2014 TSSTC 3
Référence : VIA Rail Canada Inc. c. Cecile Mulhern et Unifor, 2014 TSSTC 3
Date : 2014-04-14
Dossier : 2012-51 et 72
Rendue à : Ottawa
Entre :
VIA Rail Canada Inc., appelante
et
Cecile Mulhern et Unifor, intimés
Affaire : Appels interjetés à l’encontre de trois instructions d’agents de santé et de sécurité en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail.
Décision : Les deux instructions du dossier 2012-51 sont annulées; l’appel visant le dossier 2012-72 est rejeté par manque de compétence.
Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour la demanderesse : M. Jacques Rousse, avocat, McCarthy Tétrault
Pour l’intimée : M. Jim Woods, représentant national, Unifor
[1] La présente décision concerne deux appels déposés par VIA Rail Canada Inc. (VIA Rail ou l’employeur) en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’encontre d’instructions émises par deux agents de santé et de sécurité (les agents de SST) auprès du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC). Le premier appel (dossier TSSTC 2012-51) porte sur deux instructions émises le 29 juin 2012 par l’agent de SST William (Bill) D. Gallant au terme de son enquête sur le refus de travailler exercé par Mme Cecile Mulhern, employée de VIA Rail, le 14 juin 2012. La première instruction se lit comme suit :
DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)a)
Le 14 juin 2012, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête à la suite du refus de travailler de Cecile Mulhern au lieu de travail exploité par Via Rail Canada Inc., employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1161, rue Hollis, Halifax (Nouvelle-Écosse) G3H 2P6, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de VIA Rail, Halifax.
Ledit agent de santé et de sécurité estime qu’une situation existant dans un lieu de travail constitue un danger pour un employé au travail :
L’exposition au harcèlement continuel sur les trains qui desservent la gare de VIA RAIL Canada à Halifax constitue un danger pour Mme Mulhern.
Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de protéger immédiatement toute personne contre le danger.
Fait à Darthmouth, ce 29e jour de juin 2012.
(signé)
William (Bill) D. Gallant
Agent de santé et de sécurité
Certificat :
À : VIA Rail Canada Inc.
1161, rue Hollis
Halifax (Nouvelle-Écosse)
B3H 2P6
[2] La deuxième instruction, émise par M. Gallant le même jour, se lit comme suit :
DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)
Le 14 juin 2012, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête au lieu de travail exploité par Via Rail Canada Inc., employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1161, rue Hollis, Halifax (Nouvelle-Écosse) G3H 2P6, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de VIA Rail, Halifax.
Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante du Code canadien du travail, partie II, a été enfreinte :
No. /N° : 1
Alinéa 125(1)z.16) de la partie II du Code canadien du travail et alinéa 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail
Via Rail Canada n’a pas nommé une personne compétente pour faire enquête au sujet de la situation de violence dans le lieu de travail non réglée à bord des trains pendant leur préparation pour les services aux passagers à la gare de Via Rail à Halifax (Nouvelle-Écosse).
Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code canadien du travail, partie II, de mettre fin à cette contravention au plus tard le 14 juillet 2012.
De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre, au plus tard dans le délai imparti par l’agent de santé et de sécurité, les mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.
Fait à Darthmouth, ce 29e jour de juin 2012.
(signé)
William (Bill) D. Gallant
Agent de santé et de sécurité
Certificat :
À : VIA Rail Canada Inc.
1161, rue Hollis
Halifax (Nouvelle-Écosse)
B3H 2P6
[3] Le second appel (dossier TSSTC 2012-72) découle des mêmes circonstances et porte sur ce que l’employeur considérait comme une série d’instructions émises par l’agent de SST Matthew D. Tingley le 2 octobre 2012 au terme de son enquête sur le refus de travailler exercé par Mme Mulhern le 12 septembre 2012. Dans un échange de courriels avec le registraire du tribunal, l’agent de SST Tingley a indiqué qu’il n’avait pas émis d’autre instruction à l’intention de l’employeur après sa visite du lieu de travail, mais plutôt qu’il répondait à une requête de l’employeur lui demandant de visiter le lieu de travail, pendant laquelle il a conseillé les parties [TRADUCTION] « sans prendre de mesure d’application ». La partie pertinente du rapport d’enquête de l’agent de SST Tingley, que l’employeur considère comme des instructions, se lit comme suit, aux pages 4 et 5 :
[TRADUCTION] (…)
II. Intervention de l’agent de santé et de sécurité
J’ai visité le lieu de travail et rencontré d’abord Mme Mulhern et la
représentante de son syndicat, Mme Carolyn Ayoub, parce que Mmes Sheila Duffy et Sandy Haché-Lawlor étaient en conférence téléphonique. Lorsque Mmes Duffy et Haché-Lawlor se sont libérées, je les ai rencontrées pour obtenir une description des circonstances de leur point de vue.
Par la suite, j’ai rencontré Mmes Cecile Mulhern, Carolyn Ayoub, Sheila Duffy et Sandy Haché-Lawlor. Je leur ai mentionné que, bien que la situation qui nous occupait ce jour-là était liée au refus antérieur, il s’agissait d’un nouveau refus et il fallait donc mener une enquête conformément à l’article 128 du Code canadien du travail. J’ai dit aux parties qu’il semblait que tout le monde était un peu confus au sujet de la façon dont l’enquête du 1er août aurait dû se dérouler.
J’ai mentionné aux parties ce qui suit :
Puisque l’employeur n’a pas ordonné à Mme Mulhern de participer à l’enquête malgré ses objections et ne l’a pas avertie qu’elle risquait des mesures disciplinaires si elle continuait de refuser d’y participer, on ne peut considérer qu’elle était peu coopérative. Les notes d’enquête de M. Cyr appuyaient cette affirmation.
L’enquête doit être menée conformément à l’instruction de l’agent de santé et de sécurité Gallant.
Lorsque l’enquête est lancée, toutes les parties doivent y collaborer, comme le mentionnent de nombreuses dispositions du Code canadien du travail.
L’enquête est nécessaire peu importe les réductions de la main-d’œuvre en cours, puisque la plainte alléguait un comportement sur le lieu de travail pouvant avoir une incidence sur un autre travailleur.
L’enquête devrait avoir lieu alors que les parties travaillent toujours pour l’employeur, afin d’éviter d’engager des coûts supplémentaires pour obtenir le témoignage après la fin de l’emploi.
Fait à Darthmouth, ce 2e jour d’octobre 2012.
(signé)
Mathew D Tingley
Agent de santé et de sécurité No.
126 Cromarty Drive
P.O. Box 1350
Dartmouth (Nouvelle-Écosse) B2Y 4B9
(…)
[4] La question de savoir si les extraits du rapport de l’agent de SST Tingley présentés précédemment doivent être considérés comme une instruction a une incidence sur ma compétence pour le second appel, puisque l’article 146 du Code prévoit que l’agent d’appel ne peut être saisi que d’un appel visant une « instruction » émise par un agent de santé et de sécurité en vertu des paragraphes 145(1) ou (2) du Code. J’ai soulevé cette question pendant une conférence téléphonique avant l’audience avec les représentants des parties. Bien que j’aie décidé d’entendre la preuve au sujet des circonstances ayant mené à l’intervention de l’agent de SST Tingley et à son rapport, j’ai demandé aux représentants des parties de présenter des observations à ce sujet, ce qu’ils ont fait.
[5] Pour faire suite à une conférence téléphonique avant l’audience, j’ai informé les parties que les deux appels seraient rassemblés pour l’audience, puisqu’il semblait que certains aspects de la preuve étaient les mêmes pour les deux appels et qu’il fallait comprendre les circonstances qui ont donné lieu au premier appel pour mieux comprendre le contexte du second appel. L’audience visant les appels a eu lieu du 21 au 24 octobre 2014 à Halifax (Nouvelle-Écosse).
[6] Je donnerai un aperçu de la preuve présentée à l’audience et des observations des parties visant les deux appels et je parlerai successivement de chaque appel dans mes motifs.
Les faits
Contexte
[7] Avant de décrire les circonstances immédiates qui ont mené au refus de travailler de Mme Mulhern le 14 juin 2012, il est bon de revoir la rétrospective de l’emploi de Mme Mulhern auprès de VIA Rail qui a été présentée à l’audience. La chronologie des événements présentée ci-après, dont certains peuvent sembler n’avoir aucun lien avec les instructions et les appels, offre une certaine perspective permettant de comprendre les événements qui ont poussé Mme Mulhern à exercer à deux reprises son droit de refuser de travailler en vertu du Code.
[8] Mme Mulhern a commencé à travailler pour VIA Rail le 2 novembre 1998. En 2008, elle a accepté le poste de préposée aux services (employé en disponibilité) dans les wagons de VIA Rail. Ce poste exige que les employés préparent le train pour son départ de la gare, ce qui comprend normalement faire les lits, préparer les chambres, stocker les fournitures et préparer les voitures de classe économie en veillant à ce que les magazines Destination et les dépliants sur les mesures d’urgence se trouvent dans les pochettes derrière chaque siège. Mme Mulhern est une employée syndiquée, représentée par le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (maintenant appelé Unifor) (le syndicat), et elle est assujettie à une convention collective.
[9] Depuis octobre 2008, le travail de Mme Mulhern est assujetti à une entente d’adaptation, approuvée par la Commission canadienne des droits de la personne à titre de résolution d’une plainte que Mme Mulhern avait déposée en 2006. La plainte portait sur le fait que Mme Mulhern avait besoin d’une entente d’adaptation de l’employeur en raison de son incapacité (limitation physique) causée par une blessure subie sur son lieu de travail en 2001. Mme Mulhern est en mesure de s’acquitter de la majorité des tâches de son travail, mais elle ne peut faire les lits dans les voitures-lits ni travailler sur un train en mouvement. L’entente d’adaptation de Mme Mulhern prévoyait quatre heures de travail par jour pour la préparation des trains et deux heures de travail par jour dans le bureau de VIA Rail à exécuter des tâches de bureau après le départ du train.
[10] La preuve présentée à l’audience indiquait que, au fil des ans, les collègues de travail de Mme Mulhern se sont parfois dits préoccupés ou mécontents de l’incidence de l’entente d’adaptation de Mme Mulhern sur leur propre charge de travail. Les tâches qu’elle était incapable d’effectuer en raison de sa blessure, particulièrement les lits, devaient être effectuées plus souvent qu’à la normale par ses collègues de travail. Mme Mulhern avait mentionné certains incidents à la direction de VIA Rail au moment où ils sont survenus. Tous les incidents rapportés à VIA Rail étaient liés à la perception négative qu’avait Mme Mulhern des commentaires des employés au sujet de la charge de travail supplémentaire qu’ils devaient assumer (conformément aux dispositions de regroupement du travail aux termes de l’entente d’adaptation) lorsqu’ils devaient travailler avec elle.
[11] Le premier incident a été signalé à la direction en janvier 2009, peu après le retour de Mme Mulhern après la conclusion de son entente d’adaptation. Dans une lettre manuscrite à l’intention de M. Jose Pastor, conseiller en relations de travail, Mme Mulhern a informé la direction de VIA Rail que, le 10 janvier 2009, ses collègues de travail, M. Pascal Poirier et Mme Jessica LeBlanc avaient entamé une conversation avec Mme Mulhern et un autre employé. Pendant cette conversation, M. Poirier avait dit à Mme Mulhern que, puisqu’elle ne faisait pas les lits, elle ne pouvait pas être considérée comme une préposée. M. Poirier avait également affirmé que Mme Mulhern n’effectuait que les tâches déjà assignées aux porteurs, une autre catégorie d’employés de VIA Rail. Mme Mulhern a affirmé qu’elle avait perdu son calme en entendant les commentaires de M. Poirier, avec lesquels Mme LeBlanc était d’accord. Elle a affirmé qu’elle avait bien mal réagi. Mme Mulhern considérait que ces commentaires étaient [TRADUCTION] « cruels et inutiles ». M. Poirier ne se souvenait pas de l’incident, mais il n’a pas nié le fait qu’il avait fait un tel commentaire à une réunion syndicale.
[12] En réponse à cet incident, VIA Rail a tenu une conférence téléphonique avec des représentants du syndicat le 16 janvier 2009 afin de discuter de la situation. L’employeur et le syndicat ont convenu de mettre sur pied un processus permettant aux employés assignés à travailler avec Mme Mulhern d’aviser le superviseur s’ils considèrent que leur charge de travail a augmenté en raison d’une exigence d’exploitation imprévue. Le superviseur prendrait alors les mesures nécessaires pour obtenir l’aide des préposés qui quittent le train afin de préparer les voitures-lits. L’employeur a tenu par la suite deux autres conférences téléphoniques le 23 janvier et le 3 février 2009 et on a conclu que Mme Mulhern et ses collègues de travail n’avaient présenté aucune autre plainte.
[13] Mme Mulhern n’a signalé aucun autre incident en 2009. En février 2010, elle s’est plainte des commentaires de Mme Sandy Pelzmann. Elle alléguait que Mme Pelzmann avait dit que Mme Mulhern ne devrait pas être qualifiée comme préposée puisqu’elle ne faisait pas les lits. Elle aurait également dit à Mme Mulhern [TRADUCTION] « nous essayons de nous débarrasser » d’elle depuis des années et Mme Mulhern a compris qu’elle parlait d’elle-même et des autres employés. Mme Mulhern a signalé cet incident à Mme Sheila Duffy. Mme Duffy, qui a témoigné à l’audience, est chef principale, Expérience-client chez VIA Rail et était superviseure de Mme Mulhern au moment des événements. On a rencontré Mme Pelzmann et le problème a été réglé. Mme Mulhern a dit dans son témoignage que Mme Pelzmann s’était montrée agressive, avait arraché les draps des mains de Mme Mulhern, montrait son mécontentement lorsqu’elle devait travailler avec elle et ne lui avait pas parlé directement pendant des mois. Mme Duffy a mentionné dans son témoignage qu’elle avait entendu parler pour la première fois de la dernière partie de la plainte en juin 2012, lorsque Mme Mulhern avait refusé de travailler. Mme Pelzman se souvenait avoir fait un commentaire au sujet de sa charge de travail supplémentaire en raison de l’adaptation de Mme Mulhern, mais elle a nié avoir dit qu’ils tentaient de se débarrasser d’elle et avoir eu un comportement agressif. Son commentaire n’était pas fait directement à Mme Mulhern, mais à l’employeur.
[14] Un autre événement semblable a été signalé environ neuf mois plus tard, en novembre 2010, et impliquait M. François Dufour, qui s’était plaint de tous les lits qu’il devait faire. Mme Mulhern considérait que le commentaire la visait. Elle l’a mentionné à un superviseur, qui a rencontré M. Dufour. Le lendemain, M. Dufour s’est excusé à Mme Mulhern, a dit qu’il n’avait pas eu l’intention de la blesser et qu’il disait simplement qu’il y avait beaucoup de travail à faire ce jour-là. Un autre incident a été porté à l’attention de la direction en décembre 2010. Il portait sur les commentaires de MM. Sam Thériault et Daniel Grenon relativement à leur charge de travail et au nombre de préposés qui travaillaient ce jour-là, en présence de Mme Mulhern. Encore une fois, Mme Mulhern considérait que le commentaire la visait. Les employés en question ont été rencontrés et ils n’ont pas récidivé.
[15] Le 22 décembre 2010, VIA Rail a envoyé un bulletin rappelant à tous les employés que les commentaires ou les préoccupations au sujet de la capacité d’un employé, ou de son incapacité à effectuer certaines tâches, ne doivent jamais être présentés à l’employé, mais plutôt au superviseur ou au représentant syndical. Mme Mulhern a participé à la rédaction du bulletin et elle s’est dite satisfaite de son contenu.
[16] Une rencontre s’est également tenue le 26 janvier 2011 à laquelle ont assisté Mme Mulhern, M. Walsh, représentant syndical, et Mme Duffy afin de régler [TRADUCTION] « certaines préoccupations de Cecile au sujet de son adaptation et des interactions entre les employés à ce sujet ». Les points abordés à la rencontre ont été résumés dans une note au dossier (pièce A-12), suivis par une lettre datée du 28 février 2011 à l’intention de Mme Mulhern (pièce A-13). La lettre se lit en partie comme suit :
[TRADUCTION] Toutes les parties se sont rencontrées le 26 janvier. Voici ce qui s’y est passé :
- nous avons parlé de vos préoccupations au sujet des commentaires que vous jugez négatifs et que vos collègues de travail continuent d’exprimer au sujet de l’adaptation;
- nous avons mentionné que, depuis votre entente d’adaptation de décembre 2008, la Société a rencontré des employés avec lesquels vous avez eu des interactions que vous avez jugées négatives; vous avez confirmé que vous n’aviez pas eu d’autres interactions avec ces employés après que la Société les a rencontrés;
- nous avons parlé des normes de comportement de VIA et de la façon dont l’application de ces normes favorisera un environnement de travail plus professionnel et respectueux;
- nous avons parlé de votre éthique de travail et du fait que ni la Société ni vos collègues de travail ne sont préoccupés par l’acquittement de vos tâches et du fait que vous êtes une employée précieuse et productive;
- vous avez confirmé que vous n’aviez pas de plainte à présenter à la Société ou au syndicat au sujet des mesures que ces parties ont prises à ce jour (soit depuis l’entente d’adaptation de décembre 2008) pour s’occuper de vos préoccupations.
Nous avons également parlé de ce qui suit :
- vous n’avez pas demandé l’aide du programme d’aide aux employés pendant les derniers mois pour vous aider à gérer les interactions avec vos collègues de travail;
- vous avez affirmé que le programme d’aide aux employés vous a toujours aidé par le passé et que vous envisageriez d’y avoir recours de nouveau.
Plan d’action :
- Vous demandez que tous les employés aient accès à de l’information au sujet de l’adaptation (par exemple dans le manuel de formation de TCA-Canada, « Comprendre l’obligation d’adaptation »). Sheila Duffy et Lou Walsh ont convenu de collaborer avec vous pour que cette information soit transmise aux employés.
