2012 TSSTC 17

Référence : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2012 TSSTC 17

Date : 2012-06-13
No dossier : 2011-45
Rendue à : Ottawa

Entre :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, appelante

Affaire : Appel interjeté à l'encontre d'une instruction d’un agent de santé et de sécurité en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail.

Décision : L’instruction est confirmée

Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : M. Andy Pushalik, avocat, Fraser Milner Casgrain S.E.N.C.R.L.

MOTIFS DE DÉCISION

[1]               La présente concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre d’une instruction émise par l’agent de santé et de sécurité (Ag. SS) Chris Wells le 9 août 2011.

Contexte

[2]               Le 14 juillet 2011, aux environs de 13 h 15, M. Rick McColl, contremaître d’entretien de la voie employé par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), travaillait sur la voie ferrée située près de Durham, en Ontario, lorsqu’il a été heurté et blessé mortellement par un train.

[3]               Peu après l’incident, l’Ag. SS Wells a été chargé par le Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada de faire enquête sur l’incident entourant le décès de M. McColl. Pour mener à bien son enquête, l’Ag. SS Wells a envoyé une instruction au CN, datée du 9 août 2011, demandant la production de tous les documents et renseignements relatifs aux antécédents médicaux de M. McColl se trouvant dans les dossiers du CN. Cette instruction se lit comme suit :

[Traduction]
DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II − SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 141(1)h)

Le 9 août 2011, l’agent de santé et sécurité soussigné a procédé à une enquête relativement à des documents au lieu de travail exploité par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis à TRACTION ET MATÉRIEL REMORQUÉ D’OSHAWA, 874 CHEMIN THORNTON SUD, Oshawa, Ontario, L1J 8M6, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 141(1)h) du Code canadien du travail, Partie II, de produire, au plus tard le 19 août 2011, des documents et des renseignements afférents à la santé et à la sécurité de vos employés ou à la sûreté du lieu de travail qui sont indiqués ci-dessous, et de permettre audit agent de santé et de sécurité de les examiner et de les reproduire totalement ou partiellement :

fournir tous les renseignements médicaux de M. Rick McColl se trouvant dans les dossiers de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, aux fins de procéder à une enquête sur le décès de M. McColl.

Fait à Toronto, ce 9e jour d’août 2011.

Chris Wells

Agent de santé et de sécurité

Certificat : ON4452

À :           Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

CN

Oshawa (Ontario)

L1J 8M6

[4]               Le 26 août 2011, le CN a déposé une demande devant ce Tribunal visant à en appeler de l’instruction de l’Ag. SS Wells et à suspendre sa mise en œuvre. Le 6 octobre 2011, l’agent d’appel Douglas Malanka a accordé la suspension de la mise en œuvre de l’instruction.

Question en litige

[5]               Je dois déterminer si l’Ag. SS Wells a erré en donnant l’instruction du 9 août 2011, conformément à l’alinéa 141(1)h) du Code, ordonnant au CN de produire tous les renseignements médicaux de M. McColl se trouvant dans les dossiers de la compagnie dans le but de permettre à l’Ag. SS de mener son enquête. 

Observations de l’appelante

[6]               En premier lieu, l’appelante soutient que les dossiers demandés par l’Ag. SS Wells n’étaient pas sous l'autorité ou sous la garde du CN. Ces dossiers étaient détenus exclusivement auprès d'un service distinct de la compagnie, appelé CN-Santé. L’appelante a mentionné que, dans le but de protéger la vie privée de ses employés, le CN ne rend pas les dossiers médicaux de son personnel accessibles à l’ensemble de l’organisation. Seules les personnes employées directement par CN-Santé ont accès aux dossiers médicaux du personnel.

[7]               L’appelante a souligné que l’instruction était adressée au directeur principal, Gestion des risques, CN. Étant donné que cette personne n’est pas employée de CN-Santé, elle n’a pas accès aux dossiers demandés et, par conséquent, le CN ne peut se conformer à l’instruction dans sa formulation originale.

[8]               En deuxième lieu, l’appelante fait valoir que la communication du dossier médical d’un employé sans son consentement constitue une violation de la vie privée au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE). Conformément à cette loi, à moins qu'une exception ne s'applique, la connaissance et le consentement de la personne sont requis pour la communication de renseignements personnels. L’appelante cite la jurisprudence en la matière et prétend que cette exigence est particulièrement importante dans le cas de renseignements sensibles comme dans le cas d'un dossier médical.

[9]               Qui plus est, conformément à l’alinéa 7(3)c) de la LPRPDE, CN-Santé ne peut communiquer de renseignements médicaux personnels concernant un employé à un tiers que si l'employé a donné son consentement, ou si un organisme ayant le pouvoir de le faire ordonne au médecin chef du CN de produire les renseignements demandés. Selon l’appelante, aucune de ces conditions n’est remplie en l’espèce.

