2014 TSSTC 1

Référence : Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2014 TSSTC 1

Date : 2014-01-27
No. dossier : 2012-63
Rendue à : Ottawa

Entre :

Agence canadienne d’inspection des aliments, appelante

et

Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée


Affaire :
 Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, Agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelante : M. Michel Girard, avocat, Services juridiques du Conseil du Trésor, ministère de la Justice

Pour l’intimée : Mme Lisa Addario, avocate, Services juridiques, AFPC

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1]          La présente décision concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA) à l’encontre d’une instruction émise le 6 septembre 2012 par l’agente de santé et de sécurité (l’agente de SST) Joanne Penner du Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC, maintenant appelé Emploi et Développement social Canada, EDSC).

Contexte

[2]          Le 28 novembre 2011, un employé occupant un poste d’inspecteur de la volaille aux termes du PMIV auprès de l’ACIA a rencontré son superviseur, le vétérinaire responsable. Au cours de cette rencontre, un certain nombre de préoccupations ont été présentées au sujet de leur relation de travail. Le 2 décembre 2011, l’employé a présenté au superviseur une plainte écrite résumant la discussion tenue au cours de la réunion dans laquelle l’employé alléguait des problèmes de communication, de favoritisme, d’humiliation, de traitement injuste et de manque de respect de la part du superviseur.

[3]          Par la suite, l’employeur a demandé à un directeur régional de procéder à une recherche des faits visant la plainte de l’employé. Deux rondes d’entrevues en personne ont été menées au titre de la recherche des faits. Le rôle du directeur régional était d’établir si les allégations, dans l’hypothèse où elles s’avéraient, constituaient du harcèlement ou de la violence dans le lieu de travail.

[4]          Le 2 février 2012, l’enquêteur a publié un rapport intitulé « Fact Finding Summary Re: Complaint of Harassment » (« Résumé de la recherche des faits au sujet de la plainte en matière de harcèlement »), dans lequel on concluait qu’il n’y avait pas de preuve que la plainte de l’employé constituait du harcèlement ou de la violence et donc qu’aucune autre enquête n’était nécessaire. Bien qu’on ait déterminé que les allégations de harcèlement présentées par l’employé étaient infondées, l’enquêteur a trouvé qu’il existait des tensions non apaisées entre l’employé et le superviseur et qu’il fallait les régler. L’enquêteur a donc recommandé qu’un facilitateur indépendant soit embauché pour aider l’employeur et le superviseur à régler les tensions entre eux. Par conséquent, l’employeur a clos le dossier de la plainte.

[5]          L’employé et son syndicat, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC), ont contesté le processus qui a mené à la recherche des faits par l’employeur et le contenu de son rapport. Ils ont observé que, selon eux, la plainte constituait une question de santé et de sécurité au travail et qu’elle aurait dû être traitée conformément au processus prévu à la partie XX, Prévention de la violence dans le lieu de travail du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (appelé aux présentes le Règlement).

[6]          L’employé et le syndicat se sont opposés au fait que l’employeur avait utilisé le processus de recherche des faits des ressources humaines plutôt que le processus décrit dans le Règlement, qui, selon eux, aurait mené à la nomination d’une personne compétente pour qu’elle fasse enquête sur la violence alléguée dans le lieu de travail. Ils étaient d’avis que les dispositions applicables du Règlement avaient clairement été violées et demandaient une enquête d’une « personne compétente » au sens du paragraphe 20.9(1) du Règlement.

[7]          Le 10 février 2012, l’agente de SST Penner a reçu une plainte écrite de l’employé affirmant que l’ACIA ne respectait pas le paragraphe 20.9(3) du Règlement. La plainte de l’employé portait sur la nomination de l’enquêteur parce qu’il ne répondait pas à la définition de « personne compétente » au sens du paragraphe 20.9(1). L’employé était d’avis que l’objectif de l’enquêteur était d’établir arbitrairement s’il y avait eu harcèlement ou non ce qui, de l’avis du plaignant, contrevenait de toute évidence au Règlement, qui ne permet pas à l’employeur de rejeter une plainte pour violence simplement parce qu’il croit qu’il n’y a pas eu de harcèlement.

[8]          Après avoir revu la plainte, l’agente de SST Penner a trouvé que certaines étapes du processus de règlement interne des plaintes en vertu de l’article 127.1 du Code n’avaient pas été suivies et, par conséquent, elle a refusé d’enquêter davantage sur la question. Elle a aussi décrit aux parties la législation applicable, dans ce cas la partie XX du Règlement.

[9]          Le 21 février 2012, l’agente de SST Penner a demandé des nouvelles sur l’état de la plainte de l’employé et elle a reçu un courriel du nouveau directeur exécutif des activités de l’ouest de l’ACIA le 24 février 2012. Le directeur exécutif a réitéré la position de l’employeur à l’effet que les résultats de la recherche de faits avaient révélé que les préoccupations présentées par l’employée ne constituaient pas du harcèlement, mais plutôt que la relation était tendue entre l’employé et le superviseur. On a conclu que l’ACIA avait pris les mesures nécessaires pour calmer les préoccupations de l’employé et que la participation du Programme du travail de RHDCC n’était pas nécessaire. L’agente de SST Penner a aussi été informée qu’un médiateur interne de l’ACIA participait au dossier.

