2014 TSSTC 11
Date : 2014-07-03
N° de dossier : 2013-26
Entre :
Agence des services frontaliers du Canada, appelante
et
Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée
Indexé sous : Agence des services frontaliers du Canada c.
Alliance de la Fonction publique du Canada
Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité
Décision : L’instruction est confirmée.
Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelante : Me Christine Langill, avocate, ministère de la Justice, Groupe du droit du travail et de l’emploi
Pour l’intimée : M. Jean-Rodrigue Yoboua, agent de représentation, Alliance de la Fonction publique du Canada
Référence : 2014 TSSTC 11
MOTIFS
[1] La présente décision concerne un appel interjeté par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC » ou l’« employeur ») en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le « Code ») à l’encontre d’une instruction émise le 22 avril 2013 par Paul G. Danton, agent de santé et de sécurité (agent de SST). L’instruction porte sur une nouvelle politique sur le port obligatoire de l’insigne nominatif adoptée par l’employeur le 11 décembre 2012 qui vise les agents des services frontaliers (ASF) lorsqu’ils s’acquittent de leurs tâches.
[2] Cette instruction se lit comme suit :
[Traduction] DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II − SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)
Aux environs du 4 avril 2013, l’agent de santé et de sécurité soussigné a procédé à une enquête concernant une instruction précédente émise vers le 12 décembre 2012 dans le lieu de travail exploité par l’Agence des services frontaliers du Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail et sis au 99, rue Metcalfe, 3e étage, Ottawa (Ontario) K1A 0L8, ledit lieu étant parfois connu sous le nom d’Agence des services frontaliers du Canada.
Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été enfreinte :
No./no 1
Alinéa 125(1)z.03) – Code canadien du travail, Partie II -
125. 1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,
z.03) en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, d’élaborer et de mettre en œuvre un programme réglementaire de prévention des risques professionnels — en fonction de la taille du lieu de travail et de la nature des risques qui s’y posent — , y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité, et d’en contrôler l’application;
Alinéa 19.5(1) – Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail
19.5 (1) Afin de prévenir les risques, y compris ceux liés à l’ergonomie, qui ont été recensés et évalués, l’employeur prend toute mesure de prévention selon l’ordre de priorité suivant :
a) l’élimination du risque, notamment par la mise au point de mécanismes techniques pouvant comprendre des aides mécaniques et la conception ou la modification d’équipement en fonction des attributs physiques de l’employé;
b) la réduction du risque, notamment par son isolation;
c) la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection personnels;
d) l’établissement de procédures administratives, telles que celles relatives à la gestion des durées d’exposition aux risques et de récupération ainsi qu’à la gestion des régimes et des méthodes de travail.
L’employeur n’a pas pris de mesures de prévention pour réduire le risque évalué associé à la mise en œuvre de la nouvelle politique sur le port de l’insigne nominatif dans ses divers lieux de travail partout au pays.
Il vous est donc ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, conformément à l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à cette contravention au plus tard le 22 mai 2013.
De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre, au plus tard dans le délai imparti par l’agent de santé et de sécurité, les mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.
Fait à London, ce 22e jour d’avril 2013.
(signature)
PAUL G DANTON
Agent de santé et de sécurité
[…]
À : M. Marc Thibodeau
Directeur général des Ressources humaines
Agence des services frontaliers du Canada (ASFC)
99, rue Metcalfe, 3e étage
Ottawa (Ontario) K1A 0L8
[3] Les motifs à l’appui de l’appel sont énoncés dans une lettre datée du 3 mai 2013, envoyée au Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) par l’avocate de l’appelante, et se lisent, en partie, comme suit :
[…]
[Traduction] Un certain nombre d’agents de santé et de sécurité (agents de SST) ont fait enquête sur divers refus de travailler liés à la question des insignes nominatifs. Seul l’agent de SST Danton a exprimé des réserves. Des renseignements ont été fournis à deux occasions distinctes à M. Danton et à ses collègues ayant pris part à l’instruction initiale du 12 décembre 2012. […]
Un autre facteur critique est que la grande majorité des agents de santé et de sécurité qui ont enquêté séparément sur les refus de travailler liés à la mise en œuvre de la politique des insignes nominatifs n’ont pas estimé que l’Agence avait manqué à son devoir de prendre des mesures de prévention. Au contraire, l’agent de SST Domenico Lacobellis a clairement indiqué qu’il y avait trop de politiques en place pour composer avec d’éventuels incidents :
[Traduction] « L’employeur dispose de diverses politiques redondantes comme la Politique sur la prévention de la violence en milieu de travail et le chapitre 26 : Politique sur les mauvais traitements, menaces, poursuites et voies de fait commis contre des employés, qui portent sur les signes précurseurs d’incidents et les mesures à prendre en cas de menace. Il a également été question de plusieurs mesures pouvant être adoptées, allant de la présence d’escortes à une intervention policière. J’estime que ces mesures réduisent le risque lié à la mise en œuvre de la politique sur les insignes nominatifs. »
L’employeur est d’avis que l’instruction de l’agent de SST Danton est : a) imprécise au point où son application se fonde sur des conjectures quant à son contenu, b) ne tient pas compte du fait que des politiques et des procédures existent déjà qui réduisent le risque lié au port de l’insigne nominatif, et c) n’est pas compatible avec les décisions précédentes rendues par d’autres agents de SST.
[4] L’audience de l’appel s’est tenue à Ottawa du 9 au 11 décembre 2013. L’agent de SST Danton a témoigné à la demande de l’agent d’appel et fourni un aperçu des circonstances qui l’ont amené à émettre l’instruction en appel. L’appelante a appelé les témoins suivants : M. Jeremy Adams (conseiller principal en SST, ASFC), M. Robert Braun (chef des opérations, Pont Blue Water, ASFC), M. Pierre Rivard (directeur, Infrastructure et sécurité de l’information, ASFC) et Mme Cindy Likins (conseillère principale en matière de programmes, ASFC). L’intimée a appelé M. Jason McMichael (premier vice-président national, SEIC). Le Tribunal a reçu les observations finales des parties le 28 février 2014.
Contexte
[5] Le 11 décembre 2012, la nouvelle politique de l’ASFC sur les insignes nominatifs est entrée en vigueur. Cette politique exige que les ASF portent un insigne indiquant leur nom de famille lorsqu’ils s’acquittent de leurs tâches. L’employeur estime que, comparativement aux insignes d’identité, les insignes nominatifs montrent au public que l’ASFC et ses agents assument la responsabilité des mesures qu’ils prennent pour servir et protéger les collectivités canadiennes, en plus de refléter leur engagement à l’égard de l’excellence du service et du professionnalisme. À l’origine, l’insigne nominatif indiquait la première lettre du prénom et du nom de famille de l’employé. On a retiré les initiales à la suite d’observations présentées à l’employeur par les permanents syndicaux des ASF. Avant l’adoption de la politique sur les insignes nominatifs, les ASF étaient identifiés au moyen d’insignes numériques, qu’ils portaient sur leur uniforme.
[6] On convient que les ASF sont employés pour assumer des responsabilités d’application de la loi, afin d’assurer la sécurité frontalière et de protéger la société et l’économie canadiennes en facilitant le mouvement des personnes et des marchandises qui franchissent la frontière de façon légitime et en empêchant l’entrée de celles qui pourraient poser un risque pour le Canada. Pour s’acquitter de ces tâches, les ASF ont le statut d’agent de la paix et exercent un pouvoir de première intervention pour arrêter ou détenir des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions en vertu de différentes lois du Parlement. Leurs « clients » sont des citoyens canadiens qui retournent au Canada et des ressortissants étrangers de partout dans le monde. Ils traitent avec un vaste éventail de gens, qui vont de citoyens très respectueux des lois – la vaste majorité – à des criminels. Les réactions négatives que suscitent parfois les mesures qu’ils doivent prendre pour appliquer la loi (paiement de taxes, saisie, détention) peuvent aller d’instables à violentes. Les ASF peuvent travailler dans de très petites collectivités (p. ex. des postes frontaliers en zones rurales) ou dans de très grands centres urbains, des aéroports ou des ports. Il est juste de tenir pour acquis que les ASF vivent généralement dans la collectivité la plus près de leur lieu de travail.
[7] L’adoption de la politique sur le port obligatoire de l’insigne nominatif a suscité d’importantes inquiétudes parmi les ASF. Ces inquiétudes ont été exprimées à plusieurs occasions lorsque le sujet a été abordé par le comité d’orientation en matière de santé et de sécurité de l’ASFC (le « comité d’orientation »). Elles ont trait au risque accru que des ASF soient harcelés, menacés ou blessés par des citoyens mécontents d’avoir fait l’objet de mesures d’application. On craint qu’il leur soit plus facile, grâce aux insignes nominatifs, de retrouver des ASF à l’aide d’Internet, de sites comme Canada411 ou de médias sociaux comme Facebook ou Twitter, et d’obtenir des renseignements personnels comme leur lieu de résidence ou leur numéro de téléphone résidentiel. Avant la mise en œuvre de la politique sur les insignes nominatifs, il était possible de connaître l’identité d’un ASF en présentant une demande officielle d’accès à l’information afin d’obtenir le nom d’un agent donné, ou en déposant une plainte officielle concernant la conduite d’un agent, ce qui entraînait la révélation de l’identité de l’agent au demandeur ou à l’auteur de la plainte. Toutefois, l’intimée laisse entendre que le temps que prenaient ces processus officiels obligeait à une certaine « période de réflexion », qui avait tendance à désamorcer les comportements agressifs. Comme il a été expliqué à l’audience, l’inquiétude soulevée par les ASF a trait à des clients « malveillants et impulsifs », qui connaissent maintenant tout de suite le nom de l’ASF et qui peuvent mettre rapidement la main sur des renseignements personnels à son sujet, comme son numéro de téléphone, son adresse résidentielle et d’autres renseignements sur l’ASF et sa famille, peut-être avec des intentions criminelles.
[8] L’employeur n’a pas estimé que le port de l’insigne nominatif par les ASF posait un risque inacceptable pour eux et a décidé d’aller de l’avant et de mettre en œuvre sa politique sur les insignes nominatifs, à compter du 11 décembre 2012. La politique de l’ASFC s’harmonise maintenant avec celle d’autres entités d’application de la loi, telles la Gendarmerie royale du Canada (GRC), les Forces canadiennes, le Service correctionnel du Canada et la Customs and Border Protection des États-Unis, dont les agents de première ligne portent tous des insignes nominatifs. Concernant la GRC, les éléments de preuve ont permis d’établir que la GRC n’avait pas adopté de politique officielle sur la désinscription des numéros de téléphone personnels ou le remboursement des coûts liés à un numéro confidentiel.
