2012 TSSTC 11

Référence : David Laroche c. Agence des Services frontaliers du Canada, 2012 OHSTC 11

Date : 2012-04-04
Dossier : 2009-16
Rendue à : Ottawa

Entre:

David Laroche, Appelant

-et-

Agence des services frontaliers du Canada, Intimé

Affaire: Appel à l’encontre d’une décision d’absence de danger rendue par un agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 129(7) du Code Canadien du travail

Décision: La décision d’absence de danger est confirmée

Décision rendue par : Mme Katia Néron, agente d’appel

Langue de la décision: Français

Pour l'appelant: M. James Cameron, avocat, Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck s.r.l.

Pour l’intimé : Me Martin Charron, avocat, Groupe du droit du travail et de l’emploi, Ministère de la Justice Canada

MOTIFS DE DÉCISION

[1]               Cette décision fait suite à la décision rendue par madame la juge Marie-Josée Bédard de la Cour fédérale le 12 décembre 2011 dans l’affaire D Laroche v. Procureur général du CanadaFootnote 1 .

[2]               Dans sa décision, la juge Bédard a accueilli la demande de contrôle judiciaire déposée par M. David Laroche à l’encontre d’une décision que j’avais rendue le 29 septembre 2010 dans cette même affaireFootnote 2 . Cette affaire concernait un appel déposé contre une décision d’absence de danger rendue par l’agente de santé et de sécurité du travail (l’Ag.SST) Mme Jessica Tran suite au refus de travailler exercé par M. Laroche le 13 mars 2009 en vertu de l’article 128 du Code canadien du travail, LRC (1985), ch. L-2 (le Code). La question à trancher par moi dans cette affaire était de déterminer si la décision d’absence de danger rendue par l’Ag.SST Tran était bien fondée. Au moment de son refus de travailler, D. Laroche devait agir en tant qu’expert en fouille dans le cadre d’une perquisition ne relevant pas de son employeur, soit l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), mais d’un corps policier. Suite à l’audition et l’analyse de la preuve soumise par les parties, j’avais maintenu la décision d’absence de danger de l’Ag.SST Tran.

[3]               La demande de contrôle judiciaire fut accueillie avec instruction de compléter mon analyse en traitant de certains éléments de preuve soumis par les parties lors de l’audition de l’affaire quant au risque qu’une ou plusieurs personnes armées réussissent à pénétrer dans le périmètre extérieur du lieu de perquisition ou à entrer dans le lieu lors de l’opération et ce, afin que je puisse compléter mon analyse dans cette affaire.

[4]               Aux fins d’une meilleure compréhension et avant de reprendre mon analyse tel qu’ordonné par la juge Bédard, je réitérerai le contexte, les observations ainsi que la preuve soumises par les parties dans cette affaire.

Contexte

[5]               Ce qui suit a été tiré du témoignage de l’Ag.SST Tran, de son rapport d’enquête et des documents s’y afférant ainsi que des témoignages de D. Laroche et M. Alain Surprenant, ce dernier occupant les fonctions de Chef des opérations des services maritimes et ferroviaires à l’ASFC pour la région de Montréal au moment de l’enquête de l’Ag.SST Tran et aujourd’hui, Directeur intérimaire à l’ASFC, Région du Québec.

[6]               Le 13 mars 2009, D. Laroche avait été assigné sur une base volontaire pour agir quelques jours plus tard, soit le 17 mars 2009, en tant qu’expert en fouille auprès d’un corps policier pour une perquisition ne relevant pas du mandat de l’ASFC mais de celui du corps policier. Outre D. Laroche, deux autres experts en fouille de l’ASFC, dont un maître chien, avaient été désignés pour l’exécution de cette tâche.

[7]               Ces requêtes d’assistance d’experts en fouille auprès de l’ASFC hors du mandat de la législation frontalière sont demandées par les différents corps policiersFootnote 3  œuvrant à travers le pays depuis une vingtaine d’années. Cela s’explique par le fait que certaines des fouilles devant être exécutées par les corps policiers dans le cadre de perquisitions relevant de leur mandat demandent selon l’endroit ou les objets recherchés l’usage de techniques ou d’outils spécialisés qu’ils ne possèdent pas toujours. Compte tenu de son mandat particulier, l’ASFC possède ces outils et enseigne à ses agents les techniques pour leur bon usage ainsi que pour effectuer des fouilles systématiques de lieux. C’est ainsi qu’au fil des ans certains de ses agents sont devenus des experts dans ce domaine, dont D. Laroche et ses compagnons de travail.

[8]               Selon le rapport d’enquête de l’Ag.SST Tran, D. Laroche a refusé d’accomplir cette demande d’assistance à ce moment-là car il a été avisé par son employeur que pour exécuter cette tâche il ne lui serait pas permis de porter ses outils défensifs, entre autres du gaz poivré, son bâton de défense ainsi que son arme à feu de service. D. Laroche croyait que sans cet équipement, s’il faisait face à un individu armé pouvant selon lui entrer dans le lieu, il ne pourrait se défendre adéquatement contre cette personne. D. Laroche alléguait de plus qu’en cas d’attaque il pouvait être la première cible car, lors de ces opérations, les policiers sont souvent en civil alors que les agents de l’ASFC doivent porter leur uniforme.

[9]               Les représentants de l’ASFC soutenant l’absence d’un danger pour la sécurité de D. Laroche alors que ce dernier maintenait son refus, l’ASFC a communiqué avec le Programme Travail de Ressources humaines et développement des compétences Canada pour qu’un agent de santé et de sécurité enquête sur la situation.

[10]           Lors de son enquête, l’Ag.SST Tran a obtenu les raisons invoquées par D. Laroche au soutien de son refus. A. Surprenant a par la suite expliqué à l’Ag.SST Tran les motifs invoqués par l’ASFC au soutien de l’absence d’un danger comme suit.

[11]           La décision de l’ASFC d’interdire à leurs agents le port de leur équipement de défense lors des demandes d’assistance pour des perquisitions ne relevant pas du mandat de l’ASFC repose sur une interprétation juridique provenant de leur administration centrale à l’égard de certaines dispositionsFootnote 4  du Code Criminel. L’ASFC interprète ces dispositions à l’effet que comme ces perquisitions ne concernent pas l’application ou l’exécution de la législation frontalière, les agents de l’ASFC ne possèdent plus, lors de ces opérations, leur qualité d’agent de la paix. Ainsi, de l’avis de l’ASFC, si une attaque survenait dans le cours de ces opérations et qu’il en résultait des blessures à l’attaquant par le biais, par exemple, d’une arme à feu utilisée par un de ses employés pour se défendre, l’ASFC ne pourrait justifier, au sens du Code Criminel, le recours à la force par son employé.

[12]           Selon une étude en santé et sécurité au travail menée par l’ASFC intitulée « Analyse du risque professionnel – phase 1 » concernant les affectations spéciales de fouille pour une perquisition ne relevant pas du mandat de l’ASFC, les risques potentiels reliés à cette tâche sont l’exposition à un criminel ou client armé qui résiste à son arrestation, l’exposition à des tirs d’arme à feu, des coups de couteau ou à une résistance physique pouvant entraîner des blessures.

[13]           Bien que consciente de ces risques, l’ASFC s’attend à ce que chaque corps policier demandant une assistance gère et contrôle ces risques pour elle. A. Surprenant a décrit comme suit la façon dont sa gestion locale demandait aux corps policiers d’assurer la gestion et le contrôle de ces risques.

[14]           Bien que A. Surprenant n’ait pu affirmer si cela était fait de cette même façon à travers le pays, sa gestion locale obtenait verbalement, par téléphone, avant d’accepter puis de proposer à ses agents de porter assistance auprès d’un corps policier, les renseignements suivants: le nom de l’organisme requérant, le lieu, la date, le type d’opération ainsi que le nom de la personne-contact sur les lieux.

