2011 TSSTC 13
Référence: Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2011 TSSTC 13
Date: 2011-06-23
Nº de dossier: 2011-08
Rendue à: Ottawa
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Appelant
Affaire: Appel à l’encontre d’instructions d’avis de danger données par un agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 146(1) du Code Canadien du travail
Décision: Les instructions d’avis de danger sont annulées
Décision rendue par: Mme Katia Néron, Agente d’appel
Langue de la décision: Français
Pour l'appelant: Me Michel Huart
Motifs de décision
[1] Il s’agit d’un appel déposé, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code), par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN).
[2] Cet appel a été déposé à l’encontre d’une instruction d’avis de danger donnée le 31 janvier 2011 au CN par l’Agent de santé et de sécurité (ASS) M. Alain Testulat ainsi qu’à l’encontre des instructions données le même jour à 52 de leurs employés travaillant à la cour de triage Taschereau située à Montréal (Québec).
Contexte
[3] Ce qui suit a été tiré du témoignage de l’ASS Testulat, de son rapport d’enquête et des documents s’y afférant ainsi que du témoignage de M. Mike Tucci, directeur des opérations à la rampe automobile de la cour de triage Taschereau du CN à Montréal (Québec).
[4] La tâche des employés en cause consiste à décharger des automobiles transportées par trains dans des wagons comprenant deux ou trois étages, aussi appelés des wagons porte-automobiles multi-étages.
[5] Pour le transport de voitures, il y a trois étages par wagon. Pour le transport d’autres types d’automobiles, par exemple pour les camionnettes qui sont plus hautes, il y en a deux.
[6] Dans un même wagon, les devants des automobiles pointent dans la même direction.
[7] Par contre, d’un wagon à un autre sur un même train, les automobiles ne sont pas nécessairement placées dans la même direction et le nombre d’étages qu’ils contiennent peut ne pas être le même.
[8] Ainsi, pour effectuer le déchargement d’un train, les employés doivent d’abord, à l’aide de locotracteurs, trier et mettre ensemble les wagons possédant le même nombre d’étages et dans lesquels les automobiles pointent dans la même direction.
[9] Une fois ce tri complété, les wagons sont couplés ensemble par groupe de cinq ou six. Puis, une rampe est fixée à l’extrémité de chaque groupe de wagons pour permettre leur déchargement.
[10] Les hauteurs de chaque étage dans les wagons sont:
Étages |
Wagon à deux étages |
Wagon à trois |
---|---|---|
1er |
3,2 pieds |
3,5 pieds |
2ième |
10,6 pieds |
7,8 pieds |
3ième |
---------- |
13,1 pieds |
[11] De plus, les pièces en acier servant à coupler les wagons entre eux sont à la même hauteur environ que les premiers étages dans les wagons.
[12] Pour le déplacement des automobiles entre les wagons jusqu’à la rampe de déchargement, on utilise des ponts portatifs de liaison. Ces ponts sont installés par les employés.
[13] Chaque pont est en acier et pèse environ 40 livres. Leur largeur est de 219/16 de pouces et leur longueur de 56 pouces. Leur plancher est recouvert d’une surface antidérapante.
[14] Avant d’installer les ponts, les employés mesurent la distance entre chaque wagon. Cette distance doit être entre 41 à 49 pouces. Si ce n’est pas le cas, les wagons sont compressés ou étirés jusqu’à ce que cette distance soit rencontrée.
[15] Puis, chaque pont est installé entre les étages entre les wagons en commençant par les étages du niveau le plus haut.
[16] Étant donné la largeur de chaque pont, les employés doivent installer non pas un, mais deux ponts en parallèle entre les wagons. Une fois les ponts fixés, il y a un espace suffisant entre eux pour que les roues des automobiles puissent passer sur les ponts.
[17] Après que les ponts aient été installés entre les étages du niveau le plus haut dans les wagons, on procède au déchargement des automobiles qu’ils contiennent. Puis, chaque pont est descendu et installé entre les étages du niveau juste en dessous. Après quoi, on procède au déchargement des automobiles qu’ils contiennent. S’il y a trois étages dans les wagons, ce n’est qu’après avoir déchargé les automobiles se trouvant au niveau des deuxièmes étages et avoir descendu et installé tous les ponts entre les étages du niveau le plus bas qu’on procède au déchargement des automobiles s’y trouvant.
[18] Comme les roues des automobiles ont été bloquées au moyen de sabots pour empêcher leur mouvement lors du transport, ces sabots doivent être enlevés pour procéder au déchargement des automobiles.
[19] Ce sont aussi les employés qui déplacent chaque automobile jusqu’à la rampe de déchargement.
[20] Pour effectuer ces tâches, les employés doivent entrer dans chaque wagon, mais aussi se déplacer d’un wagon à un autre.
[21] Lors d’une inspection du lieu de travail effectuée le 7 septembre 2010, l’ASS Testulat a constaté que les ponts installés entre les étages sur un même niveau dans les wagons n’étaient pas uniquement utilisés par les employés pour déplacer les automobiles d’un wagon à un autre, mais aussi pour se déplacer à pied entre les wagons. Comme, tel qu’indiqué plus haut, les troisièmes étages dans les wagons à trois étages et les deuxièmes étages dans les wagons à deux étages sont à plus de 2,4 mètres (8 pieds) du sol, les employés utilisant les ponts installés entre ces étages se trouvent, en les traversant, à une hauteur qui dépasse 2,4 mètres du sol. L’ASS Testulat a de plus constaté qu’aucun dispositif de protection contre les chutes n’était utilisé par les employés lors de cette manœuvre.
[22] Sur la base de ces constats et en se référant aux dispositions prévues à la partie XII du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le RCSST), l’ASS Testulat a conclu que le CN était en contravention avec l’alinéa 12.10 (1)a) de ce règlement. Il a alors fait signer une promesse de conformité volontaire (une P.C.V.) par le directeur du service du lieu de travail demandant de l’informer d’ici le 21 septembre 2010 des mesures visant à corriger cette situation. Cette P.C.V. se lit comme suit :
Les employés traversent d’un wagon à un autre sur des « bridge plates » qui sont situé[s] à plus de 2,4 mètres du sol sans dispositif de protection contre les chutes (RCSST 12.10(1)a)).
[23] Suite à cette P.C.V., le CN a interdit à ses employés travaillant dans le lieu d’utiliser les ponts pour traverser à pied d’un wagon à un autre. En s’inspirant des dispositions prévues au paragraphe 12.10(1.1) du RCSST, le CN a toutefois décidé, pour répondre à la P.C.V., d’effectuer une analyse sécuritaire de la tâche avec la participation de son comité local de santé et de sécurité au travail.
[24] Cette analyse a permis de constater que la façon la plus sécuritaire de se déplacer pour les employés entre les wagons n’était pas d’utiliser les échelles présentes à l’extérieur des wagons mais d’utiliser les ponts. Le CN a alors développé, toujours avec la participation de son comité local de santé et de sécurité au travail, une procédure visant à protéger les employés contre le risque possible de chute lors de l’utilisation de ces ponts. Cette procédure leur demande d’avoir toujours 3 points de contact en les traversant.
[25] Lors d’une seconde visite des lieux effectuée le 10 janvier 2011, l’ASS Testulat a vu trois employés ne se conformant pas à cette procédure. Lors de son témoignage, l’ASS Testulat a admis que les trois employés en question traversaient des ponts installés entre des étages situés au plus bas niveau dans les wagons, donc à une hauteur moindre que 2,4 mètres du sol.
[26] Suite à ces constats, l’ASS Testulat a accepté, temporairement, que les ponts soient utilisés par les employés pour se déplacer d’un wagon à un autre tout en demandant verbalement au CN de lui transmettre une copie de l’analyse sécuritaire de la tâche et de voir à donner une formation à chaque employé sur la technique des 3 points de contact.
[27] Le 10 janvier 2011, l’ASS Testulat a de plus filmé, avec une caméra vidéo, des employés traversant des ponts à plus de 2,4 mètres du sol.
[28] Le 11 janvier 2011, le CN transmettait à l’ASS Testulat copie de son analyse sécuritaire de la tâche. Ce document est intitulé « Analyse de risque – RCSST Article 12.10(1)(a) – Rampe automobile – Montréal » et daté d’octobre 2010.
[29] Le 14 janvier 2011, l’ASS Testulat examinait ce document ainsi que la vidéo prise le 10 janvier 2011.
