2012 TSSTC 33

Référence : Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2012 TSSTC 33

Date : 2012-10-03
No dossier : 2011-40
Rendue à : Ottawa

Entre :

Société canadienne des postes, appelante

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, intimé

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Michael McDermott, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me Jeremy Warning, Associé, Heenan Blaikie

Pour l’intimé : M. Peter Denley, agent régional des griefs, STTP

MOTIFS DE DÉCISION

[1]               Cette décision concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise le 8 juillet 2011 par M. Bob Tomlin, agent de santé et de sécurité (AG. SS), en vertu du paragraphe 145(1) du Code. L’appelante est la Société canadienne des postes (la Société), et l’intimé est le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).

Contexte

[2]               L’instruction a été émise par l’agent de santé et de sécurité (AG. SS) au terme de son enquête sur un incident survenu le 5 juillet 2011 vers 12 h 30, sur Wallbridge Crescent à Belleville (Ontario), impliquant deux chiens et lors duquel Mme Judy Norris, factrice, a subi des blessures graves. L’AG. SS a conclu que la Société avait enfreint l’article 124 du Code sur les obligations générales des employeurs, et a émis l’instruction suivante à la Société :

[Traduction]

Ledit agent de santé et de sécurité estime que la disposition suivante de la Partie II du Code canadien du travail a été enfreinte :

No./No : 1

124. – Partie II du Code canadien du travail – L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

L’employeur affecte des employés à la livraison du courrier à des endroits où il sait ou devrait savoir que les résidents gardent des animaux sans contrôles adéquats pour protéger ses employés contre des attaques d’animaux.

                                                                                                                           Par conséquent, il vous EST ORDONNÉ PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention au plus tard le 8 juillet 2011.

En outre, je vous DONNE PAR LA PRÉSENTE L’INSTRUCTION, conformément à l’alinéa 145(1)b) de la Partie II du Code canadien du travail, de prendre, dans les délais précisés par l’agent de santé et de sécurité, des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émis à Belleville, le 8 juillet 2011.

[3]               Les audiences de l’appel ont eu lieu à Belleville les 28 et 29 février et 1er mars 2012. Outre l’AG. SS Tomlin, les témoins suivants ont témoigné pendant les deux jours et demi qu’ont duré les audiences : pour l’appelante, M. Travis Shalla, superviseur de facteurs à Belleville, et M. Hichan Azzi, agent de formation pour les opérations à Ottawa; pour l’intimé, M. Peter McCarthy, coprésident employé du comité local mixte de santé et de sécurité, et les factrices Kelly Baldock et Judy Norris, tous trois provenant de Belleville.

[4]               Les détails précis de l’incident du 5 juillet et des blessures qu’a subies la factrice ne sont pas contestés. Mme Norris est employée par la Société en tant que factrice temporaire ou occasionnelle, selon les besoins. Le 5 juillet 2011, elle livrait le courrier sur l’itinéraire no 14. En s’approchant des nos 50 à 48 de Wallbridge Crescent et en arrivant au dernier numéro, elle a été attaquée par deux chiens appartenant aux résidents. Mme Norris n’a pas eu le temps d’attraper le vaporisateur de poivre dans sa sacoche. Elle a essayé de protéger ses jambes avec la sacoche et le courrier qu’elle tenait. Le plus gros chien des deux chiens, un bull-mastiff, l’a mordue à deux reprises, lui sectionnant la partie inférieure du pouce gauche. Témoin de l’incident, M. Shawn DesRochers, résident du 50, Wallbridge Crescent, a appelé le 911. Malgré sa blessure et son trouble, Mme Norris a téléphoné au bureau de poste de Belleville et parlé avec Travis Shalla, son superviseur, pour l’informer de l’attaque et de sa blessure. M. Shalla a alors alerté Mme Susan Coultis, surintendante du bureau de poste de Belleville, et les deux se sont rendus sur les lieux de l’incident, où la police se trouvait déjà et prodiguait les premiers soins. L’ambulance est ensuite arrivée, et Mme Coultis a accompagné Mme Norris à l’hôpital de Belleville. Des recherches ont été menées sur les lieux de l’incident pour retrouver la partie sectionnée du pouce de Mme Norris, mais sans succès. À l’hôpital, on a amputé le pouce jusqu’à la jointure de doigt.

[5]               M. Shalla se trouvait toujours sur les lieux de l’incident lorsque M. Ron Pierce, agent municipal de contrôle des animaux, est arrivé. Dans son témoignage, M. Travis a indiqué que M. Pierce l’avait informé que les chiens avaient déjà été impliqués dans des incidents passés, notamment l’attaque d’un garçon de douze ans survenue en janvier 2011 alors que le garçon accompagnait son père qui distribuait du matériel publicitaire sur Wallbridge Crescent, à la suite de laquelle une ordonnance de porter une muselière à l’extérieur avait été donnée à l’égard du plus gros des deux chiens. M. Travis a déclaré qu’il n’avait pas été au courant de l’attaque dont le garçon avait été victime avant le 5 juillet. La suggestion de l’avocat de l’appelante, selon laquelle personne au courant de l’attaque n’en avait informé la société avant que M. Pierce n’en informe M. Travis, n’a pas été contestée. À la suite de l’attaque dont Mme Norris a été victime, et apparemment sur ordre de la police de Belleville, on a euthanasié le bull-mastiff.

[6]               L’AG. SS Tomlin a commencé son enquête à Belleville le 7 juillet 2011 vers 8 h 30. Il a déclaré que ses activités ce jour-là et le lendemain avaient été de nature préliminaire. Il s’est rendu au bureau de poste où il a obtenu une déclaration officielle de Travis Shalla. Il a parlé avec Mme Coultis, mais n’a pas recueilli sa déclaration, et, pendant le contre-interrogatoire à l’audience, il a indiqué ne pas se rappeler précisément de la teneur de sa conversation avec elle. Il a dit qu’il avait parlé avec d’autres facteurs présents au bureau de poste, mais sans noter leur nom ou leurs coordonnées. Il a pris connaissance du casier de tri et du fait que le compartiment associés au no 48, Wallbridge Crescent portait un autocollant de chien. Comme il a été mentionné plus tôt, l’instruction faisant l’objet de l’appel a été émise par l’AG. SS le 8 juillet 2011, soit le deuxième jour de son enquête préliminaire. L’AG. SS Tomlin a noté dans son rapport et a confirmé dans son témoignage que la Société avait cessé la livraison au 48, Wallbridge Crescent conformément à l’instruction.

[7]               L’AG. SS a poursuivi son enquête en août 2011. Il a interrogé et recueilli les déclarations des personnes suivantes : Mme Norris, le 18 août; M. Ron Pierce, l’agent de contrôle des animaux, les 22 et 30 août; et M. Wally Purchase, le 31 août. M. Purchase était le facteur affecté à l’itinéraire no 14 à Belleville avant qu’il prenne sa retraite. Je reviendrai plus loin sur ces entrevues et déclarations, au besoin. Je me contenterai de souligner ici que, au terme de son enquête et conformément à l’alinéa 125(1)z.03) du Code et à l’alinéa 19.7(2) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, l’AG. SS Tomlin a émis une seconde instruction à la Société le 2 septembre 2011. L’instruction, qui n’a pas fait l’objet d’un appel, a été émise en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code après que l’AG. SS eut constaté une situation qui représentait un danger pour les employés au travail. Cette situation est décrite dans l’instruction de la façon suivante :

[Traduction]

Les procédures de travail sécuritaire pour faire face au danger posé par des chiens menaçants ou hostiles ne sont pas mises en œuvre de façon cohérente par les employés ou ne sont pas mises en œuvre et surveillées de façon cohérente par les superviseurs.

