2014 TSSTC 14

2014 TSSTC 14

 Date : 2014-08-21

 Dossier no : 2014-22

 Entre :

Edward Bruce, appelant

et

South Coast Crewing Limited, intimée

 Indexé sous : Bruce c. South Coast Crewing Limited

 Affaire : Demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail

 Décision : La demande est rejetée

 Décision rendue par : M. Michael Wiwchar, agent d’appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour l’appelant : Me V. Randell J. Earle, Q.C., O’Dea Earle

 Pour l’intimée : Me Darren C. Stratton, McInnes Cooper

 Référence : 2014 TSSTC 14

MOTIFS DE DÉCISION

[1] La présente affaire a trait à une demande de prorogation du délai prévu pour interjeter appel d’une décision d’absence de danger, en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le « Code »). La décision a été rendue par M. Clement Murphy, agent de santé et de sécurité (agent de SST) de Transports Canada, le 16 mai 2014.

Contexte

[2] L’appelant, M. Edward Bruce, est employé de la South Coast Crewing Limited (SCCL) et conduit des bateaux pilotes à Placentia Bay (Terre-Neuve-et-Labrador).

[3] Le 16 octobre 2013, M. Bruce a exercé son droit de refuser d’accomplir un travail dangereux en vertu du paragraphe 128(1) du Code, au motif que le retrait du pilote automatique des bateaux pilotes Aviation et Atlantic l’exposait à un « danger » au sens du Code. M. Bruce affirmait qu’à la suite de ce retrait les bateaux ne pouvaient être conduits que manuellement, et que le capitaine devait lâcher la roue du navire pour effectuer d’autres activités.

[4] L’employeur, SCCL, a communiqué avec Transports Canada le 30 avril 2014 pour en discuter et a déposé un formulaire Enregistrement d’un refus de travailler en cas de danger le 8 mai 2014. M. Murphy, agent de SST de Transports Canada, a enquêté, par téléphone, sur le refus de travailler du 5 au 9 mai 2014. L’agent de SST a établi que le retrait du pilote automatique des bateaux en cause ne posait pas de danger pour l’employé et a rendu une décision le 16 mai 2014.

[5] M. Bruce a reçu la décision d’absence de danger le 22 mai 2014 et l’a transmise à son représentant d’unité de négociation, qui l’a fait parvenir à l’avocat du syndicat.

[6] L’avocat de l’appelant a déposé un avis d’appel auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le « Tribunal ») le 16 juin 2014, soit 14 jours après l’échéance du délai de dix jours accordé pour interjeter appel en vertu du paragraphe 129(7) du Code.

[7] L’avocat de l’appelant a joint à l’avis d’appel une demande de prolongation de délai.

Question en litige

[8] La question que je dois trancher est celle de savoir si, dans l’affaire qui nous occupe, je devrais exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère l’alinéa 146.2f) du Code pour proroger le délai de dix jours établi au paragraphe 129(7) du Code.

Observations des parties

A) Observations de l’appelant

[9] L’avocat de l’appelant a cité la décision Alex Hoffman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2013 TSSTC 19, où sont précisés les facteurs que le Tribunal doit prendre en compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour accorder une prolongation du délai pour interjeter appel. Ces facteurs sont la durée du retard par rapport à la période d’appel, les explications fournies par la partie pour justifier ce retard, la diligence raisonnable dont témoignent les actions de cette partie et le préjudice subi par les autres parties à la procédure.

[10] D’abord, l’appelant a soutenu que le retard était court compte tenu des circonstances. Plus particulièrement, l’avocat a fait remarquer que M. Bruce avait reçu la décision d’absence de danger de l’agent de SST le 22 mai 2014 et qu’il avait déposé son avis d’appel le 16 juin 2014. L’avocat de l’appelant a souligné qu’il ne s’était donc écoulé que 14 jours entre l’échéance du délai de dix jours, qui tombait le 2 juin 2014, et le dépôt de l’avis d’appel.

[11] L’avocat de l’appelant a ensuite déclaré que M. Bruce n’avait pas pu faire appel de la décision dans le délai prévu de dix jours parce que son épouse était tombée malade et avait dû être hospitalisée. Il a précisé que M. Bruce n’avait pas pu avoir de rencontre avec son unité de négociation et son avocat pour faire appel dans le délai de dix jours et qu’il n’avait pas pu accéder à ses courriels régulièrement.

