2012 TSSTC 38

Référence : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2012 TSSTC 38

Date : 2012-10-22
No dossier : 2011-03
Rendue à : Ottawa

Entre :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, appelante

et

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, intimée

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’instructions émises par un agent de santé et de sécurité

Décision : L’instruction est annulée

Décision rendue par : M. Richard Lafrance, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : Me Michel Huart, avocat, Langlois Kronström Desjardins

Pour l’intimée : Me Ken Stuebing, avocat, CaleyWray

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]               Cette affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise le 6 décembre 2010 par M. Michael Rodgers, agent de santé et de sécurité (Agent de SST).

Contexte

[2]               Le 27 octobre 2010, l’agent de SST Rodgers a visité la gare de triage d’Edmundston de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et dans le cadre de sa visite, il a assisté à une réunion du Comité de santé et de sécurité au cours de laquelle la question de l’exploitation du grand capot par rapport au petit capot a été mentionnée. Après la réunion, il a inspecté la locomotive du train 578 qui devait voyager d’Edmundston à Grand Falls, soit une distance d’environ 36 miles.

[3]               À ce moment-là, ce train était tiré par la locomotive 4760, communément appelé une locomotive de ligne. Lorsqu’il se trouve sur ce train, et lorsqu’une seule locomotive est nécessaire pour tirer le train, ce moteur fonctionne normalement avec le petit capot dans une direction, et avec le grand capot dans l’autre direction, soit de Grand Falls à Edmundston.

[4]               Les photos prises à l’occasion de la visite de l’agent de SST montrent que seuls des employés syndiqués et des représentants syndicaux se trouvaient dans la locomotive. Aucun représentant de l’employeur n’était présent.

[5]               L’agent de SST a conclu qu’il y avait une infraction au Code canadien du travail et a émis l’instruction suivante au CN :

[traduction]

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 27 octobre 2010, l’agent de santé et de sécurité soussigné a mené une inspection dans le lieu de travail exploité par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, employeur assujetti au Code canadien du travail, partie II, au 240, rue Saint-François, Edmundston (Nouveau‑Brunswick), ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de Gare de triage d’Edmundston du CN.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes du Code canadien du travail, partie II, ont été violées. 

1.         Alinéa 125(1)k) du Code canadien du travail, partie II

125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

k) de veiller à ce que les véhicules et l’équipement mobile que ses employés utilisent pour leur travail soient conformes aux normes réglementaires;

2.         Articles 10.5, 10.6, 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains).

Il est difficile de contrôler des locomotives qui ont été conçues principalement pour être manœuvrées en marche avant (petit capot en tête) lorsqu’elles sont manœuvrées avec le grand capot en tête. La disposition de certains cadrans tels que le compteur de vitesse et le manomètre à air se trouvent dans une position de petit capot en tête. En raison de la position du conducteur lorsque la cabine est positionnée avec le grand capot en tête, certains mécanismes de contrôle, comme la poignée du frein automatique, le dispositif d’affranchissement sur la poignée de frein indépendant et le régulateur limitent les manœuvres du conducteur lorsqu’il règle ou arrête le mouvement.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1) a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention immédiatement.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1) b) du Code canadien du travail, partie II, de prendre des mesures au plus tard le 20 décembre 2010 pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Fait à Moncton, ce 6e jour de décembre 2010.

Michael Rodgers

Agent de santé et de sécurité

[6]               Le 4 janvier 2011, le CN a interjeté appel de l’instruction émise par l’Agent de SST Rodgers le 6 décembre 2010.

[7]               Une visite du site a été réalisée par le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) et les parties afin d’examiner la locomotive 4760. Cette visite avait pour but d’examiner les systèmes de commande installés sur les locomotives et leur emplacement dans la locomotive, ainsi que pour comprendre le mode de fonctionnement des différentes commandes. Me Huart, avocat du CN, a indiqué que les éléments suivants pourraient être notés par tous ceux qui ont participé à la visite du site :

  • Le mécanicien responsable de la manœuvre de la locomotive est assis du côté droit de la locomotive lorsqu’il voyage en position de petit capot, et donc du côté gauche de la locomotive lorsqu’il voyage en position de grand capot.
  • La configuration du tableau de commande ne s’apparente pas à celle d’un bureau, mais correspond plutôt au modèle type de la norme de l’AARFootnote 1  et répond aux normes réglementaires de Transports Canada.
  • Les commandes et les cadrans sont fixés de la manière prévue par le règlement, mais le siège du mécanicien pivote et peut être déplacé vers l’arrière ou vers l’avant et de haut en bas en fonction du style de conduite du conducteur et de sa taille.

[8]               Dans des lettres datées du 13  et du 22 avril 2011, et avant le début de l’audience dans la présente affaire, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC) a informé le Tribunal et le CN de son intention, et a demandé la permission au CN, de procéder à une évaluation ergonomique de la locomotive 4760 ou d’une locomotive semblable. La CFTC a indiqué qu’elle souhaitait faire cela en réponse à l’intention du CN de déposer un rapport d’expert abordant la question du siège du conducteur de la locomotive 4760. Cette intention a été exprimée dans la lettre du CN datée du 6 avril 2011.

[9]               Au moyen d’observations écrites datées du 5 mai 2011, le CN a contesté la demande d’accès de la CFTC à une locomotive du CN. Le CN a estimé que la CFTC n’était pas une partie ayant qualité pour agir dans la présente affaire, et elle ne pouvait donc pas faire une telle demande. En outre, le CN a déclaré que la preuve que la CFTC tentait d’obtenir par cette demande n’était pas pertinente à la procédure. Enfin, il a fait remarquer que le Code n’accorde pas à un agent d’appel le pouvoir de contraindre le CN à accorder un tel accès.

[10]           Le 12 mai 2011, la CFTC a répondu aux observations du CN. Elle a indiqué qu’elle devrait se voir reconnaître la qualité de partie dans la présente affaire. Elle a également soutenu que l’agent d’appel avait le pouvoir, en vertu du Code, de contraindre le CN à lui accorder l’accès à la locomotive.

[11]           Dans une lettre datée du 12 mai 2011, le CN a fourni sa liste de témoins préalablement à l’audience. Le CN n’avait plus l’intention de citer des experts dans cette affaire

[12]           Le 27 mai 2011, j’ai rendu une décision accordant qualité pour agir à la CFTC. Elle se lit comme suit :

[traduction] 

Suite à une objection soulevée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) à l’égard du fait que la CFTC se fasse accorder la qualité de partie dans la présente affaire, et après avoir examiné et considéré les arguments du CN et de la CFTC sur cette question, j’accorde à la CFTC qualité de partie à la présente procédure, en vertu de l’alinéa 146.2g) du Code canadien du travail (le Code). La CFTC a le droit d’interroger et de contre-interroger des témoins, de produire des preuves et de présenter des observations relatives à toute question qui se pose dans la présente affaire.

[13]           À la même date, j’ai également rendu l’ordonnance suivante en ce qui concerne l’accès de la CFTC à une locomotive :

[traduction] 

J’ordonne par les présentes ce qui suit :

Le CN doit fournir, à la CFTC et aux personne(s) tenues de procéder à une telle évaluation, l’accès à la locomotive 4760 ou à une locomotive semblable, pour une période de temps n’excédant pas trois (3) heures, pendant que la locomotive est en marche, aux fins de procéder à une évaluation ergonomique relativement aux questions soulevées dans l’instruction datée du 6 décembre 2010. L’accès à la locomotive doit être fourni suffisamment à l’avance de la date de l’audience, de sorte que tout rapport et document d’accompagnement produit à la suite de l’évaluation ergonomique peuvent être fournis au CN et évalués par celui‑ci, avant la date prévue de l’audience.

[14]           J’ai également indiqué aux parties que, en ce qui a trait à la décision sur la qualité pour agir et l’ordonnance obligeant le CN à donner accès, je donnerais les motifs dans ma décision écrite finale. Voici les motifs de cette décision.

Qualité pour agir de la CFTC

Observations du CN

[15]           Dans ses observations, le CN a fait valoir que la CFTC ne devrait pas se voir accorder la qualité de partie dans la présente affaire. Le CN a estimé qu’en raison du libellé de l’instruction sous appel, la CFTC n’avait pas la qualité nécessaire dans la présente affaire.

[16]           Plus précisément, le CN a déclaré que l’instruction est axée sur la question de savoir si les commandes de la locomotive sont conformes aux normes réglementaires énoncées aux articles 10.5, 10.6 et 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) (RSSTT). L’instruction porte sur une contravention aux dispositions relatives aux normes, et note qu’il peut être difficile de manœuvrer la locomotive en raison de la position du conducteur lorsque la locomotive fonctionne avec le grand capot en tête. Le CN a également souligné que l’instruction et sa lettre d’accompagnement ne renvoient pas à un danger imminent, ou à une préoccupation concernant les effets à long terme de la manœuvre de la locomotive en position de grand capot en tête. De l’avis du CN, l’intérêt de la CFTC à demander la qualité pour agir, exprimé dans sa correspondance datée du 13 avril 2011, est lié aux effets à long terme de la manœuvre de la locomotive dans cette position, et ne peut donc pas être concilié avec la portée limitée de l’instruction qui se rapporte aux défis posés par la position des commandes.

