2011 TSSTC 18

Référence : Société canadienne des postes c. Annette Fillipetto, Gurdev Gill et Renata Welker,
2011 TSSTC 18

Date : 2011-08-09
Dossier :  2009-31
Rendue à : Ottawa

Entre :


Société canadienne des postes, appelante

et

Gurdev Gill, Annette Filipetto et Renate Welker, représentées par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), intimées

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail contre trois instructions délivrées par une agente de santé et de sécurité

Décision : Les instructions sont confirmées

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : M. Stephen Bird, avocat, Bird Richard

Pour les intimées :  Mme Sheilagh Turkington, avocate, Cavalluzo Hayes Shilton Mcintyre & Cornish

MOTIFS

[1]               La présente décision a trait à un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) contre trois instructions en date du 22 octobre 2009 délivrées par l’agente de santé et de sécurité (Ag.SS) Bobbi Anderson aux termes de l’alinéa 145(1)a) du Code, et non aux termes de l’alinéa 145(2)a) comme l’a affirmé l’avocat de l’appelante dans son avis d’appel.

Contexte

[2]               Les trois instructions visées par le présent appel faisaient suite à une enquête effectuée par l’Ag.SS sur trois plaintes présentées individuellement par les trois intimées à leur employeur, chacune de ses plaintes ayant trait à des événements survenus dans leurs milieux de travail respectifs et les touchant personnellement. Dans les trois cas, l’instruction délivrée par l’Ag.SS va dans le même sens et, même si la formulation de chaque instruction est adaptée à la situation de chacune des intimées, la teneur est essentiellement la même. Les deux paragraphes qui s’avèrent les plus importants pour la conclusion de l’Ag.SS et qui se trouvent au cœur de la question soulevée dans le cadre du présent appel ont trait au paragraphe 127.1(3) du Code :

[traduction]

L’employé ou le superviseur peut renvoyer une plainte non réglée au président du comité local ou au représentant en matière de santé et de sécurité pour que cette plainte fasse l’objet d’une enquête tenue conjointement : a) par deux membres du comité local, l’un ayant été désigné par les employés – ou en leur nom – et l’autre par l’employeur;  ou b) par le représentant et une personne désignée par l’employeur.

Le processus de règlement interne des plaintes tel qu’il est défini à l’article 127.1 de la partie II du Code canadien du travail n’a pas été appliqué pour enquêter sur l’allégation de Mme [Gill, Filipetto ou Welker] selon laquelle Postes Canada n’avait pas pris les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail.

Il convient de signaler que, dans chacun des trois dossiers, le rapport d’enquête rédigé par l’Ag.SS (et déposé en preuve à l’audience sur la présente affaire) affirme que l’enquête avait été entreprise [traduction] « pour relever s’il y a eu une enquête exhaustive, y compris la consultation et la participation du comité conjoint de santé et de sécurité relativement à ladite enquête aux termes de l’article 127 demandée par l’employée Gill, [Filipetto ou Welker], tel que prévu à la partie II du Code canadien du travail ». Lorsqu’on lit les passages clés des instructions ci-dessus, il est clair que l’Ag.SS a conclu que le processus de règlement interne des plaintes prévu à l’article 127.1 du Code n’avait pas été respecté ou suivi dans les dossiers de chacune des trois intimées, bien que ces dernières avaient demandé que leurs plaintes soient traitées au moyen de ce processus établi par la loi. Donc, en résumé, les instructions visées par le présent appel découlent des plaintes déposées par les intimées selon lesquelles leurs plaintes initiales déposées aux termes du paragraphe 127.1(1) du Code n’avaient pas été examinées tel que prévu à l’article 127.1 du texte législatif qui établit le processus de règlement interne des plaintes. Clarifions davantage la situation relativement aux trois dossiers : il convient de noter que, avant de déposer ce que j’ai décrit comme étant les plaintes initiales présentées aux termes du paragraphe 127.1(1) du Code, les trois intimées avaient tenté, mais en vain, d’obtenir par d’autres voies des mesures de redressement de la part de l’employeur.

[3]               Il va de soi que les circonstances de fait se rapportant à chaque intimée sont différentes, mais il y a tout de même des similitudes importantes, particulièrement entre les dossiers de Mme Gill et de Mme Filipetto; par conséquent, je n’ai pas l’intention de faire un exposé très détaillé des circonstances se rapportant à chacune, gardant à l’esprit qu’une description détaillée se trouve dans le rapport d’enquête de l’Ag.SS qui fait partie de la preuve et que les trois intimées ont également décrit leurs situations de manière exhaustive dans leurs témoignages à l’audience. Toutefois, afin de faciliter la compréhension de la présente affaire et de définir de façon plus précise la question en litige dans le cadre du présent appel, je vais décrire brièvement les éléments pertinents de chaque dossier.

[4]               Les trois dossiers ont des points de départ similaires, sinon identiques : des remarques désobligeantes, railleuses ou malveillantes concernant la situation familiale, l’apparence physique ou même la situation professionnelle des trois intimées, remarques qui avaient été formulées à plusieurs reprises au travail par un collègue ou des collègues en présence de l’intimée ou qui avaient été rapportées à celle-ci, et qui ont persisté même après que la cible de ces remarques avait demandé au collègue ou à un superviseur de mettre fin à cette mauvaise conduite – ainsi, il y a eu des plaintes portées à l’attention de l’employeur, perçues comme étant des plaintes de harcèlement, sinon présentées comme telles. Au moment de ces incidents, l’employeur avait adopté une politique anti-harcèlement aux termes de laquelle [traduction] « le harcèlement d’un employé, d’un client ou d’un employé éventuel est une conduite inacceptable dans le milieu de travail et ne sera pas tolérée. Tout employé qui se livre à une forme quelconque de harcèlement fera l’objet de mesures correctives ou disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement ». Cette politique prévoit la tenue d’une enquête sur toute plainte se rapportant aux 11 motifs de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Bien que j’aie signalé la grande similarité entre les trois dossiers, il est néanmoins utile de donner brièvement des précisions sur chaque dossier, ces précisions étant tirées du rapport d’enquête de l’Ag.SS et des témoignages individuels des intimées (ces derniers ne contredisaient pas les renseignements recueillis par l’Ag.SS Anderson).

[5]               La première intimée, Mme Gurdev Gill, est commis au courrier à l’emploi du service du courrier surdimensionné du Centre de traitement du courrier de Stoney Creek. Elle a déposé une plainte de harcèlement relative aux droits de la personne contre un collègue qui a fait des remarques concernant un incident familial, à savoir un accident durant lequel l’époux de l’intimée a subi de graves blessures : il semblerait que Mme Gill ait heurté son époux en reculant la voiture. Ces remarques – selon le témoignage de Mme Gill, faisaient suite à de nombreuses autres remarques du même genre – suggéraient qu’elle [traduction] « avait renversé son époux et reçu beaucoup d’argent de la compagnie d’assurances et acheté une grosse maison, que l’accident avait été planifié de façon à obtenir l’argent de la compagnie d’assurances ». Durant son témoignage, qui fut très émotif par moments, l’intimée a fait part d’autres remarques du même collègue au sujet de la famille de Mme Gill, plus précisément de ses fils : [traduction] « ils étaient trop proches et étaient peut-être gais »; le collègue aurait aussi affirmé qu’elle [traduction] « aimait lécher le cul des Blancs », ce qui constitue à mon avis un renvoi indirect à l’origine ethnique de l’intimée. Avec le temps, ces remarques, et d’autres rapportées durant le témoignage, ont eu pour effet d’accroître la frustration de Mme Gill, si bien que, voulant mettre fin à cette mauvaise conduite, elle a finalement porté plainte à son superviseur (Steve Garrett). Aux yeux de ce dernier, il s’agissait d’une plainte de harcèlement; il s’est renseigné sur la situation et a conclu que Mme Gill n’avait manifestement pas signalé qu’elle craignait pour sa sécurité ou qu’elle craignait un acte de violence – si tel avait été le cas, selon le témoignage de M. Garrett, il [traduction] « aurait agi autrement dans le dossier et porté l’affaire à l’attention du coprésident du comité local, probablement le coprésident qui représente l’employeur, afin que ce dernier mène une enquête ». Selon M. Garrett, si Mme Gill avait indiqué que sa sécurité était menacée, le comité local serait intervenu  directement; toutefois, d’après M. Garrett, il n’y avait pas eu de telle allégation. Ayant eu l’occasion d’entendre le témoignage de M. Garrett à l’audience concernant les trois intimées et les enquêtes effectuées par lui et par d’autres à la suite des trois plaintes, j’ai été frappé par ses nombreux trous de mémoire.