[10]      Entre le 5 mars et le 10 mai 2012, l’agente de SST Penner a envoyé des courriels aux parties, notamment pour répondre à des questions et réitérer les responsabilités des parties en vertu du Code et du Règlement. Le 10 mai 2012, elle a suggéré que l’employeur soumette une promesse de conformité volontaire (PCV) visant à cesser une contravention en vertu du Code, puisque, à son avis, le processus de médiation ne semblait pas progresser. Après avoir présenté sa suggestion, elle a reçu le 31 mai 2012 un appel d’un représentant de l’employeur au sujet de la PCV et elle a été informée que l’employeur ne soumettrait pas de PCV parce qu’il respectait le Code et le Règlement.

[11]      Après la réponse de l’employeur, puisqu’elle était d’avis que l’employeur avait omis de nommer une personne compétente pour faire enquête sur la plainte de l’employé, l’agente de SST Penner a donné une instruction à l’ACIA le 6 septembre 2012 pour une contravention à l’alinéa 125(1)z.16) et au paragraphe 20.9(3) du Règlement, dont voici un extrait :

[…]

Ladite agente de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante du Code canadien du travail, Partie II, a été enfreinte.

No / No : 1

125. (1)z16) – Code canadien du travail, partie II

20.9(3) – Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.

Comme le prévoit l’alinéa 20.9(1)a), « personne compétente » s’entend de toute personne qui est impartiale et est considérée comme telle par l’employeur et l’employé, a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail et connaît les textes législatifs applicables.

L’employé n’a pas nommé une personne compétente considérée comme impartiale par une des parties (l’employé).

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code canadien du travail, Partie II, de cesser la contravention au plus tard le 1er octobre 2012.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par l’agent de santé et sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Calgary, le 6e jour de septembre 2012.

[…]

[12]      L’ACIA a porté en appel l’instruction le 2 octobre 2012. Après mon examen du présent dossier et compte tenu de la question en litige, j’ai décidé de me fonder sur le rapport d’enquête de l’agente de SST et les observations écrites des parties.

Question en litige

[13]      La question en litige dans la présente affaire consiste à établir s’il était justifié que l’agente de SST émette une instruction à l’employeur constatant une contravention à l’alinéa 125(1)z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement.

 Observations des parties

A)    Observations de l’appelante

[14]      L’appelante a maintenu que l’interprétation de l’article 20.9 du Règlement est la question en litige dans le présent appel. Elle a argué principalement qu’elle n’était pas tenue de nommer une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3).

[15]      L’appelante a observé que l’enquêteur avait effectué une recherche de faits, en vertu du paragraphe 20.9(2) du Règlement, qui exige que l’employeur tente de résoudre la violence au travail, réelle ou alléguée, dès qu’il en a connaissance. L’enquêteur a conclu qu’aucune preuve n’indiquait que la plainte de l’employé constituait du harcèlement ou de la violence et qu’aucune constatation ne justifiait une enquête plus approfondie en vertu du Règlement. Le dossier de la plainte a donc été clos.

[16]      Selon l’appelante, si des preuves avaient suggéré qu’il était possible qu’il y ait eu de la violence sur le lieu de travail et que le dossier n’avait pu être résolu, l’exigence de nommer une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3) se serait alors appliquée.

[17]      De plus, l’appelante était d’avis que, si l’intimée était en désaccord avec l’évaluation suite à la recherche de faits, le recours adéquat aurait été de demander un contrôle judiciaire de la décision et non d’aller de l’avant avec la plainte. L’appelante a soutenu que la législation se voulait un moyen de filtrer les plaintes parce que le fait de nommer une personne compétente pour effectuer une enquête constituerait un gaspillage de ressources alors qu’il n’y a pas de preuve évidente de la violence alléguée dans le lieu de travail. Elle a argué que l’absence d’un mécanisme de filtrage mènerait à l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête au sujet de plaintes vexatoires et non fondées.

[18]      De plus, l’appelante a soutenu que même si le paragraphe 20.9(3) s’appliquait, elle était dispensée de l’exigence en vertu de l’alinéa 20.9(6)c) affirmant que le paragraphe 20.9(3) ne s’applique pas si « l’employeur a mis en place une procédure et des mécanismes de contrôle efficaces et sollicité le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail ».

