2012 TSSTC 25
Référence : Gaelen Joe et autres c. Service correctionnel du Canada, 2012 TSSTC 25
Date : 2012-07-20
No dossier : 2008-15
Rendue à : Ottawa
Entre :
Gaelen Joe et autres, appelants
et
Service correctionnel du Canada, intimé
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l'encontre d’une décision rendue par une agente de santé et de sécurité.
Décision : La décision quant à l’absence de danger est confirmée.
Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour les appelants : Mme Marie-Pier Dupuis-Langis, conseillère syndicale − CSN-Pacifique
Pour l’intimé : Me John G. Jaworski, avocat − Services juridiques, Conseil du Trésor
MOTIFS DE DÉCISION
[1] La présente affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre d’une décision d'absence de danger rendue le 12 juin 2008 par Marlene Yemchuk, agente de santé et de sécurité (Ag. SS).
Contexte
[2] MM. Gaelen Joe, Elie Gareb, Jacques Castex, Joe Macaulay, Peter Lee et Chris Tinnion étaient employés à titre d’agents correctionnels II (AC-II) à l’Établissement de Matsqui (Matsqui). Matsqui est un pénitencier à sécurité moyenne du Service correctionnel du Canada (le SCC), situé à Abbotsford, en Colombie-Britannique.
[3] Le 10 mai 2008, les employés ont invoqué leur droit de refuser un travail dangereux en raison des circonstances qui prévalaient à l’unité Résidentielle de Matsqui.
[4] Leur refus de travailler était fondé sur le fait que les employés ne pouvaient pas sortir en sécurité à l’extérieur du bâtiment depuis les bureaux des AC-II sans passer par l’unité résidentielle et qu’en cas de perturbation majeure, cette voie de sortie représenterait un danger pour leur santé et leur sécurité. Les employés estimaient que la mise en œuvre prochaine d’une interdiction totale de fumer aurait pour effet d’entraîner une perturbation majeure à l’établissement.
[5] Le 31 janvier 2006, une interdiction partielle de fumer a été instaurée dans chaque établissement du SCC. Dans le cas de Matsqui, la date du dernier jour de vente de produits du tabac était fixée au 10 mai 2008, et la date de la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer était fixée au 20 mai 2008.
[6] Les employés ont signalé leur refus de travailler à l’employeur le 10 mai 2008, soit le dernier jour de la vente de produits du tabac. La question a fait l’objet d’une enquête par des représentants du personnel et de l’employeur. Ressources humaines et Développement des compétences Canada, Programme du travail, a par la suite été informé du refus de travailler et est intervenu.
[7] Le 10 mai 2008, en raison du refus de travailler, les détenus de Matsqui ont été enfermés dans leur cellule. Aucune perturbation n’a été signalée.
[8] Dans son rapport d’enquête préliminaire daté du 12 juin 2008, l’Ag. SS Yemchuk a conclu qu'elle ne croyait pas que le risque présenté tomberait à l'extérieur du cadre normal des tâches des employés. Par conséquent, l’Ag. SS Yemchuk n’a pas poursuivi son enquête.
[9] Le 20 mai 2008, les employés ont interjeté appel auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail.
[10] Le 26 avril 2011, j’ai visité Matsqui avec les parties. La visite portait principalement sur les bureaux des AC-II et sur la voie d’évacuation qui passait par le poste de contrôle (la bulle) avant d’arriver à la sortie sur le toit. L’audience sur l’appel a eu lieu les 27 et 29 avril 2011 et les 20 et 22 juin 2011, à Abbotsford, en Colombie-Britannique.
Questions en litige
[11] Je dois rendre une décision à l'égard des questions suivantes :
(i) Les appelants étaient-ils exposés à un danger selon la définition du Code au moment où ils ont exercé leur droit de refuser de travailler?
(ii) Si les appelants étaient exposés à un danger selon la définition du Code au moment où ils ont exercé leur droit de refuser de travailler, ce danger constitue-t-il une condition normale de l’emploi?
Observations des parties
[12] Les parties ont déposé leurs observations finales le 6 septembre 2011.
Observations des appelants
[13] Le dossier des appelants était constitué des témoignages des personnes suivantes : M. G. Gillette, AC-II − Représentant syndical régional en santé et sécurité, M. Joe,
AC-II − Président de la section locale du syndicat, et M. Castex, AC-II.
[14] M. Gillette a été à l’emploi du SCC pendant 14 ans et il a travaillé 9 ans à Matsqui. Dans son témoignage, M. Gillette a fait état de sa compréhension et de son expérience des directives d’établissement applicables. Il a décrit les opérations, les pratiques et les particularités relatives à la population carcérale de l’unité résidentielle au moment des refus de travailler, ainsi que les circonstances qui pouvaient se manifester en cas de perturbation majeure. M. Gillette a déclaré avoir été personnellement approché par des détenus, qui lui ont dit qu’ils feraient quelque chose à propos de l’interdiction. En outre, il a témoigné à l'égard des circonstances d’une émeute survenue à Matsqui en 1981 et de ses ramifications.
[15] M. Gillette a expliqué que pour évacuer les bureaux des AC-II en cas de perturbation majeure, on devait, à partir de l’unité résidentielle, passer par sa porte principale; toutefois, si cela n’était pas possible, il fallait alors passer par le poste de contrôle et monter sur le toit. Il a expliqué les nombreux défis auxquels un AC-II serait exposé en cas de perturbation majeure, particulièrement s’il devait évacuer les lieux en passant par le poste de contrôle. Il a également décrit la construction des bureaux des AC-II et l’équipement de protection qui s’y trouve.