[17]           Le CN a renvoyé à la décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans Desrosiers et Syndicat des communications de Radio-CanadaFootnote 2 , qui établit les critères à appliquer lors de l’examen d’une demande d’intervention. Ces critères sont les suivants : (i) évaluer si l’intérêt de l’intervenant est direct et immédiat; (ii) si la décision aura un impact sur les droits de l’intervenant; (iii) si l’intervenant est en état de contribuer positivement au débat; (iv) si l’intérêt public et la bonne administration de la justice requièrent que l’intervenant participe au débat; (v) si le tribunal peut trancher le débat sans la présence de cet intervenant; et (vi) s’il y a présence d’une autre partie qui représente adéquatement les intérêts de l’intervenant à l’instance.

[18]           Le CN a fait valoir que la CFTC ne répond pas à ces critères, affirmant que celle-ci n’a aucun intérêt direct; la décision n’aura aucune incidence sur ses droits; elle ne peut pas contribuer de manière positive au débat; et l’intérêt public ne justifie pas la participation de la CFTC au débat. En outre, le CN a fait valoir que je peux trancher convenablement cette question sans la participation de la CFTC, car, comme il est indiqué ci-dessus, la contribution qu’elle souhaite apporter est accessoire à la portée de l’appel.

Observations de la CFTC

[19]           La CFTC a fait valoir qu’elle devrait avoir pleine qualité pour agir dans la présente affaire. Elle est chargée d’assurer la santé et la sécurité de ses membres, qui comprend des mécaniciens et des conducteurs. De l’avis de la CFTC, les questions soulevées par l’instruction pourraient bien présenter des risques. Dans cette optique, la CFTC a souligné son obligation de représenter ses membres de façon équitable en ce qui a trait aux questions de sécurité.

[20]           La CFTC a fait remarquer qu’elle répond aux critères mentionnés à l’alinéa 146.2g) du Code, qui définit le pouvoir d’un agent d’appel de faire d’une personne ou d’un groupe de personnes une partie à l’instance, si cette personne ou ce groupe possède l’intérêt requis et que la décision pourrait les concerner. En participant au débat, la CFTC s’assure que ses membres ne sont pas appelés à travailler dans des conditions dangereuses, et elle souhaitait présenter des preuves en ce qui concerne les défis que représente l’utilisation de la position du grand capot en tête pour les employés. Elle a fait référence à deux décisions du Tribunal à l’appui de l’opinion selon laquelle elle répond au critère énoncé à l’alinéa 146.2g) : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et J. Poirier et Conférence ferroviaire de Teamsters CanadaFootnote 3 , ainsi que Société canadienne des postes et Doreen RadcliffeFootnote 4 .

Décision relative à la qualité pour agir de la CFTC

[21]           À mon avis, une décision quant à la question de savoir sur la CFTC peut participer au débat dans la présente instance à titre de partie avec tous les droits qui lui sont accordés porte sur l’interprétation de l’alinéa 146.2g) du Code, qui se lit comme suit :

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1 (1), l’agent d’appel peut :

[…]

g) en tout état de cause, accorder le statut de partie à toute personne ou tout groupe qui, à son avis, a essentiellement les mêmes intérêts qu’une des parties et pourrait être concerné par la décision;

[22]           L’instruction dans la présente affaire indique qu’il est difficile de contrôler des locomotives [traduction] « qui ont été conçues principalement pour être manœuvrées en marche avant (petit capot en tête) lorsqu’elles sont manœuvrées avec le grand capot en tête ». L’agent de SST a noté ce qui constituait, à son avis, des limites aux manœuvres du conducteur [traduction] « lorsqu’il règle ou arrête le mouvement ». Il a également conclu que [traduction] « l’emplacement de la valve de commande de frein d’urgence nuit aux manœuvres du conducteur » lorsque la cabine est positionnée avec le grand capot en tête. Le RSSTT auquel a fait référence l’agent de SST exige, par exemple, que la disposition des cadrans et des tableaux de commande, ainsi que la conception et la disposition générale de la cabine ou du poste du conducteur ne doivent pas nuire à celui-ci dans ses manœuvres ni l’empêcher de manœuvrer le matériel roulant (article 10.5). Le règlement exige que les mécanismes de contrôle permettent de régler et d’arrêter en toute sécurité le mouvement du matériel roulant, et qu’ils obéissent rapidement et de façon sûre à un effort modéré du conducteur (article 10.6). Il interdit en outre à un employeur d’obliger un employé à conduire le matériel roulant automoteur à moins que l’employé ne soit capable de le faire en toute sécurité (article 10.13).

[23]           Après avoir examiné les observations des parties ci-dessus, je conclus que la CFTC dans la présente cause a un intérêt évident dans l’issue de la présente affaire. Elle représente, en matière de santé et de sécurité, les employés qui sont concernés par l’instruction. L’instruction en soi, comme il a été mentionné immédiatement ci-dessus, vise à soulever des questions de santé et de sécurité qui sont directement liées aux employés représentés par la CFTC. La décision que je rendrai peut affecter directement la santé et la sécurité de ces mêmes employés.

[24]           J’ai examiné l’argument du CN à l’égard de l’intention de la CFTC, indiquée dans la correspondance datée du 13 avril 2011, d’obtenir une preuve d’expert faisant ressortir les effets ergonomiques à long terme des manœuvres avec le grand capot en tête, et j’ai examiné l’argument du CN à l’égard de la pertinence de ces éléments de preuve et de son incidence sur la qualité de la CFTC pour agir. Je note que, dans sa communication ultérieure datée du 12 mai 2011, la CFTC a laissé entendre que la preuve ergonomique pourrait porter sur l’efficacité du fonctionnement des commandes. En tout état de cause, je ne crois pas que la CFTC devrait se voir refuser l’octroi de la qualité pour agir au motif qu’elle cherche à présenter une preuve qui, selon le CN, n’est pas pertinente dans le cadre de l’instruction émise. Le CN aura amplement l’occasion de discuter de la pertinence des éléments de preuve que la CFTC souhaite présenter. À mon avis, il ne fait aucun doute que l’intérêt de la CFTC, à titre d’agent négociateur des employés concernés par l’instruction, est suffisamment important pour lui accorder des droits de participation au débat à part entière.

[25]           C’est pour ces motifs que, le 27 mai 2011, j’ai accordé à la CFTC la qualité de partie à la présente instance, conformément à l’alinéa 146.2g) du Code, avec le droit d’interroger et de contre-interroger des témoins, de produire des preuves et de présenter des observations relatives à toute question qui se pose dans la présente affaire.

Accès à la locomotive par la CFTC

Observations du CN

[26]           En s’opposant à la demande de la CFTC pour avoir accès à la locomotive, le CN a remis en question la pertinence de la preuve que la CFTC a cherché à obtenir par un tel accès. En faisant cela, le CN a réitéré que la CFTC avait l’intention d’examiner les effets à long terme d’une telle configuration sur de longues périodes, ce qui n’est pas ce que l’instruction cherche à régler.

[27]           Le CN a également fait remarquer qu’en tant qu’agent d’appel dont les pouvoirs sont prescrits par le Code, je ne possède pas le pouvoir d’accueillir la demande de la CFTC pour accéder à la locomotive. En effet, si un tel pouvoir ne se trouve pas explicitement dans les listes figurant aux articles 141 et 146.2 du Code, je ne peux pas obliger une partie à donner à une autre entité accès à ses installations.

[28]           Le CN a fait valoir que le seul pouvoir dont je disposerais en l’espèce serait de contraindre un témoin à comparaître et à produire des documents et les pièces nécessaires pour examiner la question, conformément à l’alinéa 146.2a) du Code. Toutefois, le CN a souligné que le pouvoir indiqué à l’alinéa 146.2a) ne pouvait pas être invoqué dans cette affaire étant donné que la preuve de la CFTC a cherché à obtenir, à savoir les effets à long terme d’une manœuvre lorsque la cabine est positionnée avec le grand capot en tête, n’a aucun rapport avec l’affaire en cause.

Observations de la CFTC

[29]           La CFTC a estimé que l’évaluation ergonomique de la cabine de la locomotive lorsque celle‑ci est positionnée avec le grand capot en tête serait très pertinente au présent litige. L’instruction en question concerne les problèmes opérationnels posés par l’aménagement de la locomotive en position de grand capot en tête. Selon la CFTC, une évaluation ergonomique pourrait [traduction] « fournir une évaluation d’expert quant à la mesure dans laquelle les manœuvres avec le grand capot en tête empêchent les mécaniciens et les conducteurs de locomotives d’avoir un accès optimal aux commandes nécessaires », et elle serait donc d’une grande utilité pour le Tribunal dans le but de résoudre les questions soulevées par l’instruction.

[30]           Quant à mon pouvoir d’exiger un tel résultat, la CFTC s’est appuyée sur les alinéas 146.2a), c) et d) du Code, qui permettent à un agent d’appel de convoquer des témoins et de les contraindre à comparaître, ainsi qu’à produire les documents et les pièces qu’il estime nécessaires pour lui permettre de rendre sa décision. Ces dispositions prévoient également la réception de tous témoignages, qu’ils soient admissibles ou non en justice, ainsi que l’examen de dossiers ou registres et la tenue d’enquêtes que l’agent d’appel estime nécessaires.

[31]           Selon la CFTC, ces dispositions me donnent implicitement le pouvoir de convoquer à titre de témoin expert un évaluateur ergonomique pour qu’il ait accès à la locomotive 4760 et fasse rapport sur le caractère adéquat d’un point de vue ergonomique de la cabine pour les manœuvres en position de grand capot en tête.

