aéroport Pearson de Toronto (Ontario).

[3] L’instruction est libellée comme suit :

[Traduction]

Ledit agent de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour les employés au travail, à savoir :

La mise en œuvre du processus visant à utiliser un employé détenant un permis « D » et un employé détenant un permis « DA » durant les opérations de remorquage constitue un danger. Cette nouvelle procédure crée une tâche supplémentaire, soit surveiller la radio et communiquer avec les diverses tours de contrôle tout en conduisant le tracteur de manœuvre et en maintenant la connaissance de la situation sur le terrain d’aviation. Pour ce faire, l’employé qui détient un permis « D » doit diviser son attention entre une multitude de tâches, ce qui pourrait occasionner une intrusion sur la piste et entraîner des blessures.

Par conséquent, il vous est Ordonné par la présente, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de modifier immédiatement la tâche qui constitue le danger.

[4] Le 15 avril 2011, une audience a été tenue par téléconférence avec M. Stephen Bird, avocat d’Air Canada et M. Boyd Richardson, président général, section locale 140, Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA).

[5] Le 19 avril 2011, les parties ont été informées que la demande Air Canada visant la suspension de la mise en œuvre de l’instruction donnée par l’Ag.SST Iacobellis, le 4 février 2011, était accueillie et qu’une décision écrite motivée leur serait communiquée par la suite.

[6] Les parties ont été informées que la suspension de la mise en œuvre de l’instruction était conditionnelle à la mise en œuvre immédiate de toutes les mesures proposées par Air Canada afin d’assurer la protection des employés en matière de santé et de sécurité, et examinées durant la téléconférence. De même, j’ai exigé que M. Richardson supervise l’élaboration et la mise en œuvre des mesures et fasse rapport par écrit au Tribunal toutes les deux semaines à compter du 28 avril 2011.

[7] Le paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code) prévoit ce qui suit :

À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[8] Je tire mon pouvoir du Code, ce qui signifie que je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière à favoriser la réalisation des objectifs du Code, soit de veiller à la protection des employés en matière de santé et de sécurité.

[9] Afin d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’accueillir la demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction, j’ai appliqué les critères suivants :

  1. la demanderesse doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit une question sérieuse à juger et non pas d’une plainte frivole et vexatoire;
  2. la demanderesse doit démontrer que le refus de l’agent d’appel de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causera un préjudice important;
  3. la demanderesse doit démontrer que dans l’éventualité où la suspension serait accordée, des mesures seront mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés et de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

Analyse

S’agit‑il d’une question sérieuse à juger par opposition à une plainte frivole et vexatoire?

[10] J’accepte les arguments avancés par M. Bird, l’avocat de l’appelante, selon lesquels il s’agit d’une question qui a des ramifications en matière de santé et de sécurité, et non pas d’une plainte frivole et vexatoire. J’estime que les conséquences de la décision peuvent, dans tous les cas, perturber les opérations d’Air Canada à l’aéroport en ce qui concerne le déplacement des aéronefs à l’aide de tracteurs de manœuvre. Je conclus par conséquent qu’il y a une question sérieuse à juger.

La demanderesse subira-t-elle un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?

[11] M. Bird soutient que le maintien de l’instruction donnée par l’Ag.SST aura de graves conséquences sur les opérations d’Air Canada même en faisant abstraction des répercussions pécuniaires que cela entraînera.

[12] M. Bird explique qu’Air Canada a l’intention d’exploiter ses services de remorquage des aéronefs de la manière que le font les autres transporteurs qui utilisent l’aéroport Pearson. Il a déclaré que le nombre de conducteurs formés qui détiennent un permis « D » à Air Canada est insuffisant pour appliquer l’instruction. La formation requise durant plus de six mois, il serait impossible de respecter le délai contenu dans l’instruction. De plus, rien ne garantit qu’il y aura un nombre suffisant de conducteurs, car le poste attire peu de candidats et, pour une raison inconnue, le taux d’échec dépasse 50 %.

[13] M. Bird a fait valoir que, en raison du nombre actuel d’employés qui détiennent un permis « D », si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue, sa capacité de remorquage sera réduite de plus de 30 %. Cette situation malencontreuse aura une incidence sur l’arrivée et le départ des vols intérieurs et internationaux. Compte tenu du nombre prévu de vols et de passagers durant les prochains mois, cela pourrait occasionner chaque jour des retards importants pour un grand nombre de voyageurs.

[14] Il a également déclaré que les retards dans les départs auraient un effet d’entraînement dans les autres aéroports, tant au Canada que dans les autres aéroports internationaux.

[15] Après un examen minutieux de tous les arguments, j’estime que si je n’autorise pas la suspension de la mise en œuvre de l’instruction, Air Canada subira un préjudice opérationnel important qui aura également des incidences sur d’autres transporteurs intérieurs et internationaux.

Quelles mesures seront mises en place dans l’éventualité où la suspension est accordée pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise dans le lieu de travail?

[16] M. Bird a expliqué qu’Air Canada propose de mettre en œuvre une liste de mesures (voir la copie des engagements à l’annexe 1) pour remédier aux problèmes de sécurité répertoriés dans le rapport de l’agent de santé et de sécurité. J’ai comparé la liste des mesures à la liste des problèmes répertoriés dans le rapport de l’Ag.SST et je suis convaincu que les mesures proposées, à titre provisoire, permettront de remédier aux problèmes de santé et de sécurité répertoriés dans le rapport de l’Ag.SST.