[16] M. Joe devait travailler à l’unité résidentielle au moment du refus de travailler, mais il était principalement affecté à l’unité d'isolement pendant son quart de travail. Dans son témoignage, M. Joe a fait état de sa compréhension et de son expérience des directives d’établissement applicables. Il a témoigné à propos des fumeurs parmi la population carcérale et de leurs pratiques à Matsqui, des répercussions sur les AC-II et des répercussions possibles une fois l’interdiction totale de fumer en vigueur. Il a affirmé que des membres du personnel avaient déposé des Rapports d’observation ou de déclaration (ROD) qui n’avaient pas été inscrits au compte rendu du bilan du quart de travail du matin, ajoutant que l’employeur minimisait ou faisait fi de l’information communiquée par les membres du personnel. Il a également décrit la construction des bureaux des AC-II et l’équipement de protection qui s’y trouve.
[17] M. Castex travaillait au troisième étage de l’unité résidentielle le jour des refus de travailler. Dans son témoignage, M. Castex a fait état de sa compréhension et de son expérience des directives d’établissement applicables. Il a décrit la population carcérale et dans quelle mesure l’interdiction totale de fumer constituait un changement important pour les détenus, et il a parlé du risque qu’un incident se produise. Il a affirmé que les détenus envoyaient des « kytes »
[18] Les appelants soutiennent que l’Ag. SS Yemchuk a commis une erreur en décidant qu’ils n’étaient pas exposés à un danger.
[19] Les appelants ont font valoir que la seule voie d’évacuation hors des bureaux des AC-II de l’unité résidentielle constituait un danger en cas de perturbation majeure, et que ce danger ne s’inscrivait pas dans le cadre des conditions normales de l’emploi.
La décision de l’Ag. SS
[20] Les appelants ont commencé leur argumentation en faisait ressortir le fait que l’Ag. SS avait utilisé un questionnaire pour déterminer que le refus des employés n’était pas fondé sur un écart par rapport aux conditions normales de l’emploi. Ils alléguaient que l’Ag. SS n’avait pas déclenché d’enquête officielle sur le refus de travailler, concluant donc implicitement à l’absence de danger.
[21] Les appelants ont fait référence à la décision Canada c. Vandal, St-Pierre, Turbis, Gosselin
Possibilité raisonnable
[22] Les appelants ont souligné la définition de danger dans Verville c. Canada (Service correctionnel)
[23] Dans Verville, la juge Gauthier de la Cour fédérale a déterminé que la définition de danger exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.
[24] En utilisant la définition de la possibilité raisonnable de l’affaire Verville, les appelants ont fait valoir, sur la base de leur expérience en tant qu’agents correctionnels ou membres de l’EIU, que le fait qu’il n’y a qu’une seule voie d’évacuation hors des bureaux des AC-II à l’unité résidentielle pourrait raisonnablement être susceptible de causer des blessures en cas de perturbation majeure.
[25] Les appelants ont soutenu que cette possibilité avait été établie au moyen d'une déduction tirée de plusieurs facteurs connus au moment des refus. Ces facteurs se résument ainsi :
(a) la probabilité que des détenus puissent franchir certaines barrières dans le secteur de l’unité Résidentielle en cas de perturbation;
(b) l’incapacité potentielle des agents d’atteindre les sorties de l’unité Résidentielle en cas de perturbation;
(c) l’absence d’une sortie vers l’extérieur du bâtiment à partir des bureaux des AC-II;
(d) la capacité potentielle des détenus de pénétrer les bureaux des AC-II en passant par la fenêtre en verre teinté de la porte;
(e) l’absence d’équipement de protection dans les bureaux des AC-II.
[26] Conjointement à ces facteurs, les appelants alléguaient que l’interdiction totale de fumer en instance entraînait une forte probabilité de perturbation chez les détenus. Dans leurs observations, les appelants ont souligné les témoignages des agents Joe, Gillette et Castex, selon lesquels une interdiction totale de fumer représentait un changement considérable dans la vie des détenus, et constituait par conséquent un risque d’incident.
[27] Les appelants ont également fait ressortir le témoignage de M. Joe, dans lequel il soutenait que certains facteurs associés à l’humeur et aux conditions des détenus n’avaient pas été inscrits au compte rendu des bilans du quart de travail du matin, et n’avaient pas été communiqués aux autres membres du personnel ni au syndicat. Les appelants ont aussi présenté le témoignage de M. Castex, qui faisait état de « kytes » de menaces transmis aux agents par les détenus. En outre, les agents avaient remarqué des changements dans le comportement des détenus, comme le refus de communiquer avec les agents.
[28] Enfin, les appelants ont également soutenu que la possibilité raisonnable de danger avait été établie, sachant que le personnel de première ligne devait généralement intervenir en cas d’urgence, avant l’arrivée de l’EIU.
[29] Les appelants alléguaient que ces facteurs, lorsque pris dans leur ensemble, conduisaient à une supposition raisonnable de danger pour les employés en cas de perturbation.
Évaluation du danger par l’employeur
[30] Les appelants ont affirmé que l’employeur n’avait pas procédé à l’évaluation du danger, violant ainsi l’obligation générale imposée à un employeur en vertu de l’article 124 du Code, que le gabarit de l'Évaluation de la menace et des risques (EMR) ne permettait pas d'évaluer toutes les situations, pas plus qu'il ne pouvait prendre en considération le caractère imprévisible de la nature humaine.
