2014 TSSTC 4
Référence : Ville d'Ottawa (Para Transpo) c. Andrew Sigouin, 2014 TSSTC 4
Date : 2014-05-14
Dossier : 2013-27
Rendue à : Ottawa
Entre : Ville d'Ottawa, Para Transpo, appelante
Et
Andrew Sigouin, intimé
et
Syndicat uni du transport, section locale 279, intervenant
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l'encontre d'une instruction émise par un agent de santé et de sécurité
Décision : L’instruction est annulée.
Décision rendue par : M. Michael McDermott, Agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l'appelante : Me David Patacairk, conseiller juridique, ville d'Ottawa
Pour l'intimé : Lui-même
Pour l’intervenant : Me John McLuckie, Jewitt, McLuckie and Associates
MOTIFS DE LA DÉCISION
[1] La présente décision concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l'encontre d'une instruction émise par l'agent de santé et sécurité (agent de SST) Michael J. O’Donnell le 18 avril 2013, en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code. L'appelante est la ville d'Ottawa en ce qui concerne Para Transpo. L'intimé est M. Andrew Sigouin, un opérateur de véhicule de transport en commun employé par l'appelante.
[2] Une audience a eu lieu à Ottawa (Ontario), les 3 et 4 février 2014. Le syndicat uni du transport (SUT), section locale 279, a participé à titre d'intervenant, qualité qui lui a été accordée dans ma décision-lettre du 31 octobre 2013.
[3] L'instruction en cause a été émise par l'agent de SST suivant son enquête relativement à un refus de travailler exercé par l'intimé, en vertu de l'article 128 du Code, le 8 juin 2012. Le rapport d'enquête de l'agent de SST, daté du 18 avril 2013, comprend la déclaration par M. Sigouin de son motif pour refuser de travailler, qui se lit comme suit : [traduction] « Défaut de fournir suffisamment de temps pour des périodes de repos et des pauses-repas ayant entraîné une maladie reliée à un stress indu ». L'agent de SST fait état de la description des événements par l'employé dans ce même rapport de la façon suivante : « L'employé estime que le bulletin 10-12 (Demandes de pause) est insuffisant pour attribuer les périodes de repos et les pauses-repas, et menace ainsi sa santé ».
[4] Après l'exercice initial par l'intimé du refus de travailler, les mesures subséquentes prévues au Code pour traiter ces questions n'ont pas été prises. Le 12 décembre 2012, l'agent de SST Marc Béland a mené une enquête qui l'a amené à conclure à une contravention du paragraphe 128(10) du Code, faisant observer que l'employeur avait omis d'enquêter relativement au refus de travailler de M. Sigouin. Le 21 mars 2013, l'agent de SST Béland a émis une instruction en vertu du paragraphe 145(1) du Code ordonnant à l'employeur de mettre fin à la contravention au plus tard le 5 avril 2013, et de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.
[5] Le 12 avril 2013, l'agent de SST O’Donnell a reçu un appel de M. Sigouin qui continuait manifestement d'avoir des préoccupations au sujet du système de demande de pause et n'était pas convaincu que son refus de travailler avait été traité de la manière prescrite. L'agent de SST a immédiatement commencé son enquête et le 18 avril 2013, il a émis l'instruction visée par le présent appel en indiquant que l'accomplissement de l'activité suivante constituait un danger pour un employé au travail, et qu'elle devait être modifiée immédiatement :
[traduction] Les opérateurs d'autobus de Para Transpo sont parfois appelés à conduire leurs véhicules durant leurs quarts de travail sans périodes de repos ni pauses-repas. Cela peut entraîner de la fatigue y compris des épisodes de micro-sommeil et des problèmes d'ergonomie cognitive comme la surcharge cognitive, du stress physique et mental, et des erreurs de perception. Ces facteurs peuvent donner lieu à des situations dangereuses, comme des collisions.
Contexte
[6] Para Transpo est un service de transport alternatif pour les personnes handicapées qui ne peuvent pas utiliser les services de transport en commun conventionnels. Il est financé par la ville d'Ottawa et administré par OC Transpo qui fournit également des services de répartition pour soutenir le système. Un service à l'échelle de la ville est offert principalement au moyen d'un véhicule de cinq tonnes qui a été modifié pour accueillir jusqu'à huit passagers en plus du chauffeur opérateur. Les heures de service sont de 6 h 30 à minuit, sept jours sur sept. Alors que certains passagers peuvent se déplacer, certains autres ont besoin d'utiliser des aides à la mobilité comme des fauteuils roulants ou des triporteurs. En plus de conduire, les opérateurs de Para Transpo sont tenus d'accompagner les passagers en direction et en provenance du véhicule et de veiller à ce que ceux-ci et, le cas échéant, leurs aides à la mobilité, soient correctement attachés avant le début d'un trajet. Un témoignage non contesté indique que quelque 16 000 clients sont inscrits aux services de Para Transpo et que jusqu'à 3 000 trajets ont lieu chaque jour. Les trajets sont classés soit comme réguliers, soit comme occasionnels : les trajets réguliers offrent un service de prise en charge des clients en fonction d'un horaire prévu, et les trajets occasionnels offrent un service ponctuel ou sur appel.
[7] La fourniture du service exige apparemment que 81 véhicules soient sur la route et nécessite 81 chauffeurs/opérateurs et environ cinq chauffeurs substituts en service sur un effectif total d'environ 170. Les heures de départ des chauffeurs sont échelonnées et certains chauffeurs travaillent selon des quarts de travail fractionnés. La durée des quarts de travail varie, des durées de 8,25 et 12 heures étant mentionnées, bien que l'intimé ait indiqué avoir été en service à titre de remplaçant pendant 13 heures. La preuve indique que les opérateurs ont travaillé en moyenne de 34 à 35 heures par semaine en juin 2012 et qu'ils ne dépasseraient pas normalement 40 heures régulières par semaine lorsque la moyenne est calculée de la façon prévue à la partie III du Code. La convention collective prévoit que les heures supplémentaires ne seront rémunérées que « si l’employé a travaillé plus de quatre-vingts (80) heures [...] pour la période de paye de deux (2) semaines, supposant une période de base de deux semaines. Les remplaçants ont des heures de départ ou de rentrée au travail prévues, mais ils sont affectés à des tâches réelles durant leurs quarts de travail en fonction des besoins. On leur garantit un minimum de neuf heures de paye.
[8] En plus des congés annuels payés qui augmentent par étapes, allant de deux semaines pour un salarié comptant d'un à cinq ans de service, à quatre semaines pour les salariés comptant dix ans ou plus de service, la convention collective accorde aux employés qui comptent au moins un an de service continu jusqu'à un maximum de sept jours de congé mobile par année civile. Les salariés peuvent prendre jusqu'à un maximum de trois jours de congé mobile payé avant le 1er juin et quatre jours de congé mobile payé pendant le reste de l'année. La convention exige qu'un employé informe l'employeur de son intention d'utiliser un jour de congé mobile au moins deux heures avant le début de son quart de travail habituel en cas de maladie soudaine ou d'urgence, et donne le plus long avis possible dans tous les autres cas. La convention prévoit que les congés mobiles non utilisés peuvent être accumulés en vue d'être utilisés au cours de l'année suivante.
[9] Les objectifs opérationnels de Para Transpo indiquent que les clients peuvent s'attendre à être cueillis dans la demi-heure après l'heure convenue, et déposés à leur destination dans l'heure qui suit l'heure d'arrivée prévue. Les commis aux affectations dressent les horaires de déplacements en réponse aux demandes des clients. Les opérateurs disposent d'un horaire écrit des trajets réservés au début de leur quart de travail, mais peuvent prévoir des changements découlant d'annulations. On m'a informé qu'il peut y avoir jusqu'à 600 annulations chaque jour. Au fur et à mesure que des annulations se produisent, les places vacantes sont remplies par de nouvelles réservations ou des réservations reportées. Des systèmes de communication radio bidirectionnelle sont installés dans les véhicules, mais il semble que le principal moyen utilisé pour aviser les opérateurs des changements d'horaires est le terminal de données mobile (TDM). Les réponses aux demandes de déplacement des clients doivent d'abord être approuvées par un commis aux affectations avant d'être entrées dans le système automatisé et indiquées sur le TDM. Les opérateurs peuvent confirmer l'arrivée aux points de cueillette et les départs de ceux-ci en activant les boutons de messages « enregistrés » sur le TDM, qui peut également servir à informer les répartiteurs des passagers défaillants ou des annulations. Toutefois, les opérateurs sont tenus de confirmer ces signaux par radio.
