2011 TSSTC 11

Référence : Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 8284 service des téléphonistes, 2011 TSSTC 11

Date : 2011-05-19
Dossier : 2009-25
Rendue à : Ottawa

Entre :


Bell Canada, Appelant

et

Syndicat canadien des communications,de l’énergie et du papier, section locale 8284 service des téléphonistes, Intimé

Affaire : Appel à l’encontre d’une instruction d’avis de danger donnée par un agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 146(1) du Code Canadien du travail

Décision : L’instruction est annulée

Décision rendue par : Mme Katia Néron, Agente d’appel

Langue de la décision : Français

Pour l’appelant : Me Marie-Christine Lauzon, Avocate, Bell Canada

Pour l’intimé : M. Yves Ménard, plaideur syndical, Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP/FTQ)

Motifs de décision

[1] Il s’agit d’un appel déposé, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code), par Bell Canada à l’encontre de l’instruction d’avis de danger donnée à leur endroit le 11 septembre 2009 par l’agent de santé et de sécurité (ASS) M. Sylvain Renaud.

Contexte

[2] Ce qui suit a été tiré du témoignage de l’ASS Renaud, de son rapport d’enquête et des documents s’y afférant, des documents déposés par Mme Michèle Préfontaine, chef divisionnaire adjointe au groupe de gestion des lésions professionnelles chez Bell Canada, du témoignage de M. André Tartre, hygiéniste industriel, ainsi que de celui de Mme Louise O’Doherty, directrice de secteur dans le lieu de travail en cause.

[3] Cette affaire origine du refus de travailler exercé le 9 septembre 2009 par Mme Aline Castonguay, téléphoniste au centre d’appels de Bell Canada situé à Montréal (Québec).

[4] Les circonstances entourant le refus de Mme Castonguay ainsi que ses motifs sont les suivants.

[5] Depuis le 30 mars 2009, sous l’avis de son médecin généraliste et malgré que l’audiologiste qui avait examiné son audition n’avait pas recommandé sa réintégration à son poste de téléphoniste à ce moment-là, Mme Castonguay était en retour progressif au travail suite à un choc acoustique subi à l’oreille droite.

[6] La Direction de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (la CSST) avait concluFootnote 1  que le choc acoustique subi à l’oreille droite de Mme Castonguay avait été causé par un bruit strident entendu dans son casque d’écoute le 7 août 2008 alors qu’elle répondait à un appel d’un client.

[7] En janvier 2009, Mme Castonguay avait rencontré un oto-rhino-laryngologisteFootnote 2 , un spécialiste dans les maladies de l’oreille, qui avait déterminé que Mme Castonguay souffrait d’hyperacousieFootnote 3 . Ce médecin spécialiste était de plus d’avis que Mme Castonguay demeurerait avec des séquelles d’hyperacousie.

[8] Pour son retour au travail, Mme Castonguay utilisait pour protéger son oreille blessée son oreille gauche pour prendre les appels. Elle portait également dans et par-dessus son oreille droite un bouchon et une coquille de protection. Sa position de travail ainsi que son casque d’écoute avaient de plus été changés, ces derniers possédant deux dispositifs de protection, l’un réduisant les sons de 110 décibelsFootnote 4  (dB) et plus entrant dans son casque d’écoute, l’autre limitant ces sons à 118 dBAFootnote 5 .

[9] Malgré ces mesures de protection, Mme Castonguay a eu une aggravation de son hyperacousie en mai 2009. Pour l’isoler des bruits ambiants, Bell Canada a alors fait installer des paravents autour du poste de travail de Mme Castonguay.

[10] Malgré cet ajout, l’oreille gauche de Mme Castonguay a entendu de gros bruits et des bruits stridents lors de bruits survenus dans son casque d’écoute le 30 juillet et 7 août 2009. Bell Canada a alors fait installer un nouveau dispositif sur la position de travail de Mme Castonguay ramenant automatiquement à 5, sur une échelle maximale de 10, le volume de chaque nouvel appel entrant tout en permettant d’augmenter le volume si nécessaire lors du traitement de l’appel.

[11] Des démarches avaient en outre été entreprises en juillet 2009 pour trouver un spécialiste pour rechercher des solutions permanentes pour adapter le poste de travail de Mme Castonguay. En septembre 2009, cette évaluation n’avait pas encore été effectuée.

[12] Le 9 septembre 2009, alors qu’elle répondait à deux appels en même temps et qu’elle n’entendait pas bien l’un d’entre eux, Mme Castonguay a augmenté le volume sur son système d’écoute. Un bruit est alors survenu qu’elle a décrit comme un bruit très fort strident. Craignant que ce bruit puisse causer à son oreille gauche le même trouble dont souffrait son oreille droite, elle a refusé de continuer d’effectuer sa tâche. L’exposé des motifs du refus de Mme Castonguay se lit comme suit :

Je suis une accidentée du travail à cause d’un bruit strident entendu le 7 août 2008. Je reprends mon travail à 3 jours semaine non consécutif[s]. Ce matin j’ai eu un appel d’un client qui demandait un frais viré et lorsque j’ai annoncé mon appel du client demandeur j’ai eu un bruit très fort strident qui est arrivé. J’avais 2 clients en ligne plus un bruit strident. Étant accidenté[e] de l’oreille droite j’ai peur et considère qu’il y a un danger pour mon autre oreille.

[13] Les représentants de Bell Canada soutenant l’absence d’un danger pour l’ouïe de Mme Castonguay alors que cette dernière maintenait son refus, Bell Canada a communiqué avec le Programme Travail de Ressources humaines et développement des compétences Canada pour qu’un agent de santé et de sécurité enquête sur la situation.

[14] Lors de son enquête, l’ASS Renaud a obtenu les raisons invoquées par Mme Castonguay au soutien de son refus. Mme O’Doherty a par la suite expliqué les motifs au soutien de l’absence d’un danger comme suit.

[15] Depuis plusieurs décennies, il arrive qu’un bruit non vocal soit émis dans le casque d’écoute des employés. Des téléphonistes s’étant plaints de ces bruits, Bell Canada a entrepris une étude afin de tenter d’éliminer ces bruits. Suite à cette étude, il fut constaté qu’il était impossible d’éliminer la grande majorité de ces bruits, ceux-ci pouvant provenir d’un mauvais numéro donné par un client, par exemple le numéro d’un télécopieur ou d’un modem, ou d’un problème technique non prévisible survenant à l’intérieur du réseau de communications. Bell Canada a alors tenté de contrôler ces bruits en prenant les mesures qui suivent.

[16] En plus du dispositif ramenant automatiquement, sauf pour certains types d’appels, le volume des appels entrants à un faible niveau ainsi que des deux dispositifs de protection sonore décrits plus haut, Bell Canada a instauré une nouvelle procédure autorisant une pause de 15 minutes après la survenance d’un bruit dans les casques d’écoute. En outre, chaque fois qu’un tel bruit survenait, un formulaire devait être rempli sur lequel le bruit perçu devait être décrit par l’employé. Des touches étaient également installées à la position de chaque employé pour permettre le transfert de ces bruits dans une boîte vocale pour fins d’analyse par l’équipe de soutien technique pour les installations des téléphonistes, aussi dénommé le « groupe de gestion des installations » ou le GGI. S’il s’avérait possible de faire des recoupements quant à l’origine des bruits, des actions étaient prises pour tenter de les éliminer.

[17] Lors de son enquête, l’ASS Renaud a par contre constaté qu’aucune évaluation du niveau de pression acoustique auxquels les téléphonistes étaient exposés lors de la survenance des bruits en cause n’avait été effectuée. Il a de plus examiné les formulaires mentionnés plus haut rapportant ces bruits. Il a constaté que ces documents portaient, dans plusieurs cas, la mention de bruits stridents ou de bruits très forts. Il a aussi été informé que les téléphonistes jetaient leur casque d’écoute par terre lorsque survenaient ces bruits.

