2011 TSSTC 21

Référence : Bell Canada, 2011 TSSTC 21

Date : 2011-08-22

Dossier : 2010-36 et 2011-04

Rendue à : Ottawa

Entre :

Bell Canada, appelante

et

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, intervenant

Affaire : Appel à l’encontre de deux instructions émises par un agent de santé et sécurité, conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail.

Décision : Les instructions sont annulées.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Mme Maryse Tremblay, avocate, Heenan Blaikie s.r.l

MOTIFS

[1]               La présente décision a trait à des appels interjetés par l’appelante Bell Canada à l’encontre de deux instructions émises à celle-ci par Jimmy Ammoun, un agent de santé et de sécurité au travail (Ag.SST), le 24 août 2010 et le 9 décembre 2010 respectivement, à la suite d’une inspection en milieu de travail effectuée le 7 juin 2010, ou vers cette date, au 725, rue Colborne, London (Ontario); il s’agit là de l’adresse à laquelle les employés de l’appelante se trouvaient et travaillent. Cette adresse figure parmi les neuf adresses ou emplacements qui forment un territoire ou un district pour lequel a été constitué un comité local général de santé et de sécurité au travail (Comité 6005 – district de l’Ouest‑ontarien) grâce à l’application du paragraphe 135(6) de Code canadien du travail, partie II (le Code). La première instruction (24 août 2010) découlait d’une décision de l’Ag.SST voulant que l’appelante ait contrevenu à l’alinéa 125(1)z.12) du Code, c’est-à-dire qu’elle n’a pas veillé à ce que le comité inspecte chaque mois tout ou partie des neuf emplacements qui forment le district de l’Ouest-ontarien de l’appelante, de façon que ces neufs emplacements soient inspectés au complet au moins une fois par année, ainsi que l’exige le Code. L’Ag.SST a alors enjoint à l’appelante de procéder à des inspections complètes ou partielles sur une base mensuelle/annuelle de tous les emplacements à titre de lieux de travail individuels afin de respecter les exigences de l’alinéa 125(1)z.12) du Code. La seconde instruction (9 décembre 2010) était attribuable à une décision de l’Ag.SST, prise à la suite de l’inspection susmentionnée, voulant que l’ampleur des activités réalisées par l’appelante dans le district de l’Ouest-ontarien (9 emplacements) pour lesquelles un unique comité local général de santé et de sécurité au travail avait été mis sur pied par l’appelante et le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCCEP) (Comité 6005) et approuvé grâce à l’application du paragraphe 135(6) du Code, était telle qu’elle empêchait ce comité de fonctionner efficacement pour desservir tous ces emplacements ou lieux de travail. L’Ag.SST a enjoint à l’appelante de constituer un comité local individuel pour chaque emplacement ou lieu de travail faisant partie du district de l’Ouest-ontarien, ordonnant ainsi en somme le démantèlement du Comité 6005 tel qu’il existe, ou ordonnant à tout le moins que ses tâches et obligations, entre autres les inspections de lieu de travail, soient effectuées par des comités locaux individuels mis sur pied pour chacun des neufs emplacements qui constituent le district de l’Ouest-ontarien de l’appelante.

[2]               Il y a lieu de souligner, à ce stade-ci, qu’il y avait neuf emplacements dont le comité état responsable au début de l’intervention de l’Ag.SST, dont l’un situé à Sarnia, où ne travaillait qu’un seul employé semble-t-il; le poste de cet employé ayant été éliminé, le Comité 6005 serait maintenant responsable de seulement huit emplacements. En outre, à l’époque, à la suite d’une réorganisation des activités de l’appelante, 496 employés au total travaillaient à ces emplacements; une grande partie d’entre eux (près de 79 %) travaillait dans un édifice situé au 100, rue Dundas, Talbot Square, London, contrairement à la conclusion de l’Ag.SST Ammoun selon laquelle il y avait plus de mille employés concernés. Il convient aussi de signaler que ces employés, pour la plupart, effectuent du travail de bureau, au moyen d’un ordinateur installé à un bureau désigné. Ces employés sont syndiqués et représentés par le SCEP. Lors de la délivrance de ces instructions, les employés étaient assujettis à une convention collective qui était entrée en vigueur le 19 janvier 2010, la date d’expiration étant le 31 mai 2013. Cette dernière information est importante vu qu’il n’y a pas d’intimé dans le présent appel puisque le syndicat représentant ces employés, à savoir le SCEP, a indiqué qu’il partage le point de vue de l’appelante relativement aux deux instructions étant donné que les employés qu’il représente se sont dits satisfaits de la structure actuelle du comité et de sa façon de procéder. Ainsi, le SCEP s’est joint à l’appelante pour obtenir l’annulation des deux instructions. Ces appels ne sont donc pas contestés.

[3]               Bien que les appels qui se rattachent à la présente affaire aient été interjetés séparément au départ, l’appelante de la première instruction ayant convenu de procéder par l’entremise d’observations écrites, l’émission par la suite de la seconde instruction à cette même appelante, qui comportait de toute évidence des éléments en commun avec la première instruction, a donné lieu à la décision de regrouper les deux appels aux fins de l’audition et de la décision. Ainsi, la décision ci-dessous se rapportant à la première instruction susmentionnée repose sur les observations écrites déjà présentées avant la tenue de l’audience de vive voix de la deuxième instruction, et des commentaires additionnels que l’avocate de l’appelante peut avoir jugé bon de formuler à la lumière de la preuve présentée à l’audience même.

Contexte

[4]               Étant donné que les deux instructions ont trait à certains égards à la structure actuelle et aux attributions du Comité 6005 (comité local général), il importe d’abord de bien comprendre la manière dont ce comité de l’employeur, ainsi que les comités semblables sinon identiques, a vu le jour. L’exigence fondamentale en vertu de la réglementation qui s’applique à chaque employeur fédéral en ce qui concerne les comités locaux de santé et de sécurité figure au paragraphe 135(1) du Code, qui exige que l’employeur constitue, pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité, qui est défini au paragraphe 122(1) du Code comme étant « tout lieu où l’employé exécute un travail pour le compte » de son employeur, et occupant habituellement au moins vingt employés, un comité local chargé d’examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité; il en choisit et nomme les membres sous réserve de l’article 135.1 du Code. La législation renferme toutefois des exceptions. Ainsi, l’appelante Bell est exemptée de l’application des exigences du paragraphe 135(1) du Code depuis 1999 au moins. Une telle exemption, accordée en vertu du paragraphe 135(6) du Code, indiquerait que le Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), dont fait partie l’Ag.SST Ammoun, a formellement approuvé et continue d’approuver la structure actuelle du comité local 6005 de même que celle des huit autres comités locaux (4 au Québec et 4 en Ontario) et a reconnu, en raison de cette exemption, qu’une telle structure « s’occupe suffisamment des questions de santé et de sécurité dans le lieu de travail en cause pour qu’il soit inutile de constituer un comité local » en vertu du paragraphe 135(1) (du Code). Aux dires de l’appelante, une telle exemption signifie en fin de compte que chacun de ces comités, tels que le Comité 6005, est rattaché à un territoire plutôt qu’à des édifices ou des emplacements précis au sein du territoire. Le SECP souscrit à cette position.

[5]               Il ressort de la preuve documentaire qui se rapporte plus précisément au Comité 6005 que la plus récente exemption a été accordée le 24 novembre 2009, à la suite d’une entente conjointe déposée par l’appelante et le SECP auprès d’un représentant du Programme du travail en ce qui concerne la structure du comité à titre de demande de revalidation en vertu du paragraphe 135(6) du Code. La preuve vise à attester que cette entente a donné lieu à l’exemption du 24 novembre 2009. Cette entente/demande de revalidation, dûment signée par l’employeur et les représentants syndicaux, se lit ainsi :

À la suite du fusionnement des deux syndicats à Bell Canada et d’une réorganisation qui a donné naissance à une autre entreprise (Bell-Aliant au Québec et en Ontario), Bell Canada et le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) demandent, par la présente, la revalidation de la Structure du comité de santé et de sécurité conjoint Bell Canada/SCEP.

Il convient de souligner que le comité de santé et de sécurité de l’organisation (comité de coordination de Bell Canada) demeure inchangé.

