2014 TSSTC 16

Date : 2014-09-04

 Dossier : 2014-35

 Entre :

Agence du revenu du Canada, appelante

et

Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée

 Répertorié : Agence du revenu du Canada c Alliance de la Fonction publique du Canada

 Affaire : Requête en vue d’obtenir une prorogation du délai prévu pour interjeter appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail

 Décision : La requête est accordée

 Décision rendue par : M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour l’appelante : M. Martin Desmeules, avocat, ministère de la Justice Canada, groupe du droit du travail et de l’emploi

 Pour l’intimée : M. Jean-Rodrigue Yoboua, agent de représentation, Services juridiques, AFPC

 Référence : 2014 TSSTC 16

MOTIFS DE LA DÉCISION

[1] La présente concerne une requête de prorogation du délai prévu pour interjeter appel à l’encontre d’une instruction émise par l’agente de santé et de sécurité (agente de SST) Michelle Sterling, en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code).

Contexte

[2] Le 10 juin 2014, l’agente de SST Michelle Sterling a émis une instruction à l’intention de l’appelante, l’Agence du revenu du Canada (ARC), locataire important, avec quelque 285 employés, d’un bâtiment situé à Windsor, en Ontario, et connu sous le nom de Édifice Paul Martin père et Agence du revenu du Canada − Windsor. L’instruction ordonne à l’appelante ARC de ne pas utiliser le lieu, et plus particulièrement deux portes de ce bâtiment (l’entrée de l’avenue Ouellette et la sortie d’urgence nord-est de la rue Pitt), en raison du danger causé par l’état de délabrement de la façade ou de l’enveloppe de pierre du bâtiment, ainsi que la protection insuffisante de l’échafaudage en place contre le risque de chutes de pierres et de mortiers.

[3] Le 20 juin 2014, la même agente de SST a émis une instruction identique à l’intention de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) à titre de gardien ou propriétaire de ce bâtiment. TPSGC a fait appel de cette instruction dans le délai prévu par le Code et le soussigné a partiellement suspendu l’application de ladite instruction à TPSGC, à titre d’employeur de ses propres employés et en sa qualité de gardien ou propriétaire du bâtiment. Pour une période limitée, cette suspension partielle permet à TPSGC d’utiliser les deux portes, mais comme sorties d’urgence seulement, au cas où l’évacuation d’urgence du bâtiment était nécessaire.

[4] Néanmoins, la présente appelante n’a pas interjeté appel à l’encontre de l’instruction dans le délai de 30 jours prescrit par le Code, en sa capacité d’employeur ou de locataire. L’appelant demande donc que le soussigné proroge le délai pour déposer un appel, dans le cadre du pouvoir conféré à l’agent d’appel par l’alinéa 146.2f) du Code.

Observations des parties

A) Observations de l’appelante

[5] Dans ses observations, l’appelante fait valoir que sa requête devrait être accordée afin d’éviter de créer une situation ou un état qui mettrait en danger la santé et la sécurité d’un employé ou de toute personne admise dans le lieu de travail. Plus précisément, ce danger serait causé par la limitation du nombre de sorties pouvant servir lors d’une évacuation d’urgence. Selon l’appelante, la situation actuelle, où deux instructions identiques concernent un même lieu de travail, dont une seule est suspendue, bien que partiellement, donne lieu à une situation extraordinaire, suffisant à justifier que le soussigné exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 146.2f) du Code.

[6] L’appelante explique son omission de faire appel de l’instruction par le fait que la même question faisait déjà l’objet d’un appel de TPSGC devant un agent d’appel, TPSGC étant propriétaire du bâtiment dans lequel l’appelante est locataire. À son avis, à ce moment à tout le moins, une décision sur l’appel de TPSGC trancherait aussi la question concernant l’ARC et, si on concluait à l’absence de danger dans le cas de TPSGC, on pourrait tirer la même conclusion dans le cas de l’appelante.

[7] Qui plus est, l’appelante fait valoir qu’à la suite de certaines observations des différents participants à l’audience de la demande de suspension de TPSGC, il est venu à l’esprit de l’ARC qu’elle avait peut-être erré en ne faisant pas appel de l’instruction. Elle a donc agi avec diligence le lendemain et a déposé un avis d’appel avec sa requête prorogation du délai.

[8] L’appelante soutient qu’elle devrait être autorisée à poursuivre son appel pour éviter une situation conflictuelle éventuelle où, dans un même lieu de travail et dans une même situation, une instruction contestée pourrait donner lieu à une conclusion d’absence de danger, alors qu’une instruction distincte et non contestée, fondée sur une conclusion de danger par l’agente de SST, serait confirmée et devrait être respectée.

[9] Enfin, si la présente prorogation était accordée et que l’appelante était autorisée à procéder en appel, elle demanderait à ce que cet appel soit réuni avec celui de TPSGC aux fins de cohérence à l’audience et dans la décision.

