2012 TSSTC 34 

Référence : Société canadienne des postes, 2012 TSSTC 34

Date : 2012-10-12
Dossier : 2010-32
Rendue à : Ottawa

Entre :     

La Société canadienne des postes, appelante

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, intervenant


Affaire : Appel à l’encontre de deux instructions données par un agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 146(1) de la partie II du Code Canadien du travail

Décision : Les instructions sont modifiées

Décision rendue par : Mme Katia Néron, agente d’appel

Langue de la décision : Français

Pour l’appelant : Mme Caroline Richard, avocate, Bird Richard

Pour l’intervenant : M. David Bloom, avocat, Cavalluzzo Hayes Shilton McIntyre & Cornish LLP

MOTIFS DE DÉCISION

[1]            Il s’agit d’un appel déposé, conformément au paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail (le Code), par Me Caroline Richard, au nom de la Société canadienne des postes, à l’encontre de deux instructions données par l’agente de santé et de sécurité (l’Ag.SST) Mme Isabelle Rioux le 2 août 2010.

[2]            Cette affaire a été entendue à Montréal le 14 et 15 février 2012.

Contexte

[3]            Ce qui suit a été tiré du témoignage de l’Ag.SST Rioux, de son rapport d’enquête et des documents s’y afférant.

[4]            Cette affaire origine du refus de travailler exercé par M. Mario Daniel, facteur rural et suburbain (FFRS) travaillant pour la Société canadienne des postes. Le 27 juillet 2010, M. Daniel devait livrer le courrier sur l’itinéraire #3812 (aussi nommé trajet SS-12). Cet itinéraire comprend des boîtes aux lettres rurales (BLR) situées sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec). Pour effectuer cette tâche, M. Daniel utilisait son véhicule, une fourgonnette équipée de deux sièges baquets à l’avant.

[5]            En 2008, la Société canadienne des postes a interdit à ses facteurs ruraux et suburbains de livrer le courrier dans le sens inverse de la circulation. De plus, le long de la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette, il n’y a pas de voie d’accotement. Pour livrer le courrier sur cette rue, M. Daniel devait ainsi stationner son véhicule sur la voie de circulation puis, par la fenêtre du siège avant côté passager, déposer le courrier dans chaque BLR. Pour l’aider à effectuer cette tâche, une autre personne assise à côté de lui et s’occupant de livrer le courrier, aussi appelée une « aide ergonomique », accompagnait normalement M. Daniel.

[6]            Selon le rapport d’enquête de l’Ag.SST Rioux, M. Daniel a refusé d’accomplir cette tâche sur cette rue ce jour-là car il a été avisé que son aide ergonomique lui était retirée. Sans cette personne pour l’aider, M. Daniel craignait de se blesser au dos et aux bras car il devait alors, pour livrer lui-même le courrier, se lever de son siège, s’étirer en position courbée et étendre son corps par-dessus le siège côté passager pour en atteindre la fenêtre. De plus, la livraison du courrier sans une aide ergonomique prenant plus de temps devant chaque BLR et la rue Plage St-Laurent n’ayant pas de voie d’accotement, son véhicule obstruerait plus longtemps la voie de circulation augmentant, selon lui, le risque de collision avec un autre véhicule.

[7]            Le libellé du refus de travailler de M. Daniel se lit comme suit:             

Je n’ai pas suffisamment d’espace le long de la route pour me stationner et pour effectuer ma livraison. Je suis trop loin de la fenêtre droite pour effectuer ma livraison, je suis obligé de traverser mon banc à l’autre banc et de m’étirer jusqu’à ce que j’ai la moitié du corps sorti ce qui me blesse le dos. Je pourrais à la longue avoir des blessures au dos et aux bras. 

[8]            Lors de son enquête, l’Ag.SST Rioux a obtenu les raisons invoquées par M. Daniel au soutien de son refus. Les représentants de l’employeur présents sur les lieux, M. Claude Lafond et M. Claude Turcotte, ont par la suite expliqué ce qui suit à l’Ag.SST Rioux.

[9]            En février 2008, M. Daniel avait déposé une plainte concernant la livraison du courrier sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec). Suite à cette plainte, une évaluation avait été effectuée pour déterminer si la livraison du courrier aux BLR sur cette rue constituait un risque pour la sécurité de M. Daniel. Pour ce faire, l’employeur avait utilisé la méthode dénommée « outil d’évaluation pour la sécurité routière » (OÉSR). Suite à cette évaluation, des mesures correctrices avaient été prises.

[10]           Au moment de son enquête, un document contenant les résultats de cette OÉSR a été remis à l’Ag.SST Rioux. Lors de son témoignage, elle a déclaré ne pas avoir examiné ce document car les représentants de l’employeur n’étaient pas en mesure de lui fournir d’explications sur son contenu. Dans son rapport d’enquête, elle précise aussi que les représentants de l’employeur ignoraient les critères précis qui font qu’un FFRS peut conserver ou non son aide ergonomique.

[11]           Suite à son enquête, l’Ag.SST Rioux a décidé qu’il existait un danger pour la santé et la sécurité de M. Daniel de livrer le courrier sans son aide ergonomique aux BLR de la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec) pour les raisons qui suivent.

[12]           Premièrement, les mouvements répétitifs d’étirement et de torsion devant être faits par M. Daniel pour atteindre la fenêtre côté passager pouvaient, de l’avis de l’Ag.SST, lui causer des blessures.

