2014 TSSTC 20

Date : 2014-10-06

 Dossier : 2014-41

 Entre :

4186397 Canada Inc., faisant affaire sous le nom de

TFI Transport 7 L.P. (Canadian Freightways Limited), demanderesse

et

Le Syndicat canadien des employées et employés professionnels et de bureau 378, défendeur

 Indexé sous : Canadian Freightways Limited c. Le Syndicat canadien des employées et employés professionnels et de bureau

 Affaire : Demande déposée en vertu du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail et visant à faire suspendre la mise en œuvre d’une instruction émise par une agente de santé et de sécurité

 Décision : La demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction est rejetée.

 Décision rendue par : M. Olivier Bellavigna-Ladoux, agent d’appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour le demandeur : M. Tim Christensen, directeur, Sécurité et conformité, Canadian Freightways

 Pour l’intimée : M. Steve Milne, Coordonnateur Commission d’indemnisation des accidentés du travail et de la santé et la sécurité au travail, COPE 378

 Référence : 2014 TSSTC 20

MOTIFS DE DÉCISION

[1] Ces motifs se rapportent à une demande déposée aux termes du paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code) afin de faire suspendre la mise en œuvre d’une instruction émise par l’agente de santé et de sécurité (agente de SST) Melissa Morden le 22 août 2014. La demanderesse, Canadian Freightways Limited (la « demanderesse » ou l’« employeur »), est une entreprise de transport interprovincial établie dans l’Ouest canadien.

Contexte

[2] Le 10 juin 2014, l’agente de SST Morden et sa collègue, l’agente de SST Betty Ryan, ont effectué une inspection du terminal de la demanderesse situé dans le port de la ville de Victoria en Colombie-Britannique, le tout en présence de deux des représentants de ladite demanderesse. Elles ont vu des membres du public se présenter au quai de transbordement du terminal de la demanderesse pour y ramasser des colis, ainsi que des employés qui entraient dans ce secteur. Cela ne se passait pas durant les heures d’activité de pointe.

[3] Dans le cadre de cette enquête, les agentes de santé et de sécurité ont remarqué que les chariots élévateurs à fourches n’étaient pas équipés d’avertisseurs de marche arrière. Les représentants de la demanderesse ont indiqué qu’ils avaient enlevé les avertisseurs de marche arrière à la demande des employés. Un stroboscope se met en marche chaque fois qu’un chariot élévateur à fourche est en cours d’utilisation et on entend aussi des coups de klaxon lorsqu’un chariot élévateur à fourche entre dans un conteneur d’expédition ou en sort. De plus, les opérateurs de chariots élévateurs à fourches sont tenus de demeurer entièrement conscients de ce qui se passe autour d’eux en tout temps afin d’éviter de se comporter de manière complaisante.

[4] L’employeur croit que ces pratiques répondent à une norme beaucoup plus élevée que les exigences minimums découlant de la partie II du Code et du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail. L’agente de SST a envoyé à la demanderesse un formulaire de promesse de conformité volontaire (PCV) et lui a accordé un mois pour donner suite au constat d’infraction établi relativement à l’absence d’avertisseurs de marche arrière sur les chariots élévateurs à fourches. L’employeur a refusé de profiter de cette occasion de se conformer au Règlement et a plutôt décidé d’en appeler de toute instruction exigeant de l’entreprise qu’elle réinstalle des avertisseurs de marche arrière sur ses chariots élévateurs à fourches.

[5] L’agente de SST Morden a ensuite émis l’instruction suivante :

[traduction] DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 10 juin 2014, l’agente de santé et de sécurité soussignée a effectué une inspection dans le lieu de travail exploité par 4186397 CANADA INC., faisant affaire sous le nom de TFI Transport 7 L.P., un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, ledit lieu de travail étant situé au 2952 Ed Nixon Terrace, Victoria (Colombie-Britannique) V9B 0B2 et parfois appelé « Canadian Freightways Limited ».

Ladite agente de santé et de sécurité est d’avis que la disposition suivante du Code canadien du travail, partie II, a été enfreinte :

 Contravention 1 

 Alinéa 125.(1)k) de la partie II du Code canadien du travail, alinéa 14.16(1)b) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (RCSST).

L’employeur a omis de s’assurer que les chariots élévateurs à fourches sont munis d’un klaxon ou autre avertisseur sonore du même genre qui fonctionne automatiquement lorsque le chariot fait marche arrière.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) du Code canadien du travail, partie II, de mettre fin à la contravention au plus tard le 8 septembre 2014.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par l’agente de santé et de sécurité, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Vancouver (C.-B.) le 22e jour d’août 2014.

[Signée]

Melissa Morden

Agente de santé et de sécurité

[…]

À : 4186397 CANADA INC., faisant affaire sous le nom de TFI Transport 7 L.P.

2952 Ed Nixon Terrace
Victoria (Colombie-Britannique)
V9B 0B2

[6] L’agente de SST Morden note que les activités que poursuit la demanderesse à Dawson Creek (C.-B.) sont aussi visées par une instruction identique émise par un autre agent de SST.

[7] L’instruction visée par la présente demande de suspension de mise en œuvre ne concerne que le terminal de Victoria de la demanderesse et les deux chariots élévateurs à fourches que les employés utilisent à cet endroit. La demanderesse emploie un gestionnaire, neuf employés au terminal et un commis de bureau à Victoria.