[15]           Sur la base de ces informations, une évaluation de la demande était faite et une réponse était fournie en fonction de la disponibilité de leur effectif et de la sécurité de leur personnel.

[16]           Pour voir à ce que la sécurité de leurs employés soit assurée lors de ces affectations, la gestion locale de la région de Montréal demandait verbalement à chaque corps policier requérant de voir à prendre les mesures suivantes:

  • que le lieu de perquisition ait été sécurisé avant de communiquer avec leurs agents pour les aviser de se présenter sur le lieu;
  • d’assurer la garde du lieu tant que les agents de l’ASFC s’y trouvaient;
  • de veiller à ce qu’aucune personne dans le lieu, à part les policiers, ne possède d’arme ou y ait accès.

[17]           Pour sécuriser le lieu, chaque corps policier procède de la façon qui suit.

[18]           Une équipe de policiers entre en premier dans l’endroit ciblé, procède à son inspection et, s’il y a lieu, aux arrestations qui s’imposent des personnes qui s’y trouvent.

[19]           Ce n’est qu’après que les policiers aient sécurisé de cette façon le lieu que ces derniers communiquent par téléphone avec les agents de l’ASFC pour les aviser qu’ils peuvent se présenter sur les lieux.

[20]           Aucun incident n’est survenu depuis toutes ces années lors de fouilles exécutées par les agents de l’ASFC pour des perquisitions relevant du mandat des corps policiers.

[21]           Suite à son enquête, l’Ag.SST Tran a décidé qu’il n’existait pas de danger pour la sécurité de D. Laroche d’exécuter la tâche en cause car, à son avis, il n’était pas raisonnable de penser, bien que cela puisse être une possibilité, qu’une personne entre dans le lieu et s’en prenne à lui avant que les policiers sur les lieux en aient pris connaissance compte tenu que ces derniers devaient monter la garde tout au long de l’intervention.

[22]           Suite à cette décision, l’Ag.SST Tran a toutefois reçu de la part de l’ASFC une promesse de conformité volontaire demandant d’établir d’ici le 7 mai 2009 ce qui suit:

1)      un protocole d’entente définissant clairement les responsabilités des autres organismes d’exécution de la loi lors d’interventions exécutées hors mandat avec ces autres organismes;

2)      une procédure précise quant à la marche à suivre pour les agents de  l’ASFC qui doivent prêter assistance à d’autres organismes des forces de l’ordre.

Question en litige

[23]           La décision d’absence de danger pour la sécurité de D. Laroche rendue le 22 avril 2009 par l’Ag.SST Tran était-elle bien fondée?

Objection préliminaire soulevée par l’intimé

[24]           MCharron, au nom de l’intimé, a soulevé une objection en début d’audience quant à la pertinence de la preuve voulant être présentée par M. Cameron en regard du témoignage de D. Laroche et de celui de M. Luc Moreau, également agent à l’ASFC. De l’avis de MCharron, D. Laroche et L. Moreau n’ont pas l’expérience nécessaire pour apporter une preuve probante dans cette affaire.

[25]           J’ai accepté d’entendre D. Laroche et L. Moreau en prenant sous réserve l’objection de MCharron. Voici ma décision à l’égard de cette objection.

[26]           Même si D. Laroche et L. Moreau n’ont effectué que six affectations d’assistance lors de perquisitions relevant du mandat des corps policiers avant le 13 mars 2009, je suis d’avis qu’ils sont des témoins appréciables quant à la façon dont ces opérations étaient exécutées puisqu’ils y ont participé et exécutaient alors précisément la tâche en cause dans cette affaire. À mon sens, cette expérience est amplement suffisante pour que j’y accorde une importance particulière.

Observations des parties

A) Observations de l’appelant

[27]           M. Cameron, au nom de l’appelant, soutient que les renseignements demandées par l’ASFC aux corps policiers ne permettent pas de faire une évaluation au cas par cas du risque relié à chaque fouille pouvant être exécutée par ses employés ni ne précisent quelles mesures concrètes sont prises pour assurer leur protection. M. Cameron soutient de plus que, dans les faits, les agents de l’ASFC ne sont pas toujours sous bonne garde. Pour ces motifs, M. Cameron soutient qu’il n’existait aucune garantie que la sécurité de D. Laroche serait assurée par le corps policier requérant son assistance le 17 mars 2009. Sur cette base, M. Cameron allègue qu’il existait une possibilité raisonnable qu’un individu armé puisse être aux alentours ou entrer dans le lieu où D. Laroche était assigné et que cette personne puisse s’en prendre à lui avant que les policiers sur les lieux écartent ce risque.

[28]           Pour ces motifs, M. Cameron allègue qu’il existait un danger au sens du Code pour la sécurité de D. Laroche au moment de l’enquête de l’Ag.SST Tran. Pour appuyer cet argument, M. Cameron s’est référé à la jurisprudence suivante:

·         Verville c. Canada (Correctional Service)Footnote 5 ;

·         Martin v. Canada (Attorney General)Footnote 6 ;

·         Paul Chamard et Simon Ruel v. Service Correctionnel du CanadaFootnote 7 ;

·         Éric V. et autres v. Service Correctionnel du CanadaFootnote 8 ;

·         Correctional Service Canada v. John Carpenter and Union of Canadian Correctional Officers, CSN Footnote 9.

[29]           Au soutien de cette thèse, M. Cameron a fait témoigner D. Laroche et L. Moreau ainsi que M. Richard Groulx, policier à la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) et également formateur depuis novembre 2006 pour l’utilisation des armes à feu auprès des agents de l’ASFC. Je retiens ce qui suit de leurs témoignages à l’égard de cette question.

[30]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré qu’ils travaillent au sein des services maritimes douaniers de l’ASFC pour le port de Montréal depuis quelques années.

[31]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré qu’ils ont agi avant le 13 mars 2009 en tant qu’experts en fouille pour des perquisitions ne relevant pas du mandat de l’ASFC mais de celui des corps policiers.

[32]           D. Laroche a déclaré avoir exécuté quatre de ces affectations: les deux premières dans des résidences privées, les deux autres dans des centres commerciaux.

[33]           L. Moreau a déclaré en avoir fait deux: la première dans une résidence privée et la seconde sur un site extérieur.

[34]           D. Laroche a déclaré que son rôle lors de ces affectations est de prêter son expertise pour aider les corps policiers à effectuer une fouille systématique du lieu alors que celui des policiers sur place est de veiller à sécuriser le lieu.

[35]           Bien que, pour ces six affectations, une équipe de policiers était entrée en premier dans les lieux, qu’elle avait procédé aux arrestations qui s’imposaient et que les personnes arrêtées avaient été transportées au poste de police, D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que peu d’informations leur étaient fournies avant de se rendre sur les lieux et que la façon dont les lieux étaient gardés par les corps policiers variaient d’une opération à l’autre.

[36]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que pour les fouilles exécutées dans les résidences privées, ce n’est qu’une fois sur les lieux qu’ils ont constaté que leur fouille aurait lieu dans des résidences et que les policiers les ont informés de l’objet de la fouille. Quant à la fouille exécutée sur un site extérieur par L. Moreau, ayant été informé qu’il devait apporter un outil de détection en particulier, il a pu en déduire que la fouille aurait lieu sous l’eau.

[37]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que, pour les affectations effectuées dans les résidences privées, ils n’ont pas vu, à leur arrivée sur les lieux, de policier posté dans le périmètre extérieur ou aux portes d’accès des résidences pour en assurer la garde.

[38]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que, tout au long de leur fouille dans les résidences privées, ils étaient seuls dans la majorité des pièces où ils travaillaient, sauf dans celles où les policiers se trouvaient déjà. D. Laroche a de plus déclaré avoir travaillé seul dans un sous-sol n’ayant qu’une porte d’accès et que lorsqu’il a trouvé l’objet de la fouille et appelé les policiers se trouvant à l’étage, plusieurs minutes se sont écoulées avant qu’ils viennent le retrouver. Quand à la fouille exécutée sur le site extérieur, L. Moreau a déclaré que, tout au long de cette fouille, comme il faisait froid, les deux policiers de garde sont restés dans leur voiture et qu’aucune garde proche de lui n’a été offerte.