[13]           De plus, M. Daniel devant immobiliser son véhicule plus longtemps à chaque BLR ainsi que détacher sa ceinture de sécurité, cela augmentait, selon l’Ag.SST Rioux, le risque que survienne une collision avec un autre véhicule ainsi que le risque de blessures à l’employé si un tel accident se produisait. À son avis, ces risques étaient en outre plus élevés lors de mauvaises conditions climatiques, la visibilité des autres conducteurs ou la largeur de la route pouvant alors être réduites, notamment en hiver lors de tempêtes de neige et d’accumulations de bancs de neige le long de la rue.

[14]           Suite à cette décision, l’Ag.SST Rioux a donné une instruction d’avis de danger à la Société canadienne des postes lui ordonnant de prendre des mesures pour écarter les deux risques indiqués plus haut. Elle a de plus donné une instruction à M. Daniel lui interdisant d’effectuer sa tâche sur la rue en cause jusqu’à ce que des mesures correctrices aient été prises par son employeur.

[15]           Les instructions données par l’Ag.SST Rioux se lisent comme suit:        

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) et b) 

Le 2 août 2010, l’agent de santé et de sécurité soussigné à procéder à une enquête sur le refus de travailler de M. Mario Daniel dans le lieu de travail exploité par Postes Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1697 Notre-Dame à l’Ancienne-Lorette, Qc, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Postes Canada.

Le dit agent de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche par un employé constitue un danger pour un employé au travail, à savoir :

Le fait qu’il n’y a pas d’accotement sur la rue de la Plage St-Laurent oblige M. Daniel à s’immobiliser dans la voie de circulation. Ayant perdu son aide ergonomique, il doit maintenant détacher sa ceinture de sécurité et être stationné sur la voie plus longtemps. De plus, il doit adopter une position contraignante pour déposer le courrier par la fenêtre du passager.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder d’ici au 16 août 2010 à la prise de mesures propres à écarter le risque ou à corriger la situation.

Conformément au paragraphe 145(3) un avis portant le numéro 3678 a été apposé 1697 Notre-Dame à l’Ancienne-Lorette et ne peut être enlevé sans l’autorisation de l’agent.

Il vous est en outre INTERDIT PAR LES PRÉSENTES, conformément à l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, d’accomplir la tâche en cause, jusqu’à ce que ces instructions aient été exécutées.

Fait à Québec, ce 2e jour de août 2010. 

Isabelle Rioux
Agente de santé et de sécurité
No d’identité SQ3127
_________________________________________________________

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYÉ EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2.1) 

Le 2 août 2010, l’agent de santé et de sécurité soussigné à procéder à une enquête sur le refus de travailler de M. Mario Daniel dans le lieu de travail exploité par Postes Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1697 Notre-Dame l’Ancienne-Lorette, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Postes Canada.

Le dit agent de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche par un employé constitue un danger pour un employé au travail, à savoir :

Le fait qu’il n’y a pas d’accotement sur la rue de la Plage St-Laurent oblige M. Daniel à s’immobiliser dans la voie de circulation. Ayant perdu son aide ergonomique, il doit maintenant détacher sa ceinture de sécurité et être stationner sur la voie plus longtemps. De plus, il doit adopter une position contraignante pour déposer le courrier par la fenêtre du passager.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2.1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser d’accomplir la tâche en cause jusqu’à ce que votre employeur se soit conformé aux instructions données au titre de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail à prendre des mesures propres à écarter le risque ou à corriger la situation.
Fait à Québec, ce 2e jour de août 2010.

Isabelle Rioux
Agente de santé et de sécurité
No d’identité SQ3127

[16]           Avant l’audition de l’affaire, M. David Bloom, au nom du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), m’a informée que le STTP se retirait en tant que partie dans cette affaire. M. Bloom a toutefois demandé, au nom du STTP, le statut d’intervenant.

[17]           Suite à cette requête, j’ai accordé le statut d’intervenant au STTP au début de l’audience du 14 février 2012. J’ai aussi autorisé M. Bloom à intervenir lorsqu’il le jugeait utile lors de l’audition de l’affaire. Je l’ai également autorisé à soumettre ses commentaires suite à l’argumentation finale écrite soumise par Me Richard dans cette affaire.

[18]           M. Daniel qui était présent au début de l’audience du 14 février 2010 m’a de plus indiqué qu’il ne désirait pas faire de représentation dans cette affaire.

[19]           Au début de l’audience du 14 févier 2010, Me Richard m’a en outre avisée que la Société canadienne des postes, en accord avec le STTP, retirait son appel quant à l’aspect du risque ergonomique relié à la tâche devant être exécutée par M. Daniel au moment de son refus et identifié par l’Ag.SST Rioux dans ses instructions comme constituant un danger pour ce dernier.

[20]           Me Richard a toutefois indiqué que la Société canadienne des postes maintenait son appel à l’égard des circonstances identifiées par l’Ag.SST Rioux dans ses instructions comme constituant un danger pour M. Daniel et touchant le risque de collision avec un autre véhicule lors de l’accomplissement de sa tâche.

Question en litige

[21]           L’appel sur l’aspect du risque ergonomique relié à la tâche en cause ayant été retiré par l’appelant, la question à trancher dans cette affaire est de déterminer si les instructions données le 2 août 2010 par l’Ag.SST Rioux indiquant un avis de danger en regard de la sécurité routière étaient fondées.