[6]               Quoi qu’il en soit, au terme de son enquête sur la situation de Mme Gill, M. Garrett a communiqué le résultat à la surintendante Eydt, pour qu’elle rédige sa réponse. Dans cette réponse, Mme Eydt fait renvoi au compte rendu de l’enquête de M. Garrett. Le rapport de l’Ag.SS cite le deuxième paragraphe de cette réponse :   

[traduction]

J’ai examiné toute la documentation se rapportant à cette enquête et je ne peux relever aucune preuve à l’appui de la plainte déposée. Le superviseur Steve Garrett a questionné tous les collègues de travail nommés à titre de témoins dans le secteur de traitement du courrier surdimensionné (quart de travail no 3) et n’a recueilli aucun renseignement ou élément de preuve pouvant corroborer vos allégations.

Selon le rapport de l’Ag.SS – et Mme Gill l’a répété à l’audience – après avoir reçu cette réponse, Mme Gill a affirmé catégoriquement que tous les collègues qu’elle avait nommés à titre de témoins potentiels n’avaient pas été questionnés, si bien qu’elle a déposé officiellement une plainte en vertu de l’article 127.1 du Code pour qu’une enquête interne, menée par le comité conjoint de santé et de sécurité, soit tenue dans le cadre du processus de règlement interne des plaintes prévu par le Code. Cette demande a été remise en mains propres au même superviseur, soit Steve Garrett; vingt jours plus tard, l’employée n’avait reçu aucune réponse écrite faisant suite à sa demande et a été avisée que les deux gestionnaires du centre de traitement (Wai Chan et Kraft Chine) avaient décidé de ne prendre aucune mesure relativement à la demande d’enquête – ce qui signifie, d’après moi, que les gestionnaires avaient décidé de ne pas poursuivre le processus d’enquête prévu en vertu de cette disposition du Code.

[7]               En raison de cette conclusion, qui a mené en fin de compte à l’intervention de l’Ag.SS et à l’instruction ou aux instructions, car les deux autres dossiers ont évolué d’une manière très similaire, les deux parties opposées ont adopté les positions (énoncées clairement dans le rapport d’enquête de l’Ag.SS Anderson) défendues d’abord devant l’Ag.SS et ensuite devant l’agent d’appel soussigné. Relativement à la convention collective applicable, et en particulier à l’article 56 intitulé « Protection contre le harcèlement », l’employeur a soutenu qu’il s’était conformé à son obligation d’enquêter et que l’enquête avait mené à la conclusion selon laquelle [traduction] « aucun incident pouvant correspondre à une infraction contre l’article 56 n’avait été confirmé ». Faisant renvoi à une réunion avec les deux gestionnaires du centre de traitement, le rapport signale que « les deux ont indiqué verbalement qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre l’enquête étant donné que l’employée avait déposé sa plainte aux termes de l’article 56 de la convention collective, et non en vertu du Code canadien du travail ». De son côté, l’employée a fait valoir à l’Ag.SS que l’employeur ne s’était pas acquitté de son devoir de mener une enquête valable et complète sur la plainte. Selon l’employée, il n’y a jamais eu d’intervention de la part du comité local à la suite de sa demande d’une enquête aux termes de l’article 127.1; d’après l’employée, la direction a tout simplement ignoré et rejeté cette étape du processus d’examen des plaintes, contrevenant ainsi de manière directe au Code.

[8]               Le dossier d’Annette Filipetto, qui est elle aussi commis au courrier au service du courrier surdimensionné au Centre de traitement du courrier de Stoney Creek, est très similaire à celui de Gurdev Gill. Sa plainte à son superviseur avait trait à des remarques et à des gestes, provenant principalement de deux collègues de travail, qui faisaient renvoi la plupart du temps à son apparence physique et parfois à son interaction avec un autre collègue. L’embonpoint de Mme Filipetto faisait l’objet de remarques désobligeantes. Étant donné que les remarques et gestes déplacés survenaient habituellement quand elle était la seule employée en la présence ou à proximité de ces collègues de travail, elle estimait que les remarques et les gestes lui étaient adressés; après un certain temps, elle a conclu que cela constituait du harcèlement et a demandé l’intervention de son superviseur pour faire cesser ce harcèlement. Selon le témoignage de Mme Filipetto, avant de présenter une plainte officielle à son superviseur Mike Lico, elle avait discuté avec la surintendante Michelle Eydt et le superviseur Steve Garrett du comportement déplacé de ces collègues de travail, du fait que ce comportement perdurait, du fait que la situation lui causait du stress émotionnel et de l’angoisse, et du fait qu’elle estimait que ce harcèlement était inapproprié et qu’elle souhaitait qu’on y mette fin. Il serait inutile d’exposer de manière détaillée les remarques et les gestes reprochés, car l’employeur ne conteste pas qu’ils sont survenus et lui ont été signalés. Comme nous le verrons plus tard, l’employeur soutient que les remarques et les gestes reprochés n’avaient pas rapport à la santé et à la sécurité au travail, mais se limitaient plutôt à un préjudice moral. Ce qu’il faut garder à l’esprit et ce qui importe pour la question à trancher, c’est que les remarques et gestes reprochés étaient de nature personnelle, comme dans le dossier de Mme Gill; elles ont par la suite fait l’objet d’une plainte officielle à un superviseur (Mike Lico), qui a effectué une enquête; et elles ont entraîné exactement la même réponse de la part de la surintendante Michelle Eydt, y compris l’affirmation selon laquelle [traduction] « le superviseur Mike Lico a questionné tous les collègues de travail nommés à titre de témoins dans le secteur de traitement du courrier surdimensionné (quart de travail no 3) et n’a recueilli aucun renseignement ou élément de preuve pouvant corroborer vos allégations ». Mme Filipetto a réagi à cette réponse de la même manière que Mme Gill, car elle estimait que l’enquête relative à sa plainte avait été incomplète du fait que tous les collègues qu’elle avait nommés à titre de témoins potentiels n’avaient pas été questionnés.

[9]               Ce qui est arrivé par la suite peut également être décrit comme la répétition de ce qui était survenu dans le dossier de Mme Gill. Mme Filipetto a déposé officiellement une plainte en vertu de l’article 127.1 du Code, demandant la tenue d’une enquête interne qui, en fin de compte, serait renvoyée au comité local. La demande de Mme Filipetto est citée dans le rapport d’enquête de l’Ag.SS :

[traduction]

Faisant suite à notre discussion du 7 mai 2008 au sujet de l’enquête sur ma plainte, je vous ai demandé de considérer notre conversation comme étant une plainte officielle en vertu de l’article 127 [127.1] du Code canadien du travail, partie II. De plus, nous avons abordé mes réserves à l’égard de cette enquête. S’il n’est pas possible de parvenir à un règlement, je demande que le comité conjoint de santé et de sécurité se penche sur mon enquête et le processus d’enquête.

Le 29 mai 2008, le superviseur Steve Garrett a avisé la représentante syndicale Joette Waddell que les gestionnaires du centre de traitement Kraft Chine et Wai Chan avaient décidé de [traduction] « ne prendre aucune mesure » relativement à la plainte, signalant ainsi clairement que le comité de santé et de sécurité n’allait pas intervenir. Comme dans le dossier précédent de Mme Gill, cela a entraîné l’intervention et l’enquête de l’Ag.SS Anderson.