- Vous avez demandé à ce que les employés puissent emprunter des publications (par exemple, des livres d’auto-assistance au sujet du stress, du divorce, des finances, etc.). Sheila Duffy a accepté d’évaluer cette requête.
- Sheila Duffy vous a suggéré de rencontrer le représentant du syndicat au sein du comité de santé et de sécurité afin de voir de quelle façon le comité pourrait vous aider en faisant connaître les adaptations dans le lieu de travail.
[Soulignement ajouté]
[17] Bien que Mme Mulhern eut mentionné au cours de la rencontre du 26 janvier 2011 avec M. Walsh et Mme Duffy qu’elle n’avait pas eu d’autres interactions négatives avec ces collègues après les rencontres individuelles de la direction avec ces personnes, Mme Mulhern a affirmé dans son témoignage qu’elle n’était jamais certaine du moment où un autre commentaire négatif serait exprimé, ce qui était très stressant pour elle.
[18] En février 2011, Mme Mulhern a réagi de façon agressive à un commentaire d’un de ses collègues de travail, M. Zachary Wells, au sujet de sa charge de travail et du fait que Mme Mulhern ne pouvait faire les lits. Dans son rapport à la direction rédigé le 20 février 2011, Mme Mulhern a affirmé ce qui suit : [TRADUCTION] « J’avais très mal quand je suis venue travailler aujourd’hui et j’ai vraiment perdu mon calme. Il a essayé de me dire que je m’emportais pour rien et qu’il n’était pas au courant parce qu’il n’avait pas été là depuis Noël. J’étais tellement en colère que je suis sortie du train et venue dans le bureau parce que j’en tremblais de frustration, que ma vision s’est embrouillée et que j’ai eu des picotements sur la langue. Je pleurais beaucoup. » Mme Duffy a rencontré Mme Mulhern et l’autre employé impliqué et le problème a été réglé. En fait, c’est Mme Mulhern qui s’est excusée à M. Wells parce qu’elle avait mal réagi dans les circonstances. Mme Duffy a enjoint Mme Mulhern à demander l’aide de ses amis et de sa famille et à consulter le programme d’aide aux employés.
[19] La preuve présentée à l’audience a également indiqué qu’il était courant que les employés discutent entre eux de leurs préoccupations au sujet de la charge de travail et des pratiques de travail de l’employeur. La question du nombre adéquat de préposés de garde, particulièrement lorsqu’un employé s’acquitte de tâches aux termes d’une adaptation, comme Mme Mulhern, a été mentionnée au cours de discussions dans une réunion du syndicat.
Le refus de travailler du 14 juin 2012
[20] Le 13 juin 2012, environ 16 mois après le dernier incident signalé, Mme Mulhern a rencontré Mme Duffy et M. Karl Dias, gestionnaire, Expérience-client, dans le but de signaler une situation dans laquelle une de ses collègues, Mme Natasha Boudreau, lui aurait demandé [TRADUCTION] « pourquoi il n’y avait que deux préposés ce jour-là alors qu’il y en avait trois la semaine précédente ». Mme Mulhern a informé Mme Boudreau qu’il s’agissait d’une question délicate et qu’elle devait parler à la direction s’il y avait un problème. Mme Mulhern était mécontente en raison de la question de Mme Boudreau et voulait savoir ce que VIA Rail allait faire pour régler le problème immédiatement. Mme Duffy a mentionné les mesures que VIA Rail avait prises et continuerait de prendre, comme des ateliers sur le professionnalisme, des discussions sur la sécurité, les politiques commerciales, etc. Mme Mulhern a mentionné à l’audience qu’elle avait l’impression qu’elle allait avoir une crise cardiaque si elle travaillait. Elle n’avait pas l’impression qu’on s’occupait de ses préoccupations. Mme Duffy a pris la décision d’accorder une période de repos à Mme Mulhern et lui a permis de rentrer chez elle.
[21] M. Dias a rencontré Mme Boudreau, qui a confirmé qu’elle avait posé cette question à Mme Mulhern. Mme Boudreau a dit qu’elle avait simplement posé la question pour savoir pourquoi il y avait trois employés la semaine précédente et seulement deux ce jour-là. M. Dias l’a informée qu’une voiture avait été transférée la semaine précédente et que des tâches supplémentaires avaient été ajoutées, ce qui justifiait un employé supplémentaire. Ce n’était pas le cas le 13 juin. Mme Mulhern avait donné la même explication à Mme Boudreau. La direction de VIA Rail évalue le nombre de préposés aux services nécessaires pour un jour donné en fonction du nombre de passagers, de voitures-lits, de transferts de voitures et d’autres facteurs semblables. Ce nombre varie donc souvent.
[22] Le 14 juin 2012, lorsqu’elle est revenue au travail, Mme Mulhern a informé Mme Duffy qu’elle exerçait son droit de refuser de travailler parce qu’elle ne se sentait pas en sécurité au travail. Elle a remis un rapport d’incident et une note manuscrite datée du 13 juin 2012. Je reproduis ici la note en entier.
[TRADUCTION] Vers 9 h 45, Natasha Boudreau s’est approchée de moi et m’a demandé pourquoi il n’y avait que deux préposés alors qu’il y en avait trois la semaine dernière. J’ai répondu qu’il y avait d’autres travaux à faire dans la flotte de voitures la semaine dernière et que, la prochaine fois qu’elle avait de telles questions à poser, elle devait les présenter au bureau ou à la direction, puisque c’était un sujet très délicat pour moi.
J’ai continué de travailler et ma frustration et mon humeur ont changé, alors je suis allée parler à M. Dias et à Mme Duffy. Après cette discussion, ma frustration a empiré et j’ai dû aller voir Heather Grant dans l’immeuble du syndicat.
De nombreux commentaires constituant du harcèlement ont été exprimés à mon endroit depuis des années. Les dates et heures ont été notées et transmises au syndicat et à la direction. Voici certains de ces commentaires :
1. Tu ne devrais pas être préposée parce que tu ne fais pas les lits.
2. Tu ne devrais pas être considérée comme une préposée parce que tu ne fais pas les lits.
3. Tu devrais être appelée autre chose qu’une préposée.
4. On m’a dit qu’une personne était trop vieille pour travailler seule avec moi parce qu’elle devait faire tous les lits.
5. Commentaires d’un autre collègue de travail au sujet de ceux qui travaillent dans le bureau : « On se croirait à l’hôpital. Ça doit être comme ça qu’on obtient un emploi du bureau. »
6. Que « tu es paresseuse et nous essayons de nous débarrasser de toi depuis des années ».
7. Tu as un emploi douillet, et d’autres encore.
Certaines personnes ont été averties plus d’une fois et ces comportements se poursuivent.
La direction m’a dit de venir leur parler et leur signaler ma frustration, je le fais, et les personnes reviennent plus tard pour une deuxième ronde et rien ne leur arrive!
Chaque fois que le problème revient, ça me prend toute mon énergie, et ça affecte aussi ma vie à la maison.
Chaque jour, je dois gérer la douleur. J’ai des maux de tête lorsqu’il pleut. Ma hanche est toujours raide jusqu’à ce que je me réchauffe, je peux m’asseoir pendant au plus une heure. Ma tête élance tout le temps. La douleur a aussi une incidence sur mon sommeil. Ma jambe est glacée lorsqu’il y a du brouillard. etc.
Ce ne sont que quelques effets de ma blessure.
Et maintenant les limitations mentales : je suis incapable de prendre des vacances comme mes collègues de travail. Je dois travailler fort pendant mes temps libres pour pouvoir continuer à travailler. Je n’ai jamais d’heures supplémentaires, j’ai eu deux semaines de vacances en quatorze ans.
Ce problème nuit à moi et à mon mari, qui vient d’avoir une crise cardiaque.
Chaque fois que le problème revient, je dois revoir tous mes dossiers :
- les rapports du médecin;
- le problème de l’adaptation;
- les 150 pages de réclamations de compensation auprès de La Great-West;
- le programme de gestion de la douleur, de conditionnement au travail, les rapports de chiropraticiens;
- la plainte en droits de la personne.
Et après tout ça, vous voulez toujours que je vous signale les incidents, et je demande pourquoi? Aucun résultat n’est visible après six ans de harcèlement constant.
Cette blessure et l’adaptation qui a suivi ont nui à ma vie au travail et à la maison et j’ai l’impression que l’employeur ne veut pas corriger le comportement harcelant de mes collègues de travail.
([sic] partout)
[23] Mme Duffy a mentionné dans son témoignage que les commentaires allégués aux points quatre à sept n’ont jamais été portés à l’attention de VIA Rail, ce qui a été confirmé par Mme Mulhern dans son témoignage. De plus, les allégations d’agressivité, d’avoir arraché des fournitures de ses mains, de messages non verbaux ou d’injures n’ont pas été signalées à la direction, ce qu’ont confirmé Mme Mulhern et Mme Duffy dans leurs témoignages.
[24] Mme Duffy a alors commencé à remplir un formulaire de refus de travailler. Mme Boudreau ne devait pas travailler le 14 juin 2012, comme l’indique le document sur la dotation de personnel des 13 et 14 juin 2012. On peut donc dire qu’il n’y avait pas de risque que Mme Boudreau présente d’autres remarques à Mme Mulhern ce jour-là. Lorsque Mme Duffy lui a demandé pourquoi elle se sentait en danger immédiat, Mme Mulhern a expliqué qu’elle ne savait jamais quand un employé allait faire un commentaire qu’elle considérait comme du harcèlement, comme celui de Mme Boudreau le 13 juin 2012, et donc qu’elle ne se sentait plus en sécurité au travail.
[25] Mme Duffy a organisé une rencontre avec le comité de santé et de sécurité dans le but de discuter du refus de travailler. On n’en est arrivé à aucune résolution et Mme Mulhern a maintenu son refus. Mme Duffy a alors communiqué avec un agent de santé et de sécurité de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) (maintenant appelé Emploi et Développement social Canada (EDSC)), comme l’exige le paragraphe 128(13) du Code.
[26] L’agent de SST Gallant a été affecté au dossier à 13 h le 14 juin 2012. Il a rencontré Mme Mulhern, Lou Walsh, représentant régional du syndicat, et Caroline Ayoub, présidente du comité de santé et de sécurité. Mme Duffy et M. Dias se sont joints à la rencontre environ quarante minutes plus tard. La rencontre a duré environ trois heures au total. Pendant la rencontre à laquelle Mme Duffy et M. Dias ont assisté, l’agent de SST Gallant a mentionné que VIA Rail devait nommer une « personne compétente » au sens du paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST) puisque la situation n’était pas réglée.
[27] L’agent de SST Gallant a décrit les faits et donné son analyse dans son rapport :
- [TRADUCTION] Mme Mulhern a décrit qu’elle subissait du harcèlement de ses collègues de travail. Elle croyait que cela était causé par le fait que ses collègues remettaient en question sa capacité de s’acquitter de ses tâches, puisque son employeur avait conclu une entente d’adaptation en raison de sa condition physique.
- L’employeur savait que Mme Mulhern avait signalé de nombreux incidents de harcèlement au fil des ans. Une superviseure avait dit que « quelques incidents par année » étaient signalés.
- Les incidents signalés à l’employeur étaient qualifiés de physiologiques (sic); c’est-à-dire des messages verbaux et non verbaux de collègues de travail.
- VIA Rail Canada a pris des mesures contre la violence au travail, notamment :
- une politique en matière de violence au travail;
- des normes comportementales à l’intention des employés de première ligne;
- de la formation contre le harcèlement à l’intention des employés;
- de la formation sur le code de conduite à l’intention des employés;
- des discussions avec les employés au sujet de l’intimidation.
- VIA Rail Canada n’a pas suivi la procédure prescrite en réponse à la violence au travail décrite à l’article 20.9 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. Aucune enquête au sujet de la violence au travail, par une personne compétente, n’a été menée.
[28] La décision de l’agent de SST Gallant qu’il existait un danger dans les circonstances décrites précédemment se lit comme suit :
Mme Mulhern a été victime de harcèlement psychologique au travail. Le harcèlement s’est poursuivi malgré les mesures prises par son employeur.
Je suis d’avis qu’il est probable que le harcèlement se poursuive à moins que des mesures soient prises pour régler la situation dans le lieu de travail. Je crois de plus que Mme Mulhern continuera de souffrir si le harcèlement se poursuit. Je juge donc qu’il existe un danger.
[29] L’agent de SST Gallant a émis deux instructions, citées précédemment, et les a communiquées par écrit à Mme Duffy le 29 juin 2012. VIA Rail a contesté les deux instructions par voie du présent appel, mais elle s’y est néanmoins conformée comme l’exige le Code. Elle a nommé M. Georges Cyr à titre de « personne compétente » pour qu’il mène une enquête conformément au paragraphe 20.9(3) du RCSST. Le 13 juillet 2012, VIA Rail a informé Mme Mulhern par écrit qu’une enquête serait menée.
Enquête de M. Georges Cyr
[30] Le 24 juillet 2012, Mme Duffy a téléphoné à Mme Mulhern pour l’informer que la rencontre au sujet de son refus de travailler aurait lieu le 1er août 2012 à 9 h et que M. Georges Cyr avait été nommé à titre de « personne compétente ». Le 26 juillet 2012, une lettre a été envoyée à Mme Mulhern pour confirmer l’entrevue.
[31] Le 30 juillet 2012, Mme Mulhern a téléphoné à Mme Duffy et lui a posé des questions au sujet de M. Cyr et de ses qualifications, de sa connaissance de la législation pertinente, du nombre d’enquêtes qu’il avait effectuées et de l’endroit où il avait reçu sa formation et elle lui a demandé pourquoi on ne lui avait pas donné le droit de choisir la personne compétente. Mme Duffy l’a informée que VIA Rail nomme la « personne compétente » et que M. Cyr est considéré comme une « personne compétente » en raison de ses antécédents et de son expérience. Puisque Mme Mulhern lui demandait des détails, Mme Duffy lui a répondu qu’elle tenterait d’obtenir cette information pour elle.
[32] Le 31 juillet 2012, alors que M. Cyr se trouvait déjà à bord du train qui l’amenait de Montréal à Halifax, Mme Mulhern s’est présentée à la gare pour voir Mme Duffy au sujet de sa demande de la veille. Mme Duffy, qui avait obtenu quelques détails au sujet de la compétence de M. Cyr, l’a informée que M. Cyr était considéré comme une « personne compétente », avait des antécédents dans le domaine des relations de travail, avait travaillé comme superviseur au Centre de maintenance de Montréal (CMM) de VIA Rail et s’était occupé de nombreuses enquêtes et plaintes par le passé.
[33] On m’a informé qu’une entente avait été conclue entre M. Marc Beaulieu, directeur général régional, Est de VIA Rail, et Mme Heather Grant, secrétaire-trésorière du Conseil National 4000, au sujet de la nomination de M. Cyr. Cela a été confirmé par Mme Grant à Mme Duffy le 31 juillet 2012. Toutefois, M. Ken Cameron, coordonnateur de la santé et de la sécurité du Conseil National de TCA, a téléphoné à Mme Duffy et lui a dit que Mme Mulhern lui avait téléphoné. Il a informé Mme Duffy que VIA Rail devait donner à Mme Mulhern des détails précis au sujet des compétences de M. Cyr, plus précisément où et quand il avait reçu sa formation, etc. M. Cameron insistait sur le fait que Mme Mulhern avait le droit de recevoir cette information en vertu du Code. M. Cameron a également affirmé que, sans cette information, il conseillerait à Mme Mulhern de ne pas participer au processus d’entrevue. Lorsque Mme Duffy lui a demandé s’il souhaitait que ce soit remis par écrit, il a précisé que VIA Rail était tenue de fournir la documentation par écrit. Enfin, il a également dit qu’il connaissait M. Cyr et qu’il savait que c’était une bonne personne possédant beaucoup d’expérience.
[34] Le 1er août 2012, Mme Mulhern s’est présentée à l’entrevue, mais elle a refusé d’y participer. Selon les dires de M. Cyr (qui a témoigné dans les procédures actuelles par voie de conférence téléphonique), elle a remis à M. Cyr une lettre manuscrite datée du 1er août 2012 indiquant qu’elle demandait la preuve écrite que M. Cyr avait les connaissances, l’expérience et la formation nécessaires en matière de violence et de harcèlement au travail. Cette lettre ne mentionnait pas de préoccupation au sujet de l’impartialité de M. Cyr. M. Cyr a dit à Mme Mulhern et à M. Patrick Murray, son délégué syndical, qu’il n’avait pas de document écrit de cette nature à lui montrer, mais il a expliqué ses antécédents et son expérience. Il a affirmé qu’il possédait 30 ans d’expérience dans la gestion des employés, 18 ans d’expérience à titre d’agent des relations de travail au CMM et environ 12 ans d’expérience à titre de superviseur à Montréal. Il a également dit à Mme Mulhern qu’il possédait une grande expérience dans la direction d’enquêtes disciplinaires et qu’il avait récemment traité deux dossiers de harcèlement au CMM en vertu du RCSST. M. Cyr a répété ses titres de compétences dans son témoignage. Il a confirmé qu’il avait mené 2 000 enquêtes au cours de sa carrière. Enfin, il a ajouté qu’à sa connaissance tout le monde, y compris le syndicat, était satisfait qu’il s’occupe de son dossier lorsqu’il a quitté Montréal pour venir à Halifax.
[35] Après cette discussion, Mme Mulhern a demandé une pause afin de pouvoir parler avec M. Murray. La rencontre a repris vingt minutes plus tard et, à ce moment, Mme Mulhern a remis une deuxième lettre manuscrite à M. Cyr affirmant que, selon elle, il n’était pas une « personne compétente » pour procéder à l’enquête et qu’elle maintenait sa position initiale. Je souligne que, dans les deux documents, Mme Mulhern mentionne ses préoccupations au sujet de la formation, de l’expérience et des compétences de M. Cyr pour mener une enquête en matière de violence au travail. Elle n’y mentionne pas de préoccupations au sujet de l’impartialité ou de l’équité de M. Cyr. En fait, elle mentionne cela précisément dans la transcription de la rencontre [TRADUCTION] « Questions et réponses » d’une réunion tenue le 29 août 2012, que l’employeur a présenté dans la preuve. Cela a aussi été confirmé par Mme Mulhern dans son témoignage.