La condition normale de l’emploi
[31] Les appelants ont soutenu que l’employeur n’avait pas réussi à démontrer que le danger auquel sont exposés les employés était une condition normale de l’emploi, comme le stipule le paragraphe 128(2) du Code.
[32] Les appelants ont souligné l’interprétation du paragraphe 128(2) du Code dans Verville, où la Cour affirme que le sens ordinaire des mots de ce paragraphe assimile « normale » à quelque chose de régulier, à un état des affaires habituel, et à quelque chose qui ne sort pas l’ordinaire.
[33] Citant cette définition de « normale », les appelants ont prétendu que les perturbations majeures ne sont pas des événements réguliers; par conséquent, elles ne peuvent pas être considérées comme une condition normale de l’emploi. En outre, les appelants ont fait valoir que la définition par l'employeur de la description de poste des agents était si large qu’elle ne laisserait aux employés aucune possibilité d’exercer leur droit de refuser de travailler.
[34] À l’appui de cette affirmation, les appelants ont renvoyé à la décision Johnstone, Allain et Martin c. Service correctionnel du Canada
[35] Citant des éléments preuves présentés par les employés quant à la situation à l’établissement, les appelants ont donc soutenu que le danger ne constituait pas une condition normale de l’emploi.
[36] Les appelants ont conclu en affirmant que la décision de l’Ag. SS devait être annulée et que l’employeur avait contrevenu au Code puisque les employés n’étaient pas en mesure d’accéder en toute sécurité à la sortie de secours.
Observations de l’intimé
[37] Le dossier de l’intimé se composait des témoignages des personnes suivantes : M. G. Brown, directeur, Matsqui (au moment des refus); M. G. Dosanjh, gestionnaire correctionnel (GC), Matsqui; M. M. Grant, agent de renseignements de sécurité (ARS), Matsqui (ARS par intérim au moment des refus); et M. S. Verwold, directeur adjoint par intérim, Services de gestion, Matsqui (employé au service d’entretien à Matsqui au moment du refus).
[38] Dans son témoignage, M. Brown a abordé ses attributions à titre de directeur de Matsqui. Il a expliqué les directives et politiques du SCC en vigueur à l’époque et décrit la population carcérale à Matsqui. Il a témoigné à propos des mesures qui avaient été mises en place au sein de l’établissement concernant l’interdiction totale de fumer, ainsi que les renseignements de sécurité recueillis au cours de cette période.
[39] M. Dosanjh a témoigné au sujet de ses tâches et responsabilités en tant que gestionnaire correctionnel, ainsi qu'au sujet des diverses procédures en place à l’unité Résidentielle qui sont en cause dans cette affaire. Il a décrit comment l’information relative à l’interdiction totale de fumer a été obtenue, consignée et transmise entre la direction et les agents correctionnels. Il a également expliqué les diverses pièces d’équipement de sécurité à l’unité Résidentielle.
[40] M. Grant a témoigné au sujet de son expérience du milieu correctionnel, de ses tâches et responsabilités à titre d’agent de renseignements de sécurité, poste qu’il occupait par intérim au moment des refus de travailler. Il a expliqué comment le renseignement de sécurité est obtenu, évalué et communiqué aux membres du personnel; il a expliqué le terme « kyte » et comment ce moyen de communication d’information entre les détenus et les membres du personnel est évalué; et il a expliqué sa façon d'interagir avec le comité des détenus et les représentants du personnel. Il a déposé ses notes concernant les circonstances relatives à l’interdiction totale de fumer et il a fourni une explication concernant la différence entre l’information et le renseignement de sécurité qu’il recevait et évaluait au quotidien.
[41] M. Verwold a témoigné au sujet de son expérience à l’établissement et de ses tâches et responsabilités. Son témoignage portait sur les aspects physiques de l’unité Résidentielle, p. ex., le détail de la construction des bureaux en question, les barrières et leurs mécanismes.
[42] Selon l’intimé, l’Ag. SS Yemchuk n’a pas commis d’erreur en concluant à l’absence de danger.
[43] L’intimé a d’abord fait valoir que le témoignage au sujet d’une émeute survenue en 1981 ne devrait avoir aucune incidence dans cette affaire, puisque l’incident s’était produit il y a 30 ans, n’avait pas donné lieu à une attaque contre les membres du personnel, et ne s’était pas déroulé à l’unité Résidentielle. En outre, l’intimé a également fait valoir que le témoignage concernant une manifestation dans la cour de la prison en 2008 n’avait rien à voir avec la présente affaire, puisque l’événement ne s’était pas produit à l’intérieur de l’unité Résidentielle.
La condition normale de l’emploi
[44] Citant Fletcher c. Canada (Procureur général)
[45] L’intimé a fait valoir que la jurisprudence a déterminé que la nature propre d’un établissement correctionnel en fait un milieu très dangereux. Il a soutenu que les membres du personnel doivent traiter avec des comportements humains imprévisibles et que le travail d’agent correctionnel est dangereux en lui-même.
[46] En outre, l’intimé a prétendu que le caractère dangereux du travail est clairement défini dans la description de poste et que cela a été reconnu par le Tribunal, par la CRTFP et par la Cour fédérale. Selon l’intimé, les agents correctionnels, plus particulièrement les AC-II affectés à l’unité Résidentielle, sont censés travailler parmi les détenus. Cela inclut le fait d'effectuer des rondes et des dénombrements, à titre de conditions normales de l’emploi.