Vous trouverez ci-joint, à titre d’information, une liste à jour des noms des employés de Bell Canada/du SCEP, œuvrant dans les secteurs de la vente et du travail de bureau, de même que les noms des comités locaux de santé et de sécurité accompagnés des adresses des édifices que dessert chacun de ces comités. (Remarque : Vous trouverez ci-joint une liste sur laquelle figurent les 9 comités et les adresses des édifices, y compris celle du Comité 6005).

Demande de validation :

1. Étant donné que les comités proposés assumeront la responsabilité et les attributions figurant dans la Partie II du Code canadien du travail;

2. Étant donné que les comités proposés ont été créés et instaurés à la suite d’une entente intervenue entre Bell Canada et les représentants des employés dûment autorisés;

3. Étant donné que les représentants des employés visés par cette demande ont informé ces derniers;

Nous demandons, par la présente, que RHDCC revalide la structure des comités de santé et de sécurité en application de l’article 135, Partie II, du Code canadien du travail.

[6]               À la suite de l’entente et de la demande citées ci-dessus, une ordonnance d’exemption a été émise conformément à l’alinéa 135(6)a) du Code. Ladite ordonnance d’exemption est datée du 24 novembre 2009; elle a donc été émise avant l’inspection réalisée par l’Ag.SST Ammoun de même qu’avant les deux instructions qui font l’objet des présents appels. Cette exemption vise les cinq comités locaux généraux de l’Ontario, entre autres le Comité 6005, et a dûment été signée par l’agent régional de santé et de sécurité, Programme du travail-RHDCC, région de l’Ontario. Là encore, il est important de reproduire en entier cette ordonnance parce qu’elle a une incidence directe sur l’issue de ces deux appels. Elle se lit ainsi :

Par Bell Canada ci-après désignée l’employeur


EN CE QUI CONCERNE :

(...)

le Comité 6005 – Ouest-ontarien

(…)

étant un comité désservant un lieu de travail placé sous l’autorité de l’employeur

ATTENDU QUE, aux termes de l’entente conclue entre l’employeur et ses employés, représentés par le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, œuvrant dans les secteurs de la vente et du travail de bureau, le comité ci-dessus a été formé pour s’occuper des questions de santé et de sécurité aux adresses où se trouve le lieu de travail, ainsi qu’il est précisé dans la demande et,

ATTENDU QUE, j’estime que le comité ci-dessus s’occupe suffisamment des questions de santé et de sécurité dans le lieu de travail en cause pour qu’il soit inutile de constituer un comité aux termes du paragraphe (1);

J’exempte donc l’employeur, conformément à l’alinéa 135(6)a) de la Partie II du Code canadien du travail de l’application du paragraphe (1) quant au lieu de travail susmentionné pourvu :

1.       que cette exemption demeure en vigueur jusqu’à la date d’expiration de l’accord (y compris la période au cours de laquelle l’entente reste en vigueur durant les négociations en vue de conclure une nouvelle entente);

2.       que cette exemption s’applique pour une durée de cinq ans, si elle ne renferme aucune date d’expiration.

La formulation employée dans ces conditions visait clairement à faire en sorte qu’une telle exemption s’applique sans interruption, à moins que les parties optent pour ne plus avoir une telle entente. En outre, ladite entente ne comportait pas de date d’expiration, et serait donc en vigueur jusqu’au 24 novembre 2014.

[7]               À la lumière du document cité précédemment, de même que des documents IPG et  DPO qui s’appliquent, Bell Canada et le SCEP considéraient et ont considéré le district de l’Ouest-ontarien comme un lieu de travail unique de sorte que les inspections mensuelles d’une partie de celui-ci se traduiraient à la fin de l’année par une inspection complète des emplacements du district/du lieu de travail. L’Ag.SST estimait par contre que l’exemption n’était pas en vigueur lorsqu’il a effectué son inspection et donné ses instructions puisque, à son avis, elle avait expirée au même moment que l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective entre Bell Canada et le SCEP, soit le 19 janvier 2010, et qu’il était donc impossible de considérer qu’une telle entente existait entre les parties quant au mandat et aux attributions actuels du comité ou des comités de santé et de sécurité. Qui plus est, peu importe si l’exemption était en vigueur ou non, estimait l’Ag.SST Ammoun, les neuf emplacements du district de l’Ouest-ontarien étaient tous considérés comme étant des lieux de travail distincts/individuels, chacun devant faire l’objet d’une inspection mensuelle, en entier ou en partie, de façon à ce que chaque lieu de travail ait été inspecté au complet à la fin de l’année. Même si une exemption était en vigueur, l’Ag.SST estimait qu’elle ne s’appliquait qu’à la composition (aux membres) du comité actuel et qu’elle n’avait aucune incidence sur les neuf lieux de travail distincts ou individuels quant aux inspections exigées. C’est ce qui expliquerait sa conclusion selon laquelle le Comité 6005 a effectué d’après lui seulement une partie des 108 inspections exigées (9 emplacements/inspections mensuelles partielles) pendant l’année.

[8]               Ainsi qu’il est précisé ci-dessus, les documents 907-1-IPG-051 (Interprétations, Politiques et Guides) et DPO 907-1 (Directives du Programme des opérations) étaient aussi en vigueur lorsque l’Ag.SST Ammoun a réalisé l’inspection en l’espèce. Il s’agit de documents de RHDCC/Programme du travail qui viennent aider et guider l’Ag.SST au chapitre de l’application du Code. Ces documents servent tous deux à illustrer comment et d’après quels critères peuvent être obtenues les exemptions ministérielles aux termes du paragraphe 135(3), ou d’autres exemptions aux termes du paragraphe 135(6) et de l’article 137 se rapportant aux employeurs responsables de lieux de travail multiples; bien qu’il ne soit pas nécessaire à ce stade-ci de les examiner en profondeur, il est utile de citer de brefs extraits afin de permettre de mieux comprendre l’analyse qui suit. Ainsi, le paragraphe 8.5(b) de la DPO 907-1, intitulé Comité local général, s’énonce ainsi sous la rubrique « Plusieurs lieux de travail » :

Quand plusieurs lieux de travail relèvent d’un même employeur dans une même région géographique et quand l’employeur et les employés/syndicat tombent d’accord, l’agent de santé et de sécurité peut accepter la création d’un seul comité local pour ces lieux de travail ayant les pouvoirs législatifs en vertu de la Loi. Dans ce cas, l’agent de santé et de sécurité peut convenir du nombre de membres que comprendra le comité local, en tenant compte du nombre total d’employés, de lieux de travail, de syndicats, etc. La moitié au moins des membres du comité doivent être employés. S’il y a lieu, ces comités peuvent demander à être validés conformément à l’alinéa 135(6)a) et à l’article 137 (…).

Ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, une demande de validation (ou revalidation) a effectivement été faite le 1er juin 2008, conformément à l’article 135 du Code. De plus, il est possible, aux termes de l’article 137 du Code, d’établir un seul comité pour de multiples lieux de travail. Le document 907-1- IPG-051 qui sert à interpréter et clarifier la DPO 907-1, indique ce qui suit sous « Scénario 2 – Lieux de travail multiples » :

Si un employeur est responsable de plus d’un lieu de travail, mais qu’il veut établir un seul comité de SST ou désigner un seul représentant de SST pour tous ces lieux pour des raisons d’ordre logistique ou administratif, l’article 137 lui permet de le faire, mais seulement avec l’accord d’un agent de santé et de sécurité. (Pour les besoins du présent IPG, on les désignera comme des comités et des représentants de lieux de travail multiples (C/RLTM).)

Contexte

L’article 137 est important parce que l’article 122.(1) du Code définit le « lieu de travail » comme étant « tout lieu où un employé exécute un travail pour le compte de son employeur ». Puisque cette définition ne se fonde pas sur la géographie ou d’autres critères particuliers, elle laisse une grande latitude dans la détermination de ce qui constitue un lieu de travail (par exemple, un lieu de travail peut être composé de plusieurs bâtiments à différents endroits d’une même ville, ou même dans différentes villes).

L’article 137 permet à l’agent de santé et de sécurité de se servir de critères de rendement pour déterminer si les exigences concernant un comité ou un représentant de SST ont été respectées. Cette façon de faire accentue l’importance du Système de responsabilité interne (SRI) en permettant à l’agent de santé et de sécurité de rendre une décision en fonction de la capacité de la structure du comité ou du représentant en matière de SST à remplir son rôle, et d’exiger des changements si la structure n’est pas efficace.