[19]      Elle a argué que le paragraphe 20.9(6) énumère trois situations auxquelles le paragraphe 20.9(3) ne s’applique pas. L’appelante était d’avis que ces trois situations ne sont pas cumulatives et qu’elles doivent être prises séparément, malgré l’ambigüité causée par le fait que la version anglaise de cette disposition contient le mot « and » (« et ») entre la deuxième et la troisième situation (ce mot ne se trouve pas dans la version française). De l’avis de l’appelante, l’ambigüité découle du fait qu’il n’est pas clair si les alinéas 20.9(6)b) et c) doivent être lus conjointement et forment une seule exception à l’exigence qu’une personne compétente fasse enquête compte tenu du mot « and » à la fin de l’alinéa 20.9(6)b).

[20]      De plus, si ces deux alinéas devaient être lus conjointement, la dispense de l’obligation de l’employeur de nommer une personne compétente pour qu’elle fasse enquête dépendrait du fait qu’il soit raisonnable de considérer que le fait de prendre part à la situation de violence dans le lieu de travail est une condition normale de l’emploi et de l’existence d’une procédure et de mécanismes de contrôle efficaces sollicitant le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail. L’appelante n’était pas d’accord avec cette interprétation. Elle affirmait plutôt que l’ambigüité disparaissait en lisant la version française du paragraphe 20.9(6). Dans cette version, le mot « et » ne se trouve pas entre les alinéas 20.9(6)b) et c), ce qui portait l’appelante à conclure que les trois exceptions énumérées au paragraphe 20.9(6) sont distinctes.

[21]      Pour appuyer son interprétation, l’appelante a maintenu que les versions françaises et anglaises d’une loi ou d’un règlement ont force de loi égale : aucune version n’est considérée comme une copie ou une traduction et aucune n’a préséance ni priorité sur l’autre. L’appelante a souligné que, lorsqu’un texte législatif bilingue semble divergent, les tribunaux ont fourni une procédure pour en interpréter les différences. Elle a cité les arrêts Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62; R c. Daoust, 2004 CSC 6 et Hope Air c. La Reine, 2011 CCI 248.

[22]      L’appelante a observé que l’approche de la Cour suprême quant à l’interprétation des textes législatifs bilingues était résumée dans The Law of Bilingual Interpretation (titre en français : Le droit de l’interprétation bilingue), de l’honorable juge Michel Bastarache, 1re éd. (Markham: Lexix Nexis, 2008, pp. 47-48.). comme suit :

1.         [TRADUCTION] La première étape consiste en l’examen des deux versions pour voir s’il y a discordance entre les deux. Ici, le mot « discordance » a le même sens que le mot « conflit » utilisé dans de nombreux arrêts antérieurs. Il suffit de comprendre que les deux versions sont différentes. Si les deux versions sont identiques, il n’y a aucun problème. S’il y a discordance, l’interprète doit passer à l’étape suivante.

2.         La deuxième étape consiste à établir la nature de la discordance et le sens commun des deux versions. Trois possibilités se présentent :

a.       Les versions sont en « conflit absolu ». Chacune est claire et on ne peut discerner aucun sens commun.

b.       Une version est ambigüe et l’autre est claire. La version claire fournit le sens commun.

c.        Une version est large et l’autre est étroite. La version étroite fournit le sens commun.

3.         La troisième étape fait appel à des méthodes extrinsèques pour établir l’intention du législateur relativement à cette disposition.

[23]      L’appelante a suggéré qu’il y avait un conflit entre les versions française et anglaise si les alinéas 20.9(6)b) et c) étaient lus comme une seule exception à l’exigence qu’une personne compétente fasse enquête. Elle a affirmé que, compte tenu de l’ambigüité dans la version anglaise, la version française indique l’intention réelle du législateur, puisqu’elle élimine l’ambigüité de la version anglaise en donnant le sens commun prévu dans les règles d’interprétation législative. Pour appuyer sa position, elle a cité le premier paragraphe de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Trochimchuk, 2011 CAF 268 et a soutenu que l’application de la version anglaise entraînerait un résultat absurde parce que l’intention du législateur ne pouvait être que, lorsque l’employeur et le syndicat ne s’entendent pas sur l’identité d’une personne compétente, aucune enquête ne soit faite et que l’employeur reçoive une instruction d’un agent ou d’une agente de SST pour avoir contrevenu au paragraphe 20.9(3).

[24]      L’appelante a conclu que l’employeur avait nommé une personne pour une recherche de faits qui a trouvé qu’il n’y avait pas eu de violence dans le lieu de travail et que l’employeur avait suivi ses procédures et mécanismes de contrôle efficaces pour régler l’incident de violence au travail allégué et avait donc totalement respecté le paragraphe 20.9(6) du Règlement. De l’avis de l’appelante, il n’était pas nécessaire de nommer une personne compétente pour enquêter dans ce dossier en vertu du paragraphe 20.9(3).

