2012 TSSTC 6

Référence : Rosedale Transport Limited, 2012 TSSTC 6

Date : 2012-02-08
No dossier : 2011-41
Rendue à : Ottawa

Entre :

Rosedale Transport Limited, appelante


Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l'encontre d'une instruction donnée par une agente de santé et de sécurité

Décision : L'instruction est annulée

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : M. Brian Topping, directeur de la Sécurité, Rosedale Transport Limited

MOTIFS DE DÉCISION

[1]               La décision et les motifs qui suivent concernent un appel formé aux termes du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) par Rosedale Transport Limited (Rosedale) contre une instruction qui lui a été émise par l’agente de santé et de sécurité (Ag. SS) Elizabeth Tavares-Porto le 22 juillet 2011.

Contexte

[2]               L’instruction sous appel a été émise par l’AG. SS au terme d’une enquête sur une situation dangereuse ayant entraîné un accident de travail qui s’est produit le 23 juin 2011 dans l’établissement de l’appelante situé au 6845 Invader Crescent, Mississauga (Ontario). Il n’est pas contesté que l’appelante est une entreprise de transport ou un transporteur interprovincial, donc de juridiction fédérale. Au moment des faits, M. Roberto Negrete, un conducteur de chariot élévateur à fourche employé par l’appelante, a subi des brûlures sur la partie inférieure du mollet droit après avoir été éclaboussé par une substance dangereuse appelée gel liquide Strip Eaze (décapant à peinture). À ce moment-là, M. Negrete était en train de charger une remorque à l’aide d’un chariot élévateur. Plus précisément, il chargeait une palette dont les dimensions étaient inférieures à celles des fourches de son chariot, ce qui explique que les fourches aient dépassé de la palette qu’il avait chargée. Pendant cette opération, un tonneau contenant la substance dangereuse mentionnée précédemment a été perforé et c’est en tentant, avec l’aide d’un superviseur (Shamkarran Boodhram), d’arrêter l’écoulement de ce produit en plaçant le tonneau sur le côté que M. Negrete a subi des brûlures.

[3]               Selon le rapport d’enquête produit par l’AG. SS, la procédure de l’employeur relative aux marchandises dangereuses n’a pas été suivie dans les circonstances relatées ci-dessus. Plus précisément, l’AG. SS a constaté que le document (lettre de transport) devant être préparé par le service de la facturation de l’employeur avant le commencement de l’opération de chargement et devant préciser la présence et la nature des marchandises dangereuses, et auquel devait être jointe une étiquette de marchandises dangereuses, jaune et fluorescente, était défectueux. Le document ne mentionnait pas la présence des marchandises dangereuses parmi les objets à charger et n’était pas accompagné de l’étiquette jaune « marchandises dangereuses » exigée. C’est la raison pour laquelle le superviseur du quai de chargement et les autres travailleurs n’ont pas été informés de la présence de marchandises dangereuses dans la remorque à charger et que M. Negrete a pénétré dans celle-ci avec le chariot élévateur sans avoir été informé de la présence de ces marchandises dangereuses. Ce n’est qu’une fois que M. Negrete a été éclaboussé par le produit et signalé au superviseur désigné la brûlure sur la partie inférieure de son mollet droit, que ce dernier a examiné l’étiquette fixée sur le baril, constaté qu’il contenait des marchandises dangereuses et qu’il a mis immédiatement fin à l’opération.

[4]               Par souci de clarté, il est bon de reproduire ici la description qu’a donnée l’AG. SS dans son rapport des opérations techniques qu’impliquent le chargement et le déchargement d’une remorque. Cette opération comporte trois étapes :

·         Premièrement, le chauffeur prend livraison de la marchandise chez un client et veille à ce que la documentation qui doit accompagner les marchandises soit valide, étant donné que toutes les marchandises doivent être correctement étiquetées.