[9] À la suite de l’adoption de la politique sur le port obligatoire de l’insigne nominatif, un certain nombre d’ASF de différentes régions du Canada ont exercé en même temps leur droit de refuser d’accomplir leurs tâches conformément à l’article 128 du Code, au motif que le port des insignes nominatifs les exposait à un « danger » au sens du Code. Les refus sont survenus le 12 décembre 2012 aux endroits suivants : l’aéroport Pearson (Toronto), le pont Ambassador à Windsor, le pont Blue Water de Sarnia, le Service maritime et ferroviaire de Montréal, l’aéroport de Montréal et les postes frontaliers de l’île Walpole (ON), de Sombra (ON), d’Emerson West‑Lynne (MB), de Sunridge, à Calgary (AB) et de Coutts (AB). Huit (8) agents de santé et de sécurité ont enquêté sur les refus, dont l’agent de SST Danton, qui a fait enquête sur le refus de travailler aux postes de l’île Walpole et de Sombra.
[10] Dans tous les cas, les agents de SST ont estimé que le port de l’insigne nominatif ne posait pas de danger pour les employés et que ceux-ci devaient donc reprendre immédiatement leurs fonctions et porter les insignes nominatifs comme l’employeur le leur demandait. C’est aussi la décision qu’a rendue l’agent de SST Danton en ce qui concerne les postes de l’île Walpole et de Sombra. Comme il l’indique dans ses rapports, l’agent de SST Danton a estimé que l’ASFC avait déjà des politiques et des procédures visant à protéger la santé et la sécurité des ASF en cas de violence et de harcèlement dans le cadre de leurs fonctions. Il a été mentionné que les ASF suivent une formation sur la Politique de prévention de la violence dans le lieu de travail de l’ASFC, notamment un cours sur le maniement des armes à feu de service et les tactiques de maîtrise et de défense; ils reçoivent un équipement de protection individuelle qui comprend une arme à feu de service, une matraque, un vaporisateur et un gilet pare-balles; ils sont formés pour répondre à des citoyens difficiles; et le chapitre 26 du manuel Fonction du contrôleur traite expressément des mauvais traitements, menaces, poursuites et voies de fait commis contre des employés et donne des conseils et des lignes directrices sur les mesures à prendre en cas de « menace », en plus de la disponibilité des services policiers. Il poursuit en faisant référence, à juste titre, à la définition de « danger » contenue dans le Code, qui est le cadre réglementaire qui régit son enquête sur les refus de travailler. À la page 15 de son rapport, l’agent de SST Danton déclare ce qui suit, faisant peut-être allusion à ce qui devait venir :
[…]
[Traduction] Les citoyens ont actuellement accès à tous les renseignements mentionnés précédemment sur les ASF, et rien dans les éléments de preuve ne permet de penser que la simple présence des insignes nominatifs accroîtra le risque pour la santé et la sécurité des agents des services frontaliers. Les employés qui m’ont relaté les incidents personnels qui leur étaient arrivés n’ont pas fourni de preuve suffisante permettant d’établir que le port de l’insigne nominatif aurait changé quoi que ce soit à ces incidents. Ils seraient quand même arrivés; cependant, je suis porté à croire que l’insigne nominatif créerait plutôt une situation représentant un risque.
[Non souligné dans l’original]
[11] Tous les agents de SST ont conclu dans le même sens en disant que le port d’un insigne nominatif n’exposait pas les ASF à un « danger » au sens du Code. Je souligne que la présente décision ne porte pas sur les décisions d’absence de danger rendues par les agents de santé et de sécurité dans le contexte des refus de travailler mentionnés ci-dessus.
[12] Toutefois, sur les 12 enquêtes réalisées sur les refus de travailler exercés dans dix lieux de travail différents, six ont donné lieu à une instruction en vertu des alinéas 145(1)a) et b) du Code et cité une contravention des alinéas 125(1)z.03) du Code et 19.7(1)c) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST), toutes liées à l’obligation de porter un insigne nominatif. L’agent de SST Danton a émis cette instruction, dont la partie essentielle indique ce qui suit :
[…] [Traduction] L’employeur n’a pas mené de recensement et d’évaluation des risques avant la mise en œuvre de la nouvelle politique sur les insignes nominatifs personnalisés. L’employeur doit évaluer l’efficacité du programme de prévention des risques et réviser ce programme dès qu’il dispose de nouveaux renseignements relatifs à un risque dans le lieu de travail.
[13] Ces instructions sont formulées de manière semblable et ont été émises le 12 décembre 2012 par les agents de SST Danton (London), Iacobellis et Wells (Toronto) et le 13 décembre 2012 par l’agent de SST Kozubal, qui avait fait enquête sur le refus de travailler à Emerson West-Lynne (Manitoba). Je souligne qu’il n’a pas été fait appel de ces instructions et que celles-ci ne relèvent pas du présent appel. J’y fais référence comme à des circonstances contextuelles qui ont mené à l’instruction du 22 avril 2013 en appel.
[14] En janvier 2013, l’ASFC a répondu aux instructions en question et remis aux agents de SST qui les avaient émises une copie de l’évaluation du risque professionnel menée relativement au port obligatoire de l’insigne nominatif dans le cadre du programme de prévention des risques de l’ASFC. Pour effectuer l’évaluation du risque, l’employeur a examiné différents documents comme les rapports de sécurité trimestriels, les procédures et politiques déjà en place en matière de prévention de la violence, des menaces et des voies de fait, les procès-verbaux du comité d’orientation en matière de santé et de sécurité, la foire aux questions sur le port obligatoire de l’insigne nominatif et un résumé des commentaires des ASF sur leurs craintes de porter leur nom sur leur uniforme. L’employeur a noté les inquiétudes exprimées par les ASF comme quoi le port de l’insigne nominatif était une invitation aux menaces et au harcèlement contre les ASF et leur famille, de même qu’à une éventuelle corruption ou intimidation par le crime organisé à l’encontre des ASF.
[15] Concernant l’évaluation du risque professionnel, elle indique que le port de l’insigne nominatif est une « tâche individuelle » qui n’existait pas au moment de l’évaluation du risque professionnel précédente relative aux fonctions d’un agent en uniforme. L’employeur a établi que le risque lié à cette tâche constituait un « risque de violence/harcèlement par les clients » et l’a décrit comme un risque physique. L’employeur a ensuite classé ce risque en tenant compte de sa fréquence, de sa probabilité et de sa gravité (critique). L’évaluation du risque professionnel conclut comme suit :
[Traduction] Le fait de porter un insigne nominatif ne pose pas de risque pour un employé. Toutefois, le risque que cela pourrait présenter a été examiné dans le cadre de cette évaluation. D’après les outils du programme de prévention des risques de l’Agence utilisés pour effectuer une évaluation du risque sur le port de l’insigne nominatif, il a été établi que le risque lié au port de l’insigne nominatif correspondait au niveau de risque C. Conformément au programme de prévention des risques, les risques de niveau C ou D ne nécessitent pas de plan d’action. Ces risques doivent toutefois faire l’objet d’une surveillance, et des mesures doivent être prises, au besoin.
La surveillance du port de l’insigne nominatif en ce qui a trait à la sécurité des employés est accomplie au moyen de rapports sur la sécurité. Le chapitre 26 du volume sur la sécurité du manuel Fonction du contrôleur donne aux employés et aux gestionnaires des conseils sur les mesures à prendre en cas de mauvais traitements, de menaces, de poursuites ou de voies de fait commis contre des employés. Le comité d’orientation en matière de santé et de sécurité de l’Agence examine ces rapports trimestriellement et est informé de toute tendance importante.
[Non souligné dans l’original]
[16] Pour mieux comprendre les motifs évoqués par l’appelante pour contester la validité de l’instruction du 22 avril 2013, je décrirai en détail le processus qu’a suivi l’agent de SST Danton pour émettre son instruction. L’agent de SST Danton a déclaré lors de l’audience qu’une équipe d’agents de SST (districts du Sud-Ouest et de Toronto du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC)) avait été formée au moment des refus de travailler, afin de répondre aux questions soulevées par la politique sur les insignes nominatifs. L’équipe était composée de trois des agents de SST qui avaient émis une instruction en décembre 2012 – les agents de SST Danton, Iacobellis et Wells – et de deux conseillers techniques, Mme Shimano et M. Manella, tous du Programme du travail de l’Ontario, où plusieurs refus étaient survenus. L’agent de SST Danton, qui s’est décrit comme l’agent principal et le porte-parole de l’équipe, a expliqué que la nature de la question, en ce qui concerne l’évaluation du risque professionnel, était sans conteste de portée nationale, c.-à-d. la mise en œuvre par l’employeur d’une politique nationale s’appliquant à tous les ASF, peu importe leur lieu de travail.
[17] L’agent de SST Danton a déclaré qu’à l’examen de l’évaluation du risque professionnel préparée par l’employeur à la suite des instructions du 12 décembre, l’équipe d’agents de SST avait conclu que l’évaluation présentait des lacunes en ce qui a trait aux mesures de prévention exigées en vertu de l’alinéa 19.5(1) du RCSST. Le 5 mars 2013, l’agent de SST Danton a participé à une téléconférence avec les membres du comité d’orientation à titre d’agent principal de l’équipe. L’agent de SST Danton a déclaré qu’il y avait participé seul après avoir accepté la demande de l’employeur, qui ne souhaitait pas que les trois agents de SST engagés dans l’affaire prennent part aux discussions. L’agent de SST Danton a participé à la téléconférence pour informer le comité d’orientation de ses préoccupations au sujet de l’absence de mesures de prévention dans l’évaluation du risque professionnel et du rôle du comité d’orientation dans le déroulement de l’évaluation du risque professionnel. L’agent de SST Danton a déclaré qu’il exprimait le point de vue de l’équipe d’agents de SST en affirmant que, même si l’employeur avait effectivement donné suite aux instructions du 12 décembre 2012 en menant une évaluation du risque professionnel sur le port obligatoire de l’insigne nominatif, l’évaluation présentait une lacune en ceci qu’elle ne mentionnait pas la création d’un nouveau risque, comme le montrait la feuille d’évaluation du risque professionnel de l’employeur – « risque de violence/harcèlement par des clients » – et que les documents soumis n’indiquaient pas que l’employeur envisageait de prendre des mesures de prévention pour réduire ce risque, en contravention avec l’alinéa 19.5(1) du RCSST.
[18] L’agent de SST Danton a déclaré que, au terme de la téléconférence, il avait demandé aux coprésidents du comité d’orientation de lui fournir, par écrit, des précisions concernant la nouvelle évaluation du risque professionnel et ses préoccupations sur la non-conformité de l’évaluation au RCSST, notamment l’absence de mesures de prévention et le degré de participation du comité d’orientation à l’élaboration du document. Il a demandé aux coprésidents de fournir ces précisions au plus tard le 15 avril 2013. Cette demande a été confirmée dans un courriel envoyé à l’employeur et aux coprésidents employés du comité, MM. Thibodeau et McMichael, respectivement, courriel qui se lit, en partie, comme suit :
[Traduction] À la suite de notre téléconférence d’hier (le 5 mars 2013) portant sur l’évaluation du risque professionnel relative au port de l’insigne nominatif par les ASF de l’ASFC, vous vous êtes tous deux engagés à me préciser votre position respective sur deux sujets : les « mesures de prévention » et la « participation » en ce qui concerne la nouvelle évaluation du risque professionnel soumise précédemment à ce bureau et qui apporte des éclaircissements à cet égard.