Il convient de souligner que cet IPG est signé par le Directeur général, Direction du développement du programme et de l’orientation, Programme du travail, et sert à démontrer l’orientation générale à accorder au Code et, plus précisément, aux articles 135 et 137. De plus, bien que ce qui précède soit perçu comme faisant plus adéquatement partie du raisonnement à l’appui de ma décision en l’espèce, j’ai décidé d’insérer ces éléments au début de la présente décision afin d’illustrer le contexte dans lequel il convient de percevoir l’intervention de l’Ag.SST Ammoun dans le cadre d’une enquête sur une plainte.

[9]               L’Ag.SST Ammoun est d’abord intervenu dans cette affaire en mai 2010 suivant une plainte concernant une question d’éclairage formulée par un employé de Bell à l’un des emplacements du district que dessert le Comité 6005, plus précisément celui situé au 725, rue Colborne, London (Ontario). Le jour où il a reçu la plainte, l’Ag.SST Ammoun a été assigné à titre d’agent de service. Ainsi qu’il est précisé plus haut, la majeure partie des employés du district travaillaient au 100, rue Dundas, Talbot Square (79 %), donc pas à l’emplacement situé sur la rue Colborne, et, comme en fait foi la preuve, l’appelante comptait 496 employés dans le district, non pas près de 1 026 ainsi qu’il est indiqué dans le rapport de l’Ag.SST.

[10]           Il convient ici de souligner, une fois de plus pour permettre de mieux comprendre l’analyse qui suit, qu’une autre agente de santé et de sécurité, à savoir Marjorie L. Roelofsen, a rempli un rapport d’évaluation ou « vérification » relativement à ce même comité de santé et de sécurité, et ce, peu avant l’intervention de l’Ag.SST Ammoun dans la présente affaire, qui est survenue plus précisément le 20 août 2009; elle s’est servie des divers critères d’évaluation du rendement que le personnel du Programme du travail a élaborés à cette fin. L’Ag.SST a accepté, pour ce faire, l’invitation à assister à une réunion des membres du Comité 6005 lors de laquelle ont été discutés les rôles du comité et la manière de bien remplir les formulaires de signalement, soit les formulaires 499, 9911 et 976. Aux dires du coprésident du comité de l’employeur, K. Gilroy, l’Ag.SST a participé très activement à la réunion au cours de laquelle un ordre du jour complet a fait l’objet de discussions en présence de l’agente. Il était clairement indiqué dans le rapport que l’Ag.SST savait que ce comité, ainsi que les emplacements dont celui-ci était responsable, était un comité local général approuvé par un Ag.SST. Qui plus est, il y est indiqué que les noms des membres du comité figuraient dans les procès-verbaux des réunions du comité et qu’ils étaient affichés sur les babillards de même que sur le site intranet de Bell. Il était aussi indiqué dans le rapport que les employés pouvaient consulter le Code affiché sur le site intranet de Bell, et qu’ils pouvaient facilement consulter le Règlement d’application du Code affiché sur le site intranet de l’employeur. En guise de conclusion, l’Ag.SST responsable de la vérification a indiqué que le Comité 6005 [traduction] « semble être un CSST qui joue un rôle très important et qui assume bien ses attributions ». En ce qui a trait au rapport de vérification, l’Ag.SST Ammoun a déclaré, lors de son témoignage, qu’il était au courant que l’Ag.SST Roelofsen procédait à une vérification, mais qu’il n’était pas bien au fait de la mesure prise par celle-ci; il a aussi indiqué qu’il ignorait le contenu du rapport de vérification et qu’il ne s’est pas renseigné ni cherché à obtenir de renseignements au sujet de ce rapport.

[11]           Pendant son enquête/inspection dans le cadre de la plainte initiale (éclairage), l’Ag.SST Ammoun a relevé deux autres infractions au Code à l’emplacement situé sur la rue Colborne, plus précisément l’omission d’afficher le Code et celle d’afficher les noms des membres du comité. Il importe de souligner ici quant aux deux infractions liées à l’affichage qu’il ressort de la preuve présentée que cette information, pour la majorité des employés, bien qu’elle n’ait pas été affichée à l’époque sur le babillard dans le lieu de travail, chacun d’eux pouvait consulter cette information sur le site intranet de Bell – ils pouvaient se servir de leur ordinateur personnel installé à leur poste de travail pour accéder à ce site; c’est la raison pour laquelle l’avocate de l’appelante estime qu’il s’agit là d’infractions très mineures. Il convient de souligner, encore une fois, que le jour où les infractions ont été relevées, celles-ci étaient assujetties à une promesse de conformité volontaire (PCV) que l’employeur a convenu de signer, et Bell s’est empressée de corriger la situation conformément au plan de mesures correctives proposé. Au cours de la tenue de cette enquête, l’Ag.SST Ammoun a été informé du fait que l’appelante avait établi des comités locaux généraux de santé et de sécurité en Ontario, qu’une telle structure permet à un comité de s’occuper de plusieurs lieux de travail ou emplacements et que ces comités étaient dispersés en compétences syndicales locales. Ainsi, les comités 6004, 6005, 6006, 6007 et 6008 s’occuperaient de toutes les questions en matière de santé et de sécurité des employés des secteurs de la vente et du travail de bureau du SCEP de Bell Canada travaillant en Ontario, et le Comité 6005 était responsable de l’emplacement d’où provenait la plainte d’éclairage susmentionnée. Au cours de cette enquête/inspection initiale, l’Ag.SST s’est fait dire par la directrice associée de santé et sécurité au travail de l’employeur (Nancy Charlton), de même que par l’employeur lui-même et les coprésidents du Comité 6005 (Kali Gilroy et Martin Bloor) que les inspections mensuelles étaient effectuées sur une base individuelle – un district ou un lieu de travail. Aux dires de Mme Charlton, et ce pendant toutes ces années, l’employeur avait interprété le Code, et l’exemption ou les exemptions obtenues en vertu de la législation, comme signifiant que les emplacements faisant partie d’un territoire ou district (compétence syndicale) pouvaient faire l’objet d’une inspection mensuelle, permettant ainsi à l’ensemble du territoire/district d’être inspecté annuellement. Ainsi qu’il est précisé auparavant, l’Ag.SST Ammoun n’était pas d’accord avec cette interprétation; il estimait que chaque emplacement faisant partie intégrante du district constituait un lieu de travail distinct et individuel de sorte que les inspections en vertu du  Code devaient être effectuées sur une base individuelle et qu’une inspection mensuelle, en partie ou complète, devait être effectuée à chaque emplacement pour s’assurer qu’une inspection annuelle complète soit effectuée à chaque emplacement ou lieu de travail. Selon le coprésident des employés du comité qui a témoigné à l’audience, de même que les membres du comité (deux représentants de la direction, y compris le coprésident de l’employeur, et trois représentants des employés, entre autres le coprésident des employés), il aurait été difficile de considérer chaque emplacement comme un lieu de travail individuel étant donné la distance qui sépare les sites et les 108 inspections annuelles que cela représente. Ayant conclu que les infractions de l’emplacement situé sur la rue Colborne étaient fondées, plus précisément celle reliée à l’éclairage, l’Ag.SST Ammoun a conclu que l’infraction reliée à la question de l’éclairage aurait pu être relevée bien avant, si les inspections mensuelles avaient été effectuées à cet emplacement en particulier et qu’un comité local avait été établi pour réaliser les inspections exigées. Ainsi que l’a déclaré l’Ag.SST Ammoun lors de son témoignage à l’audience, c’est ce sur quoi reposait sa première instruction voulant que des inspections mensuelles soient effectuées à un emplacement/lieu de travail individuel. C’est aussi ce qui a incité l’Ag.SST à tenir une enquête quant à l’efficacité de la structure actuelle du comité.

