2014 TSSTC 5

Référence : Via Rail Canada Inc. c. Unifor, 2014 TSSTC 5

Date : 2014-05-21
No. dossier : 2014-09
Rendue à : Ottawa

Entre :

Via Rail Canada Inc., Demanderesse

et

Unifor, Intimée

Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction donnée par une agente de santé et de sécurité, conformément au paragraphe 146(2) du Code canadien du travail.

Décision : La demande est rejetée.

Décision rendue par : M. Jean Arteau, Agent d’appel

Langue de la décision : Français

Pour la demanderesse : Me Jacques Rousse, Avocat - McCarthy Tétrault

Pour l’intimée : Me Sibel Ataogul, Avocate - Melançon, Marceau, Grenier et Sciortino

MOTIFS DE DÉCISION

[1]   Le 18 mars 2014, Me Audrey Lévesque a déposé au nom de Via Rail Canada Inc. (Via Rail), une demande d’appel d’une instruction émise par une agente de santé et sécurité (Agente de SST) en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code). L’appel était accompagné de la présente demande de suspension de la mise en oeuvre de cette instruction et ce, conformément au paragraphe 146(2) du Code.

Contexte

[2]   Ce qui suit constitue un bref sommaire des faits ayant directement mené à l’émission de l’instruction sous appel; un énoncé détaillé de la situation n’étant pas nécessaire pour les fins de la présente demande de suspension.

[3]   Le 13 mars 2014, l’agente de SST madame Marie-Ève Fortier a émis une instruction enjoignant l’employeur Via Rail de nommer une personne qualifiée pour faire enquête en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement).

[4]   L’émission de l’instruction fait suite à une plainte déposée par l’employé monsieur Sylvain Gendron, syndiqué Unifor, le 28 octobre 2013 auprès du Programme du travail du ministère Emploi et Développement social Canada alléguant qu’il était victime de violence dans son milieu de travail.

[5]   Entre le 29 octobre 2013 et le 12 novembre 2013, l’agente de SST a contacté monsieur Marc Beaulieu directeur général régional-est et chef du transport de Via Rail pour l’aviser de la plainte et discuter de la question du règlement à l’amiable prévu au paragraphe 20.9(2) du Règlement.

[6]   Le 12 novembre 2013, l’employeur informe l’agente de SST qu’une personne compétente sera nommée; notons qu’à cette date, aucune copie de la plainte n’avait été remise à l’employeur puisque le plaignant monsieur Gendron n’avait pas accordé son consentement parce qu’il était en vacances jusqu’au début du mois de décembre.

[7]   La personne compétente nommée par Via Rail a amorcé une enquête qui fut interrompue à la demande de l’employeur après deux rencontres avec l’employé, l’employeur alléguant que le document de plainte ne lui avait toujours pas été transmis.

[8]   Le 15 janvier 2014, monsieur Gendron a consenti à ce que l’agente de SST transmette la plainte à Via Rail. Ce qui fut fait le 23 janvier 2014 en présence de monsieur Gendron, monsieur Beaulieu, représentant de Via Rail, monsieur Marc Laframboise, coprésident employé comité local de santé et de sécurité et Marie-Ève Fortier, agente de SST. Après le 23 janvier, il appert que le service juridique de Via Rail en la personne de Me Morello a également été saisi du dossier.

[9]   Notons que Me Heack, ombudsman de Via Rail, était saisi du dossier depuis le début de 2013. Le dossier indique que l’ombudsman confirme que son intervention est distincte du processus prévu au paragraphe 20.9(2) du Règlement.

[10]           Le 5 mars 2014, l’agente de SST est informée par Via Rail que le dossier d’enquête de plainte était fermé. Le 13 mars 2014, l’agente de SST émet alors l’instruction suivante :

[…]

125.(1)(z.16) – Partie II du Code canadien du travail, 20.9(3) - Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

L'employeur Via Rail Canada Inc., représenté par Monsieur Marc Beaulieu, n'a pas nommé une personne compétente conformément à l'article 20.9 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, pour faire enquête concernant l'allégation de violence de Monsieur Sylvain Gendron.