Décision sur l’accès à la locomotive par la CFTC

[32]           Comme les deux parties l’ont noté, le Code énumère certains pouvoirs, à l’article 146.2 du Code, qu’un agent d’appel peut utiliser aux fins d’une procédure intentée en vertu du paragraphe 146.1 (1). Le paragraphe 145.1 (2) donne également à un agent d’appel tous les pouvoirs d’un agent de santé et de sécurité, aux fins de mener une enquête. Ces pouvoirs sont énumérés au paragraphe 141(1) du Code.

[33]           Je suis d’accord avec le CN que les dispositions accordant divers pouvoirs à des agents d’appel, dont je parlerai en détail ci-dessous, n’accordent pas explicitement le pouvoir de contraindre une partie à donner à une autre partie l’accès à ses installations.

[34]           Les deux parties ont laissé entendre que le seul mécanisme par lequel je pouvais ordonner qu’un tel rapport ergonomique soit préparé et produit aux fins de la présente enquête est celui de la délivrance d’une assignation contraignant un témoin à comparaître et la production du rapport proprement dit, même si le CN a fait remarquer que ce n’est pas possible en l’espèce parce que la preuve que la CFTC cherche à présenter n’est pas pertinente. Cependant, je ne vois pas comment la délivrance d’une assignation permettrait de résoudre le problème qui a surgi à propos de l’accès à la locomotive et la préparation d’une évaluation ergonomique. Bien que l’assignation aurait certainement comme effet d’obliger le témoin à comparaître devant le Tribunal et à produire une évaluation, ce document n’existait pas à ce moment-là, car la question de l’accès aux fins de production d’une expertise a été contestée. Avant la délivrance de toute assignation ordonnant qu’un document en particulier soit produit, il importe que ce document existe.

[35]           Par conséquent, la question dont je suis saisi est de savoir si je peux ordonner au CN de donner accès à une locomotive aux fins de préparer une preuve qui, selon la CFTC, contribuera à la présente cause. Étant donné qu’aucun tel pouvoir est accordé à un agent d’appel de façon explicite, je dois donc examiner si ce pouvoir est implicite, en ce que cet examen est nécessaire d’un point de vue pratique pour me permettre de mener efficacement mon rôle en vertu du Code. Pour trancher cette question, je dois examiner non seulement l’objet de la partie II du Code, mais aussi le texte législatif qui définit mon rôle.

[36]           L’objet de la partie II est énoncé à l’article 122.1 du Code :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[37]           En plus de cette fin préventive, le régime d’appel tel que défini dans la partie II du Code prévoit clairement que les agents d’appel disposent d’éléments de preuve les plus complets possible à partir desquels il leur est possible d’enquêter sur les circonstances d’une instruction et les raisons de celle-ci. Plus précisément, l’article 146.2 permet à un agent d’appel de recevoir et d’accepter des preuves, indépendamment de leur admissibilité en justice, et d’examiner des dossiers et de faire des enquêtes, selon ce qu’il estime nécessaire.

[38]           En outre, l’alinéa 146.2h) permet à un agent d’appel de déterminer la procédure à suivre tout en exigeant en même temps que les parties aient la possibilité de présenter des preuves.

[39]           Avec ces dispositions à l’esprit, il est clair que le CN et la CFTC, en tant que parties à cet appel, doivent avoir la possibilité de fournir leurs preuves en ce qui concerne les questions découlant de l’instruction émise le 6 décembre 2010, et il est également clair que j’ai besoin d’un dossier aussi complet que possible afin d’enquêter sur les circonstances de l’instruction et les motifs à l’appui de celle-ci.

[40]           Je note que la CFTC, dans ses observations du 12 mai 2011, a suggéré que la preuve obtenue par suite de son examen de la cabine de la locomotive pourrait [traduction] « fournir une évaluation d’expert quant à la mesure dans laquelle les manœuvres avec le grand capot en tête empêchent les mécaniciens et les conducteurs de locomotives d’avoir un accès optimal aux commandes nécessaires », et serait donc d’une grande utilité pour le Tribunal pour régler les questions découlant de l’instruction. Il faut comparer cette demande avec la demande initiale qui semblait se concentrer sur les effets à long terme de la manœuvre de la locomotive lorsque celle-ci est positionnée avec le grand capot en tête. À ce stade, c’est la CFTC, à titre de représentante des employés concernés, qui est bien placée pour orienter l’instruction et retenir les services d’un expert à la lumière des préoccupations qui, selon elle, devraient apparemment être présentées dans le cadre de la présente audience. Dans la mesure où la CFTC a déclaré à ce moment-là que son accès à la locomotive pourrait permettre de produire une évaluation relative à la difficulté d’accès aux commandes de la locomotive, elle devrait être en mesure de poursuivre une telle évaluation. Je suis mandaté par le Code pour examiner en détail le présent appel et permettre aux parties de présenter leurs éléments de preuve. Le CN aura amplement l’occasion de contester la pertinence et le poids de tout rapport qui est produit, si la CFTC choisit de s’appuyer sur celui-ci.

[41]           Il ressort clairement de l’examen du cadre législatif qui régit les appels interjetés devant un agent d’appel que la délivrance d’une ordonnance enjoignant au CN de donner à la CFTC accès à la locomotive, aux fins de préparation des preuves liées à la présente procédure, est un pouvoir implicite raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de mon mandat. Il y a lieu de noter que le législateur a confié aux agents d’appel les pouvoirs d’un agent de SST aux fins de leur instance, par le biais du paragraphe 145.1 (2), qui se lit ainsi :

(2) Pour l’application des articles 146 à 146.5, l’agent d’appel est investi des mêmes attributions — notamment en matière d’immunité — que l’agent de santé et de sécurité.

[42]           Les pouvoirs d’un agent de santé et de sécurité sont énumérés au paragraphe 141(1). Ce paragraphe permet à un agent de santé et de sécurité d’entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un employeur, et, en ce qui concerne tout lieu de travail en général, il peut notamment :

  • ordonner à l’employeur de faire en sorte que tel endroit ou tel objet ne soit pas dérangé pendant un délai raisonnable en attendant l’examen, l’essai, l’enquête ou l’inspection qui s’y rapporte;
  • ordonner à toute personne de ne pas déranger tel endroit ou tel objet pendant un délai raisonnable en attendant l’examen, l’essai, l’enquête ou l’inspection qui s’y rapporte;
  • ordonner à l’employeur de produire des documents et des renseignements afférents à la santé et à la sécurité de ses employés ou à la sûreté du lieu lui-même et de lui permettre de les examiner et de les reproduire totalement ou partiellement;

[43]           Des pouvoirs importants d’ordonner à l’employeur de fournir des renseignements et de les obtenir auprès de celui-ci sont normalement attribués à un agent de SST et ces pouvoirs ont donc été, en vertu du paragraphe 145(2), accordés aux agents d’appel aux fins de leur enquête sur les circonstances de l’instruction et les motifs à l’appui de celle‑ci. Par conséquent, ces pouvoirs doivent être lus parallèlement aux dispositions de l’article 146.2 qui comprennent le pouvoir de déterminer la procédure à suivre, mais aussi l’obligation de permettre aux parties de présenter des éléments de preuve. Ces pouvoirs doivent également être lus en gardant à l’esprit l’objet de la partie II, qui est de prévenir les accidents et les maladies. À mon avis, le cadre créé par ces dispositions appuie l’existence d’un pouvoir implicite de l’agent d’appel d’ordonner que l’employeur permette l’accès au lieu de travail au syndicat représentant les employés concernés par l’instruction, aux fins de la préparation d’un rapport d’expert qui a trait à la question faisant l’objet de l’appel. Une telle ordonnance est nécessaire dans le cadre de la présente instance, car elle me permettra d’établir pleinement les circonstances de l’instruction et les motifs à l’appui de celle-ci, et éventuellement de rendre une décision plus éclairée à l’égard du présent appel, tout cela en ayant comme objectif de respecter l’objet du Code qui est d’assurer la prévention des accidents et des maladies. En l’absence d’une telle ordonnance, ma préoccupation est que je n’aurais pas nécessairement devant moi un examen complet des préoccupations qui peuvent être liées aux circonstances entourant l’instruction.

[44]           C’est pour les motifs susmentionnés que, le 27 mai 2001, j’ai ordonné que le CN donne à la CFTC accès à une locomotive, aux fins de mener une évaluation ergonomique relativement aux questions soulevées dans l’instruction datée du 6 décembre 2010.

Question en litige

[45]           La question que je dois trancher est de savoir si le CN contrevient aux dispositions de l’alinéa 125(1) k) et des articles 10.5, 10.6 et 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains).

Preuve de l’appelante

[46]           Les personnes suivantes ont témoigné pour l’appelante, le CN :

  • M. N. Gagnon, directeur de l’exploitation pour le Nouveau-Brunswick; M. B. Glass, agent syndical principal; Mme S. Miller, gestionnaire de dossiers d’invalidité; M. M. Rose et Mme E. Tharoo, ergothérapeute.

[47]           M. Gagnon a témoigné que la locomotive en question est une locomotive manœuvres-triage qui peut fonctionner dans les deux directions, car elle est équipée de lumières et de pilotes aux deux extrémités. Bien qu’elle soit conçue pour fonctionner dans la gare de triage, elle peut aussi aller sur la ligne principale jusqu’à une distance de 50 km selon la convention collective. M. Gagnon a indiqué également que la raison de l’utilisation de plusieurs locomotives sur un train a trait au nombre de wagons qui doivent être tirés; plus il y a de wagons dans le train et plus il faut de puissance pour tirer le train. Si une seule locomotive suffit pour tirer la charge, alors une seule locomotive est utilisée.

