2012 TSSTC 22

Référence : Air Canada et Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), 2012 TSSTC 22

Date : 2012-06-28

No dossier : 2012-36 et 2012-41

Rendue à : Ottawa

Entre :

Air Canada, appelante

et

Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), intimé

Affaire : Demande de suspension de deux instructions

Décision : La suspension des instructions est accordée.

Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me Rhonda R. Shirreff, avocate, Heenan Blaikie

Pour l’intimé : Me James Robbins, avocat, Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP

 

MOTIFS DE DÉCISION

 

[1]               Le texte qui suit est la confirmation d’une décision transmise verbalement aux deux parties à l’occasion d’une téléconférence tenue à la demande desdites parties le 27 juin 2012, pour donner suite aux deux demandes de suspension déposées par l’appelante à l’égard des deux instructions portées en appel.

 

Contexte

 

[2]               Les 8 et 26 juin 2012, l’appelante, Air Canada, a interjeté deux appels à l’encontre de deux instructions émises par Michael O’Donnell, agent de santé et de sécurité (Ag. SS), les 5 et 22 juin 2012, et déposé en même temps, dans les deux cas, une demande de suspension de ces instructions pendant l’instruction de ces appels sur le fond. Ces deux instructions sont intimement liées, puisque l’Ag. SS a émis la seconde après être arrivé à la conclusion que l’appelante, Air Canada, avait omis, dans le cas de la première instruction, de respecter les exigences en matière d’« affichage » et de « transmission au comité local et au comité d’orientation », conformément au paragraphe 145(5) de la Partie II du Code canadien du travail (le Code).

[3]               Pour faciliter la compréhension, il est nécessaire d’expliquer que la première instruction, émise à l’employeur Air Canada le 5 juin 2012, conformément au paragraphe 145(1) du Code, que l’on appelle communément une « instruction de contravention », faisait suite au refus de travailler de deux employés d’Air Canada qui devaient travailler en tant qu’agents de bord sur le vol AC139 d’Air Canada en partance d’Ottawa et à destination de Vancouver. Même s’il ne concerne pas directement la décision qui sera prise relativement aux présentes demandes, le refus de travailler découlait du fait que les employés n’étaient pas satisfaits des assurances fournies par le commandant de bord et le copilote à l’effet que « l’odeur de chaussettes sales » perçue par les employés dans la cabine n’était pas anormale et qu’elle se dissiperait peu après le décollage. Pendant la procédure entourant les refus continus de travailler prévue par le Code, un Ag. SS, en l’occurrence M. O’Donnell, a été mandaté pour faire enquête sur la question. Il semblerait qu’un peu plus de trois heures après la signification du refus initial de travailler, un haut représentant de l’appelante, Air Canada, ait autorisé le départ du vol AC139 en partance d’Ottawa, sans avoir obtenu l’autorisation de l’Ag. SS et pendant que celui-ci menait toujours son enquête. Devant ce constat, l’Ag. SS a conclu que l’employeur, Air Canada, avait entravé ou gêné son enquête sur le refus de travailler, contrevenant ainsi à l’article 143 du Code, et a remis à l’employeur ladite « instruction de contravention », lui ordonnant de mettre fin immédiatement à la contravention. Ce qui concerne directement la décision relative à la demande de suspension, c’est que, même si l’instruction a été émise à Air Canada à titre d’employeur, le corps de l’instruction, qui devait être affiché et transmis, comme il est précisé ci-dessus, précisait le nom et le poste du représentant de l’employeur Air Canada qui avait autorisé le départ de l’avion.

[4]               Il semblerait donc que, en tentant de s’acquitter de ses obligations d’affichage et de transmission de la première instruction, comme l’exige le Code, et peut-être assez tardivement (six jours plus tard), si l’on en juge par le texte de la seconde instruction de l’Ag. SS O’Donnell, Air Canada ait affiché et transmis une version expurgée de ladite instruction, d’où l’on avait retranché le nom et le titre du représentant et où l’on pouvait lire que « le représentant de l’employeur [avait] approuvé le départ (…). » L’Ag. SS O’Donnell s’est opposé à la fois au temps pris par l’employeur pour répondre à son instruction et au caviardage de la version initiale de l’instruction et a émis à l’employeur une seconde « instruction de contravention », lui ordonnant de mettre fin immédiatement à ladite contravention et d’empêcher sa continuation ou sa répétition.