[12]           L’Ag.SST Ammoun a lancé l’enquête quant à l’efficacité de la structure actuelle du comité de santé et de sécurité en communiquant avec les coprésidents des autres comités locaux généraux de l’employeur en Ontario. L’enquête a permis de confirmer que lesdits comités fonctionnaient tous de la même manière que le Comité 6005; d'après un survol de leurs dossiers d’inspection pour l’année 2009, tous ces comités effectuaient leurs inspections comme s’il s’agissait d’un district/lieu de travail, ce qui, de l’avis de l’Ag.SST, ne correspond pas à la manière de procéder exigée par le Code. Dans le cadre de l’enquête, l’Ag.SST Ammoun a aussi procédé à un examen de [traduction] « certains dossiers de conformité de l’employeur », qui l’a amené à conclure que le système de responsabilité interne (SRI) ne fonctionnait pas suffisamment bien, en général, dans lesdits emplacements de Bell Canada, pour permettre des inspections de lieu de travail comme l’exige la législation. Il est toutefois ressorti de la preuve présentée à l’audience qu’une grande partie de ces soit-disants dossiers de conformité n’avaient rien à voir avec le Comité 6005. Il a aussi conclu que la structure du comité local général qu’utilisait l’employeur ne convenait pas, étant donné qu’un SRI inadéquat, jumelé à l’ampleur et à la nature des activités de l’employeur, nuisait à son efficacité. En expliquant les raisons qui l’ont poussé à arriver à sa conclusion voulant que la structure actuelle du comité soit inappropriée, conclusion qui à son tour a donné lieu à une seconde instruction, l’Ag.SST Ammoun a indiqué dans son rapport de même que dans son témoignage à l’audience que sa conclusion reposait sur son évaluation des critères énoncés dans le document IPG susmentionné (907-1-IPG-051) et une note d’information que RHDCC a diffusée le 3 octobre 2003. Voici les éléments dont il a tenu compte qui figurent dans cet IPG :

-           la taille et la composition du comité;

-           le nombre d’employés que représente le comité au total;

-           la taille physique du lieu de travail et la situation géographique des édifices;

-           la capacité du comité à procéder à des inspections régulières avec efficacité et à     participer aux enquêtes sur les situations comportant des risques;

-           l’esprit du Code et la raison pour laquelle il existe un comité de santé et de sécurité;

-           la position du Programme du travail concernant la représentation du comité.

Après avoir appliqué ces critères, l’Ag.SST a décidé que le Comité 6005 ne comptait pas un nombre suffisant de représentants des employés pour le nombre d’employés qui travaillent pour le compte de l’employeur – 9 emplacements situés dans 6 villes du sud-ouest de l’Ontario – et qu’il avait donc omis de s’assurer que tous les employés étaient représentés adéquatement. Il a alors conclu que la structure actuelle du comité empêchait le comité de fonctionner efficacement et que sa conclusion était renforcée par le fait que l’employeur n’ait pas effectué les inspections exigées. Au cours de l’audience, K. Gilroy, le coprésident du Comité 6005 représentant l’employeur, a expliqué qu’il se peut que le comité ait, à un moment donné, représenté 1026 employés, dans 6 villes, à 9 emplacements, et que le comité comptait seulement deux membres représentant l’employeur et trois membres représentant les employés, incluant, dans les deux cas, les coprésidents; toutefois, à la suite d’une réduction de l’effectif, le nombre d’employés est passé à un peu plus de 500, dans 5 villes, à 8 emplacements, et le comité est alors passé à quatre membres représentant chaque côté, la plupart d’entre eux se trouvant à l’emplacement situé au 100 rue Dundas (London), car la vaste majorité des employés, soit plus de 70 %, travaillaient à cet endroit, par le passé.

[13]           L’avocate de l’appelante a longuement interrogé l’Ag.SST Ammoun au cours de l’audience. Normalement, l’avocate utiliserait, entre autres, les réponses qu’il lui a fournies, et par le fait même à l’agent d’appel soussigné, pour formuler ses observations à l’appui de sa position à l’appel. Cependant, en l’espèce, les réponses obtenues dans le cadre de cet examen correspondent davantage à ce que l’Ag.SST n’a pas fait ou ce dont il n’a pas tenu compte en arrivant à ses conclusions, plus précisément en ce qui concerne la seconde instruction quant à l’efficacité de la structure du comité. Ainsi, j’ai décidé de décrire ces réponses à ce stade-ci de ma décision étant donné que ces nombreux éléments ont servi comme toile de fond à la formulation de mes conclusions en ce qui concerne cette seconde instruction. Les éléments suivants proviennent de son témoignage :

- L’Ag.SST Ammoun n’a assisté à aucune des réunions tenues par le Comité 6005. Il ne se souvient pas s’il était invité, mais il n’y aurait pas assisté même s’il avait été invité parce que, selon lui, cela n’aurait pas aidé à comprendre le fonctionnement du comité. Il estimait suffisant de simplement examiner les rapports du comité.

- L’Ag.SST n’a pris part à aucun examen de la part du comité des divers rapports/plaintes présentés par les employés relevant du champ de compétence du comité et n’a pas non plus pris part à d’autres activités des membres du comité dans l’exercice de leur mandat.

- Il ne s’est pas renseigné quant au nombre d’employés qui travaillaient à l’époque à chacun des emplacements relevant du champ de compétence du comité.

- L’Ag.SST a demandé des renseignements généraux sur la formation que recevaient les membres du comité; il a appris l’existence d’une formation permanente, mais il n’a pas cru pertinent de se renseigner pour savoir à quel point tous les membres assistaient à la formation.

- Exception faite du procès-verbal de l’une des réunions du comité qui s’est déroulée le 20 mai 2010, M. Ammoun n’a pas jugé pertinent d’examiner les procès-verbaux d’autres réunions du comité dans la préparation de ses instructions.

- L’Ag.SST a omis de considérer comme étant pertinent le nombre de réunions que le comité a tenues au cours de l’année qui a précédé son intervention.

- L’Ag.SST Ammoun ne s’est présenté à aucune des inspections réalisées par des membres du Comité 6005, même après y avoir été invité.

- Il n’a pas posé de questions au sujet du genre de problèmes de non-conformité décelés normalement lors des inspections (graves ou mineurs) et il ne s’est pas non plus renseigné quant à la façon dont les membres du comité procédaient pour régler les questions avec la direction ou quant à la rapidité avec laquelle elles étaient réglées.

- Il ne s’est pas renseigné sur les plaintes ou préoccupations classiques des employés auxquelles feraient face les membres du comité.

- Il n’a pas posé de questions quant au niveau de participation du comité dans les enquêtes menées par l’employeur.

- L’Ag.SST n’a pas examiné le genre de blessures souvent signalées par les employés relevant du champ de compétence du Comité 6005; il ne s’est pas non plus renseigné quant à la rapidité avec laquelle le comité règle les problèmes et les plaintes soulevés par les employés. De plus, aucune démarche n’a été effectuée visant à obtenir des renseignements au sujet de la participation du comité à la mise en œuvre et à la surveillance des programmes de santé et de sécurité.

- Dans un même ordre d’idées, l’Ag.SST Ammoun n’a pas consulté la base de données de RHDCC pour déterminer si le Comité 6005 avait fait l’objet d’une vérification ou avait été évalué au chapitre de la conformité au Code, et il n’a pas non plus tenu compte ou examiné les résultats de la vérification de l’Ag.SST M.L. Roelofsen en date du 20 août 2009, qui traite essentiellement de la plupart, sinon de tous les éléments dont l’Ag.SST Ammoun n’a pas tenu compte, estimant que ces conclusions n’avaient aucune incidence sur l’affaire sur laquelle il se penchait, à savoir l’efficacité de la structure du Comité 6005.

- Le fait que le syndicat représentant les employés (SCEP) était satisfait de la structure actuelle du Comité 6005 était, à ses yeux, non pertinent.

Questions(s) en litige

[14]           Ainsi que je l’ai signalé au départ, deux instructions sont contestées dans le cadre du présent appel, si bien qu’il y a une question à trancher propre à chacune de ces instructions. En ce qui a trait à la première instruction – aux termes de laquelle l’employeur doit s’assurer que les neufs édifices/emplacements faisant partie du district de l’Ouest-ontarien de Bell fassent l’objet d’une inspection complète ou partielle à titre de lieux de travail individuels – la question en litige est la suivante : est-ce que  Bell a enfreint l’alinéa 125(1)z.12) du Code en autorisant le Comité 6005 à considérer les emplacements qui composent le district comme étant un seul lieu de travail et, ainsi, à inspecter une partie des édifices/emplacements chaque mois de manière à ce que l’ensemble des édifices/emplacements ait été inspecté au cours de l’année?