[47] À titre d’exemple, l’intimé a affirmé que les AC-II sont censés faire des rondes, surveiller la file à la cantine et superviser les déplacements et les activités, et que ces tâches sont des conditions normales de l’emploi. Les détenus peuvent attaquer les AC-II dans chacune de ces situations, ce qui rend leur travail dangereux en lui-même.
Possibilité raisonnable
[48] Citant Welbourne c. Canadien Pacifique Ltée
[49] L’intimé a cité la décision Unger c. SCC
[50] L’intimé a également cité SCC c. DeWolfe et Campbell
(a) que ce risque ou cette situation se présentera;
(b) qu’un employé y sera alors exposé;
(c) que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que ce risque ou cette situation lui cause une blessure ou une maladie;
(d) que la blessure ou la maladie surviendra immédiatement après l’exposition à ce risque ou à cette situation.
[51] L’intimée fait valoir que l’on doit établir une preuve convaincante pour établir qu’une perturbation se produira. Sans une telle preuve, la menace reste du domaine de la simple spéculation. L’intimé a donc prétendu que le risque ne pouvait pas être la situation générale consistant à s’exposer à des détenus sans une barrière, puisqu’il s’agit à la fois d’une condition normale de l’emploi et d’un risque inhérent associé au travail.
[52] L’intimé a soutenu qu’une menace de « risque » ne suffit pas pour faire un constat de danger. L’intimé a prétendu qu’il n’y avait aucun élément de preuve à l'effet que les AC-II ou l’unité Résidentielle allait être attaqués, comme le démontrent les éléments de preuve suivants :
· le registre d’intervention de l’unité Résidentielle de la semaine précédant les refus, le compte rendu des bilans de gestion et le registre d’intervention des gestionnaires correctionnels indiquaient tous que tout était normal à l’établissement;
· seul un des employés ayant refusé de travailler avait travaillé pendant les cinq jours précédant les refus; cet agent n’avait pas assisté à l’audience et n’avait pas témoigné;
· le directeur Brown et l’ARS Grant ont démontré que les éléments de preuve de sécurité démontraient qu’aucun incident n’allait se produire;
· aucun des témoins des appelants n’a eu connaissance de menaces quelconques de première main; l’évaluation de ces témoins reposait sur une rumeur.
[53] L’intimé a allégué que l’on ne devrait pas accorder davantage de poids aux témoignages des AC du fait qu’ils travaillent directement avec les détenus. En outre, il existait d’autres informations accessibles (p. ex., dans le registre d’intervention, dans le compte rendu des bilans de réunions de gestion et dans le registre d’intervention du gestionnaire) que les AC-II n'avaient pas examinées. L’intimé a également souligné le fait que les agents Castex ou Gillette n’étaient pas présents à l’établissement dans la semaine précédant les refus de travailler.
Réponse des appelants
[54] Les appelants ont répondu en faisant d’abord ressortir de nombreuses incohérences dans les observations de l’employeur. Ils ont noté les éléments suivants :
· malgré le fait que les agents Lee, Macauley, Gareb et Tinnion n’aient pas témoigné à l’audience, les appelants soulignent le fait que ces employés travaillaient aux 1er et 2e étages de l’unité Résidentielle. Comme les étages de l’unité Résidentielle sont similaires, les appelants ont fait valoir que tout danger sur un étage constituait un danger sur un autre étage;
· les appelants ont fait référence au curriculum vitæ de M. Grant et plaidé qu’il n’avait pas été nommé au poste d’ARS avant le 1er juin 2009 (après les refus de travailler). Il était ARS par intérim au moment des refus.
· Les appelants ont exprimé leur désaccord face à l’affirmation de l’intimé voulant que l’unité Résidentielle accueillait 245 détenus en mai 2008. Les appelants ont fait ressortir le témoignage des agents Joe, Gillette et Castex, qui affirmaient tous qu’il y avait près de 300 détenus à l’unité Résidentielle au moment des refus de travailler.
· Les appelants ont fait valoir que les ROD sont laissés à la discrétion de la direction, s’ils les jugent appropriés.
· Les appelants ont soutenu que des changements importants de comportement et d’humeur, des activités inhabituelles et des changements de routine n’avaient pas été consignés aux registres d’intervention. En outre, les appelants ont soutenu que les AC-II n’avaient pas eu accès au registre d’intervention du GC.
· Les appelants ont soutenu que les comptes rendus du 3 mai 2008 et du 4 mai 2008 ne se trouvaient pas parmi les bilans des réunions de gestion.
· Les appelants ont demandé que les pièces 13, 14, 59 et 64 ne soient pas considérées dans l’appel, étant donné que ces documents n’étaient pas en vigueur au moment des refus de travailler.
· Les appelants ont souligné que l’employeur avait indiqué que des incidents se produisent habituellement lorsque les détenus éprouvent un sentiment d’injustice. Les appelants ont donc fait valoir qu’une interdiction totale de fumer pouvait être perçue comme étant injuste (étant donné que 80 % de la population de l’établissement était composé à de fumeurs).
· Les appelants ont contesté la caractérisation que l’intimé a faite de l’événement du 25 janvier 2008, lorsqu’il a affirmé qu’il n’était pas pertinent aux fins de l'affaire. Ils ont soutenu que l’employeur n’avait fourni aucun document officiel démontrant qu’aucun membre du personnel n’avait été blessé.
· Les appelants ont fait valoir que l’information concernant une possible perturbation n’aurait pas été inscrite au registre d’intervention, étant donné que les inscriptions de ce registre sont brèves et ne donnent pas de détails sur ce qui s'est passé à l’établissement. Par conséquent, les appelants ont plaidé qu’il n’était pas raisonnable de prétendre que les agents Joe et Castex auraient dû examiner le registre d’intervention.