[10]           Cela nous amène au dossier de Renata Welker qui, comme les deux autres intimées, était à l’époque commis du courrier à l’emploi du service du courrier surdimensionné du Centre de traitement du courrier de Stoney Creek. Ce dossier diffère un peu dans la mesure où les remarques au sujet de Mme Welker n’étaient pas de nature personnelle, ne lui avaient pas été adressées directement ou en sa présence, mais lui avaient plutôt été signalées par d’autres collègues de travail. Un collègue de travail mettait en doute la progression de Mme Welker sur la liste d’ancienneté de son unité de travail (cette progression avait permis à Mme Welker de devancer ledit collègue de travail sur la liste d’ancienneté) et prétendait que cette progression était le résultat d’une tactique frauduleuse, à savoir l’intervention d’un ami de Mme Welker au sein de la direction qui aurait altéré ladite liste d’ancienneté. Lorsque Mme Welker a pris connaissance de ces remarques, elle s’est plainte de la diffamation commise contre elle à son superviseur, M. Steve Garrett; ce dernier a réagi avec surprise et colère en apprenant la nouvelle, et s’est engagé à parler à l’employé en question, qu’il connaissait bien. Selon le témoignage de Mme Welker à l’audience, malgré sa plainte à M. Garrett et l’intervention de ce dernier auprès du collègue en question, plusieurs collègues de travail lui ont rapporté que le même collègue continuait de faire les mêmes remarques. Ainsi, Mme Welker a porté plainte à l’employeur, signalant qu’un collègue la diffamait et présentant, à l’appui de sa plainte, des déclarations signées par plusieurs de ses collègues de travail.

[11]           Il y a eu une enquête du surintendant intérimaire Mike Lico qui, tout en reconnaissant la validité de la plainte de Mme Welker, a répondu que [traduction] « après avoir examiné toute la documentation soumise par vos collègues de travail, il y a des éléments attestant que la conduite de Salema ne concordait pas avec les valeurs de la Société canadienne des postes. Toutefois, toute démarche prise à la suite de la présente enquête demeurera strictement confidentielle. L’enquête est close. » Mme Welker n’était pas satisfaite de ce résultat, qui à son avis ne suffirait pas pour prévenir la répétition de la prétendue diffamation. Ainsi, aux termes de l’article 127.1 du Code, elle a présenté une demande écrite au surintendant Lico dans le cadre du processus de règlement interne des plaintes. Toutefois, sa demande se démarque de celles des deux autres intimées dans la mesure où elle exigeait que, [traduction] « conformément à la politique de lutte contre la violence en milieu de travail de Postes Canada », le superviseur de l’employé pris en défaut ou un agent des ressources humaines l’avise [traduction] « des conclusions de l’enquête et des mesures correctives mises en place […] ». N’ayant pas reçu de réponse à sa demande, Mme Welker a présenté au surintendant Lico une autre demande dans le cadre du processus de règlement des plaintes, à savoir la tenue d’un examen et d’une enquête par un comité conjoint de santé et de sécurité. En réponse à cette demande, M. Lico a indiqué à Mme Welker de soumettre sa demande directement au comité de santé et de sécurité; ainsi, Mme Welker a adressé sa demande comme suit : [traduction] « J’aimerais que le comité examine non seulement ma plainte, mais aussi l’ensemble du processus d’enquête quand il s’agit de plaintes liées à la violence en milieu de travail ». La réponse est venue de Wai Chan, coprésident du comité de santé et de sécurité représentant l’employeur. Il a conclu en affirmant que : [traduction] « le comité de santé et de sécurité est satisfait du processus d’enquête et du résultat de l’enquête, et ne pense pas qu’il soit nécessaire de procéder à un examen de l’enquête ». Mme Welker a ensuite demandé que le dossier soit soumis à un agent de santé et de sécurité, ce qui a donné lieu à l’instruction délivrée par l’Ag.SS et au présent appel. 

Question(s) en litige

[12]           Les trois instructions visées par le présent appel sont formulées de manière identique. Elles ont été délivrées à la suite d’une enquête de l’Ag.SS Anderson, lancée à la suite des plaintes des trois intimées. Ces plaintes découlaient de leur insatisfaction à l’égard des résultats et réponses obtenus à la suite de plaintes initiales concernant la conduite de certains collègues de travail; elles avaient demandé que ces résultats et réponses soient revus dans le cadre du processus de règlement interne des plaintes (prévu à l’article 127.1 du Code), après avoir eu recours aux dispositions de leur convention collective visant le harcèlement en milieu de travail (l’article 56). Leur insatisfaction découlait des réponses et résultats obtenus à un certain niveau ou à une certaine étape du processus de règlement interne des plaintes car elles ne sont pas passées à la prochaine étape du processus. Par conséquent, elles ont porté plainte à un agent de santé et de sécurité. Tel que signalé précédemment, les trois instructions sont formulées de manière identique et les mots clés de ces instructions, pour ce qui est de la question en litige dans le cadre du présent appel, sont les suivants : [traduction] « Le processus de règlement interne des plaintes tel qu’il est défini à l’article 127.1 de la Partie II du Code canadien du travail n’a pas été appliqué pour enquêter sur l’allégation ». Ainsi, en termes simples, il s’agit de trancher si l’Ag.SS Anderson a commis une erreur en concluant que le processus établi à l’article 127.1 du Code n’avait pas été appliqué ou respecté pour enquêter sur les plaintes des trois intimées, ce qui a mené à la délivrance des trois instructions.

Observations des parties

[13]           Les observations des deux parties ont été présentées par écrit et, par conséquent, font partie du dossier.



Observations de l’appelante

 

[14]           En guise d’introduction à l’exposé détaillé de son argumentation, l’appelante a présenté un sommaire de sa position. Elle reconnaît que les trois appels ont trait à la formulation de remarques déplacées par des collègues de travail et que, par conséquent, les trois plaintes soulèvent des questions liées au harcèlement en milieu de travail, en contravention de la politique anti-harcèlement adoptée par Postes Canada. Toutefois, l’appelante soutient que les allégations des intimées ne soulèvent pas de questions relevant du Code et devant être renvoyées à un comité de santé et de sécurité aux termes du paragraphe 127.1(3) du Code.

[15]           L’appelante est d’avis que la démarche adoptée par l’Ag.SS pour enquêter sur les plaintes et son interprétation du texte législatif étaient erronées. Ainsi, l’appelante soutient que l’Ag.SS a commis quatre erreurs importantes. Premièrement, elle soutient qu’il est difficile d’établir à la lumière du témoignage de l’Ag.SST Anderson si cette dernière était pleinement consciente que, du moins en ce qui concerne les intimées Gill et Filipetto, les incidents à l’origine de leurs plaintes étaient survenus avant l’entrée en vigueur de la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement) qui, conjointement avec l’alinéa 125(1)z.16) du Code, a servi de fondement à la délivrance d’une promesse de conformité volontaire (PCV) à l’appelante – ainsi, il semble que l’Ag.SS croyait à tort que c’était la date de dépôt de la plainte, et non la date de la formulation réelle de la plainte, qui détermine l’applicabilité de telles dispositions réglementaires. Selon l’appelante, une telle interprétation, qui donnerait lieu à une application rétroactive du texte législatif (et ce dernier ne prévoit pas une telle application rétroactive), pourrait avoir la conséquence suivante : un tribunal pourrait conclure que Postes Canada a manqué à ses obligations en matière de prévention de la violence aux termes de la partie XX du Règlement parce qu’un plaignant a choisi de retarder le dépôt de sa plainte, attendant que ce texte législatif entre en vigueur. Il convient de signaler ici que la partie XX du Règlement est entrée en vigueur le 8 mai 2008; or, Mme Gill et Mme Filipetto ont formulé leurs plaintes initiales à leur employeur avant cette date, mais leurs plaintes officielles en vertu de l’article 127.1 du Code ont été déposées le 9 mai 2008. Selon l’appelante, il est également important de noter que l’Ag.SS a tenté de corriger cette interprétation erronée en affirmant qu’elle avait seulement essayé d’appliquer [traduction] « l’esprit » ou le sens de la partie XX du Règlement, et non la réglementation elle-même (une telle application dépasserait la portée du texte législatif et la compétence de l’Ag.SS). L’appelante a également fait valoir que l’affirmation de l’Ag.SS selon laquelle il est possible d’établir un lien entre le harcèlement en milieu de travail et les obligations générales de l’employeur en matière de protection des employés en vertu de l’article 124 du Code constituait une interprétation erronée du texte législatif, compte tenu de la définition restreinte du terme « sécurité » dans le Code et compte tenu de la façon dont le législateur conçoit le Code – le législateur ayant tenté d’y intégrer le concept du « harcèlement en milieu de travail » à trois reprises, mais en vain. L’avocat de l’appelante a également signalé que la partie XX du Règlement, adoptée en réponse à la violence en milieu de travail, ne comporte pas de renvoi spécifique au harcèlement en milieu de travail.