[30] Dans son rapport d’enquête, l’ASS Testulat a indiqué être d’avis que l’analyse du risque de la tâche soumise par le CN n’avait pas tenu compte de toutes les circonstances pouvant se produire lors de la traversée des ponts, notamment en cas de pluie, de neige, de vent ou de glace.
[31] L’ASS Testulat a de plus indiqué, dans son rapport, avoir observé sur la vidéo prise le 10 janvier 2011 que les employés s’apprêtant à traverser les ponts s’agrippaient, en premier, à la poignée du wagon qu’ils quittaient. Puis, tout en maintenant cette grippe, qu’ils marchaient sur le pont en ne mettant qu’un pied à la fois sur son plancher jusqu’à ce qu’ils atteignent la poignée de l’autre wagon. Ce n’est, de l’avis de l’ASS Testulat, qu’à ce moment que leurs deux mains étaient agrippées et leurs deux pieds en contact avec le plancher du pont.
[32] Toutefois, lors de son témoignage, l’ASS Testulat a admis que cette même vidéo démontrait que la traversée en 3 points de contact était et pouvait être utilisée par les employés lors de l’utilisation des ponts pour se déplacer d’un wagon à un autre. Par contre, de l’avis de l’ASS Testulat, la technique des 3 points de contact est une technique sécuritaire de travail ne pouvant s’appliquer qu’à la montée et la descente d’une échelle, non pour traverser des ponts.
[33] Sur cette base, l’ASS Testulat a conclu qu’il existait un danger pour les employés d’utiliser les ponts pour se déplacer d’un wagon à un autre et a donné au CN une instruction lui ordonnant de procéder immédiatement à la protection des employés contre ce danger. Il a de plus donné aux 52 employés travaillant dans le lieu une instruction visant à leur interdire l’utilisation les ponts pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[34] L’instruction donnée le 31 janvier 2011 au CN par l’ASS Testulat se lit comme suit :
Ledit agent de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, à savoir:
De circuler à pied d’un wagon à un autre, à plus de 2,4 mètres du niveau permanent sûr le plus proche, sur une passerelle (pont portatif) conçue pour le transfert de véhicule automobile constitue un danger de chute pouvant entraîner des blessures graves, voire mortelles.
Par conséquent, il vous est Ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder immédiatement à la protection des personnes contre ce danger.
Conformément au paragraphe 145(3) un avis portant le numéro 3759 a été apposé [sur le] babillard [de la] cafétéria des employés et ne peut être enlevé sans l’autorisation de l’agent.
Il vous est en outre interdit par les présentes, conformément à l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, d’accomplir la tâche en cause, jusqu’à ce que ces instructions aient été exécutées.
[35] Celle donnée le même jour à chacun des 52 employés travaillant dans le lieu se lit comme suit :
Ledit agent de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, à savoir:
Le fait que [nom de l’employé] puisse circuler à pied d’un wagon à un autre, à plus de 2,4 mètres du niveau permanent sûr le plus proche, sur une passerelle (pont portatif) conçue pour le transfert de véhicule automobile constitue un danger de chute pouvant entraîner des blessures graves, voire mortelles.
Par conséquent, il vous est Ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa [le paragraphe] 145(2.1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser d’accomplir la tâche en cause, jusqu’à ce que votre employeur se soit conformé aux instructions données au titre de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail de procéder à la protection des personnes contre ce danger.
[36] Le 7 février 2011, Me Michel Huart, au nom du CN, interjetait appel de ces instructions. Dans sa requête d’appel, Me Huart demandait, en outre, la suspension de la mise en œuvre de celles-ci.
[37] Après avoir entendu, lors d’une téléconférence tenue le 14 février 2011, les arguments de Me Huart, mais aussi ceux de M. Claude Benoît, représentant syndical des employés en cause, lesquels appuyaient l’appel ainsi que la requête de suspension déposés par Me Huart, j’ai décidé de ne pas suspendre la mise en application des instructions jusqu’à ce que j’entende et décide cette affaire sur le fond.
[38] Cette affaire a été entendue le 24 février 2011 à Montréal.
Obtention de preuve complémentaire
[39] À la fin de l’audition de la preuve présentée le 24 février 2011, j’ai fait part à Me Huart de mon intérêt de recevoir une preuve d’expert quant à la question touchant l’impossibilité de fournir un équipement de protection contre les chutes pour l’exécution de la manœuvre en cause. Suite à ma suggestion, Me Huart a accepté de me soumettre cette preuve complémentaire par voie de soumissions écrites.
[40] De plus, lors d’une téléconférence tenue le 3 mars 2011, j’ai fait part à Me Huart que je désirais obtenir une preuve complémentaire à l’égard du risque possible de chute qui, à mon sens, existe également lors de l’installation des ponts par les employés. Nous avons convenu que cette preuve me serait également soumise par voie de soumissions écrites.
Question en litige
[41] La question à trancher dans cette affaire est de déterminer si les instructions d’avis de danger données le 31 janvier 2011 au CN ainsi qu’aux 52 employés exécutant la tâche en cause sont bien fondées.
Observations de l’appelant
[42] Me Huart soutient, au nom de l’appelant, que deux questions se posent dans cette affaire. Selon lui, ces questions sont:
- L’article 12.10 du RCSST s’applique-t-il à la présente situation?
- Existait-il, le 31 janvier 2011, un danger justifiant les instructions données sous l’article 145 du Code?
[43] À l’égard de la première question, Me Huart soutient que l’article 12.10 du RCSST ne s’applique pas en l’espèce.
[44] Au soutien de cette thèse, Me Huart s’est référé à la décision de la Cour de l’Ontario dans l’affaire R. v. Transport Provost Inc. dans laquelle on devait déterminer si l’article 12.10 du RCSST, avant son amendement contenant la notion de véhicule, s’appliquait en l’instance. La Cour de l’Ontario a statué que le seul mot « structure » retrouvé à ce moment-là sous cet article ne pouvait pas inclure un camion ou un camion citerne ou une remorque citerne.
[45] Me Huart s’est également référé à la décision de l’Agent régional de sécurité M. Serge Cadieux dans l’affaire Transport Super Rapide Inc. and Teamsters, Local 931 . Dans sa décision, M. Cadieux a conclu que, peu importe le risque, la non-inclusion de la notion de véhicule à l’article 12.10 du RCSST, toujours avant son amendement, était déterminative pour l’application des dispositions réglementaires prévues sous cet article.
[46] Par ailleurs, même si la notion de véhicule se retrouve aujourd’hui sous l’article 12.10 du RCSST, Me Huart allègue qu’un wagon ne peut être assimilé à un « véhicule » parce qu’un wagon circule sur des rails, qu’il est non-motorisé ainsi que limité à des endroits donnés, par exemple, ici, dans une cour de triage, donc limité dans ses déplacements. Qui plus est, de l’avis de Me Huart, les activités de travail dans cette affaire ne se passent pas « sur » les wagons.
[47] Pour ces motifs, Me Huart soutient que l’article 12.10 du RCSST ne peut, pas plus qu’avant, trouver aujourd’hui son application dans cette affaire même en considérant la notion de véhicule ajoutée à cette disposition réglementaire depuis son amendement.
[48] Si, par contre, je décidais que le processus de solution énoncé au paragraphe 12.10(1.1) s’applique en l’espèce, Me Huart soutient qu’il n’est pas en pratique possible de fournir un système de protection contre les chutes aux employés lorsqu’ils utilisent les ponts pour traverser d’un wagon à un autre. Au soutien de cette thèse, Me Huart a soumis le rapport daté du 4 mars 2011 de Mme Annie Chantelois, ingénieure en génie civil et structures, notamment spécialisée dans les équipements et systèmes de protection pour le travail en hauteur et présidente directrice générale chez Prochute Sécurité Inc., une firme spécialisée dans le travail en hauteur. Aux pages 3, 4, 5, 6 et 7 de son rapport, A. Chantelois dit ce qui suit :
Les wagons étudiés présentent 3 (3) niveaux, bien qu’il en existe aussi avec deux (2) niveaux.
Ici, les niveaux 2 des « bi » et 3 des « tri » sont à l’étude puisqu’ils se situent à plus de huit (8) pieds (2,4 m) par rapport au sol.