·         Deuxièmement, lorsqu’il revient au terminus,  en l’espèce,  l’endroit où l’accident s’est produit, le chauffeur doit immédiatement remettre la documentation au service de la facturation, et la personne qui en prend possession examine la lettre de transport pour s’assurer, entre autre, qu’elle porte la mention « marchandises dangereuses »; elle envoie une copie de la lettre portant le numéro de la remorque à charger ou décharger au superviseur de l’entrepôt en fonction avec étiquette fluorescente indiquant « marchandises dangereuses » figurant sur le devant de la fiche de chargement. Selon cette procédure, la remorque où le camion n’est pas chargé ou déchargé jusqu’à ce que la documentation soit transmise par le service de la facturation avec l’étiquette jaune « marchandises dangereuses » et qu’un avis de la situation soit fait.

·         Troisièmement, le conducteur du chariot élévateur ou le responsable du quai reçoit la documentation à laquelle est fixée l’étiquette « marchandises dangereuses » et procède au chargement ou au déchargement de la remorque ou du camion en prenant des précautions supplémentaires. En l’espèce, le chargement/déchargement s’est effectué sans que l’étiquette « marchandises dangereuses » exigée figure sur la lettre de transport.

[5]               L’Ag. SS qui a effectué l’enquête a également analysé les facteurs à l’origine de l’accident et a conclu qu’ils étaient au nombre de trois :

·         Premièrement, le service de la facturation a omis de fixer l’étiquette jaune « marchandises dangereuses » à la documentation que devait recevoir le superviseur et les responsables du quai.

·         Deuxièmement, le premier élément fait en sorte que le conducteur du chariot élévateur, Roberto Negrete, n’a pas été averti de la présence de marchandises dangereuses dans la remorque et n’a donc pas pris de précautions supplémentaires; il a perforé le baril de marchandises dangereuses se trouvant à l’intérieur de la remorque.

·         Troisièmement, étant donné que ni le superviseur du quai ni le conducteur de chariot élévateur n’avaient été informés du fait qu’un baril se trouvant à l’intérieur de la remorque contenait une marchandise dangereuse, lorsque la perforation a entraîné le déversement d’un produit, les deux hommes ont commencé à manipuler physiquement ledit baril en le plaçant sur le côté, de façon à limiter l’écoulement du produit et c’est à ce moment-là que le produit s’est retrouvé sur la partie inférieure du mollet droit de M. Negrete et qu’il a subi une grave brûlure.

[6]               À la suite de ce qui précède, l’Ag. SS en est arrivé à la conclusion que l’employeur avait omis d’avertir ses employés qu’ils allaient manipuler ce que l’Ag. SS en est venu à qualifier de « substance dangereuse » et a par conséquent pris deux mesures aux fins de corriger ce que l’Ag. SS a considéré comme étant une violation du Code et d’empêcher que cette situation dangereuse se reproduise. Premièrement, une instruction a été émise à l’employeur au motif que celui-ci n’avait pas respecté son obligation de fournir, suivant l’alinéa 125(1)q) du Code et les modalités réglementaires, à chaque employé l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires pour assurer sa santé et sa sécurité. L’Ag. SS Tavares-Porto a soulevé la disposition réglementaire correspondant à la disposition du Code susmentionnée et justifiant son instruction, à savoir l’article 10.23 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST) qui énonce : « Lorsque cela est en pratique possible, l’employeur doit fournir des systèmes automatiques d’avertissement et de détection lorsque la gravité de l’exposition à une substance dangereuse l’exige ». Il est bon de noter ici que l’enquête concluait qu’une marchandise dangereuse était l’une des causes de l’accident subi par M. Negrete, l’instruction résultante faisait référence à une substance dangereuse, cette expression se trouvant dans le texte de l’article 10.23 du RCSST. Cette différence de terminologie a acquis une grande importance aux yeux de l’Ag. SS qui a, par la suite, une fois donnée l’instruction, reconnu que l’instruction en question contenait une erreur, de sorte que, à titre de deuxième mesure, il a demandé et obtenu de Rosedale une promesse de conformité volontaire (PCV) selon laquelle, conformément à l’obligation générale que lui impose le Code de protéger la santé et la sécurité au travail de ses employés (article 124), celle-ci convenait d’élaborer une procédure relative aux marchandises dangereuses qui ferait en sorte que ses employés seraient avertis lorsqu’ils manipulent une marchandise dangereuse. Comme le rapport d’enquête décrit de façon détaillée l’erreur qu’aurait commise l’Ag. SS, plutôt que de tenter d’expliquer les différentes étapes du raisonnement utilisé pour arriver à cette conclusion, j’ai décidé de citer verbatim la partie pertinente du rapport d’enquête. Ainsi, après avoir formulé l’instruction, l’Ag. SS Tavares-Porto donne l’explication suivante :

