2012 TSSTC 37

Référence : Theresa Gallant et Agence des services frontaliers du Canada, 2012 TSSTC 37

Date : 2012-10-19
No dossier : 2012-53
Rendue à : Ottawa

Entre :

Theresa Gallant, appelante

et

Agence des services frontaliers du Canada, intimée

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l'encontre d'une décision d'absence de danger rendue par un agent de santé et de sécurité

Décision : L'appel est rejeté

Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d'appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l'appelant : Mme Theresa Gallant

Pour l'intimée : Me Joshua Alcock, ministère de la Justice, Groupe du droit du travail et de l’emploi

MOTIFS

[1]               La présente affaire concerne une demande de prorogation du délai d’appel d'une décision d'absence de danger, en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le Code). La décision a été rendue le 24 octobre 2012, tant verbalement que par écrit, par M. Lindsay Harrower, agent de santé et sécurité (AG. SS) auprès du Programme du travail de Développement des ressources humaines Canada (DRHC).

Contexte

[2]               Le 23 octobre 2010, l'appelante, une agente des services frontaliers (ASF), a exercé son droit de refuser un travail dangereux, conformément au paragraphe 128(1) du Code. Ce refus de travailler s'est produit à Windsor, en Ontario au Tunnel Detroit-Windsor.

[3]               L'appelante a exercé son refus après avoir été confrontée à une situation où un autre ASF avait découvert une personne se cachant à l'arrière d'un véhicule qui était occupé par des personnes qui, selon elle, constituait un possible danger. En tant qu'ASF non armée, l'appelante a estimé qu'elle ne pouvait pas aider ou se défendre elle-même dans les circonstances.

[4]               L'AG. SS Harrower a été appelé sur les lieux du refus et a mené une enquête en présence de l'appelante et de M. P. Susko, qui était présent au nom de l'employeur, et qui était à l'époque Chef des opérations frontalières au Tunnel Windsor.

[5]               Le 24 octobre 2010, l'AG. SS Harrower a informé verbalement l'appelante et M. Susko qu'il n'avait décelé aucun danger et que l'appelante ne serait pas autorisée à continuer à refuser de travailler. Le même jour, la décision rendue verbalement par l'AG. SS Harrower a été confirmée par écrit et reçue par l'appelante et M. Susko.

[6]                Le 26 juillet 2011, l'AG. SS Harrower a envoyé par courriel à M. Susko les lettres qu'il avait envoyées à l'appelante et à l'employeur. Dans le courriel se trouvait également le rapport de l'AG. SS Harrower sur le refus de travailler du 23 octobre 2010. La première lettre était datée du 5 novembre 2010, la seconde, du 2 décembre 2010. Dès réception du courriel, M. Susko a publié le rapport de l'AG. SS sur un tableau d'affichage sur le lieu de travail.

[7]               L'appelante a envoyé un courriel daté du 25 mars 2011 à M. M. Fummerton, son représentant en santé et sécurité et représentant syndical, pour lui demander s'il avait reçu des nouvelles du programme du travail concernant son refus de travailler. M. Fummerton a répondu le 7 février 2012, l'informant qu'une copie de la décision avait été affichée sur le babillard de santé et sécurité.

[8]               L'appelante a envoyé un courriel à l'AG. SS Harrower le 27 février 2012, dans le but premier de demander une copie du rapport de l'AG. SS. La demande est explicitement indiquée dans le courriel.

[9]               Le 9 août 2012, l'appelante a envoyé une lettre au Tribunal dans laquelle elle interjette appel de la décision d'absence de danger de l'AG. SS Harrower rendue le 23 octobre 2010. Dans la lettre, l'appelante a reconnu avoir reçu, le soir de son refus, la décision d'absence de danger de l'AG. SS, et a également indiqué qu'elle n'avait pas déposé d'appel plus tôt parce qu'elle n'avait jamais reçu le rapport de la décision de l'AG. SS.

[10]           Le 19 août 2012, l'appelante a présenté au Tribunal une demande de prorogation de délai pour produire un appel de la décision d'absence de danger d'octobre 2010 par l'AG. SS Harrower. Dans la lettre où elle fait la demande de prorogation de délai, l'appelante a expliqué le délai entourant sa demande en soulignant qu'elle venait alors tout juste de recevoir le rapport de l'AG. SS Harrower.

Question en litige

[11]           La question que je dois trancher est de savoir si je dois, en l'espèce, exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai de dix jours prévu par la loi pour interjeter appel d'une décision d'absence de danger, conformément au paragraphe 129(7) du Code.