A) Observations de l’appelant

[22]           Me Richard, au nom de l’appelant, soutient qu’en septembre 2008, toutes les BLR situées sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec) avaient fait l’objet d’une évaluation OÉSR. Me Richard soutient également que, suite à cette évaluation, les BLR ne rencontrant pas les exigences de l’OÉSR avaient été soit repositionnées pour diminuer au minimum le risque de collision avec un autre véhicule lors de la livraison du courrier sur cette rue, soit déménagées en boîtes aux lettres communautaires ou au bureau de poste local.

[23]           Me Richard soutient de plus que l’obligation pour le FFRS de retirer sa ceinture de sécurité pour livrer le courrier à une BLR par la fenêtre avant côté passager lorsqu’il n’est pas accompagné de son aide ergonomique, n’est pas en soi une cause possible de collision avec un autre véhicule ni n’augmente ce risque.

[24]           Quant aux conditions climatiques difficiles décrites lors de son témoignage et dans son rapport d’enquête qui, selon l’Ag.SST Rioux, augmentaient le risque de collision avec un autre véhicule lors de l’exécution de la tâche en cause, Me Richard soutient que des procédures de travail sécuritaires tenant compte de ces circonstances avaient été mises en place par la Société canadienne des postes pour assurer la sécurité de M. Daniel au moment de l’enquête de l’Ag.SST Rioux.

[25]           Au soutien de ces thèses, Me Richard a fait témoigner Mme Geni Bahar, ingénieure experte-conseil dans le domaine de la sécurité routière et présidente de la société ITrans Consulting (ITrans), une firme d’experts-conseils spécialisés en planification du transport et en ingénierie de la circulation routière. Après avoir entendu l’énoncé des qualifications de Mme Bahar, j’ai reconnu cette personne en tant qu’experte dans le domaine de la sécurité routière. Me Richard a de plus fait témoigner M. Louis Desruisseaux, chef de la planification de la livraison à la Société canadienne des postes au moment de l’enquête de l’Ag.SST Rioux.

[26]           G. Bahar a déclaré que l’outil d’évaluation OÉSR a été développé avec l’aide de son groupe d’experts-conseils de la firme ITrans et en collaboration avec le comité de coordination de santé et de sécurité de la Société canadienne de postes.

[27]           G. Bahar a soumis une copie du rapport intitulé « Fondements de l’Outil d’évaluation de la sécurité routière aux boîtes aux lettres rurales (BLR), version 3.0, Mai 2008 » (le Rapport). Elle a déclaré que cet outil a été développé dans le but d’évaluer si la livraison du courrier à chaque BLR par les FFRS est sécuritaire en regard du risque possible pour eux de collision avec un autre véhicule lors de l’exécution de leur tâche.

[28]           En se référant au point 2.1 de la page 13 du Rapport, G. Bahar a déclaré que le groupe d’experts qui a développé l’OÉSR a pris en compte les scénarios d’accidents possibles suivants lors de l’exécution de la tâche d’un FFRS:

 

  • une collision en écharpe (deux conducteurs tentant d’occuper la même voie) ou une sortie de route par suite d’une manœuvre d’évitement au moment où l’employé FFRS réintègre la circulation;
  • une collision frontale ou une sortie de route due au fait que le conducteur approchant par derrière s’aperçoit trop tard que le véhicule du FFRS bloque en partie la voie et qu’il n’a pas le temps de s’arrêter ni de s’engager dans la voie opposée;
  • une collision frontale ou une sortie de route due au fait que le conducteur venant par derrière s’engage dans la voie opposée et qu’apparaît soudainement un véhicule venant en sens contraire.

[29]           G. Bahar a déclaré que l’OÉSR a été accepté par la Société canadienne des postes et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes comme étant la meilleure méthodologie disponible à ce jour pour évaluer et diminuer le plus possible ce type d’accidents lors de l’accomplissement de la tâche d’un FFRS.

[30]           G. Bahar a déclaré que, basé sur ces risques, les experts ont établi que pour que la localisation d’une BLR réussisse l’OÉSR, elle doit être placée de manière à laisser, pour l’employé FFRS, suffisamment de temps pour réintégrer la circulation après s’être arrêté, que ce soit sur la route ou sur une voie d’accotement et, pour les autres conducteurs rencontrant un véhicule d’un FFRS arrêté, suffisamment de temps et de distance pour percevoir le véhicule du FFRS et réagir de manière appropriée, soit en s’arrêtant ou en changeant de voie et en le dépassant par la gauche et ce, possiblement face à des véhicules venant en sens contraire. Ces délais de passage tiennent de plus compte du nombre et de la vitesse possible des autres véhicules pouvant circuler sur la route, de la présence ou non de camions, de courbes, d’un cul-de-sac, de feux ou de panneaux d’arrêt, de piétons ou de bicyclettes, de la distance de visibilité et de dépassement, si la route est une route rurale à faible vitesse et circulation ou une route prioritaire ou une route secondaire ou une route sans issue. Par contre, comme ils doivent réintégrer fréquemment la circulation, les FFRS sont susceptibles d’être moins disposés à attendre aussi longtemps que la moyenne des conducteurs. C’est pourquoi, tel que déclaré par G. Bahar, les délais de passage recommandés dans l’OÉSR sont conservateurs et qu’en soit, ils sont plus longs que normalement requis.

[31]           G. Bahar a déclaré que les restrictions règlementaires applicables, tel que de ne pas dépasser lorsqu’il y a deux lignes jaunes solides, sont intégrées dans l’OÉSR.