Ce bureau demande des précisions à la fois au coprésident employeur et au coprésident employé afin de déterminer si l’évaluation du risque professionnel qui a été présentée en pièce jointe datée du 28 janvier 2013 était conforme au règlement 19 du RCSST et à la parte II du Code canadien du travail au moment de sa présentation.
[…]
[19] Le 26 mars 2013, M. Jeremy Adams, conseiller principal en SST, au siège social de l’ASFC, a écrit un courriel à l’agent de SST Danton. Le courriel se lit en partie comme suit :
[…]
[Traduction] Lorsqu’il a été question de l’évaluation du risque pendant la réunion, vous ne sembliez pas savoir précisément quelles mesures de prévention étaient en place pour répondre aux préoccupations exprimées par les employés au sujet du port de l’insigne nominatif. Le problème venait peut-être d’un malentendu quant aux termes employés; j’ai donc pris la liberté de surligner les parties pertinentes de l’évaluation du risque (ci-jointe). La principale inquiétude des employés relativement au port de l’insigne nominatif était la crainte que des individus s’attaquent à eux à l’extérieur du lieu de travail. Pour traiter ce genre de préoccupation, l’ASFC dispose de nombreuses politiques de sécurité qui fournissent des directives précieuses aux employés et aux gestionnaires qui doivent intervenir lors d’incidents et empêcher qu’ils s’aggravent.
La question suivante, qui était, à mon avis, la principale raison de votre participation, était la participation du comité à ce changement de politique et à l’évaluation subséquente du risque. À titre indicatif, vous trouverez ci-dessous le calendrier des consultations qui ont eu lieu tout au long de la mise en œuvre de ce changement. […]
[Non souligné dans l’original]
[20] L’agent de SST Danton a accusé réception de ce courriel et informé M. Adams qu’il consultait actuellement l’équipe d’enquête et qu’il lui répondrait sous peu. Après d’autres échanges de courriels, M. Adams a répété la position de l’employeur dans un courriel daté du 9 avril 2013 envoyé aux agents de SST Danton, Iacobellis et Wells. Le courriel se lit en partie comme suit :
[Traduction] La première précision porte sur les mesures de prévention. Les conclusions de l’évaluation du risque ne faisaient peut-être pas état de façon précise des mesures de prévention qui sont déjà en vigueur à l’Agence. Si nous regardons la feuille d’évaluation du risque qui a été remplie sur le port de l’insigne nominatif dans le cadre du programme de prévention des risques de l’Agence, il a été établi que le niveau de danger ne nécessitait pas de plan d’action supplémentaire. Cela veut dire que, d’après les risques associés à cette tâche, les protocoles ou les mesures de prévention actuellement en place suffisent à protéger les employés. Plus particulièrement, la politique de l’ASFC en matière de mauvais traitements, de menaces, de poursuites et de voies de fait contre des employés, que j’ai jointe et dont j’ai surligné certains passages, sont des mesures de prévention précises et les gestes que devrait poser un employé en situation de danger […]
[Non souligné dans l’original]
[21] L’agent de SST Danton a déclaré que, le 15 avril 2013, il n’avait reçu aucun renseignement de la part du coprésident employé du comité d’orientation et que les renseignements fournis du côté employeur étaient, à son avis, les mêmes que ceux qu’on lui avait déjà transmis. Il s’est dit en désaccord avec l’employeur, qui avait qualifié les politiques de « mesures de prévention » au sens de l’alinéa 19.5(1) du RCSST. Selon lui et ses collègues membres de l’équipe, les politiques de l’employeur décrivaient plutôt les mesures à prendre après un incident violent, et non les mesures à prendre pour prévenir le harcèlement ou la violence. Toujours selon lui et ses collègues, l’employeur n’avait pas pris de mesures de prévention pour réduire le danger qu’il avait lui-même constaté dans l’évaluation du risque professionnel, contrevenant ainsi à l’alinéa susmentionné.
[22] L’agent de SST Danton a déclaré que, à ce moment, après des consultations internes avec l’équipe d’enquête d’agents de SST et les représentants du Programme du travail au siège social, il avait émis l’instruction en appel le 22 avril 2013. Je dois supposer que les préoccupations concernant le degré de participation du comité d’orientation dans la formulation de l’évaluation du risque professionnel ont été traitées à la satisfaction de l’agent de SST Danton et à ses collègues, puisque l’instruction ne mentionne pas cet aspect de la question.
[23] L’appelante a présenté un document (document A-5) dans le but apparent de se conformer à l’instruction. Le document, toujours à l’état d’ébauche au moment de l’audience, fournit des conseils généraux sur la sécurité personnelle des agents quand ils ne sont pas en service.
La question en litige
[24] La question soulevée par le présent appel consiste à déterminer si l’employeur a mis en place des mesures de prévention conformes à l’alinéa 125(1)z.03) du Code et à l’alinéa 19.5(1) du RCSST, pour prévenir le danger découlant de la mise en œuvre de sa politique sur les insignes nominatifs personnalisés.
Observations des parties
Observations de l’appelante
[25] Après un tour d’horizon des faits saillants qui ont mené à l’instruction en appel, l’avocate de l’appelante fait remarquer que l’employeur n’a jamais été informé qu’une enquête nationale conjointe Sud-Ouest/Toronto était en cours sur la mise en œuvre de la politique sur les insignes nominatifs. Malgré plusieurs échanges de courriels, M. Adams n’a pas reçu de réponse de l’agent de SST Danton à savoir si l’instruction du 12 décembre avait été respectée. L’avocate soutient d’abord que l’instruction est donc injuste sur le plan procédural, en plus d’être vague et de ne pas avoir été faite par une autorité compétente. Elle note ensuite l’incohérence de l’instruction : alors que l’agent de SST Danton dit qu’elle s’applique à divers lieux de travail partout au pays, les numéros de lieu et d’affectation indiqués sur la page couverture de l’instruction correspondent uniquement au lieu de travail appelé Sombra, là où s’est produit l’un des deux refus de travailler visés par l’enquête de l’agent de SST Danton.
[26] L’avocate de l’appelante fait remarquer que l’ASFC n’a jamais été avisée qu’une instruction nationale était envisagée ou en préparation. Un tel manquement contrevient aux droits procéduraux de l’appelante. Le processus qui a mené à l’instruction du 22 avril 2013 était injuste sur le plan procédural en ceci que l’appelante n’a jamais eu la possibilité de corriger les problèmes qui demeuraient à la satisfaction de l’agent de SST Danton. Aucun rapport d’enquête ni aucune pièce justificative n’ont jamais été fournis à l’ASFC à l’avance. L’avocate souligne que ce manquement est d’autant plus préjudiciable que l’instruction de l’agent de SST Danton est une « instruction nationale », qui a des répercussions partout au pays. Selon l’avocate, une instruction nationale aurait exigé un effort coordonné à l’échelle nationale afin de recueillir des preuves, et plus qu’« un exercice sur papier ou une revue des politiques de l’employeur » (Parcs Canada c. Martin (décision de l’agent d’appel no 02-009); CNR c. Scully (décision de l’agent d’appel no 01-002)
[27] L’avocate soutient que l’instruction est incompatible avec les conclusions d’autres agents de SST dans des circonstances semblables et constitue un déni du principe du caractère définitif d’un jugement (Sachs c. Air Canada, 2007 CAF 279). Plusieurs autres agents de SST qui ont enquêté sur les refus de travailler n’ont pas émis d’instruction après avoir conclu à une absence de danger; quelques-uns ont émis l’instruction de mener une évaluation du risque professionnel, mais seul l’agent de SST Danton a émis une instruction le 22 avril 2013. L’agent de SST Danton se trouve ainsi à avoir infirmé les décisions d’autres agents de SST et usurpé le rôle de l’agent d’appel, qui est la seule personne habilitée par la loi à invalider l’instruction d’un agent de SST (Total Oilfields Rentals Limited Partnership, 2011 TSSTC 20). Selon l’avocate, les autres agents de SST avaient accepté le fait que l’ASFC avait des politiques en place qui réduisaient le risque associé au port de l’insigne nominatif; pourtant, l’instruction de l’agent de SST Danton était inconciliable avec ces conclusions.
[28] L’avocate de l’appelante soutient également que l’agent de SST Danton contrevient au paragraphe 145(6) du Code en n’ayant pas envoyé de copie de son instruction du 22 avril à tous les employés dont la plainte avait mené à l’ouverture d’une enquête (Parcs Canada c. Martin, par. 190).
[29] L’avocate de l’appelante fait également valoir que l’instruction est vague et, comme l’agent de SST Danton n’a jamais répondu aux demandes de précisions de l’ASFC, qu’elle devrait être annulée pour ce seul motif, ou alors être limitée au lieu de travail appelé Sombra (CN Rail c. Conférence ferroviaire Teamsters Canada, décision de l’agent d’appel no TSSTC-09-028, par. 92; Maritime Employers Assn c. Harvey (1991) ACF 325 (QL), page 4; 126‑269 Ontario Inc. (Sky Harbour Aircraft, décision de l’agent d’appel no 06-032, par. 35; Terminal Cast c. Association internationale des débardeurs, décision de l’agent d’appel no 06‑020, par. 46 et 55).
[30] L’avocate de l’appelante affirme que l’instruction dépasse le champ d’application du Code et le lieu de travail et que, en ce qui concerne le lieu de travail, l’ASFC a déjà des politiques et procédures en place. L’inquiétude soulevée par le port de l’insigne nominatif a trait à la crainte qu’un voyageur mécontent qui aurait lu le nom de famille de l’ASF sur son insigne nominatif tente de mettre la main sur le numéro de téléphone ou l’adresse résidentielle de l’ASF dans le but de lui nuire. Par conséquent, les mesures suggérées concernent toutes des aspects qui ne relèvent pas du milieu de travail et sur lesquels l’employeur n’a pas de contrôle, comme l’utilisation du site Canada411, de l’annuaire de Bell, de Facebook ou de Twitter. Seuls un danger et des conditions qui prévalent sur les lieux de travail de l’employé peuvent faire l’objet d’une enquête et d’une instruction en vertu du Code (Luty c. Canada, 2014 CF 15, par. 9; Bidulka c. Canada (1987) ACF no 274 (QL), page 4; Canada (Revenu) c. AFPC, (1999) C.C.T.A.R.S., no 15 (QL), par. 12, 14 et 16; Dawson c. Postes Canada, décision de l’agent d’appel no 02-023, par. 3 et 5; WestCoast Energy Inc. c. Canada (1995) ACF no 1584 (QL), par. 31. L’avocate fait remarquer que l’ASFC a déjà mis en place des mesures en ce qui a trait à l’utilisation des médias sociaux dans le cadre professionnel. Elle fait référence au témoignage de Mme Likins, dans lequel celle-ci a confirmé qu’elle avait cherché le nom des employés de Sombra qui avaient refusé de travailler à l’aide des Services d’annuaires gouvernementaux électroniques (SAGE), et qu’aucun employé n’y figurait. De la même façon, lorsqu’il participe à l’émission de télévision « Border Security », l’agent négociateur est consulté et a la possibilité de voir les épisodes avant leur mise en ondes, et le nom des ASF est noirci ou brouillé, et la société de production demande le consentement des ASF.