[…]
Pour exécuter les travaux de déchargement des voitures dans les wagons, les employés doivent exclure de leurs équipements tout objet métallique susceptible de rayer en surface la carrosserie des véhicules […]. L’espace entre les parois intérieures des wagons et les véhicules est en effet restreint.Un harnais de corps complet n’exclue pas l’emploi de boucles métalliques servant de raccord entre ses différentes parties.
[…]
Ce type de harnais propose des accessoires de raccordement réalisés à l’aide de sangles cousues en remplacement aux boucles métalliques, […]. Toutefois, les boucles d’ajustement et de fixation peuvent être métalliques. Il existe toutefois un moyen de les dissimuler sous un revêtement amovible de caoutchouc.
[…]
Avec les revêtements appropriés, il devient possible de concilier le port du harnais avec les contraintes du Département de rampe automobile du CN, évitant l’exposition d’éléments métalliques aux abords des véhicules.
[…]
Afin de pouvoir assujettir un travailleur à un système de sécurité, suivant la réglementation, des ancrages appropriés doivent être présents.Les points d’ancrage doivent supporter un minimum de 4000 lb (17.8kN) et doivent être disponibles à proximité de la zone de transition, c’est-à-dire que le travailleur, à l’aide d’un double cordon d’assujettissement […], sera en mesure de traverser la section exposée à un risque de chute en étant toujours assujetti à un ancrage. Par conséquent, les points d’ancrage devront être disposés de part et d’autres de la section à risque (tel que définie par la réglementation applicable), soit aux extrémités des wagons.
[…]
Il n’existe pas d’étude ni de références pouvant permettre de déterminer si les éléments en place sur les wagons peuvent servir de points d’ancrage. Par ailleurs il existe plusieurs types de wagons et par conséquent, les éléments pouvant faire office de points d’ancrage peuvent varier en fonction des différentes configurations.
[…]
Afin de pouvoir utiliser correctement un système de sécurité (composé d’un harnais, d’un cordon d’assujettissement muni d’un absorbeur d’énergie, et de points d’ancrage fixes), le dégagement nécessaire sous la surface de travail doit être disponible. Le système de sécurité doit pouvoir arrêter la chute du travailleur avant que ce dernier n’entre en contact avec le sol ou tout autre objet susceptible d’occasionner des blessures.Il appert qu’à huit (8) pieds (2,4m) ou moins du sol exactement, le dégagement ne serait pas suffisant. Au deuxième et au 3ième niveau, respectivement d’un wagon à 2 ou 3 niveaux, un autre problème pourrait se présenter si les plaques de transition situées aux niveaux inférieurs étaient laissées en place, car ces dernières limiteraient le dégagement disponible, advenant une chute.
[…]
En résumé, Prochute confirme qu’il existe un harnais de corps complet répondant aux exigences du Département de rampe automobile du CN, c’est-à-dire dont aucune pièce métallique n’est exposée.Toutefois, ce harnais n’a pas été testé en milieu de travail et son niveau d’encombrement pour circuler, entrer ou sortir des véhicules n’a pas été évalué.
Lors du port du harnais il est impératif de considérer, entre autres, la présence de points d’ancrage ayant la résistance spécifiée par les règlementations en vigueur ainsi qu’une hauteur libre suffisante permettant de rencontrer les dégagements requis applicables aux systèmes. Présentement la mise en place de ce système n’est pas possible sans approfondir l’étude concernant l’existence de points d’ancrage sur tous les types de wagons.
[49] En ajout à cette preuve, Me Huart allègue qu’il s’avère en pratique impossible pour le CN de s’assurer que les poignées fixées au bout des différents types de wagons et pouvant servir de points d’ancrage pour l’utilisation de harnais de corps présentent la résistance exigée par la réglementation en vigueur mentionnée plus haut. Au soutien de cette thèse, Me Huart a fait témoigner M. Tucci.
[50] Tel qu’indiqué plus haut, M. Tucci a déclaré être le directeur des opérations de déchargement des wagons porte-automobiles multi-étages à la rampe automobile de la cour de triage Taschereau du CN à Montréal (Québec). M. Tucci a 14 ans d’expérience dans ce type d’opérations.
[51] M. Tucci a déclaré que même si le CN peut se charger de la maintenance de ces wagons, les wagons porte-automobiles multi-étages que le CN utilise pour le transport des automobiles ne leur appartiennent pas. Il y a, en fait, environ 46 000 wagons utilisés pour ce transport, ceux-ci appartenant à différentes compagnies originaires de partout en Amérique du Nord, ce qui inclut les États-Unis. Par conséquent, les wagons porte-automobiles multi-étages arrivant à chaque jour à la cour de triage Taschereau du CN à Montréal peuvent être de types différents. C’est pourquoi, tel que déclaré par M. Tucci, il ne voit pas comment le CN pourrait s’assurer quotidiennement que les poignées pouvant servir de points d’ancrage dans chaque wagon possède la résistance exigée pour l’utilisation sécuritaire de harnais de corps.
[52] Quant à la deuxième question mentionnée plus haut, Me Huart soutient que l’article 145 du Code ne peut s’appliquer si l’article 12.10 du RCSST ne peut trouver son application.
[53] Au soutien de cette thèse, Me Huart s’est référé à la décision de l’Agent régional de sécurité M. Douglas Malanka dans l’affaire Western Stevedoring Co. and International Longshoremen’s and Warehousemen’s Union, Local 500 . Dans cette affaire, M. Malanka devait déterminer si une instruction d’avis de contravention donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code était justifiée pour une situation reliée aux dispositions prévues à l’alinéa 12.10(1)a) du RCSST. M. Malanka a conclu que l’instruction en cause était justifiée tout en indiquant qu’il devait y avoir une situation de contravention au Code pour que l’article 145(1) puisse s’appliquer.
[54] Par analogie, Me Huart soutient que dans la mesure où un moyen raisonnable ou l’établissement d’une méthode de travail sécuritaire peut éviter une contravention à l’article 12.10 du RCSST, je devrais en venir à la conclusion qu’une instruction qui réfère à un danger doit tenir compte du contexte particulier des mesures mises en place par l’employeur pour déterminer si les instructions d’avis de danger données par l’ASS Testulat doivent être maintenues.
[55] Me Huart soutient de plus que les instructions données le 31 janvier 2011 par l’ASS Testulat étaient surtout basées sur ses doutes à l’égard du respect par les employés de la technique des 3 points de contact en traversant les ponts ainsi qu’à l’égard de l’analyse sécuritaire de la tâche que l’ASS Testulat a qualifié, lors de son témoignage, de faible. En effet, selon l’ASS Testulat, cette analyse n’avait pas tenu compte de toutes les éventualités possibles pouvant faire en sorte que cette procédure ne soit pas suivie par les employés.
[56] Or, Me Huart soutient que les doutes de l’ASS Testulat indiqués plus haut n’avaient pas, le 31 janvier 2011, de fondement pour les raisons qui suivent.
[57] D’une part, Me Huart allègue que l’analyse sécuritaire de la tâche faite par le CN en collaboration avec son comité local de santé et de sécurité au travail a permis d’établir que l’utilisation des ponts en suivant la technique des 3 points de contact réduit considérablement le risque de chute pour un employé lors de ses déplacements d’un wagon à un autre.
[58] En outre, bien qu’admettant qu’il est clair que cette analyse n’avait pas pour but d’éliminer la nécessité de grimper sur les wagons comme le prévoit le sous-alinéa 12.10(1.1)a)(i) du RCSST, du moins si je décide que cette disposition s’applique en l’espèce, ce qu’il n’admet pas, Me Huart soutient que cette façon de faire est plus sécuritaire que si les employés utilisent les échelles des wagons pour effectuer ces déplacements.
[59] Quant au risque de chute relié à l’accumulation de neige, de glace ou la présence de pluie, Me Huart soutient que ce risque existe tout autant lors de l’utilisation des échelles se trouvant sur les wagons que lors de l’utilisation des ponts. Par ailleurs, Me Huart soutient que des mesures ont été mises en place pour diminuer le plus possible ce risque lors de l’utilisation des ponts.
[60] D’autre part, Me Huart allègue que tous les employés avaient reçu, le 31 janvier 2011, la formation et un entraînement sur la technique des 3 points de contact pour traverser de façon sécuritaire d’un wagon à un autre en utilisant les ponts.
[61] Me Huart soutient de plus que des mesures étaient prises par le CN, le 31 janvier 2011, pour rappeler à chaque employé avant chaque quart de travail et au cours de l’exécution de leur travail de suivre toutes les règles de sécurité établies pour assurer leur sécurité, notamment à l’égard du respect en tout temps de la technique des 3 points de contact lors de la traversée des ponts.