[18] Sur cette base, mais également parce que, selon ses connaissances, le seuil de douleur pour l’oreille humaine se situe aux environs de 120 dBA, un niveau de pression acoustique élevé, l’ASS Renaud a conclu qu’il était possible que les employés soient exposés à des niveaux de pression acoustique élevés lors de la survenance des bruits dans leur casque d’écoute.

[19] Mme Danielle Giroux, représentante syndicale et co-présidente pour les employés sur le comité local de santé et de sécurité, a également informé l’ASS Renaud que six employés, incluant A. Castonguay, s’étaient absentées de leur travail au cours des dernières années après avoir entendu un bruit dans leur casque d’écoute. Au soutien de ces affirmations, elle a remis à l’ASS Renaud des procès-verbaux du comité local de santé et de sécurité contenant des mentions de blessures légères et d’invalidités suite à des bruits survenus dans les casques d’écoute d’employés. Elle lui a en outre remis la décision, déjà mentionnée, rendue le 24 février 2009 par la Direction de la révision administrative de la CSST concernant l’évènement du 7 août 2008 ainsi que la décision de la Commission des lésions professionnelles (la CLP) dans l’affaire Bell Canada c. Marie-Josée St-ArnaudFootnote 6 .

[20] De plus, lors de son enquête, l’ASS Renaud a été informé qu’outre Mme Castonguay, une autre téléphoniste s’était absentée de son travail le 9 septembre 2009 après avoir entendu un bruit dans son casque d’écoute.

[21] Le 10 septembre 2009, Mme Castonguay transmettait à l’ASS Renaud le rapport de son médecin généraliste ainsi que les résultats de l’examen de son audition effectué suite aux recommandations de ce dernier. Le médecin généraliste de Mme Castonguay a diagnostiqué, suite au bruit qu’elle a perçu au moment de son refus, un traumatisme acoustique à son oreille gauche. L’audiologiste l’ayant examiné écrivait dans son rapport ce qui suit :

Résultats : L’audition est dans les limites de la normale bilatérale avec légère chute à 8 kHzFootnote 7  à gauche. L’identification de mots ds[dans] le silence est excellente & la tympanométrie est normale indiquant une bonne mobilité tympanique.

Les seuils d’inconfort mettent en évidence un champ dynamique à gauche avec cependant une légère hyperacousie à 6 kHz (absente auparavant) & une hyperacousie modérée à droite […] Rec : ne plus exposer aux bruits stridents.

[22] Sur la base de ce qui précède, mais aussi en se référant à la description faite par Mme Castonguay du bruit perçu au moment de son refus, l’ASS Renaud a conclu que les mesures mises en place par son employeur pour assurer la protection de son ouïe étaient insuffisantes car à tout moment un bruit de niveau de pression acoustique élevé pouvait, à son avis, survenir dans son casque d’écoute et lui causer un traumatisme acoustique. Pour ces motifs, il a donné à Mme Castonguay une instruction d’avis de danger lui interdisant d’exécuter sa tâche jusqu’à ce que des mesures soient prises pour la protéger.

[23] Puis, parce que, selon lui, les téléphonistes travaillant dans le lieu se trouvaient dans les mêmes conditions décrites plus haut, l’ASS Renaud a conclu qu’un danger existait également pour l’ensemble de ces employés. Il a alors donné une instruction d’avis de danger à Bell Canada lui interdisant de faire exécuter la tâche en cause tout en lui ordonnant de prendre immédiatement des mesures propres à écarter le danger. Cette instruction se lit comme suit :

Ledit agent de santé et de sécurité estime qu’une situation existante dans le lieu de travail constitue un danger pour un employé au travail, à savoir:

Le fait qu’un ou une téléphoniste utilise un serre-tête pour discuter avec un client ou répondre à un appel au moment où peut se produire un bruit insolite d’un niveau de pression acoustique élevé pouvant entraîner un traumatisme, constitue un danger.

Par conséquent, il vous est Ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder immédiatement à la prise de mesures propres à écarter le danger.

Conformément au paragraphe 145(3) un avis pa[o]rtant le numéro 3751 a été apposé au babillard CLSS du 5e étage et ne peut être enlevé sans l’autorisation de l’agent.

Il vous est en outre interdit par les prÉsentes, conformément à l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, d’accomplir la tâche en cause, jusqu’à ce que ces instructions aient été exécutées.

[24] Cette affaire a été entendue le 9, 10 et 17 septembre 2010 à Montréal.

Question en litige

[25] L’instruction d’avis de danger donnée le 11 septembre 2009 à Bell Canada par l’ASS Renaud était-elle bien fondée?

Observations des parties

A) Observations de l’appelant

[26] Me Marie-Christine Lauzon soutient, au nom de l’appelant, que la situation invoquée au soutien du refus de Mme Castonguay était, au contraire d’une situation d’urgence, une situation découlant d’un problème systémique récurant et imprévisible apparu depuis plusieurs années non seulement chez Bell Canada mais dans toute l’industrie des télécommunications.

[27] Alléguant que les bruits en cause peuvent survenir dans le traitement de tout appel et qu’il est impossible de les éliminer dans la grande majorité des cas, Me Lauzon soutient que cette situation constituait également une condition normale liée à l’emploi de Mme Castonguay.

[28] Qui plus est, Me Lauzon soutient que les mesures mises en place par Bell Canada au moment de l’enquête de l’ASS Renaud pour retracer la source des bruits en cause, contrôler leur survenance ainsi que leurs niveaux de pression acoustique assuraient la protection de l’ouïe de toutes les téléphonistes travaillant dans le lieu, y compris Mme Castonguay, donc, encore là, qu’il n’y avait pas de situation d’urgence.

[29] Pour ces raisons, Me Lauzon soutient qu’un refus de travailler en vertu du Code ne pouvait être exercé pour tenter de régler le problème de la survenance des bruits dans les casques d’écoute des employés ou encore pour promouvoir un environnement de travail exempt de celui-ci.

[30] Pour appuyer ces arguments, Me Lauzon s’est référé à la notion de mesure d’urgence liée à l’exercice du droit de refus accordé en vertu du Code établi dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. FletcherFootnote 8 , mais aussi aux décisions du Conseil canadien des relations de travail dans les affaires David Pratt et Gray Coach Lines Limited et le Syndicat uni du transport, section locale 113Footnote 9 , Ernest L. LaBarge et le Syndicat des travailleurs en communication du Canada et Bell CanadaFootnote 10  et Ed Koski et David Boose et Canadien Pacifique LimitéeFootnote 11  ainsi qu’à la décision de l’agent d’appel M. Serge Cadieux dans l’affaire Jack Stone et Correctional ServiceFootnote 12 .

[31] En s’appuyant sur la décision rendue par le Conseil canadien des relations de travail dans l’affaire Antonia di Palma et Air CanadaFootnote 13 , Me Lauzon soutient en outre que pour se prévaloir du droit de refuser de travailler accordé par le Code, le danger allégué doit émaner de l’environnement de travail, non d’une condition personnelle de l’employé qui l’invoque.

[32] Pour toutes ces raisons, Me Lauzon soutient que l’ASS Renaud n’aurait pas dû entériner le refus de Mme Castonguay.