[traduction] Le 23 juillet 2011, l’employeur, Brian Topping, a répondu à l’instruction en envoyant un courriel contenant un document intitulé « Procédure relative aux marchandises dangereuses », daté du 11 juillet 2011. Brian note également que tous les employés ont reçu une formation adéquate au sujet des procédures révisées. [Non souligné dans l’original.]

Après avoir reçu la réponse de l’employeur qui contenait la nouvelle procédure relative aux marchandises dangereuses et mentionnait la formation donnée, j’ai conclu que l’employeur avait pris les mesures appropriées pour mettre en œuvre l’instruction ci-dessus.

Le 3 août 2011, Brian Topping m’a téléphoné pour m’informer qu’il contestait l’instruction; plus précisément, il contestait l’application de l’article 10.23 [du RCSST] et l’utilisation de l’expression « substance dangereuse ».

Brian dit également qu’il serait pratiquement impossible de mettre en œuvre pour une substance dangereuse les procédures applicables aux marchandises dangereuses, étant donné qu’il n’est pas légalement obligatoire de mentionner la présence d’une substance dangereuse sur les documents d’expédition remis aux chauffeurs.

Le conseiller technique, Ken Manella, a été consulté à ce sujet à cette date. D’après les conseils techniques reçus, il s’agit là d’une question de terminologie et l’expression marchandises dangereuses se trouve implicitement à l’article 10 du Règlement […]. [Non souligné dans l’original.]

Après nouvel examen, il a été constaté que l’article 10.23 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail ne s’applique pas aux marchandises dangereuses, étant donné que la disposition d’application de l’article 10.2 énonce : « La présente partie (substances dangereuses) ne s’applique pas à la manutention et au transport des marchandises dangereuses auxquelles s’appliquent la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses et ses règlements d’application. »


En outre, il a également été constaté que l’article 10.23 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail était plus fréquemment utilisé pour la mise en place de systèmes automatiques d’avertissement comme les détecteurs de monoxyde de carbone. [Non souligné dans l’original.]

[…]

PCV datée du 24 août 2011;
En raison de l’erreur que contenait l’instruction donnée par le Programme du travail le 22 juillet 2011, dans la mesure où cette instruction ne reflétait pas avec exactitude la violation à l’origine de cette enquête sur l’occurrence d’un risque, aux fins d’Ag. SSurer la conformité de l’employeur à l’instruction donnée, le Programme du travail a reçu une promesse de conformité volontaire signée par l’employeur Brian Topping le 24 août 2011 aux termes de l’article 124 de la Partie II du Code canadien du travail : « L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail. » L’employeur reconnaît dans sa PCV qu’il accepte d’élaborer une procédure relative aux marchandises dangereuses qui aura pour effet d’informer les employés lorsqu’ils ont à manipuler des marchandises dangereuses.

Étant donné que l’employeur a répondu à l’instruction en envoyant, le 23 juillet 2011, un courriel contenant une procédure relative aux marchandises dangereuses datée du 11 juillet 2011, et que, jusqu’ici, tous les employés ont suivi une formation pour la mise en œuvre de cette procédure, je conclus que Rosedale Transport Ltd s’est volontairement conformée à la présente instruction.