[48]           Il a déclaré que c’est le conducteur du train qui est en charge du train tandis que le mécanicien contrôle les mouvements, la vitesse, etc., de la locomotive. Il a en outre indiqué que la locomotive est munie de deux valves de commande de frein qui sont installées pour faciliter les manœuvres des employés. L’une est située sur le tableau de commande principal actionné par le mécanicien et l’autre se trouve du côté du conducteur.

[49]           Il a confirmé que les deux employés ont reçu une formation sur leurs postes respectifs en conformité avec les exigences de Transports Canada.

[50]           M. Gagnon a indiqué en outre qu’il n’y a pas de différence dans les exigences, au chapitre des règles, des règlements ou de l’équipement de la locomotive dans le cadre de la manœuvre du grand capot en tête par rapport au petit capot. Il a également déclaré que la locomotive en question est équipée de feux et de pilotes afin de permettre d’effectuer des manœuvres dans les deux sens sur une ligne principale.

[51]           M. Glass a fourni des photos de l’intérieur de la cabine de la locomotive pour expliquer l’aménagement de l’équipement et les ajustements des sièges. M. Glass a en outre expliqué que la conception des cabines de locomotives se fonde sur les critères établis par l’AAR qui constitue une norme qui s’applique à tous les chemins de fer en Amérique du Nord.

[52]           M. Glass a également déclaré que la conception de la cabine est conforme aux règles de l’AAR. Il a confirmé que, conformément à ces règles, la locomotive peut fonctionner dans les deux sens.

[53]           M. Glass a expliqué que pour faire fonctionner correctement les commandes dans les deux sens, il est essentiel que les sièges soient correctement réglés pour le confort ainsi que pour faciliter l’accès à toutes les commandes. Il a indiqué que les commandes et les règles de fonctionnement sont les mêmes, que la locomotive soit manœuvrée avec le grand capot en tête ou avec le petit capot en tête.

[54]           Mme Miller a témoigné qu’elle gère les cas d’employés qui retournent au travail après avoir été blessés au travail. Elle a déclaré qu’elle évalue l’état des employés à leur retour au travail et qu’elle contribue à la formation des employés pour leur permettre d’être capables de faire leur travail en toute sécurité.

[55]           Selon l’état particulier de l’employé, elle élabore une formation sur la façon pour cet employé de mieux se placer pour faire son travail de façon sécuritaire. La formation est personnalisée pour chaque employé, selon les restrictions, le cas échéant, formulées par son médecin.

[56]           Elle a expliqué que la formation est essentiellement la même pour tous les employés quand ils prennent connaissance de leurs fonctions; la formation consiste à examiner les pratiques de travail sécuritaires et le confort de l’employé.

[57]           Sur la question de l’ergonomie, M. Rose et Mme Tharoo ont conjointement livré des témoignages d’experts en tant qu’ergothérapeutes engagés par le CN pour déterminer le risque pour les mécaniciens de locomotive de développer des blessures musculo‑squelettiques liées à la manœuvre des locomotives lorsqu’elle est positionnée avec le grand capot en tête.

[58]           Leur rapport a été reçu en preuve et a été versé au dossier et il ne sera pas repris ici.

[59]            Selon leur témoignage, il n’existe pas de processus normalisé au Canada pour déterminer le risque de développer des troubles musculo-squelettiques (TMS) en milieu de travail. Par conséquent, ils ont suivi les lignes directrices du ministère du Travail de l’Ontario pour évaluer les TMS en milieu de travail.

[60]           Leur opinion était fondée sur les résultats de l’analyse qu’ils ont effectuée conformément aux lignes directrices de l’Ontario sur l’indice de traumatisme, l’évaluation rapide d’un membre supérieur et l’évaluation rapide de tout le corps. Leurs résultats ont conclu que le risque de développer des TMS se situe à un niveau négligeable.

[61]           Enfin, Me Huart a examiné le programme de formation des mécaniciens potentiels, indiquant qu’il y avait une formation en classe et une formation sur simulateur, lesquelles sont ensuite suivies d’une formation sur place, qui dure plusieurs semaines. À cette étape, les étudiants sont informés des caractéristiques du siège et du positionnement recommandé du siège.

Arguments de l’appelante

[62]           Me Huart fait valoir que la « norme réglementaire » fait référence à des normes écrites réelles comme l’indique la décision du Tribunal dans Viterra Inc.Footnote 5 . Par conséquent, il soutient que les normes applicables étaient celles mentionnées dans la Loi sur la sécurité ferroviaire, puisqu’il s’agit de la loi qui réglemente la construction et l’exploitation des locomotives.

[63]           Me Huart fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve dans l’instruction émise que l’une ou l’autre des normes intégrées dans la Loi a été violée. Il affirme que la locomotive 4760, le type de locomotive qui est en cause en l’espèce, répond à toutes les normes réglementaires pour les appareils mobiles utilisés par les employés dans le cadre de leur emploi. Il soutient que cette locomotive est une locomotive manœuvres-ligne standard qui peut être utilisée en position de grand capot en tête ou de petit capot en tête comme sa conception le permet.

[64]           Me Huart prétend que la formation dispensée aux équipes de train et en particulier aux mécaniciens, selon M. Glass, comprend des explications sur la façon d’utiliser le siège, sur ses caractéristiques ainsi que sur la position assise privilégiée ou recommandée pour un mécanicien. Il ressort clairement des photos prises par l’agent de SST, des photos prises par les experts de la CFTC et du CN et présentées dans les rapports d’experts, ainsi que du témoignage du mécanicien et du conducteur, des témoins de la CFTC et de M. William Glass que bien qu’il y ait une position privilégiée pour le mécanicien, chaque mécanicien peut choisir une position qui lui convient en vue d’obtenir du confort et d’accéder aux commandes, que ce soit en position de petit ou de grand capot en tête, tout en assurant la sécurité des manœuvres.

[65]           M. Huart indique que la visite du site et les éléments de preuve montrent clairement que toute l’instrumentation nécessaire pour faire fonctionner le train est à portée du mécanicien, malgré le sens du déplacement de la locomotive.

[66]           Il note en outre que l’autre membre de l’équipe de la locomotive est le conducteur. Le conducteur joue un rôle différent et n’est pas appelé à manœuvrer l’ensemble des commandes, indicateurs de niveau ou cadrans qui se trouvent sur le tableau de commande indépendamment du fait que la locomotive est positionnée avec le grand ou le petit capot en tête. Cependant, il est ressorti clairement de la visite du site que le siège du conducteur de la locomotive peut également pivoter et peut être déplacé de haut en bas ainsi que vers l’arrière ou vers l’avant afin de convenir au niveau de confort du conducteur.

[67]           M. Huart soutient que la preuve démontre que la locomotive, et plus particulièrement la locomotive 4760, est équipée de deux (2) valves de commande de frein d’urgence. L’une de ces valves se situe sur le principal poste de commande de la locomotive et le mécanicien y a accès, tandis qu’une autre valve de commande de frein d’urgence est également accessible au conducteur de son côté de la locomotive.

[68]           La pratique veut que ce soit le mécanicien qui constitue le principal décideur pour activer la valve de commande de frein d’urgence, car celle-ci est directement à sa portée tout juste à côté de lui. Comme remplaçant, le conducteur peut aussi activer son frein d’urgence si le mécanicien est dans l’incapacité de réagir à une situation qui justifie de tirer la valve de commande de frein d’urgence ou n’y parvient pas.

[69]           Me Huart soutient également que la preuve fournie selon laquelle le temps nécessaire pour réagir et tirer la valve de commande de frein d’urgence ne se situe pas au-delà d’un délai de deux (2) à quatre (4) secondes, même si la locomotive est positionnée avec le grand capot en tête. Étant donné que la distance pour arrêter un train peut être importante et puisque le temps nécessaire pour en arriver à un arrêt complet dépend de la vitesse à laquelle la locomotive circule et des conditions générales de la ligne, un écart pouvant aller jusqu’à quatre (4) secondes au maximum aura une incidence minime sur la distance pour arrêter un long train. Par conséquent, le temps nécessaire pour activer le système de freinage d’urgence ne constitue qu’une fraction du temps total nécessaire pour arrêter un train. En outre, selon le témoignage des experts du CN, la valve de commande de frein d’urgence n’est pas difficile à manœuvrer.

[70]           Me Huart note que M. Normand Gagnon a décrit les manœuvres telles qu’elles avaient lieu jusqu’à la délivrance de la Promesse de conformité volontaire. Il a indiqué que la locomotive utilisée pour le train était la locomotive 4760 ou une locomotive similaire, qu’il s’agit d’une locomotive manœuvres-ligne et, par conséquent, elle est conçue pour fonctionner tant en position de grand capot en tête que de petit capot en tête. M. Gagnon a en outre indiqué que ce type de locomotive était utilisé partout en Amérique du Nord.

[71]           Me Huart soutient en outre que la preuve démontre qu’il n’y a pas de différence dans les exigences, au chapitre des règles, des règlements ou de l’équipement de la locomotive dans le cadre de la manœuvre du grand capot en tête par rapport au petit capot. La locomotive en question est équipée de feux et de pilotes afin de permettre d’effectuer des manœuvres dans les deux sens sur une ligne principale.

[72]           Il souligne que lors de la visite du site, M. Glass a démontré que tous les cadrans, les indicateurs de niveau et les commandes sont accessibles lorsque le siège est correctement positionné et lorsque la position du mécanicien dans le siège est conforme à la formation dispensée en classe ainsi qu’à la formation à bord fournie aux employés qui veulent devenir mécaniciens.