[36] M. Cyr a tenté de rencontrer d’autres employés de VIA Rail, mais il n’a pu en rencontrer qu’un seul en raison d’une intervention du syndicat, qui a recommandé à ses membres de ne pas participer à l’enquête sans qu’un représentant du syndicat soit présent, et aucun d’entre eux n’était disponible. M. Cyr a présenté un rapport dans lequel il conclut ce qui suit :
[TRADUCTION] Dans les circonstances, on ne m’a présenté aucune preuve de violence ou de harcèlement au travail visant Mme Mulhern et je ne peux donc pas conclure que Mme Mulhern a souffert de violence ou de harcèlement au travail. Cela met fin à mon enquête.
[37] Le 24 août 2012, Mme Mulhern a présenté une plainte interne demandant à Mme Duffy de rendre son lieu de travail sécuritaire et de nommer une « personne compétence » pour faire enquête sur son dossier. Mme Haché-Lawlor, gestionnaire, Expérience-client, lui a répondu par écrit qu’une « personne compétente » avait été nommée, mais qu’elle avait refusé de participer à l’enquête sans motif valable et que son lieu de travail était sécuritaire.
[38] À son retour au travail le 12 septembre 2012, Mme Mulhern a reçu les titres de compétences de M. Cyr par écrit.
Le refus de travailler du 12 septembre 2012
[39] Après le refus de Mme Mulhern de participer à l’enquête, VIA Rail lui a remis une lettre affirmant qu’elle fermait le dossier de sa plainte et lui demandant de se présenter au travail le même jour.
[40] Le 12 septembre 2012, Mme Mulhern s’est présentée au travail et ne s’est pas occupée de ses tâches. Lorsque Mme Haché-Lawlor est arrivée au travail vers 7 h 45, Mme Mulhern se trouvait déjà dans son bureau. Elle lui a dit qu’elle se prévalait de son droit de refuser de travailler. Selon Mme Haché-Lawlor, Mme Mulhern ne semblait pas émotive ce matin-là. Mme Mulhern a déposé un formulaire de refus de travailler. EDSC, alors RHDCC, a donc été avisé et l’agent de SST Tingley s’est présenté sur le lieu de travail.
[41] L’agent de SST Tingley a rencontré Mme Mulhern et Mme Ayoub, présidente syndicale du comité de santé et de sécurité. Il a ensuite rencontré en privé Mme Duffy et Mme Haché-Lawlor, puis Mmes Mulhern, Ayoub, Duffy et Haché-Lawlor ensemble. Il a informé Mme Mulhern qu’elle était tenue de collaborer et de participer à l’enquête. Il l’a également informée qu’elle avait le droit de demander les titres de compétences de l’enquêteur nommé, mais que VIA Rail n’était pas tenue de lui donner cette information. L’agent de SST Tingley est demeuré dans les locaux de VIA Rail pendant environ deux heures.
[42] Dans son rapport daté du 2 octobre 2012, l’agent de SST Tingley a conclu ce qui suit :
[TRADUCTION] J’ai visité le lieu de travail et j’ai d’abord rencontré Mme Mulhern et sa représentante syndicale, Carolyn Ayoub, parce que Sheila Duffy et Sandy Hache-Lawlor étaient en conférence téléphonique. Lorsque Mmes Duffy et Haché-Lawlor se sont libérées, je les ai rencontrées pour obtenir une description des circonstances de leur point de vue.
Par la suite, j’ai rencontré Mmes Cecile Mulhern, Carolyn Ayoub, Sheila Duffy et Sandy Haché-Lawlor. Je leur ai mentionné que, bien que la situation qui nous occupait ce jour-là était liée au refus antérieur, il s’agissait d’un nouveau refus et il fallait donc mener une enquête conformément à l’article 128 du Code canadien du travail. J’ai dit aux parties qu’il semblait que tout le monde était un peu confus au sujet de la façon dont l’enquête du 1er août aurait dû se dérouler.
[43] L’agent de SST Tingley a ensuite quitté le lieu de travail de VIA Rail. M. Tingley a témoigné à l’audience du présent appel à ma demande. Il insistait sur le fait qu’il n’avait pas émis d’instruction à l’intention de l’employeur dans les circonstances. Il considérait qu’il avait simplement donné des conseils pendant son intervention et qu’il avait aidé les parties à résoudre leur différend et à décider des prochaines étapes compte tenu de la situation. À son avis, le refus qui l’avait amené sur le lieu de travail le 12 septembre 2012 était [TRADUCTION] « la prolongation du refus du 14 juin », dont son collègue l’agent de SST Gallant s’était occupé. Il a conclu que l’instruction émise par son collègue à ce moment était toujours en vigueur et que le dossier n’était pas réglé. L’agent de SST Tingley ajoutait toutefois que le refus du 12 septembre était un « nouveau » refus devant faire l’objet d’une enquête de l’employeur avant qu’un agent de SST puisse être appelé en vertu du paragraphe 128(13) du Code. À son avis, l’employeur n’avait pas suffisamment enquêté au sujet de ce refus de travail et il n’avait pas la compétence de faire enquête en vertu de l’article 129 du Code. Il avait néanmoins offert son aide aux parties et présenté quelques observations et recommandations dont elles pouvaient tenir compte. Il a quitté les lieux en pensant que les parties avaient réglé leurs problèmes et qu’elles procéderaient à l’enquête par une « personne compétente », comme l’avait ordonné l’agent de SST Gallant. Il a mentionné le titre de son rapport, soit [TRADUCTION] « Rapport d’intervention » plutôt que « Rapport d’enquête et décision », qui est le titre dont se servent les agents de SST lorsqu’ils enquêtent au sujet d’un refus de travailler et rendent une décision au sujet de la présence ou de l’absence de danger. De l’avis de l’agent de SST Tingley cela indiquait qu’il n’avait pas mené d’enquête, pris de décision au sujet du refus ni émis d’instruction l’intention des parties. En outre, il a ajouté qu’il n’avait pas l’intention de remettre un document écrit avant que Mme Duffy l’appelle quelques semaines plus tard et lui demande de lui transmettre un rapport écrit de son intervention, ce qu’il a fait le 2 octobre 2012.
[44] Dans un courriel daté du 12 septembre 2012, Mme Haché-Lawlor résume comme suit la rencontre avec l’agent de SST Tingley :
[TRADUCTION] Voici un résumé de ce qui s’est passé et des recommandations présentées :
- Il nous a informées que cela ne serait pas considéré comme un « nouveau » refus de travailler puisqu’il était d’avis que nous n’avions pas finalisé le refus précédent. Ainsi, il nous a informées que nous devions mener l’enquête que nous avions tenté de mener le 1er août 2012.
- Il a informé Mme Mulhern qu’elle était tenue de collaborer et de participer, mais que, si elle choisissait de ne pas le faire, la Société devait tout de même procéder.
- Il l’a également informée qu’elle avait le droit de demander les titres de compétences de l’enquêteur nommé, mais que VIA Rail n’était pas tenue de lui donner cette information.
- En attendant la fin de l’enquête et les recommandations, il nous a informées que nous avions le droit de demander à Mme Mulhern d’exécuter d’autres tâches qui l’éloignent de l’environnement de travail causant un « danger ». Par conséquent, nous avons proposé qu’elle retourne au travail selon son horaire normal, sous réserve qu’elle travaille uniquement dans le bureau au lieu d’exécuter les tâches de préposé sur le train. Tout le monde était d’accord et Cecile commencera à travailler dans le bureau demain matin.
- M. Tingley s’est dit préoccupé par le fait que le syndicat savait que M. Cyr avait été nommé et n’avait pas semblé préoccupé avant le début de l’audience le 1er août. Selon lui, il semblait y avoir un écart entre l’avis du syndicat national et celui du représentant local, puisqu’un semblait être d’accord avec la nomination de M. Cyr alors que l’autre ne l’était pas.
- La rencontre s’est très bien terminée et nous avons dit à M. Tingley que nous allions procéder au processus d’enquête afin de satisfaire à l’instruction initiale de l’agent Gallent de RHDCC.
L’enquête de Mme Isabelle Cantin
[45] VIA Rail a fait le suivi sur les discussions avec l’agent de SST Tingley et a communiqué avec M. Cyr dans le but de reprendre l’enquête. Comme il fallait s’y attendre, M. Cyr a informé Mme Duffy qu’il n’était plus intéressé par la suite des événements du 1er août 2012 et il a décliné le mandat. VIA Rail a par la suite nommé Mme Isabelle Cantin à titre de « personne compétente » afin de mener l’enquête en vertu du paragraphe 20.9(3) du RCSST, conformément à l’instruction initiale de l’agent de SST Gallant.
[46] Mme Cantin a mené son enquête entre le 1er et le 13 novembre 2012, période pendant laquelle elle a rencontré 19 personnes. Le 27 novembre 2012, elle a présenté son rapport d’enquête définitif. Ce rapport a été présenté en entier dans la preuve à l’audience. Je note que l’avocat de l’employeur a accédé à la demande du représentant des intimés d’obtenir une copie de la version complète du rapport avant l’audience. Cela a été fait à la condition que le rapport ne soit transmis à personne d’autre, compte tenu du fait qu’un certain nombre de personnes rencontrées par Mme Cantin avaient reçu la promesse que leur déclaration demeurerait confidentielle. Je comprends l’importance d’honorer cet engagement dans les circonstances et je suis d’avis que cela nuirait aux processus d’enquête futurs si je ne rendais pas une ordonnance limitant l’accès public au rapport, qui se trouve maintenant parmi les pièces devant le tribunal. Par conséquent, j’ordonne que la pièce A-17, qui comprend le rapport définitif de Mme Cantin ainsi que les déclarations des témoins qui se trouvent dans le cahier des annexes et qui appuient son rapport, soit scellée et demeure confidentielle et que le public n’y ait pas accès.
[47] Mme Cantin conclut ce qui suit dans son rapport :
[TRADUCTION] [ ... ] Je ne trouve pas que la preuve, même dans son ensemble, permet de démontrer que la Plaignante a subi du harcèlement ou de la violence au sens de l’expression « violence dans le lieu de travail » dans le Règlement (annexe 2, documents 2.1 et 2.2.); la preuve n’a pas révélé de violence physique et je ne trouve pas que ses collègues ou VIA, par l’entremise de ses représentants, l’ont intimidée, taquinée ou menacée ou ont adopté un comportement agressif envers elle afin de lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.
[48] Le 22 octobre 2013, pendant l’audience, les parties ont signé une entente aux termes de laquelle elles ont convenu de ce qui suit :
1. [TRADUCTION] Le rapport de Mme Cantin et les annexes, présentées le 21 octobre 2013, son contenu et ses conclusions ne sont pas contestés par Mme Mulhern et les représentants syndicaux.
2. À l’exception de celles de Mme Sheila Duffy, de M. Karl Dias, de Mme Sandy Haché-Lawlor et de Mme Cecile Mulhern, les déclarations présentées dans le rapport de Mme Cantin sont considérées comme une preuve véridique devant le TSSTC sans que les personnes qui les ont données aient besoin de témoigner et de les confirmer devant le TSSTC.
3. Sauf les déclarations considérées comme une preuve véridique conformément au paragraphe 2, les autres annexes présentées dans le rapport de Mme Cantin ne font pas partie de la présente entente.
[49] La preuve présentée à l’audience portait également sur l’état de santé et la maladie de Mme Mulhern. Son médecin traitant, Dre Deanna Swinamer, a été convoquée par le syndicat et a témoigné que Mme Mulhern était sa patiente depuis 1999. Dre Swinamer a déclaré qu’elle avait diagnostiqué que Mme Mulhern avait souffert de dépression en octobre 2002. Elle lui a prescrit des médicaments contre la dépression et Mme Mulhern a continué de prendre ces médicaments au fil des ans, jusqu’à la date de l’audience des présents appels. Elle ne pouvait affirmer que sa dépression était uniquement due à du stress lié au travail. Elle a observé que Mme Mulhern avait aussi des problèmes familiaux et souffrait des conséquences d’une blessure subie au travail qui lui causait beaucoup de douleur au dos. Ces observations sont notées dans les notes de consultation de Dre Swinamer entre 2008 et 2013, présentées à la pièce R-1. Dre Swinamer a souligné que la douleur chronique était un facteur qui contribuait à la dépression.
[50] L’information détaillée présentée à la pièce R-1 au sujet de l’état de santé de Mme Mulhern et de sa situation personnelle contient des confidences qu’elle avait faites à son médecin traitant. L’intimée a demandé à ce que la pièce R-1 demeure confidentielle, sans objection de l’appelante. Je dois trouver un équilibre entre le besoin de transparence du processus de justice administrative et le préjudice que pourrait subir Mme Mulhern si le document était rendu public dans le dossier du tribunal. Je suis d’avis que l’importance du principe d’audience publique dans le processus d’appel ne fait pas le poids par rapport au droit à la vie privée de Mme Mulhern dans les circonstances et qu’elle subirait un préjudice indu si je n’ordonnais pas que la pièce R-1 demeure confidentielle. Par conséquent, j’ordonne que la pièce R-1 soit scellée et ne soit pas rendue publique.
La question en litige
[51] Les deux appels soulèvent de nombreuses questions. D’abord, la question de savoir si l’employée, Mme Cecile Mulhern, était exposée à un danger au sens du Code lorsqu’elle a exercé son droit de refuser de travailler le 14 juin 2012. Le cas échéant, la première instruction émise par l’agent de SST Gallant en vertu du paragraphe 145(2) est-elle pertinente et assez précise pour satisfaire aux exigences du Code? Deuxièmement, la deuxième instruction émise par l’agent de SST Gallant en vertu du paragraphe 145(1), exigeant que l’employeur cesse l’infraction en vertu de l’alinéa 125(1)z.16) et du paragraphe 20.9(3) du RCSST en nommant une « personne compétente », est-elle fondée? Troisièmement, le rapport préparé par l’agent de SST Tingley après le refus de travailler de Mme Mulhern du 12 septembre 2012 contient-il des instructions pouvant faire l’objet d’un appel en vertu du paragraphe 146(1)? Le cas échéant, est-ce que Mme Mulhern était exposée à un danger au sens du Code lorsqu’elle a exercé son droit de refuser de travailler et les instructions émises par la suite sont-elles justifiées?
Observations des parties
[52] Les observations finales des parties ont été reçues le 17 janvier 2014. Le 5 mars 2014, j’ai demandé des observations supplémentaires aux parties relativement à la décision rendue dans l’arrêt Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada (2014 TSSTC 1), dont j’ai tenu compte au cours de la rédaction de mes motifs et qui a été affichée sur le site Web du TSSTC après que les parties ont déposé leurs observations auprès du tribunal. Ces observations ont été déposées auprès du tribunal par l’appelante et les intimées le 19 mars et le 21 mars 2014 respectivement.
Pour l’appelante :
(i) Les première et deuxième instructions de l’agent de SST Gallant
[53] Après avoir résumé ce qu’il considérait comme les faits saillants de l’affaire, l’avocat de l’appelante a affirmé que, dans l’affaire qui nous occupe, il n’y avait pas de preuve que la conduite de Mme Boudreau le 14 juin 2012 avait causé du dommage ou une maladie à Mme Mulhern. Aucune attestation médicale n’a été présentée, ni à l’employeur, ni à l’agent de SST Gallant. De plus, Mme Mulhern n’a même pas consulté son médecin le 14 juin 2012 ou vers cette date. Son dernier rendez-vous avec son médecin de famille, Dre Swinamer, avant le 14 juin 2012 avait eu lieu le 10 avril 2012 et le rendez-vous suivant avait eu lieu le 3 juillet 2012.
[54] Selon les témoignages de Dre Swinamer et de Mme Mulhern ainsi que les notes de consultation médicale, l’état psychologique de Mme Mulhern existait depuis 10 ans et elle était traitée pour cet état. Il ne peut être lié au harcèlement au travail puisque cela n’a pas été mentionné au moment du diagnostic, en 2002. Comme l’indique le graphique, la dépression de Mme Mulhern faisait suite aux problèmes avec son mari qu’elle avait mentionnés, notamment d’octobre 2007 à mars 2012.
De plus, on ne peut raisonnablement pas s’attendre à ce que les commentaires de Mme Boudreau à Mme Mulhern le 13 juin 2012 causent du dommage ou une maladie. Une personne raisonnable dans une situation semblable aurait perçu que ces commentaires étaient une discussion normale entre des employés au sujet de la charge de travail. Mme Haché-Lawlor a dit dans son témoignage qu’une telle conversation entre des préposés aux services est très courante sur les trains, puisque les employés discutent normalement de charge de travail, d’organisation du travail, de qui fait quoi, de la façon dont la charge de travail est partagée, de la dotation de personnel adéquate pour une journée donnée, etc.
[55] Soulignant les articles 20.8 et 20.9 du RCSST, l’avocat de l’appelante a rappelé que l’article 20.8 du RCSST prévoit une procédure de notification d’urgence pour obtenir de l’aide immédiate nécessaire en cas de violence dans le lieu de travail. Le but de ces procédures est de réduire l’impact des incidents et de veiller à protéger la santé et la sécurité des employés. De plus, selon la nature de l’incident violent, la police peut être avisée de l’événement. En vertu du paragraphe 20.9(2) du RCSST, en réponse aux événements de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence qui ne sont pas assez urgents pour exiger l’intervention de la police et dont l’employeur a connaissance, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais. Par analogie avec le paragraphe 20.6(2) du RCSST, l’employeur tente de régler la situation avec l’employé dans les meilleurs délais, mais il a 90 jours pour le faire.
[56] Si et seulement si la situation n’est pas réglée, l’employeur nomme une « personne compétente » pour qu’elle enquête au sujet de la violence dans le lieu de travail. Toutefois, il existe des situations décrites au paragraphe 20.9(6) du RCSST où l’employeur n’a pas besoin de nommer une personne compétente même si l’affaire n’est pas réglée. Le fait que l’employeur a mis en place des procédures et des mesures de contrôle efficaces et sollicité le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail, ce qui est le cas chez VIA Rail, est une de ces situations.