[7]               L’audience relative à la présente affaire a été extrêmement brève puisque le seul témoin entendu a été l’Ag. SS qui a été citée comme témoin à l’initiative de l’agent d’appel, pour qu’elle témoigne pour le compte de ce dernier. Au début du témoignage de l’Ag. SS Tavares-Porto, il lui a été demandé par le soussigné, si elle maintenait les conclusions auxquelles elle était arrivée dans son rapport d’enquête qui avait été déposé à titre de pièce. Elle a répondu par l’affirmative, ce qui a rendu inutile son témoignage au sujet de l’accident survenu ainsi qu’au sujet de l’enquête qui a suivi. L’Ag. SS Tavares-Porto a tout simplement répété que l’instruction donnée à Rosedale avait été donnée par erreur, que le pouvoir que lui conférait le Code, comme à tous les autres AG. SS, se limitait à la remise d’instructions et qu’elle n’avait pas le pouvoir, aux termes de cette Loi, de modifier ou supprimer ou annuler une instruction, mesure qu’elle aurait été disposée à prendre si un tel pouvoir lui avait été conféré. Elle a également ajouté que la PCV que lui a transmise Rosedale avait simplement été demandée et reçue pour amener l’appelante à se conformer à l’obligation générale des employeurs en matière de sécurité énoncée à l’article 124 du Code, en étant pleinement consciente du fait que l’instruction qu’elle avait donnée à Rosedale n’était pas correctement fondée en droit et qu’elle ne pouvait donc pas être mise en application.

Question en litige

[8]               À la lumière de ce qui précède, en particulier de l’aveu de la part de l’Ag. SS que l’instruction émise à l’employeur avait été émise par erreur, étant donné que l’accident à l’origine de l’enquête et de l’instruction impliquait des marchandises dangereuses alors que la disposition réglementaire sur laquelle était basée l’instruction concernait les substances dangereuses et excluait expressément de son application la manutention et le transport des marchandises dangereuses, la seule question à trancher est celle de savoir si l’instruction émise est juridiquement fondée.

Observations des parties

Observations de l’appelante

[9]               Comme cela a été mentionné au départ, aucune des parties n’a manifesté l’intention de contester le présent appel et les seules observations qui ont été reçues étaient donc celles de l’appelante. En outre, il y a lieu de tenir compte de la position adoptée et exposée par l’Ag. SS dans son rapport et répété à l’audience où l’Ag. SS a été le seul témoin. Cela étant et en l’absence d’intimé, il n’est pas surprenant que l’appelante ait formulé des observations succinctes. Au lieu de tenter de répéter ces observations en utilisant ma propre formulation, j’ai décidé, compte tenu de leur brièveté, de les reproduire intégralement dans la présente décision. Au début de l’audience, l’appelant a présenté, dans sa déclaration préliminaire, une position qui est reliée aux observations finales présentées par écrit à la conclusion de l’audience et il est donc utile, pour bien comprendre la position de l’appelante, d’incorporer les deux dans la présente décision. Dans sa déclaration préliminaire, l’appelante a déclaré ce qui suit :

[traduction] Le 23 juin 2011, un accident regrettable s’est produit dans l’établissement de Rosedale Transport Limited et un de nos employés a été blessé. À la suite de cet accident, RHDCC a effectué une enquête et donné une directive aux termes du paragraphe 145(1) en raison de la violation de l’alinéa 125(1)q) de la partie II du CCT et de l’article 10.23 du RCSST.

Rosedale Transport Limited estime qu’il n’y a pas eu de contravention à l’alinéa 125(1)q), étant donné que notre employé, M. Negrete, a reçu toute l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires pour Ag. SSurer sa santé et sa sécurité.