B) Observations de l’intimé

[10] L’intimée est d’avis que la demande devrait être refusée pour un certain nombre de raisons. Tout d’abord, en soulignant qu’aux fins de la santé et de la sécurité au travail en vertu du Code, TPSGC et l’ARC doivent être considérés comme des employeurs distincts, avec leur propre ensemble de responsabilités. À ce titre, les responsabilités en matière de santé et de sécurité de l’appelante vis-à-vis de ses employés ne sont pas supplantées par quelque position énoncée par TPSGC. Par conséquent, l’intimée soutient que l’appelante a commis une erreur en considérant que le fait que l’instruction qui la concernait et l’instruction émise à l’intention de TPSGC étaient identiques, l’issue de l’appel de l’instruction émise à l’intention de TPSGC réglerait essentiellement le cas de l’instruction émise à l’endroit de l’ARC.

[11] Selon l’intimée, l’ARC est un [traduction] « employeur de renom qui comparaît fréquemment devant les tribunaux administratifs (et) à ce titre, elle aurait dû savoir qu’une instruction émise à l’intention d’un employeur n’a aucune incidence sur une instruction émise à l’endroit d’un autre employeur », d’autant plus lorsque l’on considère que les deux instructions ont été émises à des dates différentes et que la lettre même de l’agente de SST qui accompagne l’instruction indique clairement que tout appel doit être déposé dans les 30 jours. Qui plus est, alors que les instructions sont peut-être identiques, les faits de chaque affaire sont différents, puisque TPSGC a un seul employé et que l’ARC en compte environ 285 dans ledit lieu. Cette distinction est pertinente lorsque l’on considère les risques de blessure et, par conséquent, elle indique que la décision dans le cas de TPSGC ne serait pas automatiquement applicable à la situation de l’ARC.

[12] En outre, l’intimée fait remarquer que depuis qu’elle a reçu l’instruction du 10 juin 2014, l’appelante est au courant de la nécessité de modifier son plan de sécurité-incendie pour éviter d’avoir à faire déménager environ 70 employés, et que ce sont vraiment les actions ou les omissions de l’appelante en réponse à l’instruction qui constituent une source de danger dans la situation, plutôt que l’instruction elle-même. L’intimée soutient qu’en affirmant que c’est l’instruction qui crée un danger éventuel, plutôt que son refus de s’y conformer, l’appelante démontre qu’elle se fonde sur ses propres erreurs et les attribue à l’agente de SST afin de demander une prorogation. Selon l’intimée, cela constitue une omission d’agir de bonne foi ou avec diligence, élément essentiel dans la recherche d’une prorogation.

Décision

[13] J’ai étudié les observations des deux parties. Je souhaite en premier lieu aborder l’allégation de l’intimée voulant que l’appelante n’ait pas agi de bonne foi ou avec diligence. Je suis d’avis que la croyance de l’avocat de l’appelante, à savoir que la question serait réglée par une décision concernant l’appel interjeté à l’encontre d’une autre instruction émise à l’intention de TPSGC dans le même lieu de travail, était erronée. Ainsi, je partage l’opinion exprimée par l’intimée qui veut que l’appelante aurait dû savoir que des instructions différentes ou distinctes, même celles qui concernent des parties qui agissent dans le même lieu de travail ou partagent ce lieu de travail, doivent être traitées séparément en vertu de la loi. Même si, au mieux, cela peut constituer une mauvaise interprétation ou une incompréhension de la loi de la part de l’appelante, cela ne constitue pas à mon avis de la mauvaise foi. Rien ne me laisse croire qu’en ne faisant pas appel de l’instruction dans le délai prescrit, l’appelante a agi sciemment en accord avec l’instruction de l’agente de SST Sterling.

[14] Qui plus est, je ne suis pas porté à conclure que l’appelante n’a pas agi avec diligence, étant donné qu’elle a cherché à corriger son erreur à la suite des commentaires de l’agente de SST et du soussigné concernant la nature distincte des deux instructions émises , au moment de l’audience sur la demande de suspension de TPSGC.

[15] Même si j’étais d’accord avec l’intimée et que l’instruction émise à l’intention de l’ARC ne crée pas en elle-même un danger, je dois tenir compte de l’ensemble de la situation qui prévaut dans ce lieu de travail, à savoir que deux instructions identiques ont été émises à l’endroit de deux parties dans le même lieu de travail, avec des résultats distincts éventuels si l’une demeurait incontestée alors que l’autre était contestée avec succès en appel. À mon avis, même si je reconnais que les instructions doivent être considérées comme étant distinctes, la situation comporte le risque d’une application non uniforme du Code qui, en elle-même, peut entraîner un danger. Bien que je partage en grande partie l’opinion exprimée par l’intimée concernant les lacunes de l’appelante, ce sont vraiment la santé et la sécurité des employés qui doivent être au cœur de mes préoccupations et, par conséquent, l’application uniforme de la loi est essentielle.

[16] La requête de l’appelante ARS pour proroger le délai pour déposer un appel est donc accordée. Étant donné qu’un avis d’appel a été ajouté à la requête, l’appel per se est considéré comme correctement déposé. Enfin, je ne vois pas pourquoi ces deux appels ne devraient pas être réunis sur le fond. Cela étant dit, je serais négligent si je n’attirais pas l’attention sur le libellé du paragraphe 146(2) du Code, à savoir que « [à] moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions ».

Jean-Pierre Aubre
Agent d’appel

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