[12] L’appelant estime qu’une prolongation du délai pour interjeter appel ne causerait pas de préjudice à l’employeur, puisque celui-ci a tardé à saisir un agent de SST de la question relative aux préoccupations de l’employé afin qu’il fasse enquête.

[13] L’appelant a affirmé qu’il avait toujours démontré son intention de faire appel de la décision. L’appelant a fait remarquer qu’il n’était pas retourné travailler et qu’il n’avait donné aucune indication à son employeur qu’il entendait accepter la conclusion d’absence de danger.

[14] De plus, dans les observations de l’appelant, l’avocat a allégué que M. Bruce avait clairement manifesté son intention de faire appel de la décision dans une correspondance et une communication avec des ministères comme Emploi et Développement social Canada - Programme du travail.

[15] L’appelant a également soutenu que l’employeur avait admis la possibilité d’un appel dans une correspondance au représentant syndical de l’employé et qu’il ne pouvait donc pas avoir été surpris par le dépôt d’un appel.

[16] L’avocat de l’appelant a déclaré que la question en litige était sérieuse et que l’agent de SST n’y avait pas prêté suffisamment attention. L’appelant a indiqué qu’on ne l’avait pas consulté pendant l’enquête et que le rapport de l’agent de SST avait négligé de répondre à ses préoccupations en matière de sécurité liées au retrait du pilote automatique.

[17] L’appelant a soutenu qu’on ne l’avait informé de l’enquête de l’agent de SST qu’une fois que la décision a été rendue et qu’il n’avait pas eu la chance de formuler des observations pendant l’enquête. Par conséquent, il a déclaré qu’on l’avait privé de son droit à l’équité procédurale et qu’il devrait donc avoir le droit de faire appel.

[18] L’avocat de l’appelant a conclu en disant que, en l’absence d’une enquête adéquate, on pouvait s’attendre à d’autres refus de travailler de la même nature que celui de l’appelant.

B) Observations de l’intimée

[19] Selon l’avocat de l’intimée, une prolongation ne devrait pas être accordée dans cette affaire. L’intimée a affirmé que les circonstances personnelles de l’appelant ne l’empêchaient pas de faire appel dans le délai prescrit ni de faire connaître son intention d’interjeter appel.

[20] L’intimée a fait remarquer que dans des affaires précédentes où l’épouse de l’appelant avait dû être hospitalisée, cela n’avait pas influé sur la capacité de l’appelant de communiquer avec son employeur. De plus, l’intimée a soutenu que, pendant toute la période pertinente pour l’appel, l’appelant avait été représenté par son syndicat. L’intimée a fait valoir que ni le représentant syndical ni l’appelant n’avaient manifesté l’intention d’interjeter appel dans le délai prescrit, même si tous deux étaient au courant du droit d’interjeter appel et du délai prévu pour exercer ce droit.

[21] L’avocat de l’intimée a également soutenu que l’octroi d’une prolongation causerait un préjudice à l’employeur. Plus particulièrement, l’intimée a un intérêt dans le caractère définitif des décisions administratives et s’inquiète des conséquences financières, compte tenu du fait que l’appelant persiste dans son refus de travailler et qu’il refuse de s’entretenir avec l’intimée. Selon l’intimée, étant donné ces refus, si un appel était accordé, l’employeur serait exposé à des dommages pécuniaires potentiels.

[22] L’intimée a conclu en indiquant qu’il fallait des raisons claires et convaincantes pour justifier le retard dont il était question ici, raisons que l’appelant n’avait pas pu fournir. L’intimée a soutenu que ces raisons claires et convaincantes devaient avoir des fondements solides et qu’elles devaient être établies. Il ne convient pas d’accorder une prolongation pour des motifs de compassion sans fondements solides.

C) Réponse

[23] En réponse aux observations de l’intimée, l’avocat de l’appelant a soutenu que l’appel devait être accordé pour des motifs de compassion en raison des graves problèmes de santé de l’épouse de l’appelant. L’appelant a cité la décision Alex Hoffman, où l’agent d’appel Hamel a établi qu’il ne pouvait pas accepter la demande de l’appelant pour des motifs de compassion sans fondements solides. L’avocat de l’appelant a déclaré que la présente demande de prolongation de délai différait de celle qui faisait l’objet du jugement Alex Hoffman en ceci que, dans cette affaire, l’appelant n’avait pu fournir aucune explication valable pour son défaut, tandis que, dans le cas qui nous occupe, M. Bruce l’avait fait sous la forme d’un affidavit.

