2015 TSSTC 1
Date : 2015-01-23
Dossiers : 2013-19, 2013-20, 2013-21
Entre :
Agence canadienne d’inspection des aliments, appelante
et
Alliance de la Fonction publique du Canada, défenderesse
Indexé sous : Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada
Affaire : Demande d’annulation des instructions faisant l’objet de l’appel en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail
Décision : Dossiers 2013-19 et 2013-20 clos par ordonnance. Demande rejetée dans le dossier 2013-21
Décision rendue par : M. Pierre Hamel, agent d’appel
Langue de la décision : Anglais
Pour l’appelante : Me Christine Langill, avocate, ministère de la Justice Canada
Pour l’intimée : M. Jean-Rodrigue Yoboua, agent de représentation, Alliance de la Fonction publique du Canada
Référence : 2015 TSSTC 1
MOTIFS DE DÉCISION
[1] La présente décision concerne une demande présentée par l’appelante relativement à trois appels déposés le 8 avril 2013 par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA ou « l’employeur ») auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (TSSTC), en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code). Les appels concernent trois instructions émises le 8 mars 2013 par Mme Bobbi Anderson, agente de santé et de sécurité (agente de SST) au Programme du Travail d’Emploi et Développement social Canada (qui s’appelait alors Ressources humaines et Développement des compétences Canada).
[2] Les trois instructions sont identiques, à ce détail près que chacune vise un employé différent (soit les employés 1, 2 et 3). L’instruction concernant l’employé 1 (no de dossier du TSSTC : 2013-19) se lit comme suit :
DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL
PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL
INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)
Le 27 novembre 2012, l’agente de santé et de sécurité soussignée a effectué une enquête dans le lieu de travail exploité par l’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail et sis au 5921, rue Frank, Mitchell (Ontario) N0K 1N0, ledit lieu de travail étant aussi connu sous le nom d’ACIA – Great Lakes Specialty Meats of Canada Inc.
Ladite agente de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions ci-dessous de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes :
No. /N° : 1
Alinéa 125(1)x) – Code canadien du travail, partie II -
L’employeur doit se conformer aux instructions verbales ou écrites qui lui sont données par un agent d’appel ou un agent de santé et de sécurité à l’égard de la santé et de la sécurité des employés.
L’employeur ne s’est pas conformé à l’instruction initiale qui lui a été émise le 14 décembre 2012 de nommer une personne compétente pour qu’elle enquête au sujet des allégations de violence faites par l’employé 1 en février 2012, qui demeurent non réglées.
Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à cette contravention au plus tard le 28 mars 2013.
De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la Partie II du Code canadien du travail, de prendre, au plus tard dans le délai imparti par l’agente de santé et de sécurité, les mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.
Fait à London, ce 8e jour de mars 2013.
[Signé]
BOBBI ANDERSON
Agente de santé et de sécurité
(...)
À : AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS
5921, rue Frank, C.P. 610
Mitchell (Ontario)
N0K 1N0
[3] L’avis d’appel de l’employeur comprenait également une demande de suspension des instructions faisant l’objet de l’appel. Le 30 mai 2013, les parties ont été informées par l’agent d’appel Michael Wiwchar que la demande avait été rejetée. Les motifs écrits de cette décision ont été rendus le 20 juin 2013 (Agence canadienne d’inspection des aliments c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2013 TSSTC 18).
Contexte
[4] Les renseignements contextuels nécessaires pour comprendre la présente décision peuvent être résumés comme suit.
[5] Après avoir reçu une plainte écrite déposée par un employé de l’ACIA alléguant que l’employeur n’avait pas reconnu les allégations de violence dans le lieu de travail ou fait enquête sur ces allégations comme l’exige la Partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement), l’agente de SST Anderson a fait enquête dans le lieu de travail exploité par l’ACIA au 5921, rue Frank, à Mitchell (Ontario). L’agente de SST Anderson a communiqué à plusieurs reprises, par courriel et par téléphone, avec l’auteur de la plainte, appelé l’employé 1, qu’elle considérait comme ayant été désigné porte-parole des deux autres employés impliqués.