[31] L’avocate de l’appelante fait remarquer que l’agent négociateur lui-même indique le nom des ASF et le port auquel ils travaillent dans ses publications et sur son site Web. Elle conteste aussi l’affirmation de M. McMichael selon laquelle il est craignait pour sa sécurité et celle de sa famille, alors qu’il pourrait obtenir un numéro de téléphone confidentiel moyennant des frais minimes (2,00 $), ce qu’il n’a pas fait, ce qui fait pourtant partie des mesures de prévention possibles évoquées par l’agent de SST Danton dans son témoignage. Les éléments de preuve montrent également que, contrairement à ce que prétend l’agent de SST Danton, la GRC n’a pas pour politique de rembourser ses membres qui souhaitent obtenir un numéro de téléphone confidentiel. En ce qui concerne la pertinence de mettre en place un programme de suppression d’adresses comme celui mentionné dans l’affaire Toronto Police Association (CRTO), que l’employeur a examiné dans le cadre de son évaluation du risque professionnel, l’avocate fait remarquer que, contrairement à ce qui semble être un fait établi par la CRTO, le ministère des Transports ne divulgue pas l’adresse résidentielle au public à partir d’un numéro de plaque d’immatriculation.
[32] Néanmoins, l’avocate de l’appelante souligne le fait que l’ASFC a rédigé des conseils généraux à l’intention des employés sur leur sécurité personnelle quand ils ne sont pas en service, afin de se conformer à l’instruction, comme l’exige le Code. À l’égard du lieu de travail lui-même, l’avocate de l’employeur fait valoir que l’ASFC a des procédures qui visent à empêcher que les ASF soient blessés si quelqu’un tente de mettre une menace à exécution, et qu’un autre niveau de mesures s’applique au cas par cas à l’apparition d’une menace :
- Politique de prévention de la violence au travail
- Chapitre 27 du manuel Fonction du contrôleur : Politique sur les enquêtes internes portant sur l’inconduite présumée ou soupçonnée d’un employé
- Gestion du stress lié aux incidents critiques
- Conception de bâtiments, qui porte entre autres sur l’accès restreint, les zones à accès contrôlé ou à accès par carte, la conception de l’immeuble, les gardiens de sécurité et les zones de sécurité, les serrures à clavier, les plans d’urgence et les contrôles de sécurité applicables aux employés et aux entrepreneurs.
- Formation : un cours sur le maniement des armes à feu de service, les tactiques de maîtrise et de défense, la sensibilisation à la prévention de la violence au travail, les moyens de désamorcer verbalement une situation impliquant un voyageur belliqueux, une formation en sensibilisation à la sécurité (module en ligne) et des procédures d’armement.
- Port d’un équipement complet de protection individuelle (veste, vaporisateur de poivre, matraque, menottes, arme à feu de service)
- Alarme appelée radio « PASS », qui agit comme un bouton d’appel au secours qui déclenche automatiquement la composition du numéro des services de police.
- Initiative de jumelage, dans le cadre de laquelle aucun ASF ne travaille seul.
- Émission d’alertes de renseignement ou de sécurité sur des sujets particuliers, des choses à éviter ou des éléments auxquels les employés devraient faire attention.
- Échange d’information au moyen de postes de radio portatifs et de bases de données, afin de cibler les voyageurs qui pourraient poser problème.
- Capacité de l’ASF à renvoyer un voyageur à un examen secondaire, à communiquer avec son superviseur, d’autres ASF ou les services de police, ou encore à mettre fin à l’intervention/ à se retirer.
- Présentation d’un rapport d’incident, dans les 24 heures suivant un incident critique, qui est évalué et traité et dont le comité d’orientation en matière de santé et de sécurité assure le suivi trimestriel, chaque dossier étant évalué au cas par cas.
- Chapitre 15 du manuel Fonction du contrôleur : Signalement des incidents de sécurité
- Chapitre 26 du manuel Fonction du contrôleur : mauvais traitements, menaces, poursuites et voies de fait commis contre des employés
[33] Il a déjà été établi que la combinaison des mesures mentionnées ci-dessus réduisait la simple possibilité qu’un voyageur violent s’attaque spontanément à un agent (Martin-Ivie c. lSFC, 2011 TSSTC 6, par. 113)
[34] L’avocate de l’appelante prétend par ailleurs que l’agent négociateur se sert du présent processus d’appel pour aborder la question des téléphones cellulaires et des dispositifs d’enregistrement électronique utilisés par les voyageurs aux ports d’entrée, qui est une question de relations du travail en suspens entre les parties. L’avocate souligne que le Code n’est pas une tribune pour débattre de questions générales de relations du travail (Fletcher c. Canada, 2002 CAF 424). Cette question particulière a déjà fait l’objet d’une enquête par un autre agent de SST, lequel a émis une instruction à ce sujet, et l’on ne devrait pas permettre que cette question se greffe à l’instruction de l’agent de SST Danton du 22 avril 2013 et élargisse indûment sa portée (Burchill c. Canada (Procureur général), (1981) 1 CF 109, par. 5; Shneidman c. Canada (ARC), 2007 CAF 192).
[35] L’avocate de l’appelante conclut en disant que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que les insignes nominatifs font augmenter le risque dans le lieu de travail. Aucun incident précis lié au port de l’insigne nominatif n’a été signalé depuis la mise en œuvre de la politique. Comme l’a reconnu l’agent de SST Danton, même avant que les insignes nominatifs deviennent obligatoires, le public pouvait obtenir le nom des ASF par différents moyens, comme une demande d’accès à l’information ou lorsqu’un ASF témoignait devant un tribunal. Autrement dit, la nature des fonctions de l’ASF fait en sorte qu’ils ne peuvent pas travailler dans l’anonymat. Il est possible de se procurer le nom d’un employé par d’autres moyens, sur lesquels l’ASFC n’exerce aucun contrôle, que ce soit le site Web de l’agent négociateur, le compte Facebook ou Twitter d’un employé ou d’autres sites Web comme ceux du Tribunal et d’autres tribunaux et organismes administratifs. Le Tribunal a déjà conclu que l’obligation de l’employeur de protéger la santé et la sécurité de ses employés ne repose pas sur une norme irréaliste de perfection absolue, mais sur une norme raisonnable (Verville c. Canada (Service correctionnel), (2002) D.A.A.C.C.T. no 12 (QL), par. 18-20.
[36] L’avocate de l’appelante demande donc une ordonnance annulant l’instruction du 22 avril 2013.
Observations de l’intimé
[37] Le représentant de l’intimée a répondu aux observations de l’appelante comme suit. Il soutient qu’à mesure que la situation évoluait, il était évident qu’une enquête était en cours. L’appelante ne peut pas prétendre qu’elle n’était pas au courant, puisque toutes les discussions qui ont suivi l’évaluation du risque professionnel portaient sur la position adoptée par l’appelante relativement à la nécessité de prendre des mesures de prévention ou de décider d’un plan d’action. Les discussions qui ont eu lieu lors de la réunion du comité d’orientation le 5 mars 2013 à laquelle l’agent de SST Danton a participé portaient précisément sur cette question. Les échanges qui ont suivi établissent clairement qu’une enquête était en cours pour déterminer le caractère suffisant des mesures de prévention.
[38] Le représentant de l’intimée soutient que l’instruction est claire en ceci qu’elle décrit la violation du Code commise par l’employeur et les mesures à prendre pour y remédier. De plus, l’agent de SST Danton avait parfaitement le droit d’émettre une instruction nationale dans les circonstances, puisque la politique de l’appelante est une politique nationale qui s’applique à tous les ASF. Toutes les politiques auxquelles l’employeur a fait allusion sont de portée nationale. L’équipe d’enquête était composée de trois des quatre agents de SST qui avaient émis une instruction sur la nécessité de mener une évaluation du risque professionnel, et l’instruction a été envoyée au siège social national de l’appelante, à Ottawa. Le représentant de l’intimée soutient que l’agent de SST Danton avait l’autorité d’émettre cette instruction, pourvu que les faits justifient l’instruction, ce qui est le cas. Il ne s’agit pas ici de déterminer si un danger existe dans un lieu de travail précis; la question consiste plutôt à établir l’existence d’un risque général (CN Amérique du Nord – District Laurentien et Travailleurs unis des transports (1995) C.L.C.R.S.O.D. no 11, par. 12-24; Agence Parcs Canada c. Martin (précitée). Le fait que l’instruction indiquait le numéro d’établissement de Sombra est, dans le pire des cas, une petite erreur qui ne doit pas invalider l’instruction (D&W Forwarder et Stubley, 2006 D.A.A.C.C.T. no 49). Dans l’analyse finale, même si l’on conclut que l’agent de SST Danton n’a pas mené une enquête appropriée ou qu’il a agi en contravention des droits procéduraux de l’appelante, il est bien établi que la présente audience est une nouvelle audience qui offre aux parties la possibilité de corriger toute lacune dans le processus d’enquête (Campbell Brothers Movers Ltd. (Re), 2011 LN TSSTC 26, par. 30).
[39] Le représentant de l’intimée conteste également l’affirmation de l’appelante selon laquelle, en émettant son instruction, l’agent de SST Danton a contredit l’instruction d’autres agents de SST. Le représentant affirme que l’agent de SST Danton et l’équipe d’enquête en sont arrivés à leur conclusion à la suite de leur enquête sur les refus de travailler et d’après les faits et les éléments de preuve qui leur ont été soumis (DP World (Canada) Inc. c. International Longshore and Wharehouse Union, local 500, 2011 LN TSSTC 17, par. 19). De plus, il note que les décisions des autres agents de SST s’appuyaient sur une conclusion d’« absence de danger » et qu’elles ne portaient pas sur les mesures de prévention.
[40] Le représentant de l’intimée soutient que le port obligatoire de l’insigne nominatif constitue un risque. Dans le cadre de l’évaluation du risque professionnel réalisée par l’employeur conformément à l’instruction du 12 décembre 2012, l’appelante elle-même a indiqué que le port de l’insigne nominatif constituait un risque et fait remarquer à juste titre que les ASF en contact avec le public courent le risque d’être menacés de violence ou harcelés par les voyageurs. Le représentant fait référence aux documents déposés en preuve, dans lesquels l’employeur prévient ses employés du risque de dévoiler leur identité sur les sites de médias sociaux (p. ex. Facebook et MySpace) ou de révéler leurs numéro de téléphone et adresse personnels. Il mentionne un certain nombre d’incidents qui illustrent le risque lié au port de l’insigne nominatif. Par exemple, il fait mention de l’« incident du groupe de rap » survenu le 16 décembre 2010, où des membres d’un groupe de rap se sont vus refuser l’entrée au Canada à l’aéroport Pearson. Un des membres du groupe a photographié l’ASF qui lui refusait l’entrée et aussitôt affiché la photo sur Twitter avec une légende indiquant [traduction] « voici la dame qui a f... en l’air le concert ». Ce « gazouillis » a généré plusieurs commentaires méprisants et menaçants à l’égard de l’ASF sur Twitter. Cet incident est survenu avant l’adoption de la politique sur les insignes nominatifs; toutefois, il montre que le nom de famille de l’ASF serait apparu sur la photo si l’ASF avait porté un insigne nominatif, ce qui aurait pu servir à identifier ou à retrouver l’ASF. Le représentant mentionne d’autres incidents où des voyageurs qui étaient en colère à la suite de mesures d’application prises par des ASF ont affiché un comportement agressif et cherché à obtenir des renseignements personnels sur les ASF pour les retrouver.