Il a également été jugé que Rosedale Transport Limited avait contrevenu à l’article 10.23 du RCSST alors qu’en fait cette disposition du RCSST ne s’applique pas aux circonstances ayant entouré les événements du 23 juin 2011.

En outre, Rosedale Transport Limited ne peut se conformer à l’instruction pour ce qui est de fournir l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires à la manutention d’une « substance dangereuse ». Étant donné que Rosedale était un « transporteur général », dans la plupart des cas, elle ne sait même pas si les produits que cette société transporte font partie de la catégorie des substances dangereuses.

Rosedale Transport Limited estime qu’une simple PCV aurait suffit pour résoudre les problèmes constatés et empêché qu’ils se reproduisent et elle demande l’annulation de l’instruction donnée par Elizabeth Tavares-Porto le 22 juillet 2011.

[10]           À la fin de l’audience, l’appelante a remis, par écrit, à l’agent d’appel, de brèves conclusions finales. En bref, pour trancher la question soulevée dans le présent appel, l’appelante estime qu’étant donné que le produit en cause dans l’accident à l’origine de la blessure subie par M. Negrete était une « marchandise dangereuse » et qu’il ne pouvait donc être visée par l’article 10.23 du RCSST, étant donné que la manutention et le transport de ce genre de marchandises sont expressément soustraites à l’application de l’article 10.23, en fait à toute la partie X du Règlement (substances dangereuses), aux termes de l’article 10.2 du Règlement; par conséquent, l’instruction exigeant la conformité avec l’alinéa 125(1)q) du Code était mal fondée en droit puisque la conformité avec ladite disposition doit correspondre aux termes de la Loi, aux « modalités réglementaires », que le Règlement invoqué n’était pas applicable et que l’Ag. SS a admis tous ces éléments. L’appelante a également soutenu que, de toute façon, elle s’était conformée à ses obligations d’employeur, consistant à offrir à chaque employé l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires et qu’elle ne devait donc pas faire l’objet d’une instruction, étant donné qu’elle avait fourni et mis en œuvre une PCV à ce sujet, élément qui a été admis par l’AG. SS. Ces conclusions finales étaient formulées de la façon suivante :

[traduction] Le 6 décembre 2011, Brian Topping a assisté à une audience d’appel pour contester l’instruction donnée à Rosedale Transport Limited le 22 juillet 2011 par l’agente de santé et de sécurité (AG. SS) Elizabeth Tavares-Porto.

Rosedale a demandé la présente audience d’appel parce qu’elle estimait que l’instruction n’était pas applicable aux circonstances ayant entouré l’accident du 23 juin 2011 et que Rosedale n’était pas en mesure de se conformer à l’instruction donnée aux termes du paragraphe 145(1).

L’instruction mentionne que Rosedale a contrevenu à l’alinéa 125(1)q) du Code canadien du travail et à l’article 10.23 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

Comme cela a été mentionné au cours de l’audience d’appel, la position de Rosedale repose sur les éléments suivants :

-Comme cela est mentionné dans le témoignage de l’AG. SS et les documents d’expédition fournis par Cantol Industrial and Specialty Chemicals (annexe 9), il ressort clairement que le produit que transportait Rosedale était transporté aux termes de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses et de ses règlements d’application.

-L’article 10.2 du Règlement CSST énonce que la partie 10 ne s’applique pas à la manutention ou au transport de marchandises dangereuses auxquelles s’applique la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses et ses règlements d’application.

-
Comme cela est dit à la page 34 du rapport de l’AG. SS, vous trouverez une copie de la première page du test écrit qu’a passé notre employé, M. Negrete, le 21 février 2011, indiquant qu’il a reçu une formation pour le transport des marchandises dangereuses.

-Étant donné que la partie 10 ne s’applique pas à cette situation particulière, Rosedale demande que l’instruction soit annulée.