[32]           En se référant aux figures 9, 10 et 11 (pages 48, 49 et 50) du Rapport, G. Bahar a déclaré qu’on y retrouve les critères analysés aux fins d’une évaluation OÉSR. Elle a de plus déclaré que ces critères ont été choisis en se référant à des études scientifiques rigoureuses et en se basant sur les délais de passage et des volumes seuils de circulation sur la route (ou du nombre maximal de véhicules pouvant circuler sur la route en 15 minutes) recommandés par les experts et décrits au tableau 3 de la page 45 du Rapport. Elle a ajouté que l’évaluation de tous ces critères permet de décider si l’emplacement d’une BLR sur le trajet d’un FFRS, que ce soit sur une route à 2 voies, à 4 voies ou pour une route rurale faible vitesse faible circulation (RRFVC), est sécuritaire.

[33]           Tel que déclaré par G. Bahar, l’OÉSR tient compte également que l’emplacement d’une BLR peut obliger un FFRS à se stationner partiellement ou complètement sur la voie de circulation parce qu’il n’y a pas de voie d’accotement, entre autres lorsque que les quatre roues de son véhicule se retrouvent sur la voie de circulation. Dans une telle situation, décrite au tableau 3 du Rapport comme étant une situation « sur la route », pour qu’une BLR soit jugée sécuritaire, elle doit rencontrer les critères suivants:

  • Un délai de passage de 11 secondes doit exister derrière la voiture du FFSR;
  • Un délai de passage de 14 secondes doit exister devant la voiture du FFRS; et
  • Le nombre maximal de véhicules dans un délai de 15 minutes doit être égal ou inférieur à 40 véhicules.

[34]           G. Bahar a déclaré que tous les critères décrits dans le rapport mentionné plus haut doivent être respectés pour qu’une BLR soit déclarée sécuritaire. Si la BLR ne satisfait pas à l’un des critères, son emplacement est jugée non sécuritaire et doit être modifié. Dans un tel cas, soit la BLR doit être replacée à un endroit rencontrant les critères de l’OÉSR sur le trajet du FFRS, soit elle est purement et simplement éliminée.

[35]           G. Bahar a déclaré que lorsque le FFRS ne porte pas sa ceinture de sécurité parce qu’il est obligé de la retirer pour livrer le courrier par la fenêtre avant côté passager, cela n’est ni une cause d’accidents ni n’augmente la possibilité que survienne un tel incident pour le FFRS. Elle a ajouté que cette situation ne rend également pas les résultats d’une évaluation OÉSR invalides.

[36]           L. Desruisseaux a déclaré que les BLR sur le trajet SS-12 Ancienne-Lorette (Québec) ont été évaluées en février et septembre 2008. Il a soumis les rapports de ces évaluations, l’un daté du 11 février 2008, l’autre du 3 septembre 2008. Ces rapports sont intitulés « Boîtes aux lettres rurales – Tableau de l’outil d’évaluation de la sécurité routière – Québec- Ancienne-Lorette, Itinéraire SS 12 ». Selon ces rapports, la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec), soit l’itinéraire SS-12, possède deux voies de circulation et approximativement 19 voitures en 15 minutes passent devant chaque BLR située sur cette rue. La limite de vitesse affichée dans cette rue est 30 km/heure.

[37]           L. Desruisseaux a soumis le rapport daté du 9 décembre 2008 donnant les résultats finaux de la dernière évaluation du trajet SS-12 effectuée en septembre 2008 ainsi que les mesures correctrices prises par la Société canadienne des postes quant aux BLR n’ayant pas rencontrées les exigences de l’OÉSR. Ce rapport est intitulé « Évaluation de la sécurité de la livraison en milieu rural – 3e avis - Route suburbaine 12 à l’Ancienne-Lorette (secteur Cap-Rouge), Québec ». Selon ce rapport et tel que déclaré par L. Desruisseaux, les 58 BLR en mode de livraison sur l’itinéraire SS-12 ont été évaluées. Sur ces 58 BLR, 32 ont réussi l’OÉSR. Quant aux 26 BLR n’ayant pas rencontré les exigences de l’OÉSR, 8 ont pu être relocalisées dans un endroit sécuritaire sur le trajet SS-12 selon les exigences de l’OÉSR, 7 ont été déménagées dans une boîte postale communautaire (BPCOM) alors que, pour les 11 restantes, les clients ont opté pour un service de livraison dans une BPCOM ou au bureau de poste local.

[38]           L. Desruisseaux a soumis la politique 1202.05 élaborée par la Société canadienne des postes décrivant les procédures sécuritaires de travail pour l’exécution de la livraison du courrier par leurs facteurs ruraux et suburbains. Ce document est daté du 29 août 2008. Il est intitulé « Dangers et Obstacles à la livraison ».

[39]           L. Desruisseaux a déclaré qu’au point 3.1 de la page 5 de cette politique, on donne l’exemple de bancs de neige empêchant la livraison aux boîtes postales rurales. Dans une telle situation, la politique prévoit que le FFRS n’est pas obligé de livrer le courrier aux BLR s’il juge que cette livraison est impossible. Cette consigne est la même en cas de conditions météorologiques particulièrement difficiles (voir au point 4.2 « Balayages de retard de livraison » à la page 11 de la politique 1202.05). L. Desruisseaux a de plus déclaré que, dans de telles situations, la politique prévoit que le FFRS doit aviser son supérieur et qu’il n’est pas obligé de livrer le courrier jusqu’à ce que des mesures aient été prises pour remédier à la situation ou que les conditions météorologiques redeviennent acceptables.

