2012 TSSTC 45

Référence : Drew Lefebvre et Service correctionnel Canada, 2012 TSSTC 45

Date : 2012-12-14
No dossier : 2012-71
Rendue à : Ottawa

Entre :

Drew Lefebvre, appelant

et

Service correctionnel Canada, intimé

Affaire : Demande de prorogation de délai pour le dépôt d’un appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail

Décision : La demande est rejetée

Décision rendue par : M. Pierre Guénette, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : M. Drew Lefebvre

Pour l’intimé : Mme Christine Langill, avocate, Service juridique, Secrétariat du Conseil du Trésor

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]               Cette affaire concerne un appel interjeté à l’encontre d’une instruction émise aux termes du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code), ainsi que la demande déposée par la suite visant à obtenir une prorogation de délai pour le dépôt de l’appel. L’instruction a été émise le 31 août 2012 par l’agent de santé et sécurité (agent SST) Bob Tomlin.

Contexte

[2]               Le 29 août 2012, l’appelant, M. Drew Lefebvre, agent correctionnel (AC) à l’établissement correctionnel de Joyceville et employé du Service correctionnel du Canada (SCC), a refusé de travailler aux termes de l’article 128 du Code. Le motif de son refus était qu’il estimait que d'autres AC et lui-même s’exposaient à un risque d’incident accru lorsque les détenus ont été placés dans la rangée de l’Unité de détention provisoire (UDP). Au moment du refus, M. Lefebvre a déclaré que l’UDP, qui est conçue pour recevoir 19 détenus, était trop petite pour accueillir un nombre de détenus qui, selon son estimation, pouvait aller jusqu’à 38.

[3]               Le 30 août 2012, l’agent SST Tomlin s’est présenté à l’établissement de Joyceville pour y mener une enquête. Le lendemain, soit le 31 août 2012, l’agent SST Tomlin a indiqué aux parties qu’il avait constaté l’existence d’une situation dangereuse, mais au lieu de donner une instruction appropriée aux termes du paragraphe 145(2) du Code, il a plutôt transmis une instruction au SCC relativement à une contravention au paragraphe 145(1) du Code. Cette instruction se lisait comme suit [traduction] :

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR AUX TERMES DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 30 août 2012, l'agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par Service correctionnel Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au C.P. 880, autoroute 15, Kingston (Ontario), K7L 4X9, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Service correctionnel - Établissement de Joyceville.

Ledit agent de santé et de sécurité est d'avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail sont enfreintes :

No 1

Alinéa 125(1)z.04) - Code canadien du travail, partie II, Santé et sécurité au travail

relativement aux risques propres à un lieu de travail et non couverts par un programme visé à l’alinéa z.03), en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, d’élaborer et de mettre en œuvre un programme réglementaire de prévention de ces risques, y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité relativement à ces risques, et d’en contrôler l’application.

Référence : paragraphe 19.5(1) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

Afin de prévenir les risques, y compris ceux liés à l’ergonomie, qui ont été recensés et évalués, l’employeur prend toute mesure de prévention selon l’ordre de priorité suivant :

a)    l’élimination du risque, notamment par la mise au point de mécanismes techniques pouvant comprendre des aides mécaniques et la conception ou la modification d’équipement en fonction des attributs physiques de l’employé;

b)    la réduction du risque, notamment par son isolation;

c)     la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection personnels;

d)    l’établissement de procédures administratives, telles que celles relatives à la gestion des durées d’exposition aux risques et de récupération ainsi qu’à la gestion des régimes et des méthodes de travail.

L’employeur n’a pas mis au point ni recensé de mesures de prévention pour gérer les risques propres à l’Unité de détention provisoire avant de commencer à utiliser celle-ci.

Par conséquent, il vous est ordonné par les présentes, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention au plus tard le 28 septembre 2012.

De plus, il vous est ordonné par les présentes en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail de prendre, dans les délais précisés par l’agent de santé et de sécurité, les mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Transmis par courriel en ce 31e jour d’août 2012.