B)    Observations de l’intimée

[25]      La position principale de l’intimée était que l’appelante avait contrevenu au paragraphe 20.9(3) en omettant de nommer une personne compétente pour faire enquête à la suite des allégations de son employé et que, dans ce dossier, l’employé avait été victime de violence au travail. L’intimée a affirmé que l’appelante créait l’ambigüité dans le paragraphe 20.9(6) du Règlement afin d’éviter de constater la formulation claire et obligatoire exigeant la nomination d’une personne compétente. Pour appuyer sa position, elle cite le juge en chef Lamer dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé R. c. Multiform manufacturing. co. [1990] 79 RC (3e) 390 :

« Lorsque le texte est clair et ne saurait avoir qu’un sens, on ne peut dire que se pose le problème de l’interprétation. »

[26]      Les motifs de l’argument de l’intimée étaient fondés sur quatre éléments.

[27]      Premièrement, l’intimée a affirmé que l’employeur avait sciemment ignoré son obligation de nommer une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3) afin qu’elle fasse enquête sur les allégations de violence au travail non résolues de l’employé. L’appelante avait plutôt demandé à un employé de faire une recherche de faits comme prétexte pour rejeter les allégations de l’employé. Pour appuyer son argument, elle a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt National Trust Co. c. Mead, [1990] 5 WWR 459 (RCS), aux paragraphes 468 et 469. Pour appuyer les dispositions de la partie XX du Règlement, l’intimée a cité le bulletin de liaison no 74 (juin 2008) publié par la Direction du développement du programme et de l’orientation (RHDCC – Programme du travail) au sujet de la prévention de la violence au travail et le discours de l’honorable Jean-Pierre Blackburn, ministre du Travail et ministre de l’Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec au sujet de l’annonce du règlement sur la prévention de la violence dans le lieu de travail, le 17 juin 2008.

[28]      À partir de ces deux documents, l’intimée a déduit que les dispositions sur l’identification de dangers et la prévention du danger ne suffisent pas à régler la violence au travail, puisque l’approche normale pour gérer les situations de violence au travail, comme l’enquête au sujet du harcèlement, a été jugée inadéquate pour les situations de violence au travail. Elle a soutenu qu’une approche plus poussée était requise et que le Règlement avait été adopté pour cette raison. L’intimée a ajouté qu’une enquête en matière de harcèlement, comme celle effectuée par l’appelante dans ce dossier, peut satisfaire à l’obligation de l’employeur de tenter « avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais », comme l’exige le paragraphe 20.9(2), mais qu’elle n’est pas suffisante pour répondre à une allégation non résolue de violence au travail, comme dans le dossier qui nous occupe.

[29]      Contrairement à la position de l’appelante que les alinéas 20.9(6)a), b) et c) constituent des exemptions distinctes faisant en sorte qu’elle n’est pas tenue de nommer une personne compétente, l’intimée a argué que le mot « et » est une conjonction liant deux éléments de phrase et qu’il s’agit d’un des mots dont le sens est le moins ambigüe de la langue anglaise. L’avocat a affirmé que la théorie de l’appelante serait pertinente si le mot « ou » se trouvait à la place du mot « et » à la fin de l’alinéa 20.9(6)b), puisque cela signifierait qu’une seule des conditions indiquées dans les trois alinéas devrait être satisfaite pour que l’employé soit dispensé de l’obligation de nommer une personne compétente. Dans cette affaire, l’intimée affirmait que la conjonction « et » servait à veiller à ce que les conditions décrites dans les trois alinéas soient satisfaites pour que l’employeur soit dispensé de l’obligation de nommer une personne compétente pour faire enquête au sujet des allégations de violence au travail.

[30]      De plus, l’intimée a mentionné que les conditions de la dispense d’enquête préalables au sujet de la « condition normale de son emploi » et de la « violence dans le lieu de travail [...] attribuable à une personne autre qu’un employé » expliquent pourquoi, selon elle, il s’agit d’une interprétation meilleure et plus juste du paragraphe 20.9(6). L’intimée a affirmé que l’obligation d’enquête par une personne compétente ne vise pas des personnes qui exercent des professions où la violence est une condition normale de l’emploi, comme les personnes travaillant dans les forces de l’ordre et les établissements correctionnels. L’intimée se disait convaincue que, pour ce type de personnes, les enquêtes par des tiers ne sont pas pertinentes, puisque la violence fait partie de leur description de poste. Si l’appelante avait raison, l’intimée était d’avis qu’un employeur pourrait à tout moment affirmer qu’il possède des procédures et mécanismes de contrôle efficaces pour régler la violence au travail.

[31]      Deuxièmement, l’intimée a observé qu’il n’y avait pas d’ambigüité ni de conflit entre les versions anglaise et française du paragraphe 20.9(6). Elle a souligné que cette disposition présente une liste de conditions qui doivent toutes être satisfaites pour que l’employeur soit dispensé de son obligation de nommer une personne compétente. Dans son interprétation du paragraphe 20.9(6), l’intimée a cité le Protocole de rédaction uniforme de la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada, trouvé dans l’outil d’aide à l’interprétation législative Driedger on the Construction of Statutes 3e édition, 1994, dont le paragraphe 23(4) se lit comme suit (NDT : Il s’agit ici d’une traduction de la version anglaise puisque la version française de ce paragraphe est différente et que la question en litige porte sur la version anglaise.) :

[TRADUCTION] « (4) Une série de clauses ou de sous-divisions devrait habituellement être liée par le mot "et" ou le mot "ou" à la fin de l’avant-dernier élément de la série.