[41] Le représentant de l’intimée fait remarquer qu’avant l’adoption de la politique sur les insignes nominatifs, si un voyageur voulait obtenir le nom d’un ASF, l’ASF devait révéler son nom dans le cadre du processus de demande. Toutefois, ce processus permettait aussi à l’appelante de connaître l’identité de l’auteur de la demande. Aujourd’hui, les voyageurs ont accès à ces renseignements de façon plus directe et plus rapide, ce qui fait augmenter la probabilité qu’ils identifient les ASF avec l’intention de les harceler, de les poursuivre ou de les menacer.
[42] Le représentant de l’intimée soutient également que l’on devrait se servir ici de la définition de risque que l’on trouve dans le dictionnaire, où « risque » est défini comme « une source de danger ». Lorsqu’on l’oppose à la définition de « danger » contenue dans le Code, il fait valoir que le seuil à atteindre pour conclure à l’existence d’un risque est inférieur à la notion de « danger » comme elle est définie. Les éléments de preuve montrent que l’appelante, dans son évaluation du risque professionnel, a estimé que les insignes nominatifs constituaient effectivement un risque, qu’elle considérait que le fait de révéler la relation de travail avec l’ASFC pouvait poser un risque et que le nom de famille pouvait servir à obtenir d’autres renseignements, comme l’adresse ou le numéro de téléphone résidentiel d’une personne (City of Winnipeg and Police Association, 1986 CLB 9174; Tench et Canada (Défense nationale - Forces maritimes de l’Atlantique), 2009 LN TSSTC 1, par. 24; Bidulka c. Canada (Conseil du Trésor) (précitée).
[43] Le représentant de l’intimée a passé en revue les politiques existantes mentionnées par l’employeur et soutient qu’il ne s’agit pas de mesures de prévention. Ces politiques fournissent des conseils et des procédures à suivre après qu’un incident est survenu. Ce sont des politiques réactives. Il mentionne la décision rendue dans l’affaire Toronto Police Service (CRTO) et constate que, même s’il n’a pas été établi que le port de l’insigne nominatif ferait augmenter le risque de menaces ou de voies de fait, qui demeurait faible, l’employeur avait pris des mesures de prévention, formulé des suggestions et recommandé des mesures de précaution afin de réduire le risque et le préjudice pour ses agents de police et leur famille. Il s’est opposé à la suggestion de l’appelante selon laquelle l’instruction de l’agent de SST Danton revenait à soumettre à l’employeur à une norme de perfection absolue. Il ne fait pas de doute que l’intimée a présenté des éléments de preuve qui montrent que les insignes nominatifs aident à retrouver, à harceler et à poursuivre les ASF, et qu’aucune des mesures mises en place ne visait à réduire ce nouveau risque. Le représentant soutient que les conseils de sécurité personnelle rédigés par l’employeur pour se conformer à l’instruction sont loin d’être des mesures de prévention appropriées.
[44] Le représentant soutient également que les inquiétudes exprimées concernant le risque de harcèlement ont trait au lieu de travail, contrairement à ce que prétend l’appelante. Il fait valoir qu’il est illogique de conclure qu’un employeur n’a pas l’obligation de protéger un employé relativement à une tâche qu’il doit accomplir simplement parce que le risque qui est associé à l’activité professionnelle peut survenir à l’extérieur du lieu de travail (Bidulka (précitée), opinion dissidente du juge Thurlow); Pearce c. Jazz Air Limited Partnership (2011 TSSTC 14, par. 24). Il souligne que la vie professionnelle d’un employé peut déborder dans sa vie personnelle, et que ce fait a amené des tribunaux à accorder une protection à des employés même dans des cas où le harcèlement s’était produit à l’extérieur du lieu de travail (Perez-Moreno c. Kulczycki, [2013] TDPO no 1674; C.U. c. Blencowe [2013] TDPO no 1080). L’employeur doit fournir à ses employés les outils et les connaissances nécessaires pour leur permettre de se protéger contre le harcèlement, les menaces, les poursuites et les voies de fait. Il devrait donc donner aux ASF les outils nécessaires pour protéger leur identité. Les ASF n’ont pas tous le même degré de connaissance des paramètres de sécurité et des autres outils de protection de la vie privée, c’est pourquoi des mesures de prévention sont essentielles.
[45] Le représentant de l’intimée conclut en demandant la confirmation de l’instruction en appel.
Réponse de l’appelante
[46] En réponse à ces observations, l’avocate de l’appelante a répété que l’ASFC n’avait jamais été officiellement informée qu’une enquête était menée par une équipe d’agents de SST et de conseillers techniques du Programme du travail, et que l’objectif des communications de l’agent de SST Danton n’était pas clair pour l’ASFC. De plus, rien ne prouve que le 99, rue Metcalfe à Ottawa, où l’instruction a été envoyée, était le siège social de l’ASFC.
[47] L’avocate de l’appelante est également revenue sur le fait que l’agent de SST Danton était uniquement habilité à enquêter sur les emplacements de l’île Walpole et de Sombra et que les agents de SST Iacobellis et Wells n’avaient pas émis d’instruction semblable à celle du 22 avril 2013. S’il s’avère que l’instruction de l’agent de SST Danton englobe toute instruction que les agents de SST Iacobellis et Wells pourraient avoir émise, cela voudra dire que leurs conclusions relativement aux lieux de travail visés par leur enquête respective ont été influencées par la décision de l’autre agent de SST, ce qui est inacceptable, comme il est établi par la jurisprudence citée par l’intimée. L’avocate reprend l’argument selon lequel, en émettant son instruction du 22 avril 2013, l’agent de SST Danton a contredit toutes les décisions des autres agents de SST qui ont enquêté sur les mêmes circonstances dans divers lieux de travail, ce qui est contraire à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Sachs.
[48] L’avocate de l’appelante explique également que la description faite par l’intimée des mesures énoncées dans les diverses politiques de l’ASFC comme étant « réactives » n’est pas une description juste. Des mesures comme les politiques de signalement constituent un niveau supplémentaire de mesures. Elles peuvent effectivement donner des conseils sur la façon de réagir à un incident qui survient malgré toutes les mesures de prévention mises en place, en proposant d’autres mesures à appliquer. Toutefois, elles ne sont pas seulement réactives. Ces niveaux de mesures supplémentaires favorisent la prévention des incidents en empêchant que d’autres incidents surviennent.
[49] L’avocate de l’appelante poursuit en faisant une distinction avec l’affaire CU c. Blencowe citée par l’intimée, qui n’appliquait pas le libellé du Code canadien du travail, qui avait comme fondement un lien précis avec le lieu de travail et qui concluait que le harcèlement était survenu principalement au travail. De la même façon, la décision Perez-Moreno est aussi un dossier du Tribunal des droits de la personne qui reposait sur des faits qui n’ont pas été contestés. En ce qui concerne les décisions Tench et Pearce, l’avocate soutient que le harcèlement allégué était survenu alors que l’employé était au travail, contrairement à la préoccupation soulevée dans la présente affaire.
Analyse
[50] La principale question de fond soulevée par le présent appel est de savoir si l’évaluation du risque professionnel effectuée par l’employeur relativement à la nouvelle politique du port obligatoire d’un insigne nominatif par les agents des services frontaliers respecte les exigences de l’alinéa 125(1)z.03) du Code et le paragraphe 19.5(1) du RCSST.
125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève,
(z.03) en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, d’élaborer et de mettre en œuvre un programme réglementaire de prévention des risques professionnels — en fonction de la taille du lieu de travail et de la nature des risques qui s’y posent — , y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité, et d’en contrôler l’application;
19.5 (1) Afin de prévenir les risques, y compris ceux liés à l’ergonomie, qui ont été recensés et évalués, l’employeur prend toute mesure de prévention selon l’ordre de priorité suivant :
a) l’élimination du risque, notamment par la mise au point de mécanismes techniques pouvant comprendre des aides mécaniques et la conception ou la modification d’équipement en fonction des attributs physiques de l’employé;
b) la réduction du risque, notamment par son isolation;
c) la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection personnels;
d) l’établissement de procédures administratives, telles que celles relatives à la gestion des durées d’exposition aux risques et de récupération ainsi qu’à la gestion des régimes et des méthodes de travail.
[Soulignement ajouté]
[51] Toutefois, avant d’aborder cette question fondamentale, je dois examiner plusieurs arguments collatéraux soulevés par l’appelante contre l’instruction, qui ont trait au processus suivi par l’agent de SST Danton et qui devraient, selon l’appelante, invalider l’instruction. Je traiterai d’abord de ces questions, dans l’ordre dans lequel elles ont été présentées par l’avocate de l’appelante dans ses observations.
Les droits procéduraux de l’ASFC ont été violés
[52] Premièrement, l’employeur soutient qu’il ne savait pas que l’agent de SST Danton menait une enquête et que son défaut d’en informer l’ASFC a violé les droits procéduraux fondamentaux de l’employeur. Ce défaut d’informer l’employeur qu’une équipe d’agents de SST menait une enquête est exacerbé par le fait que cette enquête a mené à une « instruction nationale », dont l’employeur n’a connu l’existence que lorsqu’elle lui a été signifiée. L’appelante fait valoir que cela constitue un motif suffisant pour annuler l’instruction.
[53] Je ne suis pas d’accord avec cet argument. La preuve présentée à l’audience a établi qu’il y a eu plusieurs communications, essentiellement par courriel, entre l’agent de SST Danton et, entre autres, M. Jeremy Adams, conseiller principal en SST au siège social de l’ASFC à Ottawa, sur la prise par l’employeur de mesures pour prévenir les risques liés au fait de porter des insignes nominatifs, comme en fait foi l’évaluation du risque professionnel. Trois des quatre instructions émises le 12 décembre 2012 l’ont été par des agents du même bureau, après que ces agents aient eu à traiter des refus de travailler liés à la question de l’insigne nominatif. L’agent de SST Danton a témoigné à l’audience que son bureau avait, avec l’appui et le soutien de ses supérieurs, formé une équipe composée de lui-même et des agents de SST Iacobellis et Wells ainsi que de deux conseillers techniques. Il a affirmé qu’à titre d’agent principal dans ce dossier, il communiquait avec l’employeur. Début mars, il y a eu quelques échanges entre l’agent de SST Danton et M. Adams relativement à la possible participation à une réunion du comité d’orientation de l’employeur, par téléconférence, des agents de SST ayant pris part à l’examen de l’évaluation du risque professionnel posé par les insignes nominatifs. La question de la participation des trois agents de SST a semblé créer un certain malaise et, à la suite de discussions avec M. Adams, l’agent Danton a été le seul membre du Programme du travail à participer à la réunion du 5 mars 2013. Je note également que M. Adams a fait parvenir aux trois agents de SST intéressés à la question à ce moment-là un courriel en date du 9 avril 2013, ce qui m’indique que l’employeur était au courant, non seulement du fait que l’opportunité de son évaluation du risque professionnel relative au port obligatoire de l’insigne nominatif était encore examinée, mais que cet examen était mené de concert par les agents de santé et de sécurité des régions de London et de Toronto, qui avaient continué à s’occuper de l’affaire après les refus du 12 décembre 2012.