[40]           L. Desruisseaux a décrit les mesures prises par la Société canadienne des postes suite à la plainte de M. Daniel en février 2008 parce que des BLR sur le trajet SS-12 n’étaient pas suffisamment déblayées et que la route était enneigée. Les BLR avaient alors été déblayées et la route déneigée. Suite à ces mesures, M. Daniel avait retiré sa plainte.

[41]           Sur la base de cette preuve, Me Richard soutient que puisque toutes les BLR en mode de livraison sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec) au moment du refus de M. Daniel rencontraient les exigences de l’OÉSR, le risque résiduel relié à la possibilité d’une collision avec un autre véhicule lors de la livraison du courrier à ces BLR constituait à ce moment-là une condition normale d’emploi pour l’employé selon les dispositions prévues à l’alinéa 128(2)b) du Code.

[42]           Pour appuyer ces arguments, Me Richard s’est référée à la jurisprudence suivante: Morrison c. Société canadienne des postesFootnote 1  et Townsend c. Société canadienne des postesFootnote 2 .

[43]           Me Richard a toutefois souligné que cette affaire diffère des affaires Morrison et Townsend puisqu’à l’époque les refus de travailler exercés à l’origine de ces affaires l’ont été en janvier 2006 alors que la méthode d’évaluation OÉSR a été mise en œuvre en avril 2006. Par conséquent, au moment du refus de travailler des FFRS dans les affaires Morrison et Townsend, leur trajet de livraison du courrier n’avait pas fait l’objet d’une évaluation OÉRS. Tel que soutenu par Me Richard, cela n’est pas le cas dans cette affaire puisqu’au moment du refus de M. Daniel et de l’enquête de l’Ag.SST Rioux, une OÉSR avait été effectuée pour la tâche en cause.

[44]           Me Richard a de plus souligné que dans les arrêts Morrison et Townsend, l’agent d’appel Richard Lafrance a conclu, sur la base que l’employeur avait mis en œuvre par la suite la mesure OÉSR, que le danger de collisions subsistant était une condition normale d’emploi selon l’alinéa 128(2)b) du Code.

[45]           Me Richard soutient de plus que l’obligation pour le FFRS de retirer sa ceinture de sécurité lors de la livraison aux BLR sans la présence de son aide ergonomique ne modifie ni le bien-fondé ni les conclusions des arrêts Morrison et Townsend qui concluent que si les BLR réussissent l’OÉSR, le risque résiduel de collisions avec un autre véhicule constitue une condition normale d’emploi en vertu de l’alinéa 128(2)b) du Code.

[46]           Sur cette base, Me Richard soutient qu’en l’espèce M. Daniel ne pouvait pas invoquer le 27 juillet 2010 son droit de refuser de travailler prévu par le Code quant au risque possible de collision avec un autre véhicule puisque qu’une évaluation OÉSR avait été effectuée avant son refus et que toutes les BLR en mode de livraison sur la rue Plage St-Laurent (Ancienne-Lorette) rencontraient les exigences de l’OÉSR. 

[47]           Pour ces motifs, Mme Richard soutient que la décision de la présence d’un danger par l’Ag.SST Rioux pour M. Daniel le 2 août 2010 à l’égard de la sécurité routière n’était pas fondée. Elle suggère que le libellé des instructions données par l’Ag.SST Rioux soit modifié comme suit:

Ledit agent de santé et de sécurité estime que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, puisqu’ayant perdu son aide ergonomique, l’employé doit maintenant détacher sa ceinture de sécurité et il doit adopter une position contraignante pour déposer le courrier par la fenêtre du passager.

B) Observations de l’intervenant

[48]           À la fin de l’audience du 15 février 2012, M. Bloom a indiqué que le STTP estimait que l’OÉSR développé par la firme ITrans pour la Société canadienne des postes était un outil efficace pour évaluer la présence ou non d’un danger pour la sécurité des facteurs ruraux et suburbains relié à la sécurité routière lors de l’exécution de leur tâche. Il a de plus indiqué que le STTP ne contestait ni les résultats de l’évaluation OÉSR des BLR situées sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec), ni les mesures prises par la suite pour relocaliser les BLR n’ayant pas rencontrées les exigences du OÉSR sur cette rue.

[49]           M. Bloom n’a pas soumis d’argumentation finale écrite suite à celle soumise par écrit par Mme Richard.

Analyse

[50]           La question à trancher dans cette affaire est de déterminer si les instructions données le 2 août 2010 par l’Ag.SST Rioux indiquant un avis de danger en regard de la sécurité routière étaient fondées.

[51]           Le terme « danger » est défini comme suit au paragraphe 122(1) du Code:             

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur. [Je souligne]               

[52]           En ce qui concerne le critère qui s’applique pour établir la présence d’un danger existant ou éventuel au sens du paragraphe 122(1) du Code, la juge Gauthier de la Cour fédérale, a dit, au paragraphe 36 de la décision qu’elle a rendue dans l’affaire VervilleFootnote 3 , ce qui suit (version originale et traduction):

36   In that respect, I do not believe either that it is necessary to establish precisely the time when the potential condition or hazard or the future activity will occur. I do not construe Tremblay-Lamer's reasons in Martin above, particularly paragraph 57, to require evidence of a precise time frame within which the condition, hazard or activity will occur. Rather, looking at her decision as a whole, she appears to agree that the definition only requires that one ascertains in what circumstances it could be expected to cause injury and that it be established that such circumstances will occur in the future, not as a mere possibility but as a reasonable one.