[39]           L. Moreau a déclaré n’avoir jamais eu l’impression ou ressenti que les policiers présents sur les lieux étaient là pour le protéger lors de ses fouilles. Selon L. Moreau, les policiers avec lesquels il a travaillé s’attendaient à ce que les agents de l’ASFC prennent soin d’eux par eux-mêmes.

[40]           D. Laroche a déclaré que, pour les affectations d’assistance dans les deux centres commerciaux, son collègue et lui ont été invités par le corps policier à une rencontre préliminaire. Lors de cette rencontre, lui et son collègue ont été informés qu’une équipe d’escouade tactique entrerait en premier pour prendre en perquisition les lieux et procéder aux arrestations des suspects alors qu’eux devaient attendre dans leur voiture, à un coin de rue plus loin, un appel leur indiquant qu’ils pouvaient se présenter sur les lieux. À son arrivée sur les lieux, D. Laroche a constaté que les portes avaient été verrouillées et qu’un policier en uniforme y était posté.

[41]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré qu’aucun policier ne les a escortés à partir ou jusqu’à leur voiture lorsqu’ils se sont dirigés vers les résidences privées ou les commerces ou en sont sortis. D. Laroche a déclaré qu’il a en outre dû sortir et se rendre à sa voiture pour prendre des outils de détection lors d’une de ces fouilles et qu’aucun policier ne l’a escorté.

[42]           R. Groulx a déclaré qu’il est membre de la GRC depuis février 1988. Il a d’abord travaillé comme patrouilleur sur le terrain puis a travaillé sur des équipes d’interventions tactiques. De 1998 à 2006, R. Groulx a de plus été instructeur sur les tactiques et le maniement des armes à feu pour les tireurs d’élite et les équipes d’interventions tactiques de la GRC. Il a de plus enseigné 10 ans aux instructeurs-chef et instructeurs le programme d’intervention tactique qui a pour but de former les officiers pour intervenir dans des situations à haut risque.

[43]           R. Groulx a déclaré qu’il a effectué des opérations conjointes avec la Sûreté du Québec (SQ), la police de Québec et celle d’Ottawa, en tant que membre de la GRC et en tant que membre du groupe d’intervention tactique de la GRC. Il a aussi travaillé avec les agents de Parc Canada. Lors de ces interventions, son équipe était celle qui entrait la première dans les lieux.

[44]           R. Groulx a déclaré que chaque intervention pour des perquisitions est différente et qu’en conséquence, elle doit être planifiée au cas par cas avant leur exécution. R. Groulx a déclaré que chacune de ces interventions doit faire l’objet d’une évaluation des risques sur la base de laquelle un plan d’intervention est fait tout comme chaque intervenant devrait être informé de ses responsabilités pour éviter de se retrouver face à des pièges. R. Groulx a déclaré que les facteurs à considérer pour établir les mesures de protection pour la sécurité de chacun lors de ces opérations sont, entre autres, la nature de l’opération, les informations disponibles ou non sur la nature des criminels auxquels ils peuvent faire face (armés, drogués, etc.), la connaissance du terrain ou du bâtiment, son étendue, sa complexité, le nombre de policiers qui exécuteront l’intervention ainsi que la formation, la vigilance et le professionnalisme du corps policier qui gère le dossier.

[45]           M. Cameron soutient également, au nom de l’appelant, qu’en tenant compte de la nature dangereuse et dynamique des opérations en cause, la possibilité de faire face à un individu armé et dangereux pour les agents de l’ASFC existe. De plus, de l’avis de M. Cameron, si une telle situation survenait, les agents de l’ASFC ne sauraient pas comment réagir sans leurs outils défensifs. Pour ces raisons, M. Cameron soutient que les conséquences pour eux face à une telle situation sans le port de leurs outils défensifs pourraient être graves voire mortelles. C’est pourquoi, de l’avis de M. Cameron, en enlevant à leurs agents leurs outils défensifs, l’ASFC les met dans une situation dangereuse. À l’appui de cette thèse, M. Cameron a fait témoigner D. Laroche, L. Moreau et R. Groulx. Je retiens ce qui suit de leurs témoignages à l’égard de cette question.

[46]           Que ce soit lors de perquisitions relevant du mandat de la législation frontalière ou en dehors de ce mandat, D. Laroche et L. Moreau ont déclaré avoir principalement travaillé, en tant qu’experts en fouille, avec la SQ, la GRC ainsi que le Service de Police de la Ville de Montréal (la SPVM).

[47]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que lors de leur travail comme douaniers ils exécutent régulièrement, au minimum deux fois par semaine pour L. Moreau, des opérations conjointes avec des corps policiers, principalement en tant qu’experts en fouille, pour des perquisitions relevant du mandat de l’ASFC. D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que le port de leurs outils défensifs pour l’exécution de ces fouilles leur est permis.

[48]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que pour le même type de travail et dans des lieux pouvant être similaires auprès des mêmes corps policiers mais, cette fois-ci, dans le cadre du mandat de ces derniers, l’ASFC ne leur permet plus de porter cet équipement.

[49]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que l’objet de leur tâche tout comme les risques qui y sont reliés sont toutefois les mêmes, soit la recherche systématique d’objets représentant de grosses sommes d’argent. On parle ici, tel que déclaré par D. Laroche et L. Moreau, de blanchiment d’argent, la recherche de diamants, de toutes sortes de drogues, de stupéfiants, d’armes à feu voire de produits explosifs. Ce qui signifie, selon D. Laroche et L. Moreau, qu’ils font affaires à des criminels de haut calibre.

[50]           D. Laroche et L. Moreau ont de plus déclaré que, pour l’ensemble de ces opérations, l’ASFC leur demande de porter leur gilet pare-balle.

[51]           D. Laroche a déclaré qu’en lui enlevant son ceinturon d’officier pour l’exécution de la tâche en cause, psychologiquement, c’est comme si on lui enlevait en grande partie ses seuls moyens de défense.

[52]           R. Groulx a déclaré que, dépendamment de la situation ou du lieu, une personne n’a pas toujours l’option de se protéger derrière un obstacle ou de s’éloigner de l’attaquant. R. Groulx a déclaré que, par exemple, dans le cas d’un individu en bonne santé et menaçant une personne avec un couteau sans qu’aucun obstacle ne les sépare, cet individu peut fermer en moins de 2 secondes une distance de 25 pieds.

[53]           R. Groulx a déclaré que même si un plan d’opération est établi au préalable en considération des risques connus ou prévisibles, il est toutefois difficile de tout prévoir lors de perquisitions car le principal facteur à risque est le facteur humain, soit la nature dynamique et dangereuse des individus auxquels ils peuvent faire face mais, également, de la possibilité de l’erreur humaine.

[54]           R. Groulx a déclaré qu’en tenant compte de ce facteur, tout peut changer en quelques secondes. R. Groulx a déclaré que, par exemple, bien que cela se soit produit lors de la première entrée dans le lieu, il s’est déjà retrouvé face à un individu caché dans une section d’un lieu de perquisition même après que des policiers aient inspecté cette partie du lieu. R. Groulx a aussi donné un exemple où un individu armé s’est introduit dans un lieu de perquisition sans que les policiers postés dans le périmètre extérieur du lieu pour en assurer la garde s’en soient aperçus; ce qui a causé la perte de vies humaines. R. Groulx a déclaré que les procédures et la formation donnée aux membres de la GRC ont changé depuis pour éviter que cela ne se reproduise.