Le 23 janvier 2014 dernier, Monsieur Gendron, employé de Via Rail, a remis sa plainte écrite à Monsieur Beaulieu, directeur général régional, en compagnie de Monsieur Laframboise, coprésident employé du comité local de santé et de sécurité et de l'Agent de santé et de sécurité Marie-Ève Fortier. Dans sa plainte Monsieur Gendron allègue être victime de violence.

En date d'aujourd'hui aucune personne compétente n'a été nommée pour faire enquête sur la situation de violence en milieu de travail.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l'alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 27 mars 2014.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES en vertu de l'alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail de prendre, dans les délais précisés par l'agente de santé et de sécurité, les mesures qu'il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Fait à Montréal ce 13ième jour de mars 2014.

Marie-Ève Fortier

Agente de santé et de sécurité

[…]

[11]           Le 18 mars 2014, Via Rail a fait parvenir une demande d’appel accompagnée d’une demande de suspension de l’instruction.

[12]           L’audition de la demande de suspension a eu lieu le 26 mars 2014 par téléconférence en présence de Me Jacques Rousse, Me Audrey Lévesque et de Me John Nicolas Morello pour la partie demanderesse Via Rail et de Me Sibel Ataogul représentante de monsieur Gendron et de Unifor. Des représentations écrites de Me Rousse et de Me Ataogul me furent également transmises.

[13]           Suite à un examen attentif des observations écrites et orales de Me Rousse et de Me Ataogul, j’ai, le 28 mars 2014, refusé la demande de suspension. Les motifs au soutien de ma décision sont présentés ci-après.

Analyse

[14]           Le pouvoir d’un agent d’appel d’accorder une suspension découle du paragraphe 146(2) du Code :

146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en oeuvre des instructions

L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit correspondre au but général poursuivi par la Partie II du Code, tel qu’énoncé à l’article 122.1 :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

[15]           Pour traiter de la présente demande de suspension, j'ai appliqué le test suivant :

 

  1. Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l'agent d'appel qu'il s'agit d'une question sérieuse à traiter et non pas d'une plainte frivole et vexatoire;

 

  1. Le demandeur doit démontrer que le refus par l'agent d'appel de suspendre l'application de l'instruction lui causera un préjudice important;

 

  1. Le demandeur doit démontrer que dans l'éventualité où une suspension serait accordée, des mesures seraient mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

La question à traiter dans le cadre de cet appel est-elle une question sérieuse?

[16]           Les deux parties m’ont soumis des représentations qui soulèvent d’emblée, l’obligation contenue au paragraphe 20.9(3) du Règlement. Que l’on aborde, comme le soulève l’employeur, l’absence d’obligation de nomination d’une « personne qualifiée » en l’espèce ou encore, selon le syndicat, la non-conformité des gestes posés par l’employeur aux obligations contenues à 20.9(3), il en ressort qu’il existe bel et bien une question sérieuse qui devra être traitée dans cet appel. Cette question est la portée de l’exigence législative contenue à cette disposition voir même au régime de notification et d’enquête prévu à l’article 20.9.

[17]           J’estime donc que le premier critère est rencontré.

Le demandeur subira-t-il un préjudice important si l’instruction n’est pas suspendue?

[18]           Me Rousse avance que l’employeur subira un préjudice important si cette instruction n’est pas suspendue. De façon générale, il met de l’avant la difficulté de remettre en branle un processus d’enquête étant donné qu’il y a déjà eu la nomination d’une personne compétente dans un passé récent et que l’obligation de se conformer à l’instruction donnerait lieu à deux processus de plaintes puisque l’ombudsman est déjà saisi du dossier.

[19]           Le représentant de l’employeur soulève ensuite la question de la mobilisation de ressources humaines et financières par l’employeur alors que l’appel remet en cause la validité même de l’obligation contenue à l’instruction. Me Rousse soulève de plus la possibilité de résultats ou décisions contradictoires de l’ombudsman et de la personne compétente.