[5]               Comme il est mentionné ci-dessus, l’appelante a déposé une demande de suspension des deux instructions et a indiqué, à l’occasion d’une téléconférence convoquée par l’agent d’appel soussigné le 27 juin 2012, à laquelle ont assisté les deux parties, que sa principale préoccupation au sujet des deux instructions était la mention du nom et du titre du représentant. Il convient de souligner le fait d’importance primordiale que, à la suite du dépôt de l’appel et de la demande de suspension de la première instruction, l’agent d’appel soussigné avait convoqué une première téléconférence avec les mêmes parties le 12 juin 2012, afin d’étudier les différentes possibilités de statuer plus rapidement sur cet appel et de trancher l’affaire sur le fond. À cette occasion, les deux parties ont demandé un peu de temps pour se consulter, obtenir un mandat de leurs commettants et pour éventuellement convenir d’une démarche conjointe afin de régler l’affaire. On attendrait l’issue de ces consultations pour statuer sur la première demande de suspension. Mais avant que les parties ne soient revenues à l’agent d’appel soussigné, l’Ag. SS O’Donnell avait présenté sa seconde instruction.

[6]   Lors de la seconde téléconférence tenue le 27 juin 2012, Air Canada et le SCFP ont informé l’agent d’appel soussigné qu’ils s’étaient entendus sur un moyen de régler, en attendant l’audience et la décision finale sur le fond des deux appels, la question soulevée par la mention du nom et du titre du représentant d’Air Canada et, donc, de l’affichage et de la transmission de ces renseignements aux comités, ledit moyen permettant au soussigné de suspendre partiellement les deux instructions sans nuire à leur objectif premier. Les deux parties sont d’avis que, comme mesure provisoire qui se traduirait uniquement par une suspension partielle des instructions, les deux instructions ne devraient pas faire mention du nom et du titre du représentant d’Air Canada, ce qui reviendrait en gros à suspendre l’identification précise du représentant d’Air Canada, sans toutefois suspendre la mise en œuvre de la première instruction relative à l’obligation de ne pas gêner ou entraver l’action de l’Ag. SS, et sans suspendre la mise en œuvre de la seconde instruction relative à l’affichage et à la transmission sans délai des instructions émises par un Ag. SS.

 

Analyse

[7]               Selon l’approche défendue par les deux parties, le soussigné modifierait de manière minimale le texte de la première instruction. À titre d’agent d’appel, je suis habilité en vertu du Code à modifier les instructions après avoir enquêté sur les circonstances desdites instructions. Je suis également habilité à suspendre la mise en œuvre des instructions et, vu le silence du Code en ce qui concerne l’étendue de ce pouvoir, j’estime jouir d’une grande discrétion dans l’exercice de ce pouvoir. Au fil des ans, les agents d’appel ont défini trois conditions à respecter pour suspendre la mise en œuvre d’une instruction. À mon avis, l’exercice de ce pouvoir de suspension ne doit pas nécessairement s’appliquer à la totalité de l’instruction, ni même à tout le contenu de l’instruction, parce qu’il s’agit d’une mesure provisoire prise en attendant une audience complète sur le fond de l’appel et une décision finale à cet égard. Dans l’affaire qui nous occupe, après avoir entendu le point de vue des deux parties, bien qu’elles qualifient la mesure demandée au soussigné de modification provisoire de l’instruction, j’estime que cela signifie que je suspendrais partiellement la mise en œuvre de ladite première instruction (puisque seule cette instruction mentionne le nom et le titre du représentant de l’employeur) en ceci que je suspendrais l’identification précise dudit représentant, sans modifier la teneur véritable et la mise en œuvre obligatoire de l’instruction. Il s’ensuivrait une suspension partielle de la seconde instruction du fait du report, jusqu’à la tenue de l’audience sur le fond, de l’obligation pour l’employeur appelant de se conformer à cette instruction, d’afficher et de transmettre la version non expurgée de l’instruction, tout en respectant l’exigence d’affichage et de transmission. Je suis d’avis que j’ai le pouvoir de faire exactement cela.

[8]               Voici les trois conditions qui s’appliquent dans ce genre de situation :

 

·      il faut qu’il y ait une question sérieuse à trancher, par opposition à une demande frivole ou vexatoire;

·      le défaut de suspendre la mise en œuvre d’une instruction causerait un préjudice grave à la partie touchée par l’instruction;

·      il faut, tant qu’il n’a pas été statué de manière définitive sur la question, que des mesures soient prises afin de protéger la santé et la sécurité des employés ou de toute personne ayant accès au lieu de travail.

