2012 TSSTC 4
Référence : Bell Mobilité Inc., 2012 TSSTC 4
Date : 2012-02-03
Dossier : 2012-03
Rendue à : Ottawa
Entre :
Bell Mobilité Inc., Demanderesse
Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre de deux instructions
Décision : La demande est accordée
Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour la demanderesse : Me William Hlibchuk, avocat, Norton Rose OR, LLP
MOTIFS DE DÉCISION
[1] Le 12 janvier 2012, Bell Mobilité Inc. (Bell Mobilité), l’employeur, a présenté un appel, accompagné d’une demande de suspension, à l’encontre de deux instructions émises par des agents de santé et de sécurité du Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada.
[2] Bell Mobilité a reçu la première instruction, décrivant brièvement une contravention à l’alinéa 125(1)z.04) du Code canadien du travail (le Code), le 28 octobre 2011. Elle a reçu la deuxième instruction, décrivant brièvement une contravention à l’alinéa 125(1)x) du Code, le 4 janvier 2012.
[3] La demande de suspension de la mise en œuvre de ces deux instructions est fondée sur le paragraphe 146(2) du Code, qui énonce :
146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.
Contexte
L’instruction du 29 septembre 2011 relative aux toits
[4] Pour situer la présente affaire dans son contexte, il importe de noter qu’avant le dépôt de l’appel à l’encontre des deux instructions dont il est ici question, Bell Mobilité avait fait appel d’une instruction antérieure qui est reliée à la présente affaire.
[5] Cette instruction, émise le 29 septembre 2011 par l’agente de santé et de sécurité (Agente de SST) Marjorie Roelofsen, (ci-après la 1re instruction) était adressée à Bell Mobilité en vertu du paragraphe 145(1) du Code. La 1re instruction concluait que Bell Mobilité avait omis de fournir un dispositif de protection contre les chutes (DPCC) à un employé qui travaillait sur un toit, contrevenant ainsi à l’alinéa 12.10(1)a) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST). Cette disposition exige qu’un DPCC soit fourni à l’employé qui travaille sur une structure non protégée au-delà d’une certaine hauteur.
[6] Dans le cas de Bell Mobilité, ses employés doivent parfois se rendre sur ces toits pour travailler sur ses équipements de communications.
[7] Le 1er novembre 2011, l’agent d’appel Douglas Malanka a accordé une suspension de la mise en œuvre de la 1re instruction. Au moment d’accorder la suspension, l’agent d’appel a noté divers facteurs évoqués par Bell Mobilité au soutien de la conclusion selon laquelle celle-ci subirait un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’était pas suspendue, à savoir que :
- seule une poignée de ses techniciens sont formés à l’utilisation d’un DPCC;
- en cas d'interruption de service à grande échelle, une intervention rapide est nécessaire pour assurer la reprise des services utilisés par les clients de Bell Mobilité, qui comprennent des fonctionnaires de la santé et du maintien de l'ordre;
- un défaut de rétablir les services causerait vraisemblablement un préjudice au public en général;
- là où Bell Mobilité ne pourrait pas obtenir la permission d’installer des ancrages pour des DPCC sur certains immeubles, il lui faudrait installer ses équipements ailleurs, ce qui pourrait occasionner d’autres délais.
[8] L’agent d’appel a également examiné la question de savoir si, dans l’éventualité où une suspension serait accordée, et en attendant qu’il soit statué sur l’appel, Bell Mobilité avait pris des mesures propres à protéger la santé et la sécurité. À cet égard, l’agent d’appel a noté que Bell Mobilité avait pris des mesures temporaires qui excluaient les employés de Bell Mobilité d’une zone de 4 mètres mesurés à partir du bord du toit. Il a noté en outre que Bell Mobilité était en voie d’élaborer un [TRADUCTION] « Programme de prévention des accidents sur les toits » (PPAT) visant à établir une orientation écrite sur l’exécution de tâches en toute sécurité en retrait du bord du toit. Le PPAT exigerait notamment une démarcation physique surélevée permettant d’identifier visuellement une zone de 2 mètres dans laquelle les employés de Bell Mobilité ne pourraient pas pénétrer, et où seuls pourraient travailler des gréeurs qualifiés équipés d’un DPCC.
Le présent appel et la présente demande de suspensions
[9] Le 28 octobre 2011, l’Agente de SST Roelofsen a donné une autre instruction à Bell Mobilité (la 2e instruction). Cette instruction citait l’alinéa 125(1)z.04) du Code, qui exige essentiellement qu’un employeur élabore et mette en œuvre un programme réglementaire de prévention des risques et en contrôle l’application. L’instruction énumérait ensuite les mesures précises prévues aux articles 19.4 et 19.5 du RCSST qui concerne le recensement des risques, puis elle concluait que l’employeur avait omis de fournir, suite à une demande en ce sens, une analyse de la sécurité des tâches et des méthodes écrites pour l’exécution de tâches en toute sécurité à l’intention de ceux de ses employés qui doivent travailler sur un toit non protégé.