N.B. La version française du présent paragraphe est différente.

En rédaction française, le fait qu’une série soit conjonctive ou disjonctive est indiqué par les mots qui l’introduisent et non par les mots équivalents, "et" ou "ou". »

[32]      De plus, l’intimée a affirmé qu’on peut lire à la page 20 du Guide de prévention de la violence dans le lieu de travail publié par le Programme du travail :

« Lorsque l’employeur a connaissance d’un cas de VLT (violence dans le lieu de travail), il doit tenter de régler la situation entre les deux parties. Toutefois, il faut qu’une enquête officielle par une « personne compétente » ait lieu, si l’employeur s’avère incapable de résoudre la situation à la satisfaction des employés concernés.

Mais, l’employeur peut essayer de régler la situation sans l’intervention d’une personne compétente si l’ensemble des trois critères suivants est satisfait :

1.         un non-employé, par exemple un client, est l’instigateur de la VLT;

2.         il est raisonnable de considérer la possibilité d’avoir à intervenir dans une situation de violence comme une condition normale de travail;

3.         l’employeur a mis en place une procédure et des mécanismes de contrôle efficaces, faisant ainsi participer les employés afin de faire face à la violence dans le lieu de travail. » [Le soulignement est présent dans le document.]

[33]      L’intimée a affirmé que cette interprétation est confirmée dans la version française du guide.

[34]      Troisièmement, l’intimée a mentionné que l’employeur avait choisi de gérer l’allégation de violence dans le lieu de travail en suivant sa politique sur le harcèlement plutôt que le Règlement. Pour appuyer sa position, elle a affirmé que la position de l’appelante ne respectait pas celle du Conseil du Trésor dans son document d’avril 2013 au sujet du Règlement qui affirme que :

[TRADUCTION] « Lorsque le comportement répond à la définition de harcèlement, l’employé devrait être invité à suivre le processus qui se trouve dans la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement et la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement.

Si l’employé insiste pour résoudre l’allégation de harcèlement en suivant le règlement sur la prévention de la violence, le gestionnaire doit procéder en suivant le Règlement.

[35]      Dans le même document du Conseil du Trésor, on note ce qui suit : [TRADUCTION] « Aucune disposition de la partie XX n’empêche l’employé d’alléguer que le harcèlement constitue de la violence. »

[36]      L’intimée a ajoutée que, selon le Conseil du Trésor la nomination d’une personne compétente pour faire enquête au sujet des allégations est obligatoire lorsqu’un employé juge que ses allégations de violence ne sont pas réglées. L’intimée a reconnu que l’approche du Conseil du Trésor est généralement conforme à l’intention du Règlement, c’est-à-dire que l’enquête doit être faite par une partie impartiale et avertie, peu importe si l’employeur croit que l’employé est de bonne foi.

[37]      Par conséquent, l’intimée a soutenu que la position de l’appelante au sujet du fait que les allégations de l’employé avaient été présentées de bonne foi peut être pertinente pour éviter une enquête par une personne compétente et ne respecte pas le contexte entourant l’adoption du Règlement, soit qu’une enquête plus poussée qu’une simple enquête en matière de harcèlement est requise en cas d’allégation de violence au travail.

[38]      Finalement, en réponse à l’observation de l’appelante que la recherche de faits, si elle est contestée, devrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire, l’intimée a affirmé que cette allégation n’avait aucun fondement en droit. L’avocat a observé que la recherche de faits constituait tout au plus une étape intermédiaire obligeant l’employeur à tenter de résoudre les dossiers en vertu du paragraphe 20.9(2). Des motifs ont été présentés pour expliquer les raisons pour lesquelles la position de l’employeur ne pouvait être maintenue.

[39]      Plus particulièrement, l’intimée a argué que, si l’enquêteur nommé par l’employeur n’était pas considéré par les deux parties comme une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3), sa décision à la suite de la recherche de faits n’était que provisoire et ne pourrait pas permettre un recours en contrôle judiciaire. De plus, le fait de porter en contrôle judiciaire la recherche de faits constituerait une usurpation du pouvoir statutaire de l’agent de SST d’enquêter sur ces dossiers en vertu des articles 129 et 145 du Code. Enfin, l’intimée a observé que les arguments présentés par l’employeur au sujet de la définition d’une personne compétente ne sont pas pertinents dans le contexte du présent appel. De l’avis de l’intimée, l’appelante n’avait pas nommé une personne compétente, ce qui est au cœur de la question en litige du présent appel et il n’y a jamais eu de litige au sujet des qualifications d’une telle personne.

[40]      L’intimée a demandé le rejet de l’appel.