[10] Le TDM et le logiciel Trapeze qui transmet à celui-ci des données sur les horaires améliorent la capacité de Para Transpo à répondre au nombre important de demandes de la clientèle. Une sentence arbitrale concernant la politique de pause-repas, rendue en septembre 2004 et pertinente à l'objet du présent appel, décrit comment Trapeze a été incorporé dans le système de répartition en 1999 et note que [traduction] « la planification est devenue plus serrée, avec moins de pauses, parce que les planificateurs étaient en mesure de combler les places vacantes dans l'horaire ». Auparavant, il semble qu'il y avait suffisamment de temps libres entre les trajets, ce qui rendait inutile la nécessité de fixer des pauses-repas particulières. Il semble que l'efficacité émanant du logiciel Trapeze a suscité parmi les employés des inquiétudes en ce qui concerne les heures des pauses-repas et des périodes de repos. Un grief de principe a été soumis à l'arbitrage donnant ainsi lieu à la sentence susmentionnée. L'article alors en vigueur dans la convention collective citée dans le grief se lisait comme suit :
8.4 Les parties reconnaissent que des trajets sont parfois annulés et conviennent qu’aucun employé ne verra son salaire diminuer en conséquence. Elles conviennent en outre que l’heure des périodes de repos et des pauses repas est choisie conformément aux procédures de la Société, de façon à ne pas interrompre le service, et coïncide normalement avec une annulation. L’employé communique avec le répartiteur et reçoit l’autorisation voulue avant de prendre une pause.
L'article, négocié au cours d'une séance de négociation collective antérieure, est demeuré dans la convention collective avec la seule différence que le mot « Ville » remplace le mot « Société » dans la dernière phrase.
[11] L'essence du grief alléguait que l'article 8.4 avait été violé par le refus de l'employeur d'acquiescer aux demandes des employés de prévoir des pauses-repas à l'horaire. Lors de l'examen du grief, l'arbitre a fait référence à une décision antérieure par un arbitre des différends qui avait maintenu l'article 8.4, mais avait aussi accordé aux employés qui travaillaient plus de cinq heures consécutives dans une journée une indemnité de repas de 7 $ pour chaque jour. Cette décision demeure en vigueur en vertu de l'article 8.18 de la convention collective actuelle. En ce qui concerne le grief de 2004, l'arbitre a conclu que l'article 8.4 exige que l'employeur [traduction] « élabore une procédure souple pour l'examen des demandes des chauffeurs pour les pauses-repas sur une base individuelle », et a indiqué ce qui suit :
La politique devrait reconnaître que la plupart du temps, un chauffeur a droit à une pause-repas, qu'il y aura des jours, cependant, où ce ne sera pas possible de fixer une telle pause, et il y aura d'autres jours où le véhicule peut devoir être mis hors service afin de prévoir une pause-repas à une heure raisonnable durant le quart de travail. En fin de compte, toute telle procédure qui n'a pas été convenue par le Syndicat peut être contestée en conformité avec la jurisprudence arbitrale.
Il a en outre observé que les opérateurs [traduction] « doivent aussi comprendre qu'il est de leur responsabilité de faire les demandes pour les pauses-repas auprès de l'employeur, et s'ils jugent que ces demandes ne sont pas considérées conformément à la procédure de l'employeur, ils peuvent déposer un grief ».
[12] L'arbitre a conclu sa décision en exhortant les parties à [traduction] « faire le suivi du nombre de demandes, et de la disposition de celles-ci », de sorte qu'il soit possible d'avoir une certaine compréhension de l'administration de la clause 8.4 pour le reste de la présente convention collective », avant de résumer la décision comme suit :
En résumé, et dans la mesure où le grief de principe demande que l'employeur fixe les pauses-repas à des heures prédéterminées, ou que l'employeur soit tenu de fixer automatiquement une pause-repas sur demande lorsqu'il y a une annulation d'une cueillette prévue, le grief est rejeté. Dans la mesure, cependant, où le grief de principe allègue que l'employeur viole l'article 8.4 en ayant fait défaut d'avoir mis en place une politique appropriée et souple pour tenir compte des demandes des chauffeurs individuels pour une pause-repas, le grief est accueilli et l'employeur est prié d'élaborer une telle politique.
L'arbitre a indiqué qu'il demeurerait saisi s'il devait y avoir des questions d'interprétation ou de mise en œuvre de la décision.
[13] Les deux types de pauses que les opérateurs peuvent demander sont désignés par leur numéro de code radio. Le code 10-7 signifie une pause naturelle au cours de laquelle un opérateur peut quitter le véhicule pour une courte période de cinq minutes environ, à la condition qu'aucun passager ne se trouve à bord. Le code 10-12 est la demande qu'un opérateur doit faire au régisseur de quart pour une période de repos ou une pause-repas de 15 minutes lorsqu'aucune pause n'est précisée dans son horaire. Cette dernière demande de pause est mentionnée au paragraphe 3 ci-dessus. La procédure écrite pour les demandes de pause 10-12, qui doit être suivie par les opérateurs, les régisseurs de quart et les commis aux affectations, a été déposée en preuve. Un opérateur entame le processus en communiquant avec le régisseur de quart sur sa radio pour demander une pause. Normalement, le régisseur de quart donnera à l'opérateur la consigne de poursuivre pendant qu'une réponse concrète est considérée. Le régisseur de quart enregistre le moment où la demande a été reçue, puis il communique avec le commis aux affectations. Lorsqu'il reçoit la demande du régisseur de quart, le commis aux affectations vérifie le dossier pour déterminer si l'opérateur a déjà eu une pause 10-12 pendant son quart de travail. Si cette pause a déjà été prise, la demande est rejetée. Si l'opérateur n'a pas eu de pause 10-12 dans un laps de temps raisonnable depuis la réservation de son quart, le commis aux affectations en intégrera une dans l'horaire de l'opérateur. L'opérateur et le régisseur de quart sont informés de la décision relative à la demande et ce dernier inscrit les renseignements sur la feuille de contrôle 10-12. Dans le cas où le commis aux affectations détermine que la période de repos demandée n'est pas possible, la politique indique que [traduction] « tous les efforts seront faits pour réattribuer un trajet à un autre chauffeur/opérateur, en utilisant le remplaçant et lorsque cela s'avère absolument nécessaire, un taxi ». Si un opérateur n'est pas d'accord avec la réponse à sa demande, la politique conseille de [traduction] « poursuivre jusqu'à la fin du quart de travail, et de formuler un grief plus tard ».
Question en litige
[14] La question en litige dans le présent appel est de savoir si l'agent de SST O’Donnell a commis une erreur en concluant que l'accomplissement d'une activité, soit conduire parfois sans périodes de repos ni pauses-repas, constitue un danger pour un employé au travail, et en émettant l'instruction, conformément à l'alinéa 145(2)a) du Code, de modifier la tâche.
Observations des parties
A) Observations de l'appelante
[15] L'appelante soutient que l'instruction émise par l'agent de SST O'Donnell, le 18 avril 2013, devrait être annulée parce que, entre autres raisons, elle était fondée sur sa conclusion erronée de l'existence d'un danger au sens du Code. À l'appui de cet argument, l'appelante cite en détail le témoignage livré et la preuve produite en ce qui concerne le fait que l'intimé a choisi son quart de travail et qu'il a fait défaut de respecter les procédures requises lorsqu'il a exercé son refus de travailler le 8 juin 2012. Par exemple, l'appelante souligne qu'au moment de l'enquête de l'agent de SST, les heures travaillées par les chauffeurs/opérateurs de Para Transpo variaient en moyenne de 31 à 35 heures par semaine. En outre, les quarts travaillés par les chauffeurs/opérateurs de Para Transpo sont comptabilisés en conformité avec les dispositions sur l'ancienneté de la convention collective intervenue entre l'employeur et le SUT, section locale 279, des dispositions qui offrent à l'intimé, un employé de Para Transpo de longue date, des choix en ce qui concerne les quarts de travail comme l'option de « remplaçant » qu'il avait librement choisie au moment de son refus de travailler, poste qu'il maintient depuis ce temps. L'appelante explique que les opérateurs qui travaillent selon des quarts de travail de « remplaçant » s'acquittent de fonctions laissées vacantes lorsqu'un employé régulier est absent ou qu'un autre véhicule est en dérangement et, jusqu'à ce qu'une assignation soit faite, ils ne conduisent pas et doivent attendre dans la salle des chauffeurs.