[8] La demanderesse a déposé un avis d’appel accompagné d’une demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction le 3 septembre 2014. Une conférence téléphonique a eu lieu le 18 septembre 2014, lors de laquelle les deux parties ont présenté leurs observations sur cette demande.

[9] Le 9 septembre 2014, j’ai décidé de ne pas accueillir cette demande et le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada en a informé les parties le même jour. Voici les raisons qui justifiaient ma décision.

Analyse

[1] Le pouvoir qu’a un agent d’appel d’accorder une suspension découle du paragraphe 146(2) du Code, qui se lit comme suit :

À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[10] Aux fins de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que leur confère le paragraphe 146(2), les agents d’appel appliquent un critère à trois volets, à savoir :

1) Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.

2) Le demandeur doit démontrer que le refus par l’agent d’appel de suspendre la mise en œuvre de l’instruction lui causera un préjudice important.

3) Le demandeur doit démontrer que dans l’éventualité où la suspension était accordée, des mesures seraient adoptées pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

La question à juger est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[11] Les deux parties ont convenu que la question à trancher lors de l’appel est une question sérieuse. Elles ont soutenu qu’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité dans le but de mettre fin à une contravention visée par le Code constitue toujours une question sérieuse.

[12] Je suis d’accord avec les parties et j’estime que la demanderesse a satisfait le premier élément du critère.

Le demandeur subira-t-il un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?

[13] La demanderesse affirme qu’il faudrait donner de la nouvelle formation sur le mode de fonctionnement des chariots élévateurs à fourches. Actuellement, les opérateurs reçoivent de la formation relative au modèle de chariot qu’ils utilisent, ce qui comprend de la formation visant à acquérir la capacité de percevoir tout ce qui se passe autour de soi. Après avoir installé des avertisseurs de marche arrière sur les chariots élévateurs à fourches, l’employeur devrait aussi montrer aux opérateurs comment tester ces avertisseurs sonores et aider tous ses employés à s’adapter à cette importante modification du milieu de travail.

[14] Il faudrait aussi rencontrer les membres du comité de la santé et de la sécurité et du comité des politiques pour examiner et mettre à jour le contenu des manuels et politiques de formation, et pour discuter de toute exigence ou de tout risque associé à la réinstallation des avertisseurs de marche arrière.

[15] Ce changement a d’importantes conséquences pour l’employeur dans la mesure où l’obligation de modifier tout élément des pratiques en matière de sécurité qu’il observe à Victoria le contraindrait aussi à modifier les pratiques de ce genre s’appliquant à l’ensemble de ses activités puisqu’il met en œuvre des politiques uniformes en matière de sécurité dans tous les terminaux de Canadian Freightways.

[16] Finalement, la demanderesse a indiqué que selon sa meilleure estimation, il lui faudrait deux semaines pour mettre à jour les manuels et politiques de sécurité, pour commander et installer les avertisseurs, et pour former les opérateurs de chariots élévateurs à fourches et les autres employés de l’entreprise.

[17] Le défendeur, soit le Syndicat canadien des employées et employés professionnels et de bureau 378, affirme qu’il n’est pas en mesure de se prononcer sur la question de savoir s’il serait possible de se conformer à l’instruction de l’agente de SST, et il ne comprend pas exactement en quoi consiste la formation que l’employeur devrait prodiguer aux opérateurs de chariots élévateurs à fourches pour qu’ils puissent utiliser ceux-ci de manière sécuritaire.

[18] Selon moi, la politique interne qu’applique Canadian Freightways pour s’assurer que les mêmes mesures de sécurité sont mises en œuvre dans tous ses terminaux n’est pas un facteur à considérer aux fins de la présente affaire. L’instruction dont on me demande de suspendre la mise en œuvre ne s’applique qu’aux activités que poursuit l’entreprise à Victoria.

[19] J’en arrive à la conclusion que la demanderesse n’est pas parvenue à me démontrer de façon concrète quelles seraient les difficultés auxquelles l’employeur devrait faire face si on l’obligeait à se conformer à l’instruction de l’agente de SST jusqu’à la tenue d’une audience sur le fond de l’appel. Les préjudices importants qu’elle subirait, selon ses propres dires, ne permettent pas de satisfaire le critère minimum à remplir pour que l’on ordonne la suspension de la mise en œuvre d’une instruction. Comme la suspension de la mise en œuvre d’une instruction permet à un employeur de maintenir des pratiques de travail potentiellement dangereuses et, du même coup, de mettre en péril la sécurité de ses employés, la demanderesse doit convaincre l’agent d’appel qu’elle subira des préjudices qui sont manifestement importants.

[20] La demanderesse n’a pas fourni de renseignements sur la logistique et les conséquences qui seraient liés aux mesures prises pour rendre ses activités conformes. Plus précisément, elle n’a pas été en mesure de fournir de renseignements sur la disponibilité des avertisseurs de marche arrière qui doivent être installés, ni d’estimation du coût que cela représenterait pour l’entreprise. De plus, l’échéancier approximatif de deux semaines prévu par la demanderesse pour se conformer à l’instruction se fondait sur des conjectures.

[21] J’en arrive donc à la conclusion que le deuxième élément du critère n’a pas été satisfait. Comme j’ai constaté que l’employeur n’avait pas établi qu’il subirait un préjudice important si la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction était rejetée, je n’ai pas besoin d’examiner le troisième élément du critère.

Décision

[22] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je rejette la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction émise par l’agente de SST Morden le 22 août 2014.

Olivier Bellavigna-Ladoux
Agent d’appel

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