[16]           L’appelante soutient également que puisque le Code ne traite pas de la question du harcèlement, l’Ag.SS n’a pas compétence, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’évaluation du champ d’application de la loi, de créer de nouvelles obligations en vertu du Code. Cependant, de l’avis de l’appelante, même s’il devait être admis que la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail s’appliquait à l’ensemble des trois plaintes, ou qu’il existait à l’article 124 du Code (obligation générale) une obligation exécutoire pour l’employeur en ce qui a trait au harcèlement en milieu de travail, l’Ag.SS a omis d’interpréter et d’appliquer adéquatement l’article 127.1 invoqué par les trois plaignantes. En ce sens, l’avocat prétend que l’Ag.SS a quelque peu inversé l’ordre des étapes à suivre conformément à l’article 127.1 pour mener l’enquête. De l’avis de l’appelante, bien que l’Ag.SS Anderson ait fait allusion à la position de Postes Canada à l’effet que les plaintes n’ont pas soulevé l’existence d’une infraction au Code, et aussi au fait que dans le cas des plaintes de Mmes Gill et Filipetto, la partie XX du Règlement n’était pas en vigueur, elle n’a présenté aucune justification en appui à ses instructions. L’avocat a expliqué qu’au départ, l’Ag.SS s’était fourvoyée dans le cadre de l’enquête en vérifiant seulement si l’affaire (les trois plaintes) avait été ou non renvoyée au comité local de santé et de sécurité, plutôt que de s’assurer tout d’abord que lesdites plaintes soulevaient, tel qu’il est énoncé en guise d’introduction à l’article 127.1 du Code, des motifs raisonnables quant à l’existence d’une situation constituant une contravention à la Partie II du Code ou dont sont susceptibles de résulter, à l’employé, un accident ou une maladie, ou de s’assurer si seulement le Code s’appliquait à l’objet de ces plaintes. L’appelante est donc d’avis que l’Ag.SS a [traduction] « mis la charrue devant les bœufs » lorsqu’elle a témoigné qu’elle traiterait de ces questions seulement lorsque viendrait son tour de participer au processus établi en vertu de l’article 127.1, une fois que le comité local de santé et de sécurité n’aurait pas été en mesure de régler de façon satisfaisante la plainte ou les plaintes, et en conséquence, sans tenter de valider les plaintes initiales présentées par les trois plaignantes, et ce, en partie, à cause de ce que l’avocat a qualifié comme étant de mauvais conseils fournis par le conseiller technique de l’Ag.SS à cet égard.

[17]           L’appelante reconnaît cependant que le présent appel constitue une procédure de novo et que, puisqu’il en est ainsi, je suis autorisé à [traduction] « prendre la relève » de l’Ag.SS et rendre une décision qu’elle aurait dû prendre. Bien que je partage cette opinion de l’appelante, cela dépend évidemment de ma décision à savoir si la décision rendue par l’Ag.SS, qui fait l’objet d’un examen, doit être renversée. Cela étant, l’appelante renvoie à certains éléments particuliers propres au cas de chacune des trois intimées pour soutenir sa position selon laquelle je peux considérer le bien-fondé ou le fondement de leurs plaintes individuelles initiales.

[18]           Dans le cas de Mme Gill, l’avocat résume la plainte de cette dernière comme suit : (1) des remarques déplacées faites au sujet de sa situation personnelle relativement à l’accident de voiture impliquant son époux et ses enfants, (2) des remarques déplacées au sujet des Blancs et de ses rapports avec des collègues de travail et (3) des critiques formulées au sujet de son rendement/ses tâches au travail. Aux dires de l’avocat, bien qu’il soit reconnu qu’une plainte renvoyée au comité local de santé et de sécurité doive nécessairement soulever une préoccupation en matière de santé et de sécurité, il n’y en avait tout simplement aucune présente ni même envisagée dans le cas de Mme Gill. Qui plus est, la partie XX du Règlement n’était pas en vigueur à ce moment-là, et rien dans la plainte de Mme Gill, son témoignage ou celui du superviseur, M. Garrett, n’a indiqué qu’il était susceptible de résulter un accident ou une maladie. Ainsi, bien que Mme Gill puisse s’être préoccupée, avec raison, que les allégations constituaient une conduite inadéquate, et qu’elle était mécontente qu’il ait été finalement établi que la plainte n’était pas fondée, rien dans son cas n’indique de près ou de loin l’existence d’une préoccupation en matière de santé et de sécurité ou d’une infraction à l’encontre de quelque disposition du Code.

[19]           Les commentaires de l’avocat de l’appelante concernant le cas de Mme Filipetto, vont essentiellement dans le même sens. Il était fait renvoi, dans sa plainte initiale, à des remarques et des gestes inappropriés de nature personnelle, faits en sa présence ou qui lui étaient adressés. Elle a prétendu éprouver du stress et de l’angoisse, mais elle n’a présenté aucune preuve médicale pour le corroborer. Par ailleurs, la partie XX du Règlement n’était pas en vigueur à l’époque de sa plainte, et rien dans la plainte actuelle, dans le témoignage de celle-ci ou dans la preuve de M. Lico relativement à son enquête, n’a indiqué que Mme Filipetto éprouvait quelque crainte raisonnable à l’effet que ces remarques et gestes seraient susceptibles de lui causer un accident ou une maladie. Bien qu’elle se soit préoccupée, avec raison, que les allégations constituaient une conduite inadéquate et bien qu’elle fut mécontente de la décision finalement rendue, de l’avis de l’avocat, rien dans cette affaire n’indique de près ou de loin l’existence d’une préoccupation en matière de santé et de sécurité ou d’une infraction à l’encontre d’une disposition du Code. La preuve est faite que Mme Filipetto a prétendu que les injures continuelles lui causaient de la distraction et pouvaient donc entraîner une blessure [traduction] « du fait de ne pas porter attention »; selon l’avocat, toutefois, cela ne représenterait pas un risque, ni un risque pour sa santé au sens du Code, et une allégation non corroborée de stress et d’angoisse, à elle seule, serait insuffisante pour soulever, aux fins de l’application de la loi, une préoccupation en matière de santé et de sécurité.

[20]           L’avocat a présenté la situation de Mme Welker comme étant identique à celle des deux autres intimées. Elle n’était pas présente lorsque des remarques inappropriées ont été faites à son sujet. Rien dans sa déclaration, dans l’enquête menée par son superviseur M. Lico, ni dans son témoignage, n’a indiqué que sa préoccupation pour sa santé et sa sécurité était légitime. De l’avis de l’avocat, il s’agissait seulement d’une situation où des remarques inappropriées d’un collègue de travail avaient causé un [traduction] « préjudice moral ». À l’instar des autres intimées, l’avocat a présenté les motifs de Mme Welker, lorsqu’elle a tenté de renvoyer son cas devant le comité local de santé et de sécurité, comme étant du mécontentement à l’égard du processus d’enquête et de ses conclusions, et non en raison d’une infraction au Code, d’une préoccupation en matière de santé et de sécurité ou d’une crainte de violence dans le lieu de travail.

[21]           En guise de conclusion, et faisant mention du fait que l’avocate des intimées a passé énormément de temps à contre-interroger les superviseurs de Postes Canada au sujet de la qualité de l’enquête, M. Bird a brièvement résumé la position de l’appelante en déclarant que la question ne consiste pas à établir si une enquête adéquate a été réalisée, si les bonnes conclusions ont été tirées ou encore, si Postes Canada a pris les mesures appropriées à l’égard des plaintes. À son avis, il s’agit d’une question visant à établir si oui ou non chacune des employées a ou avait des motifs raisonnables de craindre qu’une disposition du Code soit enfreinte ou des motifs raisonnables de craindre pour sa santé et de sa sécurité. Aux dires de l’avocat, l’Ag.SS a totalement ignoré cette question et les motifs raisonnables de craindre étaient totalement absents. Subsidiairement, si des craintes en matière de santé et de sécurité étaient soulevées relativement à du harcèlement, ce ne serait pas une affaire qui relève du Code.