BOB TOMLIN

Agent de santé et sécurité

Numéro de certificat : ON0243

[4]               De plus, tel qu’indiqué dans sa correspondance datée du 31 août 2012, l’agent SST Tomlin a accepté, à titre de conformité temporaire à son instruction, que M. Lefebvre ne soit pas tenu d’aller jusqu’au bout de la rangée pour effectuer des patrouilles de sécurité lorsqu’il y a plus de 19 détenus dans la rangée de l’UDP.

[5]               Le 19 octobre 2012, l’agent SST Tomlin a convenu que le SCC avait observé son instruction.

[6]               Le 29 octobre 2012, le Tribunal a reçu la demande d’appel de M. Lefebvre. Le même jour, le Tribunal a envoyé une lettre à M. Lefebvre pour l’informer que sa demande avait été reçue en dehors du délai légal de 30 jours prévu au paragraphe 146(1) du Code, et pour lui demander de communiquer au Tribunal ses observations établissant ses motifs de demander une prorogation de délai pour le dépôt de l’appel. Les observations de M. Lefebvre ont été reçues le 8 novembre 2012.

Question en litige

[7]               La question que je dois trancher est celle de savoir si je devrais exercer, en l’espèce, le pouvoir discrétionnaire dont je suis investi pour proroger le délai légal de 30 jours accordé pour interjeter appel à l’encontre d’une instruction émise par un agent SST en application du paragraphe 146(1) du Code.

Observations des parties

Observations de l’appelant

[8]               Dans ses observations, l’appelant commence par mentionner qu’on avait constaté l’existence d’une situation dangereuse en raison des conditions qui régnaient dans la rangée de l’UDP. En plus de constater l’existence d’une situation dangereuse, l’agent SST Tomlin a déclaré que l’employeur contrevenait aux dispositions du Code dans la mesure où il n’avait pas effectué d’analyse du risque professionnel.

[9]               L’appelant soutient que même si l’agent SST Tomlin a déterminé que l’employeur ne contrevenait plus aux dispositions du Code après avoir effectué une analyse du risque professionnel, la situation dangereuse qui l’avait incité à refuser de travailler existait toujours. Il estime qu’à ce jour, l’employeur n’a toujours pas adopté de mesures de contrôle qui permettraient de gérer les situations dangereuses propres à la rangée de l’UDP. Selon lui, la seule chose qui a été faite par l’employeur a été de remplir un document.

[10]           De plus, l’appelant maintient qu’il n’a pas dépassé le délai pour soumettre sa demande d’appel puisque l’agent SST Tomlin a constaté l’existence d’une situation dangereuse le 31 août 2012 et a infirmé ce constat le 19 octobre 2012 lorsqu’il a déterminé que l’employeur ne contrevenait plus aux dispositions du Code étant donné qu’il avait effectué une analyse du risque professionnel.

Observations de l’intimé

[11]           L’intimé a commencé par affirmer qu’il n’est pas contesté que M. Lefebvre avait été informé du constat effectué par l’agent SST Tomlin le 31 août 2012. Les dossiers du SCC indiquent que M. Lefebvre était au travail le 31 août 2012 lorsque l’agent SST Tomlin a téléphoné à l’établissement pour rendre sa décision et que M. Lefebvre avait confirmé qu’il avait reçu cette décision par courriel le même jour.

[12]           L’intimé soutient que si M. Lefebvre souhaitait contester l’instruction de l’agent SST Tomlin, y compris le caractère provisoire d’une partie de cette instruction, il était tenu, aux termes du paragraphe 146(1) du Code, de le faire dans les 30 jours qui suivaient la date où l’instruction avait été émise. En vertu de la loi, M. Lefebvre avait donc jusqu’au 1er octobre 2012 pour contester l’instruction. L’intimé ajoute qu’en ayant omis de le faire, M. Lefebvre se trouvait hors délai pour déposer un appel, et ce, à compter du 2 octobre 2012.  