[33] De plus, de l’avis de Me Lauzon, l’ASS Renaud a fondé sa décision de la présence d’un danger pour l’ensemble des téléphonistes travaillant dans le lieu sur le raisonnement qui suit. Parce qu’il y aurait eu blessure par le passé chez Mme Castonguay et M.-J. St-Arnaud, que Mme Castonguay aurait encore été blessée le 9 septembre 2009, que des employés jetaient leur casque d’écoute par terre et que d’autres téléphonistes, dont l’une le jour du refus de Mme Castonguay, se seraient absentés de leur travail suite à des bruits entendus dans leur casque d’écoute, le niveau de pression acoustique de ces bruits ne peut qu’être élevé et peut causer une blessure à un employé, d’où sa conclusion d’un danger non seulement pour Mme Castonguay mais aussi pour l’ensemble des employés. Selon Me Lauzon, c’est là un raisonnement qui n’est basé que sur de simples présomptions et ne respectant pas le principe du concept d’attente raisonnable lié à la définition du terme « danger » retrouvé sous le Code. À l’appui de cet argument, Me Lauzon s’est référé aux arrêts de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale dans les affaires Verville c. Canada (Service correctionnel)Footnote 14  et Martin c. Canada (Procureur général)Footnote 15 .

[34] Or, Me Lauzon soutient que les termes « bruits stridents », « blessure légère » ou « invalidité » retrouvés dans les documents examinés par l’ASS Renaud ne signifient ni que des bruits stridents sont survenus dans les casques d’écoute des employés ni que des blessures sont survenues à leur ouïe. Au contraire, Me Lauzon soutient que les bruits rapportés par les employés ne sont pas des bruits stridents mais plutôt des bruits entrant dans la catégorie de bruits dérangeants. De plus, Me Lauzon soutient qu’au moment de l’enquête de l’ASS Renaud le niveau d’exposition des employés au bruit, même lors de la survenance de bruits dans leur casque d’écoute, rencontrait les normes réglementaires prescrites par le Code, donc que Bell Canada rencontrait toutes ses responsabilités à l’égard de la protection auditive pour ses téléphonistes.

[35] À l’appui de ces thèses, Me Lauzon a fait témoigner L. O’Doherty, M. Patrick Hunter et A. Tartre. Je retiens ce qui suit de leurs témoignages.

[36] Mme O’Doherty a déclaré qu’elle travaille chez Bell Canada depuis 1999 et qu’elle occupe depuis mai 2009 les fonctions de chef divisionnaire adjointe aux services des téléphonistes. Elle a ajouté qu’entre 2005 et 2009, elle a agi en tant que co-présidente représentant l’employeur sur le comité local de santé et de sécurité pour le lieu de travail en cause ainsi que sur le comité de santé et de sécurité formé pour l’entreprise.

[37] P. Hunter a déclaré qu’il travaille chez Bell Canada depuis 1996. Au moment de l’enquête de l’ASS Renaud, il agissait en tant que directeur administratif de système pour le GGI. Aujourd’hui, il occupe les fonctions de chef divisionnaire adjoint responsable des incidents techniques.

[38] A. Tartre est, tel que déjà mentionné, hygiéniste industriel, notamment spécialisé dans l’évaluation de l’exposition au bruit en milieu de travail.

[39] Mme O’Doherty a déclaré que Bell Canada emploie 110 téléphonistes dans leur bureau de Montréal. L. O’Doherty a déclaré qu’un employé travaillant comme téléphoniste au bureau de Montréal reçoit entre 400 à 500 appels par jour et prend entre 3 à 120 secondes pour traiter un appel. Elle a ajouté que ces employés travaillent 6.5 heures par jour incluant deux pauses de 15 minutes.

[40] Mme O’Doherty a déclaré que les téléphonistes dont elle est responsable répondent aux appels interurbains qui ne sont pas automatisés pour des raisons techniques ou parce que le client décide de passer par la téléphoniste.

[41] Mme O’Doherty et P. Hunter ont déclaré qu’il arrive, lors de ces appels, que l’employé reçoive autre chose qu’une voix, par exemple un bruit provenant d’un mauvais numéro composé par un client (fax ou modem) ou un appel voix accompagné d’un grésillement ou de friture pouvant être généré notamment par un problème technique survenant sur le circuit ou sur un câble dû à la mauvaise météo (pluie, etc.), le mauvais fonctionnement ou le bris d’un équipement de téléphonie, un client utilisant un téléphone sans fil loin de sa base ou un téléphone ou cellulaire de mauvaise qualité. Ils ont ajouté que quoiqu’ils soient devenus plus fréquents au début des années 2000 avec l’arrivée des fax, modems, cellulaires et téléphones sans fil, ces bruits existent depuis très longtemps et ce, dans l’ensemble des entreprises de télécommunications.

[42] Mme O’Doherty et P. Hunter ont déclaré que les sources de ces bruits sont ainsi multiples. Ils ont de plus déclaré que Bell Canada ne peut ni contrôler la qualité de tous les appareils et/ou équipement utilisés par leurs clients ni toujours arriver à faire du recoupage permettant d’identifier et éliminer la source unique d’un problème. C’est pourquoi il s’avère impossible d’éliminer et/ou de contrôler complètement leur survenance. P. Hunter a ajouté qu’il ne voit pas comment, techniquement, Bell Canada pourrait arriver à le faire.

[43] Mme O’Doherty et P. Hunter ont déclaré qu’avant 2007 la méthode utilisée pour contrôler les bruits en cause était de demander à chaque employé de rapporter ceux-ci en remplissant un formulaire, ce formulaire portant le titre de « Bruits stridents ». Puis, l’équipe du GGI s’occupait de compiler et analyser les bruits rapportés pour tenter de faire des liens et en déterminer l’origine.

[44] P. Hunter a déclaré que le problème avec cette méthode est que le GGI recevait les données après coup, c’est-à-dire que, souvent, le problème n’existait plus lorsque les bruits étaient analysés. C’est pourquoi des touches ont été installées en 2007 sur chaque position des téléphonistes permettant le transfert des appels contenant un bruit dans une boîte vocale. Un membre du GGI écoutait chaque jour les appels transférés dans la boîte vocale pour tenter de retracer l’origine des bruits survenus lors des appels. P. Hunter a ajouté qu’aujourd’hui, chaque fois qu’un bruit est entendu lors d’un appel, l’employé n’a qu’à appuyer sur une seule touche qui active automatiquement l’enregistrement de l’appel de façon électronique.

[45] Mme O’Doherty a déclaré que Bell Canada insistait entre 2004 et 2007 auprès des employés pour qu’ils déclarent à ce moment-là sur les formulaires mentionnés plus haut tous les bruits perçus dans leur casque d’écoute. Elle a ajouté que l’en-tête « Bruits stridents » sur ces formulaires tout comme cette mention sur les procès verbaux du comité local de santé et de sécurité remis à l’ASS Renaud ne signifie pas que les bruits générés dans les casques d’écoute des téléphonistes sont des bruits stridents ou des bruits forts. Tel que l’a déclaré Mme O’Doherty, ce terme a été choisi pour dénommer tous les bruits entendus par les employés dans leur casque d’écoute sans aucune distinction. Elle a ajouté que Bell Canada demandait aux employés de décrire les bruits sur ces formulaires le mieux possible selon leur propre perception afin d’aller chercher le plus d’informations possibles.

[46] Mme O’Doherty a déclaré qu’il fut également décidé de demander aux employés de remplir une déclaration de blessure légère chaque fois qu’un bruit était rapporté. Elle a ajouté que cette procédure a été instaurée à titre préventif en accord avec le syndicat mais qu’aucune confirmation de la présence d’une blessure n’était rattachée à cette déclaration.