[15]           Aux termes de la deuxième instruction, Bell doit établir un comité de santé et de sécurité au travail distinct pour chaque édifice/emplacement (il y en a 9) faisant partie du district de l’Ouest-ontarien, car [traduction] « l’agent de santé et de sécurité a conclu que la taille des secteurs de l’entreprise desservis par le comité en place (le Comité 6005) exclut qu’un seul comité de santé et de sécurité au travail puisse fonctionner de manière efficace » et desservir tous ces édifices/emplacements. Par conséquent, en ce qui a trait à la deuxième instruction, la question en litige est la suivante : est-ce que la preuve recueillie par l’Ag.SST ou présentée à l’audience appuie la conclusion tirée par l’agent de santé et de sécurité?

Observations de l’appelante

[16]           Les observations de l’appelante ont été présentées par écrit et, par conséquent, font partie du dossier. Cela étant, et compte tenu de la description détaillée du contexte dans les paragraphes ci-dessus, il n’est pas nécessaire de reproduire de manière détaillée les observations qui ont été versées au dossier. Par conséquent, voici un sommaire des observations de l’appelante.

[17]           En ce qui concerne la première instruction, l’avocate de l’appelante a formulé la question en litige à peu près de la même façon que le soussigné. D’après Mme Tremblay, la question centrale est la suivante : est-ce que l’appelante, en ayant recours au comité de santé et de sécurité pour se conformer à son obligation en matière d’inspection en vertu du Code, a enfreint cette obligation exposée à l’alinéa 125(1)z.12) de la loi en demandant au Comité 6005 d’inspecter tous les mois une partie du territoire ou des édifices dont elle était responsable de façon à ce qu’à la fin de l’année la totalité du territoire ou des édifices ait été inspectée au moins une fois? Si la réponse à cette question est négative, compte tenu des circonstances au moment de l’enquête, il faudrait conclure que l’instruction était dépourvue de fondement et il faudrait annuler l’instruction. Autrement dit, il serait difficile pour le soussigné de conclure que l’appelante a enfreint le Code si cette dernière faisait à l’époque ce qu’elle était tenue de faire en vertu du Code et d’une manière autorisée par l’organisme d’exécution. Selon l’avocate de l’appelante, pour répondre à cette question, il faut décider si le « lieu de travail » dont il est question à l’alinéa 125(1)z.12) est le champ sur lequel le Comité 6005 a compétence (et, par conséquent, il y aurait un seul lieu de travail), ou si chaque édifice relevant de ce champ de compétence est un lieu de travail distinct (et, par conséquent, chacun serait visé par l’obligation d’inspecter chaque mois tout ou partie du lieu de travail, de façon que celui-ci soit inspecté au complet au moins une fois par année). 

[18]           Sur ce point, l’appelante soutient qu’en approuvant la structure du Comité 6005 (et d’autres comités) aux termes du paragraphe 135(6) et conformément à l’article 137 du Code, et en concluant en particulier que Bell s’était conformée à l’alinéa 125(1)z.12) du Code sur la base de la structure approuvée et des calendriers d’inspection existants, le Programme du travail a confirmé que le « lieu de travail » pour lequel le comité avait été établi correspond au champ ou au territoire sur lequel il a compétence; autrement dit, le Programme du travail a confirmé que le champ de compétence du comité et le lieu de travail qui se rattache au comité sont identiques. Cela s’accorderait avec l’esprit et les dispositions du Code. De l’avis de l’avocate de l’appelante, l’interprétation téléologique qui s’impose de la définition de « lieu de travail » au paragraphe 122(1) du Code, jumelée aux dispositions connexes, soit les alinéas 125(1)z.12) et 135(7)k), ainsi qu’au paragraphe 135(6) et à l’article 137, indique clairement qu’un comité local se rattache à un lieu de travail et que le sens qu’il convient d’attribuer au terme « lieu de travail » dans le cadre d’une telle interprétation téléologique est celui qui correspond au champ de compétence du comité.

[19]           Ainsi, au paragraphe 135(7), la liste des attributions du comité local est fournie « pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il est constitué » (en anglais, « work place for which it is established »), si bien que si un comité local est responsable de multiples emplacements ou édifices, le lieu de travail pour lequel il est constitué correspondrait au champ sur lequel le comité a compétence ou, autrement dit, à l’ensemble des emplacements ou édifices pour lesquels le comité a été constitué.

[20]           De même, d’après l’avocate de l’appelante, le Code prévoit que lorsqu’un comité existe déjà aux termes du paragraphe 135(6), il est réputé être un comité local, et les droits et obligations des employeurs et des employés en vertu du Code ainsi que les dispositions connexes de ce dernier doivent être mis en application « avec les adaptations nécessaires » (en anglais, « with any modifications that the circumstances require »). Par conséquent, dans cette optique, l’appelante soutient que lorsqu’un comité existe déjà aux termes du paragraphe 135(6) du Code, le lieu de travail pour lequel il a été constitué, à savoir le champ de compétence de ce comité, est le lieu de travail en vertu de ladite disposition du Code.

[21]           De l’avis de l’avocate de l’appelante, il est clair que cette interprétation concorde avec la formulation du texte législatif. Or, l’appelante soutient également que les outils administratifs élaborés par le Programme du travail, à savoir la DPO et les IPG cités ci‑dessus, démontrent que l’organisme d’exécution (soit le Programme du travail de RHDCC) souscrit à cette interprétation.

[22]           L’avocate de l’appelante souhaite que je tire la conclusion suivante : il est clair que l’Ag.SST Ammoun a commis une erreur en concluant qu’il faut procéder à plus d’une inspection de chaque partie du lieu de travail, soit le résultat recherché par l’Ag.SST en concluant que chaque édifice faisant partie du territoire constitue un milieu de travail distinct alors que c’est le territoire sur lequel le comité a compétence qui constitue le lieu de travail. Elle pousse plus loin son interprétation du Code en affirmant que le Code exige seulement que chaque partie du lieu de travail soit inspectée au moins une fois par année (peu importe l’identité du lieu de travail, c’est-à-dire que [traduction] « le lieu de travail soit constitué d’un ou de plusieurs édifices »), et dans la mesure où chaque partie du lieu de travail est inspectée au moins une fois par année, il est entièrement du ressort du comité de diviser les parties du lieu de travail comme il l’entend en vue d’établir le calendrier des inspections mensuelles.

[23]           L’avocate de l’appelante a terminé cette première partie de ses observations en affirmant que, en ce qui concerne la première instruction, la preuve démontre que le Comité 6005 inspecte tous les mois certaines parties du lieu de travail qui relève de sa compétence et que, au terme de l’année, il a inspecté au moins une fois chaque partie du lieu de travail relevant de sa compétence. Ainsi, l’appelante soutient qu’il n’y a pas d’infraction à l’alinéa 125(1)z.12) du Code.

[24]           En ce qui concerne la deuxième instruction, l’avocate de l’appelante note que la décision de l’Ag.SST Ammoun repose sur deux éléments : premièrement, les infractions qu’il a relevées durant son inspection/enquête du 7 juin 2010 et, deuxièmement, son enquête sur les activités du Comité 6005. Selon l’avocate de l’appelante, les conclusions de l’Ag.SST sont incompatibles : premièrement, avec l’approbation officielle de la structure actuelle du comité accordée par le truchement de l’exemption en date du 24 novembre 2009; et, deuxièmement, avec la confirmation en date du 20 août 2009 que la structure du comité est conforme, à la suite d’une évaluation/vérification des activités du comité. L’avocate de l’appelante estime que les conclusions de l’Ag.SST sont fondées sur un examen très restreint des faits, sur trois infractions mineures immédiatement corrigées par l’employeur et sur une prise en considération inadéquate des critères établis par le Programme du travail pour l’évaluation des comités responsables de multiples emplacements.