Observations

Observations de l'appelante

[12]           Dans sa demande de prorogation de délai pour le dépôt de son appel, l'appelante a suggéré que la prorogation devait être accordée parce que, malgré le fait qu'elle avait déjà fait plusieurs demandes en personne et par téléphone, elle n'avait pas reçu de rapport écrit de l'enquête de l'AG. SS sur son refus de travailler d'octobre 2010 jusqu'à un certain moment, entre le 10 et le 19 août 2012.

[13]           Dans sa demande de prorogation, l'appelante a indiqué qu'avant le 19 août 2012, elle avait demandé à de nombreuses reprises, mais sans succès, le rapport de l'AG. SS à son représentant syndical de l'époque, à l'AG. SS lui-même, ainsi qu'aux bureaux de DRHC de London.

[14]           L'appelante a fait valoir qu'elle a fait de nombreuses tentatives pour obtenir une copie du rapport de l'AG. SS sur son refus de travailler d'octobre 2010, mais n'y est parvenue que vers la mi-août 2012.

[15]           Pour cette raison, l'appelante a demandé que je proroge les délais pour le dépôt de son appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code.

Observations de l'intimée

[16]           L'intimée a soutenu que le délai pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code commence lorsque l'employé reçoit la décision d'absence de danger de l'AG. SS, et non lorsqu'il reçoit le rapport de l'AG. SS. Compte tenu de ce point, l'intimée a affirmé qu'une prorogation du délai pour interjeter appel ne devrait pas être accordée à l'appelante parce que la demande de prorogation est fondée sur la réception par l'appelante du rapport de l'AG. SS, et non de la décision de celui-ci.

[17]           L'intimée a fait valoir que la preuve établit clairement que l'appelante a reçu la décision dès le 24 octobre 2010, le jour où la décision d'absence de danger a été rendue. À l'appui de cet argument, l'intimée a renvoyé à un affidavit de M. Susko, qui est Chef des opérations frontalières au tunnel Windsor, et qui était présent lors de la réunion qui a suivi l'enquête de l'AG. SS Harrower sur le refus de travailler de l'appelante en octobre 2010. Cet affidavit a été déposé en preuve dans le cadre des observations de l'intimée.

[18]           L'intimée a également soutenu que non seulement l'affidavit susmentionné indique que l'appelante a reçu la décision de l'AG. SS à la fois sous forme verbale et manuscrite le 24 octobre 2010, mais que cette affirmation de l'intimée est étayée par le Rapport narratif sur les assignations de l'AG. SS, dont une copie a également été présentée sous forme d'« onglet » dans les observations de l'intimée.

[19]           Une copie de la décision écrite de l'AG. SS est également incluse dans les observations de l'intimée pour soutenir l'argument selon lequel l'appelante avait reçu la décision en octobre 2010. L'intimée a noté plus particulièrement le fait que la deuxième page de ce document indiquait le délai de dix jours pour interjeter appel.

[20]           L'intimée a également souligné un courriel en date du 27 février 2012, envoyé par l'appelante à l'AG. SS dans lequel elle reconnaît avoir reçu la décision d'absence de danger d'octobre 2010 par les mots suivants : [traduction] « [l] a décision le soir en question était qu'il y avait absence de danger [...] ».

[21]           Une lettre, datée du 9 août 2012, que l'appelante a transmise au Tribunal, et dont une partie se lit comme suit : [traduction] « Lindsay Harrower était l'agente qui a Ag. SSisté à l'audience et qui a rendu une décision d'absence de danger » a également mentionnée à l'appui de cet argument.

[22]           L'intimée a prétendu que l'appelante n'a fourni aucune indication selon laquelle elle n'avait pas été informée de la décision d'absence de danger de l'AG. SS du 24 octobre 2010, ou qu'elle avait été quelque sorte empêchée de déposer son appel dans les délais requis en raison de circonstances atténuantes.

[23]           L'intimée a également soutenu que l'explication de l'appelante, selon laquelle elle n'avait pas déposé d'appel plus tôt parce qu'elle attendait ​​le rapport de l'AG. SS, est insuffisante.

[24]           À l'appui de l'affirmation selon laquelle l'explication de l'appelante est insuffisante, l'intimée a souligné que le rapport de l'AG. SS ne constitue pas la décision et fait valoir que la version manuscrite de la décision de l'AG. SS comprenait une indication claire et précise que l'employé avait dix jours à partir de la date de réception de la décision pour interjeter appel. L'intimée a également souligné que la décision manuscrite comprenait également un avis selon lequel le rapport de l'AG. SS serait fourni à une date ultérieure, indiquant de plus que le délai pour produire un appel commence à courir avant que les parties reçoivent le rapport de l'AG. SS.