[10]           En outre, l’appelante allègue que la communication par CN-Santé des renseignements médicaux demandés dans la situation actuelle constituerait une violation des obligations du CN envers ses employés. En tant qu’employeur de travailleurs syndiqués, un tel bris de confiance pourrait avoir des incidences importantes sur la nature de la relation entre le CN et ses employés et leur agent négociateur.

[11]           Enfin, l’appelante propose que l’Ag. SS Wells obtienne le consentement et l’autorisation de la succession de M. McColl relativement à la communication des documents demandés ou qu’il donne une instruction de produire ces documents au médecin personnel de M. McColl., faisant valoir que ces dossiers seraient beaucoup plus complets que ceux qui sont en possession de CN-Santé. Selon l’appelante, ces options constituent un moyen moins intrusif d’obtenir les renseignements demandés.

Analyse

[12]           Afin de décider du bien-fondé de l’instruction émise au CN par l’Ag. SS Wells le 9 août 2011, je compte d’abord définir la nature des pouvoirs conférés à l’Ag. SS par la partie II du Code, plus particulièrement le pouvoir d’ordonner à l’employeur de produire des documents et des renseignements relatifs à la santé et la sécurité de ses employés. Ensuite, j’interpréterai ces pouvoirs à la lumière des dispositions de la LPRPDE concernant la communication, par une organisation à un tiers, de renseignements personnels au sujet d'une personne.

[13]           En ce qui concerne le premier point, l’Ag. SS Wells a émis une instruction au CN en vertu de l’alinéa 141 (1)h) du Code, exigeant que le CN produise le dossier médical de l’employé qui se trouve en la possession de l’employeur afin que l’Ag. SS puisse procéder à son enquête sur l’incident du 14 juillet 2011. Je reproduis ici le texte de l’alinéa 141(1)h).

141(1) Dans l’exercice de ses fonctions et sous réserve de l’article 143.2, l’agent de santé et de sécurité peut, à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail en général, il peut :

[...]

h) ordonner à l’employeur de produire des documents et des renseignements afférents à la santé et à la sécurité de ses employés ou à la sûreté du lieu lui-même et de lui permettre de les examiner et de les reproduire totalement ou partiellement;

[14]           Tout d’abord, j’entends examiner la prétention de l’appelante voulant que le CN ne puisse se conformer à l’instruction en raison du fait que les dossiers demandés par l’Ag. SS Wells ne sont pas en possession du CN, mais plutôt gérés par un service distinct, appelé « CN‑Santé ». Comme il a été mentionné ci-dessus, l’appelante a affirmé que le directeur principal, Gestion des risques du CN n’a pas accès aux documents demandés, n’étant pas employé de CN-Santé.

[15]           Je ne peux souscrire aux prétentions de l’appelante sur cette question, pour les motifs exposés ci-dessous. En premier lieu, comme sa formulation l’indique clairement, l’instruction émise par l’Ag. SS Wells le 9 août 2011 ne s’adresse pas à une personne ou à un service de la compagnie en particulier, mais bien à l’employeur connu sous le nom de CN. L'alinéa 141(1)h) du Code stipule que l’Ag. SS peut « ordonner à l’employeur de produire des documents » [Je souligne.] En l’espèce, même si la lettre contenant l’instruction a été transmise à une personne en particulier au sein de la compagnie, l’employeur à qui l’instruction était destinée n’est pas le directeur principal, Gestion des risques, ni le médecin chef du CN : l’employeur est la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada dans son ensemble.

[16]           De plus, l’appelante n'a présenté aucun élément de preuve pour étayer son assertion voulant que CN-Santé soit une société distincte et agissant indépendamment du CN, l’employeur. Tout ce que l’on peut retenir des observations de l’appelante est que CN-Santé est un service au sein de l’entreprise qui sert, entre autres choses, à limiter la communication des dossiers médicaux du personnel à l’ensemble de l’organisation, en ne donnant accès à ces documents qu’aux personnes directement employées par CN-Santé.

[17]           Bien qu’il soit tout à fait raisonnable qu’une organisation comme le CN mette en œuvre un système conçu pour limiter autant que possible la communication des renseignements personnels concernant les employés d’un service de l’entreprise à un autre, on ne m'a fourni aucune preuve voulant que CN-Santé soit un employeur distinct qui devrait recevoir une instruction distincte en vertu de la partie II du Code. Par conséquent, il incombe au CN de déterminer quelle est la logistique appropriée et nécessaire pour se conformer à l’instruction de l’Ag. SS Wells de produire les documents demandés.

[18]           En deuxième lieu, l’appelante a fait valoir que la LPRPDE, la loi fédérale régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels par des organisations du secteur privé, contient des dispositions qui empêchent le CN de se conformer à l’instruction.

[19]           L’une des principales dispositions de la LPRPDE traite de la nécessité pour une organisation d’obtenir le consentement d’une personne avant de communiquer à un tiers les renseignements personnels qui la concernent. Il s’agit de l'article 4.3 de l’Annexe 1 de la Loi, reproduit ci-dessous.

