2014 TSSTC 10
Date : 2014-06-10
Dossier no : 2014-11
Entre :
441861 Ontario Limited c.o.b. Ivan Armstrong Trucking, demanderesse
Indexé sous : 441861 Ontario Limited c.o.b. Ivan Armstrong Trucking
Affaire : Demande de suspension partielle de la mise en œuvre d’une instruction
Décision : La demande de suspension partielle de la mise en œuvre de l’instruction est rejetée.
Décision rendue par : M. Douglas Malanka, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour la demanderesse : Mes Albert G. Formosa et Macdonald R.I. Allen, avocats, Weir Foulds LLP
Référence : 2014 TSSTC 10
MOTIFS DE DÉCISION
[1] Les présents motifs ont trait à une demande de suspension partielle de la mise en œuvre d’une instruction émise par Rob Noel, agent de santé et de sécurité (agent de SST), déposée auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) le 7 avril 2014 par Me Albert Formosa, avocat de la société 441861 Ontario Limited c.o.b. Ivan Armstrong Trucking (Armstrong).
[2] Un appel de l’instruction a été interjeté le jour même, accompagné de la demande écrite de suspension partielle conformément au paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code). Le paragraphe 146(2) du Code se lit comme suit :
146(2) À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.
[3] La présente demande de suspension partielle a pour objet de modifier la constatation no 7 de l’instruction de l’agent de SST Noel, jusqu’à ce que l’appel ait tranché cette question de manière définitive.
Contexte
[4] Le 7 mars 2014, l’agent de SST Noel, accompagné par Jeff Lambier et Amy Van Ankum, ont fait enquête dans le lieu de travail exploité par Armstrong, au 8035 2nd Line West, Arthur (Ontario). Quelques jours plus tard, le 13 mars 2014, l’agent de SST Noel a remis à Armstrong une instruction qui relevait sept contraventions au Code.
[5] Dans la constatation no 7, la seule en appel, l’agent de SST Noel cite le paragraphe 128(13) du Code et soutient que l’employeur n’a pas mené d’enquête ni avisé Emploi et Développement social Canada, Programme du travail d’un refus de travailler qui continuait. Le paragraphe 128(13) se lit comme suit :
128(13) L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité.
[6] Le 7 avril 2014, à la réception de la lettre de Me Formosa contenant l’avis d’appel et la demande de suspension partielle de la mise en œuvre de l’instruction, le Tribunal a informé Me Formosa que la demande de suspension serait entendue le 10 avril 2014. Il n’y a pas de défendeur dans cet appel.
[7] Une conférence téléphonique concernant la demande de suspension partielle a eu lieu le 10 avril 2014, pendant laquelle Mes Formosa et Allen, avocats de la demanderesse, ont présenté leurs arguments. J’ai par la suite demandé à Mes Formosa et Allen de formuler leurs observations par écrit avant que je rende ma décision, ce qu’ils ont fait le 14 avril 2014.
Observations de la demanderesse
[8] Les avocats de la demanderesse ont soutenu que l’agent d’appel avait le pouvoir, dans le cadre d’une demande de suspension, de modifier certaines parties d’une instruction avant que celle-ci soit affichée dans le lieu de travail, qu’elle soit envoyée à un comité ou qu’une réponse écrite au sujet de ladite instruction ne soit transmise à l’agent de SST. À cet égard, les avocats ont cité la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2013 TSSTC 5. Dans cette affaire, l’agent d’appel Pierre Hamel a exercé son pouvoir de suspendre partiellement la mise en œuvre d’une instruction en modifiant temporairement la conclusion contestée et en retirant l’énoncé considéré comme étant préjudiciable par l’employeur.
[9] Les avocats de la demanderesse ont affirmé que l’interprétation et l’application adéquates du paragraphe 128(13) du Code représentaient une question sérieuse à trancher, qui n’était ni frivole ni vexatoire. Les avocats ont ajouté que l’employé mentionné dans la constatation no 7 de l’agent de SST avait l’intention d’invoquer cette constatation pour poursuivre l’employeur pour congédiement injustifié.