[47] L. O’Doherty a déclaré que les procès verbaux du comité local de santé et de sécurité remis à l’ASS Renaud comportaient des erreurs. Elle a soumis une version corrigée de ces documents. Elle a réitéré que la mention de « bruit strident » dans ces documents signifie uniquement qu’un employé a entendu un bruit non vocal dans son casque d’écoute. Elle a ajouté que la mention « blessure légère » dans ces documents signifie que l’employé avait rempli une déclaration de blessure légère à titre préventif tel que Bell Canada le lui demandait ou encore qu’il avait pris une journée d’absence, c’est-à-dire une absence autorisée pour « blessure légère » sans que cela signifie qu’il y ait eu confirmation qu’une blessure soit survenue à l’ouïe de l’employé. Quant à la mention « invalidité », L. O’Doherty a déclaré que cela signifie que l’employé avait pris plus d’une journée d’absence, c’est-à-dire une absence dite « invalidante », sans toutefois non plus là que cela signifiait qu’il y ait eu confirmation d’une blessure survenue à l’ouïe de l’employé. Ces mentions dans les procès verbaux du comité ne signifient donc ni que les bruits entendus étaient des bruits stridents ni qu’il y avait eu blessure à l’ouïe d’un employé. L. O’Doherty a ajouté que même si cela était rapporté dans les procès verbaux du comité comme situation hasardeuse, cela ne signifiait pas qu’il y avait eu blessure. Cela signifiait simplement qu’un bruit irrégulier avait été rapporté par un employé.

[48] L. O’Doherty a déclaré que la grande majorité des employés n’étaient pas dérangées par les bruits survenant dans leur casque d’écoute et ne le sont pas davantage aujourd’hui.

[49] Selon la version corrigée des procès verbaux du comité local de santé et de sécurité soumise par L. O’Doherty, sept employés, incluant M.-J. St-Arnaud, se sont absentés de leur travail plus d’une journée entre le 21 mai 2004 et le 22 novembre 2005 suite à la survenance d’un bruit dans leur casque d’écoute. Puis, entre le 16 décembre 2005 et le 16 octobre 2007, plusieurs employés ont rempli une déclaration de blessure légère ou se sont absentées une journée après avoir rapporté un bruit. Par contre, entre le 19 octobre 2007 et le 5 août 2009, aucun employé ayant rapporté un bruit n’a ni déclaré de blessure légère ni ne s’est absenté de son travail. Le 7 août 2008, A. Castonguay déclarait, tel qu’indiqué plus haut, une blessure invalidante reliée à un bruit survenu dans son casque d’écoute. Finalement, entre le 8 août 2008 et le 16 novembre 2009, cinq employées se sont absentées de leur travail pour plus d’une journée suite à un bruit entendu dans leur casque d’écoute, ce qui exclut A. Castonguay le 9 septembre 2009. Entre le mois de février et le 9 septembre 2009 inclusivement, les employées, à part A. Castonguay, qui se sont absentées plus d’une journée sont J. Michaud, S. Anctil, S. Lesage, Mme Sylvie Dinel et Mme Diane Vézina.

[50] L. O’Doherty a déclaré que le 9 septembre 2009 D. Vézina a fait une réclamation pour blessure invalidante à son ouïe auprès de la CSST après avoir entendu un bruit qu’elle a perçu comme un bruit strident dans son casque d’écoute.

[51] P. Hunter et A. Tartre ont déclaré que l’équipement utilisé avant février 2009 sur chaque position des téléphonistes était le « IWS » ou « Intelligent Work Station ». En février 2009, Bell Canada a décidé de changer cet équipement pour le « MWS » ou « Multimedia Work Station ». Comme les téléphonistes pouvaient choisir entre cinq modèles de casque d’écoute, le modèle choisi pour A. Castonguay pour son retour progressif au travail fut le « H251 N ». C’est donc ces équipements qu’elle utilisait au moment de son refus.

[52] P. Hunter et A. Tartre ont déclaré que la différence entre le « IWS » et le « MWS » est la façon de se brancher. Grâce à ses branchements, le « MWS » offre deux dispositifs de protection sonore. Dans chaque casque d’écoute, quel que soit son modèle, un limiteur de son y est intégré qui plafonne tous les sons entrants à 118 dBA. Ce dispositif élimine aussi tous les sons de fréquences aux environs de 4000 Hz et plus. En amont de cette protection sur tous les casques d’écoute, le « MWS » offre aussi un filtre nommé le « DA 60 ». Le « DA 60 » est directement branché dans la position de travail de l’employé, ce qui permet une pré-écoute du son qui arrive. Selon les spécifications du manufacturier de ce filtre, chaque fois qu’un son de 110 dB et plus arrive, le filtre « DA 60 » réduit automatiquement à l’intérieur d’un quart de seconde ce son de 28 dB avant qu’il n’entre dans le casque d’écoute.

[53] A. Tartre a déclaré qu’il a effectué l’évaluation de l’exposition au bruit auquel les téléphonistes travaillant dans le lieu pouvaient être exposés lors de leur journée de travail ainsi que l’évaluation des bruits survenant dans leur casque d’écoute et de leurs niveaux de pression acoustique. Il a soumis les rapports de ces évaluations. Ces documents sont datés du 6 et 24 août 2010. Pour ce faire, A. Tartre a obtenu 13 enregistrements d’appels transférés au GGI par envoi électronique sur des enregistrements numérisés en fichier « wav » alors que les employés utilisaient l’équipement « MWS ». Tous ces appels contenaient un bruit non vocal survenu lors de la prise d’un appel. Un de ces échantillons a été analysé par l’Institut de recherche en santé et sécurité au travail (l’IRSST), les douze autres par une firme spécialisée dans ce domaine, la firme « Soft dB ».

[54] A. Tartre a déclaré que l’analyse de ces enregistrements a révélé que les bruits non vocaux survenant dans les casques d’écoute des téléphonistes étaient des bruits continus ou fluctuants. Il a ajouté que lorsqu’on évalue un bruit continu ou fluctuant, comme l’oreille humaine ne réagit pas de la même manière aux différentes fréquences générées par un son, il faut tenir compte des fréquences contenues dans ces bruits. C’est pourquoi, tel que déclaré par A. Tartre, l’unité de mesure des niveaux de pression acoustique pour les bruits continus ou fluctuants s’exprime en dBA.

[55] A. Tartre a déclaré que les fréquences sont définies par échelles appelées « bandes d’octaves ». Il a ajouté que si le bruit continu ou fluctuant contient des bandes de fréquences prédominantes, il faut additionner une valeur de 5 aux niveaux de pression acoustique mesurés en dBA pour ce bruit. Une bande de fréquences prédominante existe lorsque le niveau sonore maximal mesuré en dB à une bande centrale excède de 4 dB ou plus la moyenne arithmétique des niveaux de l’octave inférieur et de l’octave supérieur et, pour les bandes extrêmes, dont le niveau dépasse de 5 dB celui de l’octave contiguë.

[56] A. Tartre a déclaré que comme il y a une réverbération au niveau de la peau et des tissus du conduit auditif ainsi qu’au niveau du pavillon de l’oreille lorsqu’un son y pénètre directement et que ce phénomène influence la façon dont l’oreille perçoit un son, deux paramètres sont également à considérer lorsqu’on veut mesurer le niveau de pression acoustique d’un son entrant dans l’oreille d’une personne munie d’écouteurs. Le premier est le « niveau de pression sonore équivalent arrivant au tympan » ou le « Drum Reference Point » (le « DRP »). Le second se nomme le « niveau de pression sonore équivalent arrivant à l’ouverture du conduit auditif ou le « Ear Reference Point » (le « ERP »). Tel que déclaré par A. Tartre, il existe un protocole reconnu internationalement qui tient compte de ces deux paramètres. Ce protocole se nomme le protocole « HATS ». Comme ce protocole nécessite l’utilisation d’un simulateur de tête et d’un torse (mannequin) avec une oreille artificielle standardisée (« Head and Torso simulateur » pour « HATS »), ces expertises sont cependant peu accessibles. Pour calculer l’exposition au bruit ainsi que les niveaux de pression acoustique auxquels les téléphonistes munis de leur casque d’écoute pouvaient être exposés, A. Tartre a ainsi choisi de se servir de chartes du système « HATS » publiées par le manufacturier « Bruel & Kjaer ». Il a déclaré que ces chartes lui ont permis de convertir en « ERP » les niveaux de pression acoustique des sons ou des bruits évalués par l’IRSST et la firme « Soft dB » à partir des enregistrements d’appels reçus par les téléphonistes utilisant l’équipement « MWS » mentionnés plus haut.