[16] En ce qui concerne les événements du 8 juin 2012, l'appelante soutient que l'agent de SST ne savait pas combien d'heures l'intimé avait travaillé avant d'exercer son refus de travailler et il n'était pas non plus au courant du type de quart de travail qu'il avait travaillé. On prétend que l'intimé n'a pas reçu de refus pour sa demande de pause 10-12, mais que la réponse a été retardée alors que le régisseur des quarts réglait une situation d'urgence impliquant un autre véhicule. L'appelante souligne que, bien qu'il ait affirmé qu'il ne pouvait pas continuer à conduire, l'intimé a retourné le véhicule au garage, puis est allé chez lui avec sa propre voiture sans même répondre à la demande du régisseur des quarts de documenter son refus de travailler. Réfutant les allégations de l'intimé concernant les dommages causés à sa santé, l'appelante renvoie au témoignage indiquant ce qui suit : il a attendu une semaine avant de consulter son médecin; il n'y a aucune preuve documentaire de cette visite; il s'est présenté à son quart de travail subséquent et il n'a manqué aucun autre quart de travail pour des raisons de santé.
[17] Faisant à nouveau référence à la preuve et au témoignage, l'appelante conteste la portée de l'enquête de l'agent de SST en faisant valoir qu'il n'a pas demandé à consulter des documents médicaux, et on ne lui en a fournis aucun, à l'appui de la revendication de l'intimé que le défaut de l'employeur de fournir suffisamment de temps pour une période de repos et une pause-repas lui avait causé une maladie reliée à un stress indu. Tout en reconnaissant que l'agent de SST avait désigné cinq dates auxquelles l'intimé n'avait pas reçu de pause 10-12 ou en avait reçue une à la fin de son quart de travail, l'appelante remet en question le fait de savoir s'il s'était assuré que l'intimé avait demandé une pause en ces diverses occasions ou si des pauses naturelles durant l'horaire avaient fourni des périodes de repos au cours de ces quarts de travail. Poursuivant sur ce dernier point, l'appelante a soutenu que, bien que l'agent de SST ait témoigné qu'il était au courant que des pauses naturelles se produisaient durant l'horaire des opérateurs [traduction] « il n'a pas examiné la pratique et s'est plutôt concentré exclusivement sur les pauses 10-12 officielles ». Elle a en outre fait valoir que l'agent de SST « n'était pas au courant du taux auquel les pauses 10-12 étaient accordées sur demande » et elle renvoie à ce titre aux statistiques de l'appelante mises en preuve et indiquant un niveau élevé de réponses favorables depuis que l'enregistrement des demandes a commencé en 2010.
[18] Le rapport de l'agent de SST comprend une importante documentation sur les normes nationales et internationales, des recommandations et des études relatives à la réglementation des heures de travail et de la durée de conduite dans le secteur du transport automobile. L'appelante soutient qu'une majeure partie de la documentation se rapporte au camionnage et aux autres moyens de transport par véhicules sur longue distance où de longues périodes de conduite continue et des quarts rotatifs représentent davantage la norme. En outre, elle fait observer que bon nombre des normes et des recommandations citées prévoient des dérogations dans le cadre des activités de transport en commun urbain. Lorsque les normes de référence s'appliquent aux activités de Para Transpo, l'appelante estime qu'elles sont respectées.
[19] En référence à l'instruction indiquant que la fatigue résultant d'un manque de pauses-repas et de périodes repos [traduction] « peu[t] donner lieu à des situations dangereuses, comme des collisions », l'appelante fait valoir que l'agent de SST n'a pas examiné tous les renseignements concernant le dossier de collisions de Para Transpo, [traduction] « sauf pour noter qu'il ne savait pas si un accident relatif à la fatigue s'était déjà produit ».
[20] L'appelante renvoie brièvement au témoignage livré par l'un de ses témoins selon lequel les trajets supplémentaires des clients nécessitant des modifications d'horaires ne sont pas automatiquement entrés dans le système par l'ordinateur, mais y sont saisis par le commis aux affectations. En ce qui concerne le témoignage livré par les deux témoins cités par l'intimé, l'appelante fait valoir que l'un d'entre eux a témoigné qu'il n'a jamais demandé de pause 10-12 et qu'il a été en mesure de prendre des pauses, au besoin, tout au long de ses quarts de travail. À titre de commentaire supplémentaire sur les témoignages, l'appelante fait remarquer que [traduction] « le moyen le plus approprié pour fournir des pauses a été une préoccupation de longue date entre l'employeur, le syndicat et les employés » et fait référence à la procédure d'arbitrage citée plus haut.
[21] Quant à la loi relative à la constatation d'un danger, l'appelante cite en premier lieu la définition de danger au paragraphe 122(1) du Code et poursuit avec des renvois à la jurisprudence sur l'application de la définition et trouvés dans Unger c. Canada (Service correctionnel) 2011 TSSTC 8 qui, à son tour, cite des passages pertinents de la décision de la Cour fédérale dans l'affaire Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767, et de la Cour fédérale et de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Martin c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1158 et 2005 CAF 156. En bref, la jurisprudence réfère au besoin, avant que l'existence d'un danger puisse être constatée, de déterminer qu'une situation, une tâche ou un risque est susceptible de causer une maladie ou une blessure à un employé avant que la situation soit corrigée, et que cette perspective raisonnable ne repose pas sur des hypothèses ou des conjectures.
[22] À la lumière de la jurisprudence citée, l'appelante soutient d'abord que l'activité en question, telle qu'elle est décrite dans l'instruction faisant l'objet de l'appel, est [traduction] « la possibilité de conduire un véhicule lors d'un quart de travail sans pauses-repas ni périodes de repos ». On soutient que, pour déterminer si cette activité pourrait constituer un danger, l'agent de SST « se concentre exclusivement sur les pauses 10-12 officielles et sur leur procédure, en ignorant tous les autres moyens par lesquels les employés obtiennent des périodes de repos et des pauses-repas, y compris des pauses naturelles dans leur horaire ». « Dans cette mesure », fait valoir l'appelante, « l'instruction visée par le présent appel est trop vague en ce qui concerne « l'activité » réelle qui constituerait un danger ». L'appelante fait valoir en outre que [traduction] « dans la mesure où l'instruction est vague et ambiguë à l'égard de la nature de l'activité elle-même », et citant une décision du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) 1260269 Ontario Inc. (Sky Harbour Aircraft Refinishing) et Chambers (décision n° 06-032), l'instruction contestée doit être annulée.
[23] À titre subsidiaire, l'appelante soutient que, même si l'instruction [traduction] « se rapporte à une activité suffisamment claire qui constituerait un danger, la preuve indique qu'un tel danger ne serait que pure spéculation ». Deux arguments principaux sont avancés à l'égard de cette prétention : il n'y a pas suffisamment de preuves indiquant que les opérateurs ne reçoivent pas de pauses, et il n’y a pas suffisamment de preuves indiquant que les pratiques relatives aux pauses entraînent des risques. En ce qui concerne le premier argument, l'appelante reprend les éléments de preuve résumés au début de ses observations en notant, par exemple, que les opérateurs ont droit à des périodes de repos et des pauses-repas d'une manière qui n'est pas prévue dans la désignation des pauses 10-12, mais qui se produisent naturellement dans l'horaire d'un employé. On prétend que cette pratique est corroborée par le témoignage livré par M. Robert Barss, un opérateur de Para Transpo et par l'un des deux témoins de l'intimé, qui a déclaré qu'il ne demande ni ne reçoit de pauses 10-12, mais qu'il est capable de créer ses propres pauses au besoin. En outre, l'appelante fait valoir que les employés plus anciens peuvent choisir de réserver des assignations de « remplaçants » et que de tels quarts de travail peuvent donner lieu à [traduction] « de fréquentes périodes où ils ne sont pas tenus de conduire, car ils attendent que le travail se matérialise », ou de réserver des quarts fractionnés qui garantiraient une pause prolongée dans la journée. Enfin, en ce qui a trait à cet argument, l'appelante soutient que le témoignage de l'intimé a confirmé qu'un employé qui se sentirait incapable de continuer à conduire en raison de la fatigue [traduction] « pourrait se ranger sur le côté de la route et l'employeur lui dirait de ne pas continuer à conduire et que quelqu'un serait dépêché sur les lieux pour aller le chercher ».