[55]           D. Laroche a déclaré qu’il a reçu de son employeur la formation sur les tactiques d’intervention afin d’assurer sa sécurité, celle de ses compagnons de travail ainsi que celle du public face à un attaquant, entre autres sur l’usage du recours à la force. D. Laroche a déclaré qu’il est de plus, depuis août 2008, formateur sur les techniques d’utilisation d’armes à feu à l’ASFC et que, depuis février 2010, il est instructeur pour l’utilisation de la force sur les tactiques de défense et de contrôle. Quant à L. Moreau, il a déclaré avoir reçu sa formation sur l’utilisation d’une arme à feu en 2008.

[56]           L. Moreau a déclaré que depuis qu’il a reçu cette formation, il est davantage conscient des situations à risque pouvant se produire lors de l’exécution de sa tâche et de la rapidité avec laquelle une agression peut survenir et ce, que ce soit lors des fouilles qu’ils exécutent dans le cadre de son propre mandat en tant que douanier ou en dehors de ce mandat.

[57]           R. Groulx a déclaré que la formation qu’il donne aux agents de l’ASFC a pour but de leur permettre d’évaluer et de choisir les modes de force raisonnable à utiliser de la façon la plus responsable et sécuritaire possible, ces modes étant, dans cet ordre, mais aussi selon la situation, la communication verbale, l’utilisation d’une force minimale, des techniques d’auto-défense à main nue ou de leurs outils de défense.

[58]           L. Moreau a déclaré que la formation que son employeur lui a donnée l’a conditionné à chercher d’abord sur lui, dans un ordre précis et selon les circonstances, ses outils défensifs face à un attaquant. L. Moreau a déclaré que même si un policier se trouvait à ses côtés à ce moment-là, il aurait le réflexe, tel qu’appris, de rechercher en premier cet équipement qu’il porte normalement sur lui pour son travail. Cette fraction de seconde serait, selon la formation qu’il a reçue, suffisante pour que l’assaillant se rapproche rapidement de lui et lui inflige des blessures avant que des policiers, même près de lui, puissent l’en empêcher.

[59]           D. Laroche et L. Moreau ont déclaré n’avoir reçu aucune formation pour parer à un attaquant sans leurs outils défensifs.

[60]           Sans ces outils, D. Laroche et L. Moreau ont déclaré ne pas savoir comment réagir pour parer à une blessure s’ils faisaient face à un attaquant de la manière la plus adéquate possible telle que cela leur a été enseignée.

[61]           Bien qu’il admette que la possibilité qu’un individu armé soit dans les alentours  ou entre dans le lieu ou s’y trouve encore et qu’il s’en prenne à lui soit faible, D. Laroche a déclaré que, si cela survenait, le résultat pour lui, sans le port de ses outils défensifs, serait catastrophique.

[62]           Sur la base de cette preuve, M. Cameron soutient que, sans le port de ses outils défensifs, D. Laroche faisait face à un danger au sens du Code au moment de l’enquête de l’Ag.SST Tran.

.

[63]           Pour ces motifs, M. Cameron demande que la décision d’absence de danger de l’Ag.SST Tran soit annulée et qu’une instruction d’avis de danger soit donnée à l’ASFC.

B) Observations de l’intimé

[64]           MCharron soutient, au nom de l’intimé, que pour qu’il y ait un danger, au sens de la définition de ce terme sous le paragraphe 122(1) du Code, il doit y avoir une possibilité raisonnable que la situation potentielle créant le risque se produise. Au soutien de cette thèse, MCharron s’est référé aux arrêts, déjà cités, de la Cour fédérale dans l’affaire Verville et de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Martin. Or, de l’avis de MCharron, il n’est pas raisonnable de croire qu’un individu entre dans un lieu de perquisition et puisse s’attaquer aux agents de l’ASFC lorsqu’ils effectuent leur tâche quand ce lieu a été au préalable sécurisé par des policiers et qu’il est sous leur garde. En outre, même si une telle situation survenait, MCharron soutient que ce risque serait écarté par les policiers sur les lieux avant qu’un agent de l’ASFC puisse être blessé puisqu’ils ont la responsabilité de la garde du lieu. Au soutien de ces arguments, MCharron a fait témoigner A. Surprenant. Je retiens ce qui suit de son témoignage.

.

[65]           A. Surprenant a déclaré qu’il est aux services de l’ASFC depuis décembre 1983. Au moment de l’enquête de l’Ag.SST Tran, tel que mentionné plus haut, A. Surprenant agissait comme Chef des opérations des services douaniers maritimes et ferroviaires pour la région de Montréal.

[66]           A. Surprenant a déclaré qu’avant 2007, l’ASFC autorisait leurs agents à porter leurs outils défensifs dans des fouilles exécutées pour des perquisitions relevant du mandat des corps policiers mais qu’alors leurs experts en fouille n’étaient pas formés pour l’usage de leur arme à feu de service. A. Surprenant a déclaré qu’ils ne portaient ainsi que du gaz poivré, leur bâton de défense et des menottes.

[67]           A. Surprenant a déclaré que suite au dépôt du présent appel et en attendant ma décision dans cette affaire, l’ASFC n’a pas donné suite aux demandes d’assistance de leurs experts en fouille pour des perquisitions en dehors du mandat de l’ASFC sauf pour deux demandes dans des dossiers communs dans lesquels l’ASFC était déjà impliquée. Tel que déclaré par A. Surprenant, l’ASFC a autorisé leurs agents à porter leurs outils défensifs pour ces deux affectations.

[68]           A. Surprenant a toutefois déclaré qu’il y a eu, en avril 2010, une demande pour des maîtres chiens pour une perquisition relevant du mandat d’un corps policier dans un bar pour rechercher de la drogue et des armes. A. Surprenant a déclaré que le lieu a été sécurisé par le corps policier avant que leurs agents s’y présentent et que tout s’est bien passé.

[69]           A. Surprenant a déclaré qu’en accord avec l’Ag.SST Tran, les demandes faites sur la promesse de conformité volontaire citée plus haut ont également été mises en suspens jusqu’à ce que ma décision dans cette affaire soit rendue.

[70]           A. Surprenant a par contre soumis le plan d’action prévu par l’ASFC et transmis en avril 2010 à l’Ag.SST Tran pour répondre à la promesse de conformité volontaire. Selon ce plan, il est prévu la révision de toutes les politiques et procédures pertinentes et l’élaboration d’un protocole d’entente entre l’ASFC et les différents corps policiers qui requièrent l’assistance de leurs experts en fouille. Selon A. Surprenant, ce sont les services de renseignements de l’ASFC qui ont été ciblés pour développer le protocole d’entente.

[71]           A. Surprenant a déclaré que l’ASFC a toutefois élaboré la procédure intitulée « Appel pour assister un autre organisme – Procédures » qu’il a soumis. A. Surprenant a déclaré que cette procédure a été faite sur la base de ce que sa propre gestion locale faisait avant d’accorder ou non une demande d’assistance au moment de l’enquête de l’Ag.SST Tran. Ce document est daté de mai 2009.

[72]           Selon l’étape 1 de cette procédure intitulée « Questions », outre les renseignements mentionnés par A. Surprenant à l’Ag.SST Tran au moment de son enquête, il est prévu que le surintendant ou le directeur de chaque gestion locale demandera à l’organisme requérant l’objet de la fouille et si une réunion aura lieu avant l’intervention. A. Surprenant a déclaré que ces renseignements doivent maintenant être inscrits sur le document.

[73]            Selon cette même procédure, toujours à l’étape 1 sous l’entête intitulée « Expliquez les limitations de notre mandat à l’agence requérante », A. Surprenant a déclaré que, tel que fait auparavant par sa gestion locale, le surintendant ou le directeur devra par la suite préciser les attentes de l’ASFC face au corps policier pour assurer la protection de leurs agents. Ces attentes se lisent sur le document comme suit:

·         Les agents de l’ASFC n’entrent sur le lieu de l’opération que lorsque celui-ci a été au préalable inspecté par l’agence requérante.

·         L’agence requérante est responsable de sécuriser et d’éliminer tout danger possible pour les agents de l’ASFC.