[6] Le 14 décembre 2012, à la suite de son enquête, l’agente de SST Anderson a émis trois instructions à l’endroit de l’employeur, chacune liée à un des trois employés ayant porté plainte, découlant de sa conclusion que l’employeur avait contrevenu au paragraphe 20.9(3) du Règlement, et qu’il avait jusqu’au 31 janvier 2013 pour s’y conformer. Le 8 mars 2013, après avoir été informée que l’employeur ne s’était pas conformé à ses instructions, l’agente de santé et sécurité Anderson a émis une deuxième instruction pour chacun des trois dossiers, en vertu de l’alinéa 125.(1)x) du Code. Ce sont ces trois instructions qui font l’objet du présent appel.
Demande devant l’agent d’appel
Pour l’appelante
[7] Le 21 juillet 2013, l’avocate de l’employeur a avisé le TSSTC que les employés qui avaient porté plainte n’étaient plus des employés de l’ACIA. Elle a déposé auprès du TSSTC la correspondance de l’employé 1 et de l’employé 2 confirmant qu’ils n’étaient plus sur le lieu de travail depuis février 2013, date de leur démission. Dans une lettre adressée au TSSTC, datée du 19 juin 2014 et jointe à la correspondance de l’employeur, l’employé 1 déclare ce qui suit :
[TRADUCTION] J’ai officiellement demandé à ce qu’aucune autre mesure ne soit prise en ce qui concerne l’instruction qui a été émise par RHDCC dans cette affaire (dossier no 2013-19) et qu’elle soit annulée. Je confirme que je ne suis plus sur le lieu de travail depuis février 2013. De plus, toutes les questions liées à mon ancien emploi à l’ACIA ont été réglées à mon entière satisfaction, y compris mais non de façon limitative la plainte qui a conduit aux instructions émises et faisant l’objet du dossier du tribunal 2013-19. Je ne désire poursuivre aucune mesure de plainte, d’action ou autre contre mon ancien employeur.
Veuillez considérer la présente comme ma demande officielle et volontaire au Tribunal de clore le dossier relatif à ma plainte dans cette affaire. Je comprends que l’employeur est d’accord avec cette demande.
[8] Une lettre de l’employé 2 adressée au Tribunal et datée du 27 mai 2014 comporte un texte identique concernant l’appel au dossier no 2013-20.
[9] Les deux employés ont également informé leur ancien employeur, le jour où ils ont écrit au Tribunal, qu’ils retiraient leur plainte pour violence dans le lieu de travail et ont confirmé qu’ils ne demandaient pas à l’employeur ni au Programme du travail de RHDCC de prendre d’autres mesures relativement à cette affaire.
[10] En ce qui concerne l’employé 3 (dossier du TSSTC no 2013-21), Me Langill signale qu’il a démissionné de l’ACIA le 29 avril 2013. Il n’est pas retourné depuis sur le lieu de travail et rien n’indique qu’il souhaite ou entend poursuivre cette affaire. L’avocate de l’employeur note qu’une procédure relativement à cette affaire est en instance devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) (depuis le 1er novembre 2014, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique [CRTEFP]), mais affirme que la Commission n’a pas la compétence pour régler une telle affaire, puisqu’il s’agit d’une démission et non d’une mesure disciplinaire prise à l’encontre de l’employé.
[11] Compte tenu du fait que, selon les observations de l’employeur, il n’existe plus d’affaire à régler entre les parties, l’employeur souhaite que le Tribunal rende une ordonnance pour annuler les instructions et clore les trois dossiers.
Pour le défendeur :
[12] Le représentant de l’intimée Alliance de la Fonction publique du Canada, qui représente les intérêts des employés dans cette affaire, a répondu à la demande de l’employeur par une lettre datée du 10 octobre 2014. M. Yoboua a confirmé que les employés 1 et 2 (dossiers du TSSTC nos 2013-19 et 2013-20) ne souhaitent plus poursuivre avec les appels et les instructions qui en sont l’objet et convient que ces dossiers devraient être clos.