[57] Quant aux commentaires mentionnés aux points quatre, cinq, six et sept de la lettre de Mme Mulhern datée du 13 juin 2012, ils ont été signalés à VIA Rail pour la première fois le 14 juin 2012. Il était donc clairement prématuré que l’agent de SST Gallent conclue que VIA Rail avait omis de nommer une personne compétente pour faire enquête après sa visite le même jour. VIA Rail n’avait pas encore eu l’occasion de régler la situation en vertu du paragraphe 20.9(2) du RCSST. À cet égard, l’agent de SST Gallant avait sans raison empêché VIA Rail d’agir dans les plus brefs délais et de donner aux harceleurs allégués l’occasion de répondre aux allégations.
[58] Pour ce qui est des règles applicables au droit de refuser de travailler, l’avocat de l’appelante a argüé que, s’il était possible par le passé que le harcèlement soit considéré comme un danger en vertu du Code, ce n’est plus le cas depuis que la partie XX du RCSST est entrée en vigueur le 28 mai 2008. Cette partie prévoit des mécanismes précis pour enquêter sur ces situations et les résoudre. Il a observé que ces dispositions du RCSST ont préséance sur les dispositions générales du Code. Il a insisté sur le fait que le bulletin de RHDCC au sujet de la violence dans le lieu de travail ne prévoit pas de refus de travailler pour régler la violence dans le lieu de travail.
[59] De l’avis de l’avocat, le harcèlement psychologique ne peut être à la base d’une déclaration qu’il existe un danger. Premièrement, le fait d’interpréter le danger de sorte qu’il comprenne le harcèlement psychologique contredit l’intention du Parlement dans la partie II du Code et nuit inévitablement au processus d’enquête et d’examen décrit à la partie II. Il est clair dans le contexte de la partie II dans son ensemble que le Parlement visait à régler les méfaits causés par une défaillance dans le lieu de travail, qu’elle soit de nature structurale, mécanique ou électrique ou liée à la qualité de l’air. La partie II ne vise tout simplement pas à remédier aux méfaits causés par le harcèlement et elle ne peut le faire.
[60] Deuxièmement, le droit de refuser de travailler est conçu pour les situations où les employés sont confrontés à un danger imminent et il doit être utilisé dans ces situations. Il ne vise pas à régler des différends de longue date et, par définition, le harcèlement est la répétition de commentaires ou de comportements au fil du temps. Troisièmement, le processus d’enquête décrit dans le Code se veut rapide et sommaire et il est incompatible avec les garanties procédurales nécessaires au cours d’une enquête pour harcèlement. Quatrièmement, les agents de SST n’ont pas besoin d’avoir une expertise au sujet des enquêtes pour harcèlement ou des conséquences médicales du harcèlement.
[61] Cinquièmement, et ce qui est d’une importance considérable, le harceleur accusé n’aurait droit à aucune équité procédurale, puisqu’il n’a pas le droit de se défendre en vertu des processus prévus à la partie II. Les allégations de harcèlement sont extrêmement graves. Un des principes fondamentaux de notre système juridique et de l’équité procédurale est que toute personne qui fait face à des accusations aussi graves a le droit de se défendre. À plus forte raison, ce droit exige à tout le moins qu’il connaisse l’essentiel des allégations et qu’il ait l’occasion d’y répondre. Sixièmement, il existe un risque de contradiction entre la décision de l’agent de SST et celle de la personne compétente (Gualtieri et Le Conseil du Trésor (Affaires étrangères et Commerce international), [1998] CRTFP no 88).
[62] Par conséquent, l’avocat de l’appelante a affirmé que l’agent de SST Gallant n’avait pas l’autorité d’enquêter au sujet des allégations de harcèlement de Mme Mulhern dans le contexte de son refus de travailler. Lorsqu’un employé se plaint de harcèlement, les seuls mécanismes pouvant résoudre le problème se trouvent à la partie XX du RCSST. Un agent de SST n’avait pas la compétence de mener l’enquête et d’en venir à la conclusion qu’il y avait harcèlement. Il s’ensuit qu’en appel le présent tribunal n’avait pas non plus compétence. Cette interprétation semble être la seule qui est raisonnable compte tenu de la nature et de la portée d’une enquête en bonne et due forme menant à une décision au sujet du harcèlement possible. Une telle enquête ne peut tout simplement pas être menée en quelques heures pendant l’intervention d’un agent de SST.
[63] L’avocat de l’appelante insistait également sur le fait que le danger en vertu du Code doit être évalué à l’aide d’un critère objectif et non à partir de la perception subjective de l’employé et de ouï-dire. Dans les circonstances de la présente affaire, on affirmait qu’en se fondant sur une norme objective les commentaires de Mme Boudreau à Mme Mulhern le 13 juin 2012 ne pouvaient aucunement être considérés comme du harcèlement. Il s’agissait d’une remarque innocente qui ne visait pas Mme Mulhern directement et qui pouvait être considérée comme des commentaires normaux de préposés aux services au cours de leurs conversations quotidiennes avec des collègues. On peut en dire autant des remarques antérieures d’autres collègues de 2009 à 2011. Mme Cantin en est venue à la même conclusion dans son rapport d’enquête.
[64] L’avocat de l’appelante a affirmé de plus que le risque de préjudice ou de maladie doit être appuyé par une preuve médicale (Tryggvason c. Transport Canada, 2012 TSSTC 10). Une possibilité raisonnable de préjudice ou de maladie doit être démontrée par une preuve solide, comme un certificat médical fourni par un médecin confirmant les troubles de santé mentale existants ou potentiels de l’employé. De plus, un lien de causalité entre les troubles et la situation sur le lieu de travail est nécessaire pour établir qu’il existait un danger si une personne présente des allégations de harcèlement. L’avocat a observé que, au moment du refus de travailler du 14 juin 2012, Mme Mulhern n’a présenté aucune preuve médicale de préjudice ou de maladie potentiel résultant du harcèlement allégué et qu’aucune preuve médicale confirmant un tel préjudice ou maladie potentiel n’a été présentée devant le tribunal.
[65] L’avocat de l’appelante a également mentionné l’imprécision de la première instruction de l’agent de SST Gallant. Dans la décision 1260269 Ontario Inc. (Sky Harbour Aircraft Refinishing) et Tracy Chambers, décision no 06-032, le TSSTC a établi qu’une instruction devrait être assez précise pour que l’employeur comprenne en quoi il n’a pas respecté le Code ou le Règlement, ainsi que les résultats qu’il doit atteindre pour les respecter. De l’avis de l’avocat, il est impossible pour VIA Rail de savoir à l’aide des instructions ou du rapport d’enquête et décision quels sont les faits qui ont appuyé la conclusion. Dans une affaire portant sur le harcèlement psychologique, ces faits sont essentiels afin de bien évaluer la situation, d’identifier le danger si ce danger existe et de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin.
(ii) Intervention de l’agent de SST Tingley
[66] L’avocat de l’appelante a examiné le document intitulé [TRADUCTION] « Rapport d’intervention » produit par l’agent de SST Tingley et a affirmé qu’il constitue clairement une décision qu’il existait un danger dans le lieu de travail et une série d’instructions à l’intention de l’employeur. Il a souligné les contradictions entre le rapport et la preuve présentée à l’audience quant à savoir si le refus du 14 septembre constitue un nouveau refus ou la prolongation du premier refus dont l’agent de SST Gallant s’était occupé. En se fondant uniquement sur la rencontre du 12 septembre 2012, l’agent de SST Tingley a conclu que Mme Mulhern avait exercé un nouveau droit de refus, ce qui exigeait une enquête en vertu de l’article 128 du Code.
[67] L’avocat de l’appelant a souligné le fait que l’agent de SST Tingley n’a pas effectué une enquête en vertu de l’article 129 du Code. Pendant la rencontre de deux heures qui a eu lieu le 12 septembre 2012, l’agent de SST Tingley n’a pas rencontré d’employé qui aurait harcelé Mme Mulhern afin de lui donner l’occasion de répondre. VIA Rail n’a pas eu l’occasion d’enquêter au sujet des nouvelles allégations de Mme Mulhern. Cette constatation nuit directement tant à VIA Rail qu’à ses employés, dont les droits de répondre à des allégations sérieuses de harcèlement ont été complètement ignorés et déniés par l’agent de SST Tingley. Sans enquête au sujet d’une situation de refus de travailler, malgré les dispositions juridiques du Code et donc sans preuve de danger, l’intervention de l’agent de SST Tingley était arbitraire et a causé et continue de causer un préjudice important à VIA Rail et à ses employés. En procédant à une enquête aussi déficiente, l’agent de SST Tingley a omis de suivre les règles de base de la justice naturelle et de l’équité procédurale, ce qui a causé un préjudice grave et un dommage irréparable à VIA Rail et à ses employés.
[68] VIA Rail a également observé que le deuxième refus de travailler ne peut constituer le maintien du premier refus parce que le refus de travailler initial n’était pas valide. Toutefois, si le tribunal conclut que le refus de travailler initial est valide, VIA Rail a respectueusement observé que Mme Mulhern n’avait pas répondu aux exigences pour poursuivre son refus de travailler. L’employeur a pris des mesures afin de nommer une personne compétente, M. Cyr, pour qu’il mène l’enquête au sujet des allégations de harcèlement. M. Cyr est impartial, a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail et connaît les textes législatifs applicables, conformément à la définition de « personne compétente » qui se trouve au paragraphe 20.9(1) du RCSST. En 2012, M. Cyr a enquêté sur deux dossiers d’allégations de harcèlement au CMM, dont les employés font partie du même syndicat que ceux du présent dossier. L’avocat a insisté sur le fait que Mme Mulhern n’avait jamais contesté l’impartialité de M. Cyr. VIA Rail ne peut être tenue responsable du fait que Mme Mulhern a refusé de participer à l’enquête portant sur ses propres allégations de violence ou de harcèlement dans le lieu de travail. Les instructions de l’agent de SST Gallant ont été respectées et M. Cyr a conclu qu’il n’avait pas de preuve que Mme Mulhern avait subi de la violence ou du harcèlement dans le lieu de travail.
[69] Enfin, l’avocat de l’appelante a argüé que Mme Mulhern ne pouvait légalement invoquer l’article 128 du Code, puisqu’elle ne se trouvait pas « au travail » lorsqu’elle a exercé son droit de refuser de travailler (Saumier c. Canada (Conseil du Trésor - Gendarmerie royale du Canada), 2009 CAF 51. VIA Rail a observé que Mme Mulhern n’avait jamais eu de motif raisonnable de croire qu’il existait un danger et d’exercer son premier refus de travailler. Toutefois, si le tribunal conclut que le refus de travailler initial est valide, Mme Mulhern n’avait pas de motif raisonnable de croire que la requête de VIA Rail qu’elle reprenne le travail après trois mois présenterait un danger pour sa santé et sa sécurité et son refus est injustifié.
[70] Pour clore ses observations, l’avocat de l’appelante a contesté la déclaration de l’agent de SST Tingley, qui blâmait VIA Rail pour avoir omis d’ordonner à Mme Mulhern de participer à l’enquête malgré son objection. L’agent de SST Gallant considérait que Mme Mulhern avait le droit d’exercer ce droit en vertu de la partie II du Code. Par conséquent, si VIA Rail avait pris des mesures disciplinaires contre Mme Mulhern ou menacé de le faire, elle aurait probablement reçu une plainte fondée sur l’interdiction de représailles prévue aux articles 133 et 147 du Code. Dans son rapport l’agent de SST Tingley n’a donné aucune indication du fondement légal de cette position.
[71] Pour ces raisons, l’avocat de l’appelante m’a demandé d’annuler les trois instructions visées par l’appel.
[72] Au sujet de la décision récemment rendue dans l’arrêt Agence canadienne d’inspection des aliments, l’avocat de l’appelante a affirmé que la décision confirmait de nombreux points présentés dans ses observations. D’abord, l’employeur n’avait connaissance d’aucune allégation de violence dans le lieu de travail dans cette affaire. VIA Rail n’aurait donc pas été tenue de nommer une personne compétente pour faire enquête au sujet des allégations de violence dans le lieu de travail de Mme Mulhern parce qu’elle n’avait pas connaissance d’allégations non réglées de violence dans le lieu de travail. De plus, on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les incidents signalés causent un dommage, un préjudice ou une maladie au sens du RCSST. Il était d’accord avec l’agent d’appel que l’employeur a le droit d’examiner les allégations de l’employé avant de nommer une personne compétente et de valider les arguments de l’employé au sujet du seuil d’application du paragraphe 20.9(3) du RCSST. Il est évident que cette disposition favorise la résolution interne des conflits dans un lieu de travail dans les plus brefs délais par l’employeur, par l’application de ses politiques internes.
Pour les intimés :
(i) Les première et deuxième instructions de l’agent de SST Gallant
[73] Le représentant des intimés a d’abord donné un aperçu de la position juridique des intimés au sujet des deux appels. Il a souligné que l’appelante, VIA Rail, portait en appel les instructions de deux agents de santé et de sécurité fédéraux différents qui ont été nommés pour évaluer si son employée, Mme Cecile Mulhern, avait des motifs raisonnables de croire qu’il existait une situation dans son lieu de travail qui constituait un danger. Mme Mulhern avait entendu continuellement des commentaires harcelants d’autres employés de VIA Rail depuis plusieurs années parce qu’elle avait besoin d’un poste adapté. Ces commentaires lui ont causé des dommages psychologiques qui représentaient un danger pour elle. Par conséquent, elle ne se sentait plus en sécurité dans son lieu de travail et avait invoqué son droit de refuser de travailler. Les agents de SST ont jugé qu’il existait une situation chez VIA Rail qui constituait un danger pour Mme Mulhern.
[74] Après avoir revu les événements depuis 2008 qui ont mené au refus de travailler du 14 juin 2012, le représentant des intimés a souligné que les faits dans cette affaire ne devaient pas être évalués comme une seule situation où un ou quelques employés ont fait des commentaires ayant offensé Mme Mulhern. Il s’agissait plutôt de commentaires et comportements harcelants répandus au sujet de l’incapacité physique de Mme Mulhern d’effectuer une certaine tâche qui ont mené à des dommages psychologiques et créé la situation qui constituait un danger. L’employeur était au courant que ce comportement existait et, malgré ses tentatives de le régler par divers processus et mesures, aucune preuve ne permettait de conclure qu’ils étaient efficaces. En réalité, les comportements se poursuivaient.
[75] Le représentant des intimés a mentionné l’objectif du Code décrit à l’article 122.1 et m’a invité à utiliser une interprétation large du RCSST en raison de sa nature au moment d’évaluer le lien entre le harcèlement et la violence dans le lieu de travail. En appliquant l’article susmentionné, le harcèlement et la violence ont pour lien de tous deux faire partie d’un spectre de problèmes et que les employeurs doivent prendre des mesures pour les prévenir, puisqu’ils peuvent causer des accidents ou des maladies liés à l’occupation d’un emploi, conformément à l’article 122.1 du Code (Canadian Freightways Ltd. (27 novembre 2001), décision no 01-025 (agent d’appel); Administration de la voie maritime du Saint-Laurent (10 octobre 2002), décision no 02-020 (agent d’appel)).
[76] La partie II, comme il est mentionné précédemment, a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi. Si la violence subie par Mme Mulhern n’était pas directement liée à son emploi, elle est à tout le moins survenue pendant son emploi, ce qui respecte le but du Code et du RCSST. VIA Rail a affirmé que, parce que Mme Mulhern ne pouvait prouver que le harcèlement dans le lieu de travail était la cause directe de sa maladie psychologique, les dommages qui en découlaient ne pouvaient être attribués à son emploi. Toutefois, la protection contre les dangers dans le lieu de travail vise à protéger contre les maladies liées à l’occupation d’un emploi, qui n’en est pas nécessairement la cause directe.
[77] Le représentant des intimés a affirmé que le tribunal avait reçu la preuve de la maladie psychologique de Mme Mulhern. Il a entendu les témoignages de Mme Mulhern et de son médecin, Dre Swinamer au sujet de sa dépression et de son angoisse, aggravées par les facteurs stressants au travail et l’exposition continue aux commentaires harcelants. Elle voyait son médecin régulièrement et prenait des médicaments contre la dépression et l’angoisse. Elle avait également eu recours aux services du programme d’aide aux employés à trois reprises.
[78] Le représentant des intimés était en désaccord avec la position de l’appelante qu’elle disposait d’une période de 90 jours pour résoudre les dossiers de harcèlement ou de violence par analogie avec le paragraphe 20.6(2) du RCSST. Il a observé que le paragraphe 20.9(3) est clair et qu’il exige que l’employeur tente de résoudre le dossier dans les meilleurs délais et que, si la situation n’est pas réglée, il nomme une personne compétente dès que possible. À son avis, l’employeur aurait dû nommer une personne compétente dès février 2011, après l’incident impliquant Zachary Wells.
[79] Le représentant des intimés était aussi en désaccord avec l’argument de l’appelante que la partie XX du RCSST retirait la possibilité d’invoquer le droit de refus dans les situations où le danger allégué est causé par le harcèlement ou la violence. Le refus de travailler est un droit dont disposent les employés pour soulever les problèmes de cette nature lorsqu’ils considèrent qu’ils constituent un danger pour leur santé. L’agent de SST Gallant avait bien la compétence de rendre ses ordonnances. Il a jugé que Mme Mulhern avait subi du harcèlement psychologique malgré les mesures prises par l’employeur, que l’exposition à ce harcèlement se reproduirait probablement et que Mme Mulhern subirait d’autres malaises si le harcèlement continuait (Société canadienne des postes (Re) [2011] D.C.C.R.I. no 48; 2011 CCRI 592 (Clarke); Tench c. Défense nationale - Forces maritimes de l’Atlantique, Nouvelle-Écosse (janvier 2009), décision no OHSTC-09-001 (agente d’appel); Tremblay et Air Canada (18 octobre 2007) décision no BCA-07-038 (agent d’appel); Tryggvason c. Canada (Transport) (29 mars 2012), dossier no 2010-28 (agent d’appel).