[55] Dans leurs arguments de droit, les appelants ont évoqué le fait que la décision Verville était plus récente que la décision Welbourne, et que la définition de danger dans Verville était plus large que celle dans Welbourne.
[56] Les appelants ont également invoqué la décision Verville pour contrer l’argument de l’intimé voulant que le danger doive être perçu comme étant immédiat et réel. Ils ont cité la juge Gauthier dans Verville : « [J]e ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. [...] [L]a définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable. »
[57] Les appelants ont invoqué Verville à nouveau pour la proposition voulant qu' « une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus. »
[58] Les appelants ont fait valoir que les AC-II satisfont à ce critère. Ils ont soutenu que les employés avaient conclu, sur la base de leur expérience en tant qu’agents correctionnels ou membres de l’EIU, à une possibilité raisonnable de blessures en cas de perturbation majeure, en raison de l’unique itinéraire d’évacuation. En outre, les appelants ont soutenu que les employés avaient des motifs raisonnables de croire qu’une perturbation majeure allait se produire.
[59] Enfin, les appelants ont allégué que la définition de « condition normale de l’emploi » de l’intimé met la barre si haute qu’il est difficile de prétendre que des conditions, peu importe lesquelles, puissent être anormales.
Analyse
[60] Pour commencer, la question en litige dans cette affaire consiste à savoir si un danger, au sens défini au paragraphe 122(1) du Code, était présent à l’Établissement de Matsqui au moment des refus de travailler des appelants, le 10 mai 2008, et, dans l’affirmative, si ce danger est une condition normale de l’emploi dans les circonstances.
[61] Le terme « danger » est défini au paragraphe 122(1) du Code :
« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats —, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
[62] En ce qui concerne le critère applicable pour déterminer la présence d’un danger existant ou potentiel au sens du paragraphe 122(1) du Code, la juge Gauthier déclarait ce qui suit, dans la décision Verville de la Cour fédérale, au paragraphe 36 :
Sur ce point, je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n’exigent pas la preuve d’un délai précis à l’intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable. [Je souligne.]
[63] En l’espèce, les refus exercés par les employés reposaient sur leur croyance, au 10 mai 2008, que la première phase de l’interdiction totale de fumer allait entraîner une [TRADUCTION] « émeute imminente » ou « perturbation majeure potentielle », selon les termes utilisés par certains employés dans leur déclaration de refus, et que le seul itinéraire d’évacuation possible des bureaux des AC-II de l’unité Résidentielle constituait un danger pour eux.
[64] Afin de conclure à l’existence d’un danger au sens du Code en appliquant le critère énoncé dans Verville, je dois :
(i) identifier le risque associé à l’exécution de l’activité professionnelle;
(ii) identifier les circonstances dans lesquelles ce risque est susceptible de causer des blessures;
(iii) déterminer si ces circonstances auraient pu se produire le 10 mai 2008, non pas comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.
Quel est le risque associé à l’exécution de l’activité professionnelle?
[65] Les appelants ont soumis que le risque qui était considéré comme un danger à l’époque de leur refus de travailler en mai 2008 était lié au fait qu’il n’y avait qu’un seul itinéraire d’évacuation à partir des bureaux des AC-II de l’unité Résidentielle en cas de perturbation majeure. Je souscris à la première partie de la description selon laquelle la configuration des bureaux des AC-II est un élément clé de la situation dangereuse envisagée. Ce avec quoi je suis en désaccord, c’est l’association entre cette description et ce que les appelants ont décrit comme « une perturbation majeure », qui peut être interprétée comme une perturbation majeure pouvant survenir à tout moment à l’avenir, dans des circonstances autres que celles en l’espèce. J’interprète la décision Verville comme exigeant que l’on confirme que les circonstances qui seraient susceptibles de causer des blessures pour les employés qui exercent leur droit de refuser de travailler renvoient aux circonstances qui prévalaient au moment de leur refus de travailler.
[66] À la lumière de ce qui précède, mon analyse portera sur l’ensemble des circonstances impliquant une perturbation majeure potentielle relative à la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer à venir et à cette période en particulier.
[67] En conclusion, le risque associé à l'exercice des activités professionnelles dont je dois déterminer la dangerosité sera associé aux circonstances entourant la configuration des bureaux des AC-II de l’unité Résidentielle et ses environs, doublées d’une perturbation majeure potentielle qui devait se produire dans la période du 10 mai 2008, la date de mise en œuvre de la première phase de l’interdiction totale de fumer.
Dans quelles circonstances ce risque serait-il susceptible de causer des blessures aux employés?
[68] J’aborderai maintenant les circonstances en présence le ou vers le 10 mai 2008, qui pouvaient entraîner le risque décrit ci-dessus et, donc, être susceptibles de causer des blessures aux employés. Tous les éléments suivants seraient nécessaires pour créer des circonstances qui sont dangereuses pour les employés :
(i) une perturbation importante dans ou près de l’unité Résidentielle;
(ii) des détenus qui traversent les barrières ou des détenus déjà à l’intérieur des limites extérieures des bureaux des AC-II de l’unité Résidentielle quand les barrières sont fermées;
(iii) des employés pris au piège dans les bureaux des AC-II de l’unité Résidentielle et incapables d’atteindre le poste de contrôle ou la porte de secours.
Les circonstances créant le risque décrit ci-dessus le 10 mai 2008 pouvaient-elles se produire, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable?