4.3 Troisième principe − Consentement

Toute personne doit être informée de toute collecte, utilisation ou communication de renseignements personnels qui la concernent et y consentir, à moins qu’il ne soit pas approprié de le faire.

Le paragraphe 5(1) de la LPRPDE, reproduit ici, donne pleinement effet à l’annexe 1 de la loi.

5(1) Sous réserve des articles 6 à 9, toute organisation doit se conformer aux obligations énoncées dans l’annexe 1.

[20]           Toutefois, la loi prévoit également une série d’exceptions et énumère les cas où le consentement de la personne n’est pas obligatoire pour la communication des renseignements personnels qui la concernent. L’alinéa 7(3)c) de la LPRPDE établit une telle exception dans les cas où la divulgation est nécessaire pour se conformer à une ordonnance rendue par un tribunal ou un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la communication.

7(3) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :

[...]

c) elle est  exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents;
[Je souligne.]

[21]           L’appelante a fait valoir que les conditions énoncées à l’alinéa 7(3)c) de la LPRPDE en matière de divulgation de renseignements personnels sans le consentement de la personne n'ont pas été remplies. Cependant, les dispositions qui se trouvent dans la LPRPDE sur la question indiquent le contraire.

[22]           L’alinéa 7(3)c) de la LPRPDE prévoit explicitement qu’une organisation peut communiquer des renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée si la communication est nécessaire pour se conformer à une ordonnance rendue par une personne ou un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production des renseignements. En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’instruction émise par l’Ag. SS Wells le 9 août 2011 correspond à une ordonnance de produire des renseignements. Par conséquent, le consentement de la personne concernée, en l’espèce la succession de M. McColl, n’est pas nécessaire pour autoriser l’employeur à communiquer le dossier médical de M. McColl, pourvu que la personne ou l’autorité qui en a ordonné la communication, en l’espèce l’Ag. SS, a le pouvoir pour le faire.

[23]           Sur la question du pouvoir, le fait que le CN est un employeur régi par le gouvernement fédéral et assujetti au Code canadien du travail n’est pas contesté. Le pouvoir de l’Ag. SS de donner des instructions à un employeur régi par le gouvernement fédéral lui est conféré par la partie II du Code, et l’alinéa 141(1)h) du Code donne clairement à l’Ag. SS le pouvoir d’ordonner à un employeur de produire des documents et des renseignements relatifs à la santé et à la sécurité d’un employé. Par conséquent, il me faut également rejeter la prétention de l’appelante voulant que l’Ag. SS Wells n’avait pas le pouvoir d'ordonner la production du dossier médical.

[24]           L’appelante a également soulevé la question de la sensibilité des dossiers médicaux, affirmant que les renseignements de nature médicale ne devraient pas être communiqués plus largement que ce qui est raisonnablement nécessaire. Bien que je convienne que les dossiers médicaux contiennent des renseignements sensibles et qu’ils revêtent un volet de confidentialité particulier, je ne crois pas que ce principe prévale sur l’exception prévue à l’alinéa 7(3)c) de la LPRPDE. Le paragraphe 7(3) de la LPRPDE énumère les situations dans lesquelles la communication de renseignements personnels n’exige pas le consentement de la personne concernée, quelle que soit la sensibilité des renseignements. De même, l’appelante n'a cité aucune jurisprudence en cette matière qui puisse s’appliquer aux situations dans lesquelles un employeur est contraint de se conformer à une ordonnance de production de renseignements personnels donnée par une personne ayant le pouvoir de le faire.

[25]           Quant aux préoccupations soulevées par l’appelante en ce qui concerne le risque que la communication de renseignements personnels constitue une violation fiduciaire pouvant nuire à la nature de la relation entre le CN et ses employés et leur agent négociateur, je juge que cette question n’est pas de mon ressort en vertu des pouvoirs que me confère le Code. Par conséquent, je m’abstiendrai de m’exprimer sur cette question.

[26]           À la lumière de tous ces faits, je conclus que l’instruction de l’Ag. SS Wells était bien fondée et que celui-ci n’a pas erré en donnant l’instruction du 9 août 2011 ordonnant au CN de produire le dossier médical de M. McColl se trouvant dans les dossiers de l’employeur. L’instruction a été émise au CN, l’entreprise dans son ensemble, à titre d’employeur régi par le gouvernement fédéral et assujetti au Code. Il incombe au CN d’établir la logistique interne permettant de produire les renseignements demandés par l’Ag. SS. En outre, en ce qui concerne l’alinéa 7(3)c) de la LPRPDE, je considère que l’Ag. SS Wells avait le pouvoir requis pour ordonner au CN de produire le dossier médical demandé sans en informer ou obtenir le consentement de la succession de M. McColl.

Décision

[27]           Pour ces motifs, je confirme l’instruction émise le 9 août 2011 par l’Ag. SS Wells.

Michael Wiwchar
Agent d’appel

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