[24] Le deuxième argument maintient qu'il n'y a pas suffisamment de preuve pour appuyer la conclusion de l'agent de SST que les pratiques relatives aux pauses en cause entraînent des situations dangereuses comme des collisions. L'appelante soutient d'abord que l'agent de SST a témoigné qu'il n'était au courant d'aucune collision liée à la fatigue et, en outre, que l'instruction qu'il a émise se fondait sur son hypothèse, contrairement aux preuves produites à l'audience [traduction] « que les politiques relatives aux pauses de Para Tanspo entraînaient un danger encore plus grave lorsque les quarts de travail sont prolongés sur une plus longue période de temps ». L'appelante soutient que ces politiques sont en place depuis une décennie sans qu'aucun incident ne soit survenu. En ce qui concerne la question connexe liée à la prétention de l'intimé que le défaut de prévoir suffisamment de temps pour des périodes de repos et des pauses-repas entraînait un stress indu qui menace sa santé, argument qui a été effectivement accepté par l'agent de SST, l'appelante soutient que l'agent de SST n'a ni sollicité ni reçu de renseignements médicaux à l'appui de cette prétention. En outre, l'appelante souligne que l'intimé a retardé sa visite auprès de son médecin pendant une semaine après son refus de travailler et a fait valoir que la consultation en question n'a pas donné lieu à des conclusions qui l'auraient empêché de reprendre ses fonctions, ce qu'il a fait à son quart de travail suivant et qu'il a continué à faire par la suite. En somme, l'appelante soutient qu'en l'absence de preuves tangibles permettant d'établir que la fatigue d'un employé constitue un danger, il s'agit là d'une pure spéculation et une conclusion de danger n'aurait pas dû être rendue. La décision du Tribunal dans Bondy c. Canadien National (CN), (décision n° 04-017), est citée à l'appui de cette observation.
[25] En outre, faisant valoir que le droit de refuser de travailler [traduction] « est une mesure d'urgence visant à protéger les employés, et non pas à demander de l'aide dans l'interprétation des règlements d'exploitation ou des conventions collectives », l'appelante soutient que l'intimé poursuit ses démarches depuis un certain temps pour faire valoir ses préoccupations quant à la politique relative aux pauses par des griefs et auprès d'autres instances, et que le Syndicat, l'intervenant, a déjà soulevé la question dans le cadre d'une négociation collective et lors d'un arbitrage de griefs. L'affaire Bondy (précitée) est mentionnée là encore à l'appui de cette prétention, cette fois en ce qui concerne le caractère inapproprié du recours à la disposition sur le refus de travailler pour régler des questions liées au travail et à l'exploitation.
[26] L'appelante conclut ses observations en rappelant les principaux points soulevés à l'égard des témoignages entendus et des preuves déposées et en réaffirmant les arguments en ce qui concerne la loi quant à la conclusion d'un danger au sens du Code. Elle fait valoir [traduction] « qu'un danger doit être susceptible de causer une maladie ou une blessure, et ne peut reposer sur des hypothèses ou des conjectures ». Elle soutient que l'agent de SST [traduction] « semble confondre la question de savoir si les pauses sont documentées de manière adéquate et la question de savoir si les pauses sont effectivement fournies ». L'appelante remet en question la valeur de la plupart des recherches effectuées par l'agent de SST qui, selon elle, ne se rapportent pas à une industrie similaire à celle de Para Transpo et que ses conclusions sont fondées sur des renseignements erronés. Elle soumet que l'instruction faisant l'objet de l'appel doit être annulée dans son intégralité.
B) Observations de l'intimé
[27] L'intimé fait valoir que l'instruction faisant l'objet de l'appel devrait être maintenue, indiquant qu'il a eu l'occasion d'examiner les observations de l'intervenant, qu'il accepte et adopte dans leur intégralité.
C) Observations de l’intervenant
[28] En formulant ses conclusions, l'intervenant fait valoir que l'agent d'appel doit trancher deux questions dans le cadre du présent appel. Il prétend que la première question consiste à savoir si, d'après les témoignages et la preuve documentaire dont j'ai été saisi, [traduction] « selon la prépondérance des probabilités, il a été démontré qu'une situation dangereuse existait chez Para Transpo en raison de l'incapacité d'Andrew Sigouin (et d'autres employés) d'obtenir des pauses régulières au cours de leurs quarts de travail en leur qualité d'opérateurs d'autobus de Para Transpo ». La deuxième question posée par l'intervenant consiste à savoir si l'instruction émise par l'agent de SST à l'employeur, [traduction] « soit de prévoir des pauses régulières dans le cadre des itinéraires quotidiens attribués à chaque opérateur, était une réponse appropriée à ce danger ». Examinant initialement ce qu'il estime être un témoignage corroborant, l'intervenant fait valoir qu'il faut répondre aux deux questions par l'affirmative.
[29] Les renseignements fournis par l'intervenant sur la nature générale du service de Para Transpo correspondent à ce qui a été indiqué dans la section sur le contexte ci-dessus. L'accent a été mis sur les tâches des opérateurs qui font appel à davantage que des compétences en matière de conduite, car ceux-ci sont également responsables de la prise en charge, de la disposition dans le véhicule et de la descente des passagers, le tout, de façon sécuritaire. L'attention est également attirée sur la durée des quarts de travail, certains quarts de remplaçant pouvant avoir une durée de 13 heures, ainsi que sur la variété des types de route et les conditions routières auxquelles les opérateurs peuvent faire face. On fait observer que les trajets se prolongent dans certaines parties de Gatineau, faisant ainsi en sorte que Para Transpo est assujettie à la législation fédérale en matière de travail.
[30] L'intervenant fait observer, à titre de particularité de la planification des activités de Para Transpo, que, au début d'un quart de travail, un opérateur reçoit une copie papier des trajets initiaux qu'il ou elle doit parcourir pendant le quart de travail, mais que des changements fréquents de l'horaire sont à prévoir puisque des annulations peuvent se produire et des demandes de remplacement sont intégrées. L'intervenant soutient que le témoignage livré par les témoins de l'appelante décrit un objectif de maximiser le nombre de demandes de passagers respectées un jour donné dans un contexte d'une plus forte demande pour un service que le niveau de financement actuel est en mesure de supporter. Tout en reconnaissant qu'un régisseur humain détient en dernier ressort le pouvoir d'ajouter de nouveaux clients ou des clients reportés à l'horaire, on fait valoir que le logiciel Trapeze facilite le processus et quoi qu'il en soit, le régisseur est tenu de respecter l'obligation d'optimiser l'efficacité du service. L'intervenant renvoie au témoignage du gestionnaire de programme de Para Transpo qui indique que le pourcentage de demandes de passagers maintenant refusées a diminué, passant à environ 6 %, comparativement à 9 % au cours des années passées, ce qui indique, d'après l'intervenant, que le système supprime du temps pour les pauses dont disposaient autrefois les opérateurs. L'intervenant estime que [traduction] « ce témoignage démontre clairement que l'objectif du système de répartition de Para Transpo est de maximiser ''l'efficacité" du système en réduisant le temps durant lequel des opérateurs comme M. Sigouin n'ont pas de tâches qui leur sont assignées durant leurs quarts de travail », et de plus, que « cette pression constante pour fournir le plus de services possible dans les limites du budget existant crée un milieu de travail tendu et, en dernier ressort, dangereux ».
[31] En ce qui concerne la planification des pauses des opérateurs, l'intervenant soutient que le témoignage livré par les deux témoins de l'appelante confirme que les pauses ont pour but de permettre aux opérateurs de se ressourcer et de reprendre la vigilance nécessaire pour exercer leurs fonctions. On a fait valoir que, avant que l'agent de SST n’émette son instruction, l'attribution des pauses était inégale et, dans certains cas, des opérateurs terminaient leur quart de travail sans qu'une pause leur ait été officiellement attribuée. Pour ce qui est de la politique actuelle relative aux pauses, l'intervenant souligne le témoignage des deux parties pour illustrer [traduction] « un système avec beaucoup de règles et d'exceptions ». Cela inclut : l'interdiction de demander une pause 10-12 au cours des deux premières heures et dans la dernière heure d'un quart de travail; le répartiteur qui se fonde sur des dossiers informatiques qui ne contiennent pas suffisamment de renseignements sur les circonstances qui auraient pu éliminer un temps libre dans un horaire et ainsi réduire le temps d'une pause; et la possibilité d'un espacement inégal de la pause 10-12 individuelle qui pourrait faire en sorte qu'il y ait plusieurs heures dans un quart de travail avant qu'une de ces pauses soit disponible. L'intervenant soutient que le système fait en sorte que les opérateurs se sentent « stressés », « fatigués », « précipités » et « brusqués », tout en étant appelés à exercer des fonctions exigeant qu'ils soient pleinement attentifs sans possibilité de pauses qui s'avèrent nécessaires.
[32] Plaidant que l'absence de pauses prévues à l'horaire représente un danger, l'intervenant cite le témoignage livré par l'intimé et par son collègue opérateur, M. Tom Cole, en ce qui concerne la nécessité de faire preuve d'un degré élevé de concentration lors de la conduite d'un autobus de Para Transpo qui, en cas d'inattention, pourrait entraîner un accident grave et des blessures. Il est fait référence au témoignage de l'intimé sur les effets néfastes, selon lui, que l'absence de possibilités de prendre des pauses a sur sa santé, y compris de l'hypertension artérielle, du stress et des problèmes de sommeil et d'appétit. Le récit de M. Cole sur le stress et la fatigue qu'il subit après un quart de travail complet sans pause est également mentionné. L'intervenant soutient que le témoignage des deux témoins de l'appelante reconnaît la nécessité d'avoir un degré élevé de concentration lors de la conduite d'un autobus et prétend que [traduction] « ce témoignage constitue la preuve du danger qui est présent chez Para Transpo en l'absence de pauses régulières et prévues » qui, à son avis, répond à la définition de danger en vertu du Code.