[10] Il importe de noter que Bell Mobilité a fourni des renseignements en réponse à la 2e instruction. Bell Mobilité a communiqué par la suite avec l’Agente de SST Roelofsen pour s’assurer que les renseignements fournis étaient complets. Cependant, à l’époque, l’Agente de SST Roelofsen était dans l’impossibilité de prendre connaissance des renseignements communiqués à Bell Mobilité en raison d’autres affaires urgentes qui demandaient toute son attention.
[11] Le 4 janvier 2012, l’Agent de SST Paul Danton a donné une autre instruction à Bell Mobilité (la 3e instruction) en vertu de l’alinéa 125(1)x) du Code, qui oblige un employeur à se conformer aux instructions verbales ou écrites qui lui sont données par un agent de santé et de sécurité. L’Agent de SST Danton a conclu que l’employeur avait omis de fournir la méthode écrite réglementaire pour l’exécution de tâches en toute sécurité en conformité avec les termes de la 2e instruction. Il a été ordonné à Bell Mobilité de faire cesser immédiatement la contravention.
[12] Selon Bell Mobilité, la 3e instruction a été donnée afin de lui permettre de faire appel à la question soulevée par la 2e instruction, étant donné le délai qui s’était écoulé avant que l’employeur obtienne une réponse à ses demandes s’enquérant si sa réponse à la 2e instruction était suffisante.
[13] Le 24 janvier 2012, dans une décision distincte, j’ai accueilli la demande de Bell Mobilité en prorogation du délai d’appel de la 2e instruction. Tel qu’indiqué précédemment, Bell Mobilité demande maintenant une suspension de la mise en œuvre des 2e et 3e instructions.
Analyse
[14] Le pouvoir d’un agent d’appel d’accorder une suspension découle du paragraphe 146(2) précité. L’examen à trois critères adopté par le Tribunal relativement aux demandes de suspension pose les trois exigences suivantes :
1) Le demandeur doit convaincre l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à trancher, et non d’une demande frivole ou vexatoire.
2) Le demandeur doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causerait un préjudice important.
3) Le demandeur doit démontrer que, dans l’éventualité où une suspension serait accordée, des mesures seraient instaurées pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.
[15] En outre, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire d’une manière qui favorise l’accomplissement de l’objet de la loi qui est de protéger la santé et la sécurité des employés selon l’article 122.1, lequel est ainsi rédigé :
122,1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.
1) S'agit-il d'une question sérieuse à trancher, et non d’une demande frivole ou vexatoire?
[16] La demanderesse a renvoyé aux observations qu’elle avait formulées au soutien de la demande de suspension de la mise en œuvre de la 1re instruction qu’elle avait présentée à M. Malanka. Elle a souligné la similarité entre les faits et les questions de droit dans le cadre de la 1re instruction et les faits et les questions de droit dans le cadre des 2e et 3e instructions, dont la suspension de la mise en œuvre est maintenant demandée. Dans ses observations originales, la demanderesse soutenait que la 1re instruction soulevait la question de savoir si le travail de Bell Mobilité sur des toits d’immeubles constituait un risque pour la santé et la sécurité et si le travail était exécuté en conformité avec le Code et en particulier en conformité avec l’alinéa 12.10(1)a) du RCSST. La demanderesse a insisté pour dire que cette question avait des répercussions sérieuses en matière de santé et de sécurité et qu'à ce titre elle n’était ni frivole ni vexatoire. Je note que les 2e et 3e instructions concernent elles aussi le caractère suffisant, au regard des exigences réglementaires, des méthodes écrites de Bell Mobilité pour l’exécution de tâches en toute sécurité sur des toits.
[17] Compte tenu de l’ensemble de ces facteurs, je suis convaincu qu’il y a là une question sérieuse à trancher.
2) La demanderesse subirait-t-elle un préjudice important si la mise en œuvre de l'instruction n'était pas suspendue?
[18] La demanderesse a soutenu qu’elle subirait un préjudice important si la suspension de la mise en œuvre des instructions n’était pas accordée. Au soutien de cet argument, elle a répété que l’impossibilité pour Bell Mobilité de travailler sur les toits en cause aurait pour effet de paralyser ses activités puisque seule une poignée de ses techniciens sont formés à l’utilisation de DPCC. En cas d'interruption de service à grande échelle, une intervention rapide serait nécessaire pour assurer la reprise des services Bell Mobilité utilisés par les clients résidentiels, commerciaux, institutionnels ou publics, comme les fonctionnaires de la santé et du maintien de l'ordre. Un défaut de rétablir les services causerait vraisemblablement un préjudice au public en général.