[13] En ce qui concerne l’employé 3, le représentant de l’intimée s’oppose à la demande d’annulation de l’instruction et de clôture du dossier. M. Yoboua affirme que l’appel 2013-21 et l’instruction qui en fait l’objet sont toujours des questions litigieuses. Bien que l’employé 3 ne travaille plus sur le lieu de travail, M. Yoboua confirme qu’il a déposé devant la CRTFP une plainte en vertu de l’article 133 du Code « [TRADUCTION] en raison de la manière dont il a été obligé de quitter le lieu de travail après avoir exercé ses droits en vertu du Code canadien du travail ». Il affirme que puisque l’employé n’a pas abandonné son droit de recours relativement à son emploi, une question litigieuse subsiste et doit être réglée.
Réponse de l’appelante
[14] Le 21 octobre 2014, l’avocate de l’appelante a confirmé qu’elle comprend que, d’après la lettre de l’agent négociateur datée du 10 octobre 2014, les deux parties consentent à ce que les dossiers 2013-19 et 20 soient clos et que l’affaire ne soit pas poursuivie, et qu’une ordonnance devrait être émise selon laquelle ces deux dossiers ont été réglés à l’entière satisfaction des parties et devraient donc être clos.
[15] Pour ce qui est de l’appel concernant l’employé 3 (2013-21), Me Langill conteste le fait qu’il subsiste toujours une affaire litigieuse, malgré les procédures en instance devant la CRTEFP. Elle affirme que la jurisprudence appuie l’argument voulant que la Commission n’a habituellement pas compétence pour entendre les cas de démission et cite la décision arbitrale rendue dans Byfield c. ACR, 2013 CRTFP 52.
Analyse
[16] La présente demande soulève une question importante au sujet des intérêts en jeu dans le contexte d’un appel contre une instruction émise par un agent de santé et de sécurité en vertu du Code.
[17] Une enquête menée par un agent de santé et de sécurité commence habituellement, comme cela a été le cas ici, par une demande d’intervention ou une plainte déposée par un employé. Le rôle de l’agent de santé et de sécurité n’est pas de résoudre un litige entre les deux parties, mais, comme dans le présent cas, de déterminer s’il y a eu contravention au Code ou à son Règlement. L’agent de SST doit donc faire enquête pour recueillir les faits qui lui permettront de se faire une opinion éclairée sur la question.
[18] Si l’agent de SST conclut qu’il y a eu contravention au Code, il peut émettre une instruction exigeant de l’employeur ou de l’employé concerné, ou des deux, qu’ils se conforment aux exigences du Code. Une telle instruction est contraignante et exécutoire immédiatement ou dans le délai fixé par l’agent de SST, à moins qu’un agent d’appel prononce une suspension jusqu’à l’audition d’un appel.
[19] Une fois émise , une instruction, qui vise à corriger une situation à l’égard de laquelle l’agent de santé et de sécurité conclut qu’il s’agit d’une contravention au Code, a aussi une dimension de politique publique qui dépasse les seuls intérêts des parties. Il s’agit d’une ordonnance émise par un fonctionnaire public exigeant la plupart du temps de l’employeur qu’il se conforme à une obligation prescrite par le Code. Le défaut de se conformer à une telle ordonnance constitue une infraction aux termes du Code. L’agent de santé et de sécurité lui-même n’est pas autorisé par la loi à modifier sa propre instruction une fois qu’elle est émise. Seul un agent d’appel peut modifier ou annuler une instruction, pour des motifs juridiques ou factuels appropriés touchant la validité et le bien-fondé de l’instruction dans les circonstances présentes. C’est la tâche confiée aux agents d’appel par l’article 146.1 du Code.