[25]           En ce qui a trait à l’exemption aux termes du paragraphe 135(6), l’avocate de l’appelante a soutenu qu’elle était encore en vigueur au moment de l’enquête de l’Ag.SST Ammoun et de la délivrance des deux instructions. Grâce à cette exemption, le Comité 6005 avait l’autorisation de fonctionner comme il fonctionnait depuis plus de dix ans. Contrairement à ce que croyait l’Ag.SST, cette exemption n’avait pas expiré le 9 janvier 2010, soit la date d’entrée en vigueur de la plus récente convention collective applicable aux employés de bureau de Bell. Il ne s’agissait pas de la date à laquelle l’exemption devait expirer, comme il en ressort clairement de la formulation de cette exemption; de plus, il ne s’agissait pas de la date à laquelle la convention collective précédente avait expiré, soit le 31 mai 2009, ladite exemption ayant été accordée le 24 novembre 2009, après l’expiration de cette convention collective. Sur ce point, l’avocate de l’appelante soutenait essentiellement que lorsque le texte de l’exemption fait état d’une entente entre les parties, le terme « entente » ne renvoie pas à la convention collective, mais à une autre entente distincte de toute convention collective et conclue uniquement dans le but d’obtenir ladite exemption. Ici, on fait renvoi aux mots « aux termes […] d’un autre accord conclu entre l’employeur et ses employés », au paragraphe 135(6) du Code. Par conséquent, l’avocate de l’appelante soutient que l’exemption demeurera en fait valide jusqu’au 24 novembre 2014 (soit pour une période de cinq ans après sa délivrance), étant donné que l’entente en date du 1er juin 2008 qui était à l’origine de l’exemption ne comportait pas de date d’expiration. L’appelante ne soutient pas que la date déterminante pour ce qui est de l’expiration de l’exemption dépend de la date de la convention collective; mais si tel était le cas, l’exemption demeurerait valide – selon la formulation de l’exemption – jusqu’à la date d’expiration de la convention collective, soit le 31 mai 2013. Donc, en termes simples, quelle que soit la date servant de point de départ au calcul, l’exemption était en vigueur au moment de l’enquête et de la délivrance des instructions de l’Ag.SST Ammoun, si bien que ce dernier a commis une erreur en donnant sa deuxième instruction.

[26]           L’appelante a également fait valoir qu’aucun des motifs énoncés par l’Ag.SST durant son témoignage ne justifiait la délivrance d’une instruction contredisant l’exemption valablement accordée aux termes de l’alinéa 135(6)a). L’avocate de l’appelante soutient que, au contraire, il ressort de la preuve présentée à l’audience, soit les témoignages et la documentation écrite, que :

-           la structure du comité est très stable depuis au moins 1999;

-           le Comité 6005 est très actif et fonctionne bien;

-           le Comité 6005 exécute ses responsabilités d’une manière proactive et, dans de nombreux domaines, dépasse les attentes établies dans le Code;

-           exception faite des deux instructions émises en 2010 par l’Ag.SST Ammoun, il n’y a eu aucune autre instruction visant le Comité 6005 et son fonctionnement;

-           les employés et les représentants des employés sont entièrement satisfaits de la structure actuelle du Comité 6005;

-           les trois seules infractions relevées par l’Ag.SST Ammoun étaient mineures et ont été corrigées immédiatement par l’employeur.

En ce qui concerne la question plus précise du fonctionnement du Comité 6005, il ressort de la preuve que :

- le comité est régi par des règles et procédures élaborées conjointement par Bell et le SCEP conformément au Code. Ces règles et procédures portent sur toutes les questions pertinentes, notamment la structure du comité, l’établissement du calendrier des réunions, la procédure durant les réunions, les responsabilités du comité, l’accès à l’information et d’autres sujets connexes se rapportant au comité d’orientation et aux comités locaux;


- tous les employés et gestionnaires qui se joignent au comité participent à une séance de formation qui porte sur divers sujets, tels que l’interprétation du Code, la structure et les réunions du comité, les inspections ainsi que la façon de remplir les divers formulaires de rapport. De plus, ils reçoivent de la documentation de référence. Une formation supplémentaire est offerte tous les deux mois pour s’assurer que tous les membres du comité demeurent à jour au sujet des droits et obligations du comité, notamment les inspections du lieu de travail, le processus interne de règlement des plaintes, les enquêtes sur les accidents. Au besoin, de la documentation additionnelle est fournie dans le cadre de cette formation;


- en règle générale, le Comité 6005 se réunit une fois par mois et douze réunions sont prévues au cours de l’année pour assurer que les membres se réunissent au moins neuf fois par année (le nombre minimal selon le Code). Un des coprésidents rédige le procès-verbal de chaque réunion et ce procès-verbal est examiné par les membres le jour de la réunion suivante. Le procès-verbal aborde toutes les questions se rapportant aux activités du comité. Habituellement, les réunions durent de deux à trois heures et se tiennent le matin; les après-midi sont réservés aux inspections du lieu de travail. Des réunions spéciales sont tenues lorsqu’il y a des activités de construction importantes dans un édifice;


- au début de chaque année, le calendrier d’inspection du Comité 6005 est établi de manière à ce qu’une partie de son territoire soit inspecté chaque mois et de manière à ce que l’ensemble du territoire ait été inspecté à la fin de l’année. Bell et le SCEP (et son prédécesseur) mènent à bien les inspections du lieu de travail de cette manière depuis au moins 1999, sans qu’il y ait eu de plainte. Les membres du comité reçoivent une formation sur la manière d’effectuer des inspections conformément au module de formation de l’employeur. Une fois qu’ils ont suivi cette formation, tous les membres sont appelés à réaliser des inspections mensuelles en équipes de deux personnes (un représentant des employés et un représentant de l’employeur). Le calendrier des inspections est établi en fonction de critères précis et toutes les inspections sont consignées dans des rapports d’inspection affichés et archivés indéfiniment sur l’intranet de Bell. Tout élément non conforme relevé durant l’inspection est porté à l’attention du gestionnaire responsable, afin que ce dernier prenne les mesures correctives requises;


- le comité participe aux enquêtes de l’employeur sur les accidents ou incidents, habituellement en assignant un membre-employé à collaborer à l’enquête avec le gestionnaire et l’employé qui a signalé la blessure. Entre 2008 et 2010, il y a eu 21 blessures mineures et seulement deux blessures invalidantes qui relevaient de la compétence du Comité 6005;


- le comité surveille les programmes de sécurité au travail, tels que le processus de prévention des accidents et le programme d’ergonomie. Il participe aussi au processus interne de règlement des plaintes (PIRP) : les coprésidents du comité sont avisés immédiatement du dépôt d’une plainte (formulaire 9911), demeurent en contact avec le gestionnaire touché et, si ce dernier n’est pas en mesure de régler la plainte, font appel au comité pour intervenir dans le dossier;

- à chaque réunion, les membres du comité examinent toutes les plaintes (formulaires 9911) et tous les rapports sur les blessures et les accidents ou incidents (formulaires 976), de même que les refus de travailler, le cas échéant (il n’y en a pas eu de 2008 à 2010);

- enfin, les membres du comité collaborent avec les agents de santé et de sécurité, au besoin.

[27]           À la lumière de ce qui précède, l’avocate de l’appelante affirme que l’évaluation des activités du Comité 6005 par l’Ag.SST Ammoun était totalement superficielle. Selon elle, l’Ag.SST n’a pas du tout su évaluer adéquatement le fonctionnement du comité et a même refusé d’assister à une des réunions mensuelles du comité, malgré l’invitation des membres du comité; de plus, dans son évaluation des activités, il a notamment reconnu s’être fié à des dossiers de conformité qui n’avaient aucun rapport avec les activités du Comité 6005.

[28]           L’avocate de l’appelante a terminé ses observations sur ce point en notant que l’Ag.SST Ammoun avait sciemment restreint son examen à quelques éléments, soutenant qu’il avait raison d’ignorer plusieurs facettes importantes de l’exercice par le comité, de ses responsabilités. Ainsi, bien que l’Ag.SST Ammoun ait témoigné s’être fié aux critères exposés dans le document IPG-051 du Programme du travail pour en arriver à sa conclusion, il n’a même pas examiné tous les critères élaborés par le Programme du travail dans cet IPG avant de formuler cette conclusion. Selon l’avocate de l’appelante, en plus des lacunes énumérées au paragraphe 13 ci-dessus, l’Ag.SST a omis de prendre en considération : la gamme de tâches effectuées par les employés et les dangers associés à celles-ci; le nombre et la gravité des situations dangereuses; la taille physique du lieu de travail et la capacité du Comité 6005 à procéder à des inspections régulières avec efficacité et à participer aux enquêtes sur les situations comportant des risques; et les résultats du Rapport d’évaluation d’un comité local (vérification) rédigé par l’Ag.SST Roelofsen au sujet du Comité 6005 en août 2009, moins d’un an auparavant. Au lieu, tel que l’a noté l’avocate de l’appelante, l’Ag.SST a reconnu avoir restreint son examen aux facteurs suivants : la taille du comité; le nombre total d’employés dans le lieu de travail (à la suite d’une réorganisation, ce nombre est maintenant beaucoup moins élevé); la situation géographique des édifices; et le calendrier des inspections mensuelles du comité.