[19] Bell Mobilité a souligné que là où elle n’obtiendrait pas la permission d'installer des ancrages pour des DPCC, elle serait obligée de déplacer ses équipements sur un autre immeuble, un processus qui pourrait prendre plusieurs mois sans aucune garantie de succès.
[20] Enfin, Bell Mobilité a attiré l’attention sur ce qu’elle estime être une contradiction inhérente qui la place dans une situation fort délicate. D’une part, selon Bell Mobilité, la décision de suspendre la mise en œuvre de la 1re instruction équivalait à une validation des mesures de sécurité provisoires instaurées par Bell Mobilité. D’autre part, les 2e et 3e instructions remettent maintenant en question les méthodes opérationnelles appliquées par Bell Mobilité pour mettre en œuvre ces mêmes mesures. Tout en soulignant le besoin de cohérence, la demanderesse a soutenu qu’une suspension de la mise en œuvre de ces deux dernières instructions était nécessaire jusqu’à ce qu’il puisse être statué sur la question sous-jacente aux trois appels.
[21] Après avoir examiné les observations de la demanderesse, je note la situation délicate dans laquelle Bell Mobilité se trouve à ce stade-ci. D’une part, une suspension de la mise en œuvre de l’instruction qui remet en question ses pratiques relatives aux toits est en vigueur jusqu’à ce qu’il puisse être statué sur l’objet de cette instruction en appel. D’autre part, Bell Mobilité doit maintenant composer avec deux instructions qui reposent sur la prémisse que ces mesures provisoires ne satisfont pas aux exigences du Code. En outre, selon la 3e instruction, Bell Mobilité doit corriger immédiatement les lacunes présumées, malgré l’ordonnance de suspension. Je conviens que ces circonstances peuvent être vues comme ayant créé passablement d’incertitude quant à la validité des mesures provisoires prises par Bell Mobilité en attendant l’issue de l’appel.
[22] En conséquence, je suis persuadé que Bell Mobilité subirait un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’était pas suspendue.
3) Quelles mesures seront instaurées pour préserver la santé et la sécurité des employés ou de toute personne admise dans le lieu de travail dans l'éventualité où la suspension de la mise en œuvre de l'instruction est accordée?
[23] Au regard de ce troisième volet du critère, la demanderesse a invoqué les observations qu’elle avait formulées le 21 octobre 2011 au soutien de sa demande de suspension de la mise en œuvre de la 1re instruction. Dans ces observations, la demanderesse notait sa directive sur la sécurité sur les toits (DST) émise le 14 octobre 2011. La DST donnait instruction à tous les techniciens de Bell Mobilité de s’abstenir d’exécuter des tâches à moins de 4 mètres du bord du toit. La demanderesse avait affirmé dans ces observations que l’employeur était en train d’élaborer un Programme de prévention des accidents sur les toits (PPAT) à l’intention de ses propres techniciens qui comporterait une orientation écrite sur l’exécution de tâches en toute sécurité en retrait du bord du toit.
[24] La demanderesse a maintenant fourni une copie du document de l’employeur intitulé [TRADUCTION] « Sensibilisation à la sécurité sur les toits plats – Procédé de prévention des accidents », de même que son [TRADUCTION] « Programme de formation et sensibilisation à la sécurité sur les toits plats », lequel, selon ce que je comprends, avait été remis à tous les employés en date du 18 novembre 2011. Ce procédé permettrait aux employés de Bell Mobilité de travailler de 2 à 4 mètres en retrait du bord du toit, mais il prévoit également l’installation d’une ligne d’avertissement surélevée pour marquer la distance de 2 mètres. Tous les travaux effectués à moins de 2 mètres du bord du toit continueront d'être du ressort exclusif des gréeurs équipés de dispositifs de protection contre les chutes et formés pour les utiliser.
[25] Compte tenu des observations présentées par la demanderesse, je suis convaincu que si j’accorde les suspensions de la mise en œuvre des 2e et 3e instructions, les mesures instaurées par Bell Mobilité seront suffisantes pour préserver la santé et la sécurité de ses employés.
Décision
[26] J’ordonne donc une suspension de la mise en oeuvre de l’instruction donnée le 28 octobre 2011 par l’Agente de SST Roelofsen relativement à une contravention à l’alinéa 125(1)z.04) du Code. J’ordonne également une suspension de la mise en œuvre de l’instruction donnée le 4 janvier 2012 par l’Agent de SST Danton relativement à une contravention à l’alinéa 125(1)x) du Code. Ces suspensions sont ordonnées jusqu’à ce que l’appel soit entendu au fond et qu’un agent d’appel rende une décision.
Michael Wiwchar
Agent d’appel
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