·         Les agents de l’ASFC ne feront pas partie de l’équipe primaire de police qui procédera à l’entrée; ceux-ci devront sécuriser les lieux avant que les agents puissent y accéder.

·         Le service de police devra s’assurer que les personnes présentes ne possèdent pas d’armes et n’y ont pas accès. Les policiers devront assurer la garde des lieux tant que les agents de l’ASFC y travaillent.

·         Les agents de l’ASFC ne sont là que pour inspecter le lieu désigné en utilisant leurs outils spécialisés.

[74]           A. Surprenant a déclaré que ce n’est qu’après avoir obtenu l’assurance, tel que cela était fait auparavant par sa gestion locale, que les lieux seront sécurisés et que les mesures indiquées plus haut seront respectées que la demande sera par la suite acheminée au Chef des opérations pour approbation. Pour obtenir cette assurance, A. Surprenant a indiqué qu’il posait des questions.

[75]           A. Surprenant a déclaré que si la demande est vague, si le corps policier ne peut garantir que l’endroit va être sécurisé ou que leurs agents vont avoir la protection nécessaire, il refuse la demande. A. Surprenant a déclaré que cela n’est arrivé qu’une fois.

[76]           A. Surprenant a déclaré que le Chef des opérations devra par la suite, avant de donner son accord, examiner si ses agents ont l’expertise demandée et si ceux-ci peuvent être libérés sans que cela ne vienne nuire aux opérations douanières déjà prévues.

[77]           A. Surprenant a déclaré qu’après avoir sélectionné les agents, chaque agent recevra les renseignements et consignes inscrites à l’étape 4 sur le formulaire. Ces renseignements et consignes se lisent comme suit:

·         Fournir aux agents de l’ASFC les informations données par l’agence requérante;

·         Expliquer aux agents de l’ASFC les limites de notre mandat tel que décrit ci-haut;

·         Rappeler aux agents de l’ASFC qu’ils ne doivent pas entrer sur les lieux de l’opération si les conditions mentionnées plus haut n’ont pas été rencontrées;

·         Aviser les agents de l’ASFC qu’à tout moment durant l’opération, si ces conditions ne sont pas respectées, ils doivent quitter les lieux et appeler un surintendant;

·         Rappeler aux agents de l’ASFC qu’ils doivent seulement porter la veste protectrice et qu’il n’est pas permis de porter ses outils défensifs car nous portons assistance à un autre organisme et nous n’avons donc aucun pouvoir législatif d’intervenir puisqu’il ne relève pas de l’ASFC;

·         Rappeler aux agents de l’ASFC qu’ils doivent avoir un téléphone en tout temps avec eux et qu’ils doivent aviser un surintendant immédiatement s’ils doivent changer de lieu;

·         Rappeler aux agents de prendre des notes détaillées sur leurs inspections (où, quand, comment);

[78]           A. Surprenant a déclaré qu’ainsi, si un agent de l’ASFC s’aperçoit ou a des doutes, en arrivant sur les lieux, que les mesures décrites plus haut ne sont pas respectées, il doit, tout comme un agent avait également cette possibilité au moment de l’enquête de l’Ag.SST Tran, refuser d’entrer dans le lieu ou refuser d’exécuter la fouille. A. Surprenant a déclaré que leurs agents pouvaient également, tout comme ils peuvent toujours le faire aujourd’hui, discuter avec la personne responsable sur les lieux et que, encore là, s’ils ont des doutes, ils peuvent se désister, se désengager et appeler leur gestionnaire.

[79]           A. Surprenant a déclaré que l’ASFC ne force pas leurs agents à exécuter ces demandes d’assistance.

[80]           A. Surprenant a ajouté qu’en cas d’incident, leurs agents sont avisés de se sécuriser, de se désengager et de s’éloigner puis d’en informer leur gestionnaire par écrit.

[81]           A. Surprenant a déclaré qu’il fait confiance à l’expertise des corps policiers selon leurs normes et leur niveau de professionnalisme. Selon A. Surprenant, ce sont eux qui sont en mesure d’évaluer les risques et de déterminer s’ils ont besoin de deux ou plusieurs policiers pour garder un lieu.

[82]           A. Surprenant a déclaré qu’il est d’accord que la probabilité qu’un incident survienne lors de fouilles exécutées par les agents de l’ASFC hors du mandat de l’ASFC est faible mais que, si cela survenait, la conséquence pour eux peut être grave.

[83]           A. Surprenant a déclaré que dans toute sa carrière, en 25 ans de service, il n’est jamais arrivé d’incident lors de fouilles exécutées par leurs experts dans le cadre de perquisitions relevant des corps policiers.

[84]           A. Surprenant a déclaré que, pour la région de Montréal, l’ASFC reçoit annuellement environ 7 demandes d’assistance pour leurs experts en fouille alors que pour les maîtres chiens, il y en a environ une dizaine.

[85]           Sur la base de cette preuve, MCharron soutient que, sans le port de son équipement défensif, il n’existait pas de danger, au sens du Code, pour la sécurité de D. Laroche d’exécuter la tâche en cause le 17 mars 2009.

[86]           Pour ce motif, MCharron demande que la décision d’absence de danger rendue par l’Ag.SST Tran soit maintenue.

Complément de preuve

[87]           Lors d’une conférence téléphonique tenue le 19 mai 2010, j’ai fait part aux représentants des deux parties de mon intérêt d’entendre un ou plusieurs représentants des corps policiers ayant déjà demandés l’assistance des experts en fouille de l’ASFC pour des perquisitions ne relevant pas de son mandat. Avec l’accord de M. Cameron, MCharron a choisi de faire témoigner M. Yves Patenaude, policier à la SPVM. Je retiens ce qui suit de son témoignage.

[88]           Y. Patenaude a déclaré qu’il travaille au sein de la SPVM comme enquêteur au niveau du trafic des stupéfiants dans la rue.

[89]           Y. Patenaude a déclaré que, dans le but de saisir de la preuve et des stupéfiants, son équipe doit faire des perquisitions et des fouilles. Il a de plus déclaré que ces fouilles ont surtout lieu dans des appartements et que, pour ces fouilles, son équipe fait d’abord appel à leur propre unité canine, mais que lorsque celle-ci n’est pas disponible, ils contactent l’unité canine de l’ASFC. Il a en outre déclaré qu’ils demandent l’assistance de cette unité en particulier car cette dernière est reconnue pour sa grande expertise et son travail irréprochable. Y. Patenaude a déclaré qu’il a exécuté des opérations conjointes avec des membres de l’unité canine de l’ASFC pour des perquisitions dont le mandat relevait de la SPVM environ une dizaine de fois.

[90]           Y. Patenaude a déclaré que pour chaque perquisition exécutée par une équipe d’officiers de la SPVM, un plan d’opération est élaboré au préalable. Ce plan a pour but de protéger la sécurité des policiers et aussi, si possible, d’éviter que les occupants aient le temps de détruire de la preuve. Ce plan est établi sur la base d’une évaluation des risques qui tient compte de tous les renseignements qu’ils ont ou peuvent obtenir sur la configuration du lieu, les habitants, leur profil, etc. S’il ressort de cette évaluation que le risque pour la sécurité des policiers d’entrer dans le lieu est élevé, on fait appel à l’escouade tactique.

[91]           Y. Patenaude a déclaré que, lors de leur entrée, les policiers vérifient chaque pièce et chaque recoin pour s’assurer qu’il n’y ait plus personne. Il a de plus déclaré que ce n’est qu’une fois les lieux sécurisés que les employés de l’ASFC sont autorisés à entrer dans le lieu.

[92]           Y. Patenaude a déclaré qu’à sa connaissance, il n’est pas prévu, dans le plan d’intervention établi par la SPVM, la détermination de mesures particulières pour la protection des agents de l’ASFC après que le lieu ait été inspecté et sécurisé.

[93]           Y. Patenaude a déclaré que lorsqu’il communique avec un maître chien pour l’aviser qu’il peut se présenter sur un lieu de perquisition, il lui donne rendez-vous à quelques blocs ou coins de rue du lieu et marche à ses côtés jusqu’au lieu.