[73]           Me Huart fait valoir que le témoignage de l’expert montre clairement que l’accès aux différentes commandes ainsi qu’aux cadrans est à portée de main des mécaniciens de la locomotive et que les différences de portée ne sont qu’une question de quelques centimètres si le train est manœuvré en position de grand capot en tête plutôt qu’en position de petit capot en tête, lorsque le siège est correctement positionné.

[74]           Me Huart soutient en outre que, comme il a été indiqué dans le rapport de l’expert et durant l’interrogatoire principal et le contre-interrogatoire des employés, la répétition et la fréquence des mouvements ne constituent pas en soi un problème. L’évaluation menée par l’expert du CN établit que des mouvements répétés et fréquents ayant trait à une mauvaise posture et à des efforts soutenus ne sont pas présents dans l’affaire en cause.

[75]           Me Huart est en désaccord avec les conclusions de l’experte de la CFTC, indiquant que l’évaluation de celle-ci se base sur un questionnaire et une méthodologie tirés d’un projet de norme, non accrédité par l’American National Standard Institute (ANSI). Il a noté que l’experte du syndicat ne pouvait pas expliquer la plupart des critères qu’elle a utilisés pour en arriver à sa conclusion.

[76]           Sur la question qui traite de la capacité des employés (article 10.13 du RSSTT) à conduire le matériel roulant en toute sécurité, Me Huart a souligné que les deux témoins du syndicat se sont décrits comme mécanicien et conducteur expérimentés de locomotives. Les deux ont confirmé qu’ils avaient reçu une formation en conformité avec les lois et règlements de Transports Canada.

[77]           Me Huart a renvoyé l’agent d’appel au Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires (RNCEF), qui s’applique à toutes les entreprises de chemin de fer en exploitation au Canada. Il a fait valoir qu’en étant qualifié en vertu de cette norme, cela signifie que les employés sont en mesure de manœuvrer le matériel roulant en toute sécurité, après avoir reçu la formation appropriée, comme en témoigne un certificat délivré aux employés en vertu de l’article 13.1 du règlement susmentionné.

[78]           En conclusion, Me Huart soutient qu’aucun des articles auxquels il est fait référence dans l’instruction n’a été enfreint. Il fait valoir que chaque article du RSSTT (10.5, 10.6, 10.13) a été respecté par le CN. Par conséquent, il demande que l’instruction émise par l’agent de SST Rodgers soit annulée.

Preuve de l’intimée

[79]           Les personnes suivantes ont témoigné pour l’intimée, la CFTC :

  • M. L. Pednaud, conducteur pour le CN; M. M. Jessom, mécanicien du CN; Mme L. Daley, ergothérapeute.

[80]           M. Pednaud a déclaré qu’il est régulièrement affecté à l’aiguillage de triage dans la gare de triage d’Edmundston. Il travaille dans l’industrie ferroviaire depuis plus de 13 ans. Son travail consiste à desservir les gares de triage de clients jusqu’à Grand Falls au Nouveau-Brunswick, une distance d’environ 59 km. Il utilise normalement une seule locomotive et se déplace en position de grand capot en tête à l’aller et en position de petit capot en tête au retour.

[81]           M. Pednaud a témoigné qu’il n’a jamais reçu de formation spécifique pour manœuvrer avec le grand capot en tête sur les locomotives. Il a déclaré qu’il trouve difficile de se déplacer avec le grand capot en tête, car la vision est limitée et il ne peut pas voir les deux côtés de la voie ferrée; par conséquent, il pourrait manquer certains signaux puisqu’ils sont situés d’un seul côté de la voie. Toutefois, il a reconnu qu’il a toujours le profil de la voie en sa possession, de sorte qu’il sait à l’avance quels signaux, courbes, etc., arrivent. Il a également déclaré que lui-même et le mécanicien se communiquent les signaux en tout temps.

[82]           Il a déclaré que, bien qu’ils puissent faire faire demi-tour à la locomotive à mi-chemin du parcours, ils ne le font jamais, car cela revient au même et ils devraient encore faire l’autre moitié du parcours en positon de grand capot en tête.

[83]           M. Jessom est mécanicien pour le CN et travaille dans l’industrie ferroviaire depuis plus de 20 ans. Il est normalement affecté à l’aiguillage de triage, ce qui comprend le fait de sortir des gares de triage afin de desservir les voies d’évitement des clients jusqu’à Grand Falls, au Nouveau‑Brunswick. Il a déclaré qu’il n’a jamais eu de formation spécifique pour manœuvrer les locomotives en position de grand capot en tête, indiquant [traduction] « vous apprenez sur le tas ».

[84]           Il est d’accord avec l’agent de SST que la locomotive en question a été conçue pour fonctionner en marche avant, ou ce qu’on appelle communément, en position de petit capot en tête. Il estime qu’il est mal à l’aise de conduire avec le grand capot en tête, car les commandes se trouvent réellement dans son dos; il doit alors se retourner pour voir les cadrans comme le compteur de vitesse. Il a noté que dans le passé, il y avait toujours deux locomotives pour tirer le train; chaque locomotive pointait dans une direction différente, et ce, afin qu’ils puissent toujours tirer le train en position de petit capot en tête.

[85]           M. Jessom a également témoigné que bien qu’il soit en mesure de manœuvrer en toute sécurité la locomotive en position de grand capot en tête, il y a d’autres enjeux tels que la visibilité. Il estime également que s’il doit se retourner pour regarder les cadrans, les indicateurs de niveau, etc., il pourrait manquer quelque chose sur la voie, comme un signal. Là encore, il a déclaré qu’il ressent des douleurs dans le dos et dans le cou à force d’avoir à se retourner pour regarder les commandes. Il a admis cependant qu’il n’a pas à examiner les commandes pour les faire fonctionner.

[86]           Mme Daley a témoigné à titre d’experte en vertu de sa profession d’ergothérapeute. Mme Daley a été embauchée par la CFTC pour évaluer la question de savoir si des facteurs de risque de blessures musculo-squelettiques existent lors de l’utilisation des locomotives en position de grand capot en tête.

[87]           Le rapport fourni par Mme Daley a été reçu en preuve et ne sera pas repris ici.

[88]           Mme Daley a déclaré que les renseignements recueillis aux fins de l’évaluation étaient fondés sur des observations du lieu de travail avec des travailleurs présents qui ont donné un aperçu de leurs tâches, des mesures pertinentes du lieu de travail, ainsi que sur un entretien avec les employés qui effectuent ce travail.

[89]           Elle a déclaré que, bien que la locomotive soit capable de fonctionner à la fois en position de petit capot et de grand capot en tête, les employés du CN ont indiqué que les commandes de la locomotive sont conçues pour fonctionner lorsque la locomotive est positionnée avec le petit capot en tête. Elle a indiqué que les commandes sont à portée de main et les instruments sont disposés de sorte qu’ils ne nécessitent qu’un minimum de mouvements de rotation du cou pour assurer une surveillance en position de petit capot en tête. Elle a conclu que la manœuvre avec le petit capot en tête n’est pas révélatrice de risques de blessures au cou ou au dos selon les résultats de cette évaluation.

[90]           Mme Daley a également témoigné qu’elle a observé que conduire la locomotive en position de long capot en tête nécessite une zone de visualisation d’environ 150 degrés. Elle est d’avis que cette conduite nécessite une rotation du cou excessive et répétitive pour visualiser l’espace de travail nécessaire pour que les employés puissent s’acquitter efficacement de leurs fonctions.

[91]           Elle a ajouté que, combinée aux mouvements excessifs de rotation du cou, la tâche nécessite également un transfert de poids répétitif et une rotation de la posture du tronc. Elle a finalement conclu que la répétition et la fréquence de ces mouvements non ergonomiques indiquent qu’il existe un risque de blessures au cou et de blessures musculo-squelettiques du dos.

[92]           Enfin, en réponse à ma question sur les limites ou sur les obstacles à la manœuvre sécuritaire des commandes de la locomotive, elle a répondu qu’elle n’avait pas noté de telles restrictions.

Arguments de l’intimée

[93]           Me Stuebing soutient que la préoccupation de la CFTC peut se résumer en deux grandes catégories de risques : les risques opérationnels et les risques ergonomiques.

[94]           Il fait valoir que les éléments de preuves fournis sur les préoccupations d’ordre opérationnel établissent l’existence d’un accès sous‑optimal aux cadrans, alertes et autres indicateurs qui sont situés dans le champ de vision du mécanicien lorsqu’il se déplace en position de petit capot en tête. Ces indicateurs sont visibles uniquement dans le sens opposé de la direction à laquelle le mécanicien fait face lorsqu’il se déplace en position de grand capot en tête. Ainsi, il fait valoir que l’accès aux commandes, telles que la poignée de frein, est entravé en raison de leur position qui, selon ce qu’il soutient, est conçue principalement pour être utilisée avec le petit capot en tête.

[95]           Me Stuebing fait valoir que les signaux externes essentiels, y compris notamment les feux de signalisation, les panneaux de point milliaire et les panneaux indicateurs d’emploi du sifflet, sont souvent masqués par le grand capot de la locomotive lorsqu’on se déplace en position de grand capot en tête. Il a indiqué que le témoignage de M. Pednault reconnaissait qu’il existe une crainte de risques importants liés à une visualisation obstruée en position de grand capot en tête.