[25]           L'intimée fait également valoir un manque de diligence raisonnable comme motif pour ne pas accorder à l'appelante une prorogation de délai pour faire appel. En particulier, l'intimée a soutenu que, bien que le représentant syndical de l'appelante, M. Fummerton, ait informé celle-ci dans un courriel daté du 27 février 2012 que le rapport de l'AG. SS figurait sur un tableau d'affichage sur le lieu de travail, l'appelante a attendu un autre 5 mois pour que le rapport lui soit transmis directement par l'AG. SS Harrower avant de déposer son appel.

[26]           Enfin, l'intimée a cité trois décisions dans lesquelles la partie avait prétendu que la Cour fédérale avait confirmé que lorsque les délais prescrits dans le Code canadien du travail n'étaient pas respectés, un agent d'appel n'avait pas compétence pour entendre un appel. Ces décisions sont Brink’s Canada Ltd. c. Canada (Travail, Agent régional de sécurité), [1994] A.C.F. n° 1328, aux par. 5 et 8; Canadian National et Travailleurs unis des transports, [2001] C.C.T.A.R.S., n° 18, aux par. 12-14, et; Thater et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2002] D.A.A.C.C.T. n° 10, au par. 5.

[27]           Pour ces motifs, l'intimée a soutenu que l'appelante n'avait pas démontré qu'elle était raisonnablement justifiée de retarder le dépôt de son appel de près de deux ans, et affirme ainsi que je ne peux me baser sur aucun fondement légitime m'amenant à conclure que je devrais examiner le cas de l'appelante.

Analyse

[28]           Je suis saisi de la présente demande de prorogation de délai compte tenu de l'intérêt qu'a l'appelante de déposer un appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code, qui indique que, dès qu'il reçoit une décision d'absence de danger, un employé a dix jours pour déposer un appel pour son propre compte ou par l'entremise d'une personne qu'il a désignée. Cet article du Code se lit comme suit :

129.(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois — personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin — appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci. [c’est moi qui souligne]

[29]           Conformément à l'alinéa 146.2f) du Code, un agent d'appel peut, à sa discrétion, proroger les délais prescrits à l’introduction d'un appel devant un agent d'appel. Cet article se lit comme suit :

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :
 
(f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;

[30]           La prorogation de la période de temps pour déposer un appel en vertu de l'alinéa 146.2f), accorde à un agent d'appel le pouvoir discrétionnaire de restaurer un droit d'appel qui s'est éteint au moment où l'employé cherche à entamer le processus d'appel. Il ne s'agit pas d'un droit garanti ni absolu dont bénéficie l'employé, mais plutôt d'un droit procédural qui permet à un agent d'appel d'agir avec une certaine souplesse lorsqu'on lui présente des circonstances particulières qui sortent de l'ordinaire et dans le cadre desquelles une application stricte des délais prescrits pour interjeter appel peut causer un préjudice à une partie. 

[31]           Par exemple, dans la décision Len Van Roon c. Première nation Kinonjeoshtegon, [2007] D.A.A.C.C.T. n° 47, l'agent d'appel explique que la présence de l'alinéa 146.2f) du Code démontre que les délais prévus au Code pour interjeter appel ne sont pas des délais stricts :

11 À titre d’agent d’appel, je reconnais que je devrais accorder une certaine latitude à une partie qui se représente elle-même et qui, par manque de connaissances et par inexpérience de la procédure, prend du temps pour bien comprendre le processus et pour apaiser ses préoccupations ainsi que pour faire appel.

12 Je crois que le délai n’est pas un délai strict, sinon le législateur fédéral n’aurait pas conféré à l’agent d’appel les pouvoirs d’abréger ou de proroger ce délai.

13 Je suis d’avis que le retard était minime et non intentionnel et que l’appelant croyait de bonne foi qu’il devait présenter un dossier complet pour faire appel. J’estime en outre que le retard dans la production de l’appel ne causerait pas un préjudice à l’employeur. Par conséquent, comme l’alinéa 146.2f) du Code canadien du travail m’habilite à le faire, je proroge le délai d’appel à la date à laquelle il a été officiellement inscrit, soit le 21 juin 2007.

[32]           Dans cette décision, l'agent d'appel a accordé une importance particulière à la bonne foi manifeste de l'appelant et à l'absence de négligence de la part de celui-ci, d'une part, et à l'absence de préjudice subi par l'employeur si une demande de prorogation était accordée, d'autre part.