[57] A. Tartre a déclaré que l’analyse des 13 enregistrements mentionnés plus haut a révélé qu’aucun son ou bruit n’était généré, même lors de la survenance d’un bruit non vocal lors de la prise d’un appel, en haut de 3600 Hz. Cela est dû à la présence du limiteur de son intégré sur tous les casques d’écoute par l’équipement « MWS » lequel, tel qu’indiqué plus haut, élimine tous les sons de fréquences aux environs de 4000 Hz et plus. Or, tel que déclaré par A. Tartre, un bruit strident ou aigu se situe aux environs de 4000 Hz et plus. C’est pourquoi A. Tartre a déclaré que les bruits survenant dans les casques d’écoute au moment de l’enquête de l’ASS Renaud ne pouvaient pas être des bruits stridents et que ces bruits entraient dans la catégorie de bruits dérangeants.

[58] A. Tartre a déclaré qu’il a calculé le pire scénario du niveau d’exposition au bruit des employés au cours de leur période de travail de 6.5 heures en tenant compte des deux pauses de 15 minutes durant cette période, du niveau sonore maximal mesuré dans l’environnement ambiant, de celui mesuré dans la zone auditive des employés lors de la prise d’appels ainsi que de la présence de bruits dérangeants dans leur casque d’écoute si le volume de l’appel aurait été à 10 et du facteur « ERP ». Il a calculé ce niveau d’exposition à 72.3 dBA. Comme une valeur de 5 doit être ajoutée compte tenu de la présence de bandes de fréquences prédominantes, on arrive à 77.3 dBA. A. Tartre a ajouté avoir également calculé, en tenant compte des mêmes paramètres mentionnés plus haut, le pire scénario du niveau d’exposition au bruit pouvant s’être produit au poste de travail entouré de paravents de Mme Castonguay pour sa journée de travail du 9 septembre 2009 si elle l’avait travaillée au complet. Selon ces calculs, ce niveau d’exposition est de 72.2 dBA. Là encore, une valeur de 5 doit être ajoutée, ce qui donne 77.2 dBA.

[59] A. Tartre a déclaré que, selon la partie VII du Règlement canadien sur la santé et la santé au travail (le RCSST), la limite permise est fixée à 87 dBA pour une durée d’exposition de 8 heures par période de 24 heures. Sur la base des résultats indiqués plus, il a ainsi déclaré que le niveau d’exposition au bruit des téléphonistes lors de leur travail, même dans les pires scénarios, était nettement en deçà de la norme réglementaire applicable selon le Code au moment de l’enquête de l’ASS Renaud.

[60] A. Tartre a déclaré qu’il a calculé les niveaux maximum de pression acoustique ainsi que leur durée maximale auxquels A. Castonguay aurait pu être exposée au moment de son refus lorsqu’elle a entendu le bruit dans son casque d’écoute en considérant que le volume de l’appel aurait pu être à 10 et qu’elle utilisait un casque d’écoute « H251 N » couplé au filtre « DA 60 ». Il a calculé que ces niveaux auraient pu être, dans un premier temps, à environ 105.8 dBA pendant une période approximative d’un quart de seconde et, dans un deuxième temps, entre 75 et 94.8 dBA pendant deux secondes. Avec la valeur de 5 à ajouter tel que noté au paragraphe 55 compte tenu de la présence des bandes de fréquences prédominantes, les niveaux maximum auraient pu être 110.8 dBA pendant une période approximative d’un quart de seconde, puis entre 80 et 99.8 dBA pendant deux secondes.

[61] P. Hunter a déclaré qu’ils ont fait évaluer par le manufacturier du « MWS », soit la compagnie Plantronics, le « DA 60 » ainsi que le casque d’écoute « H251 N » qu’utilisaient A. Castonguay au moment de son refus. P. Hunter a soumis le rapport de cette évaluation. Selon ce rapport, ces équipements étaient exempts de défectuosités et fonctionnaient selon les spécifications du manufacturier à ce moment-là.

[62] P. Hunter a déclaré que l’équipe du GGI a été impliqué dans l’ajout des paravents au poste de travail de Mme Castonguay. Il a ajouté que des paravents avaient aussi été installés au poste de travail d’une autre téléphoniste, Mme Sylvie Dinel.

[63] P. Hunter a déclaré que Bell Canada a demandé à l’équipe du GGI de regarder s’il était possible de bloquer le volume des appels avant leur arrivée dans les casques d’écoute à un certain niveau directement sur le « DA 60 ». C’est ainsi que le nouveau système bloquant automatiquement le volume des appels à 5, sur une échelle maximale de 10, a été installé sur toutes les positions de travail des employés. P. Hunter a ajouté qu’au niveau 5, le volume dans le casque d’écoute est faible. C’est pourquoi plusieurs téléphonistes se sont plaints que ce volume était trop bas. Ils sont alors revenus au mode précédent. Par contre, ils ont laissé le volume bloqué à 5 pour les appels entrants sur les positions de travail de Mme Castonguay et de S. Dinel. Ainsi, au moment du refus de Mme Castonguay, les appels entrant dans son casque d’écoute étaient bloqués à un volume maximal de 5. Si ce volume était trop bas, il était par contre possible de le monter jusqu’à 10. L. O’Doherty a ajouté que pour s’assurer que Mme Castonguay ne reçoive aucun appel à un volume plus élevé que 5, tous les types d’appels ne pouvant être automatiquement remis à ce volume lors de leur arrivée, soit les appels « CAMA », avaient été retirés de sa position de travail.

[64] P. Hunter a déclaré qu’au moment du refus de Mme Castonguay le GGI faisait des tests, à partir de positions d’employés ayant accepté d’y participer, pour trouver à quels niveaux le volume d’un appel pouvait être bloqué. P. Hunter a déclaré que, suite à ces tests, il fut décidé de bloquer à trois positions, soit à 5, 6.8 ou 7.4 au choix de l’employé, le volume des appels. Aujourd’hui, chaque nouvel appel, sauf pour les appels « CAMA », arrive à un volume de 5, le « DA 60 » le bloquant à ce niveau. Puis, l’employé peut ajuster le volume soit à 6.8 ou 7.4 mais pas plus haut. Pour les appels « CAMA », l’appel entre soit à 5, à 6.8 ou 7.4, mais pas plus haut. Puis, l’employé peut ajuster le volume sans dépasser 7.4.

[65] L. O’Doherty a déclaré qu’au moment de l’audition de cette affaire Bell Canada avait engagé un spécialiste peut rechercher des solutions permanentes pour Mme Castonguay ainsi que pour les autres employés occupant les fonctions de téléphoniste dans le lieu en cause et démontrant une sensibilité aux bruits survenant dans leur casque d’écoute. Elle a toutefois ajouté que Mme Castonguay était toujours en arrêt de travail pour blessure à son ouïe et ce, depuis septembre 2009.

[66] Sur la base de cette preuve, Me Lauzon soutient que, puisque les exigences réglementaires pour la protection auditive étaient rencontrées le 11 septembre 2009, il n’y avait pas présence d’un danger pour les employés en cause au moment de l’enquête de l’ASS Renaud.

[67] Me Lauzon soutient en outre que ce n’est pas parce qu’une réclamation est acceptée par la CSST qu’on peut automatiquement conclure qu’il y a eu blessure survenue au travail pour l’employé ayant fait cette réclamation. En fait, Me Lauzon soutient que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la LATMP) contient une présomption à l’égard d’une blessure pouvant être survenue à l’occasion du travail.