[54] Je note également que, dans sa chronologie des activités (Pièce A-1, onglet 24), l’agent de SST Danton renvoie à un courriel qu’il a fait parvenir à M. Adams accusant réception de son courriel en date du 26 mars 2013 et dans lequel il indiquait qu’il consultait actuellement son équipe d’enquête et qu’il lui répondrait sous peu. Je suis convaincu que l’employeur comprenait à ce moment-là que, pour le Programme du travail, le dossier relatif à l’évaluation du risque professionnel et aux mesures de prévention n’était pas clos et qu’il restait des points litigieux qui n’avaient pas été résolus et que l’agent de SST Danton et ses collègues continuaient à examiner. Les courriels subséquents de M. Adams (les 9 et 15 avril 2013) demandant où en était le dossier appuient certainement ma conclusion. Je souligne que le but de ces échanges concernait la mise en place de la politique relative aux insignes nominatifs en général, dans toute l’ASFC, et n’était pas limité à des lieux de travail précis, comme Sombra ou Walpole Island. Finalement, l’agent de SST Danton a expliqué pourquoi il n’y a plus eu de communication avec l’employeur en avril, puisqu’il jugeait que ce dernier ne fournissait pas de nouveaux documents ou éléments pouvant être considérés, dans l’esprit de l’agent de SST Danton et de ses collègues, comme des mesures de prévention.
[55] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’employeur n’a pas été aveuglé ni autrement endormi dans une fausse sécurité par la conduite de l’agent de SST Danton, qu’il savait que l’examen de l’évaluation du risque professionnel relatif à la mise en place des insignes nominatifs se poursuivait et que la question de l’absence de mesures de prévention était centrale aux préoccupations des agents de SST. Je ne constate aucune irrégularité procédurale pouvant avoir empêché l’employeur de bien énoncer sa position ou de présenter une preuve à l’appui de son opinion selon laquelle il agissait dans le plein respect des règlements. Il me semble que la question en litige était claire dans l’esprit de tous. Ce qui est peut-être moins évident, c’est le type de mesures susceptibles de satisfaire l’idée que se fait l’agent de SST Danton de ce que devraient être les mesures de prévention en ce qui concerne la question des insignes nominatifs; toutefois, cela concerne plus la question de fond, que j’aborderai plus loin.
[56] Comme l’a souligné le représentant de l’intimée, ma tâche n’est pas d’examiner le processus d’enquête suivi par l’agent de santé et de sécurité, qui l’a mené à conclure qu’à son avis, il y avait eu violation du Code, mais plutôt de décider, en me fondant sur la preuve qui m’a été présentée, si l’agent de SST avait raison de conclure que l’employeur a contrevenu au Code. Le raisonnement est le suivant : si, par une enquête défaillante ou autrement inadéquate, le droit d’une partie à présenter une preuve ou des observations a été restreint, il est probable que l’instruction serait affaiblie, puisqu’elle serait vraisemblablement fondée sur des faits incomplets ou arbitraires. Une telle défaillance dans le processus peut être corrigée par l’audience devant l’agent d’appel, qui est une nouvelle instance au cours de laquelle toutes les parties ont l’occasion de présenter une preuve et des observations.
Pas le pouvoir d’émettre une « instruction nationale »
[57] L’appelante soutient également que le Code n’accorde pas à l’agent de SST Danton le pouvoir d’émettre une « instruction nationale » et que toute instruction que l’agent Danton pourrait émettre dans les circonstances présentées en preuve ne pourrait s’appliquer qu’aux deux lieux de travail où il a mené son enquête sur les refus de travailler du 12 décembre 2012.
[58] Encore une fois, je ne suis pas d’accord avec cet argument. Le Code octroie aux agents de santé et de sécurité un certain nombre de pouvoirs d’enquête et de contrainte, y compris le pouvoir d’émettre une instruction lorsqu’il juge qu’il y a eu contravention au Code et à ses règlements, et d’ordonner de corriger une telle contravention. Dans le cas présent, l’instruction de l’agent Danton est émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code, qui prévoit :
145.(1) S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, l’agent de santé et de sécurité peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :
a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;
b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.
[59] Le Code ne prescrit pas les conditions, les circonstances ni le contexte qui peuvent mener à une telle instruction, sinon que l’agent de santé et de sécurité doit être d’avis qu’une contravention au Code a été commise. Cela peut survenir dans le cadre d’une inspection de routine, d’une plainte déposée par un employé, d’un refus de travailler, d’une enquête sur un décès, bref de toute situation qui oblige l’agent à se rendre sur un lieu de travail ou à intervenir auprès d’un employeur relativement à ses pratiques ou ses politiques en matière de santé et de sécurité. Le Code ne fait pas la distinction entre une instruction « locale » et « nationale ». Selon moi, la portée d’une instruction dépend entièrement de la nature de la contravention et des faits qui ont poussé l’agent de SST à prendre une telle mesure. Il est possible que, dans la plupart des cas, la portée soit limitée à la situation existant sur un lieu de travail donné, particulièrement lorsqu’un agent de SST se penche sur une allégation selon laquelle une situation sur un lieu de travail présente un danger pour un employé (Agence Parcs Canada c. Martin). Toutefois, lorsque la contravention concerne une exigence législative plus générale, qui s’applique à l’employeur et aux employés en général, je ne vois rien dans le Code qui empêche une instruction d’avoir une large portée ou une portée « nationale » lorsque l’employeur en cause est un employeur national. À mon avis, c’est exactement le cas de l’instruction portée en appel.
[60] L’agent de SST Danton et plusieurs de ses collègues ont d’abord été invités à examiner la question des insignes nominatifs dans le cadre de plusieurs refus de travailler exercés en même temps dans diverses régions du pays. Tous les agents de SST ont décidé, après avoir fait enquête sur les faits particuliers à chaque refus dans leur contexte législatif, que la condition, le port d’un insigne nominatif, ne posait pas de danger pour les employés au sens du Code. Toutefois, au cours de ce processus, l’agent Danton et trois autres collègues ont remarqué ce qui leur semblait être une lacune dans le processus suivi par l’employeur avant la mise en place du port obligatoire de l’insigne nominatif et des instructions ont été émises exigeant que l’employeur effectue une évaluation du risque professionnel concernant cette nouvelle obligation. La preuve établit qu’un tel exercice a été coordonné à l’échelle nationale, sous la direction de M. Adams. Il m’apparaît clair qu’à partir de ce moment-là, la question du port d’un insigne nominatif en était une d’application générale visant tous les ASF, sans égard au lieu de travail, et qu’elle a été traitée comme tel par l’employeur. L’obligation de porter un insigne nominatif s’applique de manière générale à tous les employés et a été élaborée, discutée et mise en place à l’échelle nationale. Le débat sur les mesures de prévention a manifestement porté sur la question de savoir si les politiques de l’employeur, applicables à tous les employés, étaient conformes à la norme réglementaire. Je ne crois pas que l’instruction du 22 avril 2013 constitue une extrapolation abusive d’une situation purement locale à toutes les opérations de l’employeur. À mon avis, la délivrance d’une « instruction nationale », c’est-à-dire d’une instruction d’application générale pour l’ASFC, dans les circonstances décrites ci-dessus, est loin d’être incompatible avec le système de protection accordé par le Code et les pouvoirs de contrainte que le paragraphe 145(1) octroie aux agents de santé et de sécurité.
[61] Dans le même ordre d’idées, l’appelante allègue également que l’instruction du 22 avril 2013 porte le même numéro de référence que la décision d’« absence de danger » et l’instruction du 12 décembre 2012 concernant l’emplacement de Sombra et que, en conséquence, elle ne peut s’appliquer à l’échelle nationale. Il me semble qu’il s’agit d’une subtilité qui n’a aucun effet sur la validité de l’instruction. Comme je l’ai mentionné plus haut, les questions examinées après le 12 décembre 2012 ne concernaient pas uniquement le poste frontière de Sombra et je suis persuadé que l’employeur le comprenait.
Défaut de transmettre une copie de l’instruction, comme l’exige le paragraphe 145(6)
[62] Troisièmement, l’appelante soutient que l’agent de SST Danton ne s’est pas conformé au paragraphe 145(6) du Code parce qu’il n’a pas transmis une copie de l’instruction du 22 avril 2013 à tous les employés qui refusaient de travailler et dont la plainte est à l’origine de l’enquête, comme l’exige cette disposition, et que cette irrégularité rend l’instruction nulle.
[63] Le paragraphe 145(6) prévoit ce qui suit :
145.(6) Aussitôt après avoir donné les instructions visées aux paragraphes (1), (2) ou (2.1), ou avoir rédigé le rapport visé au paragraphe (5) en ce qui concerne une enquête qu’il a menée à la suite d’une plainte, l’agent en transmet copie aux personnes dont la plainte est à l’origine de l’enquête.
[Soulignement ajouté]
[64] À mon avis, l’obligation prévue au paragraphe 145(6) ne s’applique pas dans ce cas-ci. Selon moi, l’agent de SST Danton n’a pas émis cette instruction à la suite de la plainte d’une personne au sens du paragraphe 145(6). J’ai déjà indiqué qu’un agent de santé et de sécurité peut exercer le pouvoir d’émettre des instructions relativement à des contraventions au Code dans plusieurs contextes (inspections de routine, refus de travailler, etc.). Dans ce cas-ci, l’agent de SST Danton a d’abord fait enquête sur un refus de travailler aux termes de l’article 128 par des employés qui soutenaient que le port d’un insigne nominatif présentait un danger pour eux. Il a rendu une décision d’« absence de danger », n’a pas émis d’instruction aux termes du paragraphe 145(2) et cette décision a réglé la question du refus de travailler.
[65] Toutefois, cette intervention a suscité chez lui des inquiétudes quant à la manière dont l’employeur avait mis en place cette nouvelle exigence de travail pour tous les ASF au Canada. Cette préoccupation, distincte de la question de danger qu’il avait traitée, l’a poussé à émettre le 12 décembre 2012 une instruction ordonnant à l’ASFC de remédier à la contravention et de faire une évaluation du risque professionnel, suivie d’une autre directive le 22 avril 2013, fondée sur son opinion que l’évaluation du risque professionnel était incomplète en ce qui concernait les mesures de prévention. À mon avis, ces deux instructions ne sont pas liées à « une plainte […] à l’origine de l’enquête » ayant entraîné l’instruction portée en d’appel, comme le prévoit le paragraphe 145(6). Le libellé de cette disposition envisage clairement la possibilité qu’une instruction soit rendue sans qu’il y ait nécessairement une plainte adressée à un agent de santé et de sécurité, et je juge que c’est le cas ici.