[80] Le représentant des intimés a observé que l’attente de blessure ou de maladie est appuyée par la preuve médicale. Puisque le processus d’appel est une procédure de novo, il m’a invité à tenir compte de la preuve de Dre Swinamer au sujet de l’état de santé de Mme Mulhern et du fait que sa santé est affectée, du moins en partie, par les facteurs stressants à son travail.
[81] Le représentant des intimés n’était pas d’accord avec l’affirmation de l’appelante que l’instruction était trop vague. Bien que l’agent de SST Gallant n’ait pas prescrit de mesure pour remédier au danger, son instruction est assez précise pour être comprise et elle offre une certaine souplesse à l’employeur pour lui permettre de corriger la situation (Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, précitée).
[82] Le représentant des intimés a observé que l’agent de SST Gallant avait eu raison de trouver que l’exposition au harcèlement continu sur les trains desservis à la gare de VIA Rail à Halifax constituait un danger pour Mme Mulhern et a ordonné à la société de protéger toute personne du risque immédiat. Il est maintenant bien établi dans la jurisprudence applicable que les dommages psychologiques constituent un danger en vertu de l’alinéa 128(1)b) du Code. La violence psychologique est également incluse dans la définition de violence dans le lieu de travail dans les documents de politiques publiés par EDSC. Mme Mulhern a présenté des preuves à l’audience au sujet de ses problèmes de santé psychologique, ce qui a été appuyé dans le témoignage de son médecin. La preuve présentée par Mme Mulhern et son médecin démontre qu’elle a subi des dommages psychologiques en raison du harcèlement qu’elle a subi au travail.
[83] Le représentant des intimés a affirmé de plus que l’agent de SST Gallant avait correctement conclu que VIA Rail avait contrevenu à l’alinéa 125(1)z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du RCSST, qui traitent de la prévention et de la protection contre la violence dans le lieu de travail.
(ii) Intervention de l’agent de SST Tingley
[84] Au sujet des faits ayant mené à l’intervention de l’agent de SST Tingley, le représentant des intimés a souligné que VIA Rail n’avait pas nommé une personne compétente pour faire enquête conformément au paragraphe 20.9(1) du RCSST parce qu’elle avait refusé de donner à Mme Mulhern un document écrit décrivant les connaissances, la formation et l’expérience de la personne choisie par la société au sujet des problèmes de violence dans le lieu de travail. Sans ces renseignements pertinents, Mme Mulhern ne pouvait évaluer si la personne compétente nommée pouvait être considérée comme impartiale. Mme Mulhern a refusé de participer à l’enquête parce qu’elle n’était pas certaine de pouvoir faire confiance à l’impartialité de M. Cyr sans cette information.
[85] À titre subsidiaire, le représentant des intimés observe que, si VIA Rail avait nommé une personne compétente après son premier refus de travailler, cette personne n’avait pas terminé son enquête et n’avait pas pu donner à l’employeur un rapport écrit présentant ses conclusions et recommandations, comme l’exige le paragraphe 20.9(4) du RCSST. VIA Rail aurait dû nommer une autre personne, impartiale du point de vue des parties, qui aurait complété l’enquête requise aux termes de l’instruction de l’agent de SST Gallant et conformément au RCSST. VIA Rail avait plutôt dit à Mme Mulhern de reprendre le travail sans qu’une enquête d’une personne compétente soit dûment menée, comme l’ordonnait l’agent de SST Gallant. Mme Mulhern a exercé son droit de refuser de travailler dans une situation risquée pour une deuxième fois parce que l’enquête au sujet de l’incident antérieur n’avait pas été menée. Elle était d’avis que la situation constituant un danger pour elle existait toujours et qu’elle était toujours exposée à un risque de violence dans le lieu de travail. Par conséquent, l’agent de SST Tingley avait eu raison de trouver que l’enquête au sujet de la violence dans le lieu de travail continuelle ordonnée par l’agent de SST Gallant devait être menée conformément à l’instruction.
[86] Le représentant des intimés a observé que l’agent de SST Tingley n’avait pas émis d’instruction et avait simplement affirmé que l’ordonnance de mener une enquête rendue par l’agent de SST Gallant conformément au paragraphe 20.9(3) devait être respectée. Le rapport de l’agent de SST Tingley n’est donc pas assujetti à l’appel. À titre subsidiaire, il a affirmé que Mme Mulhern avait le même motif raisonnable de refuser de travailler qu’en juin 2012, puisqu’elle était d’avis qu’il existait toujours un danger dans le lieu de travail. L’agent de SST Tingley avait mené une enquête adéquate en se servant des constatations de l’agent de SST Gallant et conclu que le danger n’avait pas été réglé et il avait dûment ordonné à l’appelante de mener l’enquête (Air Canada [9 janvier 2003], décision no 03-002 [agent d’appel]).
[87] Le représentant des intimés a souligné que Mme Cantin avait par la suite mené une enquête détaillée de la violence au travail alléguée par Mme Mulhern. Bien que les intimés soutenaient plusieurs des recommandations présentées dans le rapport de Mme Cantin, le représentant des intimés était en désaccord avec la conclusion de Mme Cantin à savoir si Mme Mulhern avait subi du harcèlement ou de la violence au sens de la violence dans le lieu de travail dans le RCSST.
[88] En conclusion, le représentant des intimés a observé que les instructions de l’agent de SST Gallant appuyées par l’agent de SST Tingley avaient été dûment émises conformément au Code et au RCSST et à la compétence des agents de SST en général. Cependant, puisqu’un appel devant le Tribunal de santé et sécurité au travail est une audience de novo, le représentant des intimés a observé que le tribunal devait juger que Mme Mulhern avait subi du harcèlement psychologique dans son lieu de travail constituant un danger pour elle, ce qui justifiait son refus de travailler. De plus, VIA Rail n’avait pas pris les mesures pertinentes ordonnées par l’agent de SST Gallant, soit la nomination d’une personne compétente pour faire enquête au sujet de la violence dans le lieu de travail qui est survenue à la suite du harcèlement psychologique. Le tribunal devrait également accepter les instructions et de l’agent de SST Gallant et de l’agent de SST Tingley qu’une personne compétente aurait dû faire enquête au sujet de la violence dans le lieu de travail et donner à l’employeur un rapport écrit présentant des conclusions et des recommandations.
[89] Au sujet de la décision rendue dans le récent arrêt Agence canadienne d’inspection des aliments, le représentant des intimés a observé que la décision avait peu d’incidence sur le différend entre Mme Mulhern et son employeur et qu’il ne fallait pas en tenir compte. Les faits sont d’une ampleur différente : l’employé dans cette décision se plaignait d’un seul incident alors que Mme Mulhern avait travaillé dans un environnement toxique avec de nombreux collègues depuis 2008 et elle y percevait de la rancœur et faisait l’objet de comportements agressifs et d’intimidation. De plus, la preuve médicale dans le dossier qui nous occupe appuyait la conclusion qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que cette conduite aggrave l’état dépressif existant de Mme Mulhern. Enfin, l’employeur avait bien connaissance de la violence dans le lieu de travail dans l’affaire qui nous occupe. L’employée ne devrait pas perdre son droit qu’une personne compétente examine sa situation parce qu’elle n’avait pas signalé chacun des incidents de violence dans le lieu de travail. La partie XX vise la prévention et l’instruction de l’agent de SST Gallant respecte cet objectif, puisque le dossier qui nous occupe comprend du harcèlement continu, de l’intimidation, des taquineries et des agressions. Il est évident que les processus de résolution interne de l’employeur n’ont pas été efficaces pour faire cesser les comportements inacceptables dont Mme Mulhern s’est plainte à de nombreuses reprises.
Réponse de l’appelante
[90] Dans sa réponse, l’avocat de l’appelante a insisté sur le fait que la compétence et l’impartialité d’une « personne compétente » en vertu du RCSST sont deux concepts distincts. À son avis, Mme Mulhern n’a jamais mentionné la partialité de M. Cyr pour refuser de participer à l’enquête, contrairement à ce qu’allègue l’intimé.
[91] Il a contesté le fait que le représentant des intimés mentionnait souvent que l’employeur avait admis que Mme Mulhern avait reçu des commentaires harcelants ou des commentaires constituant du harcèlement continu. De l’avis de l’avocat, il était évident que Mme Mulhern avait perçu certains commentaires de façon négative, mais VIA Rail n’a jamais admis que ces commentaires constituaient réellement du harcèlement.
[92] L’avocat de l’appelante a aussi contesté la déclaration des intimés qu’elle était en désaccord avec les conclusions de Mme Cantin à savoir si Mme Mulhern avait subi du harcèlement ou de la violence après avoir signé l’entente du 23 octobre 2013 présentée pendant l’audience au sujet des appels, dans laquelle les parties convenaient que le rapport de Mme Cantin et ses annexes présentés le 21 octobre 2013, ainsi que son contenu et ses conclusions, n’étaient pas contestés par Mme Mulhern et les représentants du syndicat. Le tribunal devait donc accepter que la preuve indiquait que Mme Mulhern n’avait pas fait l’objet de harcèlement dans le lieu de travail.
[93] Enfin, l’avocat de l’appelante considérait que l’argument des intimés que VIA Rail avait permis à Mme Mulhern de ne pas participer à l’enquête de M. Cyr était inexact et qu’aucune preuve ne l’appuyait.
Analyse
A) Appel visant les deux instructions de l’agent de SST Gallant datées du 29 juin 2012 - (No de dossier du TSSTC : 2012-51, le « premier appel »)
[1] Première instruction émise en vertu du paragraphe 145(2), « protéger toute personne contre le danger »
[94] La première instruction visée par l’appel a été émise après que Mme Mulhern a invoqué le droit de refuser de travailler dans une situation constituant un danger, en vertu de l’article 128 du Code. Après avoir constaté un danger, un agent de SST doit en vertu du paragraphe 129(6) émettre une instruction en vertu du paragraphe 145(2) exigeant que l’employeur prenne des mesures pour « corriger la situation (...) [ou] protéger les personnes contre ce danger ».
[95] Le paragraphe 128(1) décrit les cas dans lesquels un employé peut exercer son droit de refuser de travailler, comme suit :
128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :
(a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
(b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
(c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.
[Soulignement ajouté]
[96] La question que je dois trancher en l’espèce est de savoir si, au moment du refus de travailler, l’appelante était exposée à un danger au sens où l’entend ce terme au paragraphe 122(1) du Code, qui se lit comme suit :
« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats —, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
[97] Si je juge qu’il n’existait pas de danger au moment du refus, l’instruction n’aurait pas de fondement et devrait être écartée. Si je juge qu’il existait un danger, je dois établir si elle est suffisamment précise au sujet des mesures ou des résultats pour que l’employeur puisse la mettre en œuvre.
[98] Les circonstances qui ont mené au refus de travailler de Mme Mulhern le 14 juin 2012 font en sorte qu’il faut se demander si le comportement de ses collègues de travail peut constituer une « situation » dans le lieu de travail constituant un danger. La preuve comprenait de nombreux incidents que les intimés appelaient des « commentaires harcelants » à son endroit en raison de l’adaptation accordée par son employeur à la suite d’une blessure au travail qu’elle avait subie en août 2001, qui faisait en sorte qu’elle ne pouvait exécuter certaines tâches. Le représentant des intimés mentionnait en fait du harcèlement ou de la violence psychologiques continuels pendant plusieurs années. Avant d’étudier la preuve présentée à ce sujet pour établir si cette description des événements est fondée, je dois d’abord vérifier si, en général, ce type de situation est prévu à l’article 128 et peut constituer une « situation [...] susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade ». L’appelante a observé que les méfaits que le Parlement visait en adoptant l’article 128 étaient ceux causés par une défaillance dans le lieu de travail, qu’elle soit de nature structurale, mécanique ou électrique ou liée à la qualité de l’air, mais pas le harcèlement allégué.
[99] La jurisprudence antérieure avait tendance à considérer que le mot anglais « condition » qui se trouve à l’alinéa 128(1)b) et dans la définition de « danger » et correspondant au concept de « situation » dans la version française, vise des situations liées uniquement au lieu de travail matériel ou physique, ce qui excluait donc toutes les situations liées aux relations interpersonnelles, comme celles alléguées dans la présente affaire (voir Gualtieri c. Conseil du Trésor [Affaires étrangères et Commerce international)].
[100] Toutefois, dans la décision Tremblay, l’agent d’appel a conclu que la définition de « situation » était assez large pour comprendre les situations interpersonnelles et les conflits lorsqu’elles sont susceptibles de causer une blessure ou une maladie à un employé. Il fondait ses conclusions principalement sur les modifications apportées à la partie II du Code en 2000, qui, à son avis, élargissaient l’application du Code et la protection offerte aux employés.
[101] De même, dans la décision Tench, l’agent d’appel a adopté une interprétation semblable. Elle considérait que les allégations de harcèlement et de discrimination étaient des situations pouvant répondre à la définition de danger, s’il est établi que ce harcèlement ou cette discrimination a une incidence sur la santé mentale de l’employé. À son avis, le mot « situation » dans la définition de danger dans la Code peut être interprété afin d’y inclure toutes les situations qui, au travail, peuvent avoir une incidence sur le fonctionnement ou l’existence d’un employé, si les conséquences de ces gestes peuvent nuire à la santé mentale de l’employé.
[102] Dans l’arrêt Tryggvason, l’agent d’appel en est arrivé à la même conclusion et a accepté la notion présentée dans les deux affaires susmentionnées, soit que les situations comprenant des allégations de harcèlement ou de discrimination peuvent être une « situation » constituant un danger pour un employé. Au paragraphe 66 de cette décision, l’agent d’appel affirme ce qui suit :
[66] Je partage l’opinion de mes collègues dans ces deux décisions et je considère donc que le danger allégué soulevé par l’appelante dans cette affaire, soit le harcèlement et la discrimination au travail allégués et l’intimidation alléguée de la part de ses collègues, constituent des situations visées par la définition de danger énoncée au paragraphe 122(1), lorsque ces actes ont des répercussions sur la santé mentale de l’employée.
[103] L’agent d’appel poursuit en parlant de la nécessité de répondre aux autres exigences de la définition de « danger », que j’aborderai plus tard.
[104] Je crois qu’il est difficile d’être en désaccord avec l’interprétation des dispositions du Code à laquelle les agents d’appel ont eu recours dans les affaires susmentionnées. L’argument de l’appelante constitue à mon avis une interprétation trop étroite de ces dispositions. Le représentant des intimés a souligné que l’objet de la partie II du Code et la nécessité d’interpréter ses dispositions de façon juste et libérale sont conformes au caractère réparateur de la loi, qui vise à prévenir les accidents, les blessures et les maladies causées par le travail avant qu’ils surviennent. Je suis d’accord avec cette déclaration. Je ne trouve aucun motif valable dans la formulation large du paragraphe 128(1) ni dans la définition de « danger » pour conclure qu’il faut exclure les situations de harcèlement des sources potentielles de danger pour un employé.
[105] Cependant, l’appelante va plus loin et allègue que, depuis l’entrée en vigueur de la partie XX du RCSST (Prévention de la violence dans le lieu de travail) en 2008, les employés n’ont plus le droit de présenter un refus de travailler en vertu de l’article 128. On a argüé que la procédure de nomination d’une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3) du RCSST pour vérifier les allégations de harcèlement ou de violence est devenue le seul recours à la disposition des employés dans ces circonstances en raison de cette promulgation. Les dispositions pertinentes de la partie XX du RCSST se lisent comme suit :
20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.
20.9 (2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais.
20.9 (3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.
[106] Selon les observations de l’appelante, cette procédure est plus pertinente, mais elle est aussi le seul recours dans les situations de danger ou constituant un risque causé par le harcèlement ou la violence dans le lieu de travail.
[107] Je ne suis pas d’accord avec cet argument. J’analyserai l’article 20.9 plus en détail lorsque j’aborderai la deuxième instruction de l’agent de SST Gallant. Je dirais simplement pour l’instant qu’il faudrait que je découvre une présentation très claire de l’intention du Parlement pour me convaincre que la promulgation de la partie XX a fait en sorte d’exclure l’application de l’article 128 lorsque la situation est couverte par la partie XX. Il existe en effet des similitudes frappantes entre la définition de « danger » à l’article 122 du Code et celle de « violence dans le lieu de travail » présentée à l’article 20.2 du RCSST. Il va de soi que le droit qu’accorde l’article 128 aux employés leur permettant de retirer leurs services s’ils pressentent un danger est et a été l’un des piliers de la structure de protection des employés décrite en vertu du Code. La proposition de l’appelante signifie que, dans une situation de violence dans le lieu de travail, les employés seraient privés d’une protection fondamentale, alors qu’ils en ont peut-être le plus besoin. Cette interprétation nous amène à un résultat inacceptable qui ne respecte pas les objectifs du Code.
[108] À mon avis, le droit décrit à l’article 128 et la procédure décrite au paragraphe 20.9(3) ne sont pas mutuellement exclusifs, mais plutôt des processus en simultané. Dans l’arrêt Société canadienne des postes (Re), 2011 CCRI 592, le CCRI devait établir si l’employé plaignant avait en réalité exercé un droit en vertu du Code, soit le droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 dans le but de se protéger contre les représailles en vertu des articles 133 et 147 du Code. Le CCRI a présenté les commentaires suivants aux paragraphes 76, 86 et 87 :
[76] Le contexte global de la présente affaire convainc le Conseil que, bien que M. Grolla eût manifestement des préoccupations quant à sa sécurité en raison des commentaires allégués de ses collègues de travail, il a sciemment tenté d’obtenir plusieurs mesures de redressement prévues par la loi, autres que d’un refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code. Parmi ces mesures de redressement, mentionnons une demande fondée sur la LSPAAT, ainsi qu’un renvoi à l’article 33 de la convention collective, portant sur la violence en milieu de travail.