[62] Me Huart allègue également que, le 31 janvier 2011, la technique des 3 points de contact avait été élaborée en tenant compte de l’impossibilité d’utiliser ou de mettre en place d’autres moyens de protection lors de l’utilisation des ponts par les employés.
[63] Sur cette base, Me Huart allègue que, dans la mesure où les employés se conforment à la procédure des 3 points de contact lors de leur traversée des ponts, il n’y a aucune raison pour moi de conclure, comme l’a fait l’ASS Testulat, qu’il existait, le 31 janvier 2011, un danger pour les employés d’exécuter cette manœuvre pouvant justifier des instructions d’avis de danger données en vertu des alinéas 145(2)a) et b) et du paragraphe 145(2.1) du Code.
[64] Au soutien de ces thèses, Me Huart a fait témoigner M. Tucci, M. Sébastien Vachon, M. Philippe Poncin, Mme Lucie Renaud et C. Benoît. Je retiens ce qui suit de leurs témoignages.
[65] S. Vachon a déclaré occuper le poste d’agent de gestion des risques pour le CN dans la région du Grand Montréal depuis novembre 2009. Il a ajouté avoir participé à l’analyse du risque de la tâche soumise à l’ASS Testulat au moment de son enquête.
[66] P. Poncin a déclaré être un spécialiste en kinésiologie, aussi dénommée la science de la biomécanique et du mouvement. Son travail consiste à étudier les mouvements exécutés par les travailleurs lors de l’accomplissement de leurs tâches dans le but d’améliorer leur sécurité ou de prévenir une blessure ou encore de permettre leur réadaptation pour leur retour au travail suite à une blessure. Il œuvre à temps plein depuis plus de 11 ans en tant que consultant dans ce domaine pour le CN.
[67] L. Renaud a déclaré occuper le poste d’adjointe à la rampe automobile du CN à la cour de triage Taschereau située à Montréal. Elle est donc un des employés œuvrant au déchargement des wagons porte-automobiles multi-étages dans le lieu de travail en cause. L. Renaud est également membre représentant les employés sur le comité local de santé et de sécurité au travail. Elle a de plus participé à l’analyse sécuritaire de la tâche ainsi qu’à l’élaboration de la procédure des 3 points de contact pour effectuer la traversée des ponts.
[68] C. Benoît a déclaré être le représentant syndical des employés travaillant dans le lieu pour le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA- Canada).
[69] M. Tucci et L. Renaud ont soumis une vidéo sur laquelle on peut voir l’ensemble des tâches accomplies par les employés pour décharger les wagons porte-automobiles. Sur cette vidéo, on voit notamment la traversée en 3 points de contact d’un pont portatif par un employé. La distance à parcourir pour cette traversée ne dépassant pas 49 pouces, cette manœuvre s’effectue de la façon qui suit. Pour plus de clarté, l’exemple qui suit implique la traversée d’un pont par un employé, de sa gauche vers sa droite, en suivant la procédure en 3 points de contact. Pour un employé positionné dans un wagon à la gauche d’un pont, cet employé doit d’abord agripper ses deux mains à la poignée du wagon qu’il s’apprête à quitter tout en maintenant ses deux pieds au plancher. Tout en maintenant ses mains agrippées et son pied gauche au sol, il doit lever son pied droit et le déposer à l’extérieur du wagon sur le plancher du pont. Puis, il doit amener son pied gauche à côté de son pied droit. En maintenant ses pieds au sol et sa main gauche agrippée, il doit lâcher sa main droite pour venir l’agripper à la poignée du wagon situé à sa droite. Tout en maintenant ses pieds au sol ainsi que sa main droite agrippée, il doit alors lâcher sa main gauche pour qu’elle puisse venir rejoindre sa main droite sur la poignée du wagon dans lequel il s’apprête à entrer. Si l’employé est de petite taille, il doit déplacer l’un après l’autre ses pieds sur le plancher du pont tout en maintenant ses deux mains agrippées ou encore toujours maintenir ses deux pieds au sol et une main agrippée dès qu’il lâche sa main droite pour venir l’agripper à la poignée du wagon vers lequel il se dirige. Une fois à proximité de ce wagon, l’employé doit lever son pied droit du pont et le déposer sur le plancher à l’intérieur du wagon tout en maintenant ses deux mains à la poignée de ce wagon. Une fois son pied droit déposé, il ne lui reste qu’à soulever son pied gauche pour l’amener près de son pied droit en maintenant ses deux mains à la poignée du wagon dans lequel, pour finir, il entre. C’est ainsi, tel que déclaré par M. Tucci et L. Renaud, que la traversée en 3 points de contact d’un pont peut être accomplie et ce, même pour un employé de petite taille tel que l’est L. Renaud.
[70] M. Tucci a déclaré que suite à l’émission de la P.C.V., le CN a émis un bulletin qui a été transmis à tous leurs employés les avisant de ne plus utiliser les ponts pour traverser d’un wagon à un autre. Sans autre moyen pour se déplacer d’un wagon à un autre, les employés ont dû utiliser les échelles se trouvant sur les wagons jusqu’à la mise en place, le 11 janvier 2011, de la procédure des 3 points de contact.
[71] M. Tucci a déclaré qu’en utilisant les échelles des wagons, cela implique pour les employés, par exemple pour procéder au retrait des sabots placés sur les roues des automobiles, de descendre d’un wagon un utilisant l’échelle qui y est fixée puis de remonter dans l’échelle du wagon d’à côté et ce, plus d’une vingtaine de fois.
[72] M. Tucci a déclaré que cela implique également pour les employés de devoir faire des mouvements de pivot pour pouvoir entrer dans chaque wagon, encore là plus d’une vingtaine de fois. Il a ajouté que ces mouvements de pivots augmentent non seulement le risque que survienne la chute d’un employé, mais aussi le risque que surviennent d’autres types de blessure dus aux différents mouvements de torsions en découlant.
[73] L. Renaud et C. Benoît ont déclaré que lorsque les employés exécutent ces mouvements de pivot pour atteindre la poignée se trouvant à l’intérieur d’un wagon sans qu’il puisse mettre un pied sur les ponts à partir des échelles, le risque que survienne une chute est, selon eux, plus grand que lorsqu’ils peuvent placer un pied sur le plancher des ponts pour leur permettre de pouvoir atteindre cette poignée.
[74] S. Vachon et M. Tucci ont déclaré qu’aucun incident de chute n’est survenu par le passé à un employé utilisant un pont portatif pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[75] Compte tenu de ce fait, S. Vachon a déclaré avoir conclu, d’une part, – selon son analyse du risque retrouvée dans le document intitulé « Analyse de risque – RCSST Article 12.10(1)(a) – Rampe automobile – Montréal » déjà cité – , que la probabilité que survienne une chute d’un employé en utilisant ce moyen pour se déplacer d’un wagon à un autre est rare. D’autre part, il a conclu que les conséquences reliées à un tel risque peuvent être critiques puisqu’une chute, à plus de 2,4 mètres du sol ou au-dessus des pièces en acier servant à coupler les wagons entre eux, peut causer des blessures graves à un employé tel un décès ou une invalidité permanente.
[76] En considérant ce qui précède et en appliquant la méthodologie indiquée au tableau d’évaluation des risques retrouvé à la page 2 du document mentionné plus haut, S. Vachon a déclaré avoir conclu que le risque possible de chute pour un employé utilisant les ponts pour traverser à pied d’un wagon à un autre était de niveau moyen.
[77] Tel que déclaré par S. Vachon, cela signifie que des mesures correctives devaient être prises pour palier à ce risque. C’est ainsi qu’une étude fut faite pour examiner si des moyens de protection pouvaient être fournis pour contrer au risque de chute d’un employé utilisant les ponts pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[78] L. Renaud a déclaré avoir participé à cette étude.
