2012 TSSTC 41

Référence : Passeport Canada, 2012 TSSTC 41

Date : 2012-11-02
No dossier : 2012-65
Rendue à : Ottawa

Entre :

Passeport Canada, demandeur

Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction

Décision : La suspension de la mise en œuvre de l’instruction est accordée

Décision rendue par : M. Pierre Guénette, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour le demandeur : Me Yolande Viau, avocate pour Passeport Canada

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]               Le 5 octobre 2012, Me Yolande Viau, avocate de Passeport Canada, a interjeté appel d’une instruction qui était accompagnée d’une demande écrite de suspension, en vertu du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code). Le paragraphe 146(2) se lit comme suit :

146(2)  À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

Contexte

[2]              En juillet 2012, l’agente de santé et de sécurité (Ag. SS) Michelle Sterling et un autre Ag. SS (identifié dans son rapport comme étant l’Ag. SS Ammoun) ont effectué une inspection en milieu de travail au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (bureau de Passeport Canada) à London (Ontario).

[3]              Alors qu’elle menait son enquête sur les problèmes en cours liés à la sécurité au travail dans ce milieu de travail, l’Ag. SS Sterling a appris qu’une évaluation ergonomique avait été remplie après la survenance de deux situations dangereuses. L’Ag. SS a également appris que le comité local n’avait jamais reçu de copies de cette évaluation ergonomique. Après avoir mené une enquête à ce sujet, l’Ag. SS Sterling a finalement décidé d’émettre une instruction à l’employeur, plus particulièrement à Mme Shannon Badger, une gestionnaire de Passeport Canada. Cette instruction est datée du 24 septembre 2012, et a été émise conformément à l’alinéa 141(1)h) du Code. L’instruction se lit comme suit :

[traduction] Le 17 août 2012, l'agente de santé et de sécurité soussignée a mené une enquête au sujet d'une situation dangereuse survenue dans le lieu de travail exploité par Affaires étrangères et Commerce international, un employeur assujetti au Code canadien du travail, partie II, au 301 Oxford St. W, bureau 76, London (Ontario), N6H 1S6, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom de Affaires étrangères (bureau de Passeport Canada) – London.

Ladite agente de santé et de sécurité est d'avis que la disposition suivante du Code canadien du travail, partie II, a été violée.

No. / N° : 1

Alinéa 125(1)z.11) – Code canadien du travail, partie II

Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève, de fournir au comité d’orientation, ainsi qu’au comité local ou au représentant, copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation.

L'employeur a fait défaut de fournir une copie de l'évaluation ergonomique complète, qui avait été effectuée en raison de la situation dangereuse du 2 avril 2012 (excluant tout dossier médical dans lequel le consentement de la personne applicable n'a pas été obtenu), au comité de santé et de sécurité au travail.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 141(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 10 octobre 2012.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par l’agente de santé et sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à London, ce 24 septembre 2012.

[4]              Le 5 octobre 2012, Passeport Canada a présenté des observations écrites dans le but d’interjeter appel de cette instruction. Ces observations étaient accompagnées d’une demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction et de certains motifs pour lesquels la suspension devrait être accordée.

[5]              Le 10 octobre 2012, une téléconférence pour entendre la demande de suspension a eu lieu. M. Ron Bergsma, représentant syndical de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) a informé le Tribunal qu'il participerait à la téléconférence en tant qu'observateur à l'égard de l'audience pour examiner la demande de suspension.

[6]              Ayant pris en considération les plaidoiries de Me Viau, j'ai accordé une suspension de la mise en œuvre de l'instruction le 11 octobre 2012, jusqu'à ce qu'une décision sur le fond de l'appel soit rendue par un agent d'appel. La section suivante présente les motifs pour lesquels j’ai accordé la suspension de la mise en œuvre de l'instruction.