[66] J’ajouterai que, même si le paragraphe 145(6) s’était appliqué et que l’agent de SST Danton avait été tenu par la loi de fournir une copie de son instruction à tous les employés ayant refusé de travailler, son défaut de le faire n’entraînerait pas la nullité de l’instruction puisque, selon moi, cette transmission ne constitue pas une condition touchant la validité de l’instruction. De plus, si quelqu’un avait un intérêt en droit pour se plaindre de cette contravention, ce seraient les employés ayant refusé de travailler et non l’employeur.
L’instruction modifie illégalement la décision d’autres agents de SST
[67] Quatrièmement, l’appelante allègue que l’instruction a pour effet de modifier les décisions d’autres agents de SST intervenus dans des cas semblables, un pouvoir que le Code confère uniquement aux agents d’appel. Le motif invoqué est que, puisque plusieurs agents de SST ayant eu à traiter de la question des insignes nominatifs ont décidé de ne pas émettre d’instruction comme celle du 22 avril 2013, cette instruction contredit l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.
[68] Cet argument ne me convainc pas. Je ne vois pas comment l’instruction du 22 avril 2013 peut modifier ce qui est en fait une absence de décision. L’appelante invoque la décision dans l’affaire Sachs pour appuyer son raisonnement. Je comprends cette décision comme appuyant le principe qu’un agent d’appel ne peut être saisi de l’appel d’une instruction qu’en vertu du paragraphe 146(1) et que la décision d’un agent de SST de ne pas émettre d’instruction, mais de s’en remettre à une approche de conformité volontaire ne peut être portée en appel. Selon moi, ce jugement n’appuie pas la thèse de l’employeur, bien au contraire.
[69] Dans le cas qui nous occupe, quatre agents de SST ont émis des instructions relatives au défaut de l’employeur d’effectuer une évaluation du risque professionnel après avoir rejeté le refus de travailler sur lequel ils faisaient enquête. L’agent de SST Danton a déclaré lors de son témoignage que trois des quatre agents ont formé une équipe d’enquête pour assurer le suivi de cette question qui, à leur avis, s’inscrivait dans une perspective nationale. Le fait que d’autres agents de SST ayant eu à traiter de la question de l’insigne nominatif n’aient pas examiné plus à fond la question n’est pas pertinent au fait que l’agent Danton et ses collègues l’aient fait. Je ne vois pas comment on peut prétendre que l’instruction du 22 avril 2013 a modifié des décisions ou des instructions d’autres agents de SST quand il n’y en avait pas à modifier. L’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas émettre d’instruction ne constitue pas une décision. La validité d’une instruction doit être déterminée en fonction des faits pertinents ayant mené à sa délivrance. Cela est particulièrement vrai dans le contexte du Code, où les instructions émises par des agents de santé et de sécurité et les décisions rendues par des agents d’appel n’ont pas d’effet coercitif ou obligatoire sur les décisions ultérieures des agents de SST pour faire respecter le Code (voir : DP World (Canada) Inc. v. International Longshore and Wharehouse Union, Local 500).
[70] L’appelante suggère également que l’instruction visée par l’appel est contraire aux conclusions de plusieurs agents de SST dans diverses régions du pays, y compris à celle de l’agent Danton, et qu’elle se substitue illégalement à ces conclusions. Je ne suis pas d’accord. Les conclusions d’« absence de danger » formulées par les agents de SST et les motifs invoqués à l’appui de celles-ci concernent toutes la question de savoir si le port d’un insigne nominatif représente un danger pour les ASF, ce qui est établi selon un critère juridique différent mettant en cause la définition de « danger » et les articles 128 et 129 du Code. Ces articles ne s’appliquent pas au présent appel.
[71] Je me tourne maintenant vers le fond du problème, soit de savoir si l’instruction portée en appel est justifiée et si l’appelante a contrevenu au Code en ne prenant pas de mesures pour prévenir les risques associés à l’obligation faite aux ASF de porter un insigne nominatif, comme l’exigent l’alinéa 125(1)z.03) et le paragraphe 19.5(1) du RCSST.
[72] Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’instruction est bien fondée et devrait être confirmée.
[73] L’appelante allègue d’abord que l’instruction est tellement vague et imprécise que sa mise en œuvre doit être fondée sur des conjectures quant à son contenu. À mon avis, l’instruction n’est ni vague ni imprécise. La preuve démontre que le fond du problème, selon l’agent de SST Danton et ses collègues, se trouve dans le fait que l’employeur n’avait pas pris de mesures de prévention pour réduire le risque. L’employeur était, et est toujours, d’avis que ses politiques existantes constituent des mesures de prévention adéquates et sont suffisantes pour prévenir le risque en question. Les mots « mesures de prévention » ne sont pas définis et ne sont pas prescrits au paragraphe 19.5(1) du RCSST. La suffisance des mesures de prévention, en ce qui concerne les exigences énoncées dans ce paragraphe, doit être évaluée selon les faits de chaque cas. Fournir des mesures de prévention est une obligation de l’employeur aux termes du Code et il serait inapproprié pour un agent de SST d’adopter dans une instruction une approche dirigiste en définissant quelles mesures de prévention devraient être prises pour réduire le risque. Ce devoir relève de l’employeur, qui doit l’exercer en collaboration avec son comité d’orientation. Des exemples de mesures de prévention ont été apportés pendant l’enquête et lors de l’audition de l’appel. À mon avis, la mesure que doit prendre l’employeur pour se conformer à l’instruction, prise dans son contexte et se rapportant au risque recensé au moyen de l’évaluation du risque professionnel, n’est pas une question de conjecture et je rejette l’argument de l’appelante voulant que l’instruction soit annulée pour ce motif.
[74] La question principale est donc de savoir si l’employeur a effectivement pris des mesures de prévention pour réduire le risque lié aux insignes nominatifs. En janvier 2013, l’employeur a mené une évaluation du risque professionnel relativement au port obligatoire de l’insigne nominatif en réponse à plusieurs instructions émises en décembre 2012 après que des agents de SST aient conclu que l’ASFC n’avait pas mené une telle évaluation avant de mettre en place sa politique. L’employeur définit le risque lié à l’insigne nominatif comme un « risque de violence ou de harcèlement par les clients ». La conclusion de l’employeur est la suivante :
[Traduction] Le fait de porter un insigne nominatif ne pose pas de risque pour un employé. Toutefois, le risque que cela pourrait présenter a été examiné dans le cadre de cette évaluation. D’après les outils du programme de prévention des risques de l’Agence utilisés pour effectuer une évaluation du risque sur le port de l’insigne nominatif, il a été établi que le risque lié au port de l’insigne nominatif correspondait au niveau de risque C. Conformément au programme de prévention des risques, les risques de niveau C ou D ne nécessitent pas de plan d’action. Ces risques doivent toutefois faire l’objet d’une surveillance, et des mesures doivent être prises, au besoin.
[Soulignement ajouté]
[75] Aux termes du programme de prévention des risques de l’ASFC, les risques de niveau « C » sont décrits comme présentant un niveau de gravité relativement peu élevé et il est précisé que [traduction] « ce groupe ne devrait jamais être ignoré, mais ne constitue pas une priorité ». Et pourtant, je note que la feuille d’évaluation du risque professionnel décrit la gravité du risque comme « critique », mais avec une fréquence ou une probabilité faible. En revanche, les risques considérés de niveau « A » ou « B » aux termes du programme exigent [traduction] « l’élaboration d’un plan d’action pour mettre en place des mesures de prévention appropriées » (soulignement ajouté). Par conséquent, lorsque l’employeur conclut que le danger recensé « ne nécessite pas un plan d’action » autre que la surveillance au moyen de rapports de sécurité, cela signifie en fait que l’ASFC ne voit pas la nécessité de prendre des mesures de prévention aux termes du programme.
[76] Cette approche soulève chez moi les mêmes inquiétudes que chez l’agent de SST Danton, puisque le paragraphe 19.5(1) du RCSST ne fait pas le genre de distinction fait par l’employeur. Une fois que l’employeur a recensé un risque lié à une tâche ou une exigence de travail particulière, il ne peut simplement se dispenser d’examiner des mesures de prévention pour réduire ce risque sur la base de sa propre méthode de classement. À mon avis, cette approche ne respecte pas l’obligation prescrite par le paragraphe 19.5(1) du RCSST. Des mesures de prévention doivent être prises une fois un risque recensé. Cette obligation existe dans un contexte législatif où la prévention des accidents et des maladies constitue l’objectif principal du Code et les mesures de prévention doivent être conçues, dans l’ordre, pour éliminer le risque ou, si cela est impossible, le réduire, comme le prévoient les articles 122.1 et 122.2 du Code :
122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.
122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.
[Soulignement ajouté]
[77] Les exigences du paragraphe 19.5(1) ont le même objectif. La preuve présentée à l’audience précisait la nature du risque lié au port d’un insigne nominatif plutôt que l’ancien insigne d’identité numérique. Ce qui est préoccupant ici n’est pas tellement le potentiel de violence ou de harcèlement pendant que l’ASF est au travail, dans l’exécution de ses fonctions. La preuve établit clairement que l’insigne nominatif n’augmente pas en soi le risque de voies de fait ou d’autre conduite violente de la part des voyageurs mécontents contre les ASF pendant qu’ils sont au travail. L’employeur a mis en place plusieurs politiques et mesures, que j’ai longuement décrites dans les observations de l’appelante, qui prévoient des mesures pour assurer aux ASF un milieu de travail sécuritaire et une protection. Le « nouveau » risque créé par l’insigne nominatif consiste plutôt dans le fait que le nom de famille accroché à l’uniforme des ASF permet à une personne en colère à la suite de mesures d’application prises par l’un d’entre eux d’obtenir rapidement et subrepticement, à l’aide des technologies modernes et de l’Internet, ses renseignements personnels, comme le numéro de téléphone ou l’adresse de sa résidence, avec des intentions criminelles à l’égard de l’ASF ou de sa famille. Voilà le risque découlant directement du port de l’insigne nominatif, en plus de celui, plus général, d’être harcelé ou assailli par un client mécontent. L’identification personnelle des ASF au moyen d’insignes nominatifs les rend donc plus vulnérables à de telles situations. Comme l’employeur l’a lui‑même évalué, le potentiel ou la probabilité qu’une telle situation se produise peut être faible, mais la gravité peut être critique. Quelques exemples ont été mentionnés en preuve dans lesquels, avant la mise en place de la politique sur le port d’un insigne nominatif, un voyageur mécontent avait tenté d’obtenir les noms et adresses d’ASF, heureusement en vain. La preuve a également mis en lumière un incident mettant en cause un groupe de rap à l’aéroport Pearson et il semble clair, comme l’a reconnu M. Adams dans son témoignage, que, si le nom de l’ASF était également apparu sur la photo affichée sur Twitter, cela aurait entraîné un niveau supplémentaire de stress pour l’agente en cause, compte tenu des commentaires méprisants et menaçants à son égard que le message a provoqués. De plus, la preuve concernant les mesures de prévention prises relativement à la participation des ASF à l’émission de télévision « Border Security », soit obtenir leur consentement ou noircir ou brouiller leur nom avant la diffusion, indique que le fait d’être identifié constitue une préoccupation réelle des ASF et est reconnue comme telle par l’employeur.