Question en litige

[8]               Il s’agit ici de déterminer si l’AG. SS a fait erreur lorsqu’il a émis l’instruction en vertu de l’article 124 du Code le 8 juillet 2011, et, le cas échéant, si l’instruction devrait être modifiée ou annulée.

Preuve

[9]               J’ai examiné attentivement les déclarations des témoins et les pièces déposées en preuve au cours de l’instance. J’ai retenu ce que je considérais comme étant les éléments de preuve les plus pertinents relativement à l’appel. Je ferai d’abord un tour d’horizon des politiques et pratiques en vigueur à la Société concernant le signalement de chiens à des points de remise précis et les mesures recommandées lorsque les chiens manifestent des tendances hostiles et agressives. Je résumerai ensuite la preuve sur la portée et le contenu de la formation offerte aux facteurs en ce qui a trait à la présence de chiens. Je me reporterai à la preuve donnée par M. McCarthy concernant son opinion sur le délai d’intervention de la direction aux rapports d’incidents liés à la santé et à la sécurité, ainsi qu’à la preuve donnée par Mmes Baldock et Norris sur leur expérience des attaques de chiens et de la réponse qui s’ensuit.

[10]           Les témoignages de MM. Shalla et Azzi confirment que la présence d’un chien à un point de remise est signalée par un petit autocollant représentant un chien, qui est apposé au-dessus du compartiment correspondant à l’adresse appropriée dans le casier de tri. L’autocollant indique simplement la présence d’un chien à cette adresse, sans donner de détails sur son tempérament ou sa propension à l’agressivité. Selon les témoignages recueillis, les facteurs sont la principale source d’information de la Société sur la présence de chiens à des points de remise précis. La politique de la Société demande aux facteurs qui constatent la présence d’un chien qui n’avait pas encore été aperçu à une adresse sur son itinéraire d’apposer un autocollant de chien à l’endroit approprié sur le casier de tri, d’informer leur superviseur et de faire en sorte qu’une lettre signée par leur superviseur soit envoyée à l’adresse en question pour aviser les résidents de leurs responsabilités en tant que propriétaires de chiens.

[11]           Si un chien manifeste un comportement menaçant ou agressif à leur égard, les facteurs doivent suivre les sections 6-1-1 et 6-3-2 du Système du manuel de la Société (SMS). Ces procédures sont semblables pour tous les dangers et obstacles à la livraison, que ce soit les intempéries, le piètre état d’une résidence ou la présence d’individus menaçants (et non seulement de chiens). Le SMS énonce la responsabilité du facteur de signaler tout incident à son superviseur et d’étayer et de dater l’incident sur une carte d’avertissement ou une carte rose, en précisant la nature du danger ou de l’obstacle. Il semble qu’au bureau de poste de Belleville, la pratique soit que le superviseur approuve la carte d’avertissement après une enquête. Dans tous les cas, la carte rose doit être insérée dans le compartiment de l’adresse appropriée dans le casier de tri, prise avec le courrier à livrer et replacée dans le compartiment une fois l’itinéraire achevé.

[12]           Lorsqu’un facteur signale la présence d’un chien agressif, le superviseur communique avec le propriétaire du chien et entreprend une enquête. Selon les résultats de l’enquête, une lettre d’assurance indiquant que des mesures sont prises pour contrôler le ou les chiens est envoyée au propriétaire du ou des chiens. La réponse du propriétaire à cette lettre et la nature des mesures qu’il prend pour maîtriser les risques associés à son chien peuvent déterminer si des sanctions seront prises, lesquelles peuvent aller jusqu’à la suspension temporaire ou permanente de la livraison. La seule présence d’une carte rose ne suspend pas la livraison. Il importe cependant de noter que la politique de la Société voulant que [traduction] « si vous ne vous sentez pas en sécurité, n’approchez pas » s’applique aussi bien au danger posé par un chien qu’à tous les autres risques et obstacles à la livraison.

[13]           Je répète que les facteurs sont la principale source d’information sur la présence de chiens agressifs. Aucune preuve n’a été déposée pour établir que des facteurs avaient déjà refusé de livrer du courrier au 48, Wallbridge Crescent en raison de chiens hostiles, ni que des rapports écrits de telles circonstances avaient déjà été faits. La déclaration recueillie par l’AG. SS le 31 août 2012 auprès de M. Purchase, le facteur qui était affecté à l’itinéraire no 14 avant qu’il prenne sa retraite, n’a pas été déposée en preuve. Toutefois, je note que M. Purchase a indiqué avoir signalé à un ancien superviseur que les chiens au 48, Wallbridge Crescent avaient plus d’une fois tenté de sauter par-dessus la clôture de la cour où ils étaient confinés. Comme ces tentatives avaient échoué, il n’avait pas décrit les chiens comme étant non contrôlés. Ce rapport apparemment verbal de M. Purchase ne semble pas avoir été étayé selon les exigences de la politique, pas plus qu’un suivi ne semble avoir été fait, ni par M. Purchase ni par le superviseur.

[14]           Au moment de l’attaque dont Mme Norris a été victime le 5 juillet, il n’y avait pas d’échange systématique d’information entre la Société et l’agent municipal de contrôle des animaux. M. Shalla a déclaré que les prises de contact étaient toujours faites par le personnel de la Société, vraisemblablement lorsqu’un incident lié à un chien survenait, et que M. Pierce n’avait jamais donné spontanément d’information sur les chiens posant problème. Les entrevues menées par l’AG. SS avec M. Pierce et les déclarations que celui-ci a faites les 22 et 30 août 2012 n’ont pas non plus été déposées dans le cadre de l’audience. Néanmoins, je note que la déclaration non vérifiée de M. Pierce dresse un tableau plus nuancé de la séquence des échanges avec M. Shalla, mais, en bout de ligne, il n’était pas sûr d’avoir informé M. Shalla de l’incident du janvier 2011 impliquant les deux chiens avant de le voir le 5 juillet 2011sur les lieux de l’attaque dont a été victime Mme Norris.

[15]           Les témoignages de MM. Shalla et Aziz fournissent des renseignements très utiles sur la formation et l’information offerte aux facteurs sur les risques et les obstacles à la livraison liés aux chiens. Plusieurs pièces déposées en preuve pendant les audiences, dont certaines ont déjà été mentionnées, sont également à considérer. En somme, les témoignages et les pièces prouvent qu’une formation et une information complètes sont offertes aux facteurs sur ce sujet important. La pièce no 7 est une copie de l’historique de formation de Mme Norris dressant la liste des formations qu’elle a suivies depuis son entrée à l’emploi de la Société en tant que factrice temporaire à Belleville, en septembre 2007. M. Azzi, qui a confirmé avoir donné à Mme Norris une partie de sa formation, a déclaré qu’il s’agissait de la même formation que celle offerte à tous les facteurs, temporaires ou permanents, lorsqu’ils se joignent à la Société.

[16]           Le programme de formation a été élaboré par la Société, en collaboration avec le Syndicat, et certains modules de santé et de sécurité sont donnés en salle de classe par des formateurs du STTP, entre autres un module portant expressément sur le travail des facteurs à l’extérieur, comprenant une section sur le comportement à adopter en présence d’animaux sauvages ou de chiens agressifs. Le programme de formation est également appelé l’« école des facteurs », même si cette dernière semble comprendre cinq jours de mentorat professionnel après les séances en classe. M. Azzi donne un module sur la sécurité au travail pour la Société, qui comprend aussi une section sur les attaques de chiens. Une vidéo de quelque 20 minutes sur les problèmes liés aux chiens fait également partie du programme de formation et a été visionnée pendant les audiences. La vidéo traite de différents sujets, allant de la sensibilisation aux menaces que peuvent poser les chiens à la prévention des attaques de chiens, en passant par les mesures de protection à prendre en cas d’attaque et le signalement des incidents impliquant des chiens agressifs. Le guide du formateur sur la vidéo précise le temps alloué pour une période de questions et de discussion.