[13]           L’intimé indique que la demande d’appel déposée par l’appelant a été estampillée en date du 29 octobre 2012, soit 28 jours après l’expiration du délai légal. L’intimé soutient que M. Lefebvre n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles il n’avait pas déposé d’appel dans le délai de 30 jours. Selon l’intimé, l’appelant n’a justifié d’aucune façon ce retard d’environ 30 jours pour déposer son appel.  

[14]           L’intimé soutient que M. Lefebvre ne semble même pas contester directement l’instruction émise le 31 août 2012 par l’agent SST Tomlin. Il appert  qu’il remet plutôt en question le contenu d’un courriel transmis par l’agent SST Tomlin en date du 19 octobre 2012. Quoi qu’il en soit, ce courriel constitue tout simplement une communication entre le SCC et l’agent SST Tomlin, laquelle communication ne visait qu’à reconnaître que l’instruction avait été respectée. Cette communication ne constitue pas elle‑même une instruction.

[15]           Selon l’intimé, M. Lefebvre semble plutôt contester le courriel daté du 19 octobre 2012 dans lequel l’agent SST Tomlin reconnaît que le SCC s’était conformé à son instruction du 31 août 2012. L’intimé soutient que même si le Code accorde le pouvoir d’interjeter appel à l’encontre d’une instruction émise par un agent SST, dans la mesure où cela se fait dans le délai de 30 jours indiqué au paragraphe 146(1), le Code ne prévoit pas la possibilité de contester un bref courriel de suivi ne visant qu’à confirmer le respect d’une instruction.

[16]           L’intimé soutient que l’unique document qui, dans le cas du refus de travailler de M. Lefebvre, constitue une « instruction » au sens du paragraphe 146(1) du Code, est l’instruction du 31 août 2012. Ce document est d’ailleurs explicitement intitulé, en majuscules au haut de la page, « INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR AUX TERMES DU PARAGRAPHE 145(1) ».

[17]           Selon l’intimé, si M. Lefebvre n’était pas d’accord avec l’instruction émise le 31 août 2012, il disposait de 30 jours à compter de cette date-là pour déposer un appel. L’intimé soumet que M. Lefebvre ne l’a pas fait et qu’il n’a donné aucune explication pour son retard. C’est pourquoi l’intimé maintient que la demande de M. Lefebvre visant à obtenir une prorogation de délai pour déposer un appel devrait être rejetée, tout comme son appel, en raison du défaut de respecter le délai prévu par la loi.

Analyse

[18]           Cette demande de prorogation de délai m’est présentée dans le contexte de l’intérêt de l’appelant à déposer un appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code, lequel prévoit qu’un appel à l’encontre d’une instruction doit être déposé dans les 30 jours qui suivent la date où l’instruction en cause a été émise ou confirmée par écrit. Ce paragraphe se lit comme suit:

146(1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions émises par l’agent de santé et de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les trente jours qui suivent la date où les instructions sont émises ou confirmées par écrit, interjeter appel de celles-ci par écrit à un agent d’appel.

[19]           Aux termes de l’alinéa 146.2f) du Code, un agent d’appel peut, à sa discrétion, proroger le délai applicable à l’introduction de la procédure. Cet alinéa se lit comme suit :

146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :

f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve;

[20]           La prorogation du délai pour le dépôt d’un appel en vertu de l’alinéa 146.2f) donne à un agent d’appel le pouvoir discrétionnaire de rétablir un droit d’appel qui est éteint au moment où l’employé cherche à introduire la procédure d’appel. Il ne s’agit pas d’un droit garanti ou absolu pour l’employé, mais plutôt d’un droit procédural procurant une marge de manœuvre à l’agent d’appel lorsqu’il doit composer avec des circonstances particulières qui sortent de l’ordinaire et à l’égard desquelles l’application stricte du délai applicable au dépôt d’un appel pourrait causer du tort à une partie.  