[29]           Selon l’avocate de l’appelante, un examen aussi superficiel des activités du comité ne peut justifier la délivrance d’une instruction ayant pour effet d’invalider la structure du comité bien que, depuis au moins dix ans, cette dernière n’ait soulevé aucune préoccupation sur le plan de la sécurité. Par conséquent, l’avocate de l’appelante demande à l’agent d’appel soussigné : de reconnaître que le comité fonctionne bien avec la structure approuvée dans le cadre de l’exemption; et de conclure que l’appelante s’est conformée au Code.

Analyse

[30]           Ainsi que je l’ai signalé au départ, personne ne conteste les présents appels et, par conséquent, les avis exprimés à l’audience et les observations présentées par écrit représentent la démarche et les avis communs de l’employeur (l’appelante) et du SCEP (à titre de représentant des employés de l’appelante aux divers emplacements relevant de la compétence du Comité 6005). Ainsi, j’ai à me pencher sur une seule position, à savoir que les deux instructions délivrées par l’Ag.SST Ammoun étaient injustifiées et devraient être annulées. Pour décider si je dois souscrire à cette position, je dois prendre en considération, en plus de la preuve présentée à l’audience, un certain nombre de dispositions du texte législatif, plus précisément le paragraphe 122(1) du Code qui définit le terme « lieu de travail », les paragraphes 135(1) et (6), les alinéas 135(6)a) et b) et 125(1)z.12), ainsi que l’article 137. En examinant ces dispositions, je dois garder à l’esprit l’article 12 de la Loi d’interprétation (L.R., 1985, ch. I-21), qui prévoit que « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Il faut également tenir compte de deux autres textes, soit des outils administratifs du Programme du travail devant servir à l’interprétation et à l’application du texte législatif, car ces textes ont une incidence directe sur la présente affaire. Il s’agit des documents DPO‑907‑1 et 907-1-IPG-051, dont les sections pertinentes ont été citées ci-dessus. Il faut interpréter ces divers textes de manière téléologique, en tenant compte de la volonté d’accorder des responsabilités accrues aux comités de santé et de sécurité au travail lors des modifications apportées au Code en 2000. Ainsi, je souscris à l’avis de l’avocate de l’appelante selon lequel il convient d’adopter une approche téléologique. De plus, il ne faut pas hésiter à supposer qu’un employeur assujetti aux dispositions du Code a raison de s’attendre – à moins qu’il n’existe des différences importantes – à une application cohérente du texte législatif à son égard.

[31]           J’ai examiné très attentivement les observations formulées par l’appelante à l’appui de sa position concernant les deux instructions. Normalement, à cette étape de l’exposé de ma décision, je présenterais un exposé raisonné des conclusions auxquelles je suis arrivé, étant donné que dans des circonstances normales il y aurait eu deux parties faisant valoir chacune leur côté des questions en litige, si bien que j’aurais à indiquer et à expliquer les éléments que j’admettrais et qui fonderaient mes propres conclusions. Toutefois, dans la présente affaire, ainsi que je l’ai signalé au départ et tel qu’il ressort clairement de tout ce qui précède, une seule position est mise de l’avant puisque l’employeur et le syndicat qui représente les employés touchés ont indiqué qu’ils sont du même avis concernant les présents appels incontestés. Ainsi, j’ai l’obligation d’examiner à nouveau les questions sur lesquelles l’Ag.SST a précédemment rendu une décision et de le faire à la lumière des renseignements recueillis par l’Ag.SST ainsi qu’à la lumière des éléments présentés au soussigné dans le cadre de l’audience, puis de soupeser tous ces éléments en vue d’arriver à mes propres conclusions. Le fait demeure que dans des circonstances telles que les présentes, où la preuve et les observations semblent très fortement favorables à la position avancée par l’appelante, comme on le constate dans tout ce qui précède, il n’y a pas lieu que le soussigné décrive de manière approfondie les motifs de sa décision, d’autant plus que je souscris presque entièrement au raisonnement et aux avis de l’appelante concernant les deux directives. Ainsi, je vais m’en tenir à un minimum de remarques, car je suis persuadé qu’il est possible d’acquérir une compréhension complète de la présente affaire grâce aux renseignements exposés tout au long de la présente décision.

[32]           En ce qui a trait à la première instruction, le concept de « lieu de travail », qui est au cœur de l’obligation imposée à tout employeur d’établir des comités de santé et de sécurité au travail, est défini comme suit au paragraphe 122(1) du Code : « [t]out lieu où l’employé exécute un travail pour le compte de son employeur ». Manifestement, une telle définition, du fait que sa formulation n’est pas limitative, indique que le concept est très souple et se prête à une variété d’interprétations pour ce qui est de son étendue. Ainsi, je souscris entièrement à l’affirmation ci-dessous tirée du document IPG-051, élaboré par le Programme du travail de RHDCC pour aider les agents d’exécution de la loi, tels que les Ag.SST à bien comprendre le texte législatif et à l’appliquer de manière libérale tel que l’exige la Loi d’interprétation en vue d’assurer la réalisation des objectifs du texte législatif : « [p]uisque cette définition ne se fonde pas sur la géographie ou d’autres critères particuliers, elle laisse une grande latitude dans la détermination de ce qui constitue un lieu de travail (par exemple, un lieu de travail peut être composé de plusieurs bâtiments à différents endroits d’une même ville, ou même dans différentes villes) ». De plus, le paragraphe 135(1) établit l’obligation générale fondamentale imposée à tout employeur de constituer, pour « chaque lieu de travail » placé sous son autorité, un comité local chargé d’examiner les questions qui concernent « le lieu de travail » en matière de santé et de sécurité; ainsi l’obligation englobe deux éléments ou concepts qui sont indissociables, soit la composition concrète du comité et le champ de compétence du comité. Le simple fait qu’à l’intérieur de la même disposition et qu’aux termes d’autres dispositions, à savoir le paragraphe 135(6) et l’article 137, le Code prévoit des exceptions à la règle générale exposée au paragraphe 135(1) – en l’espèce, l’exception repose sur « un autre accord [autre qu’une convention collective] conclu entre l’employeur et ses employés » – permet de conclure que le champ de compétence d’un comité peut être étendu au-delà du champ de compétence traditionnel, à savoir celui qui correspond à un seul emplacement ou à un seul lieu de travail. Toutefois, il n’est pas possible de mettre en place l’exception à la règle générale en agissant de manière unilatérale, comme l’atteste le paragraphe 135(6) qui exige qu’une exemption soit obtenue d’un agent de santé et de sécurité lorsque, aux termes de la convention collective ou d’un autre accord conclu entre l’employeur et ses employés (dans certains cas, représentés par un agent négociateur), les parties ont convenu d’établir un autre modèle de comité dont les droits et les obligations sont adaptés aux circonstances.

[33]           En l’espèce, il ressort de la preuve que l’employeur et le représentant des employés fonctionnent ainsi depuis plus de dix ans sans que le Programme du travail ne s’y oppose. De plus, il ressort également de la preuve que seulement quelques mois avant l’intervention de l’Ag.SST Ammoun, une autre Ag.SST du Programme du travail avait observé, confirmé et approuvé le fonctionnement du comité, comme le démontre les résultats de la vérification du Comité 6005. À la lumière de ce qui précède, il reste une question à trancher : est-ce que, au moment de l’inspection ou de l’enquête et de la première instruction de l’Ag.SST, il y avait une exemption en vigueur qui autorisait l’appelante à procéder comme elle l’a fait et comme elle avait l’intention de continuer de le faire pour ce qui est de l’inspection du lieu de travail qui constituait, à son avis, le district de l’Ouest-ontarien. Dans son rapport et à l’audience, l’Ag.SST Ammoun a indiqué que, à son avis, aucune exemption n’était en vigueur. Par contre, l’appelante soutient le contraire.