[17]           Le détail de l’information fournie dans le SMS et dans les séances en classe pour sensibiliser les facteurs aux menaces que peuvent poser les chiens et pour gérer les incidents impliquant des chiens est résumé brièvement dans cinq bulletins d’information sur les chiens dont les superviseurs se servent pour présenter aux facteurs des exposés sur la sécurité. M. Shalla a déclaré que lui et son collègue donnaient ce genre d’exposé pratiquement chaque semaine. Assez courts, ces exposés durent de cinq à dix minutes. Au fil des ans, on y a abordé toute une gamme de questions liées à la sécurité, et non seulement aux chiens, mais M. Shalla a indiqué qu’une attention particulière était portée aux bulletins d’information sur les chiens au printemps, lorsque les chiens passent plus de temps à l’extérieur avec l’arrivée des beaux jours. Comme la vidéo, les bulletins traitent de sensibilisation, de prévention des morsures de chiens et des mesures à prendre en cas d’incident. Ils résument les mesures que doivent prendre le facteur et le superviseur. Deux exemples d’exposés sur les morsures de chiens ont été déposés en preuve lors de l’audience, l’un donné le 28 avril 2011 sur le comportement à adopter lorsqu’un chien s’approche, l’autre donné le 5 mai 2011 sur le comportement à adopter devant la porte du client. La présence à ces exposés est consignée. On a consigné la présence de Mme Norris aux deux séances des 28 avril et 11 mai. Or, elle a nié avoir assisté à la deuxième et a fourni des notes montrant qu’elle n’avait pas travaillé ce jour-là.

[18]           Interrogé sur l’accès au SMS par les facteurs, M. Azzi a répondu que le SMS était accessible à tous dans l’intranet. Il a dit que les employés avaient accès à Internet au bureau de Belleville et que la trousse de bienvenue destinée aux nouveaux employés précisait la marche à suivre pour accéder à Internet. Les employés qui le veulent peuvent aussi se procurer une copie papier du SMS. Encore une fois, la majeure partie de l’information contenue dans le SMS sur les questions liées aux chiens est accessible dans un format facile à lire dans les bulletins évoqués au paragraphe précédent. M. Azzi a indiqué que des copies des textes des cinq exposés sur la sécurité en présence de chiens étaient accessibles avec le guide situé à l’endroit où les facteurs pointent. Le guide contient un vaste éventail de renseignements de nature professionnelle et personnelle et est accessible aux facteurs, qui ont deux minutes par jour pour le consulter.

[19]           Le témoignage de M. Peter McCarthy, coprésident employé du comité local mixte de santé et de sécurité (CLMSS) depuis 2008, a confirmé de façon générale les politiques en vigueur sur les questions liées aux chiens et les incidents mentionnés précédemment. Toutefois, sa preuve porte principalement sur ce qu’il considérait être des omissions et des retards de la part des superviseurs et de la direction à fournir de l’information sur les blessures au travail, et en particulier à transmettre au CLMSS les rapports d’enquête sur les accidents de façon uniforme et en temps utile. Des copies d’ordres du jour du CLMSS et de rapports d’enquête sur les accidents ont été déposées en preuve, auxquelles M. McCarthy s’est reporté lorsqu’il a indiqué que certains rapports d’enquête n’étaient pas rédigés, ou qu’ils étaient rédigés, mais pas transmis au CLMSS. Il a aussi déclaré qu’il n’était pas rare que des enquêtes sur les accidents se déroulent à l’insu des membres du CLMSS, en contravention avec la politique, et que cela avait été le cas pour l’incident du 5 juillet avec Mme Norris. Il a dit que les noms et numéros de téléphone des membres du CLMSS étaient affichés sur le tableau de la santé et de la sécurité (situé près du tableau d’affichage) et a confirmé que lui ou un autre représentant des employés répondaient quand on les appelait. Pendant son contre-interrogatoire, M. McCarthy a admis que le tableau d’affichage ainsi que les cinq bulletins sur la sécurité relatifs aux chiens affichés à côté fournissaient des renseignements importants sur les incidents liés à des chiens.

[20]           Mme Kelly Baldock, factrice comptant plus de 22 années de service à la Société, a témoigné relativement à deux incidents survenus en juillet 2011 impliquant des chiens agressifs alors qu’elle livrait le courrier. Le premier concernait un berger allemand que possédait un nouveau résident du 15, rue McFarland, à Belleville. Ce premier incident était survenu au début de juillet 2011, avant l’attaque dont a été victime Mme Norris. Lorsque Mme Baldock a remarqué le chien pour la première fois de l’autre côté de la rue McFarland, il n’était pas attaché et se tenait derrière ce qu’elle a décrit comme une barrière pour enfants, qui ne lui apparaissait évidemment pas offrir un contrôle adéquat. Elle n’avait pas de courrier à livrer, ce jour-là, au nouveau résident du 15, rue McFarland. Craignant apparemment que le berger allemand la pousse à suspendre la livraison de courrier à d’autres adresses de la rue McFarland, Mme Baldock a parlé avec les résidents du numéro six, lesquels ne possédaient pas de chien, en expliquant qu’elle pourrait devoir suspendre la livraison du courrier. La nouvelle n’a pas semblé plaire aux résidents, qui se sont plaints. Mme Baldock a ensuite pris une photo du chien que l’on apercevait à une fenêtre du 15, rue McFarland, photo qu’elle a montrée à son superviseur en disant qu’elle ne se sentait pas en sécurité de passer devant le chien lorsqu’une simple barrière pour enfants le séparait d’elle. Mme Baldock a déclaré que son superviseur lui avait dit qu’elle n’avait pas le droit de suspendre la livraison au 6, rue McFarland, avis qu’elle dit avoir pris pour un ordre direct. Le second incident, qui s’est apparemment produit après l’attaque dont on a été victime Mme Norris le 5 juillet, impliquait trois chiens qui avaient entouré Mme Baldock sur la rue McFarland. Elle a déclaré que son directeur et le directeur de la santé et de la sécurité au bureau de Belleville avaient assuré le suivi de l’incident et inspecté avec elle les points de remise sur la rue McFarland. Il semble que l’inspection se soit conclue par la livraison du courrier au numéro 15, rue McFarland par un chauffeur contractuel. Pendant le contre-interrogatoire, il a été suggéré à Mme Baldock qu’il y avait une différence entre suspendre la livraison du courrier, décision qui incombait au superviseur, et un facteur qui ne fait pas une livraison conformément à la politique voulant que « si vous ne vous sentez pas en sécurité, n’approchez pas » un ou plusieurs jours donnés. Mme Baldock a reconnu que le superviseur ne lui avait pas interdit de ne pas livrer le courrier conformément à cette politique.