C)    Réponse de l’appelante

[41]      L’appelante a répliqué que l’employé avait présenté une série de préoccupations à l’employeur qui ont par la suite été appelées des plaintes en matière de violence dans le lieu de travail. Au départ, ces préoccupations étaient qualifiées de harcèlement et portaient sur le favoritisme, l’humiliation et le comportement irrespectueux du superviseur. L’avocat a affirmé que les observations écrites de l’employé au sujet de la rencontre avec le superviseur ne mentionnaient aucunement la violence dans le lieu de travail ni une allégation à cet effet.

[42]      Puisque la violence dans le lieu de travail n’était pas mentionnée, l’appelante a affirmé qu’elle considérait que les préoccupations de l’employé portaient sur le harcèlement; par conséquent, elle a lancé le processus de recherche de faits qui a conclu qu’il n’y avait pas de preuve de harcèlement.

[43]      L’appelante était en désaccord avec les allégations de l’intimée qu’elle avait sciemment ignoré le paragraphe 20.9(3) du Règlement en omettant de nommer une personne compétente pour faire enquête au sujet de ce qu’elle considérait comme des allégations de violence dans le lieu de travail non résolues.

[44]      La position de l’appelante était que l’employé ne s’était jamais plaint de violence dans le lieu de travail, puisqu’il n’y avait pas eu de danger imminent ni de situation pouvant causer une blessure ou une maladie. Elle a observé qu’il ne suffit pas qu’un employé allègue de la violence dans le lieu de travail pour que l’employeur soit obligé de nommer une personne compétente pour qu’elle fasse enquête.

[45]      L’appelante a soutenu que, même si la politique de l’ACIA sur la prévention de la violence en milieu de travail n’était pas encore en vigueur au moment où l’employé a déposé la plainte, la politique mentionne un processus de vérification pour traiter les plaintes en matière de harcèlement ou de violence dans le lieu de travail. Elle précise ce qui suit :

[TRADUCTION] Bien qu’il existe des similitudes entre les deux définitions [celle de la violence en milieu de travail et celle de harcèlement], le processus pertinent pour traiter une plainte est choisi par l’employeur pendant le processus de vérification.

Les plaintes qui, selon le processus de vérification, portent sur le harcèlement ou constituent du harcèlement sont régies par la Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement et de la violence en milieu de travail et sont traitées en conséquence.

[46]      L’appelante était d’avis que l’approche décrite dans la politique de l’ACIA respectait celle du Conseil du Trésor. Elle a argué que le Règlement devait être lu à la lumière de la directive sur le processus de plainte en matière de harcèlement, qui définit le harcèlement comme suit :
comportement inopportun et offensant, d’un individu envers un autre individu en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.-à-d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée).

Le harcèlement est normalement défini comme une série d’incidents mais peut être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur l’individu.

[47]      L’appelante était d’avis que la question qui doit être réglée dans le présent appel est celle de savoir si un agent ou une agente de SST peut décider si une personne compétente doit être nommée lorsque le Règlement est suivi et que la plainte est considérée comme une plainte en matière de violence dans le lieu de travail. L’avocat a observé que l’employeur devrait pouvoir procéder à une vérification initiale de la plainte d’un employé pour décider si elle porte sur des incidents de violence dans le lieu de travail ou s’il est plus pertinent de traiter la question aux termes d’une politique ou d’un mécanisme de recours plus pertinent, comme la Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement et de la violence en milieu de travail.

[48]      En fin de compte, l’appelante a soutenu que la question en litige pour l’employé portait sur la façon dont les congés étaient gérés et dont un test avait été corrigé. L’avocat a affirmé que la convention collective et la politique sur les recours du personnel de l’ACIA décrivaient d’autres mécanismes qui auraient été plus pertinents pour gérer ces problèmes au lieu de tenter de les classer comme de la violence dans le lieu de travail.

Analyse

[49]      Comme je l’ai déjà mentionné, la question à régler dans cette affaire est celle de savoir si l’agente de SST Penner avait eu raison de donner une instruction à l’employeur pour avoir contrevenu à l’alinéa 125(1)z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement parce que l’employeur n’avait pas nommé une personne compétente pour faire enquête au sujet de la plainte de l’employé.

[50]      L’alinéa 125(1)z.16) du Code se lit comme suit :

125(1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,

[…]

z.16) de prendre les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail;

[51]      L’article 20.9 du Règlement décrit le processus que doit suivre l’employeur lorsqu’il est informé de violence dans le lieu de travail, réelle ou alléguée :

20.9 (1) Au présent article, « personne compétente » s’entend de toute personne qui, à la fois :

(a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;

(b) a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;

(c) connaît les textes législatifs applicables.

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais.

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.

(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.

(5) Sur réception du rapport d’enquête, l’employeur :

a) conserve un dossier de celui-ci;

b) transmet le dossier au comité local ou au représentant, pourvu que les renseignements y figurant ne fassent pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni ne soient susceptibles de révéler l’identité de personnes sans leur consentement;

c) met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète.