Observations des intimées

[22]           À l’opposé de la position avancée par l’appelante, ainsi qu’il est résumé au paragraphe 21 ci-dessus, l’avocate des intimées a axé ses observations sur le processus d’enquête mis en place par l’article 127.1 du Code, sur l’exhaustivité ou la qualité de l’enquête qui a été menée et plus encore sur le respect de l’ensemble du processus établi par cette disposition. En conséquence, dans un bref commentaire faisant référence à l’approche préconisée par l’Ag.SS par rapport aux demandes précises de renvoi au comité local de santé et de sécurité, formulées par les trois intimées, et à la réponse donnée par les représentants de l’employeur, elle a défini comme suit la question devant le soussigné :

[Traduction]

La question soumise à juste titre à l’agent d’appel eu égard au présent appel et aux éléments de preuve fournis par l’Ag.SS Anderson est de savoir si cette dernière a commis une erreur en adoptant cette approche et en donnant les instructions telle qu’elle l’a fait en fonction de cette approche. Si l’agent d’appel ne conteste pas cette approche, alors les appels n’obtiennent pas gain de cause et nous admettons respectueusement qu’il n’est pas nécessaire d’aborder le bien-fondé des plaintes des employées parce qu’il est répondu pleinement à la question. Si l’agent d’appel détermine que l’Ag.SS aurait dû procéder à un examen des motifs invoqués à l’appui des plaintes des employées avant de donner les instructions faisant l’objet d’un appel, il est soumis respectueusement que cela répond aussi à la question considérée. Ce que l’Ag.SS aurait dû alors découvrir si elle avait procédé à cette enquête dépasse la portée de l’appel interjeté auprès de l’agent d’appel.

[23]           L’avocate a circonscrit brièvement la question qu’elle considère comme étant cruciale à la prise de décision portant sur le présent appel. Selon Mme Turkington, la question se rapporte tout simplement à la procédure établie à l’article 127.1 du Code, ou plutôt au respect ou au non-respect du processus. En soulignant que les instructions données par l’Ag.SS découlent de circonstances où trois employées ont chacune porté plainte contre des actes de harcèlement en milieu de travail et demandé, en vertu du paragraphe 127.1(3), que le comité local de santé et de sécurité procède à une enquête, l’avocate fait valoir que l’employeur a tronqué le processus de règlement interne des plaintes établi par l’article 127.1 en empêchant le comité de mener cette enquête. Il s’en est suivi une enquête de la part de l’Ag.SS sur la violation en cause et cette dernière a conclu qu’il y avait eu violation et a donc donné des instructions précises en exigeant la conformité au processus prévu à l’article 127.1; ainsi, elle ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé des plaintes initiales de harcèlement que les trois intimées ont adressées à l’employeur et a chargé le comité local de santé et de sécurité de procéder à une enquête, comme le demandaient les trois intimées dans leur plainte déposée auprès de l’Ag.SS.

[24]           Concernant l’enquête menée par l’Ag.SS à l’égard des plaintes déposées par les trois intimées relativement à l’omission de l’employeur d’autoriser la mise en marche du processus établi à l’article 127.1 du Code et d’en arriver à la conclusion déterminée par la loi, l’avocate a abordé comme suit les points soulevés par l’appelante. Tout d’abord, en ce qui concerne la partie XX du Règlement, l’avocate a soutenu que, bien que l’Ag.SS ait expliqué dans son rapport et dans son témoignage que les plaintes initiales de harcèlement formulées par Mme Gill et Mme Filipetto avaient été reçues après l’entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation, l’Ag.SS n’a jamais laissé entendre que ses instructions découlaient de l’application des dispositions de la partie XX du Règlement à la question relative au respect du processus d’enquête prévu au paragraphe 127.1(3) du Code. Même si la question de ladite applicabilité de la partie XX du Règlement peut avoir été abordée par l’Ag.SS, c’est uniquement par rapport aux discussions au sujet d’une éventuelle PCV qui a finalement été refusée par l’employeur. Selon l’avocate, il est clair que l’Ag.SS a admis dans son témoignage que la partie XX du Règlement n’était pas en vigueur au moment des circonstances ayant donné lieu aux plaintes initiales de harcèlement et, par conséquent, elle a estimé que le règlement ne s’appliquait pas auxdites circonstances, même si, lorsqu’elle a enquêté sur les plaintes relatives à la tenue d’une enquête par le comité local de santé et de sécurité, ledit règlement était alors entré en vigueur, bien que cela n’ait eu aucune incidence sur les instructions.

[25]           Mme Turkington a signalé que, pendant que l’Ag.SS indiquait clairement que l’objet de son enquête était et a été l’article 127.1 du Code ainsi que la question de l’omission de l’employeur de se conformer en tous points au processus prévu par l’article, elle a été en même temps informée de la nature des plaintes que les trois intimées voulaient soumettre à l’examen du comité local. À ce titre, elle estimait que la protection des employés aux prises avec le harcèlement et l’intimidation pourrait être assurée par la disposition générale sur l’obligation de protection de l’employeur, soit l’article 124. L’employeur était d’avis que rien en ce sens ne pouvait découler des dispositions du Code avant l’entrée en vigueur de la partie XX du Règlement. Compte tenu de la jurisprudence du Tribunal relative à la définition de « danger », de la portée générale de l’article sur l’obligation de protection de l’employeur, de la nature préventive et réparatrice de la Partie II du Code dans son ensemble et de l’atteinte de ses objectifs exigeant une interprétation juste, large et libérale de ses dispositions, l’avocate a fait valoir que la jurisprudence du Tribunal reconnaissait que le harcèlement relèverait du Code avant la promulgation de la partie XX du Règlement et que, par conséquent, le point de vue adopté par l’Ag.SS n’était pas erroné et ne pouvait justifier une modification des instructions.

[26]           Concernant la question de la condition nécessaire au dépôt d’une plainte en vertu de l’article 127.1, soit celle qu’un plaignant [traduction] « a des motifs raisonnables de croire » qu’il y aurait matière à porter plainte, l’avocate a contesté la position de l’appelante selon laquelle cette question aurait dû être prise en compte par l’Ag.SS avant que ne soit examinée la plainte voulant que l’employeur n’ait pas suivi ou respecté le processus. L’essentiel de la position de Mme Turkington est que cela nuirait au rôle joué par le comité local ou les parties dans le processus de règlement interne des plaintes en faisant participer l’Ag.SS au processus avant que les parties concernées, notamment le comité, n’aient joué leur rôle. L’avocate a réaffirmé essentiellement dans son explication que les instructions faisant l’objet d’un examen concernent les plaintes formulées par les intimées de l’employeur ayant omis de se conformer au processus, aux termes de l’article 127.1, en vue de l’examen de leurs plaintes initiales, et non des véritables plaintes initiales formulées par les intimées. En conséquence, le « caractère raisonnable des motifs » serait donc, comme tous les autres aspects des plaintes, examiné par un Ag.SS uniquement lorsque ce serait son tour de participer audit processus. Selon l’avocate, le témoignage livré par l’Ag.SS donne largement une interprétation adéquate du fonctionnement du processus prévu à l’article 127.1, interprétation qui doit être considérée comme déterminante par le soussigné. Bref, l’Ag.SS Anderson a bien interprété et compris le processus de règlement des plaintes, aux termes de l’article 127.1, à savoir que lorsqu’un employé adresse une plainte à un superviseur, il s’agit de la première étape du processus de règlement interne des plaintes. Au départ, il faut que l’employé qui porte plainte ainsi que son superviseur tentent ensemble de parvenir à un règlement de la question. Si les parties n’y parviennent pas, l’une ou l’autre des parties insatisfaites du résultat peut alors amorcer la deuxième étape du processus qui consiste à renvoyer la question non résolue à l’un ou l’autre président (employeur ou employé) du comité local de santé et de sécurité ou encore, si un tel comité n’existe pas, au représentant en la matière choisi par les employés, qui assume la même fonction. L’enquête doit être effectuée conjointement par un employeur et un employé membre du comité ou par le représentant et une personne désignée par l’employeur. Une fois cette enquête terminée, le Code exige qu’une réponse écrite soit donnée à l’employé qui porte plainte et à l’employeur. Si l’une ou l’autre partie est alors d’avis que la plainte a signalé une contravention au Code, l’une ou l’autre partie peut renvoyer la question à un agent de santé et de sécurité dans certaines circonstances énoncées dans la loi.