[24] En réponse à l’affirmation de l’intimée selon laquelle le syndicat de l’employé représentait l’appelant pendant la période d’appel, l’avocat de l’appelant a soutenu que M. Bruce n’avait pas expressément autorisé le syndicat à interjeter appel en son nom, pas plus que le syndicat n’avait entrepris de le faire. L’appelant a donc affirmé que le fait qu’il était représenté par un syndicat ne devait avoir aucune incidence sur la décision d’accorder ou non une prolongation du délai.

[25] En ce qui concerne le préjudice subi, l’appelant a soutenu que l’intimée ne faisait que supposer un préjudice financier potentiel, alors qu’il fallait prouver un préjudice réel. L’appelant a également soutenu qu’un préjudice de nature générale n’avait pas pour effet d’annuler l’appel. De plus, l’appelant prétend que, si son appel est accepté, l’intimée ne subira pas de préjudice pour cause de difficultés financières, mais seulement les conséquences financières de ses propres actes.

[26] L’avocat de l’appelant a répété que M. Bruce avait toujours eu l’intention d’interjeter appel et a de nouveau fait référence à la correspondance mentionnée dans ses observations et au fait qu’il persistait dans son refus de travailler. L’appelant a également soutenu qu’une prise de contact en son nom avait eu lieu avec le Programme du travail.

Analyse

[27] L’alinéa 146.2f) du Code me confère le pouvoir de proroger le délai prévu pour interjeter appel. Cette disposition donne à l’agent d’appel le pouvoir discrétionnaire de restaurer un droit d’appel éteint par l’expiration du délai prévu par la loi. Mon rôle comme agent d’appel consiste à déterminer si je devrais exercer ce pouvoir discrétionnaire et proroger le délai de dix jours prévu pour interjeter appel d’une décision d’absence de danger. À cet égard, dans la décision Alex Hoffman citée précédemment, l’agent d’appel Hamel a répété les facteurs à prendre en compte pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’appel en vertu de l’alinéa 146.2f) :

[25] Le Code ne prévoit pas de facteurs dont l’agent d’appel doit tenir compte dans l’exercice de son pouvoir de proroger les délais. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec impartialité, d’une manière non arbitraire ou discriminatoire, il doit être fondé sur des principes juridiques pertinents, et doit s’inscrire dans des considérations qui servent l’intérêt de l’équité ainsi que le but et les objectifs du Code. […] Les tribunaux administratifs, de même que les agents d’appel, examinent et soupèsent en règle générale les facteurs suivants dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire : la durée du retard par rapport au délai d’appel, les explications de la partie pour justifier ce retard, la diligence raisonnable dont a fait preuve la partie dans les mesures qu’elle a prises, et le préjudice subi par les autres parties à la procédure.

[28] J’examinerai donc chaque facteur mentionné ci-dessus.

Durée du retard et explication

[29] L’appelant a déposé l’appel 14 jours après l’expiration du délai de dix jours. Pour déterminer s’il s’agit ou non d’un retard grave, j’ai soupesé l’importance de respecter ce genre de délai relativement court. Comme l’a indiqué l’agent d’appel dans la décision Alex Hoffman:

[24] Le législateur a prescrit un délai de dix jours pour interjeter appel d’une décision d’absence de danger, un délai assez court par rapport à la période de 30 jours pendant laquelle une instruction émise par un agent de SST peut être contestée devant un agent d’appel. Des délais de ce genre existent pour protéger l’intérêt qu’a le public dans le caractère définitif des décisions administratives et assurer la bonne administration du Code. Il est important que ces délais soient respectés et lorsque ce n’est pas le cas, que des raisons impérieuses et convaincantes soient fournies pour justifier de ne pas avoir respecté cette obligation légale. [Soulignement ajouté]

[30] J’estime que les raisons invoquées par l’appelant pour justifier son défaut de faire appel dans le délai prévu ne sont ni impérieuses ni convaincantes. L’avocat a soutenu que les circonstances familiales de M. Bruce pendant la période visée l’avaient empêché d’interjeter appel. Même si je conçois très bien qu’il ait été fort préoccupé par la santé de son épouse, je ne suis pas convaincu que la situation l’ait empêché d’interjeter appel. L’épouse de l’appelant est tombée malade la semaine suivant la réception de la décision. Au moment de l’hospitalisation, l’appelant, son représentant syndical et l’avocat du syndicat étaient déjà au courant de la décision et du délai prévu pour interjeter appel. Étant donné le court délai de dix jours, l’un ou l’autre aurait dû commencer à préparer l’appel dès la réception de la décision.