[94]           Y. Patenaude a déclaré que si le périmètre extérieur d’un lieu de perquisition n’est pas sous bonne garde, n’importe qui peut s’introduire dans le lieu.

Analyse

[95]           La question à trancher dans cette affaire est de déterminer si la décision d’absence de danger pour la sécurité de D. Laroche rendue le 22 avril 2009 par l’Ag.SST Tran était bien fondée.

[96]           En regard des questions que j’avais déjà identifiées dans ma décision du 29 septembre 2010 précitée pour trancher cette question, la juge Bédard a conclu au paragraphe 30 de sa décision citée plus haut ce qui suit:

[30] Dans un premier temps, je considère que l’agente d’appel a correctement identifié les questions qu’elle devait trancher pour déterminer s’il existait un danger. Je ne partage pas l’avis du demandeur que l’agente d’appel devait écarter ou moduler le critère de la « possibilité raisonnable » pour tenir compte de la gravité des conséquences si le risque devait se matérialiser. La définition de danger énoncée au paragraphe 122(1) du Code ne permet pas une pondération en fonction de la gravité des blessures ou de la maladie. Dès qu’un risque est susceptible d’entraîner des blessures ou une maladie, il s’agit d’un danger, et ce, quelle que soit la gravité des blessures ou des maladies. La définition de danger est articulée autour de la probabilité de réalisation du risque et non de la gravité des conséquences si le risque survient. 

[97]           Puisque la juge Bédard a conclu que j’avais correctement identifié les questions devant être tranchées pour déterminer s’il existait un danger pour D. Laroche lors de l’exécution de sa tâche, je réitérerai mon analyse des dispositions du Code et de la jurisprudence pertinentes ainsi que des risques reliés à la tâche devant être exécutée par D. Laroche avant de compléter mon analyse de ces risques tel qu’ordonné par la juge Bédard.  

[98]           Le terme « danger » est défini comme suit au paragraphe 122(1) du Code:

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.                                                      

[Je souligne]

[99]           En ce qui concerne le critère qui s’applique pour établir la présence d’un danger existant ou éventuel au sens du paragraphe 122(1) du Code, la juge Gauthier de la Cour fédérale, a dit, au paragraphe 36 de la décision qu’elle a rendue dans l’affaire Verville déjà citée, ce qui suit (version originale et traduction):

 

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n'exigent pas la preuve d'un délai précis à l'intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.                                          

[Je souligne]

[100]       Le refus qu’a exercé D. Laroche est basé sur le fait qu’il devait aller effectuer une fouille le 17 mars 2009 dans un lieu de perquisition dont le mandat relevait d’un corps policier sans qu’il ne lui soit permis de porter ses outils défensifs. Le fondement du refus de D. Laroche portait donc sur le fait qu’il devait effectuer cette tâche sans cet équipement de protection.

[101]       Suite à son enquête, l’Ag.SST Tran a conclu qu’il n’y avait pas de danger pour la sécurité de D. Laroche d’effectuer cette tâche cette journée-là sans cet équipement.

[102]       C’est donc cette décision qui est devant moi et dont je dois analyser le bien-fondé.

[103]       Pour décider si D. Laroche était exposé à un danger sans le port de ses outils défensifs le 17 mars 2009, en me référant à la définition du terme « danger » selon le Code citée plus haut ainsi qu’à l’interprétation qu’en a faite la Juge Gauthier dans l’affaire Verville, je dois d’abord, avant d’examiner si cet équipement de protection pouvait parer à un danger le 17 mars 2009, examiner la tâche en cause à ce moment-là.

[104]       En effet, pour en arriver à une conclusion d’un danger au sens de l’arrêt de la Juge Gauthier cité plus haut et de la définition de ce terme retrouvée sous le Code, je dois:

1)      identifier les risques associés à l’exécution de cette tâche;

2)      identifier les circonstances dans lesquelles il est raisonnablement possible que ces risques puissent causer des blessures à D. Laroche;

3)      puis déterminer si ces circonstances pouvaient se produire, le 17 mars 2009, non comme une simple possibilité mais comme une possibilité raisonnable.

1) Les risques associés à l’exécution de la tâche en cause

[105]       La preuve soumise est à l’effet que les risques reliés à une fouille lors de demandes d’assistance pour des perquisitions ne relevant pas du mandat de l’ASFC sont d’être exposés à un individu armé qui résiste à son arrestation, à des tirs d’arme à feu, des coups de couteau ou à une résistance physique pouvant entraîner des blessures.

[106]       La preuve présentée a également démontré que l’objet des fouilles pour des perquisitions relevant des corps policiers représente de grosses sommes d’argent. On parle notamment de blanchiment d’argent, de recherche de diamants, de toutes sortes de drogues, de stupéfiants, d’armes à feu voire de produits explosifs.

[107]       Sur la base de la preuve, de l’arrêt précité, de la définition du terme « danger » au paragraphe 122(1) du Code ainsi que de la question à trancher dans cette affaire, je dois donc décider s’il existait, le 17 mars 2009, une possibilité raisonnable que les risques décrits plus haut puissent causer des blessures à D. Laroche lors de l’exécution de sa tâche avant que ces risques soient écartés.

2) Les circonstances dans lesquelles il est raisonnablement possible que ces risques puissent causer des blessures à D. Laroche 

[108]       À part le fait que le port de ses outils défensifs ne lui était pas permis et qu’il devait porter son gilet pare-balle pour l’exécution de sa tâche, je n’ai reçu aucune preuve quant aux circonstances dans lesquelles D. Laroche devait effectuer cette tâche le 17 mars 2009.

[109]       Pour tenter de comprendre les circonstances dans lesquelles D. Laroche devait exécuter cette tâche cette journée-là, je dois ainsi me baser sur la preuve présentée en regard des circonstances dans lesquelles cette tâche a été exécutée dans le passé.

[110]       La preuve soumise a révélé que les gestionnaires de l’ASFC de la région de Montréal demandaient à chaque corps policier avant d’assigner leurs agents pour des demandes d’assistance de prendre les mesures suivantes:

·         de veiller à sécuriser le lieu avant de communiquer avec leurs agents pour les aviser de se présenter sur le lieu;

·         d’assurer la garde du lieu tant que les agents de l’ASFC s’y trouvaient;

·         de veiller à ce qu’aucune personne dans le lieu, à part les policiers, ne possède d’arme ou y ait accès.

[111]       Je suis d’avis que la mise en œuvre des mesures décrites plus haut faisaient en sorte de réduire à un minimum la possibilité que les risques potentiels identifiés plus haut surviennent.

[112]       Je suis de plus d’avis que si ces mesures étaient mises en application le 17 mars 2009, la possibilité que D. Laroche puisse être blessé par un individu armé était réduite à son minimum.

[113]       Sur la base de ce qui précède et de la preuve soumise, j’en comprends que les circonstances suivantes étaient celles dans lesquelles les risques identifiés plus haut étaient susceptibles de causer des blessures à D. Laroche le 17 mars 2009:

1)      que le lieu n’ait pas été correctement sécurisé au préalable et qu’un individu armé soit dans le lieu;

2)      que les policiers ne surveillent pas correctement le lieu et qu’un individu armé soit dans le périmètre extérieur du lieu ou réussisse à entrer dans le lieu.

[114]       Pour décider qu’il existait un danger pour D. Laroche d’exécuter sa tâche, je dois maintenant déterminer si ces circonstances pouvaient se produire non comme une simple possibilité mais comme une possibilité raisonnable le 17 mars 2009 et ce, tout en suivant les instructions de la juge Bédard énoncées dans sa décision.

3) Ces circonstances pouvaient-elles se produire, le 17 mars 2009, non comme une simple possibilité mais comme une possibilité raisonnable?