[79] L. Renaud a déclaré que l’installation d’une barre de métal amovible munie de crochets en forme de U accrochée sur les barreaux des échelles de deux wagons situés l’un à côté de l’autre a été testée. Lors de ce test, il fut constaté que la présence de cette barre augmenterait de 18 livres le poids des ponts, donc rendrait plus difficile leur installation par les employés. De plus, il fut constaté qu’un tel dispositif, une fois installé, serait un obstacle pour accéder à l’intérieur des wagons en passant par les échelles rendant le risque de chute d’un employé plus élevé lors de cette manœuvre. En effet, comme pour entrer à l’intérieur des wagons en passant par les échelles les employés doivent faire un mouvement de pivot, la présence d’une barre en plein milieu viendrait non seulement nuire à l’exécution de ce mouvement, mais aussi obligerait les employés à se pencher tout en exécutant ce pivot pour leur permettre d’entrer dans les wagons. Pour ces raisons, cette solution n’a pas été retenue.
[80] L. Renaud a déclaré que la possibilité d’utiliser un harnais de corps a également été examinée. Lors de l’essai d’un tel dispositif, il fut constaté que la ligne de vie présente sur le type de harnais de corps testé, une fois installée, venait, pour les mêmes raisons décrites plus haut, bloquer l’accès pour entrer dans les wagons en passant par les échelles. Pour ces raisons, tel que déclaré par L. Renaud, cette option ne fut pas retenue.
[81] L. Renaud a déclaré qu’un filet installé sous les ponts a également été examiné. Il fut constaté, une fois le filet installé, que ce dernier nuirait encore là à l’accès à l’intérieur des wagons en passant par les échelles. De plus, comme un tel dispositif de protection ne pourrait garantir, en cas de chute d’un employé, que cette chute ne survienne sur les côtés des ponts non protégés par le filet, cette solution n’a pas été retenue.
[82] L. Renaud a déclaré que, compte tenu de ce qui précède, les membres du comité chargé de trouver une solution pour assurer la sécurité des employés devant se déplacer d’un wagon à un autre ont ainsi conclu qu’aucun moyen de protection contre les chutes n’était en pratique applicable dans les circonstances.
[83] L. Renaud a de plus déclaré qu’ils ont conclu que la façon de procéder la moins risquée pour les employés pour se déplacer d’un wagon à un autre était d’utiliser les ponts si, du moins, une procédure de sécurité était établie pour effectuer la traversée de ces ponts de façon sécuritaire. C’est, tel que l’a déclaré L. Renaud, dans ce but que la procédure des 3 points de contact a été développée.
[84] L. Renaud a déclaré que pour développer cette procédure le comité s’est inspiré de la technique éprouvée des 3 points de contact pour monter et descendre d’une échelle et l’ont adapté pour l’appliquer à la traversée des ponts. Elle a ajouté que cela a été possible étant donné le peu de distance à parcourir lors de cette traversée ainsi que la présence des poignées à l’extrémité des wagons.
[85] S. Vachon a déclaré que la procédure établie par écrit par le CN demande à leurs employés de s’assurer de toujours avoir 3 points de contact en traversant un pont peu importe leur hauteur. Il a soumis le document contenant cette procédure. Cette procédure se retrouve à la page 6-1 de la section 6 intitulée « Méthode pour monter, descendre d’un wagon, et traverser d’un wagon à un autre » du document du CN concernant ses « Politiques, procédures et règles de sécurité » mis à jour en décembre 2010.
[86] S. Vachon a déclaré que, suite à l’établissement de cette procédure, il fut demandé à P. Poncin d’évaluer les risques possibles de blessures d’un employé utilisant les échelles sur les wagons comparativement à l’utilisation des ponts pour se déplacer d’un wagon à un autre si la procédure des 3 points de contact pour traverser ceux-ci était respectée.
[87] P. Poncin a déclaré avoir effectué cette évaluation. Il a de plus soumis son rapport concernant celle-ci. Ce rapport est daté du 24 novembre 2010 et est inclus dans le document intitulé « Politiques, procédures et règles de sécurité – Section 3 – Locotracteurs » qui a été remis à l’ASS Testulat au moment de son enquête.
[88] P. Poncin a déclaré que plusieurs facteurs font en sorte d’augmenter le risque que survienne la chute ou d’autres blessures à un employé devant utiliser les échelles sur les wagons au lieu des ponts pour se déplacer d’un wagon à un autre, du moins s’il respecte la technique des 3 points de contact établie pour traverser ceux-ci. Il en a conclu ainsi sur la base de ce qui suit.
[89] P. Poncin a déclaré que le premier facteur pouvant causer la chute ou d’autres blessures à un employé lors de l’utilisation des échelles est la température extérieure. En effet, en cas de pluie, de gel ou de neige, les barreaux des échelles peuvent devenir glissants faisant en sorte que les mains de l’employé, même munies de gants, ou encore ses pieds peuvent glisser sur les barreaux.
[90] P. Poncin a déclaré qu’un autre facteur pouvant augmenter le risque que survienne la chute ou d’autres blessures à un employé lors de l’utilisation des échelles est le facteur humain. Par exemple, tel que déclaré par P. Poncin, il est arrivé par le passé que de jeunes employés désirant accomplir leur tâche plus rapidement ont chuté des échelles. D’un autre côté, pour les employés plus expérimentés, mais aussi plus âgés, notamment entre 45 ans et plus, ayant à monter et descendre fréquemment des échelles, ces employés peuvent développer des blessures reliées à la fatigue musculaire ou à l’usure des articulations. De plus, comme pour entrer dans chaque wagon en passant par les échelles, les employés doivent exécuter un mouvement de pivot, ils doivent, pour ce faire, exécuter des mouvements de torsions aux niveaux des genoux, des chevilles et du dos. Ces mouvements de torsions, s’ils sont exécutés fréquemment, peuvent causer notamment des tendinites ou des déchirures aux genoux, aux chevilles ou des maux de dos.
[91] Tel qu’également déclaré par P. Poncin, le poids et la taille d’un employé sont aussi des facteurs humains pouvant augmenter le risque de chute lors de l’utilisation des échelles. Par exemple pour une personne de grande taille, cette personne doit davantage se contorsionner pour entrer dans les wagons en passant par les échelles. Comme cela implique, tel que déjà indiqué, des mouvements de torsions au niveau des genoux, des chevilles et du dos, cela augmente encore là des risques de blessures pour les travailleurs plus âgés. Quant aux employés présentant un excès de poids, lorsque ceux-ci utilisent les échelles, il y a nécessairement une plus grande distance entre leur corps et les barreaux de l’échelle, ce qui augmente le risque de chute pour ces employés.
[92] P. Poncin a déclaré qu’il existe un autre facteur qui fait en sorte que le risque de chute pour un employé est plus grand lors de l’utilisation des échelles que lors de l’utilisation des ponts. Tel qu’expliqué par P. Poncin, quand un employé monte ou descend une échelle, son centre de gravité tombe à l’extérieur, ce qui n’est pas le cas lors de l’utilisation des ponts puisqu’alors l’employé est debout. Par conséquent, dans le cas où la main d’un employé glisserait sur un barreau lors de sa montée ou sa descente d’une échelle et qu’il la lâche, ce dernier tomberait automatiquement vers l’arrière, son centre de gravité étant à l’extérieur. Alors que lors de la traversée sur un pont, si une des ses mains glisse d’une poignée et que l’employé la lâche, son corps va rester stable sur le pont, son centre de gravité demeurant entre ses deux pieds.
[93] Sur cette base, P. Poncin a déclaré être d’avis que, bien que le respect des 3 points de contact soit important pour assurer la sécurité d’un employé tant lors de l’utilisation des échelles que lors de l’utilisation des ponts, si une des mains de l’employé glisse et qu’il lâche un barreau de l’échelle, son corps devient automatiquement en déséquilibre, ce qui n’est pas le cas s’il s’avérait qu’il lâche une des poignées des wagons lors de sa traversée d’un pont.
[94] P. Poncin a déclaré que, comme l’utilisation des échelles pour se déplacer d’un wagon à un autre augmente la fréquence des montées et des descentes dans les échelles par les employés ainsi que leurs mouvements de pivots pour entrer dans les wagons, tous les facteurs de risques mentionnés plus haut s’en trouvent par le fait même augmentés.
[95] Pour ces raisons, P. Poncin a déclaré être d’avis qu’il est moins risqué pour un employé d’utiliser les ponts au lieu des échelles sur les wagons pour se déplacer d’un wagon à un autre si la technique des 3 points de contact décrite plus haut est respectée par les employés, c’est-à-dire la prise d’une poignée avec les deux pieds sur le plancher du pont et saisir la poignée de l’autre côté avant de lâcher la première poignée.