-Un autre problème portait sur la définition de « marchandises dangereuses » et de « substance dangereuse » et sur les aspects qui les différencient. Selon le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, toutes les marchandises dangereuses doivent porter une étiquette indiquant les dangers qu’elles représentent. Pour ce qui est des substances dangereuses, la société Rosedale ne sait même pas qu’elle transporte des substances dangereuses, étant donné que la plupart du temps, nos employés ne sont pas en mesure de constater si la cargaison porte des étiquettes ou des marques.

-Étant donné l’absence d’étiquette ou d’identification sur les expéditions de substances dangereuses, il serait, à mon avis, impossible de veiller à ce que chaque employé reçoive une formation dans ce domaine. [Non souligné dans l’original.]

Analyse

[11]           La notion ou le concept de « substance dangereuse » est un élément central de la question examinée dans la présente affaire. Cette expression est définie au paragraphe 122(1) du Code comme comprenant (« includes » dans la version anglaise) « les agents chimiques, biologiques ou physiques dont une propriété présente un risque pour la santé ou la sécurité de quiconque y est exposé, ainsi que les produit contrôlés. » L’utilisation du mot « includes » dans la version anglaise de la définition indique qu’il s’agit d’une liste non limitative, et donc qu’une substance dangereuse peut être une substance autre qu’un produit contrôlé ou un agent chimique, biologique ou physique. Bref, cette définition, qui figure dans l’article d’interprétation de cette loi, ainsi que la formulation générale et non exclusive de celle-ci amènent à conclure que le législateur avait l’intention de donner une interprétation large et libérale de la notion de « substance dangereuse » figurant dans la définition. Il suffit d’examiner la section II (Substances dangereuses autres que les produits contrôlés) et la section III (Produits contrôlés) de la partie X du RCSST qui traite des substances dangereuses pour étayer ce point de vue. Parallèlement, il convient également de noter que le Code et le RCSST ne contiennent pas de définition de ce qui constitue une « marchandise dangereuse ». Toutefois, le mot « goods » (marchandises) auquel est ajouté le qualificatif « hazardous » (dangereuses) est défini dans le Canadian Oxford DictionaryFootnote 1  de la façon suivante : [traduction] « Bien meuble, chose susceptible d’être transportée, distincte des passagers, cargaison ». Ainsi, et compte tenu de la nature non limitative de la définition de « substance dangereuse », il est à mon avis possible de conclure d’une façon générale qu’une substance dangereuse peut être une marchandise dangereuse et, inversement, qu’une marchandise dangereuse peut être une substance dangereuse.

[12]           Cela n’a toutefois aucun effet sur la présente affaire et sur l’accident qui s’est produit en l’espèce, étant donné qu’à toutes fins utiles les circonstances factuelles de l’événement montrent que l’affaire concerne le transport et la manutention de marchandises dangereuses, que ces marchandises dangereuses possèdent ou non les caractéristiques d’une substance dangereuse. Il est important de noter ici que cette affirmation n’est pas contestée par l’appelante qui considère que l’accident s’est produit dans l’exécution des activités ou des tâches d’un « transporteur général », autrement dit, dans le cadre du transport et de la manutention de ce genre de marchandises. Il n’est pas moins important de souligner le fait que l’Ag. SS Tavares-Porto qui a effectué l’enquête au sujet de cet accident partage ce point de vue et que le point de vue commun de l’appelante et de l’Ag. SS est donc, en l’espèce, que les marchandises dangereuses concernées sont visées par la Loi de 1992 sur le transport de marchandises dangereusesFootnote 2  et ses règlements d’application. Aucun argument ou aucune preuve susceptible d’amener le soussigné à ne pas souscrire à ces conclusions ne m’a été présenté. En outre, je souscris à l’opinion qu’ont exprimée à la fois l’Ag. SS et l’appelante selon laquelle le texte de la section Application de la partie X du RCSST exclut expressément l’accident et les faits de la présente affaire de l’application à l’appelante de l’article 10.23 dudit Règlement sur les substances dangereuses. L’article 10.2 de la partie X du RCSST, sous le titre Substances dangereuses – Application, dispose  : « La présente partie ne s’applique pas à la manutention ou au transport des marchandises dangereuses auxquelles s’appliquent la Loi de 1992 sur le transport de marchandises dangereuses et ses règlements d’application. » À mon avis, la conséquence immédiate de cette disposition est que l’instruction dont appel est mal fondée et par conséquent, comme j’estime que ladite instruction est sans fondement juridique, je me trouve à souscrire à l’affirmation de l’Ag. SS selon laquelle cette instruction a été donnée de façon irrégulière ou, pour reprendre les mots de l’Ag. SS Tavares-Porto, a été donnée par erreur.