[69] Je commencerai mon analyse de cette question en mettant l’accent sur l’élément i) des circonstances dangereuses que j’ai décrites et concernant le potentiel de perturbation majeure en mai 2008. Si je devais conclure qu'il y avait une possibilité raisonnable, et non une simple possibilité, qu’une perturbation majeure se produise, l’étape suivante consisterait à examiner les éléments ii) et iii), relativement aux questions concernant la les barrières de périmètre de l’unité Résidentielle et les éléments relatifs aux bureaux des AC-II : l’aménagement général, la configuration, l’équipement de protection qui s’y trouve et les modes d’évacuation.
[70] Les appelants soutiennent qu’il y avait une probabilité raisonnable de perturbation majeure en mai 2008. Cette prétention repose principalement sur le témoignage de MM. Joe et Castex, qui affirment que l’interdiction totale de fumer représentait un changement important pour la population carcérale de Matsqui, relativement à l’humeur des détenus et au fait que les détenus n’étaient pas très communicatifs avec les agents correctionnels à l’époque. Dans son témoignage, M. Joe affirme que tous les membres du personnel éprouvaient de la crainte à l’approche de l’interdiction totale de fumer. On fait valoir que ces changements de comportement étaient des facteurs qui n’avaient pas été consignés dans les rapports et, par conséquent, que les agents correctionnels croyaient que l’employeur les minimisait ou en faisait fi.
[71] Les appelants font en outre valoir que l’affirmation de M. Castex, voulant que le fait que les détenus transmettaient des « kytes », dans lesquelles ils disaient que les lieux allaient être détruits par les flammes et que des membres du personnel allaient être tués si une interdiction totale de fumer entrait en vigueur, constitue un élément de preuve important à l’appui de la possibilité raisonnable de perturbation majeure.
[72] Les appelants m'ont également soumis qu'il y avait une possibilité raisonnable pour les AC-II, compte tenu de leur expérience à titre d’agents correctionnels ou de membres de l’EIU, et par déduction raisonnable à partir des faits connus à l’époque, qu’une perturbation majeure aurait pu se produire et aurait été susceptible de leur causer des blessures. Cet argument est appuyé par une citation de la décision Verville, au paragraphe 51, qui réitère cette position. On a allégué que, pris ensemble, tous les facteurs présentés par les témoins devraient nous amener une déduction raisonnable de l’existence d’un danger.
[73] À ce stade, la question est de savoir s'il y avait ou non des éléments de preuve permettant de conclure qu’une perturbation majeure aurait pu se produire le ou vers le 10 mai 2008, à la suite de la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer.
[74] Je reconnais que les témoins qui ont témoigné pour les appelants sur ce point étaient très expérimentés et qualifiés pour faire des évaluations concernant les circonstances dangereuses qui pourraient se produire dans le cadre de leurs fonctions à titre d’AC. Quoi qu’il en soit, ma décision doit reposer sur des données factuelles relatives aux circonstances au moment des refus, qui me convaincraient de la probabilité qu’une perturbation majeure se produise le ou vers le 10 mai 2008, et ce, en lien avec les perceptions des AC compte tenu de leurs connaissances et de leur expérience.
[75] À cet égard, je juge que les éléments de preuve des appelants ne m’ont pas convaincu qu'il y avait une possibilité raisonnable qu’une perturbation majeure aurait pu se produire le ou vers le 10 mai 2008.
[76] Par exemple, en contre-interrogatoire, M. Castex a affirmé avoir entendu des commentaires d’un détenu à un autre, du genre [TRADUCTION] « … lorsque cette place va… », mais il ne s’est pas approché de ces détenus et il ne peut se rappeler quand et où cette conversation a eu lieu, et il n’a pas signalé l’incident, ni à l’employeur ni à l’ARS. Il se souvient seulement l’avoir peut-être signalé à un collègue.
[77] De même, M. Castex a témoigné qu’avant la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer, deux détenus dont il était responsable ont cessé de le rencontrer, ce qui appuie la prétention des appelants voulant que les détenus ne parlaient pas aux membres du personnel. Cependant, en contre-interrogatoire, il a confirmé qu’un détenu n’avait jamais eu pour habitude de le rencontrer, et que cette situation n’avait pas été signalée à l’employeur.
[78] En outre, sur la question des « kytes » précédant la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer, M. Castex a témoigné que, bien qu’il ait entendu dire que des détenus transmettaient des « kytes », lui-même n’en a reçu aucun. Il a également indiqué en contre-interrogatoire que personne ne l’a menacé avant la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer, et qu’il n’a rempli aucun ROD concernant les tensions et la perturbation qu’il croyait à venir.
[79] Le fait que M. Castex n’a signalé d’aucune façon à l’employeur l’un ou l’autre des problèmes ci-dessus, par un ROD ou non, ne m’aide pas à saisir, de manière factuelle, l’étendue ou le degré de ses craintes, de ses préoccupations ou de l’ampleur du risque relativement à une perturbation majeure à l’époque.
[80] En outre, MM. Joe et Castex ont affirmé que les six appelants ont tous assisté au bilan donné par le GC au début du quart de travail du matin du 10 mai 2008. C’est lors de ce bilan que les six appelants ont décidé qu'ils refuseraient de travailler. Ce jour-là, quatre des six appelants (MM. Gareb, Macaulay, Castex et Tinnon) devaient travailler à titre de AC-II à l’unité Résidentielle. Les deux autres appelants (MM. Joe et Lee) ne devaient pas travailler, mais ont accepté de le faire pendant le quart, étant donné que les deux autres AC-II à l’horaire étaient en congé. L’affectation régulière de M. Joe de septembre 2007 à avril 2009 était à l’unité d’isolement et on l’a appelé pour faire des heures supplémentaires le 10 mai.