Circonstance 1 : le lieu n’a pas été correctement sécurisé et un individu armé est dans le lieu

[115]       Au paragraphe 36 de sa décision, la juge Bédard a écrit ce qui suit:

[36] La conclusion de l’agente d’appel en regard du premier risque identifié m’apparaît tout à fait raisonnable. Elle a conclu, en se basant sur des éléments de preuve pertinents, que la possibilité que la première des circonstances puisse se produire était réduite au minimum.                                                      

[116]       Puisque la juge Bédard a décidé que ma conclusion en regard de la première circonstance associée aux risques identifiés plus haut était tout à fait raisonnable, je réitérerai mon analyse des éléments de preuve identifiés par moi comme étant reliés à ce risque ainsi que ma conclusion en regard de ceux-ci.  

[117]       La preuve démontre que les lieux de perquisition faisaient toujours l’objet, sur la base d’un plan d’intervention minutieusement préétabli, d’une inspection rigoureuse par les corps policiers et que les personnes arrêtées sur les lieux étaient toujours retirées du lieu avant l’entrée des agents de l’ASFC. La preuve révèle en outre que les corps policiers ont toujours communiqué avec les agents de l’ASFC pour les aviser de se présenter sur les lieux seulement après qu’ils aient sécurisé le lieu de la façon décrite précédemment.

[118]       Compte tenu de cette preuve, j’en conclus que le 17 mars 2009, la possibilité qu’un individu armé ait été présent dans le lieu parce que ce lieu n’avait pas été correctement sécurisé était réduite au minimum et qu’elle ne constituait donc pas une possibilité raisonnable.

Circonstance 2 : les policiers ne surveillent pas correctement le lieu et un individu armé est dans le périmètre extérieur du lieu ou réussit à entrer dans le lieu

[119]       Je vais maintenant reprendre mon analyse reliée à ce risque selon les instructions de la juge Bédard retrouvées au paragraphe 39 de sa décision. Ce paragraphe se lit comme suit:

[39] Je considère que la décision de l’agente d’appel ne permet de déterminer si elle a considéré la preuve suivant laquelle les perquisitions surviennent dans des circonstances dynamiques qui peuvent changer et évoluer en cours d’opération. Elle a fait une analyse incomplète : elle a tenu compte des circonstances prévalant lorsque le demandeur arrive sur les lieux de la perquisition, mais non pas de celles pouvant se développer en cours d’opération. Ce volet, qui avait été évoqué par le demandeur, était tout aussi pertinent et il a été escamoté par l’agente d’appel. Or, plusieurs éléments de preuve étaient pertinents aux fins d’évaluer et de mesurer les risques de blessures associés à l’hypothèse qu’une ou des personnes pénètrent dans le périmètre sécurisé durant l’opération, notamment:

1.       La nature des milieux dans lesquels les perquisitions sont effectuées;

2.       Les témoignages du demandeur et de son collègue L. Moreau qui ont indiqué que lors de fouilles dans des résidences privées, ils étaient seuls dans la majorité des pièces où ils travaillaient;

3.       Le témoignage du demandeur indiquant qu’il avait travaillé seul dans un sous-sol n’ayant qu’une porte d’accès et que lorsqu’il a trouvé l’objet de la fouille et appelé les policiers qui se trouvaient à l’étage, plusieurs minutes se sont écoulées avant qu’ils viennent le trouver;

4.       Le témoignage du demandeur déclarant que lors d’une fouille exécutée à l’extérieur, les policiers de garde sont demeurés dans leur véhicule et qu’aucune garde proche ne lui avait été offert.

5.       Le témoignage de L. Moreau qui a déclaré qu’il n’avait jamais eu l’impression ou ressenti que les policiers sur les lieux étaient là pour le protéger lors des fouilles.

6.       Les témoignages du demandeur et de L. Moreau lorsqu’ils ont déclaré n’avoir jamais été escortés par des policiers pour faire le trajet entre leur voiture et le lieu de perquisition, et vice-versa, et plus particulièrement, le témoignage du demandeur lorsqu’il a indiqué qu’il lui était arrivé de devoir se rendre à sa voiture durant une opération pour y prendre des outils.

7.       Le témoignage de R. Groulx, membre de la GRC, quant au caractère dynamique des opérations et des possibilités que les circonstances changent durant l’opération.

8.       Le témoignage du demandeur et de L. Moreau sur la formation qu’ils ont reçue pour parer à des attaques avec leur équipement de défense et sur la vulnérabilité s’ils faisaient l’objet d’attaque alors qu’ils n’avaient pas leur équipement de défense;

9.       Le témoignage d’Y. Patenaude du SPVM qui a déclaré que si le périmètre d’un lieu de perquisition n’est pas sous bonne garde, n’importe qui peut s’introduire dans le lieu.                                                     

[120]       J’en comprends que je dois ainsi traiter plus en profondeur de ces neuf éléments de preuve à l’intérieur de mon analyse pour examiner si la deuxième circonstance identifiée plus haut pouvait se produire comme une possibilité raisonnable ou comme une simple possibilité le 17 mars 2009 et ce, aux fins de déterminer s’il existait ou non un danger pour D. Laroche d’exécuter sa tâche.

[121]       Même si D. Laroche et L. Moreau ont déclaré que les policiers ne leur ont jamais offert de les escorter entre leur voiture et le lieu de perquisition, et vice-versa, ou pour se rendre à leur voiture pour y prendre des outils durant une opération, ils ont tous deux admis que des policiers armés ont toujours été présents pour assurer la garde du lieu dès leur arrivée dans le lieu et tout au long de l’exécution de leur tâche.

[122]       De plus, bien qu’Y. Patenaude ait déclaré que n’importe qui peut s’introduire dans le lieu de perquisition si son périmètre extérieur n’est pas sous bonne garde, A. Surpenant a déclaré que les agents de l’ASFC ont toujours eu la possibilité de discuter avec la personne responsable de la surveillance du lieu et de refuser d’entrer dans le lieu ou de continuer d’exécuter leur tâche s’ils avaient des doutes ou constataient que le périmètre du lieu n’était pas bien gardé.

[123]       En outre, bien que D. Laroche et L. Moreau aient déclaré qu’il n’y avait pas de policier présent dans toutes les pièces où ils ont exécuté leur fouille et qu’ils seraient vulnérables s’ils faisaient face à une attaque par un individu armé sans le port de leurs outils de défense, tous deux ont admis que des policiers armés sont toujours demeurés dans les lieux où ils travaillaient pour en assurer la surveillance. J’ajoute que Y. Patenaude a déclaré qu’il y a toujours eu, sur la base d’un plan d’opérations minutieusement établi au préalable, une fouille de chaque pièce et chaque recoin pour s’assurer qu’il n’y ait aucune personne suspecte ou dangereuse dans les lieux avant l’entrée des agents de l’ASFC. Je souligne aussi que même si L. Moreau a déclaré que, lors d’une fouille effectuée à l’extérieur, les policiers présents sur les lieux sont demeurés dans leur véhicule sans qu’une garde plus proche ne lui ait été offerte, il a admis que ces mêmes policiers armés sont constamment demeurés sur le lieu pour voir à sa protection.

[124]       Il m’apparaît aussi évident, tel que déclaré par R. Groulx, que les circonstances entourant les opérations en cause pourraient changer rapidement s’il s’avérait qu’un individu armé soit dans le périmètre extérieur du lieu ou s’introduise dans le lieu et qu’il s’en prenne à un agent de l’ASFC. A. Surprenant a cependant déclaré qu’aucun incident de ce genre ne s’est jamais produit lors de fouilles exécutées par les agents de l’ASFC dans un lieu de perquisition sous le mandat et la garde d’un corps policier après que ce lieu ait été sécurisé par le corps policier. D. Laroche a en outre lui-même admis que la possibilité qu’un individu armé soit dans les alentours ou entre dans le lieu lorsqu’il effectue une fouille dans un lieu de perquisition sous la surveillance d’un corps policier est faible.