36   Sur ce point, je ne crois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n'exigent pas la preuve d'un délai précis à l'intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. Si l'on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l'on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu'il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.[Je souligne]

[53]           La preuve est à l’effet que le risque potentiel relié à la tâche en cause à l’égard de la sécurité routière est qu’un autre véhicule vienne en collision avec le véhicule de M. Daniel lors de la livraison du courrier aux BLR situées sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec).

[54]           La preuve est également à l’effet que la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec) ne possède pas de voie d’accotement, faisant en sorte que le véhicule de M. Daniel bloque une des voies de circulation lorsqu’il livre le courrier sur cette rue.

[55]           De plus, selon le témoignage de G. Bahar, experte en sécurité routière, ainsi que le groupe d’experts ayant rédigé le document intitulé « Fondements de l’Outil d’évaluation de la sécurité routière aux boîtes aux lettres rurales (BLR), version 3.0, Mai 2008 », le risque potentiel de collision avec un autre véhicule pour un FFRS lors de l’exécution de la tâche en cause pourrait leur causer des blessures dans les trois circonstances suivantes:

  • une collision en écharpe (deux conducteurs tentant d’occuper la même voie) ou une sortie de route par suite d’une manœuvre d’évitement au moment où l’employé FFRS réintègre la circulation;
  • une collision frontale ou une sortie de route due au fait que le conducteur approchant par derrière s’aperçoit trop tard que le véhicule du FFRS bloque en partie ou complètement la voie et qu’il n’a pas le temps de s’arrêter ni de s’engager dans la voie opposée;
  • une collision frontale ou une sortie de route due au fait que le conducteur venant par derrière s’engage dans la voie opposée et qu’apparait soudainement un véhicule venant en sens contraire.

[56]           Je suis entièrement d’accord avec les conclusions de l’agent d’appel Lafrance dans l’affaire Morrison précitée, lorsqu’au paragraphe 325 de sa décision, il conclut:

325    Je conviens que toutes les collisions ne causent pas des blessures, comme l’a admis la juge Gauthier dans la décision Verville (précitée). Toutefois, il n’est pas nécessaire que la collision cause une blessure chaque fois que la personne est exposée au danger. Elle doit seulement pouvoir causer une blessure. Tel qu’il est indiqué précédemment, je conclu qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une collision entre véhicules causera une blessure à toute personne impliquée dans la collision.

[57]           Il m’apparait de plus évident que si un autre véhicule frappait le véhicule de M. Daniel, les blessures possibles subies par ce dernier pourraient être aggravées sans le port de sa ceinture de sécurité.

[58]           Dans les affaires Morrison et Townsend précitées, l’agent d’appel Lafrance a de plus conclu qu’il y avait présence d’un danger au sens du Code lors de la livraison du courrier par les FFRS lorsqu’il y a une grande possibilité de collisions à certains emplacements des BLR sur leur route de livraison et que leur véhicule bloque partiellement la circulation. Il a par contre conclu que ce danger devenait une condition normale d’emploi au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code après que les BLR en cause aient fait l’objet d’une évaluation OÉSR et que les emplacements des BLR ne rencontrant pas les exigences de l’OÉSR aient été modifiés, le risque potentiel de collision avec un autre véhicule ayant alors été réduit, selon lui, au minimum.

[59]           Le paragraphe 128(1) et l’alinéa 128(2)b) du Code se lisent comme suit:              

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas:

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

128(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque que, selon le cas

[…]

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi. [Je souligne]

[60]           Je souligne de plus que Me Richard, au nom de la Société canadienne des postes, ne conteste pas dans cette affaire la présence d’un danger pour M. Daniel relié au risque potentiel de collision avec un autre véhicule lors de la livraison du courrier aux BLR en cause lorsque celles-ci n’ont pas fait l’objet d’une évaluation OÉSR. Elle soutient par contre, tel que l’a conclu l’agent d’appel Lafrance dans les affaires Morrison et Townsend précitées, que parce que les BLR en cause ont fait l’objet d’une évaluation OÉSR et que les emplacements des BLR ne rencontrant pas les exigences de l’OÉSR ont été déplacés, relocalisés dans des boites aux lettres communautaires ou au bureau de poste, cela a permis de minimiser le plus possible la possibilité de collision avec un autre véhicule et qu’ainsi, le danger restant, au moment de l’enquête de l’Ag.SST Rioux, constituait une condition normale d’emploi au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code.

[61]           Dans l’affaire Éric V. et autresFootnote 4 , l’agent d’appel Serge Cadieux a défini ce qu’est une condition normale d’emploi au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code. Aux paragraphes 296 et 297 de sa décision, il écrit:

[296] Dans son enquête, l’ASS détermine si les mesures prises par l’employeur réduisent au minimum la possibilité raisonnable de blessure à l’employé qui doit exécuter la tâche.