[27]           L’avocate s’est efforcée de formuler dans ses propres mots ce qu’a déjà exposé l’Ag.SS Anderson et, même s’il n’est pas nécessaire ici de répéter dans le détail les explications déjà données, il est utile de voir comment elle comprend le processus prévu à l’article 127.1. Elle souligne que, selon le processus de règlement interne des plaintes (PRIP) établi à l’article 127.1 du Code, un employé a le droit d’avoir accès à ce processus en adressant une plainte à un superviseur s’il croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention au Code ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi. Selon l’avocate, la pierre angulaire du PRIP est la notion de responsabilité interne. L’employé adresse une plainte à son superviseur afin que l’affaire soit résolue à ce stade. Si elle n’est pas résolue, elle incombe toujours aux parties de tenter de nouveau de la résoudre. Conformément au paragraphe 127.1(3) du Code, un employé ou le superviseur peut renvoyer une plainte non résolue à l’un des présidents du comité local. La plainte doit alors faire l’objet d’une enquête tenue conjointement. Ce comité est un comité mixte qui est déjà établi; ses membres sont formés pour trancher rapidement les plaintes liées à la santé et à la sécurité des employés (sauf si un tel comité n’est pas nécessaire aux termes de la loi et qu’il est remplacé par un représentant en matière de santé et de sécurité qui assume le même rôle). L’avocate établit un parallèle entre l’article 127.1 et l’article 128 (refus de travailler) et fait observer que, dans les deux cas, le Code exige que l’employeur donne une réponse et, dans les deux cas, prévoit une autre étape pour examiner l’affaire non résolue à la satisfaction de l’une des parties. L’intérêt d’une telle comparaison se trouve dans la déclaration suivante de l’avocate : [traduction] « Aucune disposition dans l’un des articles ne permet à l’employeur de tout simplement refuser la poursuite du processus parce qu’il ne souscrit pas au point de vue de l’employé. L’employeur se doit dans de telles circonstances de faire appel à un agent de santé et de sécurité une fois que la question a été examinée par les parties », au sens du paragraphe 127.1(8) ou 128(13) de la loi.

[28]           La deuxième partie des observations de l’avocate a trait à la possibilité que l’agent d’appel soussigné puisse décider d’examiner le bien-fondé des plaintes initiales formulées par les trois intimées. À ce titre, l’avocate fait valoir que la question fondamentale, si je procédais à un tel examen, n’est pas de savoir si les plaintes faisaient état d’actes de violence en milieu de travail ou de préoccupations générales en matière de santé et de sécurité, mais de savoir si l’employée croyait, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention au Code ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi. Aux dires de l’avocate, cela représente une norme peu rigoureuse; elle a précisé que, à son avis, un examen des plaintes initiales et des témoignages démontre que, individuellement, les plaignantes croyaient, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention au Code ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi. Les employées, aux dires de l’avocate, étaient préoccupées par le comportement harcelant d’un collègue et par la perspective que ce comportement leur causait ou leur causerait du tort, compte tenu plus précisément du stress et de l’anxiété que causait ce comportement. Elles étaient toutes préoccupées par le fait que l’employeur n’avait pas réagi de manière à les protéger du danger.

[29]           En concluant ses observations, l’avocate a rappelé que l’audition de l’appel doit d’abord porter sur la question de savoir si l’employeur, dans les trois cas, a bel et bien omis de se conformer au processus d’examen des plaintes prévu à l’article 127.1 du Code et deuxièmement, s’il y a lieu, d’examiner individuellement le fond des trois plaintes initiales formulées par les intimées. De l’avis de Mme Turkington, l’employeur a fait obstacle au PRIP décrit à l’article 127.1, en ce sens qu’il a refusé la tenue d’une enquête par le comité conjoint de santé et de sécurité ainsi qu’il est prescrit au paragraphe 127.1(3) du Code. En raison du fait que l’enquête n’a pas eu lieu, l’Ag.SS Anderson a été amenée à enquêter non pas sur le fond des trois plaintes initiales formulées par les trois intimées, mais sur le sort réservé au PRIP, à savoir que ladite enquête du comité de santé et de sécurité n’a pas été tenue. Dans les circonstances et dans chaque cas, l’Ag.SS a ordonné la tenue de l’enquête conjointe. Après avoir examiné la première question, l’avocate était d’avis que, si je juge nécessaire d’examiner le fond de chaque plainte, un tel examen doit respecter la nature de la loi en cause, ce qui signifie que l’examen ne viserait pas à déterminer si les trois employées avaient correctement évalué qu’il y avait eu violation du Code ou qu’un risque se posait pour leur santé et leur sécurité, mais plutôt à déterminer si les employées croyaient, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une violation du Code ou dont est susceptible de résulter un accident lié à la situation dans le lieu de travail.



Analyse  

 

[30]           Les positions soutenues par les parties en l’espèce sont diamétralement opposées. D’une part, l’appelante a fait valoir que les plaintes formulées par les trois intimées (je fais référence aux plaintes initiales de harcèlement adressées à l’employeur plutôt qu’aux [traduction] « plaintes » concernant le manque de participation du comité de santé et de sécurité), n’étaient pas des questions qui pourraient être considérées dans le processus de règlement interne des plaintes établi par l’article 127.1 du Code, et que l’Ag.SS avait commis une erreur en prenant en considération ou non certaines questions pour en arriver à sa conclusion; sa décision a donc reposé sur une approche erronée dans l’application de la loi. En optant pour cette approche, l’appelante semblait accorder davantage d’importance à ces questions dans son analyse qu’à une bonne compréhension du processus mis en place par l’article 127.1 du Code. D’autre part, les intimées ont axé leur position sur le processus en soutenant que le véritable processus créé par la loi avait été tronqué et qu’il n’a donc pas été respecté, que l’Ag.SS Anderson avait bien compris ledit processus, et que les questions de fond soulevées par l’appelante comme motifs raisonnables, la partie XX du Règlement, l’aspect proprement dit des plaintes en ce qui touche la santé et la sécurité et le champ d’application du Code pourraient être examinés par les parties selon l’ordre de leur intervention dans le processus, plutôt que comme une condition préalable à l’application du processus, plus particulièrement au renvoi demandé au comité de santé et de sécurité.     

[31]           Avant de fournir une justification de ma décision, trois points qui sous-tendent ma décision et qui ne sont pas contestés doivent être mentionnés :


- Une compréhension claire de l’espèce exige que l’on considère ou reconnaisse que, faute d’une meilleure formulation, deux groupes de plaintes sont présents. Au départ, trois plaintes ont été présentées et examinées par l’employeur au moyen du processus prévu dans la convention collective applicable (article 56 – Protection contre le harcèlement). N’étant pas satisfaites des résultats obtenus dans le cadre de ce processus, les trois intimées ont adressé des plaintes de nature identique à l’employeur et reposant sur les mêmes faits dans le cadre du processus de règlement interne des plaintes établi par l’article 127.1 du Code. Selon la preuve produite, après les étapes initiales de l’examen desdites plaintes, les plaignantes n’étaient pas satisfaites de l’évolution de cette dernière enquête ou ont été confrontées à des problèmes lors de l’enquête (la demande de renvoi au comité conjoint de santé et de sécurité a été refusée) et ont demandé l’intervention d’un agent de santé et de sécurité pour régler ces problèmes. La demande concernant l’intervention d’un agent de santé et de sécurité constitue, pour une meilleure compréhension de mes explications, une « plainte », faute d’un meilleur terme, quoiqu’il ne s’agisse pas d’une plainte au sens de l’article 127.1 du Code ni des plaintes qui ont été adressées au superviseur des intimées conformément au paragraphe 127.1(1). C’est ce que je désigne le deuxième groupe de « plaintes ».

- Les trois instructions que l’Ag.SS Anderson a données à l’appelante et qui font actuellement l’objet d’un appel concernaient exclusivement les plaintes composant le deuxième groupe de « plaintes » qui soutenaient que l’employeur avait, à tort, refusé de passer à l’étape suivante du processus interne de règlement des plaintes à savoir, l’examen des plaintes composant le premier groupe ou le groupe initial de plaintes par le comité de santé et de sécurité.

- L’Ag.SS a déterminé dans son enquête, ce qui a été établi devant le soussigné et n’a pas été en fait contesté, que, dans les trois cas, le renvoi des plaintes initiales au comité conjoint de santé et de sécurité a été refusé par les représentants de l’employeur.