[20] Dans le cas présent, l’agente de SST a d’abord conclu que l’employeur n’avait pas nommé une personne compétente, comme définie au paragraphe 20.9(1) du Règlement, pour faire enquête sur les plaintes déposées par les trois employés alléguant qu’ils étaient soumis à de la violence dans leur lieu de travail. L’agente de SST a conclu que l’employeur aurait dû nommer une telle personne et que son omission de le faire constituait une contravention au Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement. L’agente de SST a donc ordonné à l’employeur, comme elle est autorisée à le faire par le paragraphe 145(1), de nommer une telle personne compétente dans le délai fixé dans son instruction du 14 décembre 2012.
[21] Après avoir été informée que l’employeur n’avait pas respecté son instruction, la même agente de SST a par la suite émis un deuxième ensemble d’instructions dans laquelle elle concluait à une autre violation du Code, à savoir l’omission de l’employeur de se conformer aux instructions qu’elle avait émises le 14 décembre, et enjoignait l’employeur de s’y plier. Ce sont ces dernières instructions qui ont fait l’objet d’un appel. Je remarque en passant que les instructions du 14 décembre n’avaient pas, à ma connaissance, fait l’objet d’un appel, bien qu'elles se rapportent en quelque sorte à la validité des instructions du 8 mars 2013, qui sont visées par un appel. Cependant, je ne fais à cette étape-ci aucune constatation en ce qui a trait à la portée des appels dont je suis saisi, et il vaut mieux trancher cette question lors de la décision sur le bien-fondé de l’appel, après que les parties auront eu l’occasion de présenter leurs observations sur cette affaire, en présumant que nous atteignions cette étape dans la procédure.
[22] Je ne suis pas convaincu que la formulation de l’article 146.1 du Code m’autorise à aller de l’avant de la manière proposée par l’appelante. Cet article prévoit qu’un agent d’appel peut, après une enquête sommaire sur les circonstances de l’instruction et sur la justification de celle-ci, la modifier ou l’annuler. La question soulevée par la présente demande consiste à déterminer si le Code autorise l’agent d’appel à annuler l’instruction, comme l’employeur l’a initialement proposé dans ses observations, pour la seule raison que l’employé, dont la plainte formulée auprès d’une agente de santé et sécurité a déclenché une enquête ayant mené à la formulation de l’instruction, ne travaillait plus pour l’employeur au moment de l’appel et, dans deux des trois dossiers visés par un appel, ne souhaite plus poursuivre les démarches. Une telle proposition laisse entendre d’annuler une instruction sans tenir compte de son bien-fondé, c’est-à-dire sans décider s’il y a eu ou non contravention au Code dans les circonstances qui existaient au moment où l’agente de santé et sécurité a émis cette instruction. À mon avis, la formulation de l’article 146.1 du Code ne me permet pas d’envisager de prendre une telle mesure.
[23] Je suis cependant prêt à envisager l’autre option, qui consiste à fermer les dossiers de l’appel à la lumière des circonstances de cette affaire et des observations des parties.
[24] Pour parvenir à une conclusion dans cette affaire, je dois tenir compte de la nature fondamentale de la contravention et de l’ensemble des circonstances qui ont débouché sur la formulation des instructions. Le problème initial qui a déclenché l’enquête de l’agente de santé et sécurité Anderson se rattache à l’obligation de l’employeur de nommer une personne compétente pour qu’elle enquête au sujet des allégations de violence au travail soulevées par trois employés de l’ACIA. Les allégations sont intimement liées aux employés eux-mêmes, en tant que victimes de la violence présumée. Contrairement à d’autres types de contraventions au Code qui pourraient s’apparenter davantage aux aspects physiques du lieu de travail (comme les structures de l’édifice, les dispositifs de protection, etc.), les présentes instructions portent sur la conduite présumée des représentants de l’employeur envers les plaignants et, par conséquent, sur des sujets propres aux employés en question.