(6) Les paragraphes (3) à (5) ne s’appliquent pas dans les cas suivants :

a) la violence dans le lieu de travail est attribuable à une personne autre qu’un employé;

b) il est raisonnable de considérer que, pour la victime, le fait de prendre part à la situation de violence dans le lieu de travail est une condition normale de son emploi;

c) l’employeur a mis en place une procédure et des mécanismes de contrôle efficaces et sollicité le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail.

[52]      La lecture des paragraphes 20.9(2) et (3) du Règlement permet de voir que, pour que l’employeur soit obligé de nommer une personne compétente pour faire enquête au sujet de la violence dans le lieu de travail, réelle ou alléguée, l’employeur doit d’abord en avoir été informé. Ensuite, il doit avoir tenté de résoudre la question avec l’employé. Si cette tentative est infructueuse, il doit nommer une personne compétente pour qu’elle fasse enquête, à moins d’être dispensé de le faire en vertu du paragraphe 20.9(6) du Règlement.

[53]           Donc, l’obligation de nommer une personne compétente est d’abord activée par le fait d’être mis au courant de la violence dans le lieu de travail, réelle ou alléguée, et ensuite par la tentative infructueuse de l’employeur de résoudre la situation. Pour prendre ma décision au sujet du présent appel, je dois donc répondre aux questions suivantes :

1)      L’employeur a-t-il été informé de violence au travail, réelle ou alléguée?

2)      Si oui, l’employeur a-t-il tenté de résoudre la question?

 

1)      L’employeur a-t-il été informé de la violence au travail, réelle ou alléguée?

[54]      L’appelante alléguait que la plainte écrite de l’employé résumant les événements survenus au cours de la réunion avec son superviseur ne contenait aucune mention de violence dans le lieu de travail, réelle ou alléguée, et que l’employeur considérait que les préoccupations de l’employé portaient sur le harcèlement. L’employeur affirmait également que la plainte de l’employé permettait de constater qu’il n’y avait pas eu de violence puisqu’il n’y avait pas de danger imminent ni de situation pouvant causer une blessure ou une maladie à l’employé.

[55]      Par conséquent, l’employeur était d’avis qu’on ne l’avait pas informé d’une allégation de violence dans le lieu de travail puisqu’il considérait que les préoccupations de l’employé constituaient des allégations de harcèlement. L’employeur était en désaccord avec l’affirmation de l’employé que le conflit constituait de la violence dans le lieu de travail.

[56]           Je devais donc établir si l’employeur avait raison de considérer que l’allégation de l’employé ne portait pas sur la violence dans le lieu de travail et qu’une enquête par une personne compétente n’était pas nécessaire. Pour étudier cette question, il faut consulter la définition de violence dans le lieu de travail qui se trouve à l’article 20.2 du Règlement :

20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.

[57]      Compte tenu de cette définition, pour que l’employeur soit tenu dans l’affaire qui nous occupe de nommer une personne compétente, il doit avoir été informé par la plainte de l’employé de « tout agissement, comportement, menace ou geste » pouvant vraisemblablement « causer un dommage, un préjudice ou une maladie » à cet employé.

[58]      Comme je l’ai déjà mentionné, le fondement de la plainte de l’employé contre le superviseur était résumé dans la plainte écrite datée du 2 décembre 2011 que l’employé avait présentée au superviseur et qui mentionne des problèmes de mauvaise communication, de favoritisme, d’humiliation et de traitement injuste de la part du superviseur au sujet d’un congé, de la conduite humiliante et impolie du superviseur comprenant des gestes dédaigneux de la main, des roulements des yeux et des paroles méprisantes et du classement au hasard d’un examen aux termes du programme de rejet de la volaille.

[59]      En lisant la plainte écrite, j’ai noté comme l’appelante que l’employé ne décrit pas les allégations comme de la violence dans le lieu de travail. Toutefois, cela ne signifie pas automatiquement que la conduite et les gestes allégués du superviseur ne constituent pas de la violence dans le lieu de travail au sens du Règlement. J’ai aussi noté que la plupart des préoccupations de l’employé portent sur la façon dont ses demandes de congé ont été traitées et dont un test a été noté.

[60]      En appliquant la définition de la violence dans le lieu de travail donnée dans le Règlement aux faits de la présente affaire, j’en suis venu à la conclusion que les allégations de favoritisme, d’humiliation et de comportement impoli formulées par l’employé, comme [TRADUCTION] « des gestes de la main, le roulement des yeux ou des paroles méprisantes » de la part du superviseur à l’endroit de l’employé répondent au premier élément de la définition donnée à l’article 20.2, puisqu’il s’agit d’agissements, de comportement et de gestes. Toutefois, à mon avis, on ne peut vraisemblablement s’attendre à ce que des allégations de cette nature puissent causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé.