[78] Ces exemples peuvent sembler anecdotiques, mais ils illustrent bien, selon moi, la nature du « nouveau » risque découlant directement du port obligatoire d’insignes nominatifs. L’employeur fait valoir qu’il était possible d’obtenir le nom des ASF avant la mise en place de la politique et que, dans ce sens, rien n’a vraiment changé. Il a également présenté la preuve que le nom des ASF figure dans des publications syndicales. À mon avis, l’insigne nominatif modifie ce contexte. Alors qu’il était toujours possible d’obtenir le nom d’un ASF au moyen, par exemple, d’une demande d’accès à l’information ou de documents judiciaires ou quasi-judiciaires, ces processus prennent du temps, permettant une période de « réflexion » après l’action ayant pu déclencher la réaction agressive. De plus, la personne à l’origine de la requête devait s’identifier. Comme M. McMichael l’a répété lors de son témoignage, l’inquiétude des employés, au-delà de la possibilité réelle de faire l’objet de harcèlement ou de voies de fait qui existait avant la mise en place de l’insigne nominatif, concerne le « voyageur mécontent impulsif » qui peut maintenant, avec la combinaison du nom de famille, des technologies de communication à sa disposition, de l’Internet et des médias sociaux, avoir rapidement accès, dans un anonymat total, aux renseignements personnels d’un ASF, possiblement avec des intentions criminelles. En d’autres termes, je crois que l’insigne nominatif a créé un type de risque différent dans le milieu de travail que l’employeur doit, aux termes du paragraphe 19.5(1) du RCSST, prévenir, ce que, selon moi, il n’a pas fait.
[79] L’employeur a cité plusieurs politiques, procédures et mesures déjà en place qui visent à empêcher les blessures causées par un comportement violent, une poursuite ou du harcèlement et qu’il a décrites comme des mesures de prévention. Il n’est pas nécessaire d’analyser en détail ces politiques qui, comme tous le reconnaissent, fournissent aux employés un cadre de protection important. Je suis toutefois d’accord avec l’intimé sur le fait que ces politiques, procédures et mesures sont essentiellement réactives en ce qu’elles sont déclenchées par l’arrivée d’un événement. Les mesures et politiques en cause sont toutes antérieures à l’implantation des insignes nominatifs. Elles ne traitent tout simplement pas du risque particulier présenté par le port d’insignes nominatifs, comme je l’ai décrit plus haut. Elles comportent évidemment un aspect préventif en ce qu’elles visent à éviter qu’un incident se reproduise ou s’envenime, mais à mon avis, elles n’éliminent pas le risque ni ne réduisent la probabilité qu’il survienne. Alors que la possibilité qu’un ASF soit poursuivi, harcelé ou assailli est faible, ces situations ne sont pas simplement hypothétiques et le risque doit être réduit en prenant des mesures de prévention, comme le prévoit le paragraphe 19.5(1) du RCSST. Par conséquent, la question en litige ici n’est pas la suffisance des mesures de prévention prises par l’employeur conformément au paragraphe 19.5(1) du RCSST mais, comme l’a dit l’agent de SST Danton dans son témoignage, l’absence de telles mesures.
[80] Il est opportun d’insister sur le fait que l’obligation prescrite par le paragraphe 19.5(1) du RCSST découle directement de l’objectif fondamental du Code, qui est de prévenir les accidents et les maladies liés à l’emploi. Le législateur précise que, dans l’ordre de priorité, la première obligation de l’employeur est d’éliminer le risque, ce qui demande un examen de la source du risque et une évaluation de la possibilité de l’éliminer. Ce n’est que lorsque le risque ne peut être éliminé sans éliminer l’essence même de la fonction exercée par l’employé que l’employeur peut recourir à d’autres mesures de prévention visant à réduire le risque, par exemple fournir du matériel et de l’équipement de protection ou élaborer des mesures administratives, comme le prévoit le paragraphe 19.5(1). Aucune preuve n’a été présentée établissant que, dans le cas présent, l’employeur a répondu à cette priorité. L’impossibilité d’éliminer le risque, comme le prescrit ce paragraphe, doit être démontrée dans l’analyse du risque elle-même avant de pouvoir envisager d’autres mesures. C’est là l’objectif même d’une évaluation du risque professionnel. Le fait de déclarer qu’aucune mesure de prévention n’est nécessaire ne suffit tout simplement pas.
[81] L’appelante allègue également qu’elle a pris toutes les mesures de prévention nécessaires sous son autorité, c’est-à-dire en milieu de travail, pour veiller à la sécurité des employés comme le prévoient les articles 124 et 125 du Code, qui traitent des risques sur les lieux de travail. L’employeur insiste sur le fait que les types de mesures supplémentaires que demandent l’agent de SST Danton et l’intimée concernent des sujets comme Bell Canada ou Canada411, Facebook ou Twitter et débordent clairement le lieu de travail. Ce sont tous des activités sur lesquelles l’ASFC n’a aucun contrôle et il ne s’agit pas d’un « lieu de travail placé sous... l’entière autorité » de l’employeur. Par conséquent, l’appelante soutient qu’elles ne sont pas visées par la partie II du Code.
[82] Je ne suis pas d’accord avec la prétention de l’appelante. Le risque recensé au moyen de l’évaluation du risque professionnel est indéniablement lié à une exigence de travail imposée aux ASF, c’est-à-dire le port d’un insigne nominatif au travail. Le fait que le risque peut survenir à l’extérieur du lieu de travail par le biais de moyens qui ne relèvent pas de l’employeur ne rend pas le risque, ou les mesures de prévention visant à l’éviter, non liés au lieu de travail. Si un ASF est identifié sur son lieu de travail parce qu’il porte son insigne nominatif et est ensuite poursuivi, harcelé ou assailli à l’extérieur de son lieu de travail par un client indiscipliné, cela découlera vraisemblablement d’une mesure d’exécution que l’ASF a prise contre cette personne.
[83] L’appelante a cité la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Bidulka à l’appui de son argument. Dans cette affaire, la question en litige était de savoir si un refus de travailler en vertu des articles 85 et 86 (maintenant 128 et 129) du Code était autorisé contre le danger allégué présenté par le fait de traverser un piquet de grève avant de se présenter sur les lieux de travail et la peur de représailles et de voies de fait par les grévistes à l’extérieur du lieu de travail. La question au cœur de cette affaire était donc de savoir si des employés peuvent invoquer les dispositions sur le refus de travailler prévues dans ces articles lorsqu’ils n’étaient pas « au travail » et que le danger appréhendé n’était pas à proprement parler une situation existant sur le lieu de travail. Il est clair que le litige dans cette affaire ne visait pas les mêmes obligations et exigences législatives que celles en cause dans le présent appel et que, pour ce motif, elle peut être écartée.
[84] L’employeur a cité également l’affaire Canada (Revenu) c. ASPC à l’appui de son argument voulant que les événements ou les risques qui surviennent en dehors des lieux de travail ne sont pas couverts par la partie II du Code. La question dans cette affaire était de savoir si l’employeur avait l’obligation, aux termes des dispositions générales prévues à l’article 124 du Code, de protéger les employés stationnés le long de l’accotement de la route à la suite d’activités de piquetage devant ses locaux, ce qui les exposait aux risques posés par la circulation routière. L’agent d’appel a conclu qu’une telle obligation n’existait pas, puisqu’il n’avait pas été établi que le risque découlait d’une directive ou d’une exigence de travail de l’employeur; en d’autres termes, aucun lien n’avait été établi avec les tâches des employés. Un tel lien est, à mon avis, clairement établi dans le cas à l’étude.
[85] Je note également que le Chapitre 26 du manuel Fonction du contrôleur : Politiques sur les mauvais traitements, menaces, poursuites et voies de faits commis contre des employés, que l’employeur cite dans ses observations, envisage également des événements survenus à l’extérieur du lieu de travail ainsi que ceux pouvant mettre en cause des membres de la famille des employés, et prévoit des mesures pour réagir face à de tels événements, mais une fois qu’ils se sont produits. Je répète que l’objectif du Code, énoncé à l’article 122.1, est de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi. C’est certainement le cas du risque découlant directement du port d’un insigne nominatif.
[86] L’employeur prétend que l’instruction soumet l’ASFC à une norme de perfection irréaliste. Évidemment, il peut être impossible d’éliminer complètement un risque associé à des comportements humains imprévisibles et illégaux. Quoi qu’il en soit, je répète que la vulnérabilité accrue des ASF et de leur famille à l’égard de l’intimidation, du harcèlement ou des voies de fait en raison de la plus grande facilité à avoir accès à leurs renseignements personnels est la conséquence directe de l’obligation du port d’insignes nominatifs imposée par l’employeur. Par conséquent, les mesures de prévention dans ce cas-ci devraient viser d’abord à éliminer le risque, puis, s’il est impossible de le faire sans éliminer le poste, à réduire le risque au maximum. La preuve présentée à l’audience a abordé quelques-unes des mesures de prévention pouvant être envisagées, par exemple des numéros de téléphone et des adresses confidentiels, de la formation axée sur les risques et les précautions associés à l’utilisation des médias sociaux, l’offre de conseils de sécurité personnelle, etc. L’intimé suggère que l’employeur devrait fournir aux employés les outils et les connaissances nécessaires pour leur permettre de se protéger contre le harcèlement, les menaces, les poursuites et les voies de fait, y compris donner aux ASF les outils et les connaissances nécessaires pour protéger leur identité, puisqu’ils n’ont pas tous le même degré de connaissance des paramètres de sécurité et des autres outils de protection de la vie privée concernant l’utilisation d’Internet. Ce n’est pas à moi, pas plus qu’à l’agent de SST Danton, de prescrire les mesures spécifiques à prendre pour prévenir le nouveau risque créé par le port d’insignes nominatifs. Comme je l’ai déjà dit, l’obligation d’élaborer de telles mesures incombe à l’employeur, en collaboration avec le comité d’orientation, en suivant l’ordre de priorité établi au paragraphe 19.5(1) du RCSST. Les parties sont mieux placées pour déterminer le type de mesures qui préviendront le risque de manière pertinente et qui leur convient. Ils peuvent choisir d’obtenir, pour être mieux informés dans leurs délibérations, les conseils d’experts sur le sujet et de demander l’aide d’agents de santé et de sécurité désignés par le Programme du travail d’EDSC dans leur continuum en matière de conformité, compte tenu du fait que l’instruction du 22 avril 2013 demeure valide à la suite de la présente instance.
[87] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que l’instruction est bien fondée et ne devrait pas être annulée ni modifiée.
Décision
[88] Pour les motifs énoncés plus haut, je conclus que l’instruction émise par l’agent de SST Paul G. Danton le 22 avril 2013 est confirmée et l’appel rejeté.
Pierre Hamel
Agent d’appel