[33] L'intervenant décrit de façon détaillée la preuve présentée concernant les événements entourant le refus de travailler, en faisant observer que l'intimé a déclaré avoir été en service pendant plus de six heures sans pause lorsqu'il a fait une demande de pause 10-12. Compte tenu de la réponse qu'il a reçue du répartiteur, l'intimé a conclu qu'il n'aurait probablement pas droit à une pause de 15 minutes tant et aussi longtemps qu'il n'aurait pas été en service pendant plus de dix heures. Il estimait qu'il ne pouvait pas continuer à s'acquitter de ses tâches en toute sécurité et a déposé un refus de travailler. L'intervenant rejette la suggestion de l'appelante que la validité du refus de travailler soit contestable, car l'intimé s'est rendu chez lui avec sa voiture après avoir retourné l'autobus à la gare, en faisant valoir que la conduite de son propre véhicule plus petit sans être tenu de s'occuper de passagers relève d'un autre ordre. De même, l'intervenant conteste la suggestion que le choix d'un quart de travail moins long ait été une option offerte à l'intimé, faisant valoir que le Code n'exige pas qu'un employé choisisse un travail moins lucratif ou moins souhaitable afin d'être à l'abri du danger dans son lieu de travail. En ce qui concerne l'argument de l'appelante voulant que l'intimé n'ait pas suivi les bonnes procédures en vertu du Code pour entamer le processus de refus de travailler, l'intervenant fait valoir qu'il avait déjà soulevé ses problèmes de sécurité et de santé auprès de l'appelante et [traduction] « que la Ville aurait connu clairement la raison pour laquelle l'intimé a cessé de travailler ce jour-là ». Notant que l'appelante n'a pas non plus suivi la procédure requise lorsqu'elle a dû faire face à un refus de travailler, l'intervenant estime que [traduction] « si les deux parties ne respectaient pas les formalités du Code, il serait inéquitable de permettre à la Ville de se fonder sur le défaut mineur de se conformer de l'intimé ».
[34] L'intervenant rejette les statistiques de l'appelante qui indiquent que les accidents et les collisions impliquant des véhicules de Para Transpo se produisent plus fréquemment durant la première partie du quart de travail d'un opérateur, ainsi que son argument connexe que l'absence de collisions plus tard durant le quart de travail démontre qu'il n'y a pas de risque accru dû à la fatigue. L'intervenant soutient que ces statistiques [traduction] « ne sont que des données brutes » qui « ne cherchent pas à établir de corrélation entre les collisions et la configuration de la circulation ou toute autre variable », et soutient qu'elles « ne prouvent pas que la fatigue ou l'inattention et la perte de concentration qui peuvent en découler ne sont pas des facteurs qui contribuent à ces collisions ». L'intervenant n'était pas d'accord non plus avec les statistiques présentées par l'appelante, qui font valoir un taux élevé de réponses favorables aux demandes de pauses-repas et de périodes de repos 10-12. D'une part, on soutient que les statistiques ne précisent pas à quel moment, durant un quart de travail, un opérateur est autorisé à prendre une pause, notant qu'une pause durant la troisième heure d'un quart d'une durée de plus de douze heures serait considérée comme une réussite statistique. Plus fondamentalement, l'intervenant soutient que les statistiques ne couvrent pas l'ensemble de l'effectif. En prenant comme exemple les données de mars 2013, l'intervenant note que seules 438 demandes ont été faites par le centre de répartition et calcule que durant les 31 jours du mois, il y avait plus de 2 500 quarts de travail d'opérateurs. Selon l'intervenant, compte tenu des preuves et des témoignages en ce qui concerne le parti pris de l'appelante contre les pauses, il ne devrait pas être surprenant [traduction] « que ce ne soient pas tous les employés qui ont pris l'initiative de demander une pause ».
[35] En ce qui concerne la loi et la jurisprudence sur le danger et les refus de travailler, l'intervenant cite d'abord la définition de danger au paragraphe 122(1) du Code et la disposition de déclaration d’objet énoncée à l’article 122.1. On prétend, avec le soutien de la jurisprudence, que, à titre de loi réparatrice, le Code « doit recevoir une interprétation large et fondée sur l'objet qui confirme cet objectif fondamental de minimiser les dangers en milieu de travail ». Il est fait spécifiquement référence au paragraphe 26 de la décision du Tribunal Canadian Freightways Ltd. et Local 31 du Syndicat des camionneurs (décision n° 01-025) qui se lit comme suit :
Étant donné que le Code se veut un instrument de prévention, il convient d’interpréter le terme de la façon la plus vaste possible tout en demeurant dans les faits de l’affaire et en respectant la clause objet de la partie II stipulée au paragraphe 122.1.
[36] Explicitant ses observations, l'intervenant a examiné la jurisprudence élaborée par suite des modifications apportées au Code en 2000 et plus particulièrement à la définition de danger. Citant deux décisions rendues par des agents d'appel, Welbourne et Canadien Pacifique Limitée (décision n° 01-008 au paragraphe 17) et Agence Parcs Canada et Douglas Martin, (décision n° 02-009, au paragraphe 144), l'intervenant fait valoir que la définition de danger a étendu le concept de danger de manière à prendre en compte des tâches, des situations ou des risques éventuels et que, afin de répondre à la définition du Code, un danger précis n’a pas besoin d'avoir présentement cours, mais il faut démontrer qu'une situation concrète pourrait présenter un danger à l'avenir.
[37] La jurisprudence pertinente fera l'objet d'un examen ultérieur à la section relative à l'analyse ci-dessous. À ce stade, je constate simplement que, tout en reconnaissant que le risque de préjudice dans le cadre d'une activité ne doit pas être qu'hypothétique, l'intervenant soutient que l'intimé n'a pas à prouver que le défaut de fournir une pause aurait entraîné un accident ou un incident à chaque fois, mais [traduction] « il suffit de montrer que cette situation aurait pu se produire à chaque fois qu'une pause n'a pas été prévue ». Il affirme également que « la reconnaissance, par les deux témoins de la Ville, que des pauses étaient nécessaires pour maintenir la vigilance et que tout défaut de la part d'un opérateur de rester alerte pourrait donner lieu à un accident causant des blessures, est suffisante pour s'acquitter de ce fardeau de la preuve ».
[38] L'intervenant conclut en se référant aux deux questions posées au début de ses observations écrites. Tout d'abord, le fait de ne pas prévoir de pauses pour les opérateurs qui travaillent aussi longtemps que 13 heures dans un seul quart de travail est un danger réel et urgent que l'agent de SST a correctement traité comme étant une violation du Code. Deuxièmement, le fait que l'instruction de l'agent de SST exigeant que [traduction] « la Ville accorde des pauses prévues à l'horaire durant les quarts de travail de chaque employé était une réponse appropriée et proportionnée au danger présenté ». L'intervenant demande que l'instruction contestée soit confirmée.
D) Réponse de l’appelante aux observations
[39] L'appelante souligne d'abord la prétention de l'intimé et de l'intervenant selon laquelle elle [traduction] « cherche à obtenir un service efficace à partir de ressources limitées ». L'appelante ne réfute pas cette allégation, faisant valoir que « comme dans tous les secteurs, elle cherche à offrir le meilleur service possible à la plupart des clients avec les ressources limitées dont elle dispose ». Elle soutient qu'aucune preuve n'a été présentée pour démontrer que de tenter de parvenir à une telle efficacité en matière de service « implique de détourner l'attention des questions de sécurité » et réfute l'insinuation selon laquelle « elle cherche directement à nuire à son personnel dans la poursuite de l'efficacité ».
[40] Quant à savoir si ses pratiques relatives aux pauses créent ou non un danger, tout en reconnaissant qu'un travail qui comprend la conduite de véhicules comporte des risques, l'appelante fait valoir que les observations de l'intimé et de l'intervenant et la preuve présentée ne permettent pas d'établir que [traduction] « ces risques potentiels augmentent au niveau de danger prévu par la loi ». L'appelante soutient que de nombreuses allégations de l'intervenant se rapportent non pas à un refus d'accorder des pauses, mais plutôt à l'absence de régularité des pauses et d'intégration à l'horaire de celles-ci et, en outre, que les témoignages et les lois indiquent que l'industrie du transport en commun ne se prête pas facilement au concept de pauses régulières ou prévues à l'horaire. Elle réitère l'argument qu'aucun accident à Para Transpo n'a été attribué à l'incapacité d'accorder des pauses régulières ou prévues à l'horaire et que la preuve produite n'indique aucune augmentation des collisions au fur et à mesure que la durée des quarts de travail augmente.