[34]           À mon avis, l’exemption aux termes du paragraphe 135(6) du Code était pleinement en vigueur au moment de l’intervention de l’Ag.SST Ammoun. Bien que ma conclusion sur cette question ne puisse ignorer ni le fonctionnement antérieur du comité (l’appelante et le SCEP et son prédécesseur, et par conséquent le comité 6005, fonctionnent de la même manière – c’est-à-dire selon la formule un comité et un territoire – depuis plus de dix ans), ni le fait que peu avant l’intervention de l’Ag.SST Ammoun une autre Ag.SST avait effectué une vérification du comité et de son fonctionnement et avait conclu que tout était en règle, ma conclusion repose essentiellement sur ma conclusion précédente selon laquelle une exemption accordée aux termes du paragraphe 135(6) ne se limite pas à la composition du comité local, mais s’étend et s’applique aussi à la constitution du lieu de travail si bien qu’un lien logique est maintenu entre la composition du comité (le nombre de membres), le mandat du comité (c’est-à-dire le nombre d’inspections) et le champ de compétence du comité. De plus, il y a le fait – essentiel à la présente question – que, à mon avis, compte tenu des termes au début du paragraphe 135(6) (« […] un autre accord conclu entre l’employeur et ses employés »), le texte et la date de l’entente entre l’appelante et le SCEP et le texte de l’exemption qui prévoit une durée de cinq ans alors que l’entente initiale entre ces parties ne comporte aucune date d’expiration de leur entente, le maintien en vigueur de l’exemption doit être perçu comme étant distinct, séparé et indépendant de la convention collective entre les parties, que cette dernière soit en vigueur, expirée ou renouvelée. Si je devais conclure qu’il y a un lien entre les deux, dans les circonstances de l’espèce, je souscris à l’avis exprimé par l’avocate de l’appelante selon lequel, même dans de telles circonstances, compte tenu des dates de l’entente et de la date de renouvellement de la convention collective, cela n’aurait aucune incidence sur la validité de l’exemption.

[35]           Par conséquent, je conclus qu’étant donné qu’une exemption valide accordée à Bell et au SCEP relativement au Comité 6005 était en vigueur au moment de l’intervention de l’Ag.SST Ammoun, l’appelante Bell n’enfreignait pas l’alinéa 125(1)z.12) du Code; de plus, elle n’enfreindrait pas ladite disposition si elle continuait d’effectuer les inspections du lieu de travail selon la formule un comité et un territoire,  pour ce qui est du Comité 6005 et du district de l’Ouest-ontarien.

[36]           Cela m’amène à examiner la deuxième instruction de l’Ag.SST Ammoun se rapportant à l’efficacité de la structure du Comité 6005. D’abord il est important de noter que, peu importe la situation qui existait relativement à ce comité local et peu importe la structure qui régissait son fonctionnement avant l’intervention de l’Ag.SST Ammoun, il n’y a aucun doute dans mon esprit qu’il était tout à fait dans les limites des attributions d’un agent de santé et de sécurité (en l’espèce, de l’Ag.SST Ammoun) d’examiner une telle structure et un tel comité pour vérifier s’il est conforme ou s’il demeure conforme aux exigences et à l’objectif du Code, soit la protection de la santé et de la sécurité des employés qui relèvent du comité et, par conséquent, pour vérifier s’il s’agit d’une structure efficace et productive.

[37]           Cette évaluation par un Ag.SST, de par sa nature même, doit reposer sur un ensemble de données factuelles et de circonstances, car une telle évaluation d’un tel comité doit être fondée sur les faits et circonstances propres au comité. Cela étant dit, il peut y avoir d’autres éléments à prendre en considération, par exemple des précédents, des politiques ou des dispositions législatives qui, à mon avis, ne peuvent être ignorés. En l’espèce, il y a de tels éléments.

[38]           Premièrement, il est clair à la lecture des articles 135 et 137 du Code qu’une structure de comité telle que celle mise en place par l’appelante pour le district de l’Ouest-ontarien, soit le Comité 6005, est tout à fait possible et permise aux termes du Code. De plus, selon le document 907-1-IPG-051 applicable, il est clair que le Programme du travail, à qui incombe le mandat d’appliquer le Code au nom du ministre du Travail, reconnaît la possibilité de définir un lieu de travail comme l’a fait le Comité 6005. En outre, la DPO 907-1 du Programme du travail, reconnaissant qu’un agent de santé et de sécurité est habilité à évaluer le fonctionnement et l’efficacité d’une structure de comité précise, stipule qu’une telle évaluation doit faire usage d’un certain nombre de critères ou d’indices de rendement, ce qui nécessite l’examen des circonstances de fait se rapportant au comité et/ou à la structure de comité faisant l’objet de l’évaluation.

[39]           En plus de ce qui précède, on ne peut ignorer que le Comité 6005 et sa structure, de même que de nombreux autres comités sous l’égide du même employeur, sont en place depuis plus de dix ans et fonctionnent sans entraîner de fautes, du moins aucune n’a été portée à l’attention du présent agent d’appel durant l’audition des présents appels.  De plus, il ne faut pas ignorer le fait que, à la suite d’une vérification réalisée par une autre Ag.SST du Programme du travail quelques mois avant l’intervention de l’Ag.SST Ammoun, l’appelante avait été avisée que le Comité 6005 fonctionnait bien; par conséquent, à mon avis, pour qu’une évaluation subséquente mène à une instruction ordonnant des changements majeurs au comité de santé et de sécurité (tels que la modification de sa structure), il faudrait que cette évaluation relève des fautes majeures dans le fonctionnement du comité étant donné que je suis d’avis, comme je l’ai signalé précédemment, que l’employeur est en droit de s’attendre à une certaine cohérence dans l’application du Code. À ce chapitre, l’appelante a noté que l’Ag.SST Ammoun avait fondé sa deuxième instruction, au moins en partie, sur le fait qu’il avait relevé trois infractions commises par l’employeur, dont deux que l’avocate de l’appelante a qualifiées de mineures. Bien que j’hésiterais certainement à qualifier toute infraction au texte législatif de « mineure », je dois noter qu’en ce qui concerne ces deux infractions – l’une ayant trait à l’affichage du Code et l’autre à l’affichage des membres du Comité 6005 – leur gravité était certainement atténuée du fait que, d’après la preuve, pour la grande majorité des employés relevant du champ de compétence du comité, il était possible d’accéder à ces renseignements sur l’Intranet de Bell au moyen de leurs ordinateurs individuels.

[40]           Cela étant dit, bien que l’Ag.SST Ammoun ait indiqué dans son témoignage, de même que dans son rapport, que ses conclusions ayant mené à la deuxième instruction étaient fondées sur plusieurs éléments, il ressort de la preuve présentée à l’audience par les témoins de l’appelante et de l’interrogatoire de l’Ag.SST lui-même que l’Ag.SST Ammoun n’a pas tenu compte d’un grand nombre d’éléments se rapportant à la situation et, surtout, aux critères de rendement qu’il devait appliquer pour l’évaluation de l’efficacité de la structure du comité. Ainsi, je ne peux rejeter l’affirmation de l’avocate de l’appelante selon laquelle l’évaluation et l’inspection de l’Ag.SST Ammoun étaient superficielles. Par conséquent, tout bien pesé, je suis d’avis que si l’Ag.SST avait cherché, recueilli, examiné et pris en considération tous les éléments de preuve mis de l’avant à la présente audience, il aurait tiré une conclusion différente. À mon avis, la preuve recueillie par l’Ag.SST Ammoun ne suffisait pas pour justifier la conclusion à laquelle il est arrivé et, par conséquent, l’instruction qu’il a délivrée. Me fondant sur la preuve que l’Ag.SST avait recueillie d’après son témoignage, je suis d’avis que cette preuve ne suffisait pas pour appuyer ses conclusions. À la lumière de la preuve exposée à la présente audience, je conclus que la structure du Comité 6005 est une structure efficace et productive.

Décision

[41]           À la lumière de tout ce qui précède, je conclus que la structure de comité dont ont convenu l’appelante et le SCEP pour le Comité 6005 est conforme aux exigences du Code et que l’appelante se conforme à l’alinéa 125(1)z.12) du Code quand elle veille à ce que le Comité 6005 inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail désigné sous le nom de district de l’Ouest-ontarien, de façon que ledit lieu de travail soit inspecté au complet au moins une fois par année. 

[42]           À la lumière de ce qui précède, les deux appels sont accueillis et les deux instructions sont annulées.

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

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