[10] Les avocats ont également fait valoir qu’Armstrong subirait un préjudice important si la suspension partielle n’était pas accordée, préjudice comportant les trois composantes suivantes :
Atteinte à la réputation
[11] Les avocats de la demanderesse ont soutenu qu’il était raisonnable de prétendre qu’une instruction concluant au défaut de l’employeur de faire enquête et de signaler un refus de travailler qui persiste était susceptible de nuire à la réputation d’Armstrong. Les avocats ont indiqué que l’obligation d’afficher l’instruction dans le lieu de travail et d’en remettre une copie au comité local de santé et de sécurité mettait l’instruction à la disposition du public, des employés d’Armstrong et des médias. Les avocats ont fait valoir que la conclusion contestée dans la constatation no 7 laissait entendre, à tort, qu’Armstrong ne se souciait pas de la santé et de la sécurité de ses employés et qu’elle ruinait les bonnes relations qu’Armstrong avait établies avec eux.
Procédures préjudiciables
[12] Les avocats de la demanderesse ont soutenu que la conclusion apparaissant dans la constatation no 7 de l’agent de SST Noel, spécialiste en santé et sécurité au travail, investi d’importants pouvoirs conférés par la loi, avait une grande influence sur la perception des employés et du public. Les avocats ont ajouté que l’employé mentionné dans la constatation no 7 de l’agent de SST avait l’intention d’invoquer cette constatation pour poursuivre l’employeur pour congédiement injustifié. Les avocats de la demanderesse ont indiqué qu’Armstrong devrait sans doute se défendre contre une procédure civile injustifiée intentée contre elle et qui entacherait encore plus sa réputation si la constatation no 7 n’était pas modifiée.
Déni d’équité procédurale
[13] Les avocats de la demanderesse ont soutenu que le fait d’exiger qu’Armstrong réponde par écrit à la constatation contestée dans l’instruction ne respectait pas les principes d’équité procédurale. Selon les avocats, Armstrong n’aurait pas la même latitude pour répondre à l’instruction si elle devait donner suite à la constatation no 7 avant qu’un agent d’appel ait pu trancher la question sur le fond.
Analyse
[14] Le 17 avril 2014, j’ai rendu ma décision de rejet de la demande de suspension partielle de l’instruction et en ai informé la demanderesse le jour même par écrit. Voici les raisons qui justifiaient ma décision.
[15] Le paragraphe 146(2) du Code confère à l’agent d’appel le pouvoir de suspendre la mise en œuvre d’une instruction, mais le Code ne précise pas les conditions ou les facteurs que l’agent d’appel doit prendre en considération dans l’exercice de ce pouvoir. Cela dit, les agents d’appel doivent être guidés, à tout le moins, par la disposition de déclaration d’objet du Code, qui dit, au paragraphe 122.1 :
122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.
[16] À cette fin, les agents d’appel ont établi trois critères pour l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 146(2), critères que j’appliquerai à cette demande. Les voici :
1) La demanderesse doit convaincre l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à trancher, et non d’une demande frivole et vexatoire;
2) La demanderesse doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causerait un préjudice important.
3) La demanderesse doit démontrer que, dans l’éventualité où une suspension serait accordée, des mesures seraient instaurées pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.
S’agit-il d’une question sérieuse à trancher, et non d’une demande frivole ou vexatoire?
[17] Dans cette affaire, je suis d’accord avec les avocats de la demanderesse pour dire que l’interprétation et l’application adéquates du paragraphe 128(13) du Code représentent une question sérieuse à trancher, qui n’est ni frivole ni vexatoire. Le droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du Code fait partie des droits fondamentaux des employés en vertu du Code, et tout malentendu ou toute incertitude quant à l’interprétation et à l’application de cette partie constitue une question sérieuse.
La demanderesse subira-t-elle un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?