[68] Qui plus est, Me Lauzon soutient que la définition d’ « accident du travail » prévue à la LATMP est distincte et sans lien quelconque avec la définition de « danger » prévue par le Code.

[69] En s’appuyant sur tout ce qui précède, Me Lauzon soutient que l’ASS Renaud a erré en concluant à l’existence d’un danger pour les téléphonistes travaillant dans le lieu. Par ce motif, elle demande l’annulation de l’instruction donnée le 11 septembre 2009 à l’endroit de Bell Canada.

B) Observations de l’intimé

[70] M. Yves Ménard soutient, au nom de l’intimé, que le terme « bruit strident » n’a pas été inventé par les téléphonistes, mais qu’au contraire ce terme a été utilisé par l’employeur lui-même dans tous ses rapports à l’égard des bruits rapportés par les téléphonistes dans leur casque d’écoute, tels dans les procès verbaux provenant du comité local de santé et de sécurité du lieu de travail ainsi qu’en en-tête des formulaires distribués aux employés pour rapporter ces bruits. Selon Y. Ménard, avant 2004, on pouvait peut-être parler de bruits dérangeants. Par contre, à partir de 2004, comme des bruits stridents ont alors été rapportés par les téléphonistes, ces bruits, de l’avis de M. Ménard, étaient des bruits stridents.

[71] Bien qu’admettant qu’il soit impossible d’éliminer ces bruits, Y. Ménard soutient par contre qu’on peut les prévenir et c’est ce que permettait, à son avis, le droit de refuser de travailler accordé en vertu du Code dans les circonstances. En outre, ce droit n’est pas autorisé uniquement pour prévenir un danger imminent, mais aussi, de l’avis de M. Ménard, lorsqu’on croit qu’il est possible qu’il y ait existence d’un danger.

[72] De plus, quoique les bruits en cause surviennent à l’occasion de façon imprévisible et que cette situation pourrait, dans une certaine mesure, être qualifiée de courante, Y. Ménard soutient qu’il est question ici de bruits stridents et que ces bruits demeurent non identifiables. De l’avis de M. Ménard, cette situation n’est pas une situation normale.

[73] En outre, même si Bell Canada a porté en appel la décision de la Direction de la révision administrative de la CSST concernant l’évènement du 7 août 2008 et qu’elle soit en attente d’une audition auprès de la CLP concernant cet appel, Y. Ménard souligne que la CSST a accepté les lésions survenues à l’ouïe de Mme Castonguay comme étant des lésions s’étant produites lors de son travail et ce, non seulement suite à l’évènement rapporté le 7 août 2008 mais aussi suite à celui du 9 septembre 2009, ce qui inclut les traitements à l’égard de son hyperacousie et tout ce qui s’en suit.

[74] De plus, Y. Ménard soutient que M.-J. St-Arnaud a été acceptée par la CLP comme ayant subi des lésions professionnelles à son ouïe suite à un évènement survenu dans des circonstances similaires à celles de Mme Castonguay. Au soutien de cet argument, M. Ménard s’est référé à la décision de la CLP, précitée, dans l’affaire Bell Canada et Marie-Josée St-Arnaud. Aux paragraphes 6, 7, 8, 9, 11, 16, 19, 21, 22, 34, 39, 41, 49, 52 et 67 de cette décision, il est dit ce qui suit :

[6] La travailleuse est à l’emploi de Bell Canada […] Depuis 2002, elle occupe le poste de téléphoniste aux interurbains. […]

[7] À titre de téléphoniste aux interurbains […] Son travail consiste uniquement à recevoir des appels entrants.

[8] […] La travailleuse est munie d’un casque d’écoute pour recevoir les appels. […]

[9] Le 14 juin 2004, la travailleuse soumet une réclamation à la CSST alléguant avoir subi une lésion professionnelle le 21 mai 2004.

[11] Le 21 mai 2004, avant d’entendre le bruit strident, elle reçoit un appel d’une dame qui parle très bas. Elle met le volume de son casque d’écoute au niveau le plus élevé. Puis, lors de l’appel suivant, survient un bruit strident qu’elle décrit comme un freinage rapide. .

[16] […] la travailleuse rencontre la docteure K. Vo-Doan, oto-rhino-laryngologiste. […]

[19] La docteure Vo-Doan produit […] un rapport d’évaluation médicale dans lequel elle décrit que la travailleuse a connu, à la suite du bruit strident entendu le 21 mai 2004, un acouphène bilatéral et une hyperacousie subjective. Ces symptômes sont disparus le lendemain mais la travailleuse conserve une otalgieFootnote 16  lorsqu’elle entend un son en haute fréquence, une hyperacousie […]..

[21] À la demande de l’employeur, la travailleuse est dirigée auprès de madame Sylvie Auger, audiologiste, pour évaluation de même qu’auprès du docteur C. Nadeau, oto-rhino-laryngologiste, pour expertise médicale.

[22] Dans son rapport du 12 août 2004, madame Auger […] note l’absence d’antécédent otologiqueFootnote 17  ou d’antécédent familial connu de surdité chez la travailleuse, de même que l’absence de loisir bruyant. […]

[34] Les impressions diagnostiques audiologiques de madame Auger décrivent que la travailleuse souffre d’une hyperacousie sévère induite par deux traumatismes acoustiques rapprochés survenus au travail.

[39] Puis, la travailleuse est examinée par le docteur N. B. Gagnon, oto-rhino-laryngologiste […]..

[41] […] le Docteur Gagnon définit l’hyperacousie comme une difficulté auditive qui […] consiste en une croissance anormale dans la perception de l’intensité des sons. […] Les personnes qui présentent de l’hyperacousie trouvent que tous les bruits sont forts même ceux qui sont perçus comme faibles par la majorité des gens.

[49] Le 31 octobre 2005, la docteur Vo-Doan produit un rapport complémentaire en réponse à l’expertise produite par le docteur Gagnon […]. Suivant la définition retenue par la littérature, elle estime que la travailleuse a subi un choc acoustique le 21 mai 2004. Il s’agit d’une entité moins bien connue que le traumatisme acoustique et qui est définie comme une perturbation temporaire ou permanente du fonctionnement de l’oreille ou du système nerveux pouvant être causée à l’utilisateur de récepteur téléphonique par une augmentation soudaine de la pression acoustique […] C’est à la suite de ce choc acoustique que la travailleuse a ressenti différents symptômes qui se sont résolus, tels un acouphène bilatéral, une hypoacousie et des céphalées, pour laisser place par la suite à une hyperacousie. C’est le seul symptôme résiduel que conserve la travailleuse. La moitié des patients atteints de cette condition doivent changer d’activité professionnelle pour trouver une situation plus calme.

[52] Elle est d’avis qu’en l’espèce, il y a des éléments objectifs supportant l’existence de l’hyperacousie. […] En l’absence d’antécédent otologique ou d’activité antérieure pouvant entraîner une atteinte cochléaire, elle présume que les anomalies des PDÉOA découlent du traumatisme acoustique subi par la travailleuse le 21 mai 2004. Lors de ce traumatisme, les cellules ciliées externes endommagées seraient à l’origine de l’hyperacousie.

[67] […] Depuis le 7 novembre 2006, elle occupe un poste clérical chez l’employeur dans un environnement plus calme. La travailleuses se dit incapable de retourner à son travail de téléphoniste bien qu’elle aimait beaucoup ce travail […].

[75] Basé sur ce qui précède, Y. Ménard soutient que Mme Castonguay avait non seulement le droit d’exercer son refus de travailler, mais également qu’il existait un danger pour elle ainsi que pour ses collègues au moment de l’enquête de l’ASS Renaud.