[9]               Sur la question du caractère sérieux de la ou des questions à trancher, Air Canada a affirmé que, en ce qui a trait à la première instruction, l’appel soulève la question à savoir si la pratique actuelle d’Air Canada d’autoriser le départ d’un avion dans le cas particulier d’un refus de travail causé par une « odeur de chaussettes sales » respecte les exigences du Code. Autrement dit, il s’agit de déterminer si l’employeur a besoin de la permission d’un Ag. SS pour autoriser le départ d’un avion, ce qui soulève une question d’interprétation générale du paragraphe 129(5) du Code. En ce qui a trait à la seconde instruction, la question posée par l’employeur consiste à savoir s’il est tenu d’afficher et de transmettre immédiatement l’instruction d’un Ag. SS qui contient des renseignements inutiles, qui, s’ils sont diffusés, pourraient nuire à l’employeur et à un membre de son équipe de direction. À mon avis, ce sont là des questions graves qui requièrent une interprétation réfléchie des dispositions de la loi applicable. De plus, il ne faut pas oublier que la seule partie de l’instruction dont on me demande de suspendre la mise en œuvre par ma décision est celle de la mention du nom et du titre du représentant de l’employeur. L’avocate de l’appelante m’a également informé qu’elle avait déjà avisé l’Ag. SS que l’appelante se plierait aux exigences de ladite instruction en ce qui concerne l’autorisation de l’Ag. SS.

[10]           Sur la question du préjudice grave qui serait causé si je ne suspends pas la mise en œuvre de la première instruction, Air Canada a soutenu qu’elle devrait revoir sa pratique bien établie d’autoriser le départ d’un avion dans ces circonstances pour respecter son horaire de vol et que ce changement de pratique reviendrait à donner à l’Ag. SS le pouvoir discrétionnaire de décider de la reprise des activités, ce qui signifierait qu’un avion pourrait rester immobilisé des jours, voire des semaines, pendant que l’enquête de l’Ag. SS se poursuit, en dépit des avis éclairés des pilotes et du personnel de maintenance à l’effet que l’avion peut voler en toute sécurité. À mon avis, il y a là un risque de préjudice grave à l’appelante, mais je dois considérer le fait que l’on ne demande plus la suspension complète de l’instruction, mais sa suspension partielle seulement, relativement à l’identification du représentant de l’employeur. C’est donc le préjudice à cette personne, à titre d’employé et de membre de la direction de l’employeur, et, par conséquent, le préjudice à l’employeur, que je dois prendre en considération à la lumière des deux instructions. À ce sujet, Air Canada a fait valoir, en ce qui a trait aux deux instructions, que la mention du nom et du titre de son représentant, renseignements qu’elle considère inutiles à l’application et au respect d’une instruction adressée à l’employeur, pourrait causer un préjudice grave et irréparable à la réputation de la personne, tant au sein de l’entreprise que de l’industrie, et ce, peu importe si, aux termes de l’examen sur le fond de l’appel à l’encontre de la première instruction, on établit que sa décision d’autoriser le départ du vol 139 conformément à la pratique établie de l’entreprise était justifiée. L’appelante a également soutenu que le défaut de suspendre la première instruction, et par extension la seconde, porterait gravement atteinte à l’autorité du représentant et modifierait l’équilibre des relations de travail entre les parties. S’exprimant au nom de l’intimé, Me Robbins a émis des doutes sur le risque de préjudice au représentant de l’employeur, mais il convient de noter que l’intimé a accepté que le nom et le poste du représentant soient retirés de l’instruction.

[11]           Enfin, en ce qui concerne la troisième condition, c.-à-d. les mesures prises afin de protéger la santé et la sécurité des employés et de toute personne ayant accès au lieu de travail tant qu’il n’a pas été statué de manière définitive sur la question, la nature de l’accord entre les parties relativement aux deux instructions et, par conséquent, la suspension très partielle demandée ne présentent pas, à mon avis, de risque accru pour la santé et la sécurité des employés ou des personnes ayant accès au lieu de travail. Ce facteur n’entre donc pas en ligne de compte dans ma décision d’accorder la suspension partielle.

 

Décision

 

[12]           Après avoir pris en considération tout ce qui précède, j’en suis arrivé à la conclusion que l’accord conclu par les parties devrait constituer la base d’une suspension partielle des deux instructions. En conséquence, je suspends la première instruction datée du 5 juin 2012, tant qu’il n’a pas été statué de manière définitive sur l’appel. Ladite première instruction demeure telle qu’elle a été rédigé, à l’exception de la mention du nom et du titre du représentant de l’employeur, lesquels ne doivent apparaître nulle part dans ladite instruction. La seconde instruction datée du 22 juin 2012 est donc suspendue, puisqu’elle porte sur l’affichage et la transmission au comité local et au comité d’orientation d’une version non expurgée de la première instruction, où le représentant de l’employeur est identifié par son nom et son titre. Bref, lorsqu’il peut être nécessaire de faire référence, dans l’une ou l’autre instruction, à une décision prise par un représentant de l’employeur, c’est uniquement en utilisant l’expression « représentant de l’employeur » qu’on peut le faire, et jamais en indiquant le nom et le titre de la personne.



Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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