[18] D’abord, je considère non fondée l’allégation de l’employeur selon laquelle la mise en œuvre de l’instruction nuira à sa réputation, et ce, pour la raison suivante. Les observations écrites à l’appui de la demande de suspension partielle des avocats de la demanderesse reposent largement sur la décision de l’agent d’appel Pierre Hamel dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (citée précédemment), où l’on a donné suite à une demande semblable de suspension partielle. L’agent d’appel Hamel a décidé qu’il était raisonnable pour l’employeur, compte tenu des circonstances de cette affaire, de soutenir qu’une instruction concluant au fond à la responsabilité de l’employeur à l’égard d’un accident mortel était susceptible de nuire à la réputation dudit employeur. Pour en arriver à cette conclusion, l’agent d’appel Hamel a pris en considération l’allégation de l’employeur selon laquelle l’agent de SST en cause n’était pas habilité à tirer des conclusions sur la cause et la responsabilité de l’accident mortel.
[19] Toutefois, les faits entourant cette affaire diffèrent grandement de ceux en l’espèce, puisqu’il n’y a pas d’accident grave ou mortel ici. De plus, dans le cas qui nous occupe, la demanderesse ne prétend pas que l’agent de SST Noel n’était pas habilité à faire la constatation qu’il a faite. À mon avis, n’importe quel employeur à l’intention de qui un agent de SST, agissant dans le cadre de son mandat, aurait émis une instruction citant une contravention au Code pourrait invoquer l’argument soulevé par l’employeur concernant une atteinte possible à sa réputation advenant la mise en œuvre de la constatation no 7 de l’instruction.
[20] Je n’ai pas été davantage convaincu par l’argument de la demanderesse selon lequel le défaut de suspendre la mise en œuvre de la constatation no 7 de l’instruction entraînerait des procédures préjudiciables. Les avocats de la demanderesse ont encore fait référence à la décision déjà citée de l’agent d’appel Hamel, qui a conclu que l’instruction dans cette affaire causerait un préjudice à l’employeur dans ses rapports avec le ou les autres organismes compétents si l’employeur avait raison d’affirmer que l’agent de SST n’était pas habilité à tirer des conclusions sur la cause et la responsabilité de l’accident mortel.
[21] Dans le cas qui nous occupe, comme il a déjà été mentionné, on ne conteste pas l’autorité de l’agent de SST de faire la constatation no 7, et la demanderesse n’a pas relevé d’autres circonstances extraordinaires pour me convaincre que la mise en œuvre de l’instruction entraînerait des procédures préjudiciables. De plus, les paragraphes 133(1), (2) et (3) du Code donnent à l’employé le droit de porter plainte au Conseil canadien des relations industrielles s’il estime que l’employeur a agi de manière à restreindre ses droits en vertu des articles 128 ou 129 du Code. Selon moi, on ne peut pas dire qu’une instruction entraîne des procédures préjudiciables au sujet d’un droit limité dans le temps d’un employé en vertu du Code.
[22] Enfin, les avocats de la demanderesse affirment qu’Armstrong serait privée d’équité procédurale si elle devait donner suite à la constatation no 7 de l’instruction avant que l’appel soit tranché sur le fond, parce que cela limiterait la réponse d’Armstrong. Or, il n’est pas rare qu’un employeur se conforme à une instruction, à moins que l’agent d’appel n’octroie exceptionnellement une suspension de l’instruction en appel. En conséquence, la demanderesse ne m’a pas convaincu que ces circonstances représentaient un préjudice important.
[23] Selon ce qui précède, je ne suis pas convaincu que l’employeur subirait un préjudice important si je n’accordais pas la suspension de la constatation no 7 de l’instruction. J’estime donc que le deuxième critère n’est respecté dans le cas présent.
[24] Les trois critères doivent être respectés pour que l’agent d’appel accorde une suspension de la mise en œuvre d’une instruction conformément au paragraphe 146(2) du Code, et comme j’ai déterminé que le deuxième critère n’était pas respecté, je n’ai pas à examiner le troisième critère.
Décision
[25] Pour les raisons énoncées ci-dessus, je rejette la demande de suspension partielle de la mise en œuvre de l’instruction émise par l’agent de SST Noel le 13 mars 2014.
Douglas Malanka
Agent d’appel