[33]           Après avoir examiné les arguments qui m'ont été présentés par les parties, je trouve qu'il est difficile de conclure que l'appelante a démontré un niveau satisfaisant de diligence dans cette affaire. C'est le cas même si je ne conclus pas que l'employeur subirait un préjudice dans le cas où j'accorderais la prorogation demandée dans la présente cause.

[34]           Selon les observations qui m'ont été présentées par les deux parties, je ne suis pas convaincu que, par sa conduite, l'appelante a fait preuve de diligence raisonnable. Compte tenu de toutes les circonstances, je ne dispose ainsi d'aucun motif convaincant ou valable expliquant pourquoi elle ne pouvait pas interjeter son appel devant un agent d'appel dans les délais impartis ou dans un délai raisonnable par la suite.

[35]           L'appelante, dans la mesure où je suis convaincu par les arguments qui m'ont été présentés, a reçu tant un avis verbal qu'un avis écrit de la décision d'absence de danger le 24 octobre 2010, le lendemain de son refus de travailler. L'avis écrit qui lui a été fourni prenait la forme d'un document imprimé avec le titre écrit clairement en majuscules en haut de la page au centre : « AVIS ÉCRIT DE LA DÉCISION D'ABSENCE DE DANGER PAR UN AGENT DE SANTÉ ET SÉCURITÉ SUIVANT UN REFUS DE TRAVAILLER ». En outre, ce même document indiquait clairement le délai de dix jours pour déposer un appel suivant la réception de cet avis.

[36]           L'appelante ne semble pas avoir démontré un intérêt sérieux pour interjeter appel de la décision d'absence de danger avant mars 2011, date à laquelle elle a envoyé un courriel à son représentant syndical, M. Fummerton. Le dossier n'indique pas que, entre mars 2011 et février 2012 (lorsqu'elle a finalement reçu une réponse par courriel de M. Fummerton), l'appelante a agi de façon prudente pour faire le suivi de son appel.

[37]           L'appelante a été informée par M. Fummerton dans ce même courriel de mars 2011 de l'endroit où elle trouverait le rapport de l'AG. SS sur son refus de travailler, qui semble avoir été affiché dans un endroit facilement accessible dans le lieu de travail. Malgré cela, l'appelante a tout de même décidé d'attendre la réception du rapport de l'AG. SS Harrower lui-même en août 2012, avant de finalement interjeter appel.

[38]           Dans toutes ces démarches, soit le dossier de la correspondance par courriel entre l'appelante et M. Fummerton et l'AG. SS Harrower, ainsi que les lettres envoyées par l'appelante au Tribunal concernant son appel et la demande de prorogation de délai, tout indique que l'appelante savait que non seulement elle avait reçu la décision d'absence de danger en octobre 2010, mais que la décision et le rapport de l'AG. SS à l'appui de la décision sont deux choses différentes.

[39]           Le dossier qui m'a été présenté ne me permet pas de tirer la conclusion que l'appelante avait eu l'impression, à juste titre ou raisonnablement, qu'elle ne connaissait pas le délai de dix jours pour interjeter appel après réception de la décision, ou qu'elle ne pouvait pas ou ne devait pas déposer un appel auprès d'un agent d'appel avant d'avoir reçu le rapport de l'AG. SS à l'appui de la décision d'absence de danger qu'elle avait sciemment reçue en octobre 2010.

[40]           Pour ces motifs, je suis d'avis que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour accorder la demande de prorogation du délai de l'appelante pour interjeter appel. Aucune preuve satisfaisante ne m'a été présentée pour établir que l'appelante s'était heurtée à un sérieux obstacle pour justifier le retard dans le dépôt de son appel. De plus, je ne trouve rien dans le dossier qui indique que l'appelante a connu des circonstances exceptionnelles ou particulières qui entravaient sérieusement sa capacité de déposer son appel dans le délai prescrit par le Code. Au contraire, le dossier me laisse avec la ferme impression qu'entre octobre 2010 et août 2012, l'appelante disposait des ressources, possibilités et capacités suffisantes pour veiller à ce que le dépôt de l'appel soit fait dans les délais prévus dans le Code.

Décision

[41]           Je conclus que la demande de prorogation du délai pour déposer cet appel est refusée et que par conséquent, l'appel de la décision d'absence de danger rendue par l'AG. SS Harrower en octobre 2010 est irrecevable.

Michael Wiwchar

Agent d'appel

 

 

Détails de la page

Date de modification :