[32]           À mon avis, le règlement de l’affaire considérée est assez simple et repose littéralement sur une bonne compréhension et application du processus de règlement interne des plaintes prévu à l’article 127.1 du Code. Ce processus a été mis en place dans le cadre des modifications apportées à la loi en 2000 en vue de procurer avant tout aux parties en présence dans le milieu de travail les moyens structurés nécessaires pour aborder et résoudre les problèmes qui se posent entre eux en milieu de travail et pour éviter qu’elles se tournent vers le refus de travailler ou vers d’autres recours en vertu du Code, où de telles actions ne seraient pas nécessairement bonnes, productives ou indiquées. Auparavant, le refus de travailler était essentiellement le moyen le plus souvent utilisé aux termes du Code par les employés qui tentaient de soumettre à un examen les problèmes se posant en milieu de travail et lorsque le droit de refus n’était pas exercé, l’examen interne de ces problèmes était essentiellement laissé à la volonté, sinon au caprice, de l’employeur. Il faut tenir compte du fait que ces modifications apportées à la loi ont été inspirées par les principes sous-jacents régissant la loi qui confère aux employés trois droits fondamentaux : le droit d’être informés, le droit de refuser et le droit de participer (celui-ci a une importance particulière pour l’affaire considérée).

[33]           Le processus (je souligne que le Parlement considérait que l’article 127.1 s’appuyait sur un « processus » comme en témoigne le titre même de la disposition) comprend trois étapes progressives pour traiter les plaintes : la première étant une discussion directe/individuelle portant sur la plainte ou un examen de celle-ci par les deux parties, à savoir l’employé et l’employeur (le superviseur); la deuxième étant celle où d’autres parties en présence dans le milieu de travail, à savoir les membres du comité local de santé et de sécurité représentant l’employé et l’employeur, prennent part à l’examen de la question; et la troisième, celle où des conclusions sont formulées avec la participation d’une tierce partie neutre et objective provenant de l’extérieur. Les trois étapes du processus découlent du paragraphe 127.1(1) qui stipule qu’un employé désireux de porter plainte a l’obligation (« doit »), avant de pouvoir exercer les recours prévus par le Code, de présenter la plainte à son superviseur les exceptions prévues étant le droit de refuser un travail dangereux et de demander la tenue d’une enquête par un agent de santé et de sécurité; et le droit d’une femme enceinte ou qui allaite de refuser un travail dangereux). Le Code rend, cependant, la présentation de la plainte conditionnelle au fait que l’employé croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention au Code ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi. Le libellé de la disposition indique très clairement, à mon avis, que lors de l’examen d’une plainte, on ne peut dissocier les faits réels ou les circonstances réelles propres à l’affaire du fait que l’employé doit croire, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention ou à la probabilité d’un accident ou d’une maladie. Autrement dit, le fait de [traduction] « croire pour des motifs raisonnables » constitue et continue d’être, à toutes les étapes du processus, un élément de la plainte soumise et examinée au cours de ces différentes étapes.

[34]            L’avocat de l’appelante s’est longuement penché sur l’aspect des plaintes [traduction] « croire pour des motifs raisonnables », et le fait que l’Ag.SS, premièrement, n’ait pas jugé nécessaire d’examiner cet aspect dans le cadre de son enquête et, deuxièmement, que l’avocate des intimées ait fait un rapprochement avec le refus des méthodes de travail dont il est question à l’article 128 pour faire valoir que, puisqu’il n’est pas loisible à un employeur de tronquer l’enquête menée par le comité local en vertu de l’article 128, l’employeur est tenu de façon similaire d’entreprendre une enquête en vertu de l’article 127.1, que l’employé ait des « motifs raisonnables de croire […] » ou non. L’appelante maintient qu’il s’agirait d’une compréhension erronée de la loi, parce que, aux termes du paragraphe 127.1(3), une « plainte non résolue » est l’élément déclencheur d’une enquête par le comité de santé et de sécurité, tandis que selon les dispositions relatives au refus de travailler, le « maintien du refus de travailler » d’un employé est l’élément déclencheur d’un examen par ledit comité. Tout d’abord, mon interprétation de ce qui constitue une plainte (ainsi qu’il est exposé plus haut et voulant que l’aspect « croire pour des motifs raisonnables » est et demeure un élément d’une plainte pendant les trois étapes du processus) devrait mettre un point final à l’argument selon lequel cet aspect n’a pas à être présent à toutes les étapes du processus. Cependant, j’estime que l’argument avancé par l’avocat de l’appelante par rapport aux prétendus éléments déclencheurs de l’intervention du comité de santé et de sécurité n’est pas fondé. Selon moi, un employé qui continue de refuser de travailler à la suite d’une discussion individuelle portant sur les motifs du refus signifie que la cause du refus demeure non résolue, du moins dans l’esprit de l’employé qui est autorisé à maintenir son refus selon le principe qu’il « a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister ». Compte tenu de ce que j’ai affirmé plus haut au sujet des éléments constituant une plainte aux termes de l’article 127.1 et du fait qu’une plainte, pour être soumise au comité de santé et de sécurité, doit être [traduction] « non résolue » , je ne vois pas de termes contradictoires ou autres éléments contradictoires entre ces deux principes.

[35]           Dans cette optique, la première étape du processus (selon la formulation employée ci-dessus, qui est celle de la discussion individuelle) est décrite au paragraphe 127.1(2) comme une obligation (« doivent tenter ») de la part de l’employé et de son superviseur de tenter de régler la plainte à l’amiable dans les meilleurs délais. Dans la présente affaire, le fait non contesté c’est que les trois plaintes que j’ai appelées plus haut le [traduction] « groupe initial » de plaintes ont fait l’objet, d’une certaine manière, d’une discussion entre les employées et leurs superviseurs respectifs. Peu d’éléments de preuve et de témoignages ont été présentés quant à l’importance et à la forme qu’ont pris ces échanges qui pourraient être perçus comme des tentatives individuelles de régler les plaintes. Toutefois, des éléments de preuve montrent que l’objet de ces plaintes a été examiné dans chaque cas d’une certaine manière et la question à l’étude n’exige pas qu’elle fasse l’objet d’un examen plus approfondi parce que ce n’est pas là que se trouve l’enjeu fondamental de l’appel. 

[36]           La deuxième étape du processus, principalement établie au paragraphe 127.1(3) mais aussi abordée aux paragraphes (4) à (7), met en évidence la nature progressive du processus de règlement interne des plaintes. Alors que la première étape demande que les parties directement concernées tentent de régler elles-mêmes la plainte, la deuxième étape exige davantage, soit la tenue d’une enquête conjointe par deux autres personnes agissant au sein du comité de santé et de sécurité en tant que représentantes des parties ou, si ce comité n’existe pas, par deux personnes choisies pour répondre au même objectif de représentation. Cette étape comporterait deux volets, à savoir le renvoi de la plainte et la tenue de l’enquête. Le premier volet peut être considéré comme permettant (au sens de « pouvoir » comme l’entend l’article 11 de la Loi d’interprétation) à l’un ou l’autre participant à la première étape du processus de renvoyer une plainte non résolue à l’un des présidents du comité local ou au représentant en l’absence d’un comité. Il importe de signaler qu’aucune condition restrictive n’est associée à cette étape mis à part le fait que la plainte n’est toujours pas réglée. Bien que ce ne soit pas formulé avec autant de mots, il va de soi que l’élément « croire pour des motifs raisonnables » doit toujours être présent. Il importe aussi de signaler que lorsque la loi permet à l’employé ou au superviseur, les deux protagonistes de la première étape, de renvoyer la plainte à la deuxième étape, elle ne limite pas à l’auteur de la plainte, à savoir l’employé, la perception qu’il y a absence de règlement;  l’un ou l’autre protagoniste dans la première étape peut considérer que l’affaire est non résolue et procéder au renvoi. Il ressort du libellé du Code, dans sa première partie, que l’un ou l’autre coprésident du comité sert seulement d’intermédiaire en portant la plainte non réglée à l’attention du comité de santé et de sécurité. Tirer la conclusion que, dans ce rôle, l’un ou l’autre coprésident se voit conféré par la loi une fonction d’examen préliminaire ou de filtrage ne serait nullement soutenu par le libellé de la disposition et transgresserait sensiblement la fonction d’enquête des deux membres du comité de santé et de sécurité, comme le démontrent le deuxième volet de cette étape et les quatre paragraphes suivant le paragraphe (3) qui commencent tous, sans exception, par « Les personnes chargées de l’enquête », indiquant ainsi par l’emploi du pluriel qu’aucune fonction n’est réservée à une seule personne. À mon avis, cela inclurait l’examen des questions préliminaires relatives à la recevabilité de la plainte(s) dans le processus de règlement interne.