[125]       Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que, le 17 mars 2009, la possibilité que le lieu où devait se rendre D. Laroche pour exécuter sa fouille ne soit pas correctement surveillé par le corps policier de façon à s’assurer qu’aucun individu armé soit dans le périmètre extérieur du lieu ou réussisse à entrer dans le lieu durant l’exécution de sa tâche était une simple possibilité (« a mere possibility ») et non une possibilité raisonnable (« reasonable possibility »).

[126]       Pour ces raisons, je suis d’avis qu’il n’y avait pas de danger pour la sécurité de D. Laroche, le 17 mars 2009, au sens de la définition de ce terme selon le Code.

[127]       Si j’avais conclu à un danger pour la sécurité de D. Laroche le 17 mars 2009, il aurait été nécessaire, dans un deuxième temps, d’examiner la question de l’impact qu’aurait pu avoir le port de ses outils défensifs sur l’exécution de la tâche en cause cette journée-là. Toutefois, puisque ma conclusion est qu’il n’existait pas une possibilité raisonnable que les circonstances dans lesquelles des blessures pouvaient être causées surviennent le 17 mars 2009, il n’est donc pas nécessaire de poursuivre mon analyse plus loin d’autant  plus que je n’ai reçu aucune preuve d’expert quant à l’impact du port d’outils défensifs sur l’exécution de la tâche en cause à ce moment-là.

[128]       Ceci étant dit, j’aimerais toutefois souligner ce qui suit.

[129]       L’obligation générale pour un employeur en vertu du Code, énoncé à l’article 124, est libellée dans les termes suivants:

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et sécurité au travail.                                                                

[Je souligne]

[130]       Dans le cadre de cette obligation générale, le paragraphe 125(1) du Code impose également des obligations spécifiques pour un employeur dans les deux circonstances suivantes:

·         pour tout lieu de travail placé sous son entière autorité; et

·         pour toute tâche accomplie par un de ses employés dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève.

[131]       La preuve présentée révèle que la formation, les outils ainsi que les salaires donnés aux agents de l’ASFC pour l’exécution de la tâche en cause sont sous l’entière autorité de l’ASFC.

[132]       En me référant à cette preuve ainsi qu’au paragraphe 125(1) du Code cité plus haut, j’en comprends que bien que les tâches en cause exécutées par leurs agents ont lieu dans des lieux ne relevant pas de son autorité, ces tâches, elles, relèvent de l’autorité de l’ASFC.

[133]       L’alinéa 125(1)z.04) du Code ainsi que les paragraphes 19.1(1), 19.3(1), 19.4 et 19.6(1) de la partie XIX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité du travail (RCSST) s’y rattachant se lisent de plus comme suit:

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne […] toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève:

[…]

z.04) relativement aux risque propres à un lieu de travail et non couverts par un programme visé à l’alinéa z.03), en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, d’élaborer et de mettre en œuvre un programme réglementaire de prévention de ces risques, […] et d’en contrôler l’application;

[…]

(Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail)

Partie XIX

19.1(1) L’employeur, en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant et avec la participation du comité ou du représentant en cause, élabore et met en œuvre un programme de prévention des risques professionnels — y compris ceux liés à l’ergonomie  — , en fonction de la taille du lieu de travail et de la nature des risques qui s’y posent, et en contrôle l’application. Ce programme comporte les éléments suivants:

[…]

b) la méthode de recensement et d’évaluation des risques;

c)  le recensement et l’évaluation des risques;

[…]

19.3(1) L’employeur élabore une méthode de recensement et d’évaluation des risques, y compris ceux liés à l’ergonomie, en tenant compte des documents et des renseignements suivants:

[…]

d) tout résultat d’inspection du lieu de travail;

 […]

i) tout autre renseignement pertinent;

[…]

19.4       L’employeur recense et évalue les risques professionnels conformément à la méthode élaborée aux termes de l’article 19.3 et en tenant compte des éléments suivants:

a) la nature du risque;

[…]

e) les mesures qui ont été prises pour prévenir le risque;

[…]

g) tout autre renseignement pertinent;

[…]

19.6(1)   L’employeur offre à chaque employé une formation en matière de santé et de sécurité — y compris une formation en matière d’ergonomie —qui porte notamment sur les éléments suivants:

a) le programme de prévention mis en œuvre aux termes de la présente partie pour prévenir les risques à l’égard de l’employé, notamment la méthode de recensement et d’évaluation des risques et les mesures de prévention qui ont été prises par l’employeur;

b) la nature du lieu de travail et des risques qui s’y posent;

c)  l’obligation qu’a l’employé de signaler les éléments mentionnés aux alinéas 126(1)g) ou h) de la Loi et celle de faire rapport au titre de l’article 15.3; […]                                       

[Je souligne]

[134]       Dans cette affaire, il ne fait aucun doute, à mon sens, que les corps policiers sont les plus aptes à recenser et évaluer les risques reliés à chaque lieu de perquisition relevant de leur mandat et à déterminer les mesures devant être mises en œuvre pour veiller à sécuriser ces lieux et en assurer correctement la garde, y compris leur périmètre extérieur s’il y a lieu.

[135]       D’un autre côté, en me référant aux dispositions du Code citées plus haut, je suis d’avis que cela n’enlève rien au fait que l’ASFC a l’obligation d’établir une méthode de recensement et d’évaluation du risque permettant à chaque gestionnaire responsable de décider, sur la base de la connaissance des mesures qui ont été prises pour sécuriser le lieu et en assurer la garde correctement ainsi que sur tout autre renseignement pertinent, si la demande d’assistance doit être accordée ou non.

[136]       La preuve révèle que la méthode développée par la gestion locale de l’ASFC de la région de Montréal au moment de l’enquête de l’Ag.SST Tran, pour recenser et évaluer le risque relié à chaque demande d’assistance, consistait à demander verbalement au corps policier requérant les renseignements suivants: le nom de l’organisme requérant, le lieu, la date, le type d’opération ainsi que le nom de la personne-contact sur les lieux.

[137]       La preuve révèle de plus que, suite à la promesse de conformité volontaire obtenue par l’Ag.SST Tran, l’ASFC a toutefois élaboré la procédure décrite plus haut. J’ai bien examiné cette procédure et je ne suis pas convaincue qu’elle rencontre l’esprit des dispositions du Code citées plus haut.

[138]       La preuve révèle en effet que cette procédure prévoit que les gestionnaires responsables devront dorénavant demander les renseignements additionnels suivants: l’objet de la fouille et si une réunion préliminaire aura lieu avec leurs agents avant l’intervention.

[139]       En me référant aux dispositions du Code mentionnées plus haut, je suis d’avis que ces renseignements ne sont toujours pas suffisants pour permettre de connaître avec précision les circonstances entourant chaque opération ainsi que les mesures prises par chaque corps policier requérant pour veiller à la garde du lieu.

[140]       Puisque l’ASFC a décidé de mettre en suspens les demandes d’assistance jusqu’à ce que ma décision soit rendue dans cette affaire et qu’elle prévoit la revue de toutes ces procédures à l’égard de la tâche en cause, je lui recommande ainsi de revoir, – en consultation et avec la participation de leur comité d’orientation en santé et sécurité au travail ainsi qu’avec l’aide des corps policiers au besoin – , l’étape 1 de leur procédure de façon à mieux outiller ses gestionnaires pour leur évaluation au cas par cas de chaque demande d’assistance.

[141]       Comme l’ASFC prévoit en outre la revue de toutes ses politiques suite à ma décision, je lui recommande fortement de revoir celles-ci de façon à donner à ses gestionnaires responsables la possibilité de choisir, parmi toutes les options possibles, les meilleurs moyens de protection pour assurer la sécurité de leurs agents selon le niveau du risque établi pour chaque demande.

Décision

[142]       Pour ces motifs, la décision d’absence de danger pour la sécurité de D. Laroche rendue le 22 mars 2009 par l’Ag.SST Tran est confirmée.

Katia Néron
Agente d’appel

Détails de la page

Date de modification :