[96] S. Vachon a déclaré que pour s’assurer que cette procédure soit respectée en tout temps par les employés, le CN leur a donné une formation ainsi qu’un entraînement. Il a ajouté que cette formation et cet entraînement avaient été donnés à chaque employé le 31 janvier 2011.
[97] S. Vachon a déclaré que chaque superviseur est chargé, avant chaque quart de travail, de rappeler aux employés de suivre toutes les règles de sécurité établies par le CN pour assurer leur protection tout comme de voir que chaque employé suit ces règles lors de l’exécution de leurs tâches.
[98] S. Vachon a déclaré que des moyens sont mis en place, soit sur support électronique ou en utilisant des formulaires, pour voir au suivi de ces règles par les employés. S. Vachon a notamment soumis des documents datés du 27 janvier 2011 intitulés « Méthode pour monter dans un wagon et traverser d’un wagon à l’autre à tous les niveaux » portant la signature de superviseurs et d’employés confirmant que ces derniers ont lu et compris la procédure de sécurité en 3 points de contact établie pour traverser les ponts quel que soit leur hauteur.
[99] M. Tucci a déclaré que pour éviter l’accumulation de neige ou de glace sur les ponts lors de leur utilisation, le CN entrepose ceux-ci sur des racks, leur côté antidérapant sur lequel se déplacent les employés tourné vers le sol.
[100] M. Tucci a déclaré qu’il est impossible que des ponts de liaison soient fixés à l’extrémité des étages se trouvant dans les wagons puisque les ponts se bloqueraient entre eux en s’abaissant.
[101] S. Vachon a déclaré qu’après avoir tenu compte de ce qui précède, il a conclu que la probabilité que survienne la chute d’un employé utilisant les ponts en suivant la technique des 3 points de contact pour se déplacer d’un wagon à un autre était réduite à un niveau faible.
[102] Sur la base de cette preuve, Me Huart soutient que l’ASS Testulat a erré en concluant à l’existence d’un danger lors de l’utilisation des ponts par les employés pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[103] Pour toutes ces raisons, il demande l’annulation non seulement de l’instruction donnée au CN le 31 janvier 2011, mais également de celles données le même jour à l’endroit de ses 52 employés travaillant dans le lieu.
[104] Quant au risque possible de chute pour un employé lors de l’installation des ponts, Me Huart a soumis une procédure de travail qu’il a indiqué, dans ses soumissions écrites, avoir été ajoutée par le CN, en consultation avec le comité local de santé et de sécurité au travail, à la section 6 du document intitulé « Politiques, procédures et règles de sécurité » déjà cité depuis la prise de la vidéo et la tenue de l’audience dans cette affaire.
[105] Cette procédure est intitulée « Procédure pour l’installation de ponts portatifs » et se lit comme suit :
Wagons à 2 étages (3 personnes requises):
- La première personne grimpe au deuxième niveau par l’échelle en maintenant constamment 3 points de contacts. Une fois arrivée au deuxième niveau, elle entre dans le wagon et se tient prête à recevoir le pont portatif de la personne située au premier niveau.
- La deuxième personne grimpe au premier niveau par l’échelle en maintenant constamment 3 points de contacts. Une fois arrivée au premier niveau, elle entre dans le wagon et se tient prête à recevoir le pont portatif de la personne située au sol.
- La troisième personne située au sol prend un pont portatif et le remet à la personne située au premier étage.
- Celle-ci soulève le pont portatif et accote l’extrémité n’ayant pas de barrures sur le deuxième niveau du wagon situé en face. Elle remet ensuite l’extrémité ayant les barrures à la personne située au deuxième niveau.
- Tout en maintenant 3 points de contact, la personne du deuxième niveau guide celle du premier afin que cette dernière positionne le loquet fixe du pont portatif dans la gâchette.
- La personne du premier niveau positionne ensuite le loquet amovible dans l’autre gâchette et ferme celui-ci afin de sécuriser le pont portatif.
- Le processus est le même pour positionner l’autre pont portatif.
Wagons à 3 étages (3 personnes requises):
- La première personne grimpe au troisième niveau par l’échelle en maintenant constamment 3 points de contacts. Une fois arrivée au troisième niveau, elle entre dans le wagon et se tient prête à recevoir le pont portatif de la personne située au deuxième niveau.
- La deuxième personne grimpe au deuxième niveau par l’échelle en maintenant constamment 3 points de contacts. Une fois arrivée au deuxième niveau, elle entre dans le wagon et se tient prête à recevoir les ponts portatifs de la personne située au sol.
- La troisième personne située au sol prend un pont portatif et le remet à la personne située au deuxième étage.
- Celle-ci soulève le pont portatif et accote l’extrémité n’ayant pas de barrures sur le troisième niveau du wagon située en face. Elle remet ensuite l’extrémité ayant les barrures à la personne située au troisième niveau.
- La personne du troisième niveau positionne le loquet fixe du pont portatif dans la gâchette. Tout en maintenant 3 points de contacts.
- La personne du deuxième niveau positionne ensuite le loquet amovible dans l’autre gâchette et ferme celui-ci afin de sécuriser le pont portatif.
- Le processus est le même pour positionner l’autre pont portatif et pour poser les ponts portatifs au deuxième étage.
[106] Me Huart soutient que la procédure décrite plus haut assure la sécurité des employés tel que prévu à l’article 12.10 du RCSST, du moins si cette disposition réglementaire trouve son application en l’espèce, ce que Me Huart n’admet pas.
Analyse
[107] La question à trancher dans cette affaire est de déterminer si les instructions d’avis de danger données le 31 janvier 2011 par l’ASS Testulat sont bien fondées.
[108] Afin de déterminer le bien fondé de ces instructions, je dois décider si un danger existait le 31 janvier 2011 pour les employés en cause.
[109] Le terme « danger » est défini au paragraphe 122(1) du Code comme suit :
« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
[Souligné par mes soins][110] En ce qui concerne le critère qui s’applique pour établir la présence d’un danger existant ou éventuel au sens du paragraphe 122(1) du Code, la juge Gauthier de la Cour fédérale, a dit, au paragraphe 36 de la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Verville c. Canada (Service correctionnel) , ce qui suit (version originale et traduction):
[36] In that respect, I do not believe either that it is necessary to establish precisely the time when the potential condition or hazard or the future activity will occur. I do not construe Tremblay-Lamer's reasons in Martin above, particularly paragraph 57, to require evidence of a precise time frame within which the condition, hazard or activity will occur. Rather, looking at her decision as a whole, she appears to agree that the definition only requires that one ascertains in what circumstances it could be expected to cause injury and that it be established that such circumstances will occur in the future, not as a mere possibility but as a reasonable one.
[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n'exigent pas la preuve d'un délai précis à l'intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.
[111] Le danger identifié par l’ASS Testulat dans ses instructions est un risque possible de chute d’un employé à plus de 2,4 mètres du sol lors de la traversée des ponts portatifs.
[112] Pour en arriver à une conclusion d’un danger au sens de l’arrêt de la Juge Gauthier cité plus haut et de la définition de ce terme retrouvée sous le Code, il ne suffit pas, tel que l’a fait, à mon sens, l’ASS Testulat dans ses instructions, d’identifier le risque possible relié à l’exécution de la tâche en cause, ici un risque de chute. Il faut, en outre, identifier les circonstances dans lesquelles ce risque est susceptible de causer des blessures à un employé, puis déterminer si ces circonstances peuvent se produire non comme une simple possibilité mais comme une possibilité raisonnable.
[113] Pour décider s’il existait, le 31 janvier 2011, un danger pour les employés en regard d’un risque possible de chute lors de l’exécution de leur tâche, je dois ainsi répondre aux deux questions suivantes:
- Quels sont les circonstances dans lesquelles ce risque est susceptible de causer des blessures à un employé?
- Ces circonstances pouvaient-elles se produire, le 31 janvier 2011, non comme une simple possibilité mais comme une possibilité raisonnable?
1) Les circonstances dans lesquelles le risque possible de chute est susceptible de causer des blessures à un employé
[114] Pour m’aider à identifier ces circonstances, je me référerai non seulement à la preuve présentée reliée à un risque possible de chute lors de l’exécution de la tâche des employés, mais aussi aux dispositions réglementaires prescrites par le Code portant sur un tel risque.