[21]           Par exemple, dans l’affaire Len Van Roon c. Première nation Kinonjeoshtegon,Footnote 1  l’agent d’appel a conclu que la présence de l’alinéa 146.2f) dans le Code démontrait que les délais qui y sont prévus pour le dépôt d’un appel ne constituent pas des délais stricts :

[11] À titre d’agent d’appel, je reconnais que je devrais accorder une certaine latitude à une partie qui se représente elle-même et qui, par manque de connaissances et par inexpérience de la procédure, prend du temps pour bien comprendre le processus et pour apaiser ses préoccupations ainsi que pour faire appel.

[12] Je crois que le délai n’est pas un délai strict, sinon le législateur fédéral n’aurait pas conféré à l’agent d’appel les pouvoirs d’abréger ou de proroger ce délai.

[13] Je suis d’avis que le retard était minime et non intentionnel et que l’appelant croyait de bonne foi qu’il devait présenter un dossier complet pour faire appel. J’estime en outre que le retard dans la production de l’appel ne causerait pas un préjudice à l’employeur. Par conséquent, comme l’alinéa 146.2f) du Code canadien du travail m’habilite à le faire, je proroge le délai d’appel à la date à laquelle il a été officiellement inscrit, soit le 21 juin 2007.

[22]           Dans Len Van Roon, l’agent d’appel a accordé beaucoup d’importance au fait que l’appelant avait démontré sa bonne foi et qu’il n’avait pas agi de façon négligente, et aussi au fait que l’employeur ne subirait pas de préjudice si la demande de prorogation de délai était accueillie.

[23]           En l’espèce, j’estime, après avoir tenu compte des arguments que les parties m’ont présentés, qu’il est difficile de conclure que l’appelant a dû composer avec des circonstances inhabituelles qui l’auraient empêché de déposer son appel dans le délai prescrit.

[24]           Premièrement, il semble que la raison qui sous-tend l’appel de M. Lefebvre et, par extension, sa demande de prorogation de délai pour déposer cet appel, est qu’il croit que les mesures prises par l’employeur, et qui ont été jugées conformes à l’instruction émise par l’agent SST Tomlin, ne permettaient pas de gérer la situation dangereuse alléguée qui l’avait incité à refuser de travailler le 29 août 2012. Quoi qu’il en soit et tel que l’a mentionné l’intimé, le paragraphe 146(1) du Code attribue un droit d’appel à tout employeur, employé ou syndicat qui s’estime lésé par des instructions émises par un agent de santé et de sécurité, mais il ne prévoit aucun recours pour un employé qui s’estime lésé par les mesures prises par son employeur afin de donner suite à des instructions. Par conséquent, je suis d’accord pour dire qu’aucune prorogation du délai pour le dépôt d’un appel ne devrait être accordée pour le motif que les mesures correctives sont jugées insuffisantes par l’appelant.

[25]           De plus, tel qu’indiqué dans Len Van Roon, un agent d’appel devrait tenir compte de tout préjudice que subirait l’employeur si la demande de prorogation de délai était accueillie. En l’espèce, le SCC a fait des efforts pour donner suite en toute bonne foi à l’instruction en cause, et ce, en adoptant des mesures qui furent au bout du compte jugées satisfaisantes par l’agent SST Tomlin. Si j’accueillais une demande de prorogation de délai pour le dépôt d’un appel visant à infirmer la décision d’un agent de santé et de sécurité qui a confirmé que l’employeur s’était conformé à une instruction, cela aurait pour effet d’imposer à l’employeur un fardeau non justifié.

[26]           Par conséquent, pour tous les motifs précités, je suis d’avis que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire d’accueillir la demande de l’appelant visant à obtenir la prorogation du délai pour le dépôt d’un appel.

Décision

[27]           La demande de prorogation de délai pour le dépôt d’un appel est rejetée.

 

Pierre Guénette

Agent d’appel

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