[61]           De plus, je suis d’avis que l’intention n’est pas que la définition de violence dans le lieu de travail s’applique à des situations comme celle qui nous occupe, dans laquelle les allégations de l’employé, si elles sont considérées comme véridiques, portent plutôt sur le fait qu’il a senti que le superviseur l’humiliait et lui manquait de respect. La définition vise plutôt des situations où l’employé a peur de subir un préjudice, d’être blessé ou de devenir malade en raison de la conduite d’une autre personne dans le lieu de travail.

[62]           Par conséquent, j’estime que les allégations de l’employé, dans l’hypothèse où elles s’avéraient, ne répondent pas à la définition de violence dans le lieu de travail donnée au paragraphe 20.9(3) du Règlement. Puisque la situation ne constitue pas de la violence dans le lieu de travail, je conclus que l’employeur n’avait pas été informé d’une allégation de violence dans le lieu de travail au sens du Règlement. Je juge donc que l’employeur n’était pas obligé de nommer une personne compétente pour qu’elle fasse enquête au sujet des allégations de l’employé.

[63]           L’agente de SST Penner et l’intimé semblent s’entendre pour affirmer que, si l’employé affirme que sa plainte porte sur la violence dans le lieu de travail, ce que l’employé a fait par la suite, et qu’il fait valoir la partie XX du Règlement, l’obligation de nommer une personne compétente s’applique. Selon l’interprétation du Règlement adoptée par l’intimée, la nomination d’une personne compétente pour faire enquête au sujet d’une plainte est obligatoire lorsque l’employé considère que sa plainte porte sur la violence dans le lieu de travail, peu importe l’opinion de l’employeur au sujet des allégations de bonne foi de l’employé.

[64]           Selon une interprétation raisonnable du Règlement, je suis d’avis que, lorsqu’il reçoit une allégation de violence dans le lieu de travail d’un employé comme dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur a le droit d’examiner l’allégation pour savoir si elle répond à la définition de violence dans le lieu de travail au sens du Règlement, auquel cas le processus présenté à la partie XX du Règlement doit être suivi.

[65]           Au contraire, si les allégations de l’employé ne portent pas sur une situation de violence dans le lieu de travail ou n’en constituent pas, la partie XX du Règlement ne s’applique pas. Dans ce cas, l’employeur peut choisir de traiter la question en suivant d’autres mécanismes ou politiques plus pertinents pour cette situation. Dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur a choisi d’appliquer sa Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement et de la violence en milieu de travail et le directeur régional a procédé à l’examen initial de la plainte.

[66]           De plus, je suis d’accord avec l’argument de l’appelante que, si l’employeur ne peut pas entreprendre un examen initial de la plainte pour savoir si la partie XX s’applique, cela mènerait à la nomination obligatoire d’une personne compétente pour faire enquête au sujet de plaintes qui ne répondent de toute évidence pas à la définition de violence dans le lieu de travail au sens du Règlement. À mon avis, l’intention législative ne pouvait être d’obliger les employeurs à nommer une personne compétente pour faire enquête au sujet de chacune des plaintes dès que l’employé dit qu’il s’agit de violence dans le lieu de travail ou encore soulève la partie XX du Règlement.

[67]           Compte tenu de ma conclusion au sujet de la première question, je n’ai pas besoin de répondre à la seconde.

La dispense mentionnée au paragraphe 20.9(6) du Règlement

[68]           Enfin, la majorité des observations des parties portaient sur l’exemption de l’exigence de nommer une personne compétente pour faire enquête en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement. Bien que l’appelante affirmait dans sa réponse aux observations que la situation constituait du harcèlement et non de la violence dans le lieu de travail et donc que la partie XX du Règlement ne s’appliquait pas, l’avocat a aussi affirmé dans ses observations antérieures que l’employeur était dispensé de l’obligation de nommer une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(6). Compte tenu de ma conclusion que la partie XX du Règlement ne s’appliquait pas dans les circonstances, je n’ai pas besoin d’aborder l’argument de l’exemption.

[69]      Je crois que la résolution de cette affaire porte uniquement sur l’application de la définition de violence dans le lieu de travail au sens de l’alinéa 20.2. La seule question que je me suis posée est celle de savoir si les agissements, le comportement ou les gestes du superviseur répondaient à la définition de violence dans le lieu de travail présentée dans le Règlement. J’ai conclu que ce n’était pas le cas, puisque les gestes et les faits allégués ne pouvaient vraisemblablement pas causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé. De plus, j’ai trouvé que rien n’empêchait l’employeur d’appliquer sa politique en matière de harcèlement pour répondre aux allégations de l’employé.

[70]      Compte tenu de tout ce qui précède, je juge que l’employeur n’avait pas l’obligation de nommer une personne compétente et que l’agente de SST Penner a erré en donnant à l’employeur une instruction pour avoir contrevenu à l’alinéa 125(1)z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement.

Décision

[71]      Pour ces motifs, j’annule l’instruction donnée par l’agente de SST Penner le 6 septembre 2012.

 

Michael Wiwchar

Agent d’appel

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