[81] M. Castex a affirmé qu’à l’exception de M. Joe, les quatre autres appelants travaillaient habituellement à l’unité Résidentielle avec lui, et que le 10 mai 2008, lui et les quatre autres appelants revenaient de congé. Les registres d’intervention de l’unité Résidentielle indiquaient que le dernier quart travaillé avant le 10 mai 2008 par les appelants (MM. Castex, Macaulay, Gareb et Tinnon) avait eu lieu le 5 mai 2008. Le seul appelant à avoir travaillé après le 5 mai 2008 est M. Lee, qui n’a pas assisté à l’audience.
[82] Dans les jours précédant le 10 mai 2008 et leur refus de travailler collectif, les appelants, à l’exclusion M. Lee, n’étaient pas physiquement présents sur les lieux. Une grande partie des éléments de preuve des appelants quant à l’existence d’un danger, en raison d’une perturbation potentielle, reposait sur des changements de comportement perçus chez les détenus et sur l’envoi de « kytes ».
[83] Étant donné que les appelants n’étaient pas tous présents à l’unité Résidentielle dans les jours précédant le 10 mai 2008, à l’exception de M. Lee, qui n’a pas témoigné, je ne peux que conclure qu’ils n’avaient pas un portrait complet de la situation à Matsqui au moment de leur refus. Par conséquent, je considère que leurs hypothèses voulant qu’une perturbation majeure aurait pu se produire étaient fondées sur la spéculation plutôt que sur des faits. Étant donné que les informations factuelles disponibles indiquaient que tout était normal à Matsqui, je ne suis pas convaincu par le témoignage des appelants qu’une perturbation majeure aurait pu se produire.
[84] D’autre part, j’ai bien reçu des éléments de preuve convaincants des comptes rendus des bilans de réunion de gestion indiquant que, pendant les neuf jours précédant les refus de travailler, soit du 1er au 9 mai 2008, tout était normal à Matsqui et rien d’anormal ou de fâcheux ne laissait présager qu'il y aurait une forme quelconque de protestation majeure, de perturbation majeure, d’émeute ou d’autres actions de cette ampleur. Ces éléments de preuve ont été confirmés au cours du contre-interrogatoire de MM. Joe et Castex. En outre, les registres d’intervention des AC-II et des AC-I de l’unité Résidentielle, pour chaque échelon, du 28 avril au 10 mai 2008, ainsi que les registres d’intervention des gestionnaires correctionnels du 28 avril au 11 mai 2008 indiquaient le même état de fait.
[85] En contre-interrogatoire, MM. Joe et Castex ont indiqué qu’ils ont pour habitude de passer en revue le registre d’intervention de leur affectation au début du quart de travail, et qu’ils passent également en revue les jours précédents s’ils étaient en congé, pour savoir ce qui s’est produit.
[86] Lorsque questionné davantage durant son contre-interrogatoire, M. Joe a indiqué qu’il n’avait pas étudié les registres d’intervention de l’unité Résidentielle le 10 mai 2008, ni la semaine précédente, à tout le moins, et qu’il n'était pas allé au bureau de l’ARS et n'avait pas consulté de ROD. Il n’a pas rempli de ROD concernant les tensions ou une perturbation potentielle en raison de la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer à Matsqui. Cet élément laisse croire que ses préoccupations n’étaient pas d’un degré suffisant pour justifier des mesures réactives ou préventives de la part de l’employeur.
[87] Lorsque questionné davantage durant son contre-interrogatoire, M. Castex a indiqué qu’il n’avait pas regardé les registres d’intervention de l’unité Résidentielle ni les comptes rendus des bilans de gestion le matin du 10 mai 2008. M. Castex a indiqué qu’il n’était pas allé au poste auquel il avait été assigné à l’unité Résidentielle le jour des refus de travailler, ce qui me laisse croire qu’il n’était pas tout à fait au courant des tout derniers événements à son lieu de travail.
[88] M. Grant agissait à titre d’ARS par intérim au moment des refus de travailler. Il est responsable de recueillir de l’information par différents moyens, notamment l’interception des communications, des sources humaines et l’examen des ROD. Son évaluation, qui repose sur des normes et des critères de sécurité établis, concluait que, malgré certaines rumeurs et conjectures à Matsqui, le renseignement de sécurité n’indiquait aucun plan de perturbation majeure ou de révolte chez les détenus. Néanmoins, la possibilité d’une protestation de la part des détenus n’était pas exclue.
[89] Dans leur témoignage, l’ARS et le directeur ont indiqué que, du point de vue du renseignement de sécurité, jusqu’à l’interdiction totale de fumer du 8 mai 2008, on pouvait craindre des réactions individuelles chez certains détenus, mais des mesures étaient en place pour gérer ce risque. L’ARS étudiait constamment l’information qui lui était transmise, notamment les ROD, ainsi que l’information provenant de sources confidentielles chez les détenus. De plus, une Évaluation de la menace et des risques (EMR) continue était effectuée et mise en œuvre en fonction du renseignement de sécurité.
[90] Qui plus est, j’ai reçu des éléments de preuve qui m’ont convaincu que l’interdiction totale de fumer à Matsqui a été instaurée et mise en œuvre de façon méthodique et transparente, ce qui, je crois, a sensiblement atténué le risque que cette question donne lieu à une perturbation majeure. Je préciserai les mesures prises par l’employeur en renvoyant au témoignage du directeur et aux autres pièces pertinentes.