[297] Dans une décision récente de la Cour fédérale dans P&O Ports Inc. Et Western Stevedoring Co. Ltd. C. Le Syndicat International des débardeurs et des Magasiniers, Section locale 500, 2008 CF 846, la Cour a maintenu l’interprétation de l’AA dans ce dossier concernant un danger qui constitue une condition normale d’emploi. Tout comme la Cour, je partage pleinement cette interprétation de l’AA qui avait interprété cette notion de la façon suivante:

152   Je crois qu’avant qu’un employeur puisse affirmer qu’un danger est une condition de travail normale, il doit reconnaître chaque risque, existant et éventuel, et il doit, conformément au Code, mettre en place des mesures de sécurité visant à éliminer le danger, la situation ou l’activité; s’il ne peut l’éliminer, il doit élaborer des mesures visant à réduire et à contrôler le risque, la situation ou l’activité dans une mesure raisonnable de sécurité, et finalement, si le risque existant ou éventuel est toujours présent, il doit s’assurer que ses employés sont munis de l’équipement, des vêtements, des appareils et du matériel de protection personnelle nécessaires pour les protéger contre le risque, la situation ou l’activité. Ces règles s’appliquent évidemment, dans la présente affaire, au risque de chute ainsi qu’au risque de trébucher ou de glisser sur les panneaux de cale.

153   Une fois toutes ces mesures suivies et toutes les mesures de sécurité mises en place, le risqué “résiduel” qui subsiste constitue ce qui est appelé une condition normale d’emploi. Toutefois, si des changements sont apportés à une condition normale d’emploi, une nouvelle analyse de ce changement doit avoir lieu en conjonction avec les conditions de travail normales.

154   Aux fins de la présente instance, je conclus que les employeurs ont négligé, dans la mesure où la chose était raisonnablement possible, d’éliminer ou de contrôler le danger dans une mesure raisonnable de sécurité et de s’assurer que les employés étaient personnellement protégés contre le danger de chute des panneaux de cale.

[62]           Sur la base de ce qui précède et en me référant à la question à trancher dans cette affaire, je dois ainsi décider si le risque potentiel de collision avec un autre véhicule lors de la livraison du courrier aux BLR en cause constituait, le 2 août 2010, une condition normale d’emploi au sens du Code.

[63]           Pour en arriver à une telle conclusion, en me référant à l’interprétation de ce qu’est une condition normale d’emploi au sens du Code selon l’agent d’appel Cadieux dans l’affaire Éric V. et autres, précitée, ainsi qu’à l’interprétation du terme « danger » tel que défini par le Code selon l’arrêt de la juge Gauthier dans l’affaire Verville, j’en comprends que je dois déterminer si la Société canadienne des postes avait, le 2 août 2010, mis en place toutes les mesures de sécurité permettant de réduire au minimum la possibilité que survienne une collision avec un autre véhicule lors de la livraison du courrier aux BLR en cause. Si je conclus que tel était le cas, j’en comprends également que je conclurai que le libellé faisant référence à la présence d’un danger le 2 août 2010 en regard de ce risque dans les deux instructions données par l’Ag.SST Rioux n’était pas fondé.

[64]           La preuve démontre que, le 2 août 2010, la Société canadienne des postes, avait élaboré et mis en œuvre l’outil d’évaluation OÉSR.

[65]           De plus, selon le témoignage de G. Bahar et du document intitulé « Fondements de l’Outil d’évaluation de la sécurité routière aux lettres rurales (BLR) – version 3.0 » qu’elle a soumis, je retiens que pour que l’emplacement d’une BLR réussisse l’OÉSR, elle doit être placée de telle sorte à donner une période de temps jugée par les experts comme acceptable pour permettre à un conducteur arrivant à la hauteur du véhicule du FFSR bloquant complètement ou partiellement la route ou lorsqu’un conducteur fait face au véhicule d’un FFRS convergeant vers la circulation, de décider s’il s’arrêtera ou s’il évitera le véhicule du FFSR arrêté en le dépassant par la gauche. Ce laps de temps tient compte de la circulation possible sur la route, de la vitesse et du nombre de véhicules sur la route, mais aussi du temps de réaction pour le FFRS assis dans son véhicule pour décider s’il convergera ou non dans la circulation.

[66]           À la lecture du document mentionné plus haut ainsi que du témoignage de G. Bahar, j’en comprends également que ces laps de temps établis pour l’OÉSR par le groupe d’experts d’ITrans ainsi que les autres critères retenus pour déterminer si l’emplacement d’une BLR est sécuritaire, permettent de réduire au minimum le risque de collision avec un autre véhicule lors de l’accomplissement de la tâche du FFRS.

[67]           En outre, à la lecture du même document, j’en comprends que tous les critères de l’OÉSR doivent être rencontrés pour qu’une BLR soit déclarée sécuritaire. En fait, si l’un des critères n’est pas rencontré, soit l’emplacement de la BLR doit être modifié pour la placer à un endroit qui réussit l’évaluation OÉSR, soit cet emplacement doit être éliminé de la route de livraison.

[68]           La preuve révèle également que, suite à l’évaluation OÉSR, chaque BLR ne rencontrant pas les exigences de l’OÉSR doit faire l’objet d’une autre évaluation pour soit les relocaliser dans un endroit sécuritaire sur la route de livraison, soit les convertir en boîtes aux lettres communautaires, soit les déménager au bureau de poste local.

[69]           Quant à la question de la présence possible de conditions météorologiques difficiles (accumulations de bancs de neige, boîtes postales enneigées, tempête de neige ou orages), pouvant augmenter la possibilité que se produise une collision avec un autre véhicule lors de la livraison du courrier sur la rue en cause, le témoignage de L. Desruisseaux ainsi que les documents soumis par ce dernier révèlent que des procédures de travail ont été établies par la Société canadienne des postes avant le 2 août 2010 permettant à un FFRS de ne pas procéder à la livraison du courrier en présence de telles conditions.