[21]           Mme Judy Norris, qui est entrée au service de la Société comme factrice temporaire en septembre 2007, a confirmé avoir reçu les deux semaines de formation destinée aux nouveaux employés, qu’on appelle également l’« école des facteurs ». Tout en reconnaissant que le programme de formation comprenait un volet sur les attaques de chiens, elle ne se souvenait pas des détails. Mme Norris a déclaré que, en mars 2008, elle avait été attaquée par un chien alors qu’elle livrait le courrier sur l’itinéraire de Belleville ou l’itinéraire no 15, à l’adresse que l’on a plus tard identifiée comme le 90, Cannifton Road. Elle a déclaré avoir dit « non » au chien et reculé. À ce moment-là, elle n’avait pas de vaporisateur de poivre. Lorsque le chien a reculé, elle a tenté d’appeler le bureau de poste et, au bout de plusieurs essais, a fini par parler avec M. Shallis. Dans son témoignage, Mme Norris a indiqué qu’il n’y avait pas eu de suivi immédiat et qu’elle ne savait pas si le syndicat avait pris part à une quelconque enquête sur l’incident. Interrogée sur la présence d’un autocollant de chien ou d’une carte d’avertissement dans le compartiment associé à l’adresse en cause, Mme Norris n’était pas certaine de la présence de l’un ou de l’autre. À son retour au bureau, un autre superviseur lui a remis un vaporisateur de poivre dont elle a accusé réception. Elle a dit qu’on lui avait donné des instructions verbales sur l’utilisation du vaporisateur et qu’elle l’avait essayé le lendemain. Un autre incident s’est produit un an plus tard, avec un plus petit chien, mais Mme Norris a dit qu’elle ne l’avait pas signalé parce que rien n’avait été fait relativement à l’attaque précédente.

[22]           En réponse aux questions sur la formation de suivi offerte après les séances initiales sur la sécurité liée aux chiens, Mme Norris a dit qu’elle n’avait pas suivi de telle formation. Elle a cependant admis avoir assisté à des exposés sur la sécurité, mais elle a confirmé qu’elle n’était pas au travail le 5 mai 2011, date où un exposé avait été donné sur la prévention des morsures de chiens. Pendant le contre-interrogatoire, Mme Norris a reconnu que, même si elle ne se rappelait pas des détails du programme de formation, elle n’affirmait pas que la formation ne lui avait pas été donnée. De plus, même si elle ne mettait pas leur existence en doute, Mme Norris a indiqué qu’elle n’était pas familière avec le SMS ni avec le guide et les copies des exposés sur la sécurité liée aux chiens, précisant qu’elle consultait surtout le relieur pour voir les offres d’emploi. Encore une fois, même si elle ne niait pas avoir visionné la vidéo sur les morsures de chiens au cours de sa formation initiale, elle ne se rappelait pas de son contenu. Mme Norris a visionné à nouveau la vidéo après l’attaque du 5 juillet dont elle a été victime.

Observations des parties

Remarque :    Comme on le verra ci-dessous, j’ai puisé librement dans le libellé des observations des parties. Je me suis toutefois abstenu d’utiliser les guillemets.

Observations finales de l’appelante

[23]           Dans ses observations finales, l’appelante soutient d’abord que les éléments de preuve pertinents ne corroborent pas la conclusion de l’AG. SS et que l’instruction qu’il a émise le 8 juillet 2011 devrait donc être annulée. L’appelante fait valoir, subsidiairement, que l’instruction devrait être annulée parce que la Société a exercé son devoir de diligence raisonnable en adoptant des mesures exhaustives pour vérifier la présence d’animaux agressifs et sans contrôles appropriés afin de protéger ses employés.

[24]           Les observations comprennent un argument assez détaillé expliquant le point de vue de l’appelante sur la portée de l’audience et de l’instruction. Au sujet de l’audience et relevant les objections qu’elle a soulevées à l’encontre de la pertinence de certains éléments de preuve que l’intimé s’est employé à produire, l’appelante soutient que la majeure partie de la preuve n’est pas pertinente et qu’elle ne devrait pas être prise en considération dans l’appel. L’appelante cite plusieurs exemples, comme l’argument sur la manière dont a été menée l’enquête sur l’attaque du 5 juillet dont a été victime Mme Norris, un témoignage mettant en doute qu’un représentant syndical ait immédiatement pris part au processus, un témoignage sur des incidents passés liés à des chiens à Belleville et ailleurs en Ontario, ainsi qu’un témoignage sur des omissions ou des délais de transmission de rapports d’enquête sur les accidents au CLMSS.

[25]           L’appelante fait valoir que l’audience porte sur l’instruction et la conclusion de l’AG. SS selon laquelle la Société affecte des employés à la livraison de courrier à des endroits où elle sait ou devrait savoir que les résidents gardent des animaux sans contrôles adéquats pour protéger ses employés. Puisque l’agent d’appel doit se placer dans la position de l’AG. SS, l’appelante soutient que l’information et les éléments de preuve pertinents doivent établir si, oui ou non, la Société savait ou aurait dû savoir qu’un employé livrait du courrier à un tel endroit. Il s’agit là, soutient-on, de l’objet de l’appel, et il serait contraire à la structure du Code de soulever d’autres questions que celles évoquées par l’AG. SS.

[26]           Pour appuyer son argument sur la portée de l’audience, l’appelante cite le paragraphe 146.1 du Code, en y soulignant le passage ci-dessous :

[…] l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a)         soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b)         soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées. [C’est moi qui souligne.]

L’appelante soutient que ce libellé simple signifie qu’un appel à l’encontre d’une instruction est une enquête sur la décision en cause, et que les paramètres de l’audience sont établis par l’instruction et le ou les motifs sur lesquels elle repose. Dans ces circonstances, l’appelante affirme qu’un appel ne sert pas à soulever de nouvelles questions qui n’avaient pas été évoquées dans l’instruction en raison de nouveaux éléments qui n’avaient jamais été mentionnés à l’AG. SS et qui ne pouvaient donc pas faire partie des motifs de l’instruction.

[27]           L’appelante fait également valoir que les agents d’appel ont accepté ce cadre en ce qui concerne leur capacité d’être saisis de novo d’une affaire, citant la décision de l’agent d’appel dans l’affaire Duplessis c. Procureur général du Canada et Forest Products Terminal Corp.Footnote 1  :

L’AA saisi d’une question de novo possède suffisamment de pouvoirs pour recevoir de nouveaux éléments de preuve, notamment des preuves qu’un AG. SS pourrait ou devrait avoir reçu [sic], dans la mesure où elles ont trait aux circonstances qui ont donné lieu au refus de travailler ou au prononcé d’une instruction en appel.

[C’est moi qui souligne.]

[28]           Au sujet de la portée de l’instruction, l’appelante affirme que les questions et les circonstances liées à l’instruction sont celles contenues dans son libellé, libellé qui reflète la conclusion de l’AG. SS. L’appelant attire d’abord l’attention sur le fait que l’instruction ne précise pas de point de remise, de rue, de municipalité ou d’autre lieu précis, alors que la preuve déposée à l’audience établit qu’elle a été donnée relativement au no 48, Wallbridge Crescent, à Belleville. L’appelante affirme qu’il n’y a aucune preuve que l’AG. SS a élargi son enquête à d’autres endroits ou d’autres circonstances avant de donner l’instruction. L’appelante soutient également que le fait que l’AG. SS a accepté la suspension de la livraison au 48, Wallbridge comme étant conforme à ses conditions, est une preuve de plus de la portée prévue et précise de l’instruction.

[29]           L’appelante conteste le témoignage de l’AG. SS, qui déclare que l’instruction du 8 juillet faisait suite à sa conclusion qu’il y avait des problèmes de mise en œuvre des procédures de la Société en matière de chiens menaçants. L’appelante fait valoir que l’AG. SS a déclaré que ces problèmes de mise en œuvre étaient l’objet de l’instruction du 2 septembre, laquelle n’a pas fait l’objet d’un appel. L’appelante affirme que l’AG. SS s’est mal exprimé en établissant un lien entre les problèmes de mise en œuvre et l’instruction faisant l’objet de l’appel.