[96]           En outre, Me Stuebing fait valoir de sérieuses préoccupations concernant les risques ergonomiques des manœuvres en position de grand capot en tête. Comme l’a indiqué le témoignage de M. Jessom, où il affirmait éprouver des douleurs au cou lorsqu’il doit se tordre le cou pour regarder les cadrans et les commandes.

[97]           Me Stuebing fait valoir que la position du petit capot par rapport au grand capot constitue un problème de longue date, comme le montrent les différents procès‑verbaux du comité local de santé et de sécurité, produits en preuve. Parmi ces problèmes, M. Stuebing soulève de nouveau la question des angles morts le long de la ligne lors d’un déplacement en position de grand capot en tête.

[98]           Il soutient que, comme l’ont indiqué les deux témoins, il n’y a aucune formation spécifique en ce qui a trait à la pratique sécuritaire en position de grand capot en tête, ni aucune directive particulière sur une position ergonomique pour les conducteurs de locomotive se déplaçant en position de grand capot en tête. En outre, aucun des témoins n’a pu se souvenir d’une directive ergonomique précise sur la façon de régler les sièges et la position du corps de façon sécuritaire pour la manœuvre en position de grand ou de petit capot en tête.

[99]           M. Stuebing fait valoir que l’évaluation de leur expert soulève à première vue des problèmes liés à l’ergonomie. L’instruction de l’agent de SST indique que la capacité limitée et peu commode des conducteurs et des mécaniciens à contrôler les locomotives en position de grand capot en tête compromet la santé et la sécurité du conducteur et des mécaniciens de locomotive.

[100]       Il soutient que les commandes devraient être disposées de manière à réduire au minimum l’exigence pour les mécaniciens de se retourner fréquemment et de changer de position uniquement pour manœuvrer une commande. Les commandes devraient être accessibles sans qu’il soit nécessaire de tourner le tronc ou le cou de façon excessive. En outre, il soutient que la capacité des mécaniciens à manœuvrer et arrêter de « manière fiable » les mouvements en réponse aux panneaux indicateurs d’emploi du sifflet, aux panneaux de point milliaire et aux feux de signalisation nécessaires est limitée de manière importante par l’angle mort sur 200 à 400 pieds de la voie.

[101]       Me Stuebing fait valoir que selon la décision de la Cour fédérale dans l’affaire MartinFootnote 6 , les agents d’appel disposent de larges pouvoirs pour faire des enquêtes et donner des instructions qui peuvent découler de l’examen par l’agent d’appel des circonstances signalées dans l’instruction d’un agent de santé et de sécurité. Il a déclaré que la portée de l’examen de l’agent d’appel ne se limite pas aux articles précis du Code cités par l’agent de SST, ni par l’étendue de la propre analyse de l’agent de SST.

[102]       Enfin, Me Stuebing demande que le Tribunal confirme l’instruction de l’Agent de SST Rodgers et ordonne à l’employeur de cesser les manœuvres en position de grand capot en tête sur la ligne principale et de s’y abstenir.

Réponse

[103]       Suite aux observations de Me Stuebing, l’avocat de la CFTC, Me Huart, a déposé une requête demandant que certaines parties des observations de Me Stuebing soient radiées. J’ai reçu les observations des deux parties sur cette requête et le 12 janvier 2012, j’ai rendu une décision motivée accordant la requête en partieFootnote 7 .

[104]       Me Huart fait valoir que la cause, telle qu’elle a été présentée par Me Stuebing dans certains paragraphes de ses observations, où il est notamment question de conséquences potentiellement mortelles, va au-delà de la portée du mandat de l’agent d’appel, car aucun « danger » n’a été relevé dans les conclusions de l’agent de SST.

[105]       Sur la question de la période de temps passée à se tordre le cou pouvant atteindre quatre heures, comme l’a invoqué Me Stuebing, les dossiers indiquent qu’un mécanicien de locomotive effectue des manœuvres en position de grand capot en tête pour une moyenne de 67,5 minutes par quart de travail. Le reste de la journée de huit heures est consacré alors que la locomotive est arrêtée, à des manœuvres d’aiguillage ou à des mouvements en position de petit capot en tête.

[106]       Me Huart soutient qu’en ce qui concerne la position assise du mécanicien, les deux témoins de l’intimée ainsi que les témoins du CN ont indiqué que les photos de la position dans le rapport de l’agent de SST ne sont pas représentatives de la réalité.

[107]       Me Huart souligne que, comme il est indiqué dans le rapport de leur expert, l’aménagement du siège et le tableau de commande permettent au mécanicien de prendre une position qui permet une visibilité dans les deux sens. Cet aménagement permet au mécanicien de se positionner pour s’assurer qu’il est à l’aise et qu’il peut effectuer des manœuvres en toute sécurité dans la position qu’il souhaite adopter. C’est pourquoi la formation porte sur la façon d’utiliser le siège et non sur la façon de le positionner, car chaque mécanicien doit trouver la position qui est la meilleure pour lui.

[108]       Me Huart soutient que la plupart des notes de plaidoirie traitent de la question d’un angle mort présumé lors d’un déplacement en position de grand capot en tête. Il s’agit là d’une question très différente de celle concernant l’accès aux commandes et ce n’est pas une question en litige dans le présent appel. En outre, la plaidoirie de la CFTC porte sur le positionnement des signaux le long de la voie ferrée et non sur les questions en litige qui traitent de la facilité d’accès aux commandes.

[109]       Pour tous les motifs ci-dessus, le CN demande que l’appel soit accueilli et l’instruction annulée.

Analyse

[110]       Mon rôle en tant qu’agent d’appel est de déterminer si le CN a contrevenu aux dispositions de l’alinéa 125(1) k) du Code, et des articles 10.5, 10.6 et 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains). Pour toutes les raisons exposées ci-dessous, je conclus que le CN n’a pas contrevenu à l’article cité du Code et aux dispositions du RSSTT. Les motifs sur lesquels se fondent mes conclusions sont exposés ci-après.

[111]       La question que je dois trancher est de savoir si le CN a contrevenu à l’alinéa 125(1) k) du Code canadien du travail. L’article se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

k) de veiller à ce que les véhicules et l’équipement mobile que ses employés utilisent pour leur travail soient conformes aux normes réglementaires;

[112]       Les « normes réglementaires » que l’agent de SST Rodgers a désigné comme ayant été violées sont les articles 10.5, 10.6 et 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains). Ces articles se lisent comme suit :

Tableaux de commande

10.5 La conception et la disposition des cadrans et des tableaux de commande du matériel roulant automoteur ainsi que la conception et la disposition générale de la cabine ou du poste du conducteur ne doivent pas nuire à celui-ci dans ses manœuvres ni l’empêcher de manœuvrer le matériel roulant.

Mécanismes de contrôle

10.6 Le matériel roulant automoteur doit être muni d’un mécanisme de freinage et d’autres mécanismes de contrôle qui à la fois :

a) permettent de régler et d’arrêter en toute sécurité le mouvement du matériel roulant ou de toute pièce d’équipement accessoire qui en fait partie ou qui est à bord;

b) obéissent rapidement et de façon sûre à un effort modéré du conducteur.

Conduite du matériel roulant

10.13 L’employeur ne peut obliger un employé à conduire le matériel roulant automoteur à moins que l’employé ne soit capable de le faire en toute sécurité.

Le paragraphe suivant inclus dans l’instruction de l’agent de SST Rodgers explique sa compréhension de la violation des articles du Code et du RSSTT susmentionnés. Ce paragraphe se lit ainsi :

                        [traduction]

Il est difficile de contrôler des locomotives qui ont été conçues principalement pour être manœuvrées en marche avant (petit capot en tête) lorsqu’elles sont manœuvrées avec le grand capot en tête. La disposition de certains cadrans tels que le compteur de vitesse et le manomètre à air se trouvent dans une position de petit capot en tête. En raison de la position du conducteur lorsque la cabine est positionnée avec le grand capot en tête, certains mécanismes de contrôle, comme la poignée du frein automatique, le dispositif d’affranchissement sur la poignée de frein indépendant et le régulateur limitent les manœuvres du conducteur lorsqu’il règle ou arrête le mouvement.

[113]       Le paragraphe susmentionné tiré de l’instruction de l’agent de SST Rodgers exprime ce qui est au cœur du présent litige. Compte tenu des questions soulevées dans ce paragraphe, alors, je vais maintenant déterminer si le CN contrevient aux dispositions de l’alinéa 125(1) k) du Code et des articles 10.5, 10.6 et 10.13 du RSSTT.

[114]       Les observations du CN renvoient aux normes réglementaires qui prennent la forme de la Loi sur la sécurité ferroviaire. Ces observations ont été utiles et instructives. Cependant, les observations du CN ne contestent pas l’applicabilité des « normes réglementaires » mentionnées à l’alinéa 125(1) k) du Code, qui, aux fins du présent pourvoi, sont les articles 10.5, 10.6 et 10.13 du RSSTT. À la lumière de ce fait, et étant donné qu’il s’agit d’une infraction fondée sur les articles du Code et du RSSTT qui sont au centre du présent appel, c’est sur ces articles du Code et sur les normes réglementaires citées par le RSSTT que je vais limiter mon analyse.

[115]       Un autre élément qui soutient ma décision de procéder de cette façon, c’est mon interprétation du paragraphe 122(1) du Code, qui indique que le mot « règlement » signifie « Règlement pris par le gouverneur en conseil ou disposition déterminée en conformité avec des règles prévues par un règlement pris par le gouverneur en conseil ». De cette définition, j’ai dégagé ce qui suit : bien que le Code canadien du travail établisse un cadre législatif général et décrive les responsabilités et les obligations en matière de santé et de sécurité au travail de l’employeur et des employés, les règlements sur la santé et la sécurité au travail, tels que le RSSTT, permettent de déterminer, de façon beaucoup plus détaillée, les exigences particulières qui doivent être respectées pour s’assurer que les lieux de travail canadiens sont sains et sécuritaires.