(…)
[86] Le Conseil ne dit pas qu’un employé qui dépose une plainte de violence en milieu de travail ainsi qu’une réclamation à la CSPAAT ne peut pas non plus refuser, de manière valide, de travailler en vertu de l’article 128. Cependant, lorsque toutes les parties concernées concentrent leurs énergies sur une réclamation à la CSPAAT, comme c’était le cas en l’espèce, ainsi que sur la politique de violence en milieu de travail régie par la partie XX du RCSST, cela ne signifie pas automatiquement que les exigences prévues au Code pour un refus de travailler fondé sur l’article 128 avaient aussi été remplies.
[87] Il ne s’agit pas d’une critique envers les parties. Dans des situations telles que des allégations de violence dans le lieu de travail, il semble que le processus prévu à la partie XX du RCSST soit mieux ciblé que celui relatif à un refus de travailler en vertu de l’article 128 du Code.
[Soulignement ajouté]
[109] Le CCRI s’est dit d’avis qu’il existait de nombreuses voies de recours en cas d’allégations de violence dans le lieu de travail, notamment le refus de travailler. Bien que le CCRI suggère qu’il est possible que la partie XX du RCSST offre un processus plus ciblé, il ne va pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un processus exclusif. Je suis d’accord avec cette conclusion. L’avocat de l’appelante a énuméré de nombreux facteurs qui compliquent l’application de l’article 128 dans ce type de circonstances. À mon avis, il faut répondre à ces préoccupations au cas par cas. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’il faut exclure les allégations de harcèlement ou de violence psychologique de la protection de l’article 128, compte tenu de la formulation large de l’article 128 du Code et de la définition de « danger ».
[110] Cela me ramène aux circonstances de la présente affaire qui ont mené au refus de travailler de Mme Mulhern en vertu du paragraphe 128(1) du Code. La définition de « danger » présente ce que je considère comme deux critères avant de pouvoir conclure à l’existence d’un danger : (i) il doit exister une situation; et (ii) cette situation doit être susceptible de causer une blessure ou une maladie à la personne qui y est exposée.
[111] Dans ce cas, la « situation » est fondée sur les commentaires harcelants de ses collègues de travail auxquels Mme Mulhern allègue avoir été exposée. Je note ici que ma tâche n’est pas d’établir si l’intimée avait des motifs raisonnables de croire que la situation dans son lieu de travail l’exposait à un danger et si son refus de travailler était justifié. La seule question à laquelle je dois répondre est si la preuve objective démontre qu’il existait en réalité un danger pour l’intimée le 13 juin 2012 menant inévitablement à l’émission d’une instruction à l’employeur en vertu du paragraphe 145(2) du Code. De plus, la tâche de l’agent d’appel est de prendre cette décision au cours d’un processus de novo, c’est-à-dire en se fondant sur la preuve présentée à l’audience, peu importe si cette preuve avait été présentée ou était à la disposition de l’agent de santé et de sécurité au cours de son enquête.
[112] Pour les motifs décrits ci-dessous, je juge que la preuve présentée n’a pas établi que Mme Mulhern ait été exposée à un danger au moment de son refus de travailler le 14 juin 2012.
[113] J’ai décrit assez en détail dans la présente décision la preuve présentée à l’audience au sujet des circonstances du refus et je mentionnerai les caractéristiques principales de la preuve pour appuyer mes conclusions. J’examinerai d’abord l’incident qui a mené au refus de travailler. Le 13 juin, Natasha Boudreau, collègue de travail de Mme Mulhern, lui a demandé : « Pourquoi y avait-il trois préposés la semaine dernière et seulement deux aujourd’hui? » L’intimée a été importunée par ce commentaire, qu’elle a interprété comme une suggestion que Mme Boudreau n’aimait pas travailler avec elle en raison de ses limitations physiques. Elle a dit à Mme Boudreau que ce sujet était délicat pour elle et qu’elle devrait en parler avec la direction. Mme Mulhern a expliqué qu’elle était mécontente et qu’elle n’en pouvait plus de la situation. Elle a signalé l’échange à M. Dias et à Mme Duffy. Mme Duffy lui a permis de partir. M. Dias a parlé à Mme Boudreau, qui a dit qu’elle n’avait pas eu l’intention de blesser Mme Mulhern, qu’elle avait simplement posé une question et qu’elle était désolée que cela ait bouleversé Mme Mulhern. Le lendemain, Mme Mulhern s’est présentée au travail et elle a informé Mme Duffy qu’elle refusait de travailler parce qu’elle ne se sentait pas en sécurité. Elle lui a remis une note manuscrite (citée précédemment) et a rempli le formulaire d’enregistrement d’un refus de travailler en alléguant que le [TRADUCTION] « harcèlement physiologique continuel [sic] de mes collègues de travail constitue un danger pour ma santé ». Mme Boudreau ne devait pas travailler le 14 juin 2012.
[114] Cette description de ce qui s’est passé le 13 juin n’établit pas selon moi que la conduite de Mme Boudreau envers Mme Mulhern avait été inappropriée. Elle lui a simplement posé une question qui semblait innocente, et l’intimée en a été bouleversée. La direction s’est occupée du dossier. Je suis d’avis qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que cet incident cause une blessure ou une maladie à Mme Mulhern.
[115] Je comprends bien sûr que le dossier des intimés n’est pas fondé uniquement sur cet incident. Le représentant des intimés a affirmé que l’incident du 13 juin devait être considéré comme le point culminant, si on peut dire, d’une série de commentaires harcelants envers Mme Mulhern depuis plusieurs années. Mme Mulhern mentionnait en effet, dans sa note du 13 juin 2012, d’autres commentaires qu’elle avait entendus et qu’elle percevait comme étant liés au ressentiment de ses collègues de travail envers l’adaptation de ses tâches. Le danger à sa santé était lié à sa peur qu’à tout moment un collègue fasse un tel commentaire et elle sentait qu’elle ne pouvait plus gérer cette situation. La preuve présentée à l’audience portait sur une série d’incidents qui, selon Mme Mulhern, constituaient du harcèlement systématique.
[116] J’ai décrit en détail la preuve portant sur chacun de ces incidents, composée de témoignages à l’audience et des déclarations jointes au rapport de Mme Cantin et les parties ont convenu que je pouvais les considérer comme une preuve véridique. Ces incidents sont survenus en janvier 2009 (Poirier, Leblanc), février 2010 (Pelzmann, Daigle), novembre 2010 (Dufour), décembre 2010 (Thériault, Grenon) et février 2011 (Wells). J’ai lu attentivement les déclarations des collègues de travail de Mme Mulhern. Nul ne conteste le fait que certains commentaires ont été faits à Mme Mulhern au travail ou en sa présence pendant les réunions du syndicat et que ces commentaires portent sur le nombre de préposés, leurs tâches normales et l’incidence de l’adaptation de Mme Mulhern sur leur charge de travail. Les commentaires n’étaient pas toujours présentés directement à Mme Mulhern et étaient plutôt l’expression d’une certaine frustration au sujet du fait que l’employeur ne tenait pas compte de la situation de Mme Mulhern au cours de la dotation. Un certain nombre de ces commentaires ont été signalés à la direction et Mme Duffy a pris ce qu’elle considérait comme une mesure pertinente en fonction de la nature et de la gravité des commentaires. Si on peut dire que certains de ces commentaires font preuve d’un manque de tact envers la situation de Mme Mulhern, ils ne peuvent être appelés du harcèlement ou de l’intimidation. Dans certains cas, comme les incidents « Dufour » ou « Boudreau », la réaction de Mme Mulhern était clairement exagérée selon moi.
[117] À la suite de chaque incident signalé, l’employeur a rencontré le ou les employés impliqués et l’incident ne s’est pas répété. Certains employés ont présenté leurs excuses à Mme Mulhern et étaient désolés qu’elle ait réagi si fortement à ce qu’ils jugeaient, au pire, comme un commentaire causé par leur frustration, sans intention de blesser Mme Mulhern. Je juge que, dans tous les cas où Mme Mulhern a signalé à l’employeur des commentaires qu’elle jugeait inappropriés, l’employeur a fait le suivi en rencontrant individuellement le collègue ou en prenant une autre mesure. Par exemple, le 22 décembre 2010, VIA Rail a envoyé un bulletin rappelant à tous les employés que les commentaires ou les préoccupations au sujet de la capacité d’un employé, ou de son incapacité à effectuer certaines tâches, ne doivent jamais être présentés à l’employé, mais plutôt au superviseur ou au représentant syndical. Mme Mulhern a participé à la rédaction du bulletin et elle s’est dite satisfaite de son contenu. Mme Duffy a fait le suivi (janvier 2011) auprès de Mme Mulhern et de son représentant syndical, M. Walsh, afin d’examiner la situation et Mme Mulhern a convenu qu’elle n’avait pas de plainte au sujet des mesures prises pour régler ses préoccupations par la direction et le syndicat depuis l’entente d’adaptation de décembre 2008. Elle a enjoint Mme Mulhern à demander l’aide de ses amis et de sa famille et à se prévaloir des ressources du programme d’aide aux employés.
[118] La preuve a indiqué que l’employeur a donné de la formation à tous les employés au sujet du harcèlement, de l’intimidation, de la violence dans le lieu de travail et du devoir d’adaptation. Enfin, comme l’agent de SST Gallant l’a observé dans son rapport, l’employeur possède des politiques internes au sujet du harcèlement dans le lieu de travail, des normes de comportement et de la violence dans le lieu de travail, ce qui comprend des processus de plainte, et il a communiqué ces politiques à ses employés. Je juge dans l’ensemble que l’employeur a pris des mesures raisonnables pour gérer les préoccupations de Mme Mulhern au moment où elles ont été portées à son attention. Bien sûr, l’employeur ne peut agir s’il n’est pas informé des incidents ou des conversations entre ses employés. On ne m’a présenté que très peu d’incidents, qui remontaient jusqu’en 2010.
[119] Après avoir examiné attentivement la preuve, je conclus qu’il n’a pas été établi que les événements, individuellement ou collectivement, pouvaient être appelés du harcèlement ou de la violence envers Mme Mulhern et qu’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’ils causent une blessure ou une maladie à l’intimée. Les commentaires sont éparpillés dans une période de trois ans et demi et le dernier incident parmi ceux présentés dans la preuve est survenu en février 2011, environ 18 mois avant le refus. Même s’il y a peu de doutes que Mme Mulhern avait l’impression que ces commentaires constituaient du harcèlement et qu’elle en était bouleversée et affectée, ils ne visaient pas à l’intimider, à la taquiner ou à la blesser. La décision qu’il existe un danger doit être fondée sur une analyse objective des circonstances et de la situation qui est à la base du problème mentionné dans les allégations. Dans la décision Tryggvason, l’agent d’appel a affirmé ce qui suit aux paragraphes 67 à 69 :
[67] Par conséquent, afin de décider si, oui ou non, un danger pour la santé mentale de l’appelante, au sens du paragraphe 128(1) du Code, existait ou était susceptible d’exister au moment où elle a exercé son droit de refuser du travail dangereux, je devrai me demander s’il existe une possibilité raisonnable que la situation alléguée par l’appelante puisse lui causer des blessures ou la rendre malade.
[68] Avant d’évaluer la preuve présentée dans cette affaire relativement à la maladie alléguée, je dois traiter du type de preuve requis dans des cas mettant en cause des troubles psychologiques comme dans l’affaire qui nous occupe, lorsque le danger allégué est personnel et fondé uniquement sur l’expérience subjective d’une personne.
[69] Dans l’affaire Alexander, qui concerne des allégations soulevées par un employé de Santé Canada selon lesquelles il a fait l’objet de traitement raciste et discriminatoire qui a, entre autres, mis sa santé mentale en danger, la vice-présidente de la Commission a indiqué ce qui suit aux paragraphes 33 et 35 :
[33] Lorsque d’autres peuvent observer le danger au travail allégué, il n’est guère difficile de démontrer qu’un danger peut exister. Cependant, si le danger est une expérience individuelle, les arbitres insistent que [sic] l’employé ait une preuve solide pouvant amener d’autres personnes raisonnables, examinant les mêmes circonstances, à conclure que le danger est bel et bien réel. C’est un critère objectif. (Voir Palmer et Palmer dans Collective Agreement Arbitration in Canada, 3e édition, au paragr. 7.17). [Le soulignement est de moi]
[35] De plus, lorsqu’un employé refuse de travailler pour des raisons médicales, comme en l’espèce, il incombe à l’employé de convaincre son employeur, par une preuve documentaire provenant d’un médecin, que le travail en cause est un danger pour la santé (voir United Automobile Workers, Local 636 v. F.M.C. of Canada Ltd., Link-Belt Speeder Division (1971), 23 L.A.C. 234). En d’autres termes, l’employé a la charge de produire une preuve médicale qui étaye son affirmation selon laquelle il y a effectivement un danger. [Le soulignement est de moi]
[120] Cela me ramène à la preuve médicale portant sur l’état de santé de Mme Mulhern présentée à l’audience. Dre Swinamer a affirmé dans son témoignage qu’elle avait diagnostiqué que Mme Mulhern souffrait de dépression depuis 2002 et qu’elle était traitée grâce à des antidépresseurs. Mme Mulhern souffre également de douleur chronique résultant apparemment de la blessure qu’elle a subie au travail en 2001. Les dossiers de Dre Swinamer mentionnent également des problèmes familiaux qui, à son avis, ont contribué à l’état dépressif de Mme Mulhern, tout comme sa douleur chronique. J’observe que Mme Mulhern décrivait ses problèmes de santé et leur incidence sur son bien-être en général dans sa note du 13 juin à Mme Duffy. Je constate que Mme Mulhern n’a pas consulté Dre Swinamer vers le 14 juin, la date de son refus, mais quelques semaines plus tard, soit le 3 juillet 2012.
[121] Je trouve que la preuve n’appuie pas la conclusion que les problèmes de santé de Mme Mulhern sont causés par les incidents dans la preuve. Il n’a pas été établi que ses problèmes de santé sont causés par les commentaires de ses collègues qu’elle perçoit comme harcelants. En fait, j’ai tendance à observer que l’effet combiné des symptômes de dépression et de la douleur chronique de Mme Mulhern mentionnés dans la preuve médicale peuvent expliquer dans une certaine mesure la perception de Mme Mulhern et ses réactions parfois fortes aux commentaires de ses collègues au sujet de ses tâches adaptées, compte tenu de la nature plutôt anodine des commentaires et du contexte dans lequel ils ont été faits. Je peux comprendre qu’il est possible que son état de santé ait influé sur sa perception de ces commentaires. Comme l’a dit Dre Swinamer, il est reconnu que la dépression a une incidence négative sur la vie familiale et professionnelle d’une personne. Même si je tentais de déduire à partir de la preuve que la perception de Mme Mulhern au sujet des commentaires de ses collègues aurait pu nuire à sa santé, il m’est difficile de conclure qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’ils lui causent une blessure ou une maladie, selon une norme objective, comme l’exige le Code. Toute incidence défavorable sur la santé de Mme Mulhern serait à mon avis totalement subjective et causée par sa condition médicale personnelle décrite dans les circonstances de l’affaire qui nous occupe. Cette situation est mieux gérée aux termes de la convention collective et du cadre réglementaire lié à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation pour une personne souffrant d’une incapacité.
[122] Je ne remets pas en doute la sincérité de l’explication de Mme Mulhern au sujet de la façon dont elle se sentait le jour du refus et lors des incidents précédents où des commentaires ont été faits au sujet de la charge de travail des préposés en raison de ses tâches adaptées. Mme Duffy et d’autres personnes ont déclaré qu’elle était visiblement bouleversée par les commentaires qu’elle a signalés. Cependant, il s’agit là de sa réaction subjective aux événements. Sa situation personnelle et professionnelle n’est pas facile et il est évident qu’elle lui a causé du stress. Je répète que je ne dois pas établir si elle avait des motifs raisonnables de croire qu’elle était en danger. Je dois plutôt être convaincu que, compte tenu de tous les faits, elle était objectivement exposée à une situation dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle lui cause une blessure ou une maladie. Je suis incapable d’en venir à cette constatation dans les circonstances de la présente affaire.
[123] Je crois que les commentaires suivants présentés par l’agente d’appel dans l’arrêt Forster c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada) (décision de l’agente d’appel 02-014, 4 juillet 2002) s’appliquent à la présente affaire :
[33] J’ai appris en lisant le rapport de l’agente de santé et de sécurité Ryan et en entendant les témoignages présentés à l’audience qu’une série d’incidents malheureux a eu lieu les 25 et 26 septembre et que ceux-ci ont eu un effet indéniable sur l’état préexistant de Mme Forster, c.-à-d. le stress découlant des relations interpersonnelles. Je reconnais que ces incidents ont été si difficiles à vivre qu’elle a pu sincèrement se croire en danger en travaillant dans un tel climat. Cependant, en dehors de son témoignage à elle, qui était, bien entendu, « subjectif », je n’ai eu aucun élément de preuve, tel qu’un certificat médical, établissant un lien direct de cause à effet entre ces incidents particuliers et la santé de Mme Forster.
[34] J’estime que ces incidents viennent, au fond, d’un problème de relations syndicales existant « de longue date » et je recommande vivement aux deux parties de chercher par tous les moyens disponibles à le résoudre dans le meilleur intérêt possible de l’une et de l’autre.
[35] Pour ces raisons, je confirme la décision d’absence de danger de l’agente de santé et de sécurité Ryan.
[124] L’agent de SST Gallant en est venu à la conclusion que Mme Mulhern était exposée à un danger après une rencontre de quelques heures avec elle et des représentants de la direction. Il fondait sa conclusion principalement sur les explications données par Mme Mulhern et sa description des événements. Il n’a pas parlé aux personnes qui auraient fait des commentaires harcelants à Mme Mulhern pour obtenir leur version de l’histoire et se faire une idée du contexte dans lequel ils ont été faits. Il a fait cette constatation sans preuve médicale. Il a néanmoins conclu que Mme Mulhern faisait l’objet de harcèlement psychologique sans raisonnement ni analyse sérieuse. Il n’a tenu compte que de la peur subjective du danger de Mme Mulhern, sans vérifier s’il existait une situation qui constituait objectivement un danger pour Mme Mulhern dans son lieu de travail. Par conséquent, je suis d’avis que la constatation de danger de l’agent de SST Gallant est sans fondement. Comme je l’ai mentionné précédemment, selon moi, après avoir entendu l’affaire de novo, Mme Mulhern n’était pas exposée à un danger le 14 juin 2012 au sens du Code. Puisque la première instruction de l’agent de SST Gallant est fondée entièrement sur cette constatation erronée, cette instruction doit être annulée. Compte tenu de ma décision, il n’est pas nécessaire d’évaluer si l’instruction était si vague et imprécise qu’elle devait être annulée ou modifiée.