[30]           Au sujet de la conclusion à laquelle arrive l’AG. SS au terme de son enquête, comme elle est consignée à la page 11, section 3.1, de son rapport, l’appelante soutient qu’elle devrait se diviser en deux parties distinctes appelant des redressements distincts. Le premier paragraphe fait expressément référence à la blessure subie par M  Norris, en concluant qu’elle aurait pu être évitée si la Société avait su que des chiens agressifs se trouvaient à cet endroit et que la livraison avait été interrompue. L’appelante note que l’AG. SS ne formule aucune autre conclusion relativement à d’autres incidents ou points de remise et soutient que cela est conforme au témoignage qu’il a donné à l’audience, ce qui appuie l’argument selon lequel l’instruction a été émise relativement au 48, Wallbridge Crescent. L’appelante fait ensuite référence au second paragraphe, qui contient la conclusion de l’AG. SS sur la surveillance et le respect des politiques et des procédures en matière de chiens agressifs, en faisant valoir que son libellé est conforme à la preuve que l’AG. SS a présentée à l’audience sur l’instruction émise le 2 septembre 2011 à la suite de son enquête (voir le paragraphe 7 ci-dessus).

[31]           Après avoir soutenu que la conclusion de l’AG. SS devrait être considérée comme ayant deux paragraphes distincts, l’appelante fait valoir que chaque paragraphe ne porte que sur l’une des deux instructions, dont les détails sont fournis à la section 3.2 de la page 11 du rapport de l’AG. SS. Plus précisément, l’appelante affirme que la première instruction émise le 8 juillet 2011 correspond au premier paragraphe de la conclusion de l’AG. SS et que la seconde instruction émise le 2 septembre 2011 correspond au second paragraphe.

[32]           En plus de l’argument sur la portée de l’audience et de l’instruction, l’appelante affirme que l’instruction faisant l’objet de l’appel est sans fondement factuel. L’appelante fait valoir que la preuve établit qu’il était impossible pour la Société de savoir que des chiens étaient gardés sans contrôles adéquats le 5 juillet 2011, puisque personne à la Société ne savait qu’il y avait des chiens agressifs au 48, Wallbridge Crescent, que les facteurs affectés à cet itinéraire n’avaient jamais fait de rapport sur le comportement agressif d’un animal et que les fonctionnaires municipaux n’avaient reçu aucun avis concernant la présence ou le comportement de ces animaux, et l’AG. SS n’avait présenté aucune preuve du contraire.

[33]           L’appelante fait remarquer que le libellé de l’instruction lié à la connaissance qu’avait ou aurait dû avoir la Société du contrôle inadéquat des animaux dépasse la simple connaissance, réelle ou attendue, de la présence de chiens agressifs au 48, Wallbridge. L’appelante soutient qu’il incombe à la personne ayant la garde d’un animal de le contrôler, et que cette personne peut changer ce moyen de contrôle à tout moment sans en informer la Société. De plus, un moyen de contrôle existant peut s’avérer inefficace ou être déjoué par l’animal. La Société n’a aucun contrôle sur l’une ou l’autre de ces éventualités. Précisant que l’AG. SS avait admis à l’audience qu’il était impossible pour la Société de savoir de quelle façon un animal était contrôlé à un moment donné, l’appelante suggère que l’AG. SS a conclu que la Société avait enfreint l’article 124 du Code en ne sachant pas ce qu’il lui était impossible de savoir. L’appelante conclut que l’instruction devrait être annulée en raison de l’absence de fondement probatoire.

[34]           La dernière partie des observations porte sur l’autre position avancée par l’appelante, selon laquelle la Société a exercé son devoir de diligence raisonnable en mettant en place un mécanisme complet de signalement des risques sur place, de communication interne, de formation des employés, de matériel de protection et de sensibilisation du public. Comme on le verra ci-dessous, je n’ai pas jugé utile de répondre à cette autre position de l’appelante et je n’entrerai pas dans les détails de son contenu ici. Je me contenterai de dire que l’appelante donne des exemples des divers éléments du système qui ont été décrits précédemment dans cette décision. L’appelante fait valoir que la preuve sur les aspects du système n’a pas été contestée, que l’article 124 n’a pas été enfreint, et que l’instruction devrait donc être annulée.

Observations finales de l’intimé

[35]           D’entrée de jeu, l’intimé ne se dit pas pleinement d’accord avec l’observation de l’appelante selon laquelle la portée de l’audience devrait se limiter aux seules questions soulevées devant l’AG. SS lorsqu’il a rendu l’instruction portée en appel. Citant l’affaire Duplessis c. Forest Products Terminal Corp, dont il souligne un passage, l’intimé estime que l’agent d’appel « possède suffisamment de pouvoirs pour recevoir de nouveaux éléments de preuve, notamment des preuves qu’un AG. SS pourrait ou devrait avoir reçu [sic], dans la mesure où elles ont trait aux circonstances qui ont donné lieu au refus de travailler ou au prononcé d’une instruction en appel. » L’observation ne développe pas cet avis davantage, mais le fait que l’intimé ait souligné un passage différent porte à croire qu’il envisage une interprétation et une application de la citation plus larges que celle envisagée par l’appelante (voir le paragraphe 27 ci-dessus). Toutefois, l’intimé poursuit en déclarant que ses observations se limiteront à la preuve liée à la partie suivante de l’instruction du 8 juillet, soit [traduction] « où il sait ou devrait savoir que les résidents gardent des animaux sans contrôles adéquats pour protéger ses employés contre des attaques d’animaux. »

[36]           Revenant sur le témoignage de l’AG. SS concernant sa visite au bureau de poste de Belleville le 7 juillet 2011, l’intimé note que, en plus d’avoir recueilli la déclaration officielle de M. Shalla, l’AG. SS s’est également entretenu avec d’autres personnes, y compris des facteurs, qui lui ont fait part de l’application et de la mise en œuvre incohérentes de la politique de la Société en matière de chiens hostiles. Dans ce contexte, l’intimé fait valoir que l’AG. SS avait établi une théorie le 7 juillet, avant de donner l’instruction le lendemain, qu’il y avait des problèmes de mise en œuvre de la politique de la Société en matière de chiens hostiles, et rien ne dit que l’instruction se rapporte uniquement à l’incident du 48, Wallbridge Crescent, comme l’appelante le maintient. L’intimé soutient que l’identification de lieux au pluriel dans l’instruction appuie sa théorie. Tout en reconnaissant que l’AG. SS a déclaré que l’instruction du 2 septembre 2011 portait sur des problèmes de mise en œuvre incohérente, l’intimé soutient que l’AG. SS n’a pas dit que l’instruction du 8 juillet ne visait pas les mêmes problèmes.

[37]           Se reportant au témoignage de l’AG. SS selon lequel la Société devrait savoir où des chiens hostiles se trouvent compte tenu de l’information dont disposent les organismes municipaux, et étant donné l’absence de processus officiel pour s’assurer que la Société reçoit cette information des organismes, l’intimé décrit l’absence de communication proactive comme une grave lacune en ce qui a trait à l’identification des lieux où pourraient se trouver des chiens hostiles. L’intimé soutient que l’AG. SS a fait ce témoignage pour justifier sa décision de donner l’instruction du 8 juillet.