[25] C’est en tenant compte de ce qui précède que je répondrai à la demande de l’employeur. En fonction des renseignements fournis par les parties dans leurs observations, je dois analyser la question autrement en ce qui concerne les dossiers 2013-19 et 2013-20 (employés 1 et 2), d’une part, et le dossier 2013-21 (employé 3), d’autre part. À cette étape-ci, je continuerai de désigner les employés comme « employé », sans les nommer, car c’est ce que les parties et l’agente de santé et sécurité Anderson ont fait dans leurs échanges.
Dossiers 2013-19 et 2013-20
[26] Comme je l’ai expliqué précédemment, le Code ne stipule pas expressément la possibilité qu’un agent d’appel annule une instruction ou mette fin à la procédure pour la seule raison que les parties ont résolu le différend qui a pu être l’élément déclencheur de l’enquête d’une agente de santé et sécurité et de la formulation d’une instruction. L’agente de santé et sécurité qui émet une instruction le fait en qualité de fonctionnaire publique investie de pouvoirs de contrainte en vertu du Code et exerce des fonctions d’intérêt public. Les mesures de contrainte de l’agente de santé et sécurité transcendent, à mon avis, les intérêts immédiats des parties touchées par de telles mesures, et c’est le Code qui prescrit la conduite des parties à la suite de l’instruction. Le Code ne donne pas le droit aux parties de convenir qu’après tout l’instruction n’est pas nécessaire ou qu’elles ne sont pas tenues de s’y conformer. Le Code prescrit l’effet exécutoire de l’instruction. Le fait que l’employé dont la plainte est à l’origine de l’enquête ne travaille plus pour l’employeur n’est pas, en soi, une raison de rendre purement théorique l’instruction et de mettre fin à la procédure.
[27] Néanmoins, je suis conscient que, dans le contexte de la présente procédure et compte tenu de la nature de la contravention au Code, les personnes qui individuellement pourraient profiter de la conformité aux instructions ont exprimé clairement leur souhait de renoncer à cet avantage parce qu’elles ne sont plus employées, ont résolu leurs différends au travail avec leur employeur, y compris les allégations aux présentes, et ne désirent plus poursuivre les démarches.
[28] En raison de ces déclarations, je suis conscient du principe d’économie des ressources judiciaires, quand la situation s’y prête. En fait, nous ne souhaitons pas affecter des ressources considérables à la poursuite d’une affaire si chacune des parties à qui la procédure profiterait le plus, d’une part, exprime le souhait de ne plus poursuivre les démarches et, d’autre part, consent à la cessation de la procédure et à la fermeture des dossiers de l’appel. Je crois aussi la déclaration des parties selon laquelle elles affirment avoir résolu de manière satisfaisante tous les différends liés à leur emploi et ne souhaitent plus poursuivre les démarches, ce qui rend l’objet de l’instruction quelque peu inutile. Je crois aussi que ces facteurs exceptionnels dépassent ceux de l’intérêt public, qui autrement imposerait de poursuivre les démarches visées par un appel, afin de veiller à la bonne application du Code lorsqu’un agent de santé et sécurité découvre que quelqu’un a violé l’une des dispositions du Code. Dans les circonstances de ces deux affaires, que je prenne note du consentement des parties à la fermeture des dossiers ne semble aller à l’encontre ni de l’objectif de prévention qui sous-tend le Code ni de l’intérêt de la justice administrative.
[29] Une deuxième raison me permet de parvenir à cette conclusion. Cette raison a trait au sujet particulier de ces appels et au cadre juridique applicable énoncé à l’article 20.9 du Règlement. Lorsque l’employeur est mis au courant d’une allégation de violence dans le lieu de travail, le paragraphe 20.9(2) du Règlement exige d’abord de l’employeur qu’il « tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dans les meilleurs délais ». Si l’affaire est résolue, le Règlement n’exige pas de nommer une personne compétente pour faire enquête, et l’affaire est close. Il est clair qu’au moment où je rédige la présente décision, l’employeur a résolu l’affaire liée aux allégations de violence dans le lieu de travail auprès des deux employés en question, comme le révèlent les observations des parties et les lettres signées par les employés à l’attention du TSSTC. Par conséquent, en concrétisant l’entente mutuelle des parties selon laquelle ils ont résolu leur différend au sujet de la violence alléguée dans le lieu de travail, nous nous conformons à l’esprit et à l’objectif de la disposition que l’agente de santé et sécurité Anderson visait à faire respecter par ses instructions. Dans de telles circonstances, je suis d’accord avec les parties qu’il est inutile de donner suite à la procédure d’appel.