[37]            Le second volet de cette étape exige que la plainte non réglée ayant été renvoyée à un autre échelon fasse l’objet d’« une enquête tenue conjointement ». À mon avis, ce volet est obligatoire et ne laisse aucune latitude à l’un ou l’autre président du comité ou représentant, ou encore, en l’espèce, à toute autre personne qui peut recevoir la plainte pour décider ou non d’enquêter sur ladite plainte ou de la soumettre à une enquête. En ce qui concerne la nature obligatoire de ce volet, je suis conscient que si le premier volet de cette étape est manifestement optionnel (« peut »), on ne peut trouver le libellé législatif utilisé habituellement dans le second volet qui exprime clairement une obligation. Le terme « doit » (shall) ne fait pas partie du texte et celui-ci n’est pas rédigé comme suit : « la plainte peut être renvoyée à ... et une enquête doit être tenue conjointement ». Toutefois, à mon avis, il s’agissait simplement d’un choix syntaxique et grammatical de la part du législateur et cela ne modifie en rien la nature obligatoire de cette partie du texte qui est soutenue par le contexte du texte. Mis à part les commentaires que j’ai faits dans le paragraphe précédent en ce qui concerne l’énoncé liminaire des paragraphes (4) à (7) et le fait que le mot « personne » y figurant soit employé au pluriel (ce qui fait clairement référence aux deux personnes chargées au paragraphe (3) de mener l’enquête), je trouve également un appui à cette conclusion dans le texte français de la loi qui a le même effet et la même intention en droit, plus précisément dans la phrase qui est libellée comme suit : « elle fait alors l’objet d’une enquête tenue conjointement […] » où le verbe « fait » dans la phrase « fait […] l’objet […] » est employé à l’indicatif présent, ce qui exprime l’impératif, conformément à l’article 11 de la version française de la Loi d’interprétation. Cette disposition de la Loi d’interprétation est libellée comme suit : « 11. L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion ». Comme je l’ai fait observer précédemment, c’était un fait non contesté qu’il n’y a pas eu d’enquête conjointe de la part du comité de santé et de sécurité dans les trois cas considérés parce que, l’employeur coprésident du comité, dans un cas, et les gestionnaires, dans les deux autres, ont décidé de ne pas renvoyer les plaintes au comité pour qu’elles fassent l’objet d’une enquête.

[38]           La troisième étape marque la progression de l’examen de la plainte par un acteur qui ne fait pas partie du milieu de travail, soit l’Ag.SS (127.1(8)). La portée de l’enquête effectuée par l’Ag.SS, à ce stade, se limite cependant aux plaintes relatives à l’existence d’une situation constituant une contravention au Code et ne peut aller de l’avant que dans des circonstances particulières. Le paragraphe 127.1(9) revêt cependant un caractère obligatoire ou impératif (« fait enquête sur celle-ci ou charge un autre agent de santé et de sécurité de le faire à sa place ») et, plus important, indique clairement que l’enquête doit uniquement porter sur la plainte qui a été adressée à l’Ag.SS une fois l’enquête du comité de santé et de sécurité réalisée (« L’agent de santé et de sécurité saisi de la plainte ») et l’existence de l’une des situations particulières pouvant donner lieu au renvoi.

[39]           À la lumière de ce qui précède, j’ai examiné à fond la façon de procéder en l’espèce adoptée par l’Ag.SS Anderson et je suis arrivé aux conclusions suivantes. D’abord, en ce qui concerne le processus établi à l’article 127.1 du Code, j’estime que l’Ag.SS Anderson a bien compris et judicieusement appliqué le processus de règlement interne des plaintes; elle a aussi bien compris le rôle qui serait le sien comme Ag.SS si elle ou un autre Ag.SS était saisi au bout de compte des trois plaintes initiales des intimées après avoir été examinées à la deuxième étape du processus par le comité de santé et de sécurité. Cela étant le cas, l’Ag.SS Anderson avait bien saisi les limites de son mandat et des pouvoirs qui lui sont conférés par rapport à la demande formulée par les trois intimées relativement à l’intervention d’un Ag.SS qui veillerait à l’observation du processus de règlement interne des plaintes. En conséquence, je conclus que l’Ag.SS a bien compris et bien expliqué à l’audience que les questions « de fond » soulevées ou susceptibles d’être soulevées à l’égard des trois plaintes initiales ne faisaient pas partie de ce qui devait être examiné par rapport aux plaintes relatives au refus qui devaient être renvoyées au comité de santé et de sécurité, étant donné que ces questions pouvaient être ou devaient être examinées au stade de l’enquête du comité avant de l’être par l’Ag.SS; elle a rendu une décision correcte à cet égard.

[40]           Je signale que l’avocat de l’appelante a fait allusion à la nature de novo de la présente procédure d’appel qui permettrait au soussigné d’[traduction] « agir à la place » de l’Ag.SS et de rendre une décision que l’Ag.SS aurait dû rendre. Même si je souscris à cette compréhension du processus d’appel, l’audience de novo ne permet pas au soussigné de modifier l’essence de la question fondamentale à examiner et faisant l’objet d’un appel, ce que je devrais faire si je m’alignais sur la position de l’appelante selon laquelle je devrais examiner les questions de fond qui, selon cette dernière, devraient être examinées avant d’évaluer réellement si, au sens du paragraphe 127.1(3), il était obligatoire que les trois plaintes initiales soient soumises pour enquête au comité de santé et de sécurité à la suite de la demande formulée à cette fin. En outre, j’aurais à examiner si l’Ag.SS a commis une erreur en donnant les trois instructions, ce qui n’est pas le cas.

[41]            En conclusion, donc, je partage le point de vue exprimé par l’avocate des intimées. D’abord, surtout en ce qui concerne le processus de règlement interne des plaintes, je conclus que, d’après les agissements des représentants de l’employeur – qu’il s’agisse des gestionnaires ou de l’employeur coprésident du comité conjoint de santé et de sécurité – le processus a été tronqué et n’a pu être mené à bonne fin, comme l’exige la loi.  Deuxièmement, compte tenu de cette première conclusion, je partage également le point de vue exprimé par l’avocate des intimées selon lequel les questions initiales (partie XX du Règlement, croire pour des motifs raisonnables, nature des plaintes touchant à la santé et à la sécurité, et champ d’application du Code) soulevées par l’appelante portent sur le fond et le bien-fondé des trois plaintes initiales et excèdent donc mes pouvoirs à cet égard. C’est pourquoi je suis restreint à évaluer la validité des instructions données par l’Ag.SS Anderson en ce qui concerne l’observation des différentes étapes composant le processus visé à l’article 127.1. Ni le comité de santé et de sécurité ni l’Ag.SS n’ont examiné ces questions dans le cadre du rôle qu’ils jouaient dans le processus et n’ont pas non plus formulé de conclusions à l’égard de celles-ci. Il va de soi alors qu’il ne me revient pas d’examiner ces questions en l’espèce, parce que mon pouvoir se limite seulement à l’examen des conclusions tirées par un Ag.SS.

[42]           Enfin, je constate que l’avocat de l’appelante a mentionné que, depuis l’interjection de cet appel, l’employeur a jugé approprié de se conformer, entre-temps, aux trois instructions, puisque l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions et qu’aucune suspension n’a été demandée, ce qui, a-t-il affirmé, invaliderait une enquête sur le caractère raisonnable du point de vue exprimé individuellement par les plaignantes. Faisant lui-même observer que le présent appel porte donc seulement sur le fait de savoir si l’appelante aurait dû renvoyer l’affaire au comité de santé et de sécurité, il a souligné, malgré le fait que Postes Canada n’a pas approuvé les instructions, mais qu’elle s’y est tout de même conformée, que le renvoi au comité de santé et de sécurité a été fait et que celui-ci a rendu une décision. Tout en en prenant acte, je dois simplement réaffirmer que mon examen porte essentiellement sur la situation qui existait au moment de la communication des instructions et non sur ce qui peut avoir eu lieu ou s’être produit pendant le délai de 18 mois qui s’est écoulé depuis. Advenant un changement radical de la situation, si j’admets les remarques de l’avocat, ce changement ne pourrait se rapporter qu’à la conformité aux instructions et qu’aux mesures qui pourraient être ordonnées pour remédier aux contraventions au Code, ce qui ne serait probablement pas nécessaire compte tenu des remarques de l’avocat.

Décision

[43]           Compte tenu de ce qui précède, j’en suis arrivé à la conclusion que l’appel est rejeté et que les trois instructions sont confirmées.  

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

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