[38]           Poursuivant son argumentation sur l’absence de voie de communication officielle entre la Société et les organismes municipaux, l’intimé fait référence à la relation de travail que M. Shalla a déclaré entretenir depuis huit ans avec M. Ron Pierce, agent municipal de contrôle des animaux contractuel à Belleville. M. Shalla a décrit M. Pierce comme « un membre de l’équipe de Postes Canada », mais il a cependant déclaré que les prises de contact étaient toujours faites par la Société et que « Ron ne [l’avait] jamais appelé ». L’intimé déplore le fait que ni M. Shalla ni un autre superviseur n’a jamais cherché à établir de protocole avec M. Pierce pour permettre à la Société d’accéder à une source d’information sur les chiens hostiles qui aurait complété les signalements faits par les facteurs. L’intimé fait valoir qu’il y avait là une excellente occasion d’identifier les endroits où des chiens hostiles étaient gardés sans contrôles adéquats pour protéger les employés, et que les superviseurs auraient dû penser à mettre en place un mécanisme permettant d’échanger de l’information.

[39]           Contestant le témoignage de M. Shalla voulant qu’il encourageait les facteurs à lui signaler les incidents liés à des chiens dès que possible et que lui ou un autre superviseur faisait enquête sur toutes les attaques de chiens, l’intimé mentionne un incident survenu en mars 2008 et le témoignage de Mme Norris à propos d’une attaque dont elle a été victime au 90, Cannifton Road (voir le paragraphe 21 ci-dessus). Selon ce témoignage, Mme Norris a signalé l’incident à M. Shalla, dont la première réaction a été de demander si le courrier avait été livré. Dans son témoignage, Mme Norris a également indiqué qu’on ne lui avait remis aucun autocollant de chien ni aucune carte d’avertissement rose pendant le reste de la semaine qu’elle avait passé sur l’itinéraire et, qu’à sa connaissance, il n’y avait pas eu d’enquête et le syndicat n’avait pas été informé de l’incident. Au sujet des autres incidents liés à des chiens survenus par la suite, Mme Norris a déclaré qu’elle ne les avait pas signalés parce qu’elle avait jugé inutile de le faire puisque rien n’avait été fait après le premier incident.

[40]           Poursuivant sur la question de la réaction de la Société aux incidents liés à des chiens, l’intimé se reporte à la preuve donnée par Mme Baldock concernant un incident lié à un chien survenu au 15, rue McFarland au début de juillet 2011, soit un peu avant l’attaque du 5 juillet dont a été victime Mme Norris (voir le paragraphe 20 ci‑dessus). L’intimé soutient que la première réaction du superviseur à cet incident a été d’informer Mme Baldock qu’elle ne pouvait pas suspendre la livraison, se montrant plus préoccupé par la relation avec le client que par la sécurité de l’employée. L’intimé évoque aussi brièvement le témoignage de M. McCarthy sur des cas où des accidents et quasi-accidents n’ont pas fait l’objet d’une enquête et où des rapports d’enquête sur les accidents n’ont pas été transmis au CLMSS en temps utile. Tout en reconnaissant que la Société ne peut pas prévenir toutes les attaques de chiens, l’intimé conclut que le défaut de faire enquête sur les incidents liés à des chiens entrave l’accès à l’information sur les lieux où des chiens hostiles se trouvent. L’intimé soutient que le piètre bilan de la Société en matière de réaction aux incidents avant l’instruction du 5 juillet devrait être pris en compte et évalué pour déterminer si la Société aurait dû savoir que des chiens sans contrôles adéquats se trouvaient sur les lieux de l’incident. Pour cette raison et pour les autres raisons invoquées dans ses observations, notamment l’absence de communication bidirectionnelle entre la Société et l’agent de contrôle des animaux de Belleville, l’intimé estime que l’instruction faisant l’objet de l’appel ne devrait pas être annulée.

Réplique de l’appelante

[41]           L’appelante conteste d’abord l’observation de l’intimé selon laquelle l’instruction du 8 juillet 2011 ne porte pas seulement sur le no 48, Wallbridge Crescent et l’affirmation selon laquelle l’AG. SS avait établi une théorie sur l’application incohérente des politiques de la Société en matière de chiens hostiles avant de donner l’instruction. Plus particulièrement, l’appelante se reporte aux conversations que l’AG. SS a eues avec d’autres facteurs au sujet d’autres incidents liés à des chiens à d’autres points de remise lorsqu’il s’est rendu au bureau de poste de Belleville le 7 juillet, soit le premier jour de son enquête. Qualifiant de ouï-dire l’information recueillie dans le cadre de ces conversations, l’appelante note l’inadmissibilité présumée des ouï-dire et, en l’occurrence, fait valoir que, selon la jurisprudence pertinente, l’information n’est pas admissible, car elle ne satisfait pas aux critères de fiabilité requis. Tout en reconnaissant que l’alinéa 146.2c) du Code permet à un agent d’appel de recevoir des éléments de preuve qui pourraient ne pas être admissibles devant un tribunal, l’appelante insiste sur le fait qu’elle n’a aucun moyen de tester le bien-fondé et la véracité de l’information et qu’il serait injuste envers la Société de l’admettre comme preuve. L’appelante conclut que l’information n’est pas probante et qu’elle ne devrait pas être prise en considération.

[42]           L’appelante s’objecte aussi à l’argument de l’intimé selon lequel le libellé de l’instruction utilise « lieux » au pluriel, ce qui indiquerait une application plus large que ce serait le cas si le singulier avait été utilisé. Selon l’appelante, cette [traduction] « banale question de syntaxe » ne permet pas de réfuter la preuve accablante que l’instruction a été émise à l’égard du 48, Wallbridge Crescent. Cette preuve comprend, selon l’appelante, le fait que l’AG. SS a émis l’instruction après avoir établi qu’il n’y avait aucune carte d’avertissement dans le compartiment du casier de tri pour le 48, Wallbridge et qu’il considérait la suspension de livraison à cette adresse comme étant conforme à ses conditions. L’appelante cite également la conclusion de l’AG. SS à la page 11 de son rapport, au premier paragraphe de la section 3.1, qui fait référence à la résidence au singulier.

[43]           L’appelante se reporte de nouveau à l’argument de l’intimé selon lequel l’AG. SS avait établi une théorie sur la mise en œuvre incohérente des politiques de la Société en matière de chiens hostiles avant de donner l’instruction, et à son observation comme quoi le témoignage de l’AG. SS n’avait pas indiqué que l’instruction ne portait pas sur ces problèmes. L’appelante fait valoir que l’argument ne tient pas compte du fait que ni l’instruction ni la partie pertinente des conclusions formulées à la page 11 du rapport de l’AG. SS, soit la première phrase de la section 3.1, ne mentionnent ces problèmes de mise en œuvre. Si l’intention de l’instruction avait été d’aborder les problèmes de mise en œuvre, l’appelante soutient qu’il n’aurait pas été nécessaire de donner la seconde instruction du 2 septembre 2011.

[44]           Au sujet des observations de l’intimé sur l’absence de mécanisme officiel de communication entre la Société et les organismes municipaux responsables du contrôle des animaux, l’appelante cite la décision de l’agent d’appel dans l’affaire Verville c. Service correctionnel du Canada Footnote 2 , qui a confirmé qu’un manquement à l’article 124 du Code n’est pas commis simplement parce qu’une mesure supplémentaire aurait pu être prise et que, pour étayer ce manquement, il faut montrer d’une manière convaincante qu’un niveau supplémentaire de protection est nécessaire. L’appelante soutient également que, bien que regrettable, une blessure subie par un employé ne signifie pas en soi que les mesures en place étaient inadéquates. L’appelante conclut à ce sujet que l’intimé n’a pas prouvé que la sécurité des employés ne serait pas protégée sans la mise en place d’un mécanisme de communication officiel entre la Société et les autorités municipales et fait valoir qu’aucune indication n’a été donnée sur les éléments que devrait comporter un tel mécanisme.