[41] En ce qui a trait à la loi et à la jurisprudence, l'appelante soutient que, [traduction] « tout en se basant, du moins en partie, sur des précédents tels que Verville (précité) dans la définition de « danger » prévue au Code, l'intervenant n'a pas appliqué correctement les faits de la présente instance à cette jurisprudence ». On prétend que, bien que l'intimé et l'intervenant reconnaissent que, pour répondre à la définition du Code, un danger ne doit pas être purement hypothétique, ils [traduction] « s'appuient néanmoins entièrement sur le témoignage spéculatif de deux témoins, dont aucun ne pouvait donner des exemples réels de conditions de travail dangereuses ». L'appelante conclut en demandant que l'instruction émise par l'agent de SST soit annulée.
Analyse
[42] À titre d'observation préliminaire, je note que l'activité constituant un danger qui est désignée dans l'instruction émise par l'agent de SST O’Donnell est formulée en des termes quelque peu conditionnels. L'instruction renvoie à des opérateurs qui doivent, parfois, conduire sans pauses-repas ni périodes de repos et que cela peut entraîner de la fatigue et du stress qui, par voie de conséquence, peuvent donner lieu à des situations dangereuses, comme des collisions. (C'est moi qui souligne) Cet élément indique la nécessité d'examiner de près la façon dont la définition de danger et la jurisprudence pertinente peuvent s'appliquer à des possibilités et des éventualités. En effet, les parties reconnaissent de telles considérations dans leurs observations.
[43] Les parties citent, dans leurs observations, la jurisprudence pertinente et, comme il est indiqué ci-dessus, ce faisant, l'intervenant retrace l'évolution de la définition de danger par suite des modifications apportées au Code en 2000. La définition qui se trouve à l'article 122 du Code se lit à l'heure actuelle comme suit :
« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.
Comme l'intervenant le souligne, auparavant, la notion de danger supposait un caractère immédiat et le danger devait être évident au moment de l'enquête d'un agent de SST. Se rapportant à la décision de l'agent d'appel dans Agence Parcs Canada (précitée), qui indique que la nouvelle définition a étendu le concept de danger de manière à prendre en compte des tâches, des situations ou des risques éventuels, l'intervenant cite le paragraphe 144 de cette décision :
La présence du mot « éventuel » dans la définition signifie que l’on peut prendre en considération une tâche susceptible d’être exécutée dans le futur pour déclarer qu’il y a « danger » au sens où l’entend le Code. Il y a, cependant, des limites. Pour conclure à l’existence d’un danger au moment de l’enquête, l’agent de santé et de sécurité doit se faire une opinion sur les points suivants, en se fondant sur les faits recueillis au cours de ladite enquête, à savoir :
- que la tâche éventuelle en question sera accomplie;
- qu’un employé aura à l’exécuter le moment venu;
- que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce : que la tâche occasionne une blessure ou une maladie chez l’employé appelé à l’exécuter; et que la blessure ou la maladie se produise dès que la tâche aura été entreprise.
[44] Citant directement les paragraphes 34 à 36 de la décision Verville (précitée), l'intervenant soutient que les deux derniers aspects du critère énoncé dans la citation susmentionnée tirée de la décision Agence Parcs Canada (précitée) ont été par la suite précisés. Je suis d'accord et je choisis les passages suivants tirés des paragraphes cités dans la décision de madame la juge Gauthier pour illustrer la nature de cette précision.
[34] […] la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu'elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée.
[35] Je ne crois pas non plus que la définition exige que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures. La version anglaise « can reasonably be expected to cause » nous dit que la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.
[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. [...] Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l'avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.
Le mot « elle », au dernier point, renvoie à madame la juge Tremblay-Lamer qui, dans l'arrêt Martin (décision de la Cour fédérale précitée), a conclu, au paragraphe 56, que « le concept de l'attente raisonnable, qui exclut les situations spéculatives, est toujours présent dans la définition modifiée ».
[45] Les parties reconnaissent que le fait de conduire un véhicule peut être dangereux. Cependant, alors que l'intimé et l'intervenant font valoir que le fait de ne pas accorder de pauses régulières aux opérateurs de Para Transpo pendant de longs quarts de travail représente un danger réel et pressant, l'appelante soutient que ses politiques relatives aux pauses sont adaptées à l'industrie du transport en commun et n'entraînent pas le niveau de danger prévu par la loi. Afin de conclure qu'une activité constitue un danger au sens du Code, comme l'a fait l'agent de SST, il ne suffit pas que cette activité implique des circonstances risquées. Elle doit aussi répondre à la définition formulée et être conforme à la jurisprudence susmentionnée. Pour décider si l'activité en question répond à de tels critères ou non, j'estime utile d'examiner les témoignages et les éléments de preuve présentés en ce qui concerne le temps de travail total pour les opérateurs de Para Transpo, les occasions qui leur sont données de prendre des pauses et les risques de blessures et de maladies auxquels font face les opérateurs.
Temps de travail total
[46] L'allégation de l'appelante selon laquelle elle respecte la réglementation relative aux heures ou au travail et aux heures de service n'a pas été contestée. La preuve indique qu'en juin 2012, mois au cours duquel l'intimé a exercé son refus de travailler, les opérateurs de Para Transpo avaient travaillé en moyenne de 34 à 35 heures par semaine, et l'intervenant a confirmé que les heures travaillées par les opérateurs individuellement ne dépassent pas normalement 40. Bien que les heures quotidiennes de travail pour certains opérateurs, y compris l'intimé, puissent dépasser la limite de huit heures normales de travail établie dans la partie III du Code, les dispositions sur l'établissement de la moyenne de la loi permettent ceci, à la condition que les limites que le Code établit soient respectées tout au long de la période utilisée pour établir la moyenne. L'intimé a rappelé une occasion où il a travaillé un total de 96 heures sur une période de deux semaines, ce qui indique qu'il a travaillé des heures supplémentaires également dans les limites légales.
[47] L'établissement d'une moyenne pour les longues heures de travail quotidiennes chez Para Transpo permet à certains opérateurs de choisir une semaine de travail comprimée. M. Cole a fait part de sa préférence pour un tel arrangement, qui lui permettrait de consacrer plus de temps à sa famille. Dans le cas d'un opérateur qui choisit un quart de travail de remplaçant de 13 heures, comme l'a fait l'intimé, la moyenne des heures de travail pourrait atteindre tout juste la limite de 80 heures de travail normales pour le cycle d'étalement de deux semaines lorsque six quarts de travail sont terminés, lesquels, selon ce qu'indique la preuve, peuvent ne pas être entièrement consacrés à la conduite du véhicule et au transport de passagers. Je me rends compte que la durée totale du temps de travail n'était pas le problème fondamental à l'origine du refus de travailler de l'intimé, mais j'estime qu'il convient d'attirer l'attention sur celle-ci et de souligner que les plus longues heures de travail quotidiennes d'une semaine de travail comprimée chez Para Transpo donnent lieu à de plus longues périodes d'heures consécutives hors service au cours du cycle d'étalement de deux semaines. En bref, on ne m'a donné aucune indication que les limites d'heures de travail prévues par la loi ont été dépassées en raison des horaires chez Para Transpo, en plus de ce qui ressort du dossier que les congés annuels et les congés mobiles prévus dans la convention collective respectent ou dépassent les normes réglementaires. Cependant, je dois souligner que les parties reconnaissent que les pauses-repas et les courtes périodes de repos ne sont généralement pas abordées par la loi ou un règlement et je conclus que leur convention collective est loin d'être précise sur la question.
Possibilités de pauses
[48] Je me pencherai d'abord sur les observations et les arguments de l'appelante décrits en détail ci-dessus. L'appelante soutient que pour parvenir à sa décision, l'agent de SST a concentré ses efforts sur les pauses 10-12 officielles et n'a pas tenu compte des autres pauses que l'on désigne souvent comme des pauses naturelles. En outre, il ne savait pas pendant combien de temps l'intimé avait travaillé avant de demander une pause 10-12 le jour de son refus de travailler, ou s'il avait pris ou non une autre pause durant la journée. L'appelante soulève des préoccupations similaires à l'égard des cinq situations répertoriées par l'agent de SST où l'intimé n'a pas de pause 10-12 ou n' a droit à une telle pause que tard dans le quart de travail. L'appelante souligne le témoignage de M. Robert Barss, l'un des témoins de l'intimé, selon lequel il ne demande pas de pauses, mais crée ses propres occasions. À l'appui de son argument selon lequel les demandes de pauses 10-12 sont favorablement accueillies, l'appelante renvoie à son fichier mensuel de référence sur les pauses 10-12 déposé en preuve, qui indique un nombre croissant de demandes faites chaque mois par les opérateurs entre le mois d'avril 2010 et le mois de décembre 2013, et une diminution du nombre de refus donnés en réponse, qui a baissé jusqu'à zéro, selon le dossier,au cours des quatre derniers mois de 2013. Il semble que, pour l'appelante, ce dossier, ainsi que les possibilités d'intégrer des pauses naturelles dans l'horaire d'un opérateur, offrent des pratiques relatives aux périodes de repos et aux pauses-repas conformes aux normes de l'industrie du transport en commun qui n'entraînent pas de danger au sens du Code.