[70]           Je suis d’avis que la mise en œuvre des mesures décrites plus haut fait en sorte de réduire à un minimum la possibilité que le risque potentiel identifié plus haut survienne.

[71]           Je suis de plus d’avis que si ces mesures étaient mises en application le 2 août 2010 sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec), la possibilité qu’il se produise une collision avec un autre véhicule lors de la livraison du courrier aux BLR situées sur cette rue était réduite à son minimum.

[72]           Selon le témoignage de L. Desruisseaux, toutes les BLR sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec) avaient fait l’objet d’une évaluation OÉSR avant le 2 août 2010.

[73]           La preuve révèle en outre que, suite à cette évaluation, toutes les BLR n’ayant pas rencontrées les exigences de l’OÉSR avaient été relocalisées à un endroit sécuritaire rencontrant les exigences de l’OÉSR sur la rue en cause, converties en boîtes aux lettres communautaires ou déménagées au bureau de poste local.

[74]           La preuve démontre en outre qu’en février 2008, suite à une plainte de M. Daniel concernant des boîtes postales enneigées et la présence de bancs de neige sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec), M. Daniel n’a pas été obligé de livrer le courrier aux BLR situées sur cette rue et que des mesures ont été prises par la Société canadienne des postes pour remédier à ces situations avant de permettre à M. Daniel de reprendre la livraison du courrier sur cette rue et ce, tel que le prévoit les procédures de travail sécuritaires. J’en conclus que ces procédures sont mises en œuvre lorsque requis.

[75]           Sur la base de tout ce qui précède, j’en conclus que la possibilité que survienne une collision avec un autre véhicule le 2 août 2010 lors de la livraison du courrier par M. Daniel aux BLR en cause était réduite à son minimum et qu’ainsi, le risque résiduel que survienne un tel accident constituait à ce moment-là une condition normale d’emploi pour M. Daniel au sens de l’alinéa 128(2)b) du Code.

[76]           Par conséquent, je conclus que le libellé faisant référence à la présence d’un danger le 2 août 2010 en regard de ce risque dans les deux instructions données par l’Ag.SST Rioux n’était pas fondé.

[77]           Je ne peux pas annuler les instructions émises par l’Ag. SST Rioux dans leur entièreté puisqu’elles traitent également de l’aspect ergonomique et que seule la question concernant le risque de collision avec un autre véhicule était contestée dans cette affaire. Je peux par contre, conformément à l’alinéa 146.1(1)a) du Code, les modifier pour ainsi rayer toute référence à la sécurité routière.

Décision

[78]           Pour ces motifs, je décide, tel que me l’autorise l’alinéa 146.1(1)a) du Code, de modifier les deux instructions émises par l’Ag. SST Rioux, le 2 août 2010, pour enlever toute référence à la question de la sécurité routière. Les instructions modifiées figurent en annexe à cette décision.


Katia Néron
Agente d’appel


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ANNEXE I

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DES ALINÉAS 145(2)a) et b

Le 2 août 2010, l’agente de santé et de sécurité Isabelle Rioux à procéder à une enquête sur le refus de travailler de M. Mario Daniel dans le lieu de travail exploité par Postes Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1697 Notre-Dame à l’Ancienne-Lorette, Qc, le dit lieu étant parfois connu sous le nom de l’itinéraire SS-12 sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec).

La dite agente de santé et de sécurité estime que la livraison du courrier aux BLR situées sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec) constitue un danger pour l’employé au travail, à savoir:

Pour livrer le courrier par la fenêtre avant côté passager de son véhicule, M. Daniel doit adopter une position contraignante.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder d’ici au 16 août 2010 à la prise de mesures propres à écarter le risque ou à corriger la situation.

Conformément au paragraphe 145(3) un avis portant le numéro 3678 a été apposé 1697 Notre-Dame à l’Ancienne-Lorette et ne peut être enlevé sans l’autorisation de l’agent.

Il vous est en outre INTERDIT PAR LES PRÉSENTES, conformément à l’alinéa 145(2)b) de la partie II du Code canadien du travail, d’accomplir la tâche en cause, jusqu’à ce que ces instructions aient été exécutées.

Modifié à Ottawa, tel qu’indiqué par l’italique, ce 25e jour d’octobre 2012.


Katia Néron
Agente d’appel

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DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II - SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(2.1) 

Le 2 août 2010, l’agente de santé et de sécurité Isabelle Rioux à procéder à une enquête sur le refus de travailler de M. Mario Daniel dans le lieu de travail exploité par Postes Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1697 Notre-Dame l’Ancienne-Lorette, le dit lieu étant parfois connu sous le nom de l’itinéraire SS-12 sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec).

La dite agente de santé et de sécurité estime que la livraison du courrier aux BLR situées sur la rue Plage St-Laurent à l’Ancienne-Lorette (Québec) constitue un danger pour l’employé au travail, à savoir:

Pour livrer le courrier par la fenêtre avant côté passager de son véhicule, M. Daniel doit adopter une position contraignante.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2.1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser d’accomplir la tâche en cause jusqu’à ce que votre employeur se soit conformé aux instructions données au titre de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail à prendre des mesures propres à écarter le risque ou à corriger la situation.

Modifié à Ottawa, tel qu’indiqué par l’italique, ce 25e jour d’octobre 2012.

 

Katia Néron
Agente d’appel

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