[13]           Compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, je partage également le point de vue présenté par l’Ag. SS Tavares-Porto à l’audience selon lequel, dans sa recherche d’une mesure correctrice que l’appelante aurait pu prendre pour remédier à la situation révélée par son enquête, elle aurait pu ou dû invoquer l’obligation générale des employeurs à l’égard de leurs employés en matière de santé et de sécurité au travail et donner une instruction aux termes de l’article 124, qui en constituerait le fondement juridique. L’Ag. SS a témoigné à l’audience qu’elle avait formé cette opinion lorsqu’elle a pris conscience de l’effet de l’article 10.2 du RCSST sur l’instruction qu’elle avait donnée. Elle ne pouvait toutefois prendre elle-même cette mesure correctrice vis-à-vis cette instruction, vu que la partie II du Code limite le pouvoir attribué aux agents de santé et de sécurité à l’émission d’instructions et qu’elle n’avait donc pas le pouvoir de modifier ou d’annuler l’instruction déjà donnée dans la présente affaire. Je souscris à cette opinion concernant le pouvoir limité que le Code attribue aux agents de santé et de sécurité. Parallèlement, en qualité d’agent d’appel, par l’effet de l’article 146.1 du Code, j’ai le pouvoir de modifier, annuler ou confirmer les instructions précédemment données par les agents de santé et de sécurité, si j’estime nécessaire de prendre une mesure correctrice par le biais de l’émission d’une telle instruction.

[14]           Dans la présente affaire, je partage toutefois le point de vue exprimé par l’Ag. SS à l’audience et dans son rapport d’enquête ainsi que par l’appelante, selon lequel une PCV librement donnée et mise en œuvre par cette dernière fournit aux employés de l’appelante la protection qui aurait pu être recherchée et obtenue par la conformité avec une instruction fondée sur l’article 124, comme cela a été dit ci-dessus. J’estime, par conséquent, qu’il n’est pas nécessaire que j’intervienne par l’émission d’une telle instruction ou par la modification de l’instruction donnée précédemment par l’Ag. SS Tavares-Porto.

[15]           Ma conclusion est par conséquent double. Premièrement, pour ce qui est de la directive donnée à l’appelante le 22 juillet 2011 par l’Ag. SS Tavares-Porto, je conclus que sa base légale est déficiente dans la mesure où, outre le fait qu’elle est fondée sur l’alinéa 125(1)q) du Code, elle ne repose pas sur les dispositions réglementaires exigées puisque la disposition invoquée, l’article 10.23 du RCSST, exclut expressément de l’application de ce Règlement le transport et la manutention des marchandises dangereuses, comme cela est expliqué ci-dessus. Deuxièmement, étant donné que l’objectif de l’Ag. SS a été atteint par le biais d’une PCV librement donnée et mise en œuvre par l’appelante, un fait qu’a reconnu l’Ag. SS Tavares-Porto, il n’est plus nécessaire que le soussigné intervienne sur ce point en donnant une nouvelle instruction ou en modifiant l’instruction existante.

Décision

[16]           Par conséquent, compte tenu de tout ce qui précède, il est fait droit à l’appel formé par Rosedale Transport Limited et l’instruction donnée par l’Ag. SS Tavares-Porto à l’appelante le 22 juillet 2011 est annulée.

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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