[49] Comme il est indiqué ci-dessus, l'intimé et l'intervenant soutiennent que l'objectif en matière d'efficacité de Para Transpo est de maximiser le service offert à ses passagers dans les limites des ressources restreintes dont elle dispose, indiquant que le taux de demandes de trajets refusées se situe maintenant à 6 % contre 9 % auparavant. Ils affirment qu'il en découle moins de temps pour les pauses, qu'il s'agisse de pauses 10-12 ou de pauses naturelles. Pour eux, la procédure relative aux pauses 10-12 est entravée par des règles et des exceptions et donne lieu à des situations telles que celle rencontrée par l'intimé le 8 juin 2012, lorsque, après avoir travaillé pendant plus de six heures, il a estimé qu'on ne lui accorderait pas de pause 10-12 à moins d'avoir travaillé plus de dix heures. Ils remettent en question la validité des statistiques de l'appelante sur les pauses 10-12, faisant valoir en effet que le nombre relativement faible des demandes de pauses 10-12 par rapport au nombre de quarts de travail d'opérateurs indique que les opérateurs s'attendent à ce que leur demande soit refusée.
[50] Les points de vue de l'intimé et de l'intervenant sur le caractère approprié des périodes de repos sont clairement en contradiction avec ceux de l'appelante. Dans l'ensemble, lorsque j'examine leurs positions, je juge d'abord bien fondé l'argument de l'appelante selon lequel ses mesures d'efficacité sont raisonnables pour le service qu'elle fournit à un public qui en a besoin et que cette efficacité n'entraîne pas automatiquement des conditions de travail dangereuses. Quant à la possibilité de pauses, je reconnais également que la nature de ce secteur de l'industrie du transport urbain ne se prête pas facilement à des pauses régulières prévues à l'horaire même si, comme l'agent de SST l'a fait remarquer, le logiciel Trapeze pourrait offrir une assistance à cet égard.
[51] Une question sous-jacente pour moi est le manque de données précises sur la répartition des périodes de repos, en particulier les pauses 10-7 et autres pauses naturelles. Les données enregistrées par l'agent de SST indiquent que, sur une période de dix mois, soit d'avril 2012 à février 2013, il y avait eu trois occasions où l'intimé s'est vu accorder des pauses 10-12 à la fin de son quart de travail et deux quarts de travail où aucune de ces pauses n'a été enregistrée. Cependant, aucun dossier n'a été conservé sur les pauses naturelles que l'intimé aurait pu prendre. Le commentaire de M. Barss voulant qu'il crée ses propres pauses m'indique que du temps peut être trouvé, mais il aurait été utile de savoir si, en tant que représentant de la santé et de la sécurité des employés, il aurait pu fournir des détails plus concrets. M. Cole a fourni davantage de précisions en ce qui concerne les cas où un quart de travail complet sans pause officielle lui avait causé un stress important, mais il ne m'a pas été précisé clairement s'il a fait part de ses préoccupations au répartiteur à ce moment-là afin que ses tâches soient allégées. Sur ce dernier point, M. Barss a reconnu en contre-interrogatoire que, s'il s'était senti en danger lors d'un trajet, il n'avait aucune raison de croire qu'il ne pouvait pas se ranger sur le côté de la route et que quelqu'un n'aurait pas été dépêché sur les lieux pour aller le chercher.
[52] Les données les plus fiables fournies sont les statistiques mensuelles sur les pauses 10-12. J'accepte le fait qu'elles comportent des lacunes, en ne notant pas notamment l'heure à laquelle une pause a été prise durant un quart de travail. Toutefois, je reconnais qu'elles comptabilisent le moment où un opérateur se voit refuser une demande de pause 10-12 et, par conséquent, le moment où une telle demande est accordée. À cet égard, je suis en désaccord avec la conclusion de l'intimé et de l'intervenant qu'un nombre relativement faible de demandes de pauses 10-12 dans un mois donné signifie que l'effectif dans son ensemble n'a pas la possibilité de faire de telles demandes. Prétendre que le fait que seulement 438 demandes ont été faites en mars 2013, lorsque jusqu'à 2 500 quarts de travail peuvent avoir été travaillés, indique un « préjugé culturel généralisé à l'encontre des pauses chez Para Transpo » passe pour moi à côté de la question. Tout d'abord, parmi ces 438 demandes (on ne sait pas véritablement combien de ces demandes proviennent d'opérateurs différents), seulement dix ont été refusées. Quant aux autres 2 000 demandes possibles de pauses 10-12 et plus, indiquent-elles un préjugé culturel à l'encontre des pauses ou une capacité de la part des opérateurs à trouver suffisamment d'occasions pour d'autres types de pauses? Tout bien pesé, je conclus que cette dernière explication est la plus crédible et j'accepte les arguments de l'appelant à cet égard.
Risque de blessures et de maladies
[53] Le témoignage sur les risques, pour les opérateurs, de subir des blessures en raison de conditions dangereuses, telles que des collisions dues à la fatigue du chauffeur et à un manque d'attention en découlant, était surtout centré sur la validité ou non des statistiques sur les accidents de véhicule de l'appelante pour la période de 2010 à 2012. L'appelante soutient que l'agent de SST n'a pas examiné son dossier de collision et n'a pas été en mesure d'attribuer un accident à la fatigue d'un opérateur. Pour l'appelante, le message principal livré par ses statistiques est que plus le quart de travail d'un opérateur dure longtemps et moins il y a de risque d'accident de véhicule, et, par déduction, que de longues heures travaillées par un opérateur n'entraînent des accidents de véhicules dus à la fatigue. L'intimé et l'intervenant réfutent ces arguments, soutenant que les statistiques de l'appelante ne cherchent pas à mettre en corrélation les collisions avec d'autres variables telles que les heures de pointe, ajoutant en outre qu'elles n'excluent pas la fatigue et le manque de concentration qui peut en découler comme des facteurs responsables des accidents de véhicule.
[54] Je suis d'accord avec l'intimé et l'intervenant par rapport aux lacunes des statistiques de l'appelante, mais elles constituent les seules statistiques mises à ma disposition qui se rapportent au dossier des accidents de véhicules de Para Transpo. À mon avis, elles n'incluent ni n'excluent la fatigue comme facteur de collisions, mais je note qu'un manque de concentration peut se produire, peu importe que le chauffeur soit bien reposé ou non et que l'inattention au volant puisse entraîner des distractions qui n'ont rien à voir avec la fatigue. Ce que les statistiques indiquent réellement pour la période de 2010 à 2012 est une moyenne annuelle de 48 accidents évitables, dont environ 29 qui sont qualifiés de mineurs. Près de la moitié de l'effectif des opérateurs au cours de la période de trois ans couverte ne compte aucun accident et les deux tiers de l'effectif restant n'en ont enregistré qu'un seul. Étant donné que Para Transpo commence à exercer ses activités tôt le matin et les poursuit jusqu'à tard le soir, sept jours sur sept et durant les heures de pointe de la ville, je ne considère pas ces statistiques alarmantes. Il y a une chose qu'elles n'indiquent pas et c'est de savoir si oui ou non les accidents enregistrés avaient causé des blessures aux employés concernés, mais à cet égard, on ne m'a fourni aucune preuve que de telles blessures avaient été subies.
[55] L'essence même de l'instruction de l'agent de SST est que le défaut de fournir une période de repos et des pauses-repas entraîne une maladie reliée à un stress indu faisant écho aux motifs du refus de travailler donnés par l'intimé. La jurisprudence du Tribunal en ce qui concerne le stress au travail porte principalement sur des situations concernant des allégations de harcèlement ou de conflits interpersonnels au travail causant un stress mental et psychologique, ce qui n'est pas le cas ici. Cependant, cette jurisprudence est fort bien examinée dans la décision d'un agent d'appel dans Nina Tryggvason c. Transport Canada, 2012 TSSTC 10, et je trouve que la citation suivante dans cette décision tirée du paragraphe 35 de l'affaire Alexander c. Conseil du Trésor, 2007 CRTFP 110, est pertinente au présent appel :
[35] De plus, lorsqu'un employé refuse de travailler pour des raisons médicales, comme en l'espèce, il incombe à l'employé de convaincre son employeur, par une preuve documentaire provenant d'un médecin, que le travail en cause est un danger pour la santé (voir United Automobile Workers, Local 636 v. F.M.C. of Canada Ltd., Link-Belt Speeder Division (1971), 23 L.A.C. 234). En d'autres termes, l'employé a la charge de produire une preuve médicale qui étaye son affirmation selon laquelle il y a effectivement un danger.