[30] Je remarque également que, dans sa réponse du 21 octobre 2014, l’avocate de l’appelante a quelque peu reformulé l’ordonnance d’annulation que l’employeur recherchait initialement pour ces deux appels, dont le libellé est maintenant le suivant : [TRADUCTION] « Par conséquent, l’appelante souhaite une ordonnance pour ces dossiers selon laquelle ils ont été résolus à l’entière satisfaction des parties et sont fermés ».
[31] Par conséquent, je reconnais que ce qui faisait l’objet des appels a été résolu à la satisfaction des parties et je ferme les dossiers.
Dossier 2013-21
[32] La situation de l’employé 3 (dossier 2013-21) est passablement différente. Aucune entente entre les parties ne permet de croire qu’elles ont résolu l’affaire à leur satisfaction. Au contraire, l’employé prétend que sa démission n’est pas volontaire et constitue une forme de représailles contre lui parce qu’il a exercé un droit en vertu du Code, ce que le Code interdit à l’article 145, et l’employé a déposé une plainte auprès de la CRTFP conformément à l’article 133. Bien sûr, je ne peux pas présumer du résultat de cette procédure, comme l’avocate de l’employeur m’invite à le faire.
[33] L’approche que j’ai adoptée pour les deux autres appels ne peut simplement pas s’appliquer dans ce cas-ci. À l’évidence, il n’existe aucun consentement mutuel indiquant que les deux parties ont résolu leur différend à leur satisfaction. De plus, l’employé qui a porté plainte et l’intimée ont exprimé le souhait de poursuivre les démarches. Le fait que l’employé 3 ne travaille plus pour l’ACIA n’a selon moi aucune incidence importante sur la procédure dont je suis actuellement saisi, c’est-à-dire l’instruction que l’agente de santé et sécurité Anderson a émise à l’endroit de l’employeur pour qu’il cesse de contrevenir au Code. À mon avis, rien dans l’article 146.1 du Code ne me permet de faire prévaloir l’appel et d’annuler l’instruction pour la seule raison que l’employé qui a porté plainte ne travaille plus pour l’employeur, et ce, sans examiner le fond et la validité de l’instruction.
[34] En outre, je pense que le résultat de la plainte en instance devant la CRTFP n’est pas un facteur à prendre en compte. L’employé qui a porté plainte travaillait pour l’ACIA au moment des événements et lorsque l’agente de SST a émis les instructions. Comme je l’ai indiqué précédemment, une fois qu’un agent de SST a émis une instruction, nous entrons dans le domaine de l’application des lois par un fonctionnaire public. Il faut se conformer à une telle instruction, et la contravention indiquée dans l’instruction doit cesser, quels que soient les événements subséquents. La suspension de l’instruction que recherchait l’employeur a été rejetée. Par conséquent, l’employeur était légalement tenu de se conformer aux conditions de l’instruction et, à ce jour, il continue de l’être.