Au soutien de cette thèse, Y. Ménard a fait témoigner D. Giroux et A. Castonguay. Je retiens ce qui suit de leurs témoignages.

[76] D. Giroux a déclaré qu’elle occupe le poste d’assistante au service. Elle est aussi co-présidente représentant les employés sur le comité local de santé et de sécurité pour le centre d’appels de Montréal ainsi que membre du comité de santé et de sécurité formé pour l’entreprise. Quant à A. Castonguay, celle-ci occupe un poste de téléphoniste chez Bell Canada depuis 1981.

[77] D. Giroux a déclaré qu’à sa connaissance le comité local de santé et de sécurité pour le lieu de travail de Montréal travaille depuis 2004 sur les bruits stridents.

[78] A. Castonguay a déclaré qu’au moment de son refus, elle a reçu un appel à frais viré avec demande d’assistance de la téléphoniste. Lors de la réception de cet appel, elle a d’abord placé l’appel entrant. Le volume de l’appel était alors à 5. Puis, elle a fait la composition pour rejoindre le demandé et a annoncé l’appel en mentionnant le nom de la personne. Comme elle n’entendait pas bien le demandé, elle a monté le son. C’est à ce moment qu’elle a entendu un bruit très fort strident dans son casque d’écoute. Elle a ajouté que ce bruit lui a fait mal. A. Castonguay a déclaré qu’elle ne sait pas à combien elle a monté le volume du son.

[79] Sur la base de cette preuve, Y. Ménard allègue que Mme Castonguay avait des motifs raisonnables d’exercer son refus.

[80] En s’appuyant sur le fait que M. Tartre n’a pas utilisé le protocole « HAST » et que ses calculs ont été faits à partir de bruits recueillis plusieurs mois après le 9 septembre 2009 ainsi que dans un cadre, à son avis, différent de celui qui existait cette journée-là, Y. Ménard met de plus en doute les résultats des évaluations présentées par A. Tartre. Y. Ménard a de plus souligné que les conclusions de M. Tartre ne font pas référence aux chocs ou traumatismes acoustiques survenus aux employés.

[81] Pour ces raisons, Y. Ménard demande de rejeter la requête de l’employeur et de maintenir l’instruction d’avis de danger donnée le 11 septembre 2009 à Bell Canada par l’ASS Renaud.

Demande d’obtention d’un complément de preuve

[82] Le 17 septembre 2010, suite à l’audition de la preuve présentée par les parties, j’ai fait part à Me Lauzon et Y. Ménard de mon intérêt d’entendre un ou plusieurs experts concernant le trouble auditif dénommé hyperacousie dont souffre A. Castonguay.

[83] Ni Me Lauzon ni les représentants du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP/FTQ), même après que M. Ménard leur ait fait part de ma demande, ont accepté de me présenter ce complément de preuve.

Objection soulevée par l’appelant

[84] Annexés à ses argumentations finales écrites transmises le 18 novembre 2010, Y. Ménard, au nom de l’intimé, a soumis une série de documents qui n’avaient pas été déposés lors de l’audience. Dans sa réplique écrite du 25 novembre 2010, Me Lauzon s’est objectée au dépôt de ces documents.

[85] Après avoir entendu les arguments de Me Lauzon et Y. Ménard sur cette objection lors d’une conférence téléphonique tenue le 15 décembre 2010, j’ai décidé que je ne tiendrais pas compte de ces documents pour les motifs qui suivent.

[86] Les documents sont datés d’octobre 2009 ainsi que du 6 janvier, 19 février et 12 mars 2010. Il était donc possible, tel qu’admis par Y. Ménard, de les soumettre au moment de l’audition de l’affaire. De plus, je suis d’avis que leur contenu n’ajouterait pas une preuve substantielle pouvant m’influencer de façon importante quant à l’issue de cette affaire.

Analyse

[87] La question à trancher dans cette affaire est de déterminer si l’instruction d’avis de danger donnée le 11 septembre 2009 à l’endroit de Bell Canada par l’ASS Renaud et visant l’ensemble des téléphonistes travaillant dans le lieu était bien fondée.

[88] Afin de déterminer le bien fondé de cette instruction, je dois décider si un danger existait pour l’ensemble de ces employés le 11 septembre 2009.

[89] Le terme « danger » est défini au paragraphe 122(1) du Code comme suit :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur. [Souligné par mes soins]

[90] En ce qui concerne le critère qui s’applique pour établir la présence d’un danger existant ou éventuel au sens du paragraphe 122(1) du Code, la juge Gauthier de la Cour fédérale, a dit, au paragraphe 36 de sa décision dans l’affaire Verville, ce qui suit :

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n’exigent pas la preuve d’un délai précis à l’intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable. [Souligné par mes soins]

[91] De même, dans l’affaire Martin, le juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale a précisé ceci:

[37] Je conviens qu’une conclusion de danger ne peut reposer sur des conjectures ou des hypothèses. Mais lorsqu’on cherche à déterminer si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un risque éventuel ou une activité future cause des blessures avant que le risque puisse être écarté ou que la situation soit corrigée, on traite nécessairement de l’avenir. Les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. Leur rôle en pareil cas consiste à apprécier la preuve pour déterminer les probabilités que ce qu’affirme le demandeur se produise plus tard.

[Souligné par mes soins]

[92] Le fondement de l’instruction d’avis de danger donnée par l’ASS Renaud à Bell Canada est qu’il était d’avis qu’un traumatisme acoustique pouvait survenir le 11 septembre 2009 à l’ensemble des téléphonistes travaillant dans le lieu dû à la survenance de bruits non vocaux dans leur casque d’écoute, ces bruits pouvant, selon lui, être à des niveaux de pression acoustique élevés.

[93] Pour décider si un tel danger existait pour les téléphonistes en cause au moment de l’enquête de l’ASS Renaud, en me référant à la définition du terme « danger » selon le Code citée plus haut ainsi qu’à l’interprétation qu’en a faite la Juge Gauthier dans l’affaire Verville, je dois:

  1. identifier les risques reliés à la tâche des téléphonistes susceptibles de causer une blessure à leur ouïe;
  2. déterminer s’il existait une possibilité raisonnable, au moment de l’enquête de l’ASS Renaud, que ces risques puissent causer une blessure à leur ouïe avant que ces risques soient écartés.

Les risques susceptibles de causer une blessure à l’ouïe des téléphonistes

[94] Le danger identifié par l’ASS Renaud étant relié aux bruits survenant dans les casques d’écoute des téléphonistes en cause, je me référerai aux normes concernant la protection auditive prescrites par le Code pour m’aider à identifier les risques susceptibles de causer une blessure à l’ouïe de ces employés.

[95] L’article 7.4 de la partie VII du RCSST rattaché au Code se lit comme suit :

7.4 Aucun employé ne doit être exposé dans un lieu de travail, au cours de toute période de 24 heures:

  1. à un niveau de pression acoustique pondérée A figurant à la colonne 1 de l’annexe pour une durée d’exposition supérieure à la durée applicable prévue à la colonne II;
  2. à un niveau d’exposition (Lex 8) de plus de 87 dBA.

    [Souligné par mes soins]

[96] En me référant à ces dispositions réglementaires du RCSST, j’en comprends qu’un niveau d’exposition au bruit au cours d’une journée de travail d’un employé qui excède 87 dBA pour 8 heures d’exposition peut être la cause d’une blessure à son ouïe. J’en comprends aussi que des bruits d’un niveau d’intensité et d’une durée excédant les limites retrouvées à l’annexe de la partie VII du RCSST et survenant dans le casque d’écoute des téléphonistes peuvent également être la cause d’un dommage à leur ouïe.