[116]       En d’autres termes, je conclus que même si le CN fait valoir qu’il ne contrevient pas aux autres « normes réglementaires », à savoir les dispositions de la Loi sur la sécurité ferroviaire, pour les raisons que j’ai exposées ci-dessus, ma décision portera sur les « normes réglementaires » qui prennent la forme du RSSTT.

Le CN contrevient-il à l’article 10.5 du RSSTT?

[117]       L’article 10.5 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) se lit comme suit :

 

Tableaux de commande

10.5 La conception et la disposition des cadrans et des tableaux de commande du matériel roulant automoteur ainsi que la conception et la disposition générale de la cabine ou du poste du conducteur ne doivent pas nuire à celui-ci dans ses manœuvres ni l’empêcher de manœuvrer le matériel roulant.

[118]       Afin que je puisse conclure que le CN contrevient à cet article, je dois déterminer si la conception et la disposition des cadrans et des tableaux de commande et la conception et la disposition générale de la cabine ou du poste du conducteur de la locomotive 4760 nuisent à celui-ci dans ses manœuvres ou l’empêchent de manœuvrer la locomotive. Je conclus que ce n’est pas le cas et donc, qu’il n’y a pas de contravention à ce règlement. Ma conclusion se fonde sur les raisons suivantes.

[119]       À titre liminaire, les parties devraient noter que c’est sur les règles de l’AAR citées au cours de la présente instance par le CN qu’est fondée mon analyse de la question de savoir s’il y a contravention à l’article 10.5 du RSSTT. Comme il été mentionné plus tôt dans ma décision, l’AAR est l’organisme de normalisation pour les chemins de fer en Amérique du Nord. J’ai examiné attentivement les règles de l’AAR et j’ai conclu qu’elles me sont d’une aide utile dans la conduite de mon analyse de la question de savoir si les pratiques ferroviaires sont sécuritaires. À ce titre, je vais examiner ces règles dans mon évaluation de la question de savoir si le CN contrevient à l’article 10.5 du RSSTT.

[120]       Je retiens du témoignage de M. Glass que la conception de la cabine de la locomotive 4760 est conforme aux règles de l’AAR. M. Glass a également réussi à me convaincre que, conformément à ces règles, la conception, les commandes et la disposition de la cabine du conducteur de la locomotive ne lui nuisent pas dans ses manœuvres ni ne l’empêchent de manœuvrer la locomotive. Je suis également convaincu par son témoignage que la locomotive en question peut fonctionner dans les deux sens. Cet élément n’a pas été contesté par l’intimée.

[121]       Je suis également convaincu par le témoignage de M. Jessom dans lequel il a déclaré que bien qu’il ressente un malaise lorsqu’il conduit en position de grand capot en tête, il est en mesure de manœuvrer la locomotive en toute sécurité en position de grand capot en tête. Il a également affirmé qu’il n’avait pas à regarder les commandes pour les faire fonctionner. Ma décision s’appuie également sur ces points.

[122]       Enfin, je suis également convaincu par la réponse de l’experte de la CFTC à ma question sur les limites ou les obstacles à la manœuvre sécuritaire des commandes de la locomotive, dans laquelle elle a noté qu’elle n’a pas trouvé de telles restrictions.

[123]       Selon les témoignages et les éléments de preuve dont j’ai été saisi, je ne peux conclure que la conception et la disposition des commandes dans la cabine de la locomotive 4760 nuisent au conducteur dans ses manœuvres ou l’empêchent de manœuvrer le matériel roulant.

[124]       À ce titre, ma conclusion est que la conception est conforme à l’esprit du règlement, et comme je l’ai indiqué ci-dessus, elle répond aux exigences de la « norme réglementaire », à savoir, l’article 10.5 du RSSTT.

Le CN contrevient-il à l’article 10.6 du RSSTT?

[125]       L’article 10.6 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) se lit comme suit :

Mécanismes de contrôle

10.6 Le matériel roulant automoteur doit être muni d’un mécanisme de freinage et d’autres mécanismes de contrôle qui à la fois :

a) permettent de régler et d’arrêter en toute sécurité le mouvement du matériel roulant ou de toute pièce d’équipement accessoire qui en fait partie ou qui est à bord;

b) obéissent rapidement et de façon sûre à un effort modéré du conducteur.

[120]       Afin que je puisse conclure que le CN contrevient à cet article, je dois conclure que la locomotive 4760 n’est pas munie d’un mécanisme de freinage ou d’autres mécanismes de contrôle qui a) permettent de régler et d’arrêter en toute sécurité le mouvement du matériel roulant ou de toute pièce d’équipement accessoire qui en fait partie ou qui est à bord et b) obéissent rapidement et de façon sûre à un effort modéré du conducteur. Je ne peux conclure à un tel manque dans le mécanisme de freinage ou d’autres mécanismes de contrôle de la locomotive 4760 pour les raisons qui suivent.

[126]       Au cours de la visite du site, ainsi que lors de son témoignage, M. Gagnon a expliqué les différentes commandes de la locomotive, comme la poignée du frein automatique, le dispositif d’affranchissement sur la poignée de frein indépendant et le régulateur, ainsi que d’autres commandes. Il est clair que la locomotive dispose de tous les mécanismes de contrôle requis pour bien faire fonctionner le matériel roulant. En ce qui concerne la fiabilité et l’effort nécessaire pour faire fonctionner ces commandes, la visite du site et le témoignage de M. Gagnon m’ont également convaincu que la manœuvre des commandes est relativement facile pour une personne qualifiée.

[127]       La poignée de frein d’urgence qui se trouve sur le côté du conducteur est peut‑être la commande qui requiert le plus d’efforts. Toutefois, M. Glass a montré dans son témoignage qu’elle pouvait être actionnée de manière fiable dans un délai de deux à quatre secondes avec la force nécessaire associée au poste d’un chef de train.

[128]       Au contraire, les employés ont témoigné que la valve de commande de frein d’urgence située sur le côté du conducteur était quelque peu difficile à utiliser pendant la conduite de la locomotive en position de grand capot en tête. Cependant, les employés n’ont pas dit que cela exigeait trop d’efforts, ou que le mécanisme était trop difficile à utiliser, ou que le temps nécessaire pour se retourner afin de l’utiliser rendrait la situation dangereuse.

[129]       Par conséquent, je conclus que la locomotive 4760 est bien équipée de mécanismes de contrôle comme l’exige l’article 10.6 du RSSTT. À ce titre, je conclus qu’il n’y a pas violation de ce règlement.

Le CN contrevient-il à l’article 10.13 du RSSTT?

[130]       L’article 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) se lit comme suit :

Conduite du matériel roulant

10.13 L’employeur ne peut obliger un employé à conduire le matériel roulant automoteur à moins que l’employé ne soit capable de le faire en toute sécurité.

[131]       La dernière question que je dois résoudre dans le présent appel est la question de savoir si les employés sont en mesure de faire fonctionner en toute sécurité le matériel roulant. Je conclus qu’ils sont en mesure de le faire pour les raisons qui suivent.

[132]       Je note que le RSSTT ne prévoit pas de définition des expressions « sécuritaire » ou « en toute sécurité ». Je reconnais également l’utilité des autres règlements qui comportent d’autres spécificités propres aux locomotives de chemin de fer. J’ai donc décidé d’avoir recours au Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires (RNCEF) pour m’aider à position sur la question de savoir si les employés ont été capables de faire fonctionner le matériel roulant en toute sécurité, conformément à l’article 10.13 du RSSTT.

[133]       Dans le RNCEF, j’ai découvert qu’aucune compagnie de chemin de fer ne peut permettre à un employé de remplir les fonctions de mécanicien de locomotive, de mécanicien de manœuvre, de chef de train ou de contremaître de triage, que si l’employé a la compétence requise pour cette catégorie d’emploi, ou, dans le cas d’un mécanicien de locomotive ou d’un mécanicien de manœuvre, a obtenu la note de passage requise pour la formation en cours d’emploi propre à cette catégorie d’emploi. J’ai aussi découvert qu’une compagnie de chemin de fer doit donner aux candidats au poste de mécanicien de locomotive ou de mécanicien de manœuvre une formation en cours d’emploi dans les sujets requis qui est suffisante pour leur permettre de démontrer aux moniteurs et aux examinateurs qu’ils ont la compétence nécessaire pour s’acquitter des fonctions requises.

[134]       J’ai également remarqué dans le RNCEF que les employés qui occupant les postes pertinents de l’industrie ferroviaire reçoivent de la formation sur les sujets suivants : le Règlement unifié d’exploitation, le Règlement sur les radiocommunications ferroviaires, les marchandises dangereuses, les systèmes et essais de freins à air, la conduite des locomotives, la conduite des trains, l’inspection des wagons et des trains.

[135]       C’est avec cette information tirée du RNCEF à l’esprit que j’ai permis à la CFTC de procéder à une évaluation ergonomique de la position du mécanicien de la locomotive 4760. J’ai pensé que, malgré le fait que je perçoive que le CN se conforme au RNCEF, une évaluation ergonomique pourrait révéler l’existence possible d’un risque non apparent qui pourrait compromettre la manœuvre en toute sécurité du matériel roulant, conformément à l’article 10.13 du RSSTT.