[56] La jurisprudence précitée exigerait que l'intimé fournisse à l'appelante une confirmation médicale documentée des problèmes de santé qui, selon lui, découlent d'un danger et justifient son refus de travailler. L'intimé s'est rappelé qu'il a fourni un certificat médical après avoir visité son médecin dans la semaine suivant son refus de travailler, mais l'appelante nie avoir reçu ce certificat. Bien que je ne doute pas que l'intimé croit qu'il a fourni un certificat médical, tout compte fait, j'accepte que l'employeur dispose d'un système de tenue de dossiers fiable dans de tels cas et je conclus que sa version des événements est la plus crédible. J'ai bien un témoignage de l'intimé quant au fait que le stress lui cause une perte d'appétit et des problèmes de sommeil, et en ce qui a trait à une indication de son médecin d'une pression artérielle plus élevée que la normale, problèmes qu'il attribue au fait que l'appelante n'accorde pas suffisamment de pauses-repas et de périodes de repos. Cependant, les conditions auxquelles il renvoie pourraient avoir plusieurs causes. La preuve établit que l'intimé n'a pas produit de confirmation médicale documentée de l'existence ou de la cause de ses problèmes de santé tout au long du processus, que ce soit à l'appelante, à l'agent de SST ou à moi-même. À ce titre et à la lumière de la jurisprudence, leur valeur probante dans le présent appel s'en trouve considérablement réduite.
[57] En réunissant les éléments ci-dessus, je constate d'abord que les heures de travail totales se situent tout à fait dans les limites prévues par la loi, permettant ainsi de disposer de périodes de repos et de loisirs et de pourvoir à ses besoins personnels. Quant aux pauses, même si elles ne sont pas régulièrement insérées dans l'horaire, des demandes de pauses 10-12 sont prévues, qui, lorsqu'elles sont exercées, sont accueillies favorablement. Des données précises sur la disponibilité de pauses 10-7 ou d'autres pauses naturelles ne sont pas disponibles. Cependant, j'estime que la preuve qui m'a été présentée, y compris le témoignage de M. Barss, qui admet ne jamais demander de pauses, mais qui trouve parfois du temps pour en prendre de toute façon, ainsi que le fichier mensuel de référence des pauses 10-12 qui indique que les demandes refusées diminuent au fur et à mesure que les demandes augmentent, appuient la position de l’appelante. On ne m'a présenté aucune preuve que les blessures subies par les opérateurs avaient été causées par les accidents de véhicule comptabilisés, ou que la fatigue avait été un facteur responsable de ces accidents. En effet, l'application d'une observation tirée de l'arrêt Martin (une décision précitée de la Cour d'appel fédérale), au paragraphe 37, que « les tribunaux administratifs sont régulièrement appelés à interpréter le passé et le présent pour tirer des conclusions sur ce à quoi on peut s’attendre à l’avenir. », suppose que la probabilité que de telles blessures surviennent est moins que certaine. Enfin, l'absence de confirmation médicale documentée des allégations de l'intimé relatives à la santé est contraire à la jurisprudence et n'aide pas sa cause.
[58] Comme il a été déduit au début de cette analyse, à mon avis, une décision dans le présent appel dépend de la nature de la possibilité d'établir un danger au sens du Code par suite de l'activité désignée par l'agent de SST. « Raisonnable » ou « simple » sont les qualificatifs que la jurisprudence susmentionnée a donnés à cette possibilité. Comme je l'ai mentionné à d'autres moments, les mots « raisonnable » et « simple » sont des adjectifs de degré ou de valeur et la force probante de la preuve disponible doit être évaluée afin de déterminer où la démarcation entre ces deux qualificatifs se situe. J'ai étudié en détail la preuve et les témoignages dont j'ai été saisi. J'ai tenté au paragraphe précédent d'en décortiquer les éléments essentiels que je considère comme étant les plus pertinents à ma décision.
[59] Gardant à l'esprit que l'activité visée porte sur la conduite de véhicules de Para Transpo parfois sans possibilités de bénéficier de pauses-repas et de périodes de repos durant un quart de travail, je dois maintenant évaluer d'après les éléments de preuve si cette activité est susceptible de causer des blessures ou une maladie à l'intimé lorsqu'il y est exposé avant que la situation soit corrigée. Aucune preuve n'a été fournie pour établir que la fatigue avait été la cause d'accidents de véhicules. De plus, il n'y a eu aucune preuve produite de blessures subies par les opérateurs, y compris l'intimé, ayant été causées par un accident de véhicule durant un quart de travail. Bien que cela ne signifie pas que les futurs accidents n'entraîneront pas de blessures, je considère que cette absence de preuve, lorsque conjuguée au dossier d'accidents favorable des chauffeurs professionnels de Para Transpo, nous en apprend beaucoup quant au degré d'une telle possibilité et je conclus dans l'ensemble qu'il s'agit d'une simple possibilité plutôt qu'une possibilité raisonnable.
[60] En ce qui concerne les pauses et la maladie, bien que des pauses ne soient pas régulièrement insérées dans l'horaire, la preuve démontre que des pauses naturelles sont possibles en sus des demandes de pauses 10-12. Dans la mesure où les opérateurs ne demandent pas de pauses 10-12, je ne peux pas accepter que cela signifie que de telles pauses ne leur sont pas offertes. Les statistiques mensuelles les plus récentes sur les pauses postérieures au refus de travailler indiquent que de plus en plus d'opérateurs demandent et se voient accorder ces pauses. Lorsque j'ajoute ces considérations au défaut de l'intimé d'avoir fourni une confirmation documentée de ses problèmes médicaux, je conclus également que dans l'ensemble, le fait que ces problèmes seraient causés par la politique sur les pauses de l'appelante constitue une simple possibilité plutôt qu'une possibilité raisonnable. Je conclus que l'intimé n'était pas exposé à un danger tel que défini dans le Code au moment où il a exercé son refus de travailler et par conséquent, l'agent de SST O'Donnell n'était pas justifié d’émettre l’ instruction à l'employeur.
[61] Pour en arriver à ma décision, je n'ai pas eu besoin d'examiner la prétention de l'appelante que les refus de travailler ne devraient pas être utilisés pour traiter des questions générales en matière de relations de travail ou de politique. Il est évident que la politique relative aux pauses et sa mise en œuvre ont soulevé des questions dans le passé. La sentence arbitrale de 2004 susmentionnée dresse l'historique de la question à partir de l'époque où les opérateurs liés à l'employeur par contrat jouissaient d'une demi-heure de pause-repas prévue à l'horaire laquelle, conformément à un accord conclu en 1990-1991, a été abandonnée au profit d'une paye d'une demi-heure supplémentaire. Cet arrangement a été reconnu en 1996 dans la convention collective entre l'employeur et l'agent négociateur de l'époque, qui comprenait l'article 8.4. Le logiciel Trapeze a été introduit en 1999 et la question de périodes de repos suffisantes est devenue suffisamment grave pour être au cœur des questions en litige lors de la grève qui a eu lieu en 2001. L'arbitrage des différends ultérieur a maintenu l'article 8.4, mais a également prévu une indemnité de repas de 7 $ qui demeure dans la convention collective entre l'appelante et l'intervenant. La sentence arbitrale sur les droits de 2004 indique que l'arbitre resterait saisi s'il devait y avoir des questions quant à l'interprétation ou l'application de la sentence. Il semblerait que les solutions de règlement des griefs mentionnées dans la sentence en ce qui concerne la politique relative aux pauses n'ont jamais atteint leur finalité. Il semblerait également que l'avis de l'arbitre d'améliorer la collecte de données sur les pauses s'est limité à la politique relative aux pauses 10-12. Ces questions outrepassent bien entendu ma compétence, mais, dans la mesure où une question demeure, une tribune sur les relations patronales-syndicales est peut-être l'endroit tout indiqué pour régler la question.
Décision
[62] Pour les motifs susmentionnés, j’en arrive à la conclusion que l’intimé n’était pas exposé à un danger au sens du Code lorsqu'il a exercé son refus de travailler, et j'annule par les présentes, conformément à l'alinéa 146.1(1)a) du Code, l'instruction émise le 18 avril 2013 à la ville d'Ottawa par l'agent de SST O’Donnell.
Michael McDermott
Agent d’appel