[91] L’interdiction totale de fumer à l’intérieur de Matsqui et dans tous les établissements du SCC a commencé par une interdiction partielle en janvier 2006. Au début de 2007, l’employeur a annoncé qu’il envisageait une interdiction totale de fumer et que des consultations auraient lieu auprès des employés, des syndicats, des détenus et d’autres intervenants. Ces consultations ont pris fin au cours de l’été 2007, et à ce moment, on a annoncé que l’interdiction totale de fumer entrerait en vigueur le 30 avril 2008.
[92] Le 3 janvier 2008, le directeur a envoyé un courriel à tous les gestionnaires de Matsqui, ainsi qu’à l’exécutif de la section locale du syndicat, dont M. Joe faisait partie, dans lequel il précisait la politique de l’employeur concernant l’interdiction totale de fumer, dans un document intitulé [TRADUCTION] « Feuille de route pour la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer ». Un autre rappel a été communiqué à l’échelle nationale le 21 janvier 2008.
[93] Le 21 février 2008, le directeur a transmis un courriel à tous les utilisateurs de Matsqui pour les informer que la date initiale de l’interdiction totale de fumer était reportée au 5 mai 2008. Le courriel indiquait également que le dernier jour de la vente de produits du tabac aux détenus serait le 21 avril 2008, et que les détenus pourraient acheter des articles de remplacement à leur cantine. Ce courriel informait les membres du personnel que des programmes et des outils pour arrêter de fumer étaient disponibles, tout en leur rappelant l’importance de la communication entre les membres du personnel et les détenus. Le sujet a également fait l’objet d’une discussion plus approfondie avec la section locale du syndicat de Matsqui, dans le cadre de réunions de consultation tenues le 27 mars 2008. D’autres communications sur la question ont eu lieu entre la direction et les membres du personnel en mars et en avril 2008.
[94] Le 22 avril 2008, le commissaire du SCC envoyait un communiqué ministériel à tous les membres du personnel du SCC pour leur donner les plus récentes informations sur la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer. Le communiqué indiquait que l’interdiction n’entrerait pas en vigueur le même jour dans tous les établissements, mais qu’elle serait échelonnée. La date de la mise en œuvre à Matsqui a été reportée au 20 mai 2008. Par conséquent, la date ultime de la vente de produits du tabac a été repoussée du 21 avril 2008 au 10 mai 2008. La date limite de la vente de produits du tabac était prévue environ dix jours avant la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer, l’idée étant de permettre une élimination progressive naturelle des produits du tabac à Matsqui. On croyait qu’une fois les ventes arrêtées, la plupart des produits du tabac, sinon leur entièreté, auraient été consommés à la date de mise en œuvre, ce qui éviterait aux membres du personnel d’essayer d’attraper les détenus qui chercheraient à contourner l’interdiction.
[95] Dans son témoignage, le directeur a affirmé que l’une des raisons pour lesquelles la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer a été repoussée à Matsqui était d’éviter qu’elle ne coïncide avec l’entrée en vigueur de l’interdiction à d’autres établissements à sécurité maximale, comme l'Établissement de Kent, où elle était prévue le 5 mai 2008. Le directeur a indiqué que les détenus de Matsqui étaient sensibilisés à la question. Selon son témoignage, les échelons régionaux et national mettaient l’information en commun et tout indice de perturbation à ces endroits serait communiqué et évalué. Dans les faits, il n’y a eu aucun incident à l’Établissement de Kent dans la foulée de la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer.
[96] Le 2 mai 2008, le syndicat des appelants a transmis une mise à jour à ses membres concernant la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer et des produits du tabac et ses incidences. Il rappelait à ses membres d’aviser la direction de toute information portée à leur attention pouvant indiquer que les détenus planifiaient une perturbation. De telles informations devaient être transmises en rédigeant des ROD, pour informer la direction et notifier le syndicat. Il demandait également aux membres de veiller à consigner les accusations contre les détenus qui tentaient de résister à l’interdiction.
[97] Après avoir examiné les éléments de preuve ci-dessus, je conclus qu'il n'y avait qu'une simple possibilité qu'une perturbation majeure se produise dans la foulée de la mise en œuvre de l’interdiction de fumer à l’intérieur ou à proximité de l’unité Résidentielle de l’Établissement de Matsqui, le 10 mai 2008. Qui plus est, puisqu'il n'y avait qu'une simple possibilité que cet élément intégral se produise pour qu'il y ait les circonstances dangereuses comme celles décrites au paragraphe 68, il n’est pas nécessaire d’analyser les deux autres éléments et, par conséquent, je conclus également que les circonstances n'étaient pas susceptibles d'entraîner de blessures pour les appelants.
[98] Quoi qu’il en soit, l’arrêt de la vente de produits du tabac, ainsi que la mise en œuvre de l’interdiction totale de fumer, a eu lieu sans incident ni perturbation. L’interdiction totale de fumer a été mise en œuvre par un processus en deux phases, afin que les détenus soient mis au courant bien avant le 10 mai 2008, et le résultat semble indiquer que tout a été fait de manière équitable, ce qui a permis d’éviter une perturbation majeure.
[99] Sur la base des éléments de preuve, je conclus que les appelants n’étaient pas exposés à un danger selon la définition du paragraphe 122(1) du Code. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la condition normale de l’emploi.
Décision
[100] Pour tous ces motifs, je conclus à l’absence de danger le 10 mai 2008 à l’Établissement de Matsqui.
Michael Wiwchar
Agent d’appel
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