[115] L’alinéa 12.10(1)a) et le paragraphe 12.10(1.1) de la partie XII du RCSST rattaché au Code se lisent comme suit :
12.10(1) Sous réserve du paragraphe (1.1), l’employeur doit fournir un dispositif de protection contre les chutes à toute personne qui travaille dans l’une des situations qui suivent, à l’exception de l’employé qui installe ou qui démonte un tel dispositif selon les instructions visées au paragraphe (5):
a) sur une structure non protégée ou sur un véhicule, à une hauteur de plus de 2,4 m au-dessus du niveau permanent sûr le plus proche, ou au-dessus de pièces mobiles d’une machine ou de toute autre surface ou chose au contact desquelles elle pourrait se blesser;
[…]
c) sur une échelle, lorsque la personne travaille à une hauteur de plus de 2,4 m au-dessus du niveau permanent sûr le plus proche et que, en raison de la nature de son travail, elle ne peut s’agripper à l’échelle par au moins une main.(1.1) Lorsqu’un employé doit travailler sur un véhicule où il est en pratique impossible de lui fournir un dispositif de protection contre les chutes, l’employeur doit:
a) en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant:
- faire une analyse de la sécurité des tâches en vues d’éliminer la nécessité pour l’employé de grimper sur le véhicule ou sur son chargement ou de réduire les occasions de le faire;
- fournir, à tout employé qui peut être appelé à grimper sur le véhicule ou sur son chargement, de la formation et des instructions concernant la façon sécuritaire de grimper et de travailler dans ces conditions;
b) présenter à l’agent régional de santé et de sécurité un rapport écrit indiquant la raison pour laquelle il est en pratique impossible de fournir à l’employé un dispositif de protection contre les chutes, accompagné de l’analyse de la sécurité des tâches et d’une description de la formation et des instructions mentionnées à l’alinéa a);
[…]
(1.2) L’analyse de la sécurité de la tâche, la formation et les instructions sont examinées tous les deux ans, en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant.
[Souligné par mes soins]
[116] Me Huart soutient que l’article 12.10 ne s’applique pas aux activités de travail dans cette affaire parce que celles-ci ne se passent pas, selon lui, « sur des véhicules ».
[117] La tâche des employés en cause est de décharger des automobiles se trouvant dans des wagons multi-étages servant à leur transport.
[118] La preuve soumise révèle de plus que l’usage du locotracteur auquel les wagons multi-étages sont rattachés est nécessaire pour permettre leur déchargement.
[119] Or, selon le Petit Robert illustré, édition 1991, le terme « véhicule » est défini comme « tout moyen de transport » ou tout « véhicule à moteur » ou « ce qui sert à transporter ».
[120] Sur la base de cette définition et de cette preuve, j’en conclus que les wagons porte-automobiles multi-étages dans cette affaire font partie intégrante d’un véhicule.
[121] De plus, à la lecture de la jurisprudence soumise par Me Huart, il m’apparaît que les modifications apportées à l’article 12.10 du RCSST ont été faites dans le but de couvrir toute activité de travail effectuée par un employé sur un véhicule et présentant un risque de chute.
[122] Ainsi, d’interpréter les termes « sur un véhicule » retrouvés à cet article comme ne pouvant s’appliquer aux activités effectuées par les employés en cause – notamment lorsqu’ils se déplacent sur les ponts installés entre les wagons ou lorsqu’ils travaillent au bord des étages se trouvant dans les wagons pour procéder à l’installation de ces ponts – , ne permettrait pas, à mon sens, d’atteindre l’objectif recherché par les modifications apportées à cette disposition réglementaire, soit de prévenir des blessures à un employé exécutant des activités de travail sur un véhicule comportant un risque possible de chute.
[123] En outre, personne ne conteste ici que les employés sont exposés à un risque de chute lorsqu’ils traversent les ponts ou lorsqu’ils installent ceux-ci.
[124] Pour toutes ces raisons et compte tenu de la preuve soumise, je suis par conséquent d’avis que l’article 12.10 du RCSST s’applique lorsque les employés exécutent ces manœuvres.
[125] La preuve présentée révèle de plus que lorsque les employés traversent les ponts installés entre les wagons, ils se trouvent à plus de 2,4 mètres du sol au niveau des étages les plus hauts dans les wagons et, pour les étages inférieurs, au-dessus de pièces en acier au contact desquelles ils pourraient se blesser en tombant.
[126] La preuve soumise révèle également que lorsque les employés installent les ponts, ils travaillent encore là à plus de 2,4 mètres au bord des étages les plus hauts ainsi qu’au-dessus de pièces en acier au contact desquelles ils pourraient se blesser en tombant pour les employés positionnés au bord des étages inférieurs.
[127] Compte tenu de cette preuve et en me référant aux dispositions réglementaires retrouvées à l’alinéa 12.10(1)a) du RCSST citées plus haut, j’en comprends que les circonstances suivantes sont celles dans lesquelles le risque possible de chute relié à la tâche en cause est susceptible de causer des blessures à un employé:
- de marcher sur les ponts installés entre les wagons sans moyen sûr assurant leur retenue à plus de 2,4 mètres du sol ou au-dessus de pièces en acier au contact desquelles ils pourraient se blesser en tombant;
- de travailler au bord des étages se trouvant dans les wagons lors de l’installation des ponts sans moyen sûr assurant leur retenue à plus de 2,4 mètres du sol ou au-dessus de pièces en acier au contact desquelles ils pourraient se blesser en tombant.
- Ces circonstances pouvaient-elles se produire, le 31 janvier 2011, non comme une simple possibilité mais comme une possibilité raisonnable?
[128] Selon le rapport soumis par A. Chantelois, une spécialiste dans le domaine du travail en hauteur, celle-ci semble conclure qu’il existe actuellement un seul dispositif de protection contre les chutes pouvant être fourni aux employés lors de leur tâche et permettant d’éviter, avec des revêtements appropriés, l’exposition d’éléments métalliques aux abords des véhicules, donc répondant aux contraintes de leur activité de travail. Ce dispositif est un harnais de corps avec cordon d’assujettissement muni d’un absorbeur d’énergie.
[129] Par contre, selon ce qu’a indiqué A. Chantelois dans son rapport et le témoignage de M. Tucci, non seulement il n’existe actuellement pas de références permettant de déterminer si les poignées en place dans les wagons ont la résistance suffisante pour pouvoir servir de points d’ancrage selon la réglementation en vigueur, mais il semble également en pratique impossible d’effectuer cette vérification dans tous les wagons arrivant dans le lieu de travail.
[130] Par ailleurs, selon ce qu’a également indiqué A. Chantelois dans son rapport, le dégagement disponible sous la surface de travail d’un employé portant un harnais de corps avec un cordon d’assujettissement muni d’un absorbeur d’énergie doit être supérieur à 2,4 mètres (8 pieds) du sol ou de toute autre chose sur laquelle il pourrait se blesser en tombant pour permettre au cordon d’assujettissement d’arrêter sa chute avant qu’il ne touche le sol ou la chose au contact de laquelle il pourrait se blesser.
[131] Or, la preuve soumise révèle que les deuxièmes étages des wagons à trois étages se situent à 7,8 pieds du sol alors que les premiers étages dans tous les wagons se situent à 3,2 et 3,5 pieds du sol. Compte tenu de cette preuve, j’en comprends que le dégagement disponible sous les ponts installés au niveau de ces étages ne permettrait pas d’arrêter la chute d’un employé portant un harnais de corps avec cordon d’assujettissement muni d’un absorbeur d’énergie avant que ce dernier n’entre en contact avec le sol.
[132] La preuve soumise révèle en outre que les pièces en acier servant à coupler les wagons entre eux sont à environ 3,2 pieds du sol sur les wagons à deux étages alors que les ponts installés entre les étages au niveau le plus haut dans ces wagons sont à environ 10,6 pieds du sol. Sur la base de cette preuve, j’en comprends que l’espace libre sous ces ponts et au-dessus de ces pièces serait inférieur à 8 pieds et, par conséquent, insuffisant pour permettre d’arrêter la chute d’un employé portant un harnais de corps avec cordon d’assujettissement muni d’un absorbeur d’énergie avant qu’il n’entre en contact avec les pièces en acier se trouvant en dessous.
[133] Quant aux ponts installés entre les étages du dernier niveau dans les wagons à trois étages, ces ponts sont, selon la preuve soumise, à environ 13,1 pieds du sol alors que les pièces en acier servant à coupler ces wagons sont à environ 3,5 pieds du sol. En me basant sur cette preuve, j’en comprends que l’espace libre sous la surface de ces ponts avant d’atteindre ces pièces est d’environ 9,6 pieds, soit supérieur à 8 pieds.