[2] Deuxième instruction émise en vertu du paragraphe 145(1) exigeant la cessation d’une contravention de l’alinéa 125(1)z.16) du Code et du paragraphe 20.9(3) du RCSST
[125] La question soulevée par l’appel de cette instruction est celle de savoir si l’agent de SST Gallant avait raison de juger que les dispositions citées précédemment étaient violées par l’employeur dans les circonstances de la présente affaire. Pour des raisons pratiques, je cite ici les articles du Code et de la partie XX du RCSST qui sont directement pertinents à cette question.
125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,
(…)
z.16) de prendre les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail;
20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.
20.9 (1) Au présent article « personne compétente » s’entend de toute personne qui, à la fois :
a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;
b) a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;
c) connaît les textes législatifs applicables.
(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais.
(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni n’est susceptible de révéler l’identité de personnes sans leur consentement.
(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.
(5) Sur réception du rapport d’enquête, l’employeur :
(a) conserve un dossier de celui-ci;
b) transmet le dossier au comité local ou au représentant, pourvu que les renseignements y figurant ne fassent pas l’objet d’une interdiction légale de communication ni ne soient susceptibles de révéler l’identité de personnes sans leur consentement;
c) met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète.
(6) Les paragraphes (3) à (5) ne s’appliquent pas dans les cas suivants :
a) la violence dans le lieu de travail est attribuable à une personne autre qu’un employé;
b) il est raisonnable de considérer que, pour la victime, le fait de prendre part à la situation de violence dans le lieu de travail est une condition normale de son emploi;
c) l’employeur a mis en place une procédure et des mécanismes de contrôle efficaces et sollicité le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail.
[Soulignement ajouté]
[126] Il incombe de commencer l’analyse par la déclaration de refus. Quels motifs Mme Mulhern a-t-elle invoqués pour justifier son refus de travailler du 14 juin? Elle a mentionné sur le formulaire Enregistrement d’un refus de travailler en cas de danger de [TRADUCTION] « harcèlement physiologique continuel de mes collègues de travail ». J’ai interprété que Mme Mulhern voulait parler de harcèlement « psychologique ». En fait, l’agent de SST Gallant parle de harcèlement psychologique dans le paragraphe de son rapport décrivant sa décision, tout comme le représentant des intimés dans ses observations. Le titre du rapport d’incident du 13 juin 2012 contient le mot « harcèlement » et le rapport décrit ensuite l’incident avec Mme Boudreau. La note manuscrite remise par Mme Mulhern le 14 juin fait mention de « harcèlement », de « harcèlement constant » et de « comportement harcelant ». La décision de l’agent de SST Gallant ne contient pas une longue analyse pour expliquer son cheminement de pensée lui ayant permis de passer des allégations de harcèlement à la constatation qu’il y avait contravention du paragraphe 20.9(3) du RCSST, qui traite de violence dans le lieu de travail. En fait, l’agent de SST Gallant n’a jamais présenté de constatation que Mme Mulhern était victime de violence ou de violence alléguée dans le lieu de travail.
[127] Ces commentaires d’introduction sont importants puisqu’ils portent directement sur les conditions qui amènent l’application des paragraphes 20.9(2) et (3) du RCSST. La partie XX traite de la violence dans le lieu de travail. Elle ne vise pas directement le harcèlement, mais ce concept est pertinent dans le contexte de la partie XX, comme je l’expliquerai. À mon avis, l’agent de SST Gallant ainsi que les représentants des deux parties ont fait erreur en utilisant de façon interchangeable les notions de harcèlement et de violence dans leur analyse des circonstances de la présente affaire. Selon moi, il s’agit de deux concepts différents. Dans la récente décision présentée dans l’arrêt Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2014 TSSTC 1 (je note ici qu’une demande de contrôle judiciaire a été déposée devant la Cour fédérale), l’agent d’appel devait répondre à une question semblable, soit celle à savoir si « des gestes dédaigneux de la main, des roulements des yeux et des paroles méprisantes » de la part d’un gestionnaire envers un employé pouvait appuyer la constatation que l’employeur devait nommer une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3) du RCSST. Il affirme ce qui suit aux paragraphes 60 et 61 :
[60] En appliquant la définition de la violence dans le lieu de travail donnée dans le Règlement aux faits de la présente affaire, j’en suis venu à la conclusion que les allégations de favoritisme, d’humiliation et de comportement impoli formulées par l’employé, comme [TRADUCTION] « des gestes de la main, le roulement des yeux ou des paroles méprisantes » de la part du superviseur à l’endroit de l’employé répondent au premier élément de la définition donnée à l’article 20.2, puisqu’il s’agit d’agissements, de comportement et de gestes. Toutefois, à mon avis, ces allégations ne pourraient pas vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé.
[61] De plus, je suis d’avis que l’intention n’est pas que la définition de violence dans le lieu de travail s’applique à des situations comme celle qui nous occupe, dans laquelle les allégations de l’employé, si elles sont considérées comme véridiques, portent plutôt sur le fait qu’il a senti que le superviseur l’humiliait et lui manquait de respect. La définition vise plutôt des situations où l’employé a peur de subir un préjudice, d’être blessé ou de devenir malade en raison de la conduite d’une autre personne dans le lieu de travail.
[62] Par conséquent, j’estime que les allégations de l’employé, dans l’hypothèse où elles s’avéraient, ne répondent pas à la définition de violence dans le lieu de travail donnée au paragraphe 20.9(3) du Règlement. Puisque la situation ne constitue pas de la violence dans le lieu de travail, je conclus que l’employeur n’avait pas été informé d’une allégation de violence dans le lieu de travail au sens du Règlement. Je juge donc que l’employeur n’était pas obligé de nommer une personne compétente pour qu’elle fasse enquête au sujet des allégations de l’employé.
[128] Je suis d’accord avec l’agent d’appel qu’avant que le paragraphe 20.9(3) du RCSST puisse s’appliquer il faut qu’il y ait eu violence dans le lieu de travail ou de telles allégations. L’article 20.2 définit la violence dans le lieu de travail comme suit : « tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie ». Cette formulation est très semblable à celle utilisée par le Parlement à l’article 122 pour définir « danger », de même qu’à l’analyse qui doit être effectuée pour établir si [TRADUCTION] « il existe une situation dans le lieu de travail susceptible de causer une blessure ou de la rendre malade ». À mon avis, il faut répondre encore une fois à un critère objectif avant de pouvoir conclure qu’il existe réellement une situation de violence dans le lieu de travail au sens de l’article 20.9. Que se passe-t-il s’il n’existe pas de telle situation? Je crois qu’on en vient alors à la clôture du dossier et que la partie XX cesse de s’appliquer.
[129] La preuve a-t-elle établi que Mme Mulhern avait été victime de violence dans le lieu de travail dans cette affaire? En bref, la réponse est non. L’employeur n’était donc pas tenu de nommer une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3) du RCSST. J’explique ma conclusion dans les paragraphes qui suivent.
[130] Tout d’abord, je ne peux considérer les incidents décrits dans la preuve comme des agissements, des comportements, des menaces ou des gestes au sens de l’article 20.2. Sans m’étendre sur mes conclusions au sujet du caractère des incidents présentés dans la preuve, je dirai simplement que j’ai trouvé qu’il s’agissait dans cette affaire de moments où des collègues de travail ont exprimé des préoccupations et du mécontentement au sujet de l’incidence de l’adaptation des tâches de Mme Mulhern sur leur propre charge de travail. Les commentaires étaient parfois exprimés à l’intention de Mme Mulhern, parfois non, et ils ne visaient pas à l’humilier ou à l’embarrasser ni à lui causer du tort. Les incidents présentés dans la preuve étaient éparpillés sur une période de trois ans et demi. Ensuite, si je me trompe au sujet du fait que de tels commentaires ne constituent pas des agissements, des comportements, des menaces ou des gestes, je suis d’avis que le deuxième élément de la définition, soit l’exigence que ces agissements, comportements, menaces ou gestes « pourraient vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie », n’est pas présent, essentiellement pour les mêmes raisons qui m’ont poussé à conclure qu’il n’existait pas de « danger ». J’interprète la formulation de l’article 20.2 comme une exigence que l’existence de la violence dans le lieu de travail alléguée doit être établie selon une norme objective. L’analyse doit donc être effectuée selon le point de vue d’une personne raisonnable, qui conclurait objectivement que les agissements, comportements, menaces ou gestes faisant l’objet de la plainte pourraient vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à un employé. L’idée est la même dans les versions française et anglaise du RCSST.
[131] Par conséquent, selon le caractère que j’ai attribué aux commentaires mentionnés par Mme Mulhern, je juge qu’ils ne constituent pas selon moi de la violence au sens de l’article 20.2 du RCSST. Étant arrivé à cette conclusion, je pourrais m’arrêter et annuler l’instruction parce qu’elle n’a aucun fondement juridique.
[132] Toutefois, je dois aller un peu plus loin et répondre à l’argument des intimés fondé sur la formulation du paragraphe 20.9(2). Le représentant des intimés a mis beaucoup l’accent sur l’incidence combinée des paragraphes 20.9(2) et (3) du RCSST : le paragraphe 20.9(2) parle non seulement de violence dans le lieu de travail réelle, mais aussi de toute allégation d’une telle violence. Dans ses observations, lorsqu’il y a allégation de violence dans le lieu de travail — en présumant que les allégations de harcèlement sont synonymes à la violence dans le lieu de travail, ce que j’ai déjà rejeté — si la situation n’est pas réglée après que l’employeur a tenté de « régler la situation à l’amiable » avec l’employé, l’employeur est tenu de nommer une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3). Autrement dit, l’intimé interprète les mots « la situation n’est pas ainsi réglée » pour y inclure un différend entre l’employé et l’employeur au sujet de l’existence d’une situation de violence dans le lieu de travail, peu importe si c’est le cas. Selon cette interprétation, la personne compétente viendrait alors faire enquête afin d’en venir à une conclusion dans le dossier, soit s’il y a eu ou non violence dans le lieu de travail, et de présenter des conclusions et des recommandations.
[133] Je n’interprète pas les paragraphes 20.9(2) et (3) de cette façon pour les raisons suivantes. Pour mieux comprendre l’objectif de ces dispositions, il est bon de revoir ce qui est décrit à la partie XX, soit la partie où elles se trouvent. La partie XX impose de nombreuses obligations à l’employeur. La première est celle d’élaborer une politique complète en matière de prévention de la violence dans le lieu de travail (article 20.3). La politique doit être le reflet de l’obligation de l’employeur d’offrir un lieu de travail sécuritaire, sain et exempt de violence. Elle doit également mentionner l’obligation de l’employeur d’affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail. Ces facteurs comprennent l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux et agressifs (20.3b)). L’employeur doit communiquer aux employés les renseignements en sa possession au sujet de ces facteurs. Enfin, la politique doit insister sur le fait que l’employeur doit aider les employés qui ont été exposés à la violence dans le lieu de travail. La partie XX exige aussi que l’employeur identifie les facteurs contribuant à la violence dans le lieu de travail (article 20.4) et effectue une évaluation des possibilités de violence dans le lieu de travail (article 20.5). Il doit ensuite concevoir et mettre en place des mécanismes de contrôle systématiques afin de prévenir la violence dans le lieu de travail et de la réprimer (article 20.6) et évaluer périodiquement l’efficacité de ces mesures (article 20.7). Enfin, il doit élaborer une procédure de notification d’urgence en réponse à la violence dans le lieu de travail et la communiquer à ses employés.
[134] En revoyant ces dispositions, je souhaitais démontrer que, partout dans la partie XX, le législateur distingue la violence dans le lieu de travail des facteurs pouvant y contribuer. Bien que les facteurs mentionnés parmi ceux qui contribuent à la violence au paragraphe 20.3b) puissent être considérés comme du harcèlement au sens où on l’entend généralement, ils ne constituent pas automatiquement de la violence au sens de l’article 20.2. La théorie que la partie XX, et particulièrement le paragraphe 20.9(3), porte sur le harcèlement et la violence et l’utilisation de ces concepts de façon interchangeable est donc incorrecte, selon moi.
[135] En quoi l’article 20.9 est-il pertinent dans cette structure globale et quel est son objectif? J’en comprends que le processus prévu dans cet article porte sur la réponse aux situations de violence réelle dans le lieu de travail. Je suis d’avis qu’il ne porte pas sur l’examen des facteurs pouvant contribuer à la violence dans le lieu de travail. Bien que le plan des articles 20.1 à 20.8 vise la prévention, l’article 20.9 a un objectif de réparation. Il offre une voie de recours pour les employés qui ont fait l’objet de violence dans le lieu de travail afin que l’employeur gère cette situation de la bonne façon. Compte tenu de cet objectif, le paragraphe 20.9(2) envisage deux possibilités : l’employeur a connaissance de violence dans le lieu de travail ou a connaissance d’une « allégation » de violence dans le lieu de travail. Dans le premier scénario, l’employeur est au courant d’une situation de violence, il en a par exemple été témoin, et il doit régler la question avec l’employé aussitôt que possible. J’interprète le mot « régler » de sorte qu’il doit trouver une réponse visant à s’assurer que la violence à laquelle l’employé a été exposé ne se reproduise pas. Ces mesures portent probablement sur le caractère adéquat des contrôles, la formation, l’environnement de travail, etc.
[136] Dans le second scénario, l’employeur a connaissance de la violence en raison d’une allégation qu’elle a eu lieu. L’employeur doit régler la question avec l’employé impliqué de la même façon. Je dois souligner que la disposition ne veut pas nécessairement dire que c’est la victime de la violence qui présente l’allégation; toute personne qui en est témoin peut le faire. Puisque l’employeur n’a pas été directement témoin de la violence dans le lieu de travail dans un tel scénario, le processus de résolution doit raisonnablement comprendre, selon moi, la nécessité d’établir s’il y a vraiment eu violence dans le lieu de travail. Cela peut être fait sommairement par la direction si les faits sont assez simples. Dans les situations plus complexes, l’enquête peut être plus longue, comme celles prévues dans les politiques portant sur la prévention du harcèlement dans le lieu de travail, par exemple. Si les faits permettent d’établir qu’il y a eu violence dans le lieu de travail, l’employeur doit régler la situation, comme je l’ai déjà décrit. Dans les deux scénarios, il faut comprendre que le règlement de « la situation » signifie résoudre « la situation de violence dans le lieu de travail » et non le fait qu’il y a eu ou non allégation de violence dans le lieu de travail, et encore moins de harcèlement dans le lieu de travail.
[137] Passons maintenant au paragraphe 20.9(3). Quelle est l’incidence de la formulation « Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation [...] »? À mon avis, elle est conforme au plan décrit précédemment pour l’interprétation des mots « la situation » au sujet de la violence dans le lieu de travail réelle. Selon moi, il ne s’agit pas ici d’un différend ni d’un débat à savoir si une situation particulière constitue ou non de la violence dans le lieu de travail. Il est révélateur que le législateur n’utilise pas les mots « allégation de violence dans le lieu de travail » au paragraphe 20.9(3). Cela m’amène à conclure que le but de l’enquête n’est pas d’établir si oui ou non il y a eu de la violence dans le lieu de travail, mais plutôt d’examiner la situation qui constitue de la violence dans le lieu de travail et de présenter des recommandations à l’employeur, dans les cas où un employé n’est pas convaincu du caractère adéquat des mesures prises par l’employeur pour gérer la violence dans le lieu de travail dont il a fait l’objet. J’insiste également sur le fait que le devoir de la personne compétente décrit à la version anglaise du paragraphe 20.9(4) est de faire enquête sur « the work place violence » (« la violence dans le lieu de travail »), formulation utilisée dans tout l’article et conforme à mon interprétation qu’il faut qu’il existe une situation de violence dans le lieu de travail avant que le paragraphe 20.9(3) puisse s’appliquer.
[138] Bien sûr, si l’employeur a tort en évaluant que la situation ne constitue pas de la violence dans le lieu de travail, l’employeur contrevient au paragraphe 20.9(3). Un agent de SST convoqué afin d’inspecter le lieu de travail s’il existe un tel désaccord aurait alors raison d’ordonner à l’employeur de se conformer au paragraphe 20.9(3) et de nommer une personne compétente afin de mener une enquête sur la violence dans le lieu de travail. Il n’y a qu’une seule exception, soit si l’employeur est dispensé en vertu du paragraphe 20.9(6) du RCSST. J’aimerais parler un moment de l’application de la dispense. Je n’accepte pas l’argument de l’appelante que le paragraphe 20.9(6) dispenserait VIA Rail de l’obligation de nommer une personne compétente dans cette affaire parce qu’elle a mis en place une procédure et des mécanismes de contrôle efficaces et sollicité le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail. Le paragraphe 20.9(6) doit être pris dans son ensemble et les trois éléments du paragraphe, joints par la conjonction « and » dans la version anglaise », doivent être satisfaits pour que la dispense s’applique. En général, cette disposition ne s’applique que dans les environnements de travail comme les établissements correctionnels ou les entreprises de véhicules blindés, entre autres. Autrement dit, je tiens à préciser que, si j’avais jugé que Mme Mulhern avait bien été exposée à de la violence dans le lieu de travail, VIA Rail n’aurait pas été dispensée et aurait dû nommer une personne compétente dans les circonstances.