[97] Sur la base de ce qui précède, j’en comprends que pour conclure qu’une blessure pouvait se produire à l’ouïe des téléphonistes le 11 septembre 2009, je dois déterminer qu’il existait à ce moment-là une possibilité raisonnable:

  1. que le niveau d’exposition au bruit au cours de leur journée de travail excède la limite de 87 dBA pour 8 heures d’exposition prévue à l’alinéa 7.4b) du RCSST;
  2. qu’un bruit d’un niveau d’intensité et d’une durée excédant les limites prescrites à l’annexe de la partie VII du RCSST survienne dans leur casque d’écoute;
  3. et ce, avant que ces risques soient écartés.

La possibilité que le niveau d’exposition au bruit au cours d’une journée de travail des téléphonistes excède 87 dBA pour 8 heures d’exposition

[98] Selon la preuve soumise par l’expert de Bell Canada, le pire scénario au moment de l’enquête de l’ASS Renaud du niveau d’exposition au bruit des téléphonistes au cours de leur période de travail de 6.5 heures par jour, – en tenant compte des deux pauses de 15 minutes durant cette période, du niveau sonore maximal mesuré dans l’environnement ambiant, de celui mesuré dans la zone auditive des employés lors de la prise d’appels, du facteur « ERP », de la présence de bruits dans leur casque d’écoute si le volume de l’appel aurait été à 10 ainsi que de la présence de bandes de fréquences prédominantes dans ces bruits – , est environ 77 dBA.

[99] De plus, je n’ai reçu aucune preuve pour contredire le témoignage de cet expert concernant ces calculs.

[100] Sur la base de ce qui précède, j’en conclus qu’il n’existait pas, le 11 septembre 2009, une possibilité raisonnable que le niveau d’exposition au bruit au cours de la journée de travail des téléphonistes en cause puisse excéder la limite prescrite à l’alinéa 7.4b) du RCSST indiquée plus haut.

La possibilité que survienne dans le casque d’écoute des téléphonistes un bruit d’un niveau d’intensité et d’une durée excédant les limites prescrites à l’annexe de la partie VII du RCSST

[101] Selon les exigences retrouvées à l’annexe de la partie VII du RCSST, un employé ne peut être exposé à un son ou un bruit de 111 dBA pendant plus de 115,2 secondes ou à un son ou un bruit de 100 dBA pendant plus de 24 minutes par période de 24 heures.

[102] Selon les calculs présentés par A. Tartre, les niveaux maximum de pression acoustique des bruits survenant dans leur casque d’écoute ainsi que leur durée maximale auxquels les téléphonistes en cause auraient pu être exposés le 9 septembre 2009, en considérant que le volume de l’appel aurait pu être à 10 avec un casque d’écoute « H251 N » couplé au filtre DA-60 », se situent, dans un premier temps, à environ 110.8 dBA pendant une période approximative d’un quart de seconde et, dans un deuxième temps, à environ 99.8 dBA pendant deux secondes.

[103] Encore là, je souligne que je n’ai reçu aucune preuve pour contredire les calculs de cet expert.

[104] Qui plus est, la preuve démontre que les calculs de M. Tartre ont été faits sur la base d’analyses d’appels contenant des bruits non vocaux enregistrés lorsque les employés utilisaient l’équipement « MWS » lequel inclut les dispositifs de protection sonore intégrés dans leur casque d’écoute quel que soit leur modèle, mais aussi le filtre « DA 60 » sur leur position de travail.

[105] Sur la base de cette preuve, j’en conclus qu’il n’existait pas, le 11 septembre 2009, une possibilité raisonnable que les bruits survenant dans les casques d’écoute des téléphonistes en cause puissent être à un niveau d’intensité et d’une durée excédant les limites prescrites à l’annexe de la partie VII du RCSST.

[106] Sur la base de ce qui précède, j’en conclus ainsi qu’il n’existait pas, le 11 septembre 2009, un danger pour les téléphonistes travaillant dans le lieu relié aux bruits survenant dans leur casque d’écoute et, par conséquent, que l’instruction donnée à ce moment-là par l’ASS Renaud à Bell Canada n’était pas fondée.

[107] Ceci dit, j’aimerais souligner ce qui suit en ce qui concerne le cas de Mme Castonguay, la seule téléphoniste travaillant dans le lieu ayant exercé un refus de travailler au moment de l’enquête de l’ASS Renaud.

[108] La preuve soumise reflète que depuis le 30 mars 2009 A. Castonguay revenait d’un congé de maladie pour cause d’une blessure à l’oreille droite lui ayant causée une hyperacousie.

[109] Selon les documents déposés par M. Préfontaine, l’oto-rhino-laryngologiste ayant examiné A. Castonguay était de plus d’avis qu’elle demeurerait avec des séquelles d’hyperacousie.

[110] Selon ces mêmes documents, A. Castonguay a également perçu en juillet et août 2009, dans son casque d’écoute, des bruits très forts et des bruits qu’elle a décrit comme stridents alors qu’elle se servait de son oreille gauche pour prendre les appels.

[111] De plus, le danger allégué par A. Castonguay au soutien de son refus exercé le 9 septembre 2009 est que, compte tenu de la blessure à son oreille droite, elle avait peur pour son oreille gauche qu’elle utilisait alors pour prendre les appels parce qu’elle avait perçu un bruit très fort dans son casque d’écoute qu’elle a décrit comme strident et qui lui a fait mal.

[112] Le paragraphe 128(1) du Code se lit en outre comme suit :

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

  1. l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
  2. il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
  3. l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé. [Souligné par mes soins]

[113] En me référant à ces dispositions du Code, j’en comprends que pour pouvoir exercer un refus de travailler en vertu du Code, il suffit qu’un employé ait des motifs raisonnables de croire que l’utilisation d’une chose, en l’instance un casque d’écoute dans lequel est survenu un bruit perçu par l’employé comme très fort strident et qui lui fait mal, constitue un danger même si ce danger ne concerne que lui-même. J’en comprends également que la croyance reliée à l’exercice d’un refus de travailler est uniquement subjective à l’employé exerçant le refus.

[114] En outre, selon les documents déposés par M. Préfontaine, le poste de travail de Mme Castonguay n’avait pas fait l’objet pour son retour progressif au travail et au moment de l’enquête de l’ASS Renaud d’une évaluation par un spécialiste pour l’adapter compte tenu de son hyperacousie. Qui plus est, selon ces mêmes documents, les mesures mises en place pour le retour progressif au travail de Mme Castonguay en mars 2009 n’ont pas tenu compte de l’avis de son audiologiste qui ne recommandait pas la réintégration de cette employée à son poste de téléphoniste compte tenu de son hyperacousie.

[115] Sur la base de ce qui précède, tout me porte à croire que Mme Castonguay était atteinte d’une hypersensibilité aux sons ou aux bruits au moment de son refus. Toutefois, malgré ma tentative d’obtenir cette preuve, je n’ai reçu aucune preuve d’un expert quant au lien entre cette hypersensibilité aux sons ou aux bruits et les conditions de travail décrites plus haut dans lesquelles A. Castonguay se trouvait au moment de son refus, ce lien étant, à mon sens, essentiel pour décider si ces conditions de travail étaient susceptibles d’être la cause des blessures diagnostiquées à son oreille gauche par son médecin généraliste et son audiologiste le 10 septembre 2009.

[116] Compte tenu de tout ce qui précède et puisque j’ai conclu que l’instruction d’avis de danger donnée par l’ASS Renaud à l’endroit de Bell Canada et visant l’ensemble des téléphonistes travaillant dans le lieu était injustifiée, je décide d’annuler cette instruction.

Décision

[117] Pour ces motifs, l’instruction d’avis de danger donnée le 11 septembre 2009 à l’endroit de Bell Canada par l’ASS Renaud est annulée.

Katia Néron
Agente d’appel

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