[31] L’avocat de l’appelant a soutenu que le syndicat n’avait jamais été expressément désigné pour interjeter appel au nom de M. Bruce. Toutefois, je ne vois aucune indication que le syndicat a tenté de communiquer avec l’appelant au sujet du dépôt d’un appel pendant la période pertinente et, selon moi, l’accès limité de l’appelant à ses courriels et le fait qu’il ait résidé temporairement ailleurs ne l’empêchaient pas de communiquer avec le syndicat.

Diligence raisonnable

[32] En ce qui concerne la diligence raisonnable, la partie qui demande une prolongation de délai doit démontrer, par ses actions pendant la période visée, son intention continue de faire appel de la décision. À ce sujet, l’appelant a produit une correspondance qui, selon lui, prouve que l’intimée connaissait son intention de faire appel de la décision. J’ai lu la correspondance et je ne puis être d’accord avec cette affirmation. L’employeur a simplement indiqué dans le courriel qu’il était au courant du droit de l’employé de faire appel de la décision, bref qu’il avait la possibilité de le faire. La reconnaissance du droit prévu par la loi de faire appel d’une décision ne signifie pas que l’employeur ait été informé de l’intention de l’employé d’interjeter appel.

[33] De plus, bien que l’appelant n’ait pas reçu personnellement la décision d’absence de danger avant le 22 mai 2014, le dossier de la correspondance fourni par l’appelant a indiqué que son représentant syndical, M. Sparkes, avait été informé de la décision par courriel le 16 mai 2014, et que M. Bruce l’avait été également par courriel ce même jour. Je ne vois aucune raison pour laquelle le représentant syndical et l’appelant n’ont pas, à partir de cette date, entamé les discussions concernant un appel s’ils envisageaient effectivement de faire appel. Que l’appelant ait lui-même reçu ou non la décision, lui et le syndicat auraient pu communiquer l’un avec l’autre pour établir la marche à suivre pour faire appel dès le 16 mai, soit bien avant l’hospitalisation de l’épouse de l’appelant. Cette communication, si elle avait eu lieu, aurait sans doute facilité le dépôt de l’appel dans le délai prescrit.

[34] L’appelant a également affirmé qu’il avait clairement manifesté son intention d’interjeter appel en persistant dans son refus de travailler et en prenant contact avec le Programme du travail. Toutefois, n’ayant pas pu lire ces communications, je ne peux pas établir à qui l’appelant s’est adressé, quel a été le sujet de la communication ni quel en a été le résultat. De plus, même si l’appelant n’est pas retourné travailler, il n’a pas informé son employeur qu’il avait l’intention de faire appel de la décision, et je ne suis donc pas convaincu qu’il ait manifesté clairement son intention d’interjeter appel.

Préjudice à l’employeur

[35] L’appelant a soutenu que la prolongation du délai pour interjeter appel ne causerait pas de préjudice à l’employeur. Même si j’admets qu’une prolongation ne causerait pas de préjudice grave à l’employeur, je ne peux pas conclure que l’appelant a exercé une diligence raisonnable suffisante dans cette affaire pour justifier une prolongation. À cet égard, j’approuve le raisonnement de mon collègue dans la décision Alex Hoffman: « […] l’absence de préjudice réel revêtirait plus d’importance, à mon avis, si l’appelant avait justifié son retard par des explications logiques et convaincantes et en faisant montre de diligence […] ».

[36] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, je ne peux pas conclure que M. Bruce a agi avec diligence dans cette affaire, et l’absence de préjudice subi par l’employeur ne l’emporte pas sur la nécessité de faire preuve d’une diligence raisonnable aux fins de l’octroi de la prolongation.

Conclusion

[37] J’estime donc que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour proroger le délai prévu pour interjeter appel. Les circonstances familiales de l’appelant au moment qui nous intéresse, bien qu’elles aient certainement été source de stress, n’empêchaient pas l’appelant d’interjeter appel dans le délai prescrit de dix jours. Cela est vrai d’autant plus que l’appelant était représenté par son représentant syndical et que l’appelant, son représentant syndical et l’avocat du syndicat étaient tous au courant du droit d’interjeter appel et du délai prévu pour ce faire. Je crois donc que l’appelant avait les moyens et la possibilité d’agir avec diligence et de s’assurer que l’appel était déposé dans le délai prescrit.

Décision

[38] Pour ces raisons, je rejette la demande de prolongation du délai prévu pour interjeter appel. L’appel est donc rejeté.

Michael Wiwchar
Agent d’appel

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