[134] La preuve démontre toutefois que la distance entre deux wagons est au maximum 49 pouces, soit 4,1 pieds.
[135] Compte tenu de cette preuve, j’en comprends que si un employé chute d’un pont installé entre les étages du niveau le plus haut dans les wagons à trois étages, une partie de son corps, incluant sa tête, pourrait venir frapper le plancher en acier des étages se trouvant en dessous avant que le cordon d’assujettissement de son harnais ne l’empêche.
[136] Je souligne de plus que la preuve démontre qu’il y a présence non pas d’un, mais bien de deux ponts installés en parallèle entre les étages d’un même niveau entre chaque wagon lorsque les employés les utilisent pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[137] Sur la base de cette preuve, j’en comprends que si un employé chute d’un pont en le traversant, peu importe sa hauteur, une partie de son corps, incluant sa tête, pourrait venir frapper le plancher en acier du pont situé juste à côté sans que le cordon d’assujettissement d’un harnais de corps ne l’empêche.
[138] Compte tenu de tout ce qui précède, j’en comprends qu’il semble actuellement en pratique impossible de fournir un équipement de protection contre les chutes permettant de protéger adéquatement les employés utilisant les ponts portatifs pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[139] La preuve soumise a par contre révélé que l’employeur avait mis en place, le 31 janvier 2011, une procédure de travail demandant aux employés de toujours maintenir 3 points de contact lorsqu’ils traversent les ponts quel que soit leur hauteur.
[140] La preuve soumise a également révélé que tous les employés avaient reçu, le 31 janvier 2011, une formation et un entraînement sur cette procédure.
[141] La preuve soumise démontre aussi que des moyens de suivi étaient mis en place, le 31 janvier 2011, pour voir à s’assurer que cette procédure soit respectée en tout temps par les employés.
[142] Qui plus est, selon le témoignage de P. Poncin, un expert en kinésiologie, il appert qu’il soit moins risqué pour un employé, tant en regard du risque possible de chute qu’en regard d’autres risques possibles de blessures, d’utiliser les ponts en suivant la technique des 3 points de contact décrite plus haut que d’utiliser les échelles des wagons pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[143] Compte tenu de cette preuve et après avoir examiné les vidéos présentées lors de l’audience démontrant que la procédure des 3 points de contact peut être appliquée par les employés sur tous les ponts installés entre les wagons, j’en conclus que la possibilité que la première circonstance décrite plus haut puisse se produire le 31 janvier 2011 était réduite au minimum et qu’elle ne constituait donc pas une possibilité raisonnable mais une simple possibilité.
[144] Je suis par conséquent d’avis qu’il n’existait pas, le 31 janvier 2011, un danger pour les employés de circuler à pied sur les ponts en cause en suivant la technique des 3 points de contact pour se déplacer d’un wagon à un autre.
[145] Je dois maintenant examiner si la deuxième circonstance que j’ai identifiée plus haut constituait, le 31 janvier 2011, une possibilité raisonnable et non une simple possibilité.
[146] Selon la preuve décrite plus haut, j’en comprends que l’espace disponible sous la surface de travail d’un employé installant un pont et portant un harnais de corps avec cordon d’assujettissement muni d’un absorbeur d’énergie ne permettrait pas d’arrêter sa chute avant qu’il n’entre en contact avec le sol ou avec les pièces en acier servant à coupler les wagons entre eux ou encore avec le bord des planchers des étages inférieurs.
[147] De plus, selon le témoignage de M. Tucci, si des ponts de liaison amovibles étaient fixés à chaque extrémité des étages se trouvant dans les wagons, ceux-ci ne pourraient pas être mis en place puisqu’en les abaissant ils se bloqueraient entre eux.
[148] Compte tenu de ce qui précède, j’en conclus qu’il semble actuellement en pratique impossible d’éliminer la nécessité pour les employés de procéder à l’installation manuelle des ponts tout comme de leur fournir un équipement de protection contre les chutes permettant de les protéger adéquatement lors de cette manœuvre.
[149] Selon les documents soumis par Me Huart, une procédure de sécurité a été établie par le CN avec la participation du comité local de santé et de sécurité dans le but de diminuer le plus possible le risque de chute d’un employé à plus de 2,4 mètres du sol lors de l’installation des ponts. Selon cette procédure, les employés doivent toujours se tenir en position accroupie et se retenir d’une main à une poignée du wagon avec les deux pieds au sol lorsqu’ils sont situés à plus de 2,4 mètres du sol lors de l’installation des ponts.
[150] Par ailleurs, selon Me Huart, cette procédure a été élaborée depuis la prise de la vidéo et la tenue de l’audience dans cette affaire.
[151] J’ai aussi réexaminé la vidéo présentée par M. Tucci et L. Renaud. Sur cette vidéo, j’ai pu observer des employés positionnés au deuxième et au troisième étage dans des wagons à trois étages procédant à l’installation de ponts à l’étage le plus haut comme suit. Pour l’employé positionné au deuxième étage, celui-ci se tient en position accroupie avec les deux pieds en contact avec le sol jusqu’à ce qu’il prenne, avec ses deux mains, le pont du côté de son extrémité où sont placées les barrures présenté par l’employé se trouvant au sol. Puis il se lève pour soulever le pont et venir accoter son extrémité n’ayant pas de barrures sur le plancher du troisième étage du wagon situé en face de lui. Il soulève alors ses deux bras pour remettre l’extrémité du pont ayant les barrures à l’employé positionné juste au dessus de lui au troisième étage. Après que l’employé positionné au troisième étage ait placé le loquet fixe du pont dans la gâchette, l’employé placé au deuxième étage glisse d’une main le loquet amovible dans l’autre gâchette et ferme celui-ci pour sécuriser le pont. Lorsqu’il exécute cette manœuvre, il agrippe son autre main à la poignée du wagon ou au rebord du plancher du troisième étage. Sur cette base, j’en comprends que l’employé positionné au deuxième étage ne peut s’agripper d’une main soit à l’une des poignées du wagon ou au rebord du plancher de l’étage situé juste au dessus de lui le temps qu’il soulève et passe le pont à l’étage du dessus, mais qu’avant ces manœuvres et lorsqu’il sécurise le pont, il peut le faire.
[152] Puisqu’il semble, selon la preuve soumise, en pratique impossible actuellement de fournir un dispositif de protection contre les chutes permettant de protéger adéquatement les employés même lorsqu’ils se trouvent aux étages les plus hauts dans les wagons, il m’apparaît que la procédure établie pour l’installation des ponts par le CN, en consultation avec leur comité local de santé et de sécurité au travail, permet de diminuer à un niveau minimum le risque possible de chute pour un employé se trouvant à plus de 2,4 mètres du sol lors de cette manœuvre. J’ajoute que la manière de faire observée sur la vidéo des employés positionnés aux étages inférieurs de se retenir de leur main libre soit à la poignée des wagons ou au rebord du plancher de l’étage juste au dessus d’eux avec les deux pieds en contact avec le sol m’apparaît comme permettant également de diminuer le plus possible le risque possible de chute pour un employé travaillant à ces étages et au-dessus des pièces en acier se trouvant juste en dessous sur lesquelles il pourrait se blesser en tombant.
[153] Compte tenu de ce qui précède, j’en conclus que la possibilité que la deuxième circonstance décrite plus haut puisse se produire est réduite à son minimum et ne constitue donc pas une possibilité raisonnable mais une simple possibilité.
[154] Je suis ainsi d’avis qu’il n’existe pas actuellement un danger, au sens du paragraphe 122(1) du Code, pour les employés installant les ponts.
[155] Puisque j’ai décidé qu’il n’existait pas, le 31 janvier 2011, un danger pour les employés d’utiliser les ponts en suivant la technique des 3 points de contact pour se déplacer d’un wagon à un autre, je suis ainsi d’avis que les instructions d’avis de danger données ce jour-là par l’ASS Testulat au CN et à ses 52 employés travaillant dans le lieu n’étaient pas justifiées.
Décision
[156] Pour ces motifs, j’annule les instructions d’avis de danger données par l’ASS Testulat le 31 janvier 2011 au CN ainsi qu’à ses 52 employés travaillant à la rampe automobile de la Cour Taschereau située à Montréal (Québec).
Katia Néron
Agente d’appel