[139] Pour en revenir à l’interprétation des paragraphes 20.9(2) et (3), je suis d’accord avec l’analyse de l’agent d’appel dans l’arrêt Agence canadienne d’inspection des aliments lorsqu’il affirme aux paragraphes 63 à 65 :
[63] L’agente de SST Penner et l’intimé semblent s’entendre pour affirmer que, si l’employé affirme que sa plainte porte sur la violence dans le lieu de travail, ce que l’employé a fait par la suite, et qu’il fait valoir la partie XX du Règlement, l’obligation de nommer une personne compétente s’applique. Selon l’interprétation du Règlement adoptée par l’intimée, la nomination d’une personne compétente pour faire enquête au sujet d’une plainte est obligatoire lorsque l’employé considère que sa plainte porte sur la violence dans le lieu de travail, peu importe l’opinion de l’employeur au sujet des allégations de bonne foi de l’employé.
[64] Selon une interprétation raisonnable du Règlement, je suis d’avis que, lorsqu’il reçoit une allégation de violence dans le lieu de travail d’un employé comme dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur a le droit d’examiner l’allégation pour savoir si elle répond à la définition de violence dans le lieu de travail au sens du Règlement, auquel cas le processus présenté à la partie XX du Règlement doit être suivi.
[65] Au contraire, si les allégations de l’employé ne portent pas sur une situation de violence dans le lieu de travail ou n’en constituent pas, la partie XX du Règlement ne s’applique pas. Dans ce cas, l’employeur peut choisir de traiter la question en suivant d’autres mécanismes ou politiques plus pertinents pour cette situation. Dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur a choisi d’appliquer sa Politique relative à la prévention et au règlement du harcèlement et de la violence en milieu de travail et le directeur régional a procédé à l’examen initial de la plainte.
[Soulignement ajouté]
[140] Dans un monde idéal, ces dispositions auraient certainement pu être rédigées plus clairement. Les mots « la situation » et « la situation n’est pas ainsi réglée » sont pour le moins imprécis, l’objectif de l’enquête n’est pas clairement indiqué et la nature des conclusions et des recommandations devant résulter de l’enquête n’est pas précisée, ce qui crée une certaine ambiguïté. En regardant la structure de cette partie, je suis d’avis que les conclusions et les recommandations de la personne compétente pourraient porter sur des questions comme le caractère adéquat des mesures de contrôle, les procédures de notification d’urgence, l’aide fournie à l’employé exposé à la violence, les corrections devant être apportées à l’environnement de travail, la réévaluation des facteurs qui ont contribué à la situation de violence, etc. Autrement dit, elles doivent porter sur les questions dont l’employeur doit tenir compte dans sa politique de prévention de la violence dans le lieu de travail. Le paragraphe 20.9(5) mentionne en effet ce que l’employeur doit faire après la réception du rapport d’enquête de la personne compétente : « [l’employeur] met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète ».
[141] Par conséquent, le processus envisagé au paragraphe 20.9(3) du RCSST est fondé sur la conclusion qu’il y a vraiment eu une situation de violence dans le lieu de travail. À mon avis, il s’agit de « la situation » mentionnée sur laquelle la personne compétente doit faire enquête au sens de ce paragraphe. J’ai bien de la difficulté à accepter la proposition qu’une allégation de violence dans le lieu de travail qui n’est pas réglée, du point de vue de l’employé, peu importe s’il y a bien eu violence objectivement, est suffisante pour exiger qu’une personne compétente soit nommée. Cela n’est pas conforme à ce que je comprends du but du processus d’enquête par une personne indépendante et impartiale et risque de banaliser les droits et obligations importants qui se trouvent dans la partie XX du RCSST. Je partage l’opinion de l’agent d’appel dans l’arrêt Agence canadienne d’inspection des aliments, au paragraphe 66 :
[66] De plus, je suis d’accord avec l’argument de l’appelante que, si l’employeur ne peut pas entreprendre un examen initial de la plainte pour savoir si la partie XX s’applique, cela mènerait à la nomination obligatoire d’une personne compétente pour faire enquête au sujet de plaintes qui ne répondent de toute évidence pas à la définition de violence dans le lieu de travail au sens du Règlement. À mon avis, l’intention législative ne pouvait être d’obliger les employeurs à nommer une personne compétente pour faire enquête au sujet de chacune des plaintes si l’employé dit qu’il s’agit de violence dans le lieu de travail ou mentionne la partie XX du Règlement.
[142] En résumé, je conclus que Mme Mulhern n’a pas présenté une allégation de « violence dans le lieu de travail » au sens de l’article 20.2 et du paragraphe 20.9(2) du RCSST. Il s’agit d’une allégation de harcèlement perçu de la part de ses collègues de travail. De plus, les faits de cette affaire n’établissent pas que Mme Mulhern a été victime de « violence dans le lieu de travail » au sens de la partie XX. La preuve démontre que, à l’occasion, les collègues de travail de Mme Mulhern ont fait des commentaires au sujet de leur charge de travail à titre de préposés en raison des tâches adaptées de Mme Mulhern. En général, les commentaires n’étaient pas objectivement agressifs ni menaçants et ne constituaient pas de l’intimidation. Chaque fois que des commentaires ont été signalés, l’employeur ne les ignorait pas; il rencontrait les employés impliqués et les informait de la situation de Mme Mulhern. L’employeur a donné de l’aide à Mme Mulhern pour qu’elle puisse gérer ses difficultés et sa réactivité au fil des ans. Bien que j’accepte le fait que Mme Mulhern ait pu être parfois profondément bouleversée et affectée par les commentaires de ses collègues de travail, à juste titre ou non, ils ne constituent pas objectivement de la violence dans le lieu de travail. Par conséquent, l’employeur n’était pas tenu de nommer une « personne compétente » pour mener une enquête en vertu du paragraphe 20.9(3) du RCSST. Il ne peut donc pas y avoir contravention de l’alinéa 125(1)z.16) du Code et du paragraphe 20.9(3) du RCSST, contrairement à la conclusion de l’agent de SST Gallant. Pour toutes ces raisons, je suis d’avis que la deuxième instruction émise par l’agent de SST Gallant n’est pas fondée et doit être annulée.
B) Appel visant le rapport de l’agent de SST Tingley daté du 2 octobre 2012 - (No de dossier du TSSTC : 2012-72, le « deuxième appel »)
[143] Beaucoup de preuves et d’arguments ont été présentés au sujet des circonstances menant à l’intervention de l’agent de SST Tingley le 12 septembre 2012. L’appelante a aussi présenté de nombreuses préoccupations au sujet du rapport de l’agent de SST Tingley et de la façon dont il a géré le dossier après qu’on lui a demandé de faire enquête au sujet du refus de travailler de Mme Mulhern du 12 septembre 2012. Les circonstances ayant mené à l’intervention de l’agent de SST Tingley soulèvent effectivement de nombreuses questions, notamment si le refus de Mme Mulhern de participer à l’enquête de M. Cyr était justifié, si la contestation par un employé des qualifications d’une personne compétente nommée par l’employeur en vertu du paragraphe 20.9(3) du RCSST peut viser uniquement l’impartialité de cette personne, la mesure dans laquelle l’employeur doit prouver à l’employé les qualifications de la personne nommée à titre de personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(3), si M. Cyr satisfaisait objectivement à ces exigences, et si Mme Mulhern était « au travail » lorsqu’elle a exercé le 12 septembre 2012 son droit de refuser de travailler en raison de l’existence d’un danger.
[144] Cependant, avant d’analyser ces questions, je dois évaluer s’il s’agit bien d’un appel visant une instruction, au sens de l’article 146 du Code. Ces questions ne tombent évidemment pas dans la portée du premier appel, puisque les événements sont survenus après le moment où l’agent de SST Gallant a émis ses instructions. La compétence conférée à l’agent d’appel en vertu du paragraphe 146.1(1) du Code me donne le mandat de mener une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à l’instruction et sur la justification de celle-ci. Elle ne m’accorde pas le droit de décider si l’employeur s’est conformé à une instruction. Les questions que j’ai indiquées précédemment portent donc uniquement sur le second appel.
[145] Il est bien établi qu’un agent d’appel ne peut être saisi que d’un appel à l’encontre d’une instruction émise en vertu des paragraphes 145(1) ou (2) du Code ou d’un appel par un employé d’une décision au sujet de l’absence de danger en vertu du paragraphe 129(7) du Code. Se reporter aux décisions : SCFP c. Air Canada (décision no 02-004, 18 avril 2002), confirmée par Sachs et al. c. Air Canada, 2006 CF 673; Securicor Canada Limitée c. Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA Canada), section locale 114 (décision de l’agent d’appel no 04-023, 23 juillet 2004); Laroche c. Travailleurs et travailleuses canadiens de l’automobile (décision de l’agent d’appel no 04-002, 12 février 2004); Gouveia c. Canadien national (CN) (décision no 04-003, 23 février 2004); D. C. Noon-Ward c. Service correctionnel du Canada (décision no 04-022, 20 juillet 2004).
[146] Cette dernière situation ne s’applique pas dans l’affaire qui nous occupe parce que l’employeur est l’appelante. Comme je l’ai déjà indiqué dans les présents motifs, j’ai demandé aux parties si le deuxième appel porte sur une instruction. Sinon, la question s’arrête ici et l’appel doit être rejeté. Il s’agit d’une question à trois volets à laquelle il faut répondre avant d’évaluer le bien-fondé de l’appel. Dans l’affaire SCFP c. Air Canada, l’agent d’appel a rejeté l’appel dans une situation où l’agent de SST a décidé de ne pas émettre une instruction et d’accepter plutôt une promesse de conformité volontaire (PCV) de l’employeur que la contravention au Code serait réglée. Dans cette affaire, le syndicat contestait cette décision et affirmait que l’enquête était déficiente et violait les principes fondamentaux de justice naturelle. L’agent d’appel a conclu au paragraphe 51 :
[51] Néanmoins, malgré mes efforts, je ne peux me convaincre que le Code autorise implicitement les agents d’appel à réviser la décision d’un agent de santé et de sécurité de ne pas donner d’instruction, que l’enquête soit ou non teintée de partialité ou fondamentalement erronée. C’est à regret que je conclus que je ne possède pas les compétences nécessaires [sic] pour entendre cet appel, et le dossier est maintenant clos.
[147] La question est donc la suivante : les extraits du rapport de l’agent de SST Tingley cités au début de la présente décision peuvent-ils être interprétés comme des instructions émises en vertu des paragraphes 145(1) ou (2)? L’avocat de l’appelante a affirmé que le rapport de l’agent de SST Tingley présente les caractéristiques d’ordonnances obligatoires, auxquelles l’employeur s’est senti obligé de se conformer, et que cela constituait des instructions en vertu du Code. Il a observé que nous devions tenir compte du contenu plutôt que de la forme de l’instruction.
[148] La décision au sujet du fait que le rapport de l’agent de SST Tingley constitue une instruction est une question de fait fondée sur l’évaluation des circonstances de l’intervention de l’agent de SST Tingley et de la preuve présentée à l’audience. L’agent de SST Tingley a témoigné à l’audience à propos de ses actions et de la façon dont il a abordé le dossier. J’accorde beaucoup d’importance aux explications de l’agent de SST Tingley puisqu’il est selon moi la personne la mieux placée pour décrire et caractériser sa propre intervention, le 12 septembre 2012.
[149] Dans son témoignage, l’agent de SST Tingley a réitéré sa déclaration qu’il n’avait pas émis d’instruction à l’intention de l’employeur à la suite de son intervention dans le lieu de travail ce jour-là. Il a expliqué que, dès qu’il a compris que la situation était liée au refus initial dont s’était occupé son collègue, l’agent de SST Gallant quelques mois auparavant, il n’a pas voulu interférer dans le dossier en cours. Il a répété qu’il n’avait pas mené d’enquête en vertu du paragraphe 129(1) du Code et qu’il n’avait pas rendu de décision au sujet de l’existence d’un danger pour Mme Mulhern ce jour-là. De plus, il n’avait même pas l’intention d’écrire un rapport ni de confirmer quoi que ce soit par écrit, alors qu’il savait très bien qu’il aurait dû le faire s’il avait rendu une décision au sujet de l’existence d’un danger ou émis des instructions. Ce n’est que lorsque Mme Duffy a communiqué avec lui au sujet de son rapport et a demandé qu’il le rédige qu’il a préparé le rapport résumant son intervention et l’a ensuite envoyé aux parties. Il a délibérément changé le titre du rapport par rapport au modèle de « Rapport d’enquête et décision » utilisé couramment par les agents de SST (voir par exemple le rapport de l’agent de SST Gallant) et l’a appelé [TRADUCTION] « Rapport d’intervention », puisque cela est conforme au rôle qu’il a dit avoir joué lorsqu’il a rencontré les parties dans le lieu de travail.
[150] Son rapport affirmait qu’il avait conseillé les parties et non qu’il leur avait donné un ordre ou une obligation, ce qui est la formulation plus courante dans le cas d’une instruction obligatoire. La formulation des conseils et des recommandations dans son rapport est bien différente de celle utilisée par l’agent de SST Gallant et les agents de SST en général lorsqu’ils émettent des instructions à l’employeur. Je suis d’accord que la forme d’une instruction n’est pas une indication en soi, mais je crois qu’il s’agit d’un facteur dont il faut tenir compte en plus d’autres preuves contextuelles pour répondre à la question à savoir si l’agent de SST avait l’intention d’émettre une instruction. Enfin, les notes de Mme Haché-Lawlor au sujet de la rencontre appuient la description de l’intervention de l’agent de SST Tingley; elle mentionne le fait que l’agent de SST Tingley a conseillé les parties et présenté quelques recommandations, que les parties ont accueillies favorablement.
[151] Je ne peux m’empêcher de commenter qu’il existe bien une certaine confusion, peut-être même une contradiction, entre le rapport de l’agent de SST Tingley et son témoignage au sujet du fait qu’il considérait le refus du 12 septembre comme un nouveau refus plutôt que le maintien d’un refus. Son rapport mentionne qu’on lui avait demandé de se rendre sur le lieu de travail pour [TRADUCTION] « faire enquête au sujet du maintien du refus ». Il a expliqué à l’audience que les mots « maintien du refus » font référence au paragraphe 128(13), qui affirme que l’employé peut maintenir son refus (voir la note en marge de ce paragraphe dans le Code) après que l’employeur a fait enquête sur le refus en vertu du paragraphe 128(10). À juste titre ou non, il a affirmé qu’à son avis l’employeur n’avait pas effectué une telle enquête au sujet du refus de travailler existant et qu’il n’avait donc pas la compétence d’agir en vertu de l’article 129 puisque l’enquête de l’employeur en présence d’un représentant du comité de santé et de sécurité est une condition préalable à la participation d’un agent de SST au dossier. Le rapport de l’agent de SST Tingley suit cette explication. Il y explique à la page 4 : « il s’agit d’un nouveau refus et il faut faire enquête conformément à l’article 128 du Code canadien du travail ». Néanmoins, Mmes Duffy et Haché-Lawlor ont toutes deux témoigné que l’agent de SST Tingley leur avait mentionné pendant la rencontre du 12 septembre que [TRADUCTION] « cela ne serait pas considéré comme un nouveau refus parce que le précédent n’avait pas été finalisé », puisque l’enquête d’une personne compétente ordonnée par son collègue n’avait pas encore eu lieu.
[152] Les mots [TRADUCTION] « nouveau », [TRADUCTION] « maintien » et [TRADUCTION] « enquêtes » dans les circonstances de l’affaire qui nous occupe ont évidemment causé une certaine confusion. L’agent de SST Tingley a expliqué qu’il considérait que sa présence constituait une intervention de consultation et qu’il avait agi à titre de facilitateur pour aider les parties à régler l’impasse dans laquelle elles se trouvaient à ce moment au sujet de la mise en œuvre de l’instruction de l’agent de SST Gallant. Il a mentionné dans son témoignage que, lorsqu’il est parti après la rencontre, il considérait que les parties avaient bien réglé l’impasse et qu’elles mettraient en œuvre ce qu’elles avaient convenu de faire pendant la rencontre. Je ne doute pas des bonnes intentions de l’agent de SST Tingley, mais j’insiste sur l’importance que l’agent de SST soit très clair au sujet de son rôle et de l’objectif de son intervention lorsqu’il se rend dans un lieu de travail. Les agents de SST sont investis de pouvoirs importants en vertu du Code et il est crucial qu’ils expliquent bien à quel titre ils s’acquittent d’une affectation particulière. S’il ne le fait pas, il cause un préjudice aux parties, qui peuvent donc être incertaines de leurs droits et attentes. Il est peut-être ironique de constater que l’intervention de l’agent de SST Tingley a mené par la suite à l’enquête et au rapport de Mme Cantin qui, comme j’ai pu l’entendre pendant l’audience à propos des appels, ont semblé soulager quelque peu la tension et apporter des pistes de solutions positives au différend, comme Mme Mulhern l’a mentionné dans son témoignage.
[153] En dernière analyse et pour les motifs décrits précédemment, je juge que l’agent de SST Tingley n’a pas émis une ou plusieurs instructions à l’intention de l’employeur le 2 octobre 2012 et n’a pas rendu de décision quant à savoir si Mme Mulhern a été exposée à un danger le 12 septembre 2012. Par conséquent, le contenu de son rapport écrit ne peut faire l’objet d’un appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code. Je n’ai donc pas la compétence d’évaluer le bien-fondé des circonstances ayant mené au refus de travailler de Mme Mulhern en date du 12 septembre 2012. L’appel visant le numéro de dossier du TSSTC 2012-72 est en conséquence rejeté.
Décision
[154] Pour les motifs décrits précédemment :
- l’appel visant les première et deuxième instructions de l’agent de SST Gallant (no de dossier du TSSTC : 2012-51) est maintenu et j’annule par les présentes les deux instructions;
- l’appel visant le rapport de l’agent de SST Tingley (numéro de dossier du TSSTC : 2012-72) ne porte pas sur une instruction et est rejeté pour manque de compétence;
- les pièces A-17 (rapport d’enquête de Mme Isabelle Cantin et déclarations des témoins dans le cahier des annexes) et R-1 présentées à titre de preuve dans le dossier du TSSTC no 2012-51 doivent être scellées et ne doivent pas être rendues publiques.
Pierre Hamel
Agent d’appel
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