[20]           Enfin Me Rousse soulève la possibilité que si la demande de suspension est refusée, l’appel sur le fond devienne purement théorique constituant un déni de mon obligation de respecter l’équité procédurale.

[21]           Me Sibel Ataogul, pour la partie intimée, soutient que l’obligation de nommer une personne qualifiée ne lèse en rien l’employeur.

[22]           Au sujet des décisions potentiellement contradictoires, Me Ataogul soulève que la prétention de l’employeur signifie que l’article 20.9 ne pourrait pas être mis en application dans aucun cas et ce, tant et aussi longtemps que d’autres recours sont pendants, ce qui, selon elle, est absurde.

[23]           Me Ataogul rappelle que la nomination d’une personne qualifiée ne peut constituer un préjudice à un employeur de l’envergure de Via Rail qui a entre autre accès à une banque de données de personnes expertes en la matière.

[24]           En ce qui concerne l’argument soulevée par la partie demanderesse concernant le caractère théorique de l’appel et l’équité procédurale, Me Ataogul soumet que cela ne peut constituer un préjudice irréparable ou important. Elle cite à cet effet l’affaire Canadian Food Inspection Agency v. Public Service Alliance of Canada, 2013 OHSTC 18.

[25]           Je débuterai en mentionnant d’emblée, que je suis d’accord avec l’analyse de mon confrère dans l’affaire Canadian Food Inspection Agency. L’employeur aura le loisir de faire valoir l’assemble de ses prétentions sur ses obligations en vertu de la partie XX du Règlement lors de l’audience sur le fond de cet appel. Le fait de devoir se plier à l’instruction ne vient pas et ce d’aucune façon dépouiller l’appelant de son recours statutaire.

[26]           Pour établir la présence d’un préjudice important, de façon générale, il me semble que des arguments relatifs à l’impact de la mise en œuvre de l’instruction sur, par exemple, l’équipement, les opérations ou encore les ressources humaines doivent être présentés.

[27]           Via Rail ne m’a rien présenté de tel.

[28]           Je comprends également que l’instruction n’aura pas d’impact sur les opérations de la partie demanderesse.

[29]           Relativement aux ressources humaines, le seul employé touché est monsieur Gendron; il est déjà en arrêt de travail. Il n’y aura pas de déplacement de travailleurs ou de formation à donner à d’autres travailleurs. Tous les autres travailleurs continuent à travailler comme habituellement. Enfin, la personne compétente pour réaliser l’enquête provient de l’extérieur de Via Rail.

[30]           Dans le cadre d’une demande de suspension, il appartient au demandeur de convaincre l’agent d’appel de suspendre une instruction, qui est dans les faits une ordonnance, jusqu’au prononcer de la décision finale. Pour ce faire, il doit, entre autre, démontrer, de façon claire et probante, un impact préjudiciable important pour l’entreprise ou le lieu de travail en l’absence de suspension. C’est ce qui est visé par le second critère.

[31]           Dans le cas qui nous occupe, on ne m’a pas démontré un tel impact; ce sont, tout au plus, des inconvénients de degré divers qui furent soulevés.

[32]           À mon avis, les arguments présentés par l’appelant ne servent pas à démontrer qu’un préjudice important sera subi par l’employeur si l’instruction est maintenue jusqu’à ce que l’appel soit traité sur le fond.

Quelles mesures seront mises en place pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise sur le lieu de travail si la suspension est accordée?

[33]           Compte tenu de ma conclusion quant au second critère, le rejet du second critère, je n’ai pas à me pencher sur le troisième critère pour les fins de cette demande de suspension.

Décision

[34]           Pour ces motifs, la demande de suspension de la mise en oeuvre de l’instruction émise par l’Agente de SST Marie-Ève Fortier, le 13 mars 2014, est rejetée.

 

Jean Arteau
Agent d’appel

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