[45]           Concernant les observations de l’intimé à propos d’incidents passés liés à des chiens hostiles, principalement ceux mentionnés dans le témoignage de Mmes Norris et Baldock, l’appelante fait valoir qu’elles ne prouvent pas que la Société savait ou aurait dû savoir que des animaux étaient gardés sans contrôles adéquats pour empêcher que ses employés soient attaqués. L’appelante ajoute que l’incident qu’a vécu Mme Norris en mars 2008 au 90, Cannifton Road est survenu plus de trois ans avant celui du 5 juillet 2011 et que, mis à part le fait que Mme Norris ait été présente dans les deux cas, il n’y a aucun lien entre les deux incidents. L’affirmation de l’intimé selon laquelle l’absence de réaction à ce dernier incident a rendu un autre facteur vulnérable à une attaque est sans fondement et, l’appelante note que l’on n’a pas entendu le facteur normalement affecté à l’itinéraire témoigner comme quoi la livraison du courrier à cette adresse représentait un risque permanent, ni que l’on savait qu’un chien agressif se trouvait à cet endroit.

[46]           Au sujet du témoignage de Mme Baldock, l’appelante revient sur l’affirmation comme quoi un superviseur aurait dit à Mme Baldock, après que celle-ci a signalé un incident lié à des chiens hostiles, qu’elle ne pouvait pas suspendre la livraison du courrier. L’appelante soutient qu’il y a une différence entre interrompre la livraison du courrier dans le sens d’une suspension de livraison et refuser d’effectuer une livraison un jour donné si la factrice ne jugeait pas sécuritaire de le faire. Dans ces circonstances, l’appelante fait valoir que la preuve de Mme Baldock n'est pas très probante pour évaluer la validité de l’instruction portée en appel.

[47]           L’appelante soutient que les témoignages de Mmes Norris et Baldock montrent que la Société a réagi à leur signalement d’incidents liés à des chiens, même si elle ne l’a pas fait à la satisfaction de l’intimé. Dans le cas de Mme Norris, l’appelante indique qu’on lui a remis un vaporisateur de poivre après qu’elle a signalé un incident lié à un chien. Dans le cas de Mme Baldock, l’appelante mentionne que des représentants de la Société ont réalisé une évaluation des risques liés aux chiens sur l’itinéraire. Dans tous les cas, l’appelante fait valoir que la preuve déposée ne permet pas d’établir que la Société savait ou aurait dû savoir que des chiens étaient gardés sans contrôles adéquats au 48, Walbridge Crescent.

[48]           Le dernier argument de l’appelante concerne le témoignage de M. McCarthy selon lequel le CLMSS ne reçoit pas toujours les rapports d’enquête sur les accidents, ce qui fait que le comité ne peut pas participer à la réduction des risques liés aux chiens. L’appelante estime que l’intimé a donné peu d’éléments établissant que des incidents impliquant des chiens auraient exigé la préparation de rapports d’enquête et que M. McCarthy a convenu, pendant le contre-interrogatoire, que les rapports d’enquête sur les accidents sont transmis au Syndicat et qu’il aurait pu obtenir des copies des rapports à partir de cette source. Je note toutefois que le SMS exige bel et bien que le superviseur prépare un rapport d’enquête sur les accidents lorsqu’un employé est blessé à la suite d’un incident lié à un chien, et qu’une copie doit être transmise au membre du CLMSS.

[49]           En se fondant sur les arguments développés dans ses observations finales et sa réplique, l’appelante maintient que l’instruction devrait être annulée.

Analyse

[50]           Comme le montre le résumé ci-dessus des observations des parties, on m’a présenté un argument sur la portée du présent appel. Je considère donc important de préciser d’entrée de jeu que j’ai concentré mon attention et mon analyse des questions soulevées uniquement dans la mesure où elles s’appliquent à l’instruction émise par l’AG. SS le 8 juillet 2011. Je tiens à souligner que, tout en étant conscient du pouvoir d’un agent d’appel d’être saisi de novo d’une affaire, comme il est mentionné ci-dessus aux paragraphes 27 et 35, j’estime qu’il serait inapproprié et redondant de ma part de rendre une décision en m’appuyant sur des renseignements et des préoccupations soulevés dans l’appel, mais qui sont abordés dans la seconde instruction émise par le même AG. SS le 2 septembre 2011, au terme de son enquête. Je fais référence ici aux problèmes associés à la mise en œuvre incohérente des procédures de travail sécuritaires de la Société par les employés et les superviseurs et à la surveillance incohérente de ces procédures par les superviseurs. Bref, je ne tiendrai pas compte de ces problèmes, parce que, en plus de considérer qu’ils ne sont pas directement liés au présent appel, ce sujet est parfaitement traité dans l’instruction du 2 septembre. Cette instruction n’a pas été portée en appel, et je crois comprendre que la Société a apporté les correctifs demandés.

[51]           Au sujet de l’observation de l’appelante sur la portée de l’audience, je conviens que le libellé du paragraphe 146.1 du Code donne des indications sur l’obligation de l’agent d’appel de faire enquête sur les circonstances d’une instruction et les motifs pour lesquels elle a été émise (voir le paragraphe 26 ci-dessus, où l’appelante soulève cette question). Cela dit, j’estime qu’il était raisonnable de ma part d’autoriser les témoignages à l’audience sur les circonstances entourant des incidents passés liés à des chiens et l’application et la mise en œuvre incohérentes de la politique de la Société en matière de chiens hostiles. On doit bien sûr évaluer la pertinence et la valeur probante de ces témoignages pour déterminer l’importance qui doit leur être accordée, mais un agent d’appel sera mieux en mesure de prendre une décision juste envers les deux parties s’il a entendu les témoignages et reçu les observations dans leur intégralité, plutôt que de réagir à chaque objection sur-le-champ.

[52]           En ce qui concerne la portée de l’instruction qui fait l’objet du présent appel, j’estime qu’elle se limite aux circonstances entourant l’incident survenu au 48, Wallbridge Crescent. Malgré l’utilisation du pluriel et les références à des endroits non précisés, la prépondérance de la preuve vient étayer cette opinion. Par exemple, le premier paragraphe de la conclusion de l’AG. SS, à la section 3.1 de la page 11 de son rapport, dit clairement que la blessure de Mme Norris aurait pu être évitée si la Société avait su que des chiens agressifs se trouvaient à la résidence précisée et qu’elle avait suspendu la livraison à cette adresse. Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que cette partie de la conclusion de l’AG. SS se rapporte directement à l’instruction du 8 juillet qu’il a émise et à la contravention à l’article 124 du Code qu’il a établi, et qu’elle en fournit les motifs.

[53]           Je reconnais également que, dans cette affaire, le respect de l’instruction reflète sa portée prévue et je note qu’elle exige deux choses, soit de mettre fin à la contravention et de prendre des mesures afin d’empêcher sa continuation ou sa répétition. L’AG. SS a convenu que l’instruction avait été respectée lorsque la Société a suspendu la livraison au 48, Wallbridge Crescent, et il l’a confirmé dans son rapport. Si l’intention de l’instruction était de s’appliquer à plusieurs endroits, il est difficile de concevoir que la suspension de la livraison à une seule adresse aurait garanti que la contravention ne pourrait pas continuer ou se répéter ailleurs. De plus, la seule entrevue officielle que l’AG. SS a eue avant de donner l’instruction a été menée le 7 juillet avec M. Shalla, dont il a recueilli la déclaration. Comme l’appelante l’a fait remarquer, ni l’entrevue ni la déclaration ne mentionnent d’autres points de remise que le 48, Wallbridge Crescent. De la même façon, le fait que l’AG. SS ait noté la présence d’un autocollant de chien et l’absence d’une carte d’avertissement rose lorsqu’il s’est rendu au bureau de poste de Belleville le 7 juillet ne concerne que le compartiment associé à cette adresse dans le casier de tri.