[17] Cependant, comme la question porte sur une instruction donnée en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code, autrement dit une situation de « danger », je dois m’assurer que les mesures proposées par Air Canada seront bel et bien établies et mises en œuvre.

[18] Par conséquent, pour faire suite aux discussions que j’ai eues avec les parties durant l’audience sur la demande de suspension. j’ai demandé à M. Boyd Richardson, qui a accepté, de superviser l’élaboration et la mise en œuvre des mesures proposées et de soumettre un rapport écrit au Tribunal, avec copie à l’employeur, sur l’état de la situation à compter du 28 avril 2011 et toutes les deux semaines par la suite.

Décision

[19] Pour ces motifs, la demande d’Air Canada visant à obtenir la suspension de la mise en œuvre de l’instruction donnée par l’Ag.SST Domenico Iacobellis, le 4 février 2011, est accueillie, à la condition que les mesures proposées soient immédiatement mises en œuvre en attendant que l’affaire soit tranchée au fond et qu’une décision soit rendue par un agent d’appel.

Richard Lafrance

Agent d’appel

Annexe 1

Air Canada

Appel des conducteurs de tracteur de manœuvre à YYZ

Dossier d’appel 2011-14

Engagements

Sous réserve de la suspension de la mise en œuvre de l’instruction, Air Canada s’engage à prendre les mesures suivantes :

  1. Tenir immédiatement une réunion d’évaluation des risques avec le comité d’orientation national en matière de santé et de sécurité de l’AIMTA et le comité local de santé et de sécurité de l’AIMTA à YYZ relativement aux opérations de remorquage;
  2. Convoquer une réunion du comité d’orientation national de l’AIMTA pour discuter des niveaux de participation et réexaminer les préoccupations relatives à la stratégie de formation actuelle des conducteurs de tracteur de manœuvre détenant un permis « D » ou « D/A » à YYZ (en tenant compte et en appliquant (suivant les ententes intervenues) les recommandations contenues dans le rapport du Transportation Research Board retenues par l’Ag.SST);
  3. Distribuer des bulletins et des directives aux conducteurs détenant un permis « D » et « D/A » sur l’interdiction d’utiliser des téléphones cellulaires, des téléavertisseurs et d’autres appareils électroniques personnels pendant qu’ils effectuent des opérations de remorquage;
  4. Demander aux gestionnaires des opérations de remorquage de fournir chaque jour aux conducteurs des séances d’information et de vérification afin de les sensibiliser à la sécurité des opérations;
  5. Dans l’intervalle, Air Canada (avec la participation du comité local de santé et de sécurité de l’AIMTA à YYZ) :
    • s’assurera que tous les conducteurs détenant un permis « D » ou « D/A » possèdent un certificat restreint de radiotéléphoniste avec qualifications en aéronautique;
    • donnera de la formation d’appoint aux conducteurs détenant un permis « D » relativement à la formation reçue durant le programme de certification de la GTAA sur l’utilisation des radios en conduisant un tracteur de manœuvre;
    • donnera de la formation d’appoint supplémentaire aux conducteurs détenant un permis « D » ou « D/A » sur les « zones névralgiques » répertoriées par Nav Canada à l’AILBP de YYZ où le risque d’intrusion sur la piste est accru;
    • donnera de la formation aux employés détenteurs d’un permis « D/A » sur l’utilisation de la radio et sur la connaissance du terrain d’aviation et les soumettra à des examens, en insistant sur les points suivants :
      • aider le conducteur détenant un permis « D » à installer les barres et les goupilles de remorquage;
      • installer et enlever la passerelle et ouvrir et fermer la porte d’entrée de l’aéronef, au besoin;
      • demeurer en contact avec le conducteur détenant un permis « D » durant les opérations de remorquage;
      • s’assurer que les dégagements sont maintenus aux extrémités d’aile en se plaçant dans le champ de vision du conducteur détenant un permis « D »;
      • s’assurer qu’aucun obstacle ou autre trafic n’obstrue le passage de l’aéronef lorsque les manœuvres sont effectuées dans des zones congestionnées;
      • observer et surveiller le tracteur de manœuvre durant les opérations de remorquage et signaler les dangers au conducteur détenant un permis « D » ou lui donner des instructions, au besoin;
      • recevoir de la formation et des directives pour acquérir la connaissance requise du terrain d’aviation afin de permettre au conducteur détenant un permis « D » de communiquer efficacement avec les tours, au besoin;
      • installer et enlever les cales de roue;
      • installer et enlever les cônes.
  6. Après établissement d’un protocole de formation avec la participation du comité d’orientation national de l’AIMTA, Air Canada prendra les mesures suivantes, avec la collaboration du comité local de santé et de sécurité de l’AIMTA à YYZ:
    • donner la formation qui a été déterminée à l’échelon national aux membres du comité local de l’AIMTA à YYZ afin de leur permettre de participer aux processus de formation et d’évaluation à l’échelle locale;
    • mettre en œuvre à YYZ le programme conçu à l’échelon national et donner la formation d’appoint requise pour atteindre les objectifs de formation établis;
    • tenir des discussions avec le comité national de l’AIMTA et lui faire part de ses impressions à propos de la mise en œuvre du programme, lui fournir et lui communiquer les observations reçues du comité local de l’AIMTA à YYZ à ce sujet.

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