[136]       En ce qui concerne l’existence de problèmes ergonomiques possibles, je retiens du rapport et du témoignage du témoin expert de la CFTC, Mme Daley, ce qui suit :

[traduction]  

[...] Elle a observé que le mécanicien avait une zone de visualisation estimée à environ 150° [degrés] pour regarder toutes les commandes et devant la locomotive en position de grand capot en tête. Elle estimait également que cette situation nécessitait une rotation excessive et répétitive du cou pour visualiser l’espace de travail nécessaire pour s’acquitter efficacement de ses fonctions.

Elle a déclaré en outre que, combinée aux mouvements excessifs de rotation du cou, la tâche nécessite également un transfert de poids répétitif et une rotation de la posture du tronc. Elle a finalement conclu que la répétition et la fréquence de ces mouvements non ergonomiques indiquent qu’il existe un risque de blessures au cou et de blessures musculo‑squelettiques du dos.

[137]        Quoi qu’il en soit, je retiens et je trouve plus convaincante la preuve et les témoignages des témoins experts du CN, M. Rose et Mme Tharoo qui ont conclu ce qui suit :

[…] selon les résultats de l’analyse effectuée conformément aux lignes directrices de l’Ontario sur l’indice de traumatisme, l’évaluation rapide d’un membre supérieur et l’évaluation rapide de tout le corps, le risque de développer des TMS se situe à un niveau négligeable.

[138]        Des deux séries de témoignages d’experts, je conclus que les témoignages des experts du CN sont plus convaincants et ce, parce que j’ai l’impression que la preuve présentée par le témoin expert de la CFTC, Mme Daley, se fondait sur un projet de méthodologie qui n’a jamais été reconnu par l’American National Standards Institute (ANSI), que je reconnais comme étant une autorité persuasive et fiable sur ces questions. En outre, et qui est davantage déterminant dans mon évaluation, je conclus que ce projet de méthodologie utilisé par Mme Daley ne fournit pas une évaluation aussi complète en matière de sécurité ergonomique que la méthodologie utilisée par les experts du CN.

[139]       L’évaluation de Mme Daley a été effectuée dans la gare de triage ainsi que dans le cadre d’entretiens avec les salariés concernés. Cette évaluation, cependant, ne parvient pas à me donner des renseignements précis tels que le temps réel consacré à travailler en position de grand capot en tête, le nombre de fois au cours de cette période où les mécaniciens doivent tourner excessivement la tête à 150 degrés, le temps durant cette même période où la posture des employés est dans une position neutre de repos, etc. Il semble que la conclusion soit fondée uniquement sur la simple croyance que les mécaniciens devaient tordre le cou et le dos de façon répétitive et excessive, plutôt que sur des observations enregistrées sur place. Selon le témoignage des employés, ceux-ci ressentaient de la fatigue et des douleurs au dos ou au cou pendant qu’ils conduisaient en position de grand capot en tête. Bien qu’il faille accorder un poids important aux témoignages des employés puisque ce sont eux qui vivent cette situation et connaissent les tenants et aboutissants de l’état de fonctionnement, aucune preuve tangible de quelque nature que ce soit n’a été présentée à l’appui de leurs malaises. Par conséquent, je n’accorde pas beaucoup de poids à l’évaluation menée par Mme Daley.

[140]       À l’opposé de la méthodologie choisie par Mme Daley, la conclusion tirée par l’expert du CN était fondée sur une méthode reconnue utilisée dans divers milieux industriels en Ontario, et qui, je pense, fournit une évaluation ergonomique plus complète.

[141]       Comme il n’existe pas de lignes directrices fédérales officielles, M. Rose et Mme Tharoo ont choisi de suivre les lignes directrices du ministère du Travail de l’Ontario évaluant les risques de troubles musculo-squelettiques en milieu de travail, qui ont été publiées par le Conseil de la santé et de la sécurité au travail de l’Ontario. Ils ont sélectionné trois questionnaires tirés de cet outil en fonction de leur capacité à évaluer les membres supérieurs en particulier et le corps entier en général. Par conséquent, il semble plus raisonnable d’accorder plus de poids aux résultats de cette évaluation que celle qui a été effectuée par Mme Daley.

[142]       La preuve tirée de l’évaluation de M. Rose et de Mme Tharoo a démontré que les données recueillies provenaient d’une combinaison d’une évaluation sur place, d’un vidéo et d’une collecte d’images de la position, des commandes, etc. L’évaluation s’est également fondée sur des entretiens avec différents employés du CN, des communications avec les différents services du CN et l’examen d’outils d’analyse des risques reconnus et de comptes rendus de recherche. Les données recueillies par les experts du CN ont révélé que, bien que les employés travaillent un quart de huit heures, on a déterminé que les activités d’aiguillage prenaient en moyenne 3,75 heures. En outre, le temps moyen consacré aux déplacements sur la ligne principale était de 1,75 heure, alors que le reste du temps, la locomotive était normalement fixe. Enfin, les registres du temps soumis indiquent que la locomotive se déplace en position de grand capot en tête en moyenne 67 minutes durant un quart de huit heures.

[143]       Lorsqu’elle a été terminée, l’évaluation menée par M. Rose et Mme Tharoo a produit un pointage final qui est utilisé comme mesure objective du risque de développer des TMS liés au travail aux extrémités des membres supérieurs auquel les employés font face. L’évaluation réalisée aux fins du présent pourvoi a donné lieu à un pointage qui place le risque de TMS dans la catégorie sécuritaire.

[144]       Les résultats de l’outil qui évalue la charge biomécanique et de la posture sur tout le corps avec une attention particulière portée au cou, au tronc et aux membres supérieurs ont révélé que même si un faible risque semble être présent, cette position devrait faire l’objet d’une nouvelle enquête.

[145]       Le dernier outil utilisé pour effectuer l’évaluation a cherché à examiner la posture quant au risque de TMS. Ceci indique que la tâche spécifique visant à manœuvrer la locomotive en position de grand capot en tête représente un faible niveau de risque.

[146]       Par conséquent, je conclus que l’évaluation ergonomique du CN démontre que les mécaniciens travaillant en position de grand capot en tête peuvent ressentir un certain inconfort au cours de la courte période de temps de leur déplacement avec le grand capot; cependant, je ne vois aucune preuve qui me convainc finalement que cette position les expose à un risque susceptible de compromettre leur santé ou leur sécurité. À ce titre, je conclus que les employés peuvent utiliser le matériel roulant automoteur en toute sécurité, conformément à l’article 10.13 du RSSTT. En d’autres termes, je conclus qu’il n’y a pas violation du présent article.

[147]       En outre, je reconnais que les employés se sont plaints de ne pas pouvoir conduire la locomotive en toute sécurité parce qu’ils n’avaient pas reçu de formation spécifique sur la conduite en position de grand capot en tête. En réponse à cet élément, cependant, je tiens à informer les parties que je suis convaincu par le témoignage de M. Glass, qui a déclaré que les commandes, les règles de fonctionnement, etc., étaient les mêmes dans les positions de grand capot ou petit capot en tête.

[148]       De plus, je reconnais également que les employés avaient des problèmes tant en ce qui a trait aux angles morts dans certaines courbes de la voie ferrée qu’à la visibilité de la signalisation lors de l’utilisation de la position de grand capot en tête. En fait, le témoignage des employés se concentrait principalement sur le danger potentiel auquel ils sont exposés en raison des angles morts le long de la voie ferrée causés par la locomotive en position de grand capot en tête. Bien que j’en sois venu à une conclusion sur les problèmes à résoudre dans le présent pourvoi, je voudrais traiter maintenant de ces préoccupations des employés avant de conclure mon analyse.

[149]       Je voudrais d’abord souligner que l’inspection menée par l’agent de SST Rodgers était axée sur la disposition et la conception des cadrans pendant les déplacements en position de grand capot en tête. En d’autres termes, l’instruction en question est concernée par des problèmes opérationnels posés par l’aménagement de la locomotive en position de grand capot en tête. En outre, l’agent de SST n’a procédé à aucune enquête sur les angles morts ou sur la visibilité de la signalisation sur les deux côtés de la voie ferrée.

[150]       L’appel dont je suis saisi ne concerne pas un refus de travailler, et je n’ai pas non plus à rendre dans le présent appel une décision relative au « danger » sur la question de l’angle mort et la visibilité de la signalisation. Par conséquent, je crois que mon devoir lorsque je suis saisi d’un appel interjeté à l’encontre d’une instruction, conformément au paragraphe 146.1 (1) du Code, est de me pencher sur les circonstances et les raisons qui ont conduit à l’émission de l’instruction, et à ce titre, je ne peux pas prolonger mon enquête sur de nouvelles questions autres que celles qui s’inscrivent dans le cadre des circonstances et raisons qui ont conduit à l’émission de l’instruction faisant l’objet de l’appel.

[151]       En conclusion, compte tenu de ce qui précède, je crois que le CN n’a pas contrevenu à l’alinéa 125 (1) k) du Code et à l’article 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains), tel que précisé dans l’instruction émise par l’agent de SST Rodgers.

Décision

[152]       Pour ces motifs, j’annule l’instruction émise au CN par l’agent de santé et de sécurité Rodgers le 6 décembre 2010, étant donné que le CN ne contrevient pas à l’alinéa 125(1) k) du Code canadien du travail et plus particulièrement, ne contrevient pas aux articles 10.5, 10.6 et 10.13 du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains).

 

Richard Lafrance

Agent d’appel

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