Analyse

[7]              Le pouvoir d’un agent d’appel d’accorder une suspension découle du paragraphe 146(2) susmentionné et l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit correspondre à l’objet du Code énoncé à l’article 122.1 du Code ainsi qu’à toute autre disposition applicable. Le paragraphe 122.1 du Code se lit comme suit :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[8]              Pour m’aider à déterminer si je dois accorder la présente demande de suspension, j’ai appliqué le test en trois volets adopté par les agents d’appel pour traiter de telles demandes. Les exigences du test sont les suivantes :

1)      Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire;

2)      Le demandeur doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre l’application de l’instruction lui causera un préjudice important;

3)      Le demandeur doit démontrer que dans l’éventualité où une suspension serait accordée, des mesures seraient mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

La question à juger est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[9]              Me Viau a prétendu que la question est de savoir si Passeport Canada doit distribuer ou non la version intégrale de l'évaluation ergonomique au comité de santé et sécurité au travail pour que l'employeur respect les exigences de l'alinéa 125(1)z.11) du Code.

[10]          Me Viau a fait valoir qu'il s'agit d'une question sérieuse à trancher parce que l'employeur doit obtenir une interprétation de ses obligations en vertu de l'alinéa 125 (1)z.11) du Code, qui concerne la protection de la santé et de la sécurité de ses employés.

[11]          Selon les arguments de Me Viau, je suis convaincu qu'il existe une question sérieuse à trancher.

Le demandeur subirait-il un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue?

[12]          Me Viau a déclaré que l'employé nommé dans l'évaluation ergonomique, le milieu de travail et l'employeur subiront un préjudice important si l’instruction n'est pas suspendue. Elle a ajouté que l'auteur de l'évaluation ergonomique a inclus dans le rapport des renseignements d’ordre médical de l'individu.

[13]          Me Viau a fait valoir que la divulgation de ces renseignements médicaux, tels qu’ils figurent dans l'évaluation ergonomique, causerait une atteinte sérieuse et irréparable à la réputation et à l’estime de soi de l'employé.

[14]          Me Viau a ajouté que cela minerait non seulement l’autorité de la direction à traiter les questions de santé et de sécurité au travail, mais également les obligations qui lui incombent en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels de protéger les renseignements personnels de ses employés. L'employé en question est un membre du comité de santé et sécurité au travail et l'employeur considère que les membres de ce comité n'ont pas besoin de connaître les renseignements personnels de l'employé (en particulier les renseignements d’ordre médical).

[15]          On a également fait valoir que les employés ne sont exposés à aucun danger immédiat si la suspension est accordée, et que, au contraire, la divulgation de l'évaluation ergonomique complète nuirait à un employé et porterait ainsi préjudice aux relations de travail entre l'employeur et ses employés.

[16]          Je conclus que les arguments susmentionnés de Me Viau sont persuasifs et je suis d’avis par conséquent que Passeport Canada subirait un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue.

Quelles mesures seront mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise sur le lieu de travail si la suspension est accordée?

[17]          Me Viau a conclu que jusqu'à ce qu'une décision soit rendue par un agent d'appel sur le fond de l'appel, l'employeur convient de fournir au comité de santé et de sécurité au travail une version expurgée de l'évaluation ergonomique dans laquelle l'employeur exclura tous les renseignements personnels liés à l'employé nommé dans le rapport. Je suis convaincu que l'octroi d'une suspension de la mise en œuvre de l'instruction, à la lumière de la volonté de l'employeur de prendre cette mesure, n'aura pas de répercussions négatives sur la santé et la sécurité des employés.

Décision

[18]          En tenant compte de ce qui précède, la suspension de la mise en œuvre de l’instruction émise par l’Ag. SS Michelle Sterling à Passeport Canada le 24 septembre 2012 est accordée.

[19]          Cependant, comme condition de l’octroi de la suspension, l’employeur est tenu de fournir une version expurgée de l’évaluation ergonomique qui exclut toute référence aux renseignements personnels relatifs aux antécédents médicaux de tout employé.

 

Pierre Guénette

Agent d’appel

 

 

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