[35] L’avocate de l’employeur a cité le jugement Maureen Harper c. L’Agence canadienne d’inspection des aliments, 2011 TSSTC 19 pour appuyer ses observations selon lesquelles il faut annuler l’instruction parce que l’employé 3 a démissionné. L’affaire liée à ce jugement se distingue du présent appel au moins pour ce qui est d’un facteur, que j’estime déterminant : dans cette affaire, il ne s’agissait pas d’un appel visant une instruction d’une agente de santé et sécurité, mais d’un appel interjeté par l’employée contre une décision d’« absence de danger » comme suite au refus de l’employé de travailler, en vertu des articles 128 et 129 du Code. L’agent d’appel maintenait dans cette affaire que le droit de refuser de travailler, tel qu’il est formulé à l’article 128, est un droit individuel conféré à un employé au travail et appartient uniquement à l’employé qui l’invoque. Il faut souligner que l’employée était l’appelante dans cette affaire. Comme l’employée ne travaillait plus pour l’ACIA au moment de l’appel, l’agent d’appel a jugé que les motifs initiaux de l’employée appelante pour intenter la procédure s’étaient dissipés, car « elle n’était plus exposée à la présumée situation dangereuse en milieu de travail ». Il s’agit d’un cadre juridique très différent de celui de la présente affaire. À mon avis, le problème, et peut-être le résultat, auraient été différents si l’agent de santé et sécurité avait constaté un danger et émis une instruction, aux termes du paragraphe 145(2) du Code, ordonnant à l’employeur de prendre des mesures correctives et que cette instruction avait fait l’objet d’un appel. Selon moi, parce que le présent appel est interjeté contre une instruction qu’un agent de santé et sécurité a émise, le raisonnement dans l’affaire Harper ne peut s’appliquer dans le cas qui nous intéresse.
[36] Je crois également que la présente affaire n’est pas devenue purement théorique uniquement parce que l’employé 3 ne travaille plus pour l’ACIA. Même si l’employé est, en dernier ressort, le principal bénéficiaire de l’instruction, qui mènera à la désignation d’une personne compétente pour faire enquête sur sa demande selon laquelle il a été victime de violence dans le lieu de travail, cette situation dépasse les simples intérêts privés de l’employé pour une autre raison. L’enquête envisagée au paragraphe 20.9(3) du Règlement consiste à faire examiner une situation de violence dans le lieu de travail par une personne compétente, qui doit préparer un rapport énonçant ses conclusions et ses recommandations au sujet de l’affaire. Le Règlement ne précise pas la nature des conclusions et des recommandations que la personne compétente peut indiquer dans le rapport, mais on peut dire avec justesse que le rapport servira à remédier à une situation, dans le contexte général de la Partie XX du Règlement. Ainsi, ces conclusions et recommandations peuvent s’appliquer à la situation faisant l’objet de l’enquête, elles peuvent offrir une certaine forme de réparation à l’employé, qui pourrait se révéler avoir été victime de violence, mais elles peuvent aussi répondre à des questions d’une nature plus systémique. Par exemple, le paragraphe 20.9(5) du Règlement prévoit que l’employeur est tenu, entre autres, d’adapter ou de mettre en place, selon le cas, les mécanismes de contrôle systématiques mentionnés au paragraphe 20.6(1) afin d’éviter la répétition de la violence dans le lieu de travail. Le rapport peut souligner un manque ou un défaut sur ce plan, dans les circonstances révélées par l’enquête. À cet égard, le résultat de l’enquête de la personne compétente peut dépasser les circonstances individuelles de l’employé et mentionner des mesures d’application générale pour le lieu de travail, assorties d’un objectif de prévention, un facteur primordial qui sous-tend le Code.
[37] Par conséquent, pour toutes les raisons susmentionnées, je suis d’avis qu’il reste une question à résoudre dans ce dossier. Je ne peux donc pas accéder à la demande de l’appelante d’annuler l’instruction ou de fermer le dossier selon les motifs invoqués par l’avocate de l’appelante dans les observations qu’elle a présentées le 21 juillet 2014. Faute de consentement ou de retrait mutuel de l’appel par l’appelante, j’ai le devoir rester saisi de cet appel. La demande est refusée en conséquence pour ce qui est de l’employé 3 (dossier 2013-21).
Décision
[38] Les dossiers 2013-19 et 2013-20 du TSSTC sont par les présentes fermés.
[39] La demande de l’appelante d’annuler l’instruction dans le dossier 2013-21 du TSSTC et de fermer le dossier est refusée.
Pierre Hamel
Agent d’appel
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