[54]           Maintenant qu’il est établi que, malgré l’utilisation du pluriel dans le libellé, la portée de l’instruction faisant l’objet de l’appel se limite à l’incident survenu au 48, Wallbridge Crescent le 5 juillet 2011, j’examinerai la validité de la contravention dénoncée dans cette instruction. La substance de cette contravention est que l’employeur savait ou aurait dû savoir que des animaux étaient gardés sans contrôles adéquats pour protéger ses employés.

[55]           À cet égard, aucune preuve admissible n’a émergé des entretiens que l’AG. SS a eus lorsqu’il s’est rendu au bureau de poste de Belleville le 7 juillet 2011. Il n’a consigné aucune déclaration et ne se souvenait pas précisément du contenu de sa conversation avec la surintendante, Mme Coultis. La crédibilité des renseignements que l’AG. SS a recueillis sur d’autres incidents liés à des chiens hostiles en s’entretenant de manière informelle avec d’autres facteurs est minée par l’anonymat des informateurs, le manque de précision et l’impossibilité de confronter ces témoignages en contre-interrogatoire. Je maintiens que, dans certaines circonstances, les pouvoirs discrétionnaires qui lui sont conférés par l’alinéa 146.2c) du Code permettent à l’agent d’appel d’accepter des ouï-dire comme preuve, mais j’estime que les renseignements recueillis dans le cadre de ces entretiens ne font pas partie de ces circonstances.

[56]           L’argument de l’intimé selon lequel l’AG. SS avait établi une théorie le 7 juillet 2011, avant de donner l’instruction du 8 juillet, comme quoi il y avait des problèmes de mise en œuvre incohérente des politiques en matière de chiens hostiles, s’appuie en partie sur la preuve par ouï-dire que je viens de déclarer inadmissible. Je conçois que l’AG. SS ait pu recueillir de l’information lors de son entrevue avec M. Shalla, dont la déclaration faite le 7 juillet 2011 indique que M. Pierce, agent municipal de contrôle des animaux, lui avait appris le 5 juillet l’attaque dont un garçon avait été victime au 48, Wallbridge Crescent quelques mois auparavant. Toutefois, cet incident se rapportait à une adresse précise, et la preuve a confirmé que personne à la Société n’était au courant de cet incident avant que Mme Norris ne soit elle-même victime d’une attaque le 5 juillet. Les éléments de preuve admissibles ne permettent donc pas de valider l’argument de l’intimé au sujet de la théorie.

[57]           Je relis le libellé de l’instruction et la contravention qu’elle dénonce. Je n’ai entendu aucun témoignage ni reçu aucune preuve dans cette affaire comme quoi la Société était au courant de l’existence d’animaux gardés sans contrôles adéquats à cette adresse avant que Mme Norris ne se fasse attaquer. Quant à savoir si la Société aurait dû être au courant, l’AG. SS a convenu pendant le contre-interrogatoire mené par l’avocat de l’appelante que, avant de donner l’instruction du 8 juillet, il n’avait aucune preuve d’un autre incident impliquant les chiens et un employé de la Société au 48, Wallbridge Crescent, ni aucune preuve comme quoi un facteur avait refusé d’effectuer la livraison à cette adresse. Il a également admis qu’il ne s’attendait pas à ce que la Société soit au courant de l’endroit précis où se trouvait un chien particulier à un moment donné, et qu’il était impossible pour la Société de savoir si un chien particulier était tenu en laisse ou enfermé à un moment donné.

[58]           L’AG. SS a poursuivi en disant ceci : [Traduction] « À ce moment-là, je n’avais aucune preuve, si ce n’est le fait que la personne blessée avait perdu la moitié de son pouce – une partie de son pouce – ce qui m’apparaissait comme une preuve substantielle. » Puis, répondant à la suggestion de l’avocat, il a dit ceci :

[Traduction]

S’il y a eu une blessure, c’est qu’il y avait un chien hostile. Je dis donc que Postes Canada aurait dû savoir qu’un chien hostile se trouvait à cet endroit et qu’il n’y avait pas de carte d’avertissement rose dans le casier postal. À ce moment-là, aucun processus officiel n’existait pour s’informer de la présence de chiens hostiles, même si ces renseignements étaient accessibles auprès des autorités municipales.

J’estime pour le moins prématuré de la part de l’AG. SS d’exposer le fait de la blessure et de la présence d’un chien hostile pour conclure que la Société aurait dû savoir avant l’incident qu’un chien hostile se trouvait à cet endroit, et j’ajoute que la preuve dont l’AG. SS disposait à l’époque ne l’autorisait pas à faire cette conclusion.

[59]           Après avoir pris en considération le témoignage susmentionné de l’AG. SS et les preuves crédibles démontrant que la Société n’était pas au courant de la présence d’animaux non contrôlés au 48, Wallbridge Crescent, j’estime que le libellé de l’instruction et de la contravention ne peut pas être maintenu.

[60]           Pour appuyer l’affirmation selon laquelle la Société aurait dû savoir, l’AG. SS et l’intimé notent l’absence de communication bidirectionnelle officielle sur les incidents liés à des chiens entre la Société et les autorités municipales. Si une telle communication avait existé, soutiennent-ils, il y aurait eu une enquête, et une carte d’avertissement rose aurait à tout le moins été préparée. Même si de telles conjectures se défendent, je dois tenir compte du renvoi de l’appelante à l’affaire Verville c. Service correctionnel (voir le paragraphe 44 ci-dessus) et de l’argument qu’il ne suffit pas de dire qu’une mesure supplémentaire aurait pu être prise pour étayer le non-respect de l’article 124. Je crois que cet argument a ses limites, mais ce que je vois ici, c’est un cas classique où tout paraît évident en rétrospective. Selon la preuve, les contacts entre le bureau de poste de Belleville et les autorités municipales avaient lieu lorsqu’un agent des postes signalait un incident impliquant un chien hostile et que des mesures correctives étaient nécessaires qui dépassaient l’autorité de la Société. Personne ne s’attendait à un arrangement réciproque. Les employés constituent la principale source d’information de la Société sur les chiens hostiles, et ils sont plus nombreux et l’on peut présumer qu’ils parcourent plus souvent les rues de la ville que les fonctionnaires municipaux responsables du contrôle des animaux. Il n’était pas déraisonnable de la part de la Société de penser qu’elle avait là une excellente source d’information.

[61]           À titre de complément, et bien qu’on ne puisse être certain de rien lorsqu’il s’agit de comportement humain ou animal, force est de constater qu’une mise en œuvre et une surveillance plus assidues des politiques en matière de chiens hostiles aurait pu augmenter la probabilité d’éviter la blessure encore physiquement douloureuse et émotivement stressante qu’a subie Mme Norris. Toutefois, comme je l’ai mentionné au début de mon analyse, j’estime que l’application des procédures et des politiques sur les chiens hostiles est parfaitement traitée dans l’instruction émise par l’AG. SS Tomlin le 2 septembre 2011, à l’issue de son enquête entreprise le 7 juillet 2011.

[62]           En conclusion, j’estime que la preuve que l’on m’a présentée ne justifie pas le maintien de l’instruction émise par l’AG. SS Tomlin le 8 juillet 2011 ni la modification de ses modalités. L’instruction doit être annulée.

Décision

[63]           Compte tenu de ce qui précède, l’instruction est par